Nations Unies

C C PR/C/116/D/2129/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr : générale

4 mai 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2129/2012 *, **

Communication présentée par :

Ramazan Esergepov (représenté par sa femme, Raushan Esergepova, et par le Bureau international du Kazakhstan pour les droits de l’homme et l’état de droit)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

30 décembre 2010 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 janvier 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

29 mars 2016

Objet :

Auteur jugé et déclaré coupable pour avoir publié des documents classés secrets

Question(s) de procédure :

Recevabilité – ratione temporis ; recevabilité – épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Détention arbitraire ; conditions de détention ; procès équitable ; préparation de la défense ; liberté d’expression

Article(s) du Pacte :

9 (par. 1 et 2), 10 (par. 1), 14 (par.1, 2 et 3 b), d) et e)), 17 (par. 1 et 2) et 19 (par. 1 et 2)

Article(s) du Protocole facultatif :

3, 5 (par. 2 a) et b))

1.L’auteur de la communication est Ramazan Esergepov, de nationalité kazakhe, né en 1956. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 9 (par. 5), et des articles 9 (par. 1, 2 et 5), 10 (par. 1), 14 (par. 1, 2 et 3 b), d) et e)), 17 (par. 1 et 2) et 19 (par. 1 et 2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour le Kazakhstan le 30 septembre 2009. L’auteur est représenté par sa femme, Raushan Esergepova, et par le Bureau international du Kazakhstan pour les droits de l’homme et l’état de droit.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est rédacteur en chef du journal Alma-Ata INFO. Le 21 novembre 2008, il a publié dans ce journal un article dont il était l’auteur intitulé « Qui dirige notre pays – le Président ou le NSC ? ». Cet article incluait des photocopies de deux projets de rapports de dossier adressés au Chef du Comité de la sécurité nationale du Kazakhstan par le Chef du Département du Comité de la sécurité nationale de la région de Zhambyl. Ces photocopies avaient été déposées au bureau du journal par une personne non identifiée ; le journal avait précédemment consacré 10 articles au même sujet. Il ressortait des rapports que le Comité de la sécurité nationale du Kazakhstan ainsi que certains responsables du Comité de la sécurité nationale de la région de Zhambyl tentaient d’influencer l’action du Président, du Bureau du Procureur général, du Bureau du procureur régional et des tribunaux. Il y était également question de violations de la Constitution, des principes d’administration de la justice et de la présomption d’innocence par un certain procureur et par un juge. Estimant que les informations figurant dans les rapports étaient d’intérêt public, l’auteur les avait publiées dans le journal.

2.2Le 1er décembre 2008, l’auteur a été convoqué au Département des enquêtes du Comité de la sécurité nationale pour Almaty pour y être interrogé en tant que témoin. Plusieurs agents du Département ont tenté de le faire monter de force dans un véhicule et de l’emmener à Taraz, en lui expliquant qu’ils agissaient à la demande de responsables du Comité de la sécurité nationale de la région de Zhambyl. Ils ne lui ont présenté aucun document officiel relatif à son arrestation et sa détention, ni donné lecture d’un tel document. L’auteur n’a été libéré le jour même que grâce à l’intervention de ses proches et de journalistes.

2.3Le 3 décembre 2008, le Procureur du district de Medeu à Almaty a engagé une action devant le Tribunal économique spécial interdistrict d’Almaty contre la société Zhuldyz Ltd. (propriétaire du journal), aux fins d’obtenir la suspension de parution du journal pendant trois mois en raison de la publication de l’article. Le 15 décembre 2008, l’auteur a porté plainte auprès du Bureau du Procureur général et du Chef du Comité de la sécurité nationale, en faisant valoir qu’il était illégal de classer « secrète » la correspondance interdépartementale du Comité. Le 24 décembre 2008, l’auteur a, au nom de la société Zhuldyz Ltd., formé une demande reconventionnelle fondée sur le même motif devant le Tribunal économique spécial interdistrict d’Almaty.

2.4Le 25 décembre 2008, l’auteur a été hospitalisé à l’Institut médical de cardiologie pour cardiopathie ischémique, sténocardie progressive, hypertension de troisième degré et diabète. Durant son hospitalisation, l’auteur a établi une procuration valable trois ans en faveur de sa femme pour que celle-ci puisse représenter ses intérêts en toute matière civile ou pénale. Le 6 janvier 2009, le traitement médical de l’auteur a été interrompu par des agents du Comité de la sécurité nationale qui ont procédé à son arrestation sans lui en indiquer les motifs. Ils lui ont seulement dit que le Comité de la sécurité nationale de la région de Zhambyl leur avait ordonné oralement de l’arrêter et de l’amener à Taraz. Durant le trajet de huit heures jusqu’à Taraz, l’auteur a été menotté, en dépit de son état de santé. À son arrivée, il a été placé dans le centre de détention provisoire de la région de Zhambyl où, en raison du froid régnant dans sa cellule, il a contracté une bronchite. Le 9 janvier 2009, la détention de l’auteur a été autorisée par le Tribunal no 2 de Taraz. Ce n’est qu’à l’audience de ce tribunal que l’auteur a eu connaissance des accusations portées contre lui par le Comité de la sécurité nationale et a appris qu’il avait désormais le statut de suspect, et non plus de témoin, pour la commission d’infractions prévues par les articles 172 3) et 228 du Code pénal. Les charges ont été ensuite requalifiées, les faits en cause étant censés tomber sous le coup des articles 172 4), 228 et 339 2) du Code pénal. L’auteur affirme n’avoir jamais reçu aucun document du tribunal relatif à sa détention ni à la prolongation ultérieure de celle-ci.

2.5Le 15 janvier 2009, la femme de l’auteur a été informée par un enquêteur du Comité de la sécurité nationale de la région de Zhambyl qu’elle ne pourrait être reconnue comme la représentante légale de son mari que si elle disposait d’une habilitation de sécurité pour avoir accès à des documents secrets. Le recours formé contre cette décision auprès du Bureau du procureur de la région de Zhambyl le 22 janvier 2009 a été rejeté le 16 mars 2009.

2.6L’auteur soutient que, compte tenu de l’intérêt que présentait l’issue de l’affaire pour le Comité de la sécurité nationale de la région de Zhambyl, les enquêteurs de celui‑ci ne pouvaient pas assurer l’objectivité et l’impartialité de l’enquête pénale. C’est pourquoi, le 2 février 2009, invoquant une violation des principes de la procédure pénale, l’auteur a soumis une requête au Tribunal no 2 de Taraz pour que l’enquête pénale soit déléguée à d’autres organes. Il a soumis des requêtes analogues au Bureau du Procureur général du Kazakhstan et au Bureau du Procureur de la région de Zhambyl les 5 et 9 février 2009, respectivement. Bien que ces requêtes aient été transmises au Tribunal no 2 de Taraz, celui‑ci ne les a jamais examinées.

2.7Le 3 février 2009, l’attaché de presse du Comité de la sécurité nationale a organisé une conférence de presse au cours de laquelle il a présenté aux journalistes la copie d’une lettre que l’auteur aurait adressée à un homme d’affaires, M., à titre de preuve de l’intérêt financier qu’aurait eu l’auteur à publier des documents du Comité de la sécurité nationale. L’auteur soutient que cette lettre était un faux.

2.8Le 10 février 2009, le Tribunal économique spécial interdistrict d’Almaty a estimé que les rapports du Comité de la sécurité nationale avaient un caractère secret et a ordonné la suspension pour un mois de la parution du journal. Ni l’auteur, en sa qualité de rédacteur en chef et d’auteur de l’article, ni d’autres représentants de la rédaction n’avaient été admis aux audiences, au motif qu’aucun d’entre eux n’était autorisé à avoir accès à des documents secrets. Le 18 mars 2009, l’appel interjeté par l’auteur au nom de la société Zhuldyz Ltd. a été rejeté par le tribunal municipal d’Almaty. Les recours ultérieurs n’ont pas non plus abouti : la demande de contrôle a été rejetée le 7 mai 2009, et le 13 août 2009, la Cour suprême a confirmé la décision du 10 février 2009 du Tribunal économique spécial interdistrict d’Almaty.

2.9Le 3 mars 2009, la femme de l’auteur a soumis au Comité de la sécurité nationale d’Almaty une demande d’accès à des documents secrets afin de pouvoir représenter les intérêts de son mari devant les tribunaux. Sa requête a été rejetée le 28 mars 2009.

2.10Le 24 juillet 2009, la femme de l’auteur a, au nom de celui-ci, saisi le Tribunal de district de Medeu d’une action en matière civile, faisant valoir que les lettres du Comité de la sécurité nationale publiées dans le journal ne divulguaient aucun secret d’État. Elle se fondait sur les dispositions de l’article 17, première partie (alinéas 4 et 6) et deuxième partie, de la loi sur les secrets d’État. Le 29 septembre 2009, le tribunal a mis fin à l’instance au motif que de telles demandes ne pouvaient pas être examinées dans le cadre d’une procédure civile. Cette décision a été confirmée le 8 décembre 2009 par la Chambre judiciaire des affaires civiles du Tribunal municipal d’Almaty.

2.11Le 8 août 2009, le Tribunal no 2 de Taraz a déclaré l’auteur coupable d’infractions visées à l’article 172, paragraphe 1, et à l’article 339, paragraphe 2, du Code pénal et l’a condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement et à la privation pendant deux ans du droit d’exercer une activité d’édition.

2.12Le 22 octobre 2009, la Chambre judiciaire des affaires pénales de la Cour régionale de Zhambyl a confirmé en appel la décision du Tribunal no 2 de Taraz. La demande de contrôle soumise par l’auteur à la Cour régionale a été rejetée le 14 décembre 2009. Une requête analogue a été rejetée par la Cour suprême le 24 mai 2010. Les recours exercés auprès du Bureau du Procureur ont eux aussi été vains.

2.13L’auteur affirme que les pièces du dossier ont été classées secrètes et que le texte complet des documents de procédure, y compris le jugement de condamnation et les décisions rendues en appel, ne lui a jamais été remis. Il a ainsi été empêché de se pourvoir efficacement contre les décisions judiciaires dont il a fait l’objet et d’épuiser tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il a été arrêté illégalement à deux reprises par des agents du Comité de la sécurité nationale avant d’être accusé d’une quelconque infraction : d’abord le 1er décembre 2008, lorsqu’il a été convoqué pour être interrogé comme témoin, puis le 6 janvier 2009, lorsqu’il a été emmené de l’Institut de cardiologie pour être placé dans le centre de détention provisoire de la région de Zhambyl. En ces deux occasions, il n’a pas été informé des motifs de son arrestation ni des éventuelles accusations officiellement portées contre lui. Ce n’est qu’au cours de l’audience judiciaire concernant la légalité de son arrestation que l’auteur a appris ce dont il était accusé. Il soutient donc qu’il y a eu violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte.

3.2L’auteur allègue aussi une violation du paragraphe 1 de l’article 10 parce que, au cours de l’enquête et de la procédure judiciaire, soit de janvier à décembre 2009, il n’a pas eu accès à des soins médicaux et n’a pas reçu le traitement requis par ses problèmes de santé dans le service médical du centre de détention. Il n’a pas non plus été soigné dans la colonie pénitentiaire où il a purgé sa peine.

3.3S’agissant de ses allégations au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’auteur soutient que dans son cas, la procédure judiciaire ne répondait pas à la condition de publicité requise. Les audiences étaient interdites au public pour des motifs de sécurité nationale puisque le tribunal estimait que le dossier contenait des secrets d’État. Le jugement a été prononcé à huis clos et un communiqué de presse en a publié le dispositif à l’issue du procès. Le jugement n’a pas été signifié à l’auteur et celui-ci n’en a toujours pas reçu le texte intégral. De plus, selon l’auteur, la condition d’indépendance n’était pas remplie, la peine ayant été prononcée par un juge dont le frère était un membre du Comité de la sécurité nationale de la région de Zhambyl. Bien que l’auteur ait demandé plusieurs fois la récusation de ce juge, ses demandes ont été rejetées.

3.4L’auteur fait valoir que son droit à la présomption d’innocence n’a pas été respecté, en violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. Durant l’enquête préliminaire, l’attaché de presse du Comité de la sécurité nationale a, lors d’une conférence de presse, fait des déclarations non vérifiées à propos d’une prétendue collusion entre l’auteur et un homme d’affaires de Taraz et a présenté comme écrite par l’auteur une lettre confirmant l’intérêt qu’aurait eu celui-ci à publier les lettres du Comité de la sécurité nationale dans son journal.

3.5Vu que les documents ont été classés secrets et que les autorités ont refusé de communiquer l’essentiel des pièces liées aux instances pénales et civiles, l’auteur affirme avoir été privé de la possibilité de préparer sa défense et de communiquer avec le conseil de son choix, en violation des alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte. L’agent enquêteur du Comité de la sécurité nationale a refusé d’autoriser deux avocats et la femme de l’auteur à participer à la procédure en invoquant l’absence d’autorisation d’accès à des documents secrets. Durant le procès devant le Tribunal de Taraz, l’auteur a de nouveau demandé à être défendu par sa femme et par deux avocats, mais sa demande a été rejetée pour la même raison. À des dates non précisées, la femme de l’auteur et les avocats ont présenté de nombreuses requêtes pour demander une habilitation de sécurité, mais sans succès. Le Tribunal n’a pas non plus autorisé l’auteur à se défendre lui-même et a commis un avocat d’office pour représenter ses intérêts, sans son consentement. L’auteur a refusé les services de cet avocat.

3.6L’auteur allègue aussi une violation de l’alinéa e) du paragraphe 3 de l’article 14, en ce que le tribunal a refusé de convoquer plusieurs témoins importants cités par l’auteur, notamment des fonctionnaires du Comité de la sécurité nationale et un procureur, dont les dépositions auraient pu considérablement influer sur l’issue du procès. Le tribunal a aussi refusé de nommer des experts linguistes indépendants et impartiaux pour qu’ils procèdent à l’analyse des lettres du Comité de la sécurité nationale publiées dans le journal.

3.7L’auteur affirme que les droits qu’il tient des paragraphes 1 et 2 de l’article 17 du Pacte ont été violés. Il indique qu’en décembre 2008, au cours d’une conférence de presse, des fonctionnaires du Comité de la sécurité nationale ont prétendu avoir trouvé, lors d’une perquisition au domicile de l’auteur, d’autres documents secrets prêts à être publiés. De plus, une autre perquisition dans les locaux d’une société appartenant à un homme d’affaires dont l’identité n’a pas été révélée a permis de découvrir une somme de 2 milliards de tenge kazakhs présentée comme étant destinée à l’auteur à titre de récompense pour la publication d’informations secrètes dans son journal. Bien que l’enquête n’ait permis de découvrir aucune preuve corroborant ces affirmations, le chef du Comité de la sécurité nationale, qui était également à l’époque le représentant du Kazakhstan à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), les a largement diffusées dans les médias et lors de réunions de l’OSCE. Selon l’auteur, la diffusion d’informations diffamatoires a porté atteinte à sa réputation et a violé le principe de la présomption d’innocence.

3.8Enfin, en renvoyant à l’observation générale no 34 (2011) du Comité des droits de l’homme, relative à la liberté d’opinion et la liberté d’expression, l’auteur affirme être victime d’une violation des droits qu’il tient des paragraphes 1 et 2 de l’article 19 du Pacte. Selon lui, il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement pour avoir exprimé son opinion personnelle et critique. Les dossiers qu’il a publiés ne contenaient pas d’informations susceptibles d’être considérées comme des secrets d’État dans les domaines de la défense, de l’économie, de l’éducation, de la science et de la technologie, du renseignement ou du contre-espionnage. Ils ne révélaient aucune information sur les forces, les moyens et les méthodes d’enquête utilisés dans les affaires pénales touchant à la sécurité de l’État partie, et ne contenaient pas d’informations susceptibles de menacer l’intégrité territoriale de l’État ou son indépendance politique. En se fondant sur l’observation générale no 10 (1983) du Comité, relative à la liberté d’opinion, l’auteur estime que les restrictions à sa liberté d’expression n’ont pas été imposées pour les motifs énumérés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, puisqu’il n’a fait que révéler le comportement potentiellement répréhensible de membres des services de sécurité dans le cadre de leur enquête sur un homme d’affaires local, et que de telles informations ne mettent nullement en cause la sécurité nationale de l’État. L’auteur ajoute que les restrictions ne visaient pas à protéger les droits ou la réputation d’autrui, parce que des articles avaient déjà été publiés sur les éventuelles irrégularités commises par des responsables de la sécurité et qu’apparemment, le Gouvernement ne prétend pas que l’article contenait de fausses informations. Si tel avait été le cas, l’auteur aurait été accusé de diffamation. Il affirme par ailleurs que les restrictions n’étaient pas nécessaires ni proportionnées au regard des dispositions de l’article 19. L’auteur était non pas un agent de l’État soumis à une obligation de confidentialité à l’égard des secrets d’État, mais un journaliste qui remplissait son devoir d’informer la société d’allégations de corruption. Il soutient que sa condamnation à une peine de prison pour la publication de documents de grande importance pour le public était disproportionnée, violait sa liberté d’expression, a eu un effet dissuasif sur la presse et les défenseurs des droits de l’homme au Kazakhstan et ne répondait pas au critère de « nécessité » énoncé au paragraphe 3 de l’article 19.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 9 avril 2012, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication. Il affirme que conformément à l’article 19 du Pacte et à l’article 39 de sa constitution, les droits de l’homme et libertés fondamentales peuvent faire l’objet de certaines restrictions, qui sont prévues par la loi et nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. La loi relative aux médias interdit la divulgation d’informations qui constituent un secret d’État ou tout autre secret protégé par la loi ; la propagande en faveur de l’extrémisme ou du terrorisme et leur justification ; la diffusion d’informations concernant les modalités techniques et les tactiques d’opérations antiterroristes en cours ; la propagande en faveur de substances illicites ; ainsi que le culte de la cruauté, de la violence et de la pornographie. En vertu de l’article 14.1 de la loi sur les secrets d’État, les informations relatives aux forces, aux méthodes, aux sources, aux moyens, aux plans, à l’état, à l’organisation, ou aux résultats d’enquêtes qui n’ont pas été utilisées dans le cadre d’un procès pénal constituent des secrets d’État. L’État partie renvoie aussi à l’article 172 1) du Code pénal, et conclut que la loi sur les secrets d’État n’est pas contraire au droit international, notamment au Pacte.

4.2L’État partie soutient que le 27 novembre 2008, en dépit de ces restrictions, l’auteur, en sa qualité de rédacteur en chef du journal Alma-Ata INFO, a publié et posté sur le site Web du journal un article contenant des informations sur les investigations menées dans une affaire pénale d’évasion fiscale. Selon l’analyse de la commission permanente sur la protection des secrets d’État de la région de Zhambyl, les informations publiées par l’auteur constituaient un secret d’État. L’auteur a compromis l’action de l’organe de la sécurité de l’État en tentant d’empêcher la conduite d’une enquête approfondie contre M., le dirigeant de la société en cause. En se livrant à l’évasion fiscale, M. et ses associés ont causé à l’État un préjudice de 23 milliards de tenge (environ 157 millions de dollars). La publication de l’article a renseigné un grand nombre de personnes sur les modalités et méthodes d’enquête utilisées, et sur les personnes collaborant à l’enquête, et a entraîné pour l’État des pertes s’élevant à environ 24,5 milliards de tenge. Le 24 janvier 2009, M. a pleinement reconnu sa culpabilité et a été condamné. Un agent du département des enquêtes a également été reconnu coupable de corruption passive pour avoir communiqué à M. les documents secrets publiés par l’auteur. Le 8 août 2009, l’auteur a été reconnu coupable des infractions prévues aux articles 172 1) et 339 2) du Code pénal et condamné à une peine cumulée de trois ans d’emprisonnement, et son droit d’exercer une activité d’édition a été suspendu pendant deux ans.

4.3Le jugement a été confirmé en appel le 22 octobre 2009 par la Chambre judiciaire des affaires pénales de la Cour régionale de Zhambyl. La peine applicable à la divulgation de secrets d’État est pleinement conforme aux normes internationales. Celle qui a été prononcée dans le cas de l’auteur n’est pas liée à ses propos critiques ni à ses opinions politiques. L’interdiction d’exercer des fonctions d’édition pendant deux ans visait à empêcher l’auteur de récidiver, vu qu’il avait commis une infraction dans le cadre d’une activité d’édition et de journalisme. Cependant, la liberté de l’auteur, en tant que citoyen kazakh, d’avoir une opinion et de l’exprimer, conformément à l’article 19, n’a pas été limitée. L’auteur a été libéré le 6 janvier 2012, après avoir purgé sa peine.

4.4Durant le procès, l’auteur et sa femme ont soumis 12 requêtes différentes au tribunal en faisant valoir que l’examen de l’affaire était empreint de partialité. Ces requêtes ont été transmises au tribunal et il a été expliqué qu’en cas de désaccord sur la décision rendue en première instance, les parties avaient le droit de faire appel. À l’issue du procès, six autres plaintes ont été déposées par l’auteur et sa femme. Le Bureau du Procureur général a demandé le dossier au tribunal, a réexaminé l’affaire et a donné une réponse motivée concernant l’absence de fondement pour une motion de protestation. À la suite de deux autres plaintes de l’auteur et de sa femme, le 19 mars 2010, le Bureau du Procureur général a redemandé le dossier. Le Bureau du Procureur de Zhambyl a fait savoir que, le 17 mars 2010, le dossier avait été transmis à la chambre de la Cour suprême chargée de la procédure de contrôle. L’auteur a été informé que, si la Cour suprême rejetait sa demande, il aurait le droit de demander au Bureau du Procureur général d’introduire une motion de protestation contre les décisions le concernant. Le 24 mai 2010, la Cour suprême a rejeté la demande de contrôle présentée par l’auteur. Après cette date, le Bureau du Procureur n’a été saisi d’aucune autre demande de contrôle. Dans ces conditions, l’État partie soutient que lorsqu’il a présenté sa communication au Comité des droits de l’homme, l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles et que sa communication est donc irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.5À propos de l’allégation de l’auteur selon laquelle il a été illégalement arrêté par des agents du Comité de la sécurité nationale, l’État partie fait valoir que le 27 novembre 2008, le Département des enquêtes de la région de Zhambyl a ouvert une enquête pénale contre l’auteur en vertu de l’article 172 3) du Code pénal. Le même jour, une ordonnance a été émise contre l’auteur aux termes de laquelle il ne devait pas quitter sa ville de résidence sans autorisation judiciaire, ne devait pas entraver l’enquête et devait se présenter pour être interrogé par les enquêteurs. Le 29 novembre 2008, lors d’une perquisition dans les locaux du journal, l’auteur s’est mis à invectiver les agents et à faire obstruction à leur action. Il a été pris de nausées, sa pression sanguine a augmenté et il a refusé d’assister à la perquisition. Le personnel médical d’urgence appelé sur les lieux l’a orienté vers un hôpital de cardiologie. La perquisition s’est poursuivie en présence du personnel du journal et de témoins assermentés. L’auteur a été convoqué pour être entendu au Département des enquêtes d’Almaty le 1er décembre 2008. Il y a été informé qu’il devait se rendre au Département du Comité de la sécurité nationale à Zhambyl aux fins de l’enquête ; une convocation au bureau du Comité de la sécurité nationale à Taraz lui a été remise et il a accepté de s’y rendre. Après en être sorti en compagnie d’agents du Comité de la sécurité nationale, il a subitement sauté hors du véhicule et a commencé à crier qu’il était victime d’un enlèvement. Après avoir tenté en vain de le calmer, les agents l’ont laissé rentrer chez lui. Par la suite, un enquêteur a donné l’ordre d’amener l’auteur de force à Taraz, conformément à l’article 158 du Code de procédure pénale. Le 6 janvier 2009, l’auteur, qui était alors hospitalisé à Almaty, a été remis par des agents des forces spéciales, accompagnés d’un cardiologue, au bureau du Comité de la sécurité nationale à Taraz, où il a été interrogé. Un certificat médical a été délivré par des spécialistes en cardiologie attestant qu’il n’existait aucun empêchement d’ordre médical au transport et à l’interrogatoire de l’auteur. Celui-ci n’a pas été soumis à des méthodes illégales d’interrogation, n’a pas été menotté et son état était satisfaisant.

4.6Également le 6 janvier, l’auteur a été placé dans un centre de détention provisoire du Département de l’intérieur de la région de Zhambyl, à l’écart des autres détenus. Le 8 janvier 2009, une action pénale a été engagée contre lui et l’auteur a été informé des faits qui lui étaient reprochés au titre de l’article 339 du Code pénal. Le même jour, le Tribunal de Taraz a ordonné son placement en détention provisoire. L’auteur a porté plainte contre les agents du Comité de la sécurité nationale qui l’avaient placé en détention. Après examen de ses griefs, une décision a été rendue le 14 mars 2009 par un inspecteur principal du Comité de la sécurité nationale qui a refusé d’engager une action pénale contre ces agents. Le Bureau du Procureur général militaire a approuvé cette décision.

4.7S’agissant des griefs soulevés par l’auteur concernant la violation de son droit de se défendre et de son droit d’être assisté par un défenseur de son choix, l’État partie fait valoir que ses arguments ne sont pas fondés puisque le dossier contenait des documents classés secrets. En vertu de l’article 53 du Code de procédure pénale, des mesures doivent être prises durant le procès afin de protéger les secrets d’État. Les éléments de preuve contenant des secrets d’État doivent être examinés à huis clos. La loi relative aux secrets d’État définit les conditions d’accès des parties au procès à des informations secrètes. C’est pourquoi le procès s’est déroulé à huis clos. Durant l’instruction, l’auteur avait désigné quatre avocats, avant de refuser leurs services. Lors du procès, le président du tribunal a commis d’office un défenseur, qui avait une habilitation de sécurité, pour représenter l’auteur. Compte tenu du fait que les avocats choisis par l’auteur n’avaient pas d’habilitation de sécurité, trois d’entre eux ont reçu une autorisation d’accès à des documents confidentiels. L’auteur a reçu un résumé de l’acte d’accusation et du jugement, puisque ces documents contenaient des renseignements classés secrets. Le droit de l’auteur de se défendre a donc été respecté.

4.8L’État partie rejette les allégations de l’auteur selon lesquelles il n’aurait pas reçu d’assistance médicale après son arrestation ; il indique que l’auteur a été arrêté le 6 janvier 2009 et placé dans un centre de détention provisoire aux fins de l’enquête, où un examen médical a été pratiqué. Son état a été jugé satisfaisant ; il a été constaté qu’il souffrait d’hypertension et de coronaropathie. Le 10 janvier 2009, il a été transféré dans un centre de détention provisoire où il a été de nouveau examiné par un médecin. Il ne s’est pas plaint de troubles de santé. Durant son séjour au centre, il a été examiné deux fois par mois ; il a en outre consulté le centre médical neuf autres fois de sa propre initiative. Il a reçu des médicaments pour le cœur, des diurétiques et des vitamines. Il ne s’est jamais plaint de l’absence de traitement médical. Le 16 décembre 2009, l’auteur a été transféré à la prison de la région de Zhambyl pour y purger sa peine. À son arrivée, il a été soumis à un examen médical. Il n’a pas fait état de troubles de santé. Le 20 décembre 2009, il a commencé à se plaindre de maux de tête, de nausées et de douleurs dans la poitrine. Il a été hospitalisé dans le service médical de l’établissement, où il a été constaté qu’il souffrait de diabète, de sténocardie et d’hypertension et où des médicaments lui ont été administrés. Il est resté au service médical jusqu’au 11 janvier 2010. Le 9 février 2010, l’auteur a été emmené en consultation à l’hôpital de Taraz où il a été examiné et a reçu le traitement pharmaceutique approprié. Il a été également hospitalisé dans le service médical de la prison entre le 12 et le 30 juillet 2010 et a été examiné par un spécialiste le 8 novembre 2010 et le 2 septembre 2011.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires datés du 20 juin 2012, l’auteur soutient que les informations fournies par l’État partie contiennent des inexactitudes sur le non-épuisement des recours internes. Il dit qu’il a bien présenté des demandes de contrôle au Bureau du Procureur ainsi qu’à la Présidence de la Cour suprême du Kazakhstan. Ces demandes ont été rejetées au motif que seules les parties à la procédure peuvent former un recours contre les condamnations pénales. L’auteur affirme que sa femme et ses avocats n’ont pas été autorisés à participer aux audiences du tribunal. L’avocat commis d’office n’a rien fait pour le défendre à l’audience.

5.2L’auteur soutient que ses nombreuses plaintes adressées aux organes chargés de faire appliquer la loi et aux organisations internationales ne sont jamais parvenues à leurs destinataires. C’est pourquoi il affirme que tous les recours disponibles en droit interne ont été épuisés.

5.3L’auteur indique aussi que si l’État partie a affirmé que l’enquête pénale contre lui avait été ouverte le 27 novembre 2008, en réalité ce n’est que le 5 janvier 2009 que cette enquête a été ouverte. Selon lui, il n’a pas été informé qu’une ordonnance d’interdiction avait été émise à son encontre le 27 novembre 2008, et il n’en a découvert l’existence qu’en lisant les observations adressées par l’État partie au Comité. Il conteste avoir fait obstruction à la perquisition des locaux de son journal et affirme que celle-ci a été filmée ; il affirme également que cette perquisition a été menée en violation de l’article 220 du Code de procédure pénale. L’auteur réaffirme que le 1er décembre 2008, les agents du Comité de la sécurité nationale l’ont arrêté sans lui présenter aucun document, mais qu’il a réussi à leur échapper avec l’aide de journalistes et de proches, et qu’il a demandé l’asile à l’ambassade des États-Unis d’Amérique. Lors d’une conférence de presse tenue le lendemain, le Comité de la sécurité nationale a déclaré que l’auteur était un témoin et qu’il pouvait décider de faire sa déposition à Almaty ou à Taraz. Le 6 janvier 2009, l’auteur a été enlevé de l’hôpital sans pouvoir achever son traitement médical. À son arrivée à Taraz, sa tension artérielle était de 100/190 et le médecin a dû lui administrer « une injection d’urgence ». L’auteur réaffirme qu’il n’a reçu aucun traitement médical durant sa détention provisoire et que s’il a reçu des médicaments en prison, chaque fois qu’il se plaignait de douleurs d’origine cardiaque, l’ambulance arrivait une semaine plus tard.

5.4L’auteur reprend la plupart de ses arguments concernant la légalité de sa condamnation et maintient que le ministère public n’a jamais prouvé qu’il avait obtenu illégalement les documents publiés.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans des observations en date du 27 juillet 2012, l’État partie réaffirme que l’auteur a été reconnu coupable et condamné en application des articles 172 1) et 339 2) du Code pénal (voir par. 4.2 ci-dessus), que le jugement a été confirmé en appel et que la Cour régionale de Zhambyl et la Cour suprême ont rejeté les demandes de contrôle le 14 décembre 2009 et le 24 mai 2010, respectivement. L’État partie réaffirme que les griefs de l’auteur concernant les violations de son droit de se défendre sont dénués de pertinence parce que le dossier contenait des documents classés secrets.

6.2L’État partie réaffirme aussi que les griefs de l’auteur selon lesquels les agents du Comité de la sécurité nationale auraient violé ses droits ont été examinés par le tribunal. À cet égard, il renvoie à la décision no 7 de la Cour suprême en date du 28 décembre 2009 relative à l’application de la législation pénale et de procédure pénale concernant le respect de la liberté individuelle et de la dignité de la personne, et la lutte contre la torture, la violence et les autres peines ou traitements cruels ou dégradants, qui prescrit aux tribunaux de déléguer au ministère public les vérifications nécessaires et fixe le délai dans lequel celles-ci doivent être menées à bien.

Nouveaux commentaires de l’auteur

7.1Dans une communication en date du 2 septembre 2013, l’auteur indique avoir été libéré le 6 janvier 2012 après avoir exécuté sa peine. Il avait été arrêté le 6 janvier 2009. En vertu de l’article 62-1 de la loi sur le calcul des peines et le début de leur exécution, selon lequel la durée de la peine est calculée en mois et en années, et de l’article 173 du Code de l’application des peines, qui dispose que lorsqu’une peine est calculée en mois, elle expire à la date correspondante du dernier mois, l’auteur s’attendait à être libéré avant midi le 5 janvier 2012. Or l’administration pénitentiaire et le Bureau du Procureur lui ont fait savoir qu’il serait libéré le 6 janvier 2012 et que la pratique habituellement suivie était de libérer les détenus ayant purgé leur peine à la date correspondant à celle de leur arrestation. Le 15 mars 2012, l’auteur a saisi le Tribunal de district de Medeu à Almaty pour contester les irrégularités commises par les agents de l’État au regard de l’article 278 (par. 1 et 2) du Code de procédure civile. Le 24 avril 2012, le tribunal a rejeté son recours. Le 1er juin 2012, la Chambre d’appel du Tribunal municipal d’Almaty a confirmé la décision du Tribunal de district de Medeu. Le 16 août 2012, la Cour de cassation d’Almaty saisie d’un pourvoi a confirmé les décisions des juridictions inférieures. Le 29 novembre 2012, la chambre de contrôle pour les affaires civiles et administratives de la Cour suprême a accédé à la demande de contrôle de l’auteur ; le 11 janvier 2013, la même chambre a partiellement fait droit au recours de l’auteur, mais ne lui a pas accordé d’indemnisation.

7.2L’auteur affirme avoir été illégalement privé de liberté du 5 au 6 janvier 2012, soit pendant une journée après l’expiration de sa peine d’emprisonnement. Il fait valoir qu’il y a donc eu violation des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte et renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme. Il soutient aussi que le fait qu’aucune réparation ne lui ait été accordée pour sa libération tardive de prison viole le droit qui lui est garanti par le paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte et qu’il ne lui a pas été offert de recours utile pour les violations susmentionnées commises par l’État partie, en infraction au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Nouvelles observations de l’État partie

8.1Dans des observations en date du 27 novembre 2013, l’État partie indique que, le 11 janvier 2012, la Cour suprême a rendu une décision déclarant illégale l’action du Directeur de la prison 158/2, à savoir la remise en liberté tardive de l’auteur. La Cour a également décidé, au motif que la remise en liberté des détenus qui ont purgé leur peine ne relevait pas de la compétence du Bureau du Procureur général, du Bureau du Procureur de Zhambyl ni du Ministère de l’intérieur, que les responsables de ces institutions n’avaient pas violé la loi. La Cour n’a pas indemnisé l’auteur pour sa remise en liberté tardive.

8.2Dans une communication en date du 18 février 2016, l’État partie soutient que la communication est irrecevable ratione temporis au regard de l’article premier du Protocole facultatif parce que les actions et décisions des autorités policières et judiciaires ont eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour le Kazakhstan et ne peuvent être qualifiées de continues. L’action pénale contre l’auteur a été engagée le 27 novembre 2008 ; le Tribunal de Taraz a rendu un jugement contre lui le 8 août 2009, lequel a été confirmé par une juridiction de deuxième instance le 22 octobre 2009.

8.3Sur le fond de la communication, l’État partie réaffirme que celle-ci devrait être déclarée mal fondée, parce que les droits envisagés au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte peuvent être soumis aux restrictions prévues au paragraphe 3 du même article. Renvoyant à l’article 20 de sa constitution, l’État partie déclare que son droit interne est pleinement conforme à ces dispositions. Il ajoute que la publication de secrets d’État est considérée comme une divulgation au sens de l’article premier de la loi sur les secrets d’État et est réprimée par l’article 172 du Code pénal. L’État partie renvoie à ses précédentes observations concernant la légalité du jugement et de la peine prononcée.

8.4L’État partie réaffirme aussi que durant l’instruction et le procès, l’auteur a choisi quatre avocats pour le représenter, puis a refusé leurs services. Le 13 avril 2009, le Tribunal no 2 de Taraz a rendu une décision autorisant trois avocats et trois défenseurs publics à participer à la défense de l’auteur, à condition qu’ils produisent la preuve d’une habilitation de sécurité leur donnant accès à des secrets d’État. À la demande du Tribunal, le Département du Comité de la sécurité nationale à Zhambyl a informé les avocats de la procédure à suivre pour obtenir une habilitation de sécurité, mais ceux-ci ne l’ont pas suivie et n’ont pas présenté d’habilitation de sécurité au Tribunal. Ultérieurement, l’auteur a désigné un autre avocat, Me M., pour le représenter et celui-ci a obtenu une habilitation de sécurité, mais le 5 juin 2009 il a informé le Tribunal qu’il ne représentait plus l’auteur. L’auteur a soumis une déclaration indiquant qu’il refusait les services de Me M. ou de tout autre avocat et voulait se défendre lui-même. Le Tribunal a tenu compte de l’article 71 1) 9) du Code de procédure pénale en vigueur à l’époque, aux termes duquel la présence d’un défenseur est obligatoire lorsqu’un procureur participe à l’instance pénale, et il a commis d’office un avocat, détenteur d’une habilitation de sécurité, pour représenter l’auteur.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

9.1Dans des commentaires datés du 26 février 2016, l’auteur a contesté l’argumentation de l’État partie tendant à démontrer l’irrecevabilité ratione temporis de sa communication. Il indique que, malgré ses protestations, la juridiction d’appel a réexaminé son affaire le 22 octobre 2009 en son absence, mais en présence de l’avocat commis d’office par le tribunal. En outre, ni l’auteur ni les avocats choisis par lui n’ont participé à la procédure de cassation devant le tribunal de district (le 14 décembre 2009) ou à la procédure de contrôle devant la Cour suprême (date non précisée). L’auteur réaffirme que le Comité de la sécurité nationale a refusé d’autoriser ses avocats et sa femme à participer au procès, en invoquant l’absence d’autorisation d’accès à des documents secrets, et il soutient que le Comité de la sécurité nationale n’a pas exécuté la décision du tribunal du 13 avril 2009. L’auteur affirme que le Tribunal de Taraz a rejeté sa demande tendant à être présent à son procès et à se défendre lui-même et a, sans son consentement, commis un avocat d’office pour représenter ses intérêts, et que cet avocat a agi à son détriment. L’auteur réitère que ses recours visant à contester le caractère secret des documents publiés ont été rejetés par les tribunaux (voir par. 2.10 ci-dessus) et qu’il a été ainsi privé du droit d’être défendu par un avocat de son choix.

9.2L’auteur maintient que l’action pénale engagée à son encontre visait à faire obstacle à sa liberté de parole, à intimider la société civile et à couvrir la corruption de certains représentants de l’État. Il fait valoir que le jugement prononcé contre lui était illégal puisqu’à cette époque, seuls les agents du Comité de la sécurité nationale, et non les journalistes, encouraient la responsabilité prévue à l’article 172 1) et à l’article 339 2) du Code pénal et que ce n’est que le 16 novembre 2011 que le champ d’application de ces dispositions a été étendu aux journalistes.

9.3L’auteur réaffirme qu’il a été illégalement privé de sa liberté du 5 au 6 janvier 2012 et que, bien que la Cour suprême ait reconnu l’illégalité de sa détention, aucun responsable n’a été sanctionné.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif puisqu’après le rejet par la Cour suprême, le 24 mai 2010, de sa demande de contrôle, l’auteur avait le droit de demander au Bureau du Procureur général d’introduire une motion de protestation contre les décisions le concernant. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle une requête aux fins de contrôle adressée au ministère public en vue d’obtenir le réexamen de décisions de justice devenues exécutoires ne constitue pas un recours devant être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité relève en outre que, selon les observations de l’État partie, après la fin du procès, l’auteur et sa femme ont saisi le Bureau du Procureur général de six nouveaux recours, que ceux-ci ont été examinés ensemble et que le Bureau du Procureur général a réexaminé le dossier et, à une date non précisée, a répondu par une décision motivée que rien ne justifiait l’introduction d’une motion de protestation. Dans ces circonstances, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

10.4Le Comité note que les violations alléguées de l’article 9 du Pacte, concernant l’enlèvement de l’auteur par des agents du Comité de la sécurité nationale le 1er décembre 2008 et le 6 janvier 2009, sont antérieures au 30 septembre 2009, date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Le Comité note aussi que les griefs de l’auteur relatifs à la violation alléguée des droits qu’il tient des paragraphes 1 et 2 de l’article 17 concernent des faits qui eux aussi sont antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. En conséquence, en application de l’article premier du Protocole facultatif, le Comité est empêché ratione temporis d’examiner ces griefs.

10.5Le Comité constate également que, si le procès en première instance a eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, la décision de deuxième instance confirmant intégralement le jugement prononcé contre l’auteur a été rendue le 22 octobre 2009, et les demandes de contrôle soumises par l’auteur à la Cour régionale et à la Cour suprême ont été rejetées respectivement le 14 décembre 2009 et le 24 mai 2010. Le Comité n’est donc pas empêché ratione temporis d’examiner les griefs de l’auteur au titre des articles 14 et 19 du Pacte. De même, le Comité n’est pas empêché ratione temporis d’examiner les griefs de l’auteur au titre de l’article 10, dans la mesure où ces griefs concernent la période postérieure au 30 septembre 2009.

10.6Le Comité prend de plus note des allégations de l’auteur selon lesquelles le principe de la présomption d’innocence garanti au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte n’a pas été respecté dans son cas parce que durant l’enquête préliminaire, des déclarations d’un haut responsable gouvernemental ont été diffusées dans les médias et lors de réunions de l’OSCE. Le Comité note que la déclaration faite par un représentant kazakh lors d’une réunion de l’OSCE en réponse à une déclaration adressée au Gouvernement du Kazakhstan avait un caractère général et que rien dans les éléments dont il dispose ne montre qu’elle aurait porté atteinte au droit à la présomption d’innocence de l’auteur. Le Comité considère donc que, faute d’être suffisamment étayé, le grief que l’auteur tire du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.7Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs au titre des paragraphes 1 et 5 de l’article 9 et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les paragraphes 1 et 5 de l’article 9 (à propos de sa remise en liberté tardive une fois sa peine purgée), de l’article 10, de l’article 14 et de l’article 19 du Pacte et il va donc les examiner au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

11.2Le Comité prend note des griefs de l’auteur qui soutient que ses droits au titre du paragraphe 1 de l’article 10 ont été violés parce que, au cours de l’enquête et de la procédure judiciaire ainsi que durant son incarcération, il n’a pas eu accès à des soins médicaux et n’a pas reçu le traitement requis pour ses problèmes de santé. Il note cependant que l’État partie affirme que l’auteur a reçu des soins médicaux adéquats lorsqu’il en avait besoin, dans le centre de détention provisoire puis en prison durant l’exécution de sa peine, et qu’il donne des précisions sur les services médicaux et les traitements dispensés à l’auteur (voir par. 4.8). Compte tenu de ces circonstances, le Comité considère que les faits dont il est saisi ne permettent pas de conclure à une violation des droits que tient l’auteur du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

11.3Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que son procès s’est déroulé à huis clos et que seul un résumé du jugement a été rendu public. Il relève aussi que, dans sa décision en date du 24 mai 2010, la chambre de contrôle des affaires pénales de la Cour suprême confirme que seuls des extraits de l’acte d’accusation et du jugement ont été communiqués à l’auteur, parce que le dossier pénal était classé « strictement confidentiel ». Il observe que les accusations portées contre l’auteur concernaient la publication de documents classés secrets qui étaient déjà dans l’espace public au moment du procès. L’État partie n’a pas valablement expliqué pourquoi le huis clos était nécessaire, se contentant d’affirmer que des documents classés secrets étaient en cause et que les conseils de l’auteur devaient obtenir une habilitation de sécurité pour y avoir accès. Le Comité rappelle son observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle il souligne que tous les procès en matière pénale doivent en principe faire l’objet d’une procédure orale et publique, sous réserve de la possibilité pour le tribunal de prononcer le huis clos total ou partiel dans l’intérêt des bonnes mœurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale. Cependant, même dans les affaires où le huis clos a été prononcé, le jugement doit être rendu public, notamment l’exposé des principales constatations, les éléments de preuve déterminants et le raisonnement juridique. Le Comité considère que l’État partie n’a pas justifié, par l’une ou l’autre des raisons énoncées au paragraphe 1 de l’article 14, le fait que le procès de l’auteur s’est tenu à huis clos et que le jugement n’a pas été intégralement rendu public. En l’absence d’autres informations pertinentes versées au dossier, le Comité considère que l’État partie a violé les droits garantis à l’auteur par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

11.4Le Comité prend également note du grief de l’auteur selon lequel, en raison des restrictions d’accès à la majorité des documents en cause, il a été privé du droit de préparer sa défense. Le Comité relève que dans ses observations, l’État partie a confirmé que l’auteur n’avait reçu qu’une version caviardée de l’acte d’accusation. Il rappelle qu’au sens de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 14, les « facilités nécessaires » doivent comprendre l’accès aux documents et autres éléments de preuve, notamment à tous les éléments que l’accusation compte produire à l’audience. Le Comité note par ailleurs l’argument de l’État partie selon lequel lors du procès, le président du tribunal a commis d’office un défenseur qui avait reçu une habilitation de sécurité. Il observe cependant que l’auteur a refusé les services de cet avocat commis d’office ; en outre, même si celui‑ci avait pleinement accès aux éléments produits par l’accusation, l’auteur lui-même ne disposait pas d’informations lui permettant de donner des instructions à son avocat et de réfuter les accusations pénales dont il faisait l’objet. Le Comité estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que tient l’auteur de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.

11.5Le Comité prend également note des affirmations de l’auteur selon lesquelles il n’a pas été représenté par un défenseur de son choix durant la procédure pénale, parce que les avocats qu’il avait choisis ont été refusés par le tribunal au motif qu’ils n’avaient pas d’habilitation de sécurité, que le tribunal a aussi rejeté la demande de l’auteur tendant à être présent à son procès et à se défendre lui-même, a sans son consentement commis un avocat d’office pour représenter ses intérêts, et que cet avocat a agi à son détriment. Il note que l’auteur a produit des preuves documentaires montrant que les avocats qu’il avait choisis s’étaient vu refuser l’autorisation des services de sécurité qui leur aurait permis d’avoir accès à des documents secrets, au moins une fois, le 22 juin 2009. Le Comité relève aussi que dans ses observations, l’État partie fait valoir que durant l’instruction, l’auteur avait engagé quatre avocats mais avait ensuite refusé leurs services ; que lors du procès, l’auteur avait chargé un autre avocat, Me M., de le représenter et que celui-ci avait obtenu une habilitation de sécurité mais que le 5 juin 2009, l’auteur avait refusé les services de cet avocat et déclaré qu’il voulait se défendre lui-même ; et que le président du tribunal avait commis d’office un défenseur, qui avait une habilitation de sécurité, pour représenter l’auteur parce que la législation interne exigeait la présence d’un défenseur dans les affaires auxquelles participe un procureur. Le Comité note aussi qu’aux dires de l’auteur, malgré ses protestations, la juridiction d’appel a réexaminé son affaire le 22 octobre 2009 en son absence, mais en présence de l’avocat commis d’office par le tribunal et que ni l’auteur ni les avocats choisis par lui n’ont participé à la procédure de cassation devant le tribunal de district ou à la procédure de contrôle devant la Cour suprême. Le Comité rappelle que le droit de se défendre dans un procès pénal est un droit fondamental, qui suppose le droit d’être jugé en personne et d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix. Il rappelle aussi que l’intérêt de la justice peut nécessiter la commission d’office d’un avocat contre le gré de l’accusé. Cependant, une telle restriction doit servir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts de la justice, et le droit interne doit éviter toute interdiction absolue du droit d’assurer sa propre défense sans l’assistance d’un conseil dans un procès pénal. Le Comité observe que l’État partie n’a pas justifié en quoi en l’espèce les intérêts de la justice exigeaient la commission d’office d’un défenseur, se contentant de renvoyer à l’article 71 1) 9) du Code de procédure pénale qui exige la participation d’un défenseur dans tous les cas où un procureur est présent. En conséquence, le Comité conclut que les faits de l’espèce font apparaître une violation du droit d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix garanti à l’auteur par l’alinéa d) du paragraphe 3 de l’article 14.

11.6Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui soutient que les droits qu’il tient des paragraphes 1 et 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés en raison de sa condamnation et parce qu’il lui a été interdit d’exercer une activité d’édition pendant deux ans pour avoir publié un article dans lequel il exprimait son avis critique personnel à propos de documents envoyés à son journal ; que les dossiers qu’il a publiés ne contenaient pas d’informations susceptibles d’être considérées comme des secrets d’État, ne révélaient aucune information sur les forces, les moyens et les méthodes d’enquête utilisés dans les affaires pénales touchant la sécurité de l’État partie, ni ne contenaient d’informations susceptibles de menacer l’intégrité territoriale de l’État ou son indépendance politique. Le Comité note aussi que, selon l’auteur, la restriction imposée à sa liberté d’expression ne visait aucune des fins énumérées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il prend aussi note de l’argument de l’État partie, à savoir que l’auteur a été condamné pour avoir publié un article contenant des données classées secrètes sur des investigations menées dans une affaire pénale d’évasion fiscale et que l’article 172 1) du Code pénal et la loi relative aux secrets d’État sont conformes au droit international.

11.7Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte fait obligation aux États parties de garantir le droit à la liberté d’expression, qui comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite ou imprimée. Il renvoie à son observation générale no34, selon laquelle la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique (par. 2). Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre à des critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire (ibid., par. 22).

11.8Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions, qui doivent toutefois être expressément prévues par la loi et être nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Le Comité souligne que si l’État impose une restriction aux droits garantis au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, c’est à lui qu’il incombe de prouver que cette restriction était nécessaire en l’espèce, et les effets de cette restriction ne doivent pas être incompatibles avec l’objet et le but de l’article 19 du Pacte.

11.9Le Comité observe que dans la présente espèce, les autorités nationales semblent invoquer le motif de l’ordre public pour justifier la restriction apportée à la liberté d’expression de l’auteur. L’État partie ne démontre cependant pas suffisamment en quoi la publication des documents en cause portait atteinte à l’ordre public. Il note aussi que l’auteur est un journaliste, dont le métier consiste essentiellement à informer la société des questions d’intérêt public, et qu’il fait valoir que les documents publiés révélaient des faits de corruption et d’abus de pouvoir impliquant des fonctionnaires de l’État. L’État partie n’a pas réfuté cette allégation, et n’a pas non plus expliqué pour quelles raisons précises il était nécessaire de restreindre la liberté d’expression de l’auteur, si ce n’est par un renvoi général aux motifs de restriction prévus à l’article 19 (par. 3). En l’absence d’arguments suffisants de l’État partie justifiant en quoi la publication des documents en question menaçait son ordre public, le Comité conclut à une violation des droits garantis à l’auteur par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

11.10Le Comité note enfin que l’auteur soutient avoir été illégalement privé de sa liberté du 5 au 6 janvier 2012, parce qu’il a été remis en liberté un jour après l’expiration de sa peine. Il note aussi que l’État partie n’a pas contesté cette allégation, mais a indiqué que la Cour suprême avait jugé que cette détention illégale résultait d’irrégularités imputables au Directeur de la prison, sans accorder d’indemnisation à l’auteur. Le Comité estime que cela constitue une violation du droit que l’auteur tient du paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte. Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas si, dans les circonstances de l’espèce, les mêmes faits constituent également une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 5 de l’article 9.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 9 (par. 5), de l’article 14 (par. 1 et 3 b) et d)) et de l’article 19 (par. 2) du Pacte.

13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Cela suppose qu’il accorde une réparation intégrale aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est notamment tenu de prendre les mesures nécessaires pour accorder à l’auteur une indemnisation adéquate. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cents quatre-vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement sur son territoire.