Nations Unies

CCPR/C/115/D/2064/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 décembre 2015

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Communication no 2064/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 115e session(19 octobre-6 novembre 2015)

Communication présentée par  :

Milan Mandić (représenté par un conseil, TRIAL − Track Impunity Always)

Au nom de  :

Božo Mandić (père de Milan Mandić)

État partie  :

Bosnie-Herzégovine

Date de la communication  :

15 avril 2011 (date de la lettre initiale)

Références  :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 juin 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision  :

5 novembre 2015

Objet  :

Disparition forcée et recours utile

Question(s) de procédure  :

Néant

Question(s) de fond  :

Droit à la vie ; torture, peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; liberté et sécurité de la personne ; disparition forcée ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3), 6, 7, 17 et 23 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif:

2

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (115e session)

concernant la

Communication no 2064/2011 *

Présentée par:

Milan Mandić (représenté par un conseil, TRIAL − Track Impunity Always)

Au nom de:

Božo Mandić (père de Milan Mandić)

État partie:

Bosnie-Herzégovine

Date de la communication:

15 avril 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 5 novembre 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2064/2011 présentée au nom de M. Milan Mandić en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Milan Mandić, de nationalité bosnienne, né le 11 septembre 1954. La communication est présentée en son nom et au nom de son père, Božo Mandić. L’auteur affirme que Božo Mandić a été victime de disparition forcée en 1992 et qu’on ignore toujours quel a été son sort et l’endroit où il se trouve. Il soutient que l’État partie a violé les articles 6 et 7, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, à l’égard de Božo Mandić, et les articles 7, 17 et 23 (par. 1), lus conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, à son égard. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er juin 1995.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 4 avril 1992, les forces de défense territoriale serbes ont érigé une barricade au niveau de la maison familiale de l’auteur, qui a subi pendant plusieurs jours les tirs croisés des forces de défense territoriale serbes et des forces de défense territoriale bosniaques. Le 10 juin 1992 ou vers cette date, Božo Mandić a été blessé par un tireur isolé alors qu’il se trouvait dans la cour devant sa maison. Sa femme l’a soigné jusqu’au jour, vers le 16 juin 1992, où elle a été enlevée par des membres des forces de défense territoriale bosniaques et emmenée dans un camp de concentration. Au début du mois de juillet 1992, elle a été libérée dans le cadre d’un échange de prisonniers et a tenté en vain d’entrer en contact avec son mari. Elle a ensuite informé son fils, Milan Mandić, de la disparition de son père.

2.2Entre juillet et août 1992, Milan Mandić a signalé trois fois la disparition de son père au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Pale. Le premier certificat attestant que la disparition de Božo Mandić avait été signalée a été délivré par le CICR le 7 juillet 1995. Le 17 mars 1995, l’auteur a aussi signalé la disparition de Božo Mandić au bureau de l’Agence centrale de recherches du CICR à Zagreb, qui lui a délivré un certificat le 13 mai 1996. En 1996, il a adressé une demande d’information à la Commission serbe chargée de l’échange des prisonniers de guerre et des personnes disparues, mais il n’a reçu aucun retour utile. En 1997, Milan Mandić et d’autres proches de personnes disparues d’origine serbe de Bosnie ont commencé à s’organiser en association pour connaître le sort de leurs proches et l’endroit où ils se trouvaient. L’association, entre autres, a entrepris des recherches sur des emplacements possibles de fosses communes dans le canton de Sarajevo.

2.3En 2000, Milan Mandić a appris d’un dénommé Blagoje Pešic que son père avait été tué. M. Pešic lui a aussi indiqué qu’un membre des forces de défense territoriale bosniennes l’avait obligé, en juin 1992, à enterrer le corps de Božo Mandić en un lieu situé entre la route de Lukavička et la dixième route transversale. Il a précisé que Božo Mandić avait été tué d’un coup de feu dans le dos. Le 12 juin 1992, il avait rendu compte de ces faits au commandement de la première brigade d’Ilidža. Il avait aussi répété ces propos à ce qui était à l’époque le Ministère de l’intérieur de la Republika Srpska. Néanmoins, aucune de ces autorités n’a transmis ces informations à la famille de Božo Mandić ni aux autorités judiciaires compétentes.

2.4L’auteur a découvert plus tard que les unités de la défense civile placées sous le contrôle des inspecteurs de la zone de protection des eaux avaient, en 1998, procédé à des exhumations aux alentours de la route de Lukavička. Elles auraient exhumé plusieurs cadavres dont l’un, selon l’auteur, présentait certains traits correspondant à la description de Božo Mandić. À cette occasion, des éléments de preuve et des échantillons sanguins ont été prélevés par un pathologiste qui a remis les dépouilles et les prélèvements à l’Institut médico-légal de Sarajevo. Milan Mandič a tenté à plusieurs reprises de prendre contact avec l’Institut et, le 15 novembre 2010, il a écrit pour s’enquérir des mesures visant à retrouver les restes de Božo Mandič. Il n’a jamais reçu de réponse.

2.5Par lettres datées du 8 mars 2005, le Bureau de recherche des personnes disparues ou détenues de la Republika Srpska a prié la Cour de Bosnie-Herzégovine, le tribunal cantonal de Sarajevo et le bureau du procureur cantonal de divulguer tous les renseignements disponibles permettant de déterminer l’identité de personnes qui avaient disparu à Sarajevo durant la guerre et dont on ignorait le sort. Il a aussi demandé à avoir accès aux comptes rendus d’exhumation et aux prélèvements osseux effectués sur les corps afin de faire des comparaisons avec ses propres données, et a réclamé des analyses ADN. La lettre renvoyait aux 32 dépouilles non identifiées qui avaient été inhumées en 2003 dans le cimetière de Visoko et dont l’une était peut-être celle de Božo Mandič. Par lettre du 6 septembre 2006 adressée au bureau du procureur cantonal, le Bureau de recherche des personnes disparues ou détenues a fait savoir qu’il avait entrepris de procéder à des exhumations et avait recherché des restes humains à un endroit indiqué par un témoin, M. Pešic, mais qu’il n’avait trouvé aucune trace d’ossements humains. Il s’était donc renseigné et avait établi qu’il avait été procédé précédemment à des exhumations en ce lieu et que, le 4 novembre 1998, six corps avaient été exhumés et transférés au cimetière de Vlakovo.

2.6Par lettres datées du 12 février 2007 adressées à l’auteur et au Bureau de recherche des personnes disparues ou détenues de la Republika Srpska, le bureau du procureur cantonal a confirmé que des exhumations avaient eu lieu sur la route de Lukavička entre septembre et novembre 1998 et a fait état d’une analogie entre le cas du père de l’auteur et un autre cas (KTA-28/98 RZ) dans lequel deux corps avaient été exhumés de la route de Lukavička et transférés au cimetière de Visoko. Il a également indiqué qu’il avait communiqué un rapport sur la question au Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine le 9 mars 2006. Cependant, Milan Mandić n’a plus reçu aucune autre communication du bureau du procureur cantonal ni du Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine. Il a au contraire reçu une lettre datée du 6 juin 2006 émanant de la Commission fédérale de recherche des personnes disparues et adressée à sa mère, qui était décédée entre-temps, lui demandant de donner des informations détaillées sur la disparition de son mari. Le 17 février 2011, l’auteur a envoyé une lettre au Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine pour demander à être informé des résultats des recherches. Il n’a pas reçu de réponse.

2.7Le 5 avril 2004, par l’intermédiaire du CICR, Milan Mandić a remis des échantillons de son ADN et rempli un questionnaire ante mortem concernant Božo Mandić. Il n’a reçu aucune réponse à cette initiative. Božo Mandić est toujours enregistré comme personne disparue auprès du CICR, de la Commission internationale des personnes disparues et de l’Institut bosnien des personnes disparues.

2.8La femme de Božo Mandić avait saisi en décembre 2003 la Commission des droits de l’homme au sein de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine, en alléguant une violation de l’article 3 (interdiction de la torture) et de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), lus en liaison avec l’article premier de l’Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine (Accord de Dayton). La Cour constitutionnelle a décidé de joindre la requête à d’autres requêtes présentées par des proches de personnes disparues et de les traiter comme une requête collective. Le 15 décembre 2005, elle a adopté une décision sur la recevabilité et le fond de l’affaire, en renvoyant à une affaire précédente dans laquelle elle avait conclu que les requérants étaient dispensés de l’obligation d’épuiser les recours internes devant les tribunaux ordinaires, étant donné qu’aucune institution spécialisée dans les disparitions forcées en Bosnie-Herzégovine ne semblait fonctionner de manière efficace. Elle a constaté une violation des articles 3 et 8 de la Convention européenne lus conjointement avec l’article premier de l’Accord de Dayton, en raison de l’absence d’informations sur le sort de Božo Mandić. Elle a ordonné aux autorités bosniennes compétentes de donner « toutes les informations accessibles et disponibles sur les membres des familles des requérants qui ont été portés disparus pendant la guerre, ... d’urgence et sans délai et au plus tard trente jours à compter de la réception de la décision ». Elle a aussi ordonné aux autorités de veiller au bon fonctionnement des institutions créées conformément à la loi relative aux personnes disparues, à savoir l’Institut bosnien des personnes disparues, le Fonds d’aide aux familles de personnes disparues de Bosnie-Herzégovine et le Registre central des personnes disparues en Bosnie-Herzégovine, immédiatement et sans délai, et au plus tard trente jours à compter de la date de sa décision. Les autorités compétentes étaient priées de fournir à la Cour, dans un délai de six mois, des informations sur les mesures prises pour donner effet à la décision.

2.9La Cour constitutionnelle n’a pas examiné la question de l’indemnisation, considérant qu’elle était couverte par les dispositions de la loi relative aux personnes disparues concernant le « soutien financier » et par la mise en place du Fonds. L’auteur signale cependant que le chapitre de la loi concernant le soutien financier n’a pas été mis en œuvre et que le Fonds n’a pas été établi.

2.10Bien que le délai fixé par la Cour constitutionnelle en l’espèce ait expiré et que les autorités compétentes n’aient pas exécuté sa décision, la Cour n’a pas agi conformément à l’article 74.6 de son règlement intérieur et s’est abstenue d’adopter une décision constatant que les autorités de Bosnie-Herzégovine avaient effectivement manqué à leur obligation d’exécuter l’arrêt qu’elle avait rendu.

2.11N’ayant reçu aucune information utile sur le sort de Božo Mandić et l’endroit où il se trouvait, l’auteur a soumis deux nouvelles requêtes à la Cour constitutionnelle le 6 février 2006 pour lui demander de sanctionner pénalement la non-exécution de sa décision. Par lettre datée du 9 mars 2006, la Cour constitutionnelle lui a expliqué qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur la responsabilité pénale résultant de la non‑exécution de décisions judiciaires. Par lettre datée du 22 février 2011, Milan Mandić a souligné que cinq années s’étaient écoulées depuis que la décision concernant le cas de son père avait été rendue et a prié la Cour d’adopter une décision concernant la non-exécution. Néanmoins, à la date où la communication a été soumise au Comité, il n’avait reçu aucune réponse de la Cour et les autorités n’avaient pris aucune mesure.

2.12La décision du 15 décembre 2005 de la Cour constitutionnelle est définitive et exécutoire. L’auteur n’a donc aucun autre recours utile à épuiser.

2.13S’agissant de la recevabilité ratione temporis de la communication, l’auteur soutient que, bien que les faits se soient produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, une disparition forcée constitue en soi une violation continue de plusieurs droits de l’homme, qui dure jusqu’à ce que la victime soit retrouvée. Dans le cas de l’auteur, les autorités internes, y compris la Cour constitutionnelle, ont qualifié Božo Mandić de « personne disparue ». Cependant, le point de savoir ce qu’il est devenu et le lieu où il se trouve n’a pas été élucidé. En outre, les autorités n’ont pas exécuté la décision de la Cour constitutionnelle en date du 15 décembre 2005 et le Bureau du Procureur n’a pris aucune mesure pour sanctionner les responsables de ce manquement.

2.14Depuis 1992, Milan Mandić est en proie à de profondes et graves difficultés psychologiques en raison de l’incertitude quant au sort de Božo Mandić et à l’endroit où il se trouve. Le temps écoulé et l’attitude d’indifférence des autorités à l’égard de son anxiété ont fait naître en lui un profond sentiment de frustration et d’humiliation. L’auteur n’a pas pu retrouver les restes de son père et le pleurer et l’inhumer conformément à ses convictions et coutumes religieuses.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que l’État partie a violé les articles 6 et 7, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, à l’égard de Božo Mandić, ainsi que les articles 7 et 17 et le paragraphe  1 de l’article 23, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à son égard.

3.2S’agissant de la violation alléguée de l’article 6, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, à l’égard de Božo Mandić, l’auteur soutient qu’il y a un manquement continu de l’État partie à son obligation de mener d’office une enquête diligente, approfondie, impartiale, indépendante et efficace sur la disparition forcée de son père. Il fait valoir que l’État partie a l’obligation de mener une enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante sur les violations flagrantes des droits de l’homme telles que les disparitions forcées, la torture ou les exécutions arbitraires. En règle générale, l’obligation d’enquêter s’applique aussi dans les cas d’homicide ou d’autres actes portant atteinte à l’exercice des droits de l’homme qui ne sont pas imputables à l’État. Dans ces cas, l’obligation d’enquêter découle du devoir qu’a l’État de protéger tous les individus relevant de sa juridiction contre des actes commis par des personnes ou groupes de personnes privées, qui entraveraient l’exercice des droits de l’homme qui leur sont reconnus.

3.3S’agissant de la violation alléguée de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard de Božo Mandić, l’auteur affirme que l’exécution arbitraire de celui-ci puis l’enlèvement, la dissimulation et le traitement indigne de sa dépouille sont constitutifs d’un traitement contraire à l’article 7 du Pacte en tant que déni du droit d’être inhumé dans la dignité.

3.4En ce qui concerne l’allégation de violation continue par l’État partie de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, ainsi que de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, à son égard, l’auteur fait valoir qu’il souffre d’un état sévère d’angoisse et de détresse morale dû à la disparition forcée de son père et à l’absence persistante d’informations sur la cause et les circonstances de ces violations des droits de l’homme, ainsi que sur les progrès et les résultats des enquêtes menées par les autorités de l’État partie. Cette absence d’informations viole aussi son droit de connaître la vérité. À cela s’ajoute l’absence de recours efficaces et de réparation, puisque l’auteur n’a jamais reçu aucune forme de réparation pour le préjudice subi. L’auteur soutient en outre que sa vie familiale a été bouleversée par la disparition forcée de son père, car cela l’a empêché d’inhumer celui-ci conformément à ses coutumes et convictions religieuses.

3.5L’auteur demande au Comité de recommander à l’État partie : a) d’ordonner de toute urgence une enquête indépendante afin d’établir le sort réservé à son père et l’endroit où il se trouve et, au cas où son décès serait confirmé, de localiser, d’exhumer, d’identifier sa dépouille et de la traiter avec le respect qui lui est dû, et de la rendre à sa famille ; b) de traduire les auteurs des actes en cause devant les autorités compétentes afin qu’ils soient poursuivis, jugés et punis et de diffuser publiquement les résultats de ces mesures ; c) de veiller à ce que l’auteur obtienne une réparation intégrale et une indemnisation rapide, juste et adéquate ; et d) de veiller à ce que les mesures de réparation couvrent le préjudice matériel et moral et que des mesures soient prises aux fins de restitution, de réadaptation, de satisfaction et de garanties de non-répétition. L’auteur demande en particulier à l’État partie de reconnaître sa responsabilité internationale à l’occasion d’une cérémonie publique en présence des autorités et de l’auteur, qui devrait recevoir des excuses officielles, et de nommer une rue, d’ériger un monument ou de poser une plaque commémorative sur la route de Lukavička en mémoire de toutes les victimes d’exécution arbitraire et de disparition forcée au cours du conflit armé. L’État partie devrait également fournir à l’auteur une prise en charge médicale et psychologique immédiate et gratuite, par l’intermédiaire de ses institutions spécialisées, et lui accorder une aide juridique gratuite, en tant que de besoin, afin de lui garantir l’accès à des recours disponibles, utiles et suffisants. À titre de garantie de non-répétition, il devrait mettre en place des programmes d’éducation au droit international des droits de l’homme et au droit international humanitaire à l’intention de l’ensemble des membres des forces armées, des forces de sécurité et du personnel judiciaire.

Observations de l’État partie

4.1Le 10 août 2011, l’État partie a transmis des copies de 10 lettres émanant d’institutions et organismes publics. D’après une lettre du Ministère de la justice datée du 15 juillet 2011, après la ratification de l’Accord de Dayton en 1995, les autorités de Bosnie‑Herzégovine se sont efforcées de trouver un moyen efficace et équitable de traiter des milliers d’actes d’accusation pour crimes de guerre. Parallèlement à l’établissement du cadre juridique applicable à la poursuite des crimes de guerre, une compétence exclusive a été accordée à la Cour de Bosnie-Herzégovine et au Bureau du Procureur pour connaître des affaires de crimes de guerre. Toute plainte pour crime de guerre reçue par les autres procureurs ou tribunaux devait être soumise au Bureau du Procureur aux fins d’examen conformément aux critères établis. En fonction de la gravité de l’affaire, la Cour pouvait décider de transférer la procédure à un autre tribunal dans le ressort duquel le crime avait été commis. En raison du grand nombre de crimes de guerre, le 29 décembre 2008, le Conseil des ministres a adopté la Stratégie nationale de traitement des crimes de guerre. Cette stratégie a notamment pour objectif de mener à bien la poursuite des crimes de guerre les plus complexes dans un délai de sept ans et celle des autres crimes de guerre dans un délai de quinze ans à compter de son adoption. Sur la base d’une proposition du Ministère de la justice, le Conseil des ministres a constitué un organe de surveillance de l’application de la Stratégie. Le Ministère de la justice affirme que les autorités de Bosnie‑Herzégovine font des efforts considérables pour traiter les affaires de crimes de guerre et déterminer quel a été le sort des personnes disparues. Cela étant, vu le grand nombre de requêtes, ce processus ne peut pas être mené rapidement à son terme.

4.2D’après les lettres envoyées par le bureau du procureur cantonal de Sarajevo à quatre autorités différentes, le Département spécial du Bureau du Procureur de Bosnie‑Herzégovine chargé des crimes de guerre a adressé au bureau du procureur cantonal de Sarajevo un courrier daté du 2 mars 2011 (sic) pour lui demander de lui communiquer des renseignements au sujet de la requête formulée par l’auteur auprès du Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine afin que des poursuites pénales soient engagées dans l’affaire de la disparition de son père. Le 26 juin 2006, le bureau du procureur cantonal a reçu une requête de l’auteur au même sujet. Par lettre datée du 9 mars 2006 adressée au Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine, le chef du département du bureau du procureur cantonal de Sarajevo chargé des crimes de guerre a transmis copie de l’ensemble d’un dossier concernant un cas d’exhumation (KTA-28/98-RZ), en raison de la similitude de ce dossier avec l’affaire de Božo Mandić. Dans la lettre, Milan Mandić était invité à déclarer si cette exhumation coïncidait avec les renseignements qu’il détenait et à identifier sur les documents photographiques les chaussures et vêtements susceptibles d’avoir appartenu à son père. Le 26 juin 2006, le bureau du procureur cantonal de Sarajevo a reçu une demande de l’auteur tendant à ce que des recherches soient menées à l’endroit où son père avait été exécuté, c’est-à-dire, selon lui, au carrefour de la route de Lukavička et de la Deseta Transferzala. Le 6 septembre 2006, une commission composée du procureur cantonal, de Milan Mandić, d’un juge à la retraite du tribunal cantonal de Sarajevo et d’une autre personne s’est rendue sur les lieux. Des photographies du charnier ont été montrées au juge qui avait participé à l’exhumation des corps dans l’affaire similaire (KTA-28/98-RZ), mais celui-ci a indiqué qu’il ne pouvait pas se souvenir si c’était dans ce lieu que l’exhumation avait été pratiquée.

4.3Dans une lettre datée du 19 juillet 2011, le Bureau du Procureur de Bosnie‑Herzégovine a informé le Ministère des droits de l’homme et des réfugiés que, le 10 mars 2006 (sic), le dossier d’une affaire (KTA-28/98-RZ) relative à l’exhumation de deux corps d’une pelouse située entre l’école d’Aleksa Santič et Lukavička cesta dans la municipalité de Novi Grad-Sarajevo avait été transmis au Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine. Le 29 mars 2007, le bureau du procureur cantonal de Sarajevo a procédé à une nouvelle exhumation des deux corps pour faire de nouveaux prélèvements aux fins d’analyse ADN. Selon le rapport d’analyse en date du 27 juin 2007, aucun des échantillons prélevés ne correspondait à l’ADN de Božo Mandić. À la suite d’une instruction adressée par le Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine à l’Agence d’investigation et de protection de l’État demandant l’ouverture d’une enquête sur la disparition de Božo Mandić, l’Agence a fait savoir au Bureau du Procureur, le 13 janvier 2009, que les efforts qu’elle avait déployés pour identifier les auteurs du crime avaient été vains. Il est en outre indiqué qu’en février 2010, le bureau du procureur du district d’Istočno Sarajevo avait transféré au Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine un dossier relatif à un crime de guerre commis contre des civils par J. V., qui était soupçonné d’avoir abattu Božo Mandić avec un fusil à lunette sur le territoire contrôlé par l’Armée de la République de Bosnie-Herzégovine. Le Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine a fait observer que le cas de Božo Mandić n’était pas considéré comme hautement prioritaire et devrait en conséquence être traité dans un délai de quinze ans.

4.4Dans une lettre datée du 8 juillet 2011, le maire de Novi Grad a fait savoir qu’il pouvait certifier que ni lui ni les agents qui étaient employés à la municipalité au moment de ces faits n’avaient connaissance des allégations figurant dans la communication. Il a ajouté qu’il avait été en contact avec des agents des forces de défense civile qui étaient chargés des exhumations et qui lui avaient indiqué qu’aucune exhumation n’avait été pratiquée sur le site de Lukavička cesta.

4.5D’après une lettre datée du 2 août 2011 adressée par l’Institut des personnes disparues au Ministère bosnien des droits de l’homme et des réfugiés, Milan Mandić avait donné des versions différentes de ce qui était arrivé à son père, notamment à l’Institut des personnes disparues, à la revue Patriot et au Comité. L’Institut des personnes disparues considère donc que l’auteur a modifié sa version des faits selon son interlocuteur, ce qui entrave considérablement l’enquête. Božo Mandić est toujours enregistré comme personne disparue et l’Institut poursuit ses travaux de recherche et de localisation de fosses communes et de tombes individuelles, ainsi que de celles de plus de 8 000 personnes toujours disparues à la suite de la guerre, en vue d’identifier des restes et de les restituer aux familles.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 26 septembre 2011, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il note avec satisfaction que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication et reconnaît que Božo Mandić reste enregistré comme personne disparue. Il rappelle que les autorités bosniennes ont une obligation continue d’établir le sort de Božo Mandić et le lieu où celui-ci se trouve, de rechercher, de localiser, de respecter et de restituer ses restes, de révéler la vérité en ce qui concerne sa disparition forcée et de garantir à l’auteur une réparation pour les violations continues.

5.2L’auteur se dit surpris par l’assertion de l’Institut des personnes disparues, selon qui il a modifié la version des faits en fonction de l’interlocuteur. Il n’était pas présent lors de la disparition forcée de son père et, depuis dix-neuf ans, il tente de reconstituer ce qui s’est passé le 24 juin 1992 et après cette date, bien que ce soit là une obligation qui incombe aux autorités bosniennes et non à lui-même. Il n’est pas un enquêteur professionnel et les informations qu’il a trouvées sont fragmentaires et souvent contradictoires. Certaines de ces contradictions se sont aussi trouvées dans la presse. L’auteur précise que, le 12 septembre 2011, il a écrit à l’Institut pour demander ce qui était fait pour retrouver les restes de son père et qu’il n’a reçu qu’une réponse mettant en doute sa crédibilité.

5.3L’auteur soutient en outre que le grand nombre de crimes de guerre qui doivent encore être élucidés ne dispense pas l’État partie de l’obligation qui lui incombe de mener sans délai une enquête impartiale, indépendante et approfondie sur les cas de violations graves des droits de l’homme, ni de tenir les proches des victimes régulièrement informés des progrès des enquêtes et des résultats obtenus. Il dit aussi avoir informé le Bureau du Procureur des circonstances de la disparition forcée de son père en temps voulu, et avoir entrepris plusieurs démarches en vue d’être informé des résultats de l’enquête. À la suite des observations soumises par l’État partie au Comité le 10 août 2011, l’auteur a écrit aux autorités bosniennes les 14 et 15 septembre 2011 pour leur demander des informations supplémentaires à propos de l’enquête. Il n’a pas reçu de réponse satisfaisante. À propos de l’observation de l’État partie concernant les mesures prises par l’Agence d’investigation et de protection de l’État, il précise qu’il n’a jamais reçu d’informations à ce sujet. Il réaffirme que les proches des victimes devraient être informés régulièrement de la progression des enquêtes et des résultats obtenus. Il cite l’observation générale no 10 (2010) du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires concernant le droit à la vérité dans le contexte des disparitions forcées, selon laquelle le refus de communiquer des informations restreint le droit à la vérité, et la communication d’informations générales sur des questions de procédure doit être considérée comme une violation de ce même droit.

5.4L’auteur considère de surcroît que la décision du Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine de classer la disparition forcée de son père dans la catégorie des affaires moins complexes dont le traitement interviendra dans un délai de quinze ans est contraire à tout critère de célérité de l’enquête et constitue aussi une violation de ses droits. S’il prend note avec satisfaction de l’adoption de la Stratégie nationale de traitement des crimes de guerre, il fait valoir que sa mise en œuvre laisse à désirer et que l’État partie ne peut pas se contenter d’invoquer l’existence de cette stratégie. Il ajoute que l’adoption d’une stratégie de justice transitionnelle ne saurait remplacer l’accès à la justice et à des réparations pour les victimes de violations flagrantes des droits de l’homme et leurs proches.

Réponses complémentaires des parties

6.1Les 16 et 20 décembre 2011, l’État partie a transmis des lettres de différentes institutions réaffirmant les informations communiquées dans les observations précédentes. Il indique en outre que, le 13 octobre 2011, le Ministère de l’intérieur de la Republika Srpska a informé l’Institut des personnes disparues qu’il avait découvert que le corps de Božo Mandić avait été enterré par Blagoje Pešić, qui résidait au Monténégro. L’État partie a fourni un document du Ministère de l’intérieur daté du 13 octobre 2011 indiquant que M. Pešić avait fait parvenir au bureau de l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) au Monténégro une déclaration dans laquelle il affirmait qu’après que Božo Mandić et sa femme eurent été emmenés de chez eux par l’« armée musulmane », Božo Mandić avait été conduit à Nedžarići, où il avait été relâché et devait en principe passer en territoire serbe, au lieu de quoi il avait été tué par l’« armée musulmane ». M. Pešić avait trouvé son corps le lendemain et l’avait immédiatement enterré. M. Pešić n’était pas en mesure de préciser le lieu exact de l’inhumation mais a indiqué qu’il se situait sur la route principale de Sarajevo à Dobrinja et qu’il était prêt à aider à localiser la dépouille de Božo Mandić.

6.2Le 17 février 2012, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que, le 16 janvier 2012, M. Pešić a été conduit à l’endroit qu’il avait indiqué comme étant celui où il avait enterré le corps de Božo Mandić. M. Pešić était accompagné de l’auteur et de représentants de l’Agence d’investigation et de protection de l’État, de l’Institut des personnes disparues, de la Commission internationale des personnes disparues et de TRIAL. Il a désigné un lieu puis a fait une déclaration qui a été transmise au Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine. Le 23 janvier 2012, le Bureau du Procureur a ordonné qu’il soit procédé à une exhumation. L’auteur a accueilli avec satisfaction les déclarations de M. Pešić et a demandé à l’État partie de prendre les dispositions nécessaires pour explorer les lieux et entreprendre l’exhumation. Il a rappelé que, comme il l’avait déjà indiqué aux autorités, il était possible que les restes de son père aient déjà été exhumés et enterrés en terrain commun dans le cimetière de Visoko. L’auteur s’est dit inquiet qu’aucune mesure n’ait été prise à cet égard.

6.3L’auteur a en outre exprimé son mécontentement quant au traitement de son cas par les autorités bosniennes car, le 13 décembre 2011, il avait reçu une lettre de l’Agence d’investigation et de protection de l’État indiquant que le procureur cantonal de Sarajevo avait fait procéder à une nouvelle exhumation de deux corps à Visoko le 29 mars 2007 et que l’ADN de l’un d’eux correspondait à celui de son père. L’auteur dit en avoir ressenti un grand trouble. Le 17 décembre 2011, il a écrit à la Commission internationale des personnes disparues et à l’Institut des personnes disparues pour demander des précisions. Le 19 décembre 2011, il a demandé à parler avec quelqu’un de l’Agence, mais en vain. Il a ensuite fait publier un communiqué de presse, à la suite de quoi il a été reçu par deux responsables qui lui ont dit que malheureusement, la lettre était une erreur parce que les résultats de l’analyse ADN étaient, non pas positifs, mais négatifs, et lui ont présenté leurs excuses. L’auteur a été choqué par le manque de sérieux avec lequel les autorités avaient considéré ses demandes et l’enquête concernant son père. Les 21 et 26 décembre 2011, il a reçu les réponses respectives de la Commission internationale des personnes disparues et de l’Institut des personnes disparues, indiquant qu’ils n’avaient jamais établi de rapport de correspondance pour l’ADN de son père.

6.4L’auteur ajoute que, le 16 novembre 2011, il a reçu une lettre de la Cour constitutionnelle en réponse à sa lettre du 25 octobre 2011, constatant que sa décision en date du 15 décembre 2005 relative à l’affaire de son père n’avait pas été exécutée, et indiquant que la décision avait été transmise au Bureau du Procureur de Bosnie‑Herzégovine en sa qualité d’autorité compétente pour agir contre les responsables de ce manquement.

6.5Le 29 mai 2012, l’État partie a soumis des lettres émanant de six institutions. L’Agence d’investigation et de protection de l’État informait l’auteur qu’elle avait enquêté à propos de la lettre contenant des informations erronées sur les résultats de l’analyse ADN et que l’agent responsable avait fait l’objet d’une sanction disciplinaire. L’Institut des personnes disparues, dans une lettre datée du 17 mai 2012, a indiqué qu’il avait communiqué à l’auteur les documents relatifs aux actions entreprises pour retrouver son père disparu, ainsi qu’un calendrier des activités prévues. Il a aussi indiqué qu’il avait écrit au Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine pour lui demander d’autoriser des essais d’excavation à l’endroit indiqué par M. Pešić.

6.6Dans une lettre datée du 8 mai 2012, le Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine indique avoir autorisé, le 23 janvier 2012, des opérations d’excavation à Lukavička cesta et dans la cour de la maison de la famille Mandić. Il affirme que l’Institut des personnes disparues a l’obligation de l’informer des résultats de ces opérations et de lui soumettre une demande d’exhumation si une sépulture est découverte. L’Institut ne l’a pas fait. Le Bureau du Procureur précise aussi qu’en mars 2012, le dossier du père de l’auteur a été scindé en deux parties : l’une concernant la recherche et l’identification de la dépouille (sous la responsabilité du Bureau du Procureur), et l’autre l’établissement de la responsabilité pénale des auteurs supposés du crime (qui relève de la compétence du bureau du procureur cantonal). Le Bureau du Procureur ajoute que l’auteur est régulièrement informé des dispositions prises. Il précise en outre que, le 18 novembre 2011, il a reçu un courrier de la Cour constitutionnelle relatif à la non-exécution de sa décision du 15 décembre 2005. Le Bureau du Procureur a ouvert un dossier et désigné un procureur qui, le 6 mars 2012, a prié le Conseil des ministres de présenter un rapport indiquant les mesures prises pour exécuter la décision. Au 8 mai 2012, date de la lettre, le Bureau du Procureur n’avait pas reçu de réponse du Conseil des ministres.

6.7Le 9 juillet 2012, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. Il indique que, le 28 mai 2012, il a été procédé à des essais d’excavation dans la cour de la maison des Mandić en sa présence et avec la participation d’un représentant de l’Institut des personnes disparues. Ces opérations n’ont produit aucun résultat utile. L’auteur affirme qu’il garde l’espoir que les restes de son père aient été enterrés en terrain commun dans le cimetière de Visoko mais que, malgré ses efforts, les autorités n’ont mené aucune recherche dans cette direction. Le 5 juillet 2012, l’auteur a écrit au Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine et à l’Institut des personnes disparues pour demander que cette éventualité soit explorée.

6.8L’auteur souligne l’absence de coordination entre les autorités bosniennes, qui entrave l’efficacité de l’enquête. Alors que le Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine affirme, dans sa lettre du 8 mai 2012, avoir autorisé des essais d’excavation le 23 janvier 2012, l’Institut des personnes disparues déclare qu’il a soumis une demande d’autorisation de tels essais au Bureau du Procureur et qu’une réponse « est attendue sous peu ». L’auteur dit aussi ne pas avoir été informé de la décision de scinder en deux le dossier d’investigation concernant son père et ne l’avoir apprise que par la lettre du Bureau du Procureur du 8 mai 2012 transmise au Comité.

6.9Le 22 octobre 2012, l’État partie a transmis 11 lettres émanant de différentes autorités. La Cour constitutionnelle, le Ministère de la justice, l’Agence d’investigation et de protection de l’État, le bureau du procureur du district d’Istoćno Sarajevo et la municipalité de Novi Grad y réaffirment leur position à propos de l’affaire et indiquent n’avoir aucun renseignement nouveau à signaler. Dans une lettre datée du 3 septembre 2012, le Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine indique n’avoir reçu à cette date aucun avis de l’Institut des personnes disparues concernant les essais d’excavation ordonnés le 23 janvier 2012, et ignorer si ces essais ont eu lieu et quels éléments ont été découverts. Le bureau du procureur cantonal indique qu’à la suite du transfert par le Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine du dossier concernant la responsabilité pénale liée à la disparition de Božo Mandić, le procureur cantonal chargé du dossier a mené un certain nombre d’investigations à l’égard du suspect, Većerak Josip. Le 31 août 2012, le procureur a décidé de suspendre l’enquête faute de preuves. L’auteur a été informé de son droit de faire appel de cette décision mais ne l’a pas exercé.

6.10Dans une lettre datée du 4 septembre 2012, l’Institut des personnes disparues fait savoir qu’il a demandé le recensement ciblé des restes des personnes non identifiées inhumées au cimetière de Visoko. Il indique aussi avoir demandé aux institutions compétentes du canton de Sarajevo ayant participé au processus de nettoyage et d’exhumation des corps durant la guerre de donner toute information utile. Selon le Ministre de l’intérieur du canton, des exhumations ont effectivement été pratiquées à Novi Grad entre 1992 et 2008. Le quartier général municipal de la Protection de la défense civile de Novi Grad était chargé des exhumations et du déplacement ultérieur des dépouilles. Or, le nom de Božo Mandić ne figure pas dans les registres.

6.11Le 24 décembre 2012, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les nouvelles observations de l’État partie. Il dit une nouvelle fois être préoccupé par l’action du Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine et par le fait de n’être informé que de certaines des décisions prises par les autorités nationales dans le contexte de la présente communication au Comité. Il regrette aussi le manque de coordination entre les autorités bosniennes, qui nuit à l’enquête. De plus, l’auteur affirme qu’il n’a pas fait appel de la décision de clôture de l’enquête concernant Većerak Josip faute de savoir précisément s’il devait saisir le Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine ou le procureur cantonal.

6.12Le 10 janvier 2013, l’État partie a fait parvenir de nouvelles observations, en transmettant des lettres de l’Agence d’investigation et de protection de l’État, du Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine, de l’Institut des personnes disparues et du bureau du procureur cantonal. Tous indiquent n’avoir aucun renseignement ou fait nouveau à signaler.

6.13Le 5 février 2013, l’auteur a exprimé sa préoccupation à propos de la façon dont les autorités bosniennes présentaient leurs observations au Comité, à savoir avec retard et sans tenir compte de ses commentaires. De plus, les autorités bosniennes s’étaient bornées à réaffirmer qu’elles n’avaient pas d’autres renseignements à ajouter à ceux communiqués dans leurs observations précédentes.

6.14Le 14 mars 2013, l’État partie a communiqué une lettre du Ministère des droits de l’homme et des réfugiés résumant les réponses de plusieurs institutions à propos des recherches entreprises dans le cas de Božo Mandić. Le Bureau du Procureur de Bosnie‑Herzégovine a indiqué que, le 6 février 2013, il avait prié l’Institut des personnes disparues de communiquer le rapport officiel concernant les essais d’excavation autorisés en janvier 2012. Dans l’intervalle, l’Institut a indiqué avoir adressé le 6 août 2012 au Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine une lettre faisant état de plusieurs initiatives prises dans ce dossier, notamment des essais d’excavation à Lukavička cesta et dans la cour de la maison des Mandić, des prélèvements ADN dans la fosse commune située dans le cimetière « Lav » et des auditions de témoins. Il a indiqué en outre que, malgré toutes les actions entreprises, le cas de Božo Mandić n’était toujours pas résolu, mais qu’il continuerait de prendre toutes les dispositions nécessaires à cette fin. Le bureau du procureur cantonal a contesté l’affirmation de l’auteur qui prétend qu’il ne savait pas précisément devant quelle autorité il devait faire appel de la décision de clôture de l’enquête concernant Većerak Josip. En effet, l’auteur avait communiqué à deux reprises des déclarations relatives à cette enquête au bureau du procureur cantonal et savait donc que c’était celui-ci qui était chargé de l’enquête.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Il note aussi que l’auteur affirme que la Cour constitutionnelle elle-même a reconnu l’absence de recours utile pour protéger les droits des proches de personnes disparues ; que l’auteur a informé les autorités dès 1992 au sujet des faits présumés concernant Božo Mandić ; que, le 15 décembre 2005, la Cour a constaté une violation des droits de l’épouse de Božo Mandić en raison de l’absence d’informations sur le sort de son conjoint, et que la décision rendue par la Cour dans cette affaire n’avait pas été exécutée par les autorités compétentes. Le Comité observe que, plus de vingt-deux ans après les faits supposés concernant Božo Mandić, l’État partie n’a pas fourni d’arguments convaincants propres à justifier le retard pris dans la conclusion de l’enquête sur cette affaire. En conséquence, le Comité estime que les recours internes ont excédé des délais raisonnables et que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

7.4Tous les critères de recevabilité ayant été remplis, le Comité déclare recevables les griefs que l’auteur tire des articles 6 et 7, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne Božo Mandić, et des articles 7 et 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne Milan Mandić, et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon qui, le 4 avril 1992, la force de défense territoriale serbe a érigé une barricade juste en dessous de la maison de la famille Mandić, après quoi la maison a été soumise aux tirs croisés de l’Armée de défense territoriale serbe et de l’Armée de défense territoriale bosnienne. Le Comité note aussi que, selon l’auteur, le 10 juin 1992 ou vers cette date, Božo Mandić a été blessé par un tireur isolé alors qu’il se trouvait dans la cour devant sa maison, et que sa femme l’a soigné avant d’être enlevée par des membres de l’Armée de défense territoriale bosnienne vers le 16 juin 1992. Depuis lors, la famille de Božo Mandić recherche celui-ci, en vain. Le Comité prend aussi note de l’affirmation de l’auteur qui indique que, d’après un témoin direct, Božo Mandić aurait été victime d’une exécution arbitraire le 24 juin 1992, ou vers cette date, et qu’un responsable de l’Armée de défense territoriale bosnienne avait ordonné au témoin d’ensevelir la dépouille de Božo Mandić. Le Comité prend note des dires de l’auteur, à savoir que les faits se seraient produits dans le contexte d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile et que, dès lors, il est raisonnable de supposer que son père a été victime en juin 1992 d’une exécution extrajudiciaire perpétrée par l’Armée de défense territoriale bosnienne, sous réserve d’un complément d’enquête. L’État partie n’a procédé d’office à aucune enquête diligente, impartiale, approfondie et indépendante pour élucider le sort de la victime et découvrir l’endroit où elle pourrait se trouver ni pour traduire les responsables en justice. Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il indique que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquêtes sur des violations présumées et de ne pas traduire en justice les auteurs de certaines violations (notamment la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants, les exécutions sommaires et arbitraires et les disparitions forcées) pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte.

8.3Bien que les actes commis par l’Armée de défense territoriale bosnienne ne soient pas directement attribuables à l’État partie, le Comité note que, selon l’auteur, ces actes ont été commis sur le territoire de l’État partie par cette armée et l’État partie reste soumis à une obligation continue de localiser, d’exhumer, d’identifier la dépouille et de la restituer à la famille, ainsi que d’identifier, de poursuivre et de punir les responsables de ces crimes. À cet égard, le Comité a conscience des difficultés qu’un État partie peut rencontrer pour enquêter sur des crimes qui peuvent avoir été commis sur son territoire durant un conflit armé complexe dans lequel de multiples forces étaient impliquées. C’est pourquoi, tout en reconnaissant la gravité des crimes présumés et la souffrance de l’auteur qui constate que le lieu où se trouvent les restes de son père disparu n’a toujours pas été déterminé et que les responsables n’ont pas encore été traduits en justice, il estime que cela ne permet pas en soi de conclure à une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte dans les circonstances de la présente communication.

8.4Cependant, l’auteur fait valoir que plus de dix-neuf ans après les faits présumés concernant Božo Mandić, et plus de cinq ans après la décision rendue par la Cour constitutionnelle le 15 décembre 2005, les autorités chargées de l’enquête ne lui ont pas communiqué d’informations utiles concernant le sort de son père et l’endroit où il se trouve. Le Comité note que l’auteur a été contacté pour la première fois par les autorités au sujet du cas de son père en février 2007, soit près de quinze ans après les faits pertinents, lorsque, à la suite d’une demande du Bureau de recherche des personnes détenues ou disparues de la Republika Srpska en mars 2005, le bureau du procureur cantonal a envoyé à l’auteur une lettre indiquant qu’il avait été procédé à des exhumations sur la route de Lukavička entre septembre et novembre 1998 et faisant état de la similitude entre le cas de son père et un autre cas. L’auteur affirme qu’après cette lettre, et bien qu’il ait demandé des informations à jour à plusieurs reprises, il n’a reçu du bureau du procureur cantonal ou du Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine aucune autre information au sujet de l’état d’avancement de l’enquête. Le 6 février 2006, l’auteur a saisi la Cour constitutionnelle pour lui demander d’adopter une décision constatant la non-exécution par les autorités de sa décision du 15 décembre 2005. Or, la Cour n’a pris aucune décision et aucune action efficace n’a été menée à bien par les autorités pour traduire les auteurs des faits en justice ou indemniser l’auteur. Le Comité prend aussi note de l’absence de coordination entre les autorités de l’État partie en ce qui concerne l’enquête menée sur le cas de Božo Mandić. Ainsi, l’auteur fait valoir que le Bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine et l’Institut des personnes disparues ont fait des déclarations contradictoires au sujet des essais d’excavation effectués à l’endroit indiqué comme étant le lieu où Božo Mandić avait été inhumé, ce qui a nui à l’efficacité de l’enquête. Malgré les efforts qu’il a faits pour découvrir où se trouve Božo Mandićet quel a été son sort et malgré le témoignage selon lequel l’intéressé serait décédé, l’État partie n’a pas fourni à l’auteur ou au Comité des explications précises et suffisantes sur les raisons des retards et des défaillances dans son comportement. Il n’a pas non plus donné d’informations précises et utiles en ce qui concerne la poursuite des auteurs des faits en cause. Le Comité considère que les autorités chargées des enquêtes sur des violations telles que des exécutions sommaires et arbitraires et des disparitions forcées doivent être diligentes afin de garantir l’efficacité de l’enquête. Il considère en outre que ces autorités doivent donner en temps voulu aux familles la possibilité de contribuer à l’enquête en communiquant les renseignements dont elles disposent et que les familles doivent être rapidement informées des avancées de l’enquête. Il prend note de l’angoisse et de la détresse causées à l’auteur par l’incertitude qui persiste quant au lieu où pourrait être ensevelie la dépouille de son père et par l’impossibilité où il se trouve, si celui-ci est décédé, de l’inhumer conformément à sa foi. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 6, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en ce qui concerne Božo Mandić.

8.5Le Comité note en outre que l’auteur affirme avoir subi des préjudices à plusieurs reprises tout au long des années de son combat. À cet égard, le Comité relève divers exemples du manque d’égards ou de sérieux des autorités de l’État : a) le 13 décembre 2011, l’auteur a reçu une lettre de l’Agence d’investigation et de protection de l’État indiquant que l’ADN de l’un des corps exhumés par le bureau du procureur cantonal correspondait à celui de son père. Or, des responsables de l’Agence d’investigation et de protection de l’État se sont excusés ultérieurement, au motif qu’il s’agissait d’une erreur et qu’il n’y avait aucune correspondance entre les ADN (voir par. 6.3) ; b) le manque de coordination entre les autorités bosniennes, qui a entraîné des retards et a été source de confusion (voir par. 6.8, 6.14 et 8.4) ; c) l’absence de suivi approprié des informations données par l’auteur quant à la possibilité que le corps de Božo Mandić ait été enterré en terrain commun au cimetière de Visoko (voir par. 6.7 et par. 6.10). Le Comité considère que ces préjudices répétés, conjugués à l’absence d’informations sur le sort de Božo Mandić et le lieu où il se trouve, sont constitutifs d’un traitement inhumain et dégradant, en violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en ce qui concerne l’auteur.

8.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs que l’auteur tire de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 6, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en ce qui concerne Božo Mandić, et de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne l’auteur.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Cela suppose qu’il répare intégralement le préjudice subi par les personnes dont les droits au titre du Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie a l’obligation, notamment : a) d’intensifier ses investigations visant à déterminer le sort de Božo Mandić et le lieu où il se trouve, comme l’exige la loi de 2004 relative aux personnes disparues, et de veiller à ce que les enquêteurs prennent contact avec l’auteur dans les meilleurs délais afin que celui-ci puisse contribuer à l’enquête en communiquant les renseignements dont il dispose ; b) d’intensifier les actions visant à traduire en justice les responsables de la mort du père de l’auteur, sans retard injustifié, conformément à la Stratégie nationale de traitement des crimes de guerre ; c) de garantir à l’auteur toute prise en charge psychologique et médicale rendue nécessaire par le préjudice psychologique qu’il a subi (voir par. 3.4) ; d) d’offrir à l’auteur une indemnisation adéquate et des mesures de satisfaction appropriées. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas et doit garantir en particulier que les familles des personnes disparues aient accès aux enquêtes sur les allégations d’exécution extrajudiciaire et à des mesures adéquates de réparation.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu la compétence du Comité pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à toute personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans ses trois langues officielles.

Appendice I

[Original  : espagnol]

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Víctor Manuel Rodríguez-Rescia

1.La présente opinion a trait à la décision du Comité des droits de l’homme concernant la communication no 2064/2011 pour ce qui est des faits décrits qui montrent que l’État partie a commis une violation de l’article 6, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, s’agissant de Božo Mandić, et de l’article 7, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, s’agissant de l’auteur. Ce à quoi je ne souscris pas, dans ces constatations, c’est au fait que ce cas ait été traité comme une exécution et non comme une disparition forcée de la victime ; cela aurait aussi donné lieu à une violation des articles 7 et 16 du Pacte lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 en ce qui concerne la victime, et d’autres droits en ce qui concerne l’auteur (art. 17 et 23 lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2). De plus, la réparation à déterminer aurait été plus importante, en sus de la question de la localisation des restes de la personne disparue pour entreprendre leur exhumation et leur restitution afin que ses proches puissent organiser une inhumation digne.

2.À mon avis, les faits exposés dans la présente communication constituent une disparition forcée et non une exécution, même si le Comité n’est pas tenu de considérer automatiquement comme exacts les faits décrits par l’auteur (le fils de la victime). Dès le départ, l’affaire exposée dans la communication a été qualifiée de disparition forcée de Božo Mandić en 1992 ; depuis cette date, on ignore quel a été son sort et où il se trouve et il n’a pas été possible de lui donner une sépulture digne. En conséquence, les effets continus de la disparition forcée existent toujours. Les autres faits qui démontrent que la communication aurait dû être considérée comme une disparition forcée sont exposés ci‑après, tels qu’ils figurent aux paragraphes 8.2, 8.3 et 8.4 de la communication :

a)Le 10 juin 1992 ou vers cette date, Božo Mandić a été blessé par un tireur isolé alors qu’il se trouvait dans la cour devant sa maison. Sa femme s’est occupée de lui jusqu’à ce qu’elle soit enlevée par des membres de l’Armée de défense territoriale bosnienne vers le 16 juin 1992 et emmenée dans un camp de concentration. Au début de juillet 1992, elle a été libérée dans le cadre d’un échange de prisonniers et a essayé de prendre contact avec son mari, mais en vain. C’est pourquoi elle a dit à son fils, Milan Mandić, que Božo Mandić avait disparu ;

b)À partir du moment où il a décidé de signaler les faits, l’auteur a fait état de l’affaire en tant que disparition forcée de son père, comme indiqué au paragraphe2.2 de la communication : i) en juillet ou août 1992, Milan Mandić a signalé trois fois la disparition de son père au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Pale ; ii) le premier certificat attestant que la disparition de Božo Mandić avait été signalée a été délivré par le CICR le 7 juillet 1995 ; iii) le 17 mars 1995, l’auteur a aussi signalé la disparition de Božo Mandić au bureau de l’Agence centrale de recherches du CICR à Zagreb, qui lui a délivré un certificat le 13 mai 1996 ;

c)Le fils de la victime, Milan Mandić, et d’autres proches de personnes disparues d’origine serbe de Bosnie ont commencé à s’organiser en association pour connaître le sort de ces disparus et l’endroit où ils se trouvaient. L’association, entre autres, a entrepris des recherches sur des emplacements possibles de fosses communes dans le canton de Sarajevo.

3.Par contraste avec ces événements dans lesquels l’affaire est qualifiée de disparition forcée, c’est huit ans après le début de la disparition forcée, en 2000, que les proches de la victime ont été informés pour la première fois que Božo Mandić avait peut-être été exécuté, lorsque Milan Mandić a appris par un témoin supposé, un certain Blagoje Pešica, que son père avait été exécuté. Ce seul témoin s’est en fait contredit et était imprécis.

4.Comme il ressort de l’exposé de l’ensemble des faits, la famille de l’auteur a toujours considéré cette affaire comme la disparition forcée de la victime ; elle n’a jamais vu ou pu vérifier que la victime avait été exécutée et la dépouille n’a toujours pas été retrouvée, de sorte que ses proches n’ont pas pu lui donner une inhumation digne. Pendant ce temps, la famille de la victime a continué de prendre des mesures pour trouver ses restes, mais en vain. Božo Mandić est toujours enregistré comme personne disparue auprès du CICR, de la Commission internationale des personnes disparues et de l’Institut des personnes disparues. La Cour constitutionnelle a aussi qualifié Božo Mandić de « personne disparue ».

5.Même si la plupart des droits qui ont été déclarés violés dans la présente communication sur la base d’une exécution extrajudiciaire auraient peut-être été les mêmes si l’on avait reconnu que les violations résultaient d’une disparition forcée, il y a des différences de fond et des différences au regard de la réparation qui doit être déterminée. Ladisparition forcée existe et constitue une infraction continue du fait que les restes de la victime n’ont pas été retrouvés. Cela a été clairement énoncé par les normes et la jurisprudence spécialisée sur le sujet, dont il ressort qu’une disparition forcée est considérée comme continue et permanente jusqu’à ce que le sort de la victime ou le lieu où elle se trouve ait été établi ; en conséquence, jusqu’à ce que le sort des personnes disparues ait été déterminé ou que leurs restes aient été dûment localisés et identifiés, le traitement juridique approprié de cette situation est celui de la disparition forcée de personnesb.

6.Je considère que, puisqu’il s’agit d’un cas de disparition forcée − et pas seulement d’une exécution extrajudiciaire − le Comité aurait dû conclure que, outre les violations déjà indiquées dans la communication, il y a eu violation des articles 7 et 16 lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte au détriment de la victime (art. 16 sur la base du principe iura novit curiae), et des articles 17 et 23 lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, au détriment de l’auteur.

Appendice II

[Original  : espagnol]

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Fabián Salvioli

1.En ce qui concerne la communication no2064/2011, Mandić c. Bosnie-Herzégovine, si je suis d’accord avec la détermination de la responsabilité internationale de l’État pour violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, j’estime que le raisonnement du Comité aurait dû être fondé sur des considérations différentes, tant en ce qui concerne la qualification des faits que l’identification des violations du Pacte.

2.En premier lieu, les faits sont constitutifs d’une disparition forcée et non d’une exécution extrajudiciaire. La disparition forcée se poursuit aujourd’hui encore, puisqu’elle constitue une infraction complexe et continue qui ne prend fin qu’avec la réapparition de la victime en vie ou l’identification de ses restes si l’intéressé est décédé. Aucune de ces deux conditions ne peut être établie dans l’affaire à l’examen. Cela aurait dû conduire le Comité à procéder à une analyse générale au titre des articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte.

3.En second lieu, je considère que les violations directes de ces articles ne peuvent être imputées à l’État de Bosnie-Herzégovine du fait des circonstances particulières de l’espèce, mais que l’État est responsable de la violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16, étant donné qu’il n’a pas offert de recours utile au regard des violations commises.

4.Je considère aussi que le Comité aurait dû constater − en raison des faits établis − la violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, en ce qui concerne Božo Mandić (le Comité a inversé l’ordre des articles dans sa décision).

5.Enfin, je souscris à la constatation par laquelle le Comité a déterminé la responsabilité de l’État partie pour la violation directe de l’article 7 au détriment de Božo Mandić.