Nations Unies

CCPR/C/119/D/2359/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

12 mai 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2359/2014 * , **

Communication présentée par :

Alimzhon Saidarov, Avaz Davudov, Erkin Vasilov et Khikmatillo Erbabaev (représentés par un conseil, ValeryanVakhitov)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Kirghizistan

Date de la communication :

5 décembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 20 mars 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

17 mars 2017

Objet :

Détention arbitraire ; torture

Question(s) de procédure :

Griefs non étayés

Question(s) de fond :

Torture − enquête rapide et impartiale ; arrestation ou détention arbitraire ; discrimination fondée sur l’origine nationale, ethnique ou sociale ; procès équitable − représentation en justice

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 7, 9 (par. 1 et 2), 14 (par. 3 d)) et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

2

1.Les auteurs de la communication sont Alimzhon Saidarov, Avaz Davudov, Erkin Vasilov et Khikmatillo Erbabaev, de nationalité kirghize, nés en 1969, 1969, 1974 et 1991, respectivement. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, comme suit : l’article 7 lu conjointement avec les articles 2 (par. 3), 9 (par. 1 et 2), 10 (par. 2 a)), 14 (par. 3 d)) et 26 en ce qui concerne M. Saidarov ; les articles 9 (par. 1), 14 (par. 3 d)) et 26 en ce qui concerne M. Davudov ; les articles 9 (par. 1), 14 (par. 3 d)) et 26 en ce qui concerne M. Vasilov ; les articles 9 (par. 1 et 2), 14 (par. 3 d)) et 26 du Pacte en ce qui concerne M. Erbabaev. Bien que les auteurs, à l’exception de M. Saidarov, ne se soient pas plaints de violation de l’article 7 du Pacte, les faits présentés par M. Davudov, M. Vasilov et M. Erbabaev soulèvent des questions au regard de cette disposition. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 1995. Les auteurs sont représentés par un conseil, Valeryan Vakhitov.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs affirment que, les 9 et 10 juin 2010, des violences ethniques ont éclaté entre la population kirghize et la minorité ouzbèke dans la ville d’Och, au sud du Kirghizistan.

2.2Les auteurs affirment en outre que, le 12 juin 2010, M. Saidarov, M. Davudov, M. Vasilov et d’autres personnes dont l’identité n’est pas précisée s’étaient réfugiés au domicile de M. Saidarov, dans la ville d’Och, pour fuir les violences urbaines. À un certain moment, les auteurs sont sortis pour aider à éteindre un incendie qui s’était déclaré dans une maison voisine. Par la suite, les voisins ont arrêté deux mineurs d’origine kirghize identifiés plus tard comme étant I. D. et A. D., qu’ils soupçonnaient d’avoir allumé l’incendie, et les ont emmenés chez M. Saidarov. Celui-ci a immédiatement téléphoné à la police pour l’informer que les incendiaires présumés avaient été arrêtés. Le 13 juin 2010 au matin, des agents du Service de la sécurité nationale sont venus chercher les jeunes suspects au domicile de M. Saidarov ; ils n’ont pas fait de rapport officiel sur les faits.

2.3Le 20 juin 2010, M. Erbabaev, qui s’était réfugié avec sa famille dans le village de Sura-Tash pour échapper aux émeutes, a regagné la ville d’Och. Vers 17 h 30, il est allé rejoindre M. Vasilov. Ils ont été arrêtés tous les deux et emmenés dans les bureaux du Service de la sécurité nationale à Och. On les a obligés à rester debout face à un mur pendant une demi-journée et on les a frappés dans le dos, au niveau des reins et à la tête pour les contraindre à avouer un crime. Plus tard, des agents ont torturé M. Erbabaev pour lui faire avouer des crimes qu’il n’avait pas commis.

2.4M. Erbabaev a été arrêté le 20 juin 2010 à 17 h 30 et a d’abord été interrogé en tant que témoin. Ce n’est que le matin du 22 juin 2010 que son placement en détention en tant que suspect a été enregistré par un enquêteur du Service de la sécurité nationale, sans qu’un avocat soit présent pour l’assister. Le 23 juin 2010, le tribunal municipal d’Och a décidé de maintenir M. Erbabaev en détention jusqu’à son procès. Le 13 août 2010, l’enquêteur chargé de l’affaire a abandonné toutes les charges portées contre M. Erbabaev à l’exception de la non-dénonciation d’infraction, visée à l’article 339 1) du Code pénal.

2.5M. Erbabaev fait valoir que la législation kirghize n’impose pas le placement en détention provisoire des personnes inculpées de cette infraction. Bien qu’il eût une adresse permanente, l’auteur n’a pas été remis en liberté avant son procès et il est resté en détention jusqu’au 26 août 2010. Le 21 janvier 2011, le tribunal municipal d’Och l’a condamné à une peine d’un an d’emprisonnement, devant être exécutée dans une colonie pénitentiaire. Saisie d’une demande de réexamen déposée par le bureau du Procureur, la cour régionale d’Och a rendu le 26 mai 2011 une décision annulant le jugement et ordonnant au tribunal municipal d’Och de tenir une nouvelle audience. Le 16 septembre 2011, la Cour suprême du Kirghizistan a examiné cette décision dans le cadre de la procédure de contrôle et a entièrement confirmé la condamnation et la peine prononcées en première instance par le tribunal municipal d’Och.

2.6M. Davudov affirme qu’il a d’abord été arrêté et interrogé en qualité de témoin le 22 juin 2010. Son placement en détention en tant que suspect a été enregistré officiellement cinq heures environ après son arrestation. Le 24 juin 2010, le tribunal a ordonné que l’auteur soit placé en détention provisoire. Celui-ci a été incarcéré au centre de détention du Service de la sécurité nationale d’Och jusqu’au 26 août 2010, date à laquelle il a été transféré au centre de détention provisoire (SIZO) no 25, où il est resté jusqu’au 1er février 2011 dans l’attente de son procès. Le 21 janvier 2011, il a été condamné à cinq ans d’emprisonnement pour enlèvement et possession illégale d’arme. Comme pour M. Erbabaev, la condamnation et la peine prononcées ont d’abord été annulées par la cour régionale d’Och, mais confirmées par la suite par la Cour suprême.

2.7M. Saidarov a lui aussi été arrêté le 22 juin 2010 par les agents du Service de la sécurité nationale. Bien qu’il n’eût pas opposé de résistance lors de son arrestation, il a subi des brutalités. Il a aussi été forcé de rester debout face à un mur pendant que des agents non identifiés le frappaient à tour de rôle dans le dos, à la tête et sur d’autres parties du corps. Il a eu plusieurs côtes cassées, ce que confirme un certificat médical daté du 6 octobre 2012. Pendant deux semaines il n’a pas pu manger et ne pouvait que boire de l’eau. Il n’osait pas se plaindre de la torture et des mauvais traitements subis par crainte de représailles. Alors qu’il avait d’abord été arrêté et interrogé en qualité de témoin, il a ensuite été placé en détention en tant que suspect, deux heures environ après son arrestation.

2.8Le 23 juin 2010, le tribunal a décidé de placerM. Saidarov en détention provisoire. L’auteur a été inculpé d’enlèvement, de détention illégale et de participation à des émeutes. Il a été incarcéré au centre de détention du Service de la sécurité nationale d’Och jusqu’au 26 août 2010, puis a été transféré au SIZO no 25, où il est resté jusqu’au 1er février 2011. Le 21 janvier 2011, le tribunal municipal d’Och l’a condamné à cinq ans d’emprisonnement.

2.9M. Vasilov a été arrêté le 20 juin 2010. Il a été conduit au premier étage du bâtiment du Service de la sécurité nationale à Och et a été forcé de rester debout face à un mur pendant que plusieurs agents non identifiés le frappaient. Il a ensuite été emmené dans un bureau situé dans le bâtiment, où six agents non identifiés l’ont interrogé au sujet d’allégations de meurtre et de possession d’armes. Ensuite, il a été déshabillé et de nouveau roué de coups. Des agents non identifiés lui ont couvert la tête d’un sac en plastique ; il ne pouvait plus respirer et il a perdu connaissance.

2.10M. Vasilov affirme en outre qu’il a été interrogé officiellement en tant que témoin le 21 juin 2010. Le 23 juin 2010, il est passé du statut de témoin à celui de suspect et sa mise en détention a été approuvée par un tribunal. Il affirme qu’il n’a pas pu communiquer avec un avocat pendant toute la durée des interrogatoires. M. Vasilov ainsi que ses codéfendeurs, à savoir les coauteurs de la présente communication, ont demandé au tribunal l’autorisation de citer à comparaître leurs propres témoins, qui pouvaient faire des déclarations importantes pour leur défense, mais le tribunal a refusé. À l’issue du procès, M. Vasilov a été condamné à trois ans d’emprisonnement.

Teneur de la plainte

3.1M. Saidarov fait valoir que les coups et les actes de torture qui lui ont été infligés au poste de police constituent une violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 2 de l’article 10. Dans leur communication, MM. Davudov, Vasilov et Erbabaev font aussi état de coups et de mauvais traitements, sans alléguer expressément des violations d’articles spécifiques du Pacte. M. Saidarov précise que, par crainte de représailles, il ne s’est jamais plaint aux autorités de l’État partie d’avoir été torturé ou maltraité.

3.2Les auteurs affirment que, lorsqu’il a rendu sa décision concernant les mesures de détention provisoire le 23 juin 2010, le tribunal municipal d’Och n’a pas apprécié la nécessité et la légalité de leur détention, en violation de l’article 9 du Pacte. Ils ajoutent que les constatations du Comité dans l’affaire Kulov c. Kirghizistan, dans lesquelles le Comité a conclu à une violation du paragraphe 1 de l’article 9 parce que « les enquêteurs n’avaient absolument aucune preuve » que l’auteur « risquait de s’enfuir ou d’entraver l’enquête » et a réaffirmé que « le placement en détention à la suite d’une arrestation légale doit être non seulement conforme à la loi mais aussi raisonnable dans toutes les circonstances », s’appliquent à leur cas. Se référant aux constatations du Comité dans l’affaire Mukong c. Cameroun, qui confirment que la notion d’« arbitraire » doit être interprétée d’une manière plus large pour tenir compte des éléments revêtant un caractère inapproprié, injuste, imprévisible ou contraire à la loi, les auteurs font valoir que leur détention a été arbitraire, en violation de l’article 9 du Pacte.

3.3Les auteurs font valoir les violations suivantes des droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte : ils ont été déférés devant un juge plus de quarante-huit heures après leur arrestation, ils n’ont pas pu voir un avocat dès le moment de leur arrestation, ils ont été interrogés sans qu’un avocat soit présent et que les charges retenues contre eux ne sont pas mentionnées dans le procès-verbal d’arrestation. M. Saidarov et M. Erbabaev dénoncent en outre des violations du paragraphe 2 de l’article 9.

3.4Les quatre auteurs font valoir une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte parce qu’ils n’ont pas eu accès à un avocat de leur choix.

3.5D’après les auteurs, étant donné qu’ils sont d’origine ouzbèke, le fait que les procédures pénales étaient liées au conflit entre les communautés kirghize et ouzbèke et que la partie lésée était d’origine kirghize, de même que tous les représentants des autorités qui avaient participé aux procédures pénales engagées contre les auteurs, équivaut à une discrimination, interdite par l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations en date du 29 octobre 2014, l’État partie explique que, lors des événements de juin 2010, pendant lesquels des violences interethniques ont éclaté à Och et aux alentours de la ville, de nombreux biens publics ou privés ont été brûlés et détruits. Les auteurs de la communication ont pris activement part à ces troubles, concrètement en retenant en toute illégalité deux citoyens kirghizes au domicile de M. Saidarov à Och et en usant de violence à leur égard.

4.2Le 21 janvier 2011, M. Saidarov et M. Vasilov ont été condamnés à trois ans d’emprisonnement, M. Erbabaev à un an d’emprisonnement, et M. Davudov à cinq ans d’emprisonnement. Le 3 mars 2011, le bureau du Procureur de la ville d’Och a présenté une demande de réexamen à la cour régionale d’Och. Le 26 mai 2011, la cour régionale d’Och a fait droit à la demande et a renvoyé l’affaire devant le tribunal municipal d’Och pour un nouveau procès.

4.3Le conseil des défendeurs a contesté la décision de la cour régionale d’Och et s’est pourvu devant la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle en faisant valoir que les personnes qui s’étaient déclarées victimes des actes des défendeurs s’étaient réconciliées avec ces derniers et ne demandaient pas de dommages et intérêts. Le conseil a demandé à la Cour suprême de ne pas modifier la décision rendue en première instance.

4.4La Cour suprême a conclu que le tribunal de première instance avait pris en considération tous les éléments pertinents et a confirmé la décision initiale. En demandant à la Cour suprême de confirmer la condamnation et la peine prononcées par la juridiction inférieure, les défendeurs ont reconnu leur culpabilité. Les arguments présentés au Comité par les auteurs de la communication sont contradictoires avec la teneur et l’essence de leur pourvoi auprès de la Cour suprême.

4.5L’État partie affirme en outre que tous les auteurs ont eu la possibilité de porter plainte auprès des autorités nationales pour dénoncer les actes de torture et les mauvais traitements, mais qu’ils ne l’ont pas fait.

4.6L’État partie fait également valoir que, en application de l’article 59 du Code de procédure pénale, les tribunaux peuvent examiner la question d’une éventuelle indemnisation en cas de poursuites pénales contraires à la loi, de détention arbitraire ou de persécution. Cela s’applique quand les poursuites pénales sont abandonnées ou que le défendeur bénéficie d’un non-lieu. Étant donné que les auteurs n’ont pas porté plainte et qu’ils ont été reconnus coupables par les tribunaux, aucune mesure d’indemnisation ne peut être envisagée.

Commentaires supplémentaires des auteurs

5.1Dans une note du 23 janvier 2015 par laquelle ils ont répondu aux observations de l’État partie, les auteurs ont relevé que celui-ci n’avait pas traité les questions qu’ils avaient soulevées dans leur communication.

5.2Les persécutions subies par les auteurs doivent être replacées dans le contexte des événements de juin 2010. De nombreuses maisons et d’autres biens appartenant à des personnes d’origine ouzbèke ont été incendiés. Les deux jeunes gens retenus au domicile de M. Saidarov étaient soupçonnés de faire partie des incendiaires. Les auteurs ont immédiatement appelé les autorités, mais les agents des forces de l’ordre ne sont venus chercher les suspects que le lendemain, 13 juin 2010.

5.3Lors des audiences, les auteurs ont demandé au tribunal de citer à comparaître. Z. K., l’un des agents qui étaient venus au domicile de M. Saidarov. Le tribunal a refusé au motif que cet agent se trouvait à ce moment-là à Bichkek.

5.4L’État partie prétend que les auteurs n’ont jamais déposé de plaintes pour actes de torture ou mauvais traitements. Or les auteurs affirment que leurs proches se sont plaints auprès des autorités des actes de torture que des membres des forces de l’ordre avaient infligés aux auteurs. En réponse à ces plaintes, les autorités ont simplement indiqué qu’elles n’avaient constaté aucune violation. Le 16 décembre 2010, M. Erbabaev s’est plaint à l’audience d’avoir été torturé par des agents du Service de la sécurité nationale pendant sa détention. M. Davudov s’est plaint d’avoir été battu par des agents. Le tribunal et le bureau du Procureur ont choisi d’ignorer ces griefs.

5.5En outre, le 11 août 2011, un groupe de défenseurs des droits de l’hommes’est entretenu avec le Procureur général du Kirghizistan.Pendant cette réunion, ils ont dénoncé la détention illégale dont les auteurs avaient été l’objet et de la force excessive qui avait été utilisée lors de leur arrestation. L’État partie n’a jamais ouvert d’enquête à ce sujet.

5.6Les auteurs affirment en outre que l’audience pendant laquelle l’autorité judiciaire devait décider de leur placement en détention provisoire s’est tenue dans les locaux du Service de la sécurité nationale. Au cours de cette prétendue « audience », le procureur qui a demandé au juge de placer les auteurs en détention jusqu’à leur procès a frappé M. Saidarov à l’estomac et dans le dos. Dans cette atmosphère de peur, les auteurs ont compris qu’il était vain et dangereux pour eux de se plaindre d’actes de torture auprès de personnes qui en commettaient elles-mêmes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité considère que l’État partie ne conteste pas directement la recevabilité de la communication, et note qu’il fait valoir que les auteurs ne se sont pas plaints d’actes de torture et de mauvais traitements auprès des juridictions ou des autorités nationales. Le Comité constate que les auteurs ont fourni des copies des plaintes concernant des actes de torture et des mauvais traitements adressées par leurs proches aux autorités nationales, et relève que l’État partie n’a pas procédé rapidement à une enquête impartiale à ce sujet. De plus, l’un des auteurs, M. Erbabaev, s’est plaint à l’audience que des agents du Service de la sécurité nationale l’avaient torturé. En conséquence, en l’absence d’arguments clairs et cohérents de l’État partie concernant la recevabilité de la communication, le Comité conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner celle-ci.

6.4Le Comité note que les auteurs se plaignent de violations du paragraphe 3 d) de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Toutefois, en l’absence d’autre information pertinente dans le dossier, il considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé ces allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère que les auteurs ont suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, leurs autres griefs au titre de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, le paragraphe 2 a) de l’article 10 et les paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte. Il déclare donc ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des griefs des auteurs, qui affirment avoir été soumis à des pressions physiques et psychologiques visant à les contraindre à avouer une infraction, en violation de l’article 7. Il relève que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations. Il rappelle que, de jurisprudence constante, lorsqu’une plainte dénonçant des mauvais traitements constitutifs d’une violation de l’article 7 du Pacte est déposée, les autorités des États parties sont tenues d’ouvrir sans délai une enquête impartiale. Il note que, selon les informations communiquées par les auteurs, leurs proches ont porté plainte auprès des autorités nationales pour dénoncer des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements. De plus, M. Erbabaev s’est plaint pendant une audience d’avoir été torturé par des agents du Service de la sécurité nationale ; sa déclaration apparaît clairement dans les minutes du procès. En dépit de ces plaintes, ni les tribunaux, ni les autorités locales compétentes, bureau du Procureur y compris, n’ont engagé rapidement une enquête impartiale. En outre, dans ses observations, l’État partie n’a pas non plus répondu aux griefs et allégations avancés par les auteurs dans leur communication. Dans ces circonstances, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis aux auteurs par l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Ayant constaté qu’il y a eu, en l’espèce, une violation des droits consacrés à l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs que M. Saidarov tire du paragraphe 2 de l’article 10 du Pacte.

7.3Le Comité note également que les auteurs se plaignent de violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte parce qu’ils ont tous été détenus arbitrairement par les agents du Service de la sécurité nationale sans qu’un procès-verbal d’arrestation ait été établi, et qu’ils ont tous été d’abord interrogés en tant que témoins. Les auteurs affirment en outre que leur placement initial en détention était arbitraire et qu’ils auraient dû être laissés en liberté jusqu’à leur procès. Dans ses observations sur le fond de la communication, l’État partie n’a pas traité la question de la détention arbitraire. Le Comité rappelle son observation générale no 35 (2014) sur la liberté et la sécurité de la personne, dans laquelle il indique qu’il peut y avoir arrestation au sens de l’article 9 sans que l’intéressé soit officiellement arrêté selon la législation nationale. En l’absence de toute explication pertinente de l’État partie au sujet du grief de détention arbitraire, le Comité considère que les droits que les auteurs tiennent du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte ont été violés. Ayant constaté une violation du paragraphe 1 de l’article 9 dans le cas de tous les auteurs, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs que MM. Saidarov et Erbabaev tirent du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que les auteurs tiennent de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures appropriées pour faire procéder rapidement à une enquête impartiale sur les allégations de torture faites par les auteurs, et d’accorder à ceux-ci une indemnisation adéquate. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans les langues officielles du pays.