Nations Unies

CCPR/C/111/D/2042/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 août 2014

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme

Communication no 2042/2011

Décision adoptée par le Comité à sa 111e session(7-25 juillet 2014)

Communication présentée par:

Surat Davud Oglu Huseynov (représentépar un conseil, Eldar Zeynalov)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Azerbaïdjan

Date de la communication:

5 juillet 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 avril 2011(non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

21 juillet 2014

Objet:

Torture pour extorsion d’aveux; non-respect de l’égalité des armes au cours du procès; peine supérieure à celle prévue par la loi; discrimination fondée sur l’opinion politique

Question(s) de fond:

Torture; mauvais traitements;procès inéquitable; discrimination

Question(s) de procédure:

Compétence ratione temporis; non‑épuisement des recours internes; conformité aux dispositions du Pacte

Article(s) du Pacte:

7, 10, 14, 15 et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

1, 3, 5 (par. 2 b))

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (111e session)

concernant la

Communication no 2042/2011 *

Présentée par:

Surat Davud Oglu Huseynov (représentépar un conseil, Eldar Zeynalov)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Azerbaïdjan

Date de la communication:

5 juillet 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 juillet 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2042/2011 présentée Surat Davud Oglu Huseynov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Surat Davud Oglu Huseynov, né en 1959, de nationalité azerbaïdjanaise. Il affirme être victime d’une violation par la République d’Azerbaïdjan des droits qu’il tire des articles 7, 10, 14, 15 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, Eldar Zeynalov. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Azerbaïdjan le 27 février 2002.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 1992, l’auteur a été nommé par le Président nouvellement élu de l’Azerbaïdjan, Abulfaz Elchibey, représentant du Président au Haut-Karabakh, Vice-Premier Ministre et commandant du deuxième corps d’armée. En 1993, pendant le conflit du Haut-Karabakh, environ la moitié des soldats du régiment no 123 ont été tués, et l’auteur a par conséquent ordonné que le régiment se retire de la ligne de front. La décision de retirer le régiment no 123 a été considérée par certains membres du régime comme un acte de trahison. Plusieurs militaires ont été arrêtés et l’auteur a été démis de ses fonctions en février 1993. En juin 1993, le Gouvernement dirigé par Abulfaz Elchibey est tombé et ce dernier a fui le pays. Le 30 juin 1993, le nouveau Président par intérim, Heydar Aliyev, a nommé l’auteur Premier Ministre de l’Azerbaïdjan.

2.2En septembre et octobre 1994, les commandants du détachement de la police spéciale du Ministère de l’intérieur sont entrés en conflit avec le Procureur général, qui était parmi les partisans les plus proches de l’auteur. Des rumeurs circulaient selon lesquelles la police spéciale avait l’intention d’attaquer les partisans de l’auteur à Ganja et des points de contrôle avaient été placés sur les routes menant à Ganja en prévision de l’attaque. Le 4 octobre 1994, le Président a accusé l’auteur et ses partisans d’avoir organisé un coup d’État à Ganja − accusation réfutée par l’auteur dans un discours prononcé devant le Parlement le 6 octobre 1994. Pourtant, au cours des semaines suivantes, plus de 200 partisans de l’auteur ont été arrêtés et inculpés de haute trahison. Un grand nombre d’entre eux auraient été torturés et certains seraient morts en détention. L’auteur a fui en Fédération de Russie et a ensuite été démis de ses fonctions officielles en Azerbaïdjan. Les autorités de l’État partie ont ouvert une enquête pénale contre l’auteur pour de nombreux chefs d’inculpation, allant de la haute trahison aux infractions économiques et aux infractions liées aux stupéfiants.

2.3Le 21 mars 1997, l’auteur a été arrêté dans la Fédération de Russie suite à une demande d’extradition présentée par l’Azerbaïdjan sur la base de son accord bilatéral avec la Fédération de Russie. Le 27 mars 1997, l’auteur a été extradé vers l’Azerbaïdjan moyennant un engagement pris par les autorités de cet État de ne le juger que pour infractions de droit commun. Le 12 mai 1997, les autorités azerbaïdjanaises ont demandé le consentement de la Fédération de Russie à l’inculpation de l’accusé pour d’autres chefs, parmi lesquels des crimes passibles de la peine de mort, comme la haute trahison, la tentative d’utiliser les forces armées contre la nation et la création de forces armées illégales. Le Procureur général de la Fédération de Russie a donné son accord à une modification de l’acte d’accusation à la condition que l’Azerbaïdjan n’applique pas la peine de mort à l’auteur.

2.4L’auteur affirme avoir été torturé pendant sa détention provisoire au Département de la police de la ville de Bakou. Ses avocats confirment cette allégation et déclarent avoir constaté des cicatrices visibles sur la tête de l’auteur. Celui-ci a ensuite été jugé par un collège de juges de la Cour suprême. Il avance que, au cours du procès, la Cour n’a pas tenu compte de ses allégations de torture ni du fait que de nombreux témoins avaient retiré leurs témoignages contre lui en expliquant qu’ils avaient été obtenus sous la torture. L’auteur a été déclaré coupable le 10 février 1999 et condamné à la prison à perpétuité. La condamnation n’était pas susceptible d’appel. Ses biens et ceux de sa famille, dont des biens immobiliers acquis en 1941 et 1987, ont été confisqués.

2.5Le 10 février 1998, le Parlement azerbaïdjanais a adopté une loi portant modification du Code pénal et d’autres lois. La nouvelle loi a aboli la peine de mort et introduit à la place une nouvelle peine, la prison à perpétuité. L’auteur fait valoir que, au moment où il aurait commis les crimes pour lesquels il a été condamné, la peine d’emprisonnement à perpétuité n’était pas prévue par la loi azerbaïdjanaise, et que le prononcé d’une telle peine violait par conséquent les droits qu’il tire du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Il affirme également, à cet égard, que, s’il avait été jugé avant le 10 février 1998, il aurait été condamné à quinze ans de prison, ce qui était la peine la plus sévère prévue par la loi au moment de la prétendue commission des crimes (exception faite de la peine de mort, que l’État partie s’était engagé à ne pas appliquer dans son cas).

2.6Après sa condamnation, l’auteur a passé sept ans seul dans une cellule de prison, les deux dernières années étant postérieures à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Azerbaïdjan. Pendant les deux premières années de sa peine, il était incarcéré dans une ancienne cellule de condamnés à mort de la prison de Bayil. Il a ensuite été transféré à la prison de Qobustan et placé seul dans une cellule pour deux hommes qui mesurait 2,55 mètres sur 3,85 mètres avec une hauteur sous plafond de 3,5 mètres. L’auteur affirme que son «isolement» constituait pour lui une forme de «torture morale». La cellule contenait des toilettes, clôturées seulement par un mur de 1 mètre de haut. Les murs, le plafond et le plancher de la cellule étaient entièrement en béton; il y faisait donc très chaud en été et froid en hiver. L’auteur indique en outre que le chauffage était insuffisant en hiver. La cellule disposait d’une fenêtre constituée d’un film en polyéthylène et non de verre. L’auteur affirme que la fenêtre était plus petite que la taille requise par la norme pénitentiaire nationale et qu’il était privé de ventilation et de lumière naturelles suffisantes. Il explique également que la nourriture de la prison était monotone, déséquilibrée, pauvre en viande et en vitamines et en dessous des normes établies à l’échelle nationale. L’auteur se réfère au rapport de 2000 du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, sur sa mission en Azerbaïdjan (E/CN.4/2001/66/Add.1, par. 55), dans lequel il relevait qu’aucune activité récréative ou éducative n’était disponible dans la prison de Qobustan. Il se réfère aussi à la recommandation adressée au Gouvernement par le Comité contre la torture en 2003 (CAT/C/CR/30/1, par. 7 l)) de revoir le traitement des détenus condamnés à perpétuité et à un certain nombre de rapports d’organisations non gouvernementales internationales et nationales décrivant les mauvaises conditions de détention dans cette prison. L’auteur ajoute qu’on lui a refusé des soins médicaux alors qu’il souffrait de problèmes cardiaques.

2.7L’auteur soutient que son procès et sa condamnation avaient une motivation politique. En 2001, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a nommé un groupe de trois experts indépendants pour examiner des cas de prisonniers politiques en Arménie et en Azerbaïdjan. Dans leur rapport, daté du 16 juillet 2001, l’auteur figurait parmi les personnes incarcérées considérées comme des prisonniers politiques. L’auteur se réfère également à des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant certains de ses partisans − par exemple l’affaire Abbasov v. Azerbaijan, dans laquelle la Cour a conclu qu’il existait une «situation systémique» d’emprisonnement politique en Azerbaïdjan.

2.8L’auteur a été libéré de prison suite à une grâce officielle prononcée en 2004.

2.9Le 1er septembre 2000, suite à une réforme des Codes pénal et de procédure pénale, une loi dite de transition est entrée en vigueur en Azerbaïdjan; elle abolissait les anciens codes et introduisait des règles de réexamen des décisions définitives rendues en application de ces anciens codes. En mai 2005 l’auteur a formé, en vertu de la loi de transition de 2000, un pourvoi en cassation contre la sentence initialement prononcée contre lui en 1999 par la Cour suprême. Le pourvoi a été rejeté le 9 août 2005. Le 5 mars 2007, l’auteur a formé un nouveau pourvoi en cassation, qui a été rejeté par le Président de la Cour suprême le 12 mars 2007 au motif qu’il n’avait pas respecté les délais prescrits. Le 21 août 2007, l’auteur a introduit un recours contre la décision de la Cour suprême devant la Cour constitutionnelle, mais ce recours a aussi été rejeté au motif qu’une copie de la dernière décision de la Cour suprême n’était pas jointe à la présentation du recours et que celui-ci était «mal fondé». Le 6 décembre 2007 et le 6 juin 2008, l’auteur a tenté de déposer de nouveaux recours devant la Cour constitutionnelle. Ceux-ci ont été considérés comme des plaintes répétées et rejetés. L’auteur a été informé du rejet de ses recours par des lettres provenant du «Département de la réception des citoyens et des plaintes». Ce n’est que le 24 décembre 2009 que la Cour constitutionnelle a pour la première fois officiellement rendu une décision d’irrecevabilité dans le dossier de l’auteur, en déclarant que le dernier recours épuisé était la décision de la Cour suprême du 9 août 2005 et que le délai légal imparti pour contester cette décision était dépassé. L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles en Azerbaïdjan.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime de violations par l’Azerbaïdjan des droits qu’il tient des articles 7, 10, 14, 15 et 26 du Pacte.

3.2L’auteur explique qu’il a été soumis à la torture et à des traitements inhumains et dégradants au cours de l’enquête préliminaire, et que bien que ces faits se soient produits avant l’entrée en vigueur du Pacte, les mauvais traitements ont eu des conséquences à long terme sur sa santé mentale et physique. Il rappelle qu’il a passé sept ans «à l’isolement» et estime que les faits ci-dessus constituent une violation des droits qui sont les siens en vertu de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

3.3L’auteur affirme que les procédures judiciaires de 1999 et 2005 étaient inéquitables et contraires au principe d’égalité des armes. Elles étaient donc contraires aux droits que lui garantissent les paragraphes 1 et 3 de l’article 14 du Pacte.

3.4L’auteur affirme en outre qu’il s’est vu infliger une peine plus lourde que celle applicable au moment où l’infraction alléguée a eu lieu, ce en violation des droits qu’il tire du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

3.5Enfin, l’auteur soutient qu’il a été victime de discrimination parce qu’il était un prisonnier politique et que ses droits en vertu de l’article 26 du Pacte ont été violés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 14 juin 2011, l’État partie a estimé que la communication était irrecevable au sens de l’article premier et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.2En ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, l’État partie estime que l’intéressé n’a pas épuisé les recours internes disponibles et utiles. Il assure que l’auteur avait la possibilité de porter devant les juridictions nationales les questions relatives à ses conditions de détention. Conformément à l’article 449 du Code de procédure pénale, l’accusé ou son avocat peut déposer auprès d’un tribunal une plainte contre des actes de procédure ou des décisions des autorités de poursuite (y compris les autorités des lieux de détention) ayant trait à la violation des droits du détenu, à des actes de torture ou d’autres types de mauvais traitements. L’auteur ne l’a pas fait alors que les juridictions nationales lui étaient concrètement et directement accessibles et qu’aucun obstacle ne l’empêchait d’avoir accès aux tribunaux. L’État partie explique en outre que l’auteur avait également le droit de porter plainte en vertu de l’article 1100 du Code civil, des articles 5, 16 et 430 du Code des infractions administratives, des articles 10 et 14 du Code de l’exécution des sanctions pénales ainsi que d’autres normes juridiques internes. Il souligne qu’une action civile visant les conditions de détention et le manque de soins médicaux adéquats est un recours utile et cite le cas de N. Mammadov c. Établissement pénitentiaire n o  15 du Ministère de la justice de la République d’Azerbaïdjan, qui a été examiné par le tribunal de district de Nizami. L’État partie déclare en outre que l’auteur aurait pu former des recours administratifs, à savoir porter plainte devant le Ministère de la justice. Il invoque un dossier dans lequel, le 14 décembre 2007, le Ministre adjoint de la justice a imposé une sanction disciplinaire au directeur adjoint d’un centre de détention qui avait traité un détenu de manière dégradante. Cette sanction avait été infligée à la suite d’une enquête interne, dont l’initiative ne venait pas du détenu. L’État partie se réfère de plus à une décision du Ministre adjoint de la justice d’annuler la décision du directeur d’un centre pénitentiaire de placer un détenu dans une cellule disciplinaire après que celui-ci avait formulé une plainte.

4.3En ce qui concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 14, l’État partie note que le Protocole facultatif est entré en vigueur le 27 février 2002 et que, par conséquent, il considère que les plaintes liées à des événements qui se sont produits avant cette date, à savoir les griefs concernant le procès de 1999, ne relèvent pas de la compétence ratione temporis du Comité. Au sujet de la procédure devant la Cour suprême qui a rejeté le pourvoi en cassation de l’auteur, le 9 août 2005, l’État partie déclare que celui-ci n’est pas parvenu à étayer ses griefs. Il explique qu’il ressort de la décision de la Cour suprême que l’auteur a bénéficié d’une procédure contradictoire et a pu présenter à la Cour les arguments qu’il estimait pertinents en l’espèce. Dans la mesure où la plainte de l’auteur concerne les résultats de la procédure devant la Cour suprême, l’État partie fait valoir qu’il n’appartient pas au Comité de traiter des erreurs de fait ou de droit qu’une juridiction nationale aurait commises, à moins qu’elles ne portent atteinte aux droits et libertés protégés par le Pacte. L’État partie soutient que cette partie de la communication n’est donc pas compatible avec les dispositions du Pacte et devrait être rejetée en application de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.4En ce qui concerne les griefs invoqués par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, l’État partie fait valoir ce qui suit: «La commutation de la peine de mort par le dispositif de la loi adoptée par le Parlement a eu lieu le 10 février 1998. C’était une loi à effet instantané dans la mesure où elle a eu pour effet de modifier immédiatement le statut des détenus concernés, parmi lesquels figurait l’auteur.». L’État partie soutient que cette commutation ne relève donc pas de la compétence ratione temporis du Comité. En outre, la loi du 10 février 1998, qui a modifié les dispositions de l’ancien Code pénal, n’avait pas pour objet d’infliger une nouvelle peine pour infraction pénale, mais «était pour l’essentiel une commutation générale de la peine de mort en emprisonnement à vie». Conformément au droit interne de l’Azerbaïdjan, toute nouvelle disposition légale améliorant la situation des personnes dont la responsabilité pénale est engagée est appliquée rétroactivement. L’État partie fait également valoir que, par rapport à la peine de mort, l’emprisonnement à perpétuité est une peine plus légère, qui garantit le droit à la vie de la personne tel que protégé par le Pacte et tous les autres principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. L’État partie considère que la plainte de l’auteur est manifestement mal fondée puisqu’aucune peine plus sévère que celle qui était applicable au moment où les infractions pénales ont été commises ne lui a été infligée.

4.5De surcroît, l’État partie note que la question de l’applicabilité de la peine d’emprisonnement à perpétuité au cas de l’auteur a été expressément tranchée par la juridiction interne au cours de la procédure qui a pris fin le 10 février 1999, et que, par conséquent, cette partie de la communication ne relève pas de la compétence ratione temporis du Comité. L’État partie note, en outre, que l’auteur a été libéré le 17 mars 2004, après avoir passé sept ans seulement en prison, soit moins que la peine de quinze ans dont il reconnaît qu’il était passible au moment de sa condamnation. L’État partie soutient que ce grief devrait être rejeté sur la base de l’article 3 du Protocole facultatif pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte. Il se réfère également à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire similaire, Hummatov v. Azerbaijan.

4.6En ce qui concerne les griefs formulés par l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte, l’État partie fait valoir que les plaintes liées à des événements qui ont eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif ne relèvent pas de la compétence ratione temporis du Comité. Pour ce qui est de la procédure devant la Cour suprême qui a rejeté, le 9 août 2005, le pourvoi en cassation formé par l’auteur, l’État partie note que celui-ci n’a pas étayé ses griefs, puisque rien dans la décision de la Cour suprême ne laissait penser qu’il a été victime de discrimination pour quelque motif que ce soit. En outre, l’auteur avait à sa disposition un large éventail de voies de recours juridiques pour faire valoir ses griefs au sujet de la discrimination dont il dit avoir souffert pendant sa détention (voir par. 4.2 ci‑dessus), mais il ne les a pas épuisées.

4.7L’État partie conclut que la communication est incompatible avec les dispositions du Pacte et devrait être rejetée en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 24 septembre 2011, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas épuisé les voies de recours internes au sujet des griefs qu’il formule au titre des articles 7 et 10 du Pacte, l’auteur fait valoir que l’article 449 du Code de procédure pénale, entré en vigueur le 1er septembre 2000, n’existait pas au moment de l’enquête préliminaire le concernant et de sa condamnation initiale. L’auteur affirme aussi que certaines demandes de ses avocats ont été rejetées par la Cour suprême, qui a agi en premier et dernier ressort dans son cas, et qu’il n’avait pas le droit de faire appel. Il indique que son avocat avait «mentionné les nombreuses allégations de torture contre des témoins», mais qu’aucune enquête effective n’a été réalisée sur ces griefs. Il soutient qu’il avait utilisé tous les recours disponibles à l’époque. Il fait de plus valoir qu’avant et après son arrestation certains de ses proches, parmi lesquels son frère, avaient été arrêtés et «étaient de fait pris en otages afin de neutraliser la campagne» pour sa libération. Il ajoute que l’un de ses proches continue de purger une peine de vingt-cinq ans d’emprisonnement et que sa mère âgée avait fait l’objet d’intimidations de manière répétée. L’auteur avance aussi que, de février 1998 à janvier 2001, il a été maintenu «à l’isolement» dans la prison de Bayil. Ensuite, il a été transféré à la prison de Qobustan où il était également seul dans sa cellule. En raison du taux extrêmement élevé de mortalité chez les détenus et des «abus de fonctions par le personnel pénitentiaire», l’auteur craignait d’être assassiné s’il formait des recours pendant qu’il était en prison. Il n’a donc entamé les démarches visant à obtenir un réexamen de son dossier qu’après avoir été gracié, le 17 mars 2004.

5.2L’auteur affirme qu’en mai 2005, lorsqu’il a essayé d’exercer son droit de faire réexaminer sa peine, il n’a pas été autorisé à interjeter appel auprès de la cour d’appel, mais a seulement été autorisé à se pourvoir en cassation devant la Cour suprême, et que par conséquent il a été privé de «la possibilité de faire vérifier les faits». L’auteur invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, où, dans une affaire similaire, la Cour a conclu que le requérant avait subi une restriction de son droit d’accès à un tribunal et, partant, de son droit à un procès équitable.

5.3En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel les recours civils peuvent être efficaces pour les plaintes concernant les conditions de détention, l’auteur fait valoir que, dans le cas de M. Mammadov, cité par l’État partie (voir par. 4.2 ci-dessus), l’administration pénitentiaire avait refusé d’appliquer la décision de la juridiction interne relative à un changement d’établissement pénitentiaire et M. Mammadov était décédé cinq mois plus tard. Par la suite, toutes les instances judiciaires internes avaient rejeté les plaintes de la famille concernant le fait que l’État partie n’avait pas exécuté en temps utile la décision judiciaire en question; le responsable jouit toujours de l’impunité. L’auteur considère également que l’autre cas évoqué par l’État partie n’est pas pertinent parce qu’il concerne un individu en détention provisoire. Il note cependant que, dans ce cas, le détenu lui-même n’avait pas porté plainte, très probablement parce qu’il «avait peur». L’auteur affirme en outre que tous les exemples donnés par l’État partie datent de la période allant de 2007 à 2009 et que dix ans plus tôt, les demandes similaires formées par ses avocats étaient tout simplement restées sans réponse.

5.4L’auteur soutient que l’État partie n’a pas répondu aux allégations publiques de torture le concernant et se réfère au rapport adressé par des experts indépendants au Secrétaire général du Conseil de l’Europe relatif aux cas de prisonniers politiques présumés en Arménie et en Azerbaïdjan, où il est déclaré que l’auteur devrait être considéré comme un prisonnier politique et que les cicatrices des blessures infligées par la torture étaient visibles sur sa tête lors de la visite des experts.

5.5L’auteur précise en outre que, bien que la torture soit qualifiée de crime dans la législation nationale depuis le 1er septembre 2000, pas un seul cas n’a encore fait l’objet de poursuites. L’Institut du Médiateur et le mécanisme national de prévention n’ont pas non plus constaté de cas de torture depuis leur création. L’auteur ajoute que les personnes reconnues coupables d’un crime et victimes de torture n’ont droit à une réparation ni en vertu de l’article 4 de la loi de la République d’Azerbaïdjan «relative à l’indemnisation des dommages causés aux particuliers par les actions illégales des organes d’investigation et d’enquête préliminaire, du parquet et des tribunaux», ni en vertu de l’article 56 du Code de procédure pénale.

5.6En ce qui concerne ses griefs au titre de l’article 14 du Pacte, l’auteur explique de surcroît que l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Abbasov v. Azerbaijan est un précédent pertinent et note que celle-ci y déclare: «il a été jugé que la question de l’équité du procès devant le tribunal de première instance ne relevait pas de la compétence ratione temporis de la Cour. Toutefois, même si elle ne peut pas statuer sur ce point, la Cour n’ignore pas le fait que le requérant figure sur la liste des “prisonniers politiques présumés” soumise aux experts du Secrétaire général lors de l’adhésion de l’Azerbaïdjan au Conseil de l’Europe, qui indique qu’il existait certains doutes sur le caractère équitable de la déclaration de culpabilité prononcée contre lui en 1996». Dans ces circonstances, la Cour a estimé qu’«un nouveau procès ou la réouverture du dossier, s’ils étaient demandés, représentaient en principe un moyen adéquat de réparer la violation en l’espèce».

5.7L’auteur réaffirme qu’il a été condamné le 10 février 1999 sur la base de la loi du 10 février 1998, «au titre de la disposition sur la nouvelle peine». Il rappelle qu’il a été extradé de la Fédération de Russie à la condition que la peine de mort ne lui soit pas appliquée, qu’à une date indéterminée en 1997, l’État partie «s’était de fait entendu avec la Russie sur une peine maximale de quinze ans de prison» et que si la peine de mort n’avait pas été abolie en 1998, il n’aurait pas été condamné à plus de quinze ans de prison. L’auteur affirme de plus que la date à laquelle la procédure judiciaire le concernant a pris fin n’est pas le 10 février 1999 mais le 9 août 2005, date à laquelle la Cour suprême a rejeté son pourvoi en cassation.

5.8En ce qui concerne ses allégations au titre de l’article 26 du Pacte, l’auteur fait valoir que les experts du Conseil de l’Europe l’ont considéré comme un «prisonnier politique», et qu’ils ont ainsi confirmé qu’il était victime de discrimination fondée sur l’opinion politique.

5.9L’auteur estime en outre que l’argument de l’État partie concernant la compétence ratione temporis signifie que celui-ci considère les fausses accusations et un procès inéquitable comme des événements qui ne peuvent pas être à l’origine de violations continues, en dépit du fait que l’auteur a passé sept ans à l’«isolement», dont deux après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie.

5.10L’auteur explique que la Cour suprême a pour fonction, en tant qu’instance d’appel, de contrôler les violations de procédure, y compris en examinant les «arguments avancés par les avocats dont la même Cour n’avait pas tenu compte en février 1999». Au cours du procès, les avocats avaient signalé que des témoins avaient rétracté leurs témoignages en expliquant que ceux-ci avaient été obtenus sous la torture, avaient exigé un examen médico-légal supplémentaire et avaient énuméré des «falsifications». Néanmoins, la Cour suprême avait confirmé le jugement de première instance.

5.11L’auteur soutient que l’État partie n’est pas parvenu à protéger les droits que lui garantissent les articles 7, 10, 14, 15 et 26 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité relève que l’auteur affirme avoir été placé à «l’isolement», que les conditions de sa détention étaient contraires aux droits qu’il tire de l’article 10 du Pacte, et qu’il a été victime de discrimination en tant que prisonnier politique, en violation des droits que lui garantit l’article 26 du Pacte. Toutefois, le Comité observe que ces allégations n’ont jamais été portées à l’attention des autorités avant que l’auteur ne lui adresse sa plainte. Le Comité relève les explications de l’auteur selon lesquelles il avait peur d’être victime de représailles s’il formulait des plaintes alors qu’il purgeait sa peine de prison, mais constate que l’auteur a été libéré de prison en 2004 et ne semble pas avoir porté plainte sur les questions ci-dessus après sa libération. Dès lors, le Comité considère que ces griefs sont irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note du grief de l’auteur faisant état d’une violation des droits qu’il tire de l’article 14 au cours de la procédure d’appel qu’il a engagée en 2005, mais constate que l’intéressé n’a pas fourni d’informations à l’appui de son affirmation selon laquelle la procédure était inéquitable et contraire au principe de l’égalité des armes. En conséquence, leComité considère que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend également note des allégations suivantes de l’auteur: il a été torturé au cours de l’enquête préliminaire, les droits que lui garantit l’article 14 du Pacte ont été violés au cours de son procès en 1999 et il a été condamné à une peine plus lourde que celle applicable au moment où les infractions qu’il aurait commises auraient eu lieu, en violation des droits que lui reconnaît le paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Le Comité note que l’État partie n’a pas cherché à contredire l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a été torturé; il considère que cette partie de la communication constitue un fait étayé aux fins de la recevabilité (voir également par. 7.2 ci‑dessous). Cela étant, le Comité relève l’argument de l’État partie selon lequel toute plainte relative à des actes et omissions qui ont eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à son égard échappe à sa compétence ratione temporis. Le Comité observe que le procès et la condamnation de l’auteur ont eu lieu en 1999 et que les tortures dont il aurait été victime ont eu lieu avant alors qu’il était en détention avant jugement. Il estime dès lors que, dans ces circonstances, il n’a pas compétence ratione temporis pour examiner les griefs en question dans la mesure où ils se rapportent à des actes ou omissions de l’État partie antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, impliquant l’obligation pour l’État partie de protéger les droits de l’auteur en vertu des articles 7, 14 et 15 du Pacte. Le Comité note également que l’auteur ne conteste pas la déclaration de l’État partie selon laquelle une éventuelle erreur dans sa condamnation à une peine de prison à perpétuité avait été effacée par la libération anticipée de l’auteur, et constate que l’auteur n’est pas parvenu à démontrer une violation des dispositions du Pacte à cet égard.

6.6Toutefois, le Comité relève l’affirmation de l’auteur selon laquelle les mauvais traitements qu’il a subis pendant sa détention avant jugement ont eu des conséquences à long terme, qui ont abouti à une violation continue des droits qu’il tire de l’article 7. Il note aussi les observations de l’État partie qui affirme que tous les griefs de l’auteur tirés de l’article 7 sont irrecevables et incompatibles avec les dispositions du Pacte. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que des violations présumées du Pacte qui se sont produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour un État partie peuvent être examinées par le Comité seulement si «ces violations se poursuivent après cette date ou continuent de produire des effets qui en eux-mêmes constituent une violation du Pacte». Le Comité peut aussi considérer qu’une violation présumée est persistante par nature lorsqu’il y a «perpétuation, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie». Néanmoins, le Comité ne considère pas des actes de torture isolés comme constituant une violation continue du Pacte, même si les actes en question ont donné lieu à un long emprisonnement sur une période se prolongeant au‑delà de la date d’entrée en vigueur du Pacte ou du Protocole facultatif. De plus, le Comité ne peut pas considérer les décisions de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle de l’État partie de ne pas annuler l’arrêt de la Cour suprême de 1999 pour griefs non étayés et des raisons de prescription comme une confirmation de la teneur de l’arrêt précédent. [Et cela d’autant plus que l’auteur n’a pas apporté la preuve qu’il a formulé les allégations de torture au cours de la procédure de 2005 ou à tout autre moment après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie.] En conséquence, le Comité considère que les allégations de l’auteur ne font pas apparaître une violation continue du Pacte et sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.