C omité des droits de l ’ homme
Communication no 1952/2010
Constatations adoptées par le Comité à sa 112e session(7-31 octobre 2014)
Communication présentée par: |
Vitaly Symonik (représenté par un conseil, Roman Kisliak) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Bélarus |
Date de la communication: |
26 décembre 2008 (date de la lettre initiale) |
Références: |
Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le … (non publiée sous forme de document) |
Date de la décision: |
24 octobre 2014 |
Objet: |
Amende infligée pour distribution de tracts |
Question(s) de fond: |
Droit à la liberté et à la sécurité; droit à un procès équitable; droit à la liberté d’expression; restrictions permises |
Question ( s ) de procédure: |
Abus du droit de présenter une communication; épuisement des recours internes |
Article(s) du Pacte: |
9 (par. 1), 14 (par. 1) et 19 (par. 1 et 2) |
Article(s) du Protocole facultatif: |
2, 3 et 5 (par. 2 b)) |
Annexe
Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (112e session)
concernant la
Communication no1952/2010 *
Présentée par: |
Vitaliy Symonik (représenté par un conseil, Roman Kisliak) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Bélarus |
Date de la communication: |
26 décembre 2008 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 24 octobre 2014,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1952/2010présentée par Vitaliy Symonik en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteurde la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est Vitaliy Symonik, de nationalité bélarussienne, né en 1986, qui affirme être victime d’une violation, par le Bélarus, des droits garantis au paragraphe 1 de l’article 9, au paragraphe 1 de l’article 14 et aux paragraphes 1 et 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après «le Pacte»). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur est représenté par un conseil, Roman Kisliak.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 26 juillet 2006, l’auteur a distribué des tracts appelant à manifester le 27 juillet 2006 pour célébrer la Journée de l’indépendance du Bélarus. Alors qu’il distribuait les tracts, des policiers l’ont abordé et ont confisqué les 573 tracts encore en sa possession avant de l’arrêter en vertu de la section 3 de l’article 172 du Code des infractions administratives du Bélarus (ci-après «le Code administratif»). Il a été relâché trois heures après son arrestation.
2.2Le 7 septembre 2006, la Commission administrative du district Lénine de la ville de Brest (ci-après «la Commission administrative») a examiné le cas de l’auteur en son absence et lui a imposé une amende de 100 000 roubles bélarussiens. L’auteur a contesté la décision auprès du tribunal du district Lénine (ci-après «le tribunal de district»), qui, à une date non précisée, a reconnu que l’affaire avait été examinée en l’absence de l’intéressé et a renvoyé le dossier devant la Commission administrative pour un nouvel examen.
2.3Le 16 novembre 2006, la Commission administrative a examiné de nouveau le cas de l’auteur et l’a reconnu coupable, en vertu de la section 3 de l’article 172 du Code administratif, de «distribution illicite de documents imprimés» et l’a condamné à une amende de 100 000 roubles bélarussiens. Dans sa décision, elle a déclaré que les tracts avaient été produits en violation de la loi relative à la presse et aux autres médias, ne portaient pas les informations de publication requises et contenaient des informations visant à nuire à la sécurité nationale et à l’ordre public.
2.4Le 24 novembre 2006, l’auteur a contesté la décision de la Commission administrative devant le tribunal du district Lénine de Brest. Le 15 décembre 2006, celui-ci a confirmé la décision. Le 26 décembre 2006, l’auteur a fait appel de la décision devant le tribunal régional de Brest, qui l’a débouté le 22 janvier 2007.
2.5L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes utiles.
2.6L’auteur affirme que les décisions de la Commission administrative et des tribunaux nationaux ne sont pas justifiées. Il fait valoir que la loi relative à la presse et aux autres médias ne s’applique pas à son cas. Aux termes de la section 7 de l’article 1 de la loi, celle‑ci s’applique à «la distribution périodique, en tirages de 300 exemplaires ou plus, de textes rédigés avec l’aide d’ordinateurs et des informations réunies dans leurs banques et bases de données, et aux autres organes d’information de masse dont la production est distribuée sous forme de communications imprimées, d’affiches, de tracts et d’autres documents». En outre, à la section 2 de l’article 1 de la loi, les «organes d’information de masse» sont définis comme étant les publications imprimées périodiques, les organes de télévision ou de radiodiffusion, les programmes de radio, de télévision, les programmes vidéo ou d’actualités, ou toute autre forme ou méthode de diffusion périodique de l’information. Aux termes de la section 3 de l’article 1 de la loi, on entend par «publications imprimées périodiques» les journaux, revues, brochures, almanachs, bulletins et autres publications dotées d’un titre constant et de numéros de série, qui paraissent au moins une fois par an.
2.7Se référant aux dispositions précitées, l’auteur affirme que la loi s’applique uniquement aux publications imprimées périodiques distribuées à plus de 300 exemplaires, qui paraissent au moins une fois par an. Selon lui, les tracts qu’il distribuait étaient consacrés à une manifestation ponctuelle, avaient été publiés une seule fois et, par conséquent, n’étaient pas périodiques. La loi relative à la presse et aux autres médias ne s’applique donc pas aux tracts en question.
2.8L’auteur ajoute que, pour se plier aux exigences de la loi en matière d’informations de publication, il est nécessaire d’enregistrer les tracts en tant qu’organe de presse de masse, par exemple comme journal. Il serait par conséquent impossible de produire à l’avance des tracts pour une manifestation de masse parce que le temps nécessaire pour enregistrer un organe de presse (plus de trente jours) dépasserait largement le délai entre la date d’autorisation d’une telle manifestation et la date de la manifestation elle-même.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que les faits dénoncés constituent une violation, par l’État partie, des droits qui lui sont garantis par les articles 9 (par. 1), 14 (par. 1), et 19 (par. 1 et 2) du Pacte.
3.2En particulier, s’agissant du paragraphe 2 de l’article 19, l’auteur fait valoir que l’application de la loi relative à la presse et aux autres médias à son cas a restreint sa liberté de répandre des informations et des idées de toute nature, à tel point qu’elle l’a privé de la possibilité même d’exercer son droit à la liberté d’expression en distribuant des tracts.
3.3L’auteur affirme également que les tracts ne contenaient aucun message illicite ou illégal. Il admet qu’ils contenaient des renseignements sur la manifestation et des critiques envers le Gouvernement, mais affirme que, dans une société démocratique, chacun a le droit de critiquer les autorités. Il fait valoir que les critiques contenues dans les tracts sont la cause de son arrestation et de l’amende à laquelle il a été condamné, ce qui constitue selon lui une persécution pour motifs politiques et une violation de son droit de ne pas être inquiété pour ses opinions, garanti par le paragraphe 1 de l’article 19 du Pacte. La Commission administrative et les tribunaux ont affirmé que les tracts contenaient des propos constituant «un appel et une propagande contre le régime en place». Ni la législation pénale ni la législation administrative n’interdisent la propagande contre le régime en place. La législation pénale interdit uniquement les appels publics à changer l’ordre constitutionnel par la violence (art. 361 du Code pénal). Tout régime est susceptible de changer dans un État démocratique. L’ordre constitutionnel peut être modifié conformément à la Constitution.
3.4L’auteur affirme que sa mise en détention était arbitraire et contraire à l’article 9 du Pacte.
3.5Se référant au paragraphe 1 de l’article 14, l’auteur fait également valoir qu’il n’a pas eu accès à la justice parce que son cas a été traité par la Commission administrative, qui ne remplit pas les conditions requises pour être considérée comme un tribunal compétent, indépendant et impartial. Il ajoute que, dans l’affaire le concernant, les tribunaux n’étaient pas indépendants car ils rendent compte au pouvoir exécutif, en particulier le ministère de la justice et le département de la justice du Comité exécutif régional de Brest.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans une note en date du 13 juillet 2010, l’État partie conteste la recevabilité de la communication, faisant valoir, entre autres, qu’il n’a «[…] relevé aucun motif de droit justifiant un examen plus poussé de cette communication». Il ajoute qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la communication reçue par le Comité émane de l’auteur et qu’il est «manifeste» qu’elle a été établie par un tiers, ce qui est incompatible avec l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. L’État partie demande en outre au Comité de tirer au clair les liens entre l’auteur de la communication et les personnes que celui-ci a désignées pour obtenir du Comité des renseignements confidentiels sur la plainte.
4.2Par une note verbale du 10 août 2010, le Comité a notamment informé l’État partie que le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires («le Rapporteur spécial») considérait qu’il n’y avait aucun obstacle à la recevabilité de la communication, notamment au regard de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, parce qu’elle était dûment signée par l’auteur et que rien dans le Protocole facultatif, dans le règlement intérieur du Comité et dans ses méthodes de travail n’empêchait l’auteur de communiquer une autre adresse que la sienne à des fins de correspondance s’il le souhaitait. Le Comité invitait en outre l’État partie à faire parvenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication dans le délai imparti.
4.3Dans une note verbale du 3 septembre 2010, l’État partie indique, entre autres, que «faute de réponse détaillée à toutes les questions qu’il a posées dans ses précédentes observations», «la partie bélarussienne ne donnera pas d’autre suite à la communication». Il souligne qu’il a respecté ses obligations au titre de l’article premier du Protocole facultatif. Il prend note de la réponse du Rapporteur spécial, qui considère qu’il n’y a pas d’obstacles à la recevabilité au regard du Protocole facultatif, mais estime qu’il s’agit d’un «point de vue personnel qui ne crée pas et ne peut pas créer d’obligations pour les États parties au Pacte». L’État partie fait en outre observer que ses questions ne visent pas les adresses communiquées aux fins de la correspondance relative à la présente communication; toutefois, il demande au Comité «de préciser le lien entre les tiers et la plainte de M. Symonik (…) et les raisons pour lesquelles ces tiers, qui ne relèvent pas de la juridiction du Bélarus, sont désignés dans les communications comme personnes à contacter, habilitées à obtenir du Comité des renseignements confidentiels». Enfin, l’État Partie appelle l’attention du Comité sur le fait qu’il «a reconnu la compétence du Comité, en vertu de l’article premier du Protocole facultatif, pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui se déclarent victimes de la violation d’un des droits énoncés dans le Pacte et non pour examiner des communications émanant d’autres personnes (tiers). L’État partie n’a accepté aucune autre obligation au titre de l’article premier du Protocole facultatif et n’examinera pas plus avant la présente communication».
4.4Par une lettre du 28 octobre 2010, le Président du Comité a indiqué notamment que la communication avait été dûment signée par l’auteur, qui se déclarait victime de violations. En ce qui concerne la décision de l’auteur de confier à des tiers résidant en dehors du territoire de l’État partie le soin de recevoir en son nom la correspondance du Comité, il fallait relever qu’aucune disposition du Protocole n’empêchait l’auteur de donner une adresse différente de la sienne et de désigner des tiers comme destinataires de la correspondance du Comité. Le Président a souligné que, conformément à la pratique établie du Comité, les auteurs de communications sont autorisés à demander à des représentants de leur choix, ne vivant pas nécessairement sur le territoire de l’État partie concerné, non seulement de recevoir leur correspondance, mais même de les représenter devant le Comité. Enfin, l’État partie a de nouveau été invité à faire parvenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il a été informé qu’en l’absence de ces observations, le Comité procéderait à l’examen de la communication sur la base des renseignements dont il dispose.
4.5Dans une note verbale du 6 janvier 2011, l’État partie rappelle qu’il a exprimé à plusieurs reprises sa préoccupation légitime au sujet de l’enregistrement injustifié de communications individuelles. Il s’agit principalement de communications émanant de particuliers qui, délibérément, n’ont pas épuisé les recours internes disponibles, alors qu’ils auraient pu, par exemple, former un recours auprès du Procureur pour contester au titre de la procédure de contrôle des décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée. L’État partie rappelle que cette exigence découle de l’article 2 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Il relève en outre que l’enregistrement de communications présentées par un tiers (conseil ou autre personne) au nom de particuliers qui invoquent une violation de leurs droits constitue incontestablement un abus du mandat du Comité ainsi que du droit de présenter des communications; l’enregistrement de ces communications est contraire à l’article 3 du Protocole facultatif. De plus, si en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu la compétence du Comité au titre de l’article premier, il n’a pas accepté un élargissement de son mandat. À ce sujet, il relève que le Comité donne une «interprétation partiale et large (…) des règles contenues dans ces instruments internationaux» et explique que l’interprétation du Pacte et du Protocole facultatif s’y rapportant doit être strictement conforme aux articles 31, 32 et 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Il ajoute que selon une interprétation juste de l’article premier et du préambule du Protocole facultatif, seules les communications présentées par les particuliers (et non par leurs représentants) peuvent être enregistrées par le Comité. Il s’ensuit que l’État partie rejettera toute communication enregistrée par le Comité en violation des dispositions mentionnées et considérera comme nulle et non avenue toute décision prise par celui-ci concernant ces communications.
4.6Dans une note verbale du 25 janvier 2012, l’État partie renvoie à ses précédentes observations, en particulier à celles du 6 janvier 2011. Il rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, il a reconnu la compétence du Comité en vertu de l’article premier de ce texte pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction, qui se déclarent victimes d’une violation d’un des droits énoncés dans le Pacte. Cette compétence est reconnue sous réserve d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles qui énoncent les conditions à remplir par les auteurs des communications et les critères de recevabilité, c’est-à-dire l’article 2 et le paragraphe 2 de l’article 5. Le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties d’accepter le règlement intérieur du Comité ni de souscrire à l’interprétation que fait celui-ci des dispositions du Protocole. En ce qui concerne la procédure d’examen des communications, l’État partie fait valoir que les États parties au Protocole facultatif doivent s’appuyer avant tout sur les dispositions du Protocole et que la pratique bien établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, auxquelles celui-ci renvoie, «ne relèvent pas du Protocole facultatif». Il ajoute qu’il considérera toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif comme incompatible avec celui-ci et qu’il la rejettera sans faire la moindre observation sur la recevabilité ou sur le fond. Il déclare en outre que les décisions prises par le Comité au sujet de communications ainsi «rejetées» seront considérées par ses autorités comme «non valides».
Délibérations du Comité
Défaut de coopération de l’État partie
5.1Le Comité prend note de l’objection de l’État partie, qui affirme qu’il n’existe pas de motif de droit d’examiner la communication présentée par l’auteur puisqu’elle a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, qu’il n’est pas tenu d’accepter le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation que donne ce dernier des dispositions du Protocole facultatif, et que toute décision du Comité concernant la présente communication sera considérée par ses autorités comme «non valide». Le Comité prend également note de l’observation de l’État partie qui fait valoir que l’enregistrement de communications présentées par un tiers (conseil ou autre personne) au nom de particuliers qui se déclarent victimes d’une violation de leurs droits constitue un abus du mandat du Comité ainsi qu’un abus du droit de présenter une communication.
5.2Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 39 du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties sont convenus d’accepter. Tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droit énoncés dans le Pacte (voir préambule et art. 1). Le Comité relève en outre qu’en refusant aux particuliers le droit de se faire représenter par un conseil (ou par un tiers désigné), l’État partie manque aux obligations que lui impose le Protocole facultatif se rapportant au Pacte. En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux intéressés (voir par. 1 et 4 de l’article 5). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations, est incompatible avec ses obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. Le Comité relève qu’en n’acceptant pas sa compétence pour décider de l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas sa décision concernant la recevabilité et le fond de cette communication, l’État partie manque aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif.
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3En ce qui concerne la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité relève que dans sa note du 6 janvier 2011, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés, l’auteur n’ayant pas saisi le Procureur au titre de la procédure de contrôle. Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle une demande au titre de la procédure de contrôle auprès du bureau du Procureur, qui permet de contrôler des décisions de justice devenues exécutoires, ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Dans ces circonstances, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.
6.4Le Comité note que l’auteur affirme avoir fait l’objet d’une arrestation arbitraire le 26 juillet 2006, en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. En l’absence de toute autre information détaillée et documentée à l’appui de cette affirmation et d’informations sur le point de savoir si des actions ont été engagées devant les tribunaux nationaux, le Comité estime que cette plainte n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, et est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.5Le Comité note aussi que l’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, parce qu’il n’a pas eu accès à la justice, son cas ayant été examiné par la Commission administrative plutôt que par un tribunal, et parce que les tribunaux nationaux ne sont pas indépendants. Le Comité relève que la décision de la Commission administrative du district Lénine de Brest a été examinée par deux juridictions, ce que ne conteste pas l’auteur. Il note que les éléments dont il dispose ne montrent pas que, dans l’examen du cas de l’auteur, les tribunaux ont manqué d’indépendance. Par conséquent, et en l’absence de tout autre élément d’information à ce sujet, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief aux fins de la recevabilité et conclut que cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.6Le Comité prend également note du grief formulé par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 19 du Pacte. En l’absence de plus amples renseignements ou explications dans le dossier, le Comité considère que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.7Pour ce qui est des autres griefs de l’auteur qui soulèvent des questions au regard du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, le Comité estime qu’ils ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.
Examen au fond
7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.
7.2.Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel, en appliquant le Code des infractions administratives et la loi relative à la presse et aux autres médias à son cas, les autorités de l’État partie ont restreint sa liberté de répandre des informations, garantie par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.
7.3La première question dont est saisi le Comité est celle de savoir si le fait d’avoir appliqué l’article 172-3 du Code des infractions administratives et la loi relative à la presse et aux autres médias à l’auteur, entraînant la confiscation des tracts et une amende, et de l’avoir empêché de distribuer des tracts critiquant le régime en place, constituaient une restriction, par les autorités, de la liberté d’expression de l’auteur au sens du paragraphe 3 de l’article 19, en particulier de son droit de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. Le Comité relève qu’en vertu de la loi, les personnes qui éditent des publications périodiques, telles que définies à l’article 1 de la loi relative à la presse et aux autres médias, sont tenues d’inclure certaines informations de publication et d’enregistrer ces publications en tant qu’organes de presse. De l’avis du Comité, en imposant ces exigences à un tract produit pour une manifestation spécifique, l’État partie a créé des obstacles de nature à restreindre le droit de l’auteur de répandre des informations, garanti par le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.
7.4Le Comité doit déterminer si la restriction imposée au droit à la liberté d’expression de l’auteur était justifiée par l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il fait observer que l’article 19 n’autorise des restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi et nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Il rappelle que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu, qu’elles sont essentielles pour toute société, et qu’elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Les restrictions à l’exercice de ces libertés doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité et elles «doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objet spécifique qui les inspire». Le Comité rappelle que, si l’État partie impose une restriction, c’est à lui de prouver qu’elle est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.
7.5Le Comité note également que l’État partie n’a pas cherché à traiter la question des restrictions imposées à l’auteur. En particulier, il n’a pas expliqué pour quelles raisons il était nécessaire, en vertu de la législation nationale et aux fins de l’un des objectifs légitimes énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, d’exiger que l’auteur fasse figurer des informations de publication sur ses tracts, informations qu’il ne pouvait obtenir qu’en enregistrant le tract comme organe de presse. L’État partie n’a pas non plus montré en quoi le fait d’empêcher l’auteur de distribuer des tracts portant un message politique était conforme à l’un des objectifs légitimes énoncés au paragraphe 3 de l’article 19, et, en particulier, pourquoi cela était nécessaire dans une société démocratique, dont le fondement est la libre diffusion des informations et des idées, y compris des informations et des idées contestées par le gouvernement ou par la majorité de la population. Le Comité conclut que, en l’absence de toute autre explication pertinente de l’État partie, les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits tels qu’ils sont présentés font apparaître une violation des droits qui sont garantis à l’auteur au titre du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.
9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile à l’auteur, y compris sous la forme du remboursement des frais de justice que celui-ci a encourus. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans le pays en biélorusse et en russe.