Nations Unies

CCPR/C/112/D/2105/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 novembre 2014

Français

Original: espagnol

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2105/2011

Décision adoptée par le Comité à sa 112esession(7-31 octobre 2014)

Communication présentée par:

S. S. F., S. S. E. et E. J. S. E. (représentés par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

15 août 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 19 octobre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

28 octobre 2014

Objet:

Étendue du réexamen d’un jugement en cassation par le Tribunal suprême d’Espagne

Question(s) de procédure:

Non-épuisement des recours internes; griefs non étayés

Question(s) de fond:

Droit de faire réexaminer par une juridiction supérieure la condamnation et la peine; respect du principe de la chose jugée (non bis in idem)

Article(s) du Pacte:

14 (par. 1, 5 et 7)

Article(s) du Protocole facultatif:

2, 3 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertudu Protocole facultatif se rapportant au Pacte internationalrelatif aux droits civils et politiques (112e session)

concernant la

Communication no 2105/2011 *

Présentée par:

S. S. F., S. S. E. et E. J. S. E. (représentés par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

15 août 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le28 octobre 2014,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication sont S. S. F. et ses fils, S. S. E. et E. J. S. E., de nationalité espagnole, nés respectivement le 2 avril 1945, le 23 juin 1970 et le 26 novembre 1974. Ils se déclarent victimes d’une violation par l’Espagne du droit consacré au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. En outre, S. S. F. et E. J. S. E. affirment que l’État partie a violé les droits consacrés aux paragraphes 1 et 7 de l’article 14 du Pacte. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappels des faits présentés par les auteurs

2.1En 1994, les auteurs ont acheté la société Jamones La Umbría S. L. (ci‑après «l’entreprise»), spécialisée dans la vente de jambons crus. En 1995, l’entreprise a connu des difficultés de trésorerie qui l’ont empêchée d’honorer les factures de ses créanciers pour 26 opérations commerciales. À la suite de ce défaut de paiement, plusieurs plaintes ont été déposées en 1995 contre les auteurs et ont donné lieu à trois procès au pénal. D’après les auteurs, le manque de liquidités de l’entreprise était inattendu et résultait de la soustraction de marchandises par une autre entreprise.

2.2S. S. F. et E. J. S. E. étaient accusés d’escroquerie par les entreprises Hermanga S.A. et Fricuenca S.A., qui ont invoqué les dispositions des articles 528 et 529, paragraphe 7, du Code pénal révisé de 1973. Le 4 février et le 9 septembre 2004, l’Audiencia Provincial de Murcie (ci-après l’Audiencia) a relaxé les auteurs du chef d’escroquerie dans les procès ouverts à la suite des plaintes déposées par Hermanga S.A. et Fricuenca S.A., respectivement. L’Audiencia a conclu que les faits constatés n’étaient pas constitutifs de l’infraction d’escroquerie car il n’avait pas été établi que les actes de S. S. F., inculpé principal, avaient eu pour objectif de tromper les entreprises Hermanga S.A. et Fricuenca S.A. et qu’il s’était fait passer pour un acheteur solvable pour obtenir de la marchandise; elle a également conclu que les difficultés financières de l’entreprise étaient la conséquence de la soustraction de sa marchandise par une autre entreprise, fait indépendant de la volonté des auteurs, et que le fait que les plaignants aient subi un préjudice matériel ne suffisait pas à conclure que l’infraction était constituée. En outre, compte tenu de son jeune âge et de sa situation d’étudiant, la participation de E. J. S. E. était purement formelle car il était administrateur mais ne se présentait qu’occasionnellement à l’entreprise, accompagné de son père qui lui indiquait les documents à signer.

2.3Parallèlement, les entreprises Cárnicas Poveda S.A. et Ganadera del Segura S.L. ont déposé une plainte contre les auteurs et d’autres personnes pour les infractions continues d’escroquerie et de faux en écritures, réprimées par les articles 248, 249, 250, paragraphes 6 et 7, et 74 du Code pénal de 1995 d’une part, et les articles 303, 302, paragraphes 1, 4 et 9, et 69 bis du Code pénal révisé de 1973. Le 30 juin 2008, l’Audiencia Provincial a conclu que les faits établis étaient constitutifs de l’infraction continue d’escroquerie avec circonstances aggravantes et a condamné les auteurs à trois ans et six mois d’emprisonnement, conformément aux articles 248, 249, 250, paragraphes 1 6) et 1 7), et 74 du Code pénal de 1995. Ellea précisé que les jugements qu’elle avait rendus en date du 4 février et du 9 septembre 2004 ne l’empêchaient pas de connaître de cette nouvelle affaire car les plaintes avaient été déposées par des personnes physiques et morales différentes qui n’avaient pas été parties au procès précédent, outre que les faits étaient différents.

2.4Le 30 octobre 2008, les auteurs ont fait appel de leur condamnation en formant un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême. Le 2 décembre 2008, E. J. S. E. a fait valoir qu’il y avait eu violation du droit à une protection judiciaire effective et que l’existence des éléments constitutifs de l’infraction d’escroquerie n’avait pas été établie. Dans un mémoire du 3 décembre 2008, S. S. F. et S. S. E. ont fait valoir, notamment, que l’Audiencia elle‑même avait écarté toute responsabilité pénale de S. S. F. et E. J. S. E. pour ce qui concernait l’activité commerciale de l’entreprise, dans des jugements datés du 4 février et du 9 septembre 2004; que, dans le jugement, il n’était pas indiqué de façon claire et précise quels étaient les faits considérés comme établis; que le tribunal n’avait pas autorisé la défense à produire une preuve documentaire pour démontrer que l’entreprise était solvable; que le jugement n’était pas suffisamment étayé et que l’existence des éléments constitutifs de l’infraction d’escroquerie n’était pas établie. À titre subsidiaire, ils ont fait valoir que la circonstance aggravante prévue à l’article 250, paragraphes 1 6) et 7), du Code pénal, avait été retenue à tort; que le degré de la peine n’était pas approprié car les retards excessifs dans la procédure constituaient une circonstance atténuante et, enfin, que l’Audiencia avait commis une erreur dans l’appréciation des preuves.

2.5En date du 16 octobre 2009, le Tribunal suprême a rejeté les arguments présentés par E. J. S. E. et a déclaré partiellement fondé le pourvoi en cassation de S. S. F. et S. S. E., en accordant à E. J. S. E. le bénéfice des effets favorables du recours. Il a confirmé la condamnation et la peine prononcées par l’Audiencia et a uniquement supprimé la circonstance aggravante retenue au titre de l’article 250, paragraphe 1 7) (Fait de tirer abusivement profit de la crédibilité de l’entreprise). Les auteurs ont joint à leur communication une copie du jugement. Le Tribunal y affirmait notamment qu’il n’y avait pas eu d’atteinte au principe de légalité car les procédures qui s’étaient achevées avec les jugements du 4 février et du 9 septembre 2004 étaient différentes, en ce qui concernait non seulement l’identité des parties mais aussi l’objet du procès. Les procès qui avaient abouti aux jugements de 2004 ne portaient que sur des contrats individuels. Or, dans le procès qui avait abouti au jugement de 2008, l’Audiencia devait déterminer si une infraction continue avait été commise, ce qui supposait une pluralité de faits liés à l’activité commerciale des auteurs dans l’entreprise, faits qui n’avaient pas été examinés dans les jugements de relaxe de 2004. Il n’y avait pas eu d’atteinte au droit de la défense étant donné que les preuves rejetées par l’Audiencia avaient été produites hors délai et sans qu’il y ait eu de révélations ou de rétractations inattendues qui auraient rendu nécessaire la production de nouvelles preuves.

2.6En ce qui concerne le grief tiré de l’insuffisance des preuves et de leur appréciation erronée, le Tribunal suprême a considéré qu’il pouvait apprécier toutes les preuves, examiner la question de savoir si elles étaient suffisantes pour renverser la présomption d’innocence et déterminer si elles avaient été appréciées de manière logique par l’Audiencia. Toutefois, il n’était pas en position, d’une manière générale, d’apprécier la crédibilité d’éléments subjectifs tels que les déclarations de témoins, les rapports de police ou les procès-verbaux de plénière présentés au tribunal de première instance, car leur appréciation dépendait dans une grande mesure de la perception directe de cette juridiction. Ensuite, le Tribunal a pris note des déclarations des témoins et des autres preuves produites, a estimé que les auteurs n’avaient pas apporté d’éléments permettant de conclure que l’Audiencia avait donné une interprétation erronée des faits et a conclu que la participation des auteurs à l’infraction continue d’escroquerie avait été démontrée.

2.7Le 30 novembre 2009, les auteurs ont déposé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel en faisant valoir une violation des articles 24.1 (Droit à une protection judiciaire effective) et 25 (Non bis in idem) de la Constitution de l’État partie. Ils ont affirmé que l’Audiencia avait évalué trois fois leur responsabilité pénale pour ce qui concernait les activités commerciales de l’entreprise; que les trois affaires auraient dû être jointes, conformément au paragraphe 5 de l’article 17 de la loi sur la procédure pénale, qu’au procès pénal, ils n’avaient pas été autorisés à produire certaines preuves documentaires et qu’ils avaient été condamnés alors que les preuves étaient insuffisantes.

2.8Par une ordonnance du 24 février 2010, le Tribunal constitutionnel a décidé de ne pas faire droit au recours en amparo au motif que les auteurs n’avaient pas démontré l’importance constitutionnelle de l’objet de leur recours, comme l’impose le paragraphe 1 de l’article 49 de la loi organique sur le du Tribunal constitutionnel (loi organique no 6/2007 du 24 mai).

2.9Les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes conformément aux dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment avoir été victimes d’une violation du droit consacré au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte parce qu’ils n’ont pas pu former un recours utile contre la condamnation et la peine prononcées par l’Audiencia Provincial de Murcie. Le seul recours ouvert pour contester le jugement de l’Audiencia était le pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême. Or la possibilité d’obtenir une décision du Tribunal suprême est limitée car cette juridiction n’est pas habilitée à réexaminer l’ensemble des éléments sur lesquels l’Audiencia Provincial s’est fondéepour prononcer son jugement.De surcroît, le Tribunal suprême lui-même a indiqué qu’il ne pouvait pas examiner les preuves produites devant la juridiction de première instance, comme les preuves testimoniales.

3.2D’après S. S. F. et E. J. S. E., le jugement de l’Audiencia Provincial de Murcie en date du 30 juin 2008 a constitué une violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte. En effet, l’Audiencia avait déjà examiné leur responsabilité pénale pour ce qui concernait activités commerciales de l’entreprise et les avait relaxés du chef d’escroquerie dans ses jugements du 4 février et du 9 septembre 2004.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1En date du 14 décembre 2011, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et a demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable au regard des articles 2, 3 et 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif, pour défaut de fondement, mise en cause abstraite du système juridique de l’Espagne et non-épuisement des recours internes, respectivement.

4.2Les recours internes n’ont pas été épuisés puisque le recours en amparo formé devant le Tribunal constitutionnel a été rejeté en raison d’un vice de procédure irréparable imputable à l’impéritie des auteurs, qui n’avaient pas montré dans leur mémoire en quoi ce recours revêtait une importance constitutionnelle particulière. En outre, les griefs tirés du paragraphe 5 de l’article 4 du Pacte n’avaient pas été soulevés par les auteurs devant les juridictions nationales dans leur pourvoi en cassation ni dans leur recours en amparo. De fait, les auteurs eux-mêmes reconnaissent dans leur communication que ces griefs n’étaient pas l’objet de leur recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel.

4.3Les griefs de violation des paragraphes 5 et 7 de l’article 14 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés. En ce qui concerne les griefs tirés du paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie affirme que dans le cadre du pourvoi en cassation, le Tribunal suprême a examiné les faits, les preuves et l’application de la loi en ce qui concerne le procès en première instance conduit par l’Audiencia Provincial de Murcie. Ce n’est pas parce que les auteurs ne sont pas satisfaits de la condamnation et de la peine imposées par le Tribunal suprême qu’il y a violation du Pacte. De plus, les griefs des auteurs tirés du paragraphe 5 de l’article 14 ont un caractère général et n’indiquent pas précisément quels motifs contenus dans le recours en cassation n’ont pas été examinés par le Tribunal suprême. L’État partie ajoute que le Comité a déjà déclaré irrecevables des communications dénonçant des violations du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte au motif qu’elles étaient insuffisamment étayées. Enfin, il fait savoir que, dans la pratique, la procédure du recours en cassation a été adaptée de façon à satisfaire aux obligations découlant du Pacte.

4.4Le jugement rendu le 30 juin 2008 par l’Audiencia n’a pas porté atteinte aux droits que S. S. F. et E. J. S. E. tiennent du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte étant donné qu’il n’y avait pas de chose jugée en ce qui concerne les faits et l’objet du procès pénal à l’issue duquel ce jugement a été prononcé. Les procès qui ont abouti aux jugements du 4 février et du 9 septembre 2004 ne portaient que sur une éventuelle escroquerie dans le cadre de contrats individuels, de sorte qu’il s’agissait seulement d’examiner des faits concrets relatifs à des relations particulières avec des fournisseurs donnés. Dans le cas du procès qui a abouti au jugement de 2008, l’Audiencia a examiné l’existence possible d’une infraction continue constituée par les actes des auteurs dans le cadre de l’activité commerciale de l’entreprise. L’État partie souligne que, dans son arrêt de 2008, le Tribunal a estimé qu’il ne pouvait pas se prononcer sur des faits déjà jugés, indiquant ce qui suit: «Il est évident que les faits pour lesquels un jugement de relaxe a été rendu ne peuvent plus être poursuivis ni faire l’objet d’une sanction pénale, même sans préjudice des actions civiles. Cela étant, tous les autres faits similaires ou même qui auraient pu être poursuivis conjointement parce que constitutifs d’une infraction continue, mais qui, au moment du procès, avaient été exclus, peuvent être poursuivis, […] sans que cela porte atteinte au principe non bis in idem».

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partieconcernant la recevabilité

5.1En date du 13 février 2012, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication.

5.2Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes. Ils font valoir que le recours en amparo n’a pas à être épuisé car il s’agit d’un recours extraordinaire et non d’un recours utile. Dans des cas analogues, le Comité a estimé qu’il n’était pas empêché d’examiner des communications dont l’auteur n’avait pas formé de recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel étant donné que ce Tribunal avait − et a toujours − une jurisprudence uniforme qui consiste à affirmer que le pourvoi en cassation satisfait aux obligations qu’impose le Pacte en matière de droit au double degré de juridiction pénale. De plus, le pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême ne faisait pas référence à l’absence de double degré de juridiction pénale car ce grief ne fait pas partie des motifs pour lesquels ce recours est prévu, qui sont énoncés expressément dans la loi sur la procédure pénale.

5.3Les auteurs réaffirment leurs allégations de violation du paragraphe 5 de l’article 14 et soulignent que le Tribunal suprême lui‑même a indiqué qu’il ne pouvait pas examiner la manière dont la preuve testimoniale produite devant la juridiction de première instance avait été appréciée.

5.4Le jugement rendu par l’Audiencia P rovincial de Murcie le 30 juin 2008 a constitué une violation des droits que S. S. F. et E. J. S. E. tiennent du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte étant donné que, dans ce procès, les mêmes inculpés ont été jugés de nouveau, pour la même infraction et pour les mêmes faits − c’est‑à‑dire l’insolvabilité de l’entreprise − pour lesquels ils avaient été relaxés par la même juridiction. Conformément à l’article 17 de la loi sur la procédure pénale, les infractions connexes doivent faire l’objet d’une seule et même procédure. Si toutes les infractions avaient été jugées au premier procès, les auteurs auraient bénéficié de l’appréciation des preuves que la juridiction avait faite à ce moment‑là. On peut aussi considérer que le défaut de diligence des autorités judiciaires de l’État partie, qui n’ont pas joint les procédures de sorte que la responsabilité des auteurs dans les faits connexes aurait été examinée au cours d’un seul procès pénal, constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14.

5.5Les auteurs demandent au Comité de recommander à l’État partie d’assurer une réparation intégrale pour la violation de leurs droits, et notamment: a) la révision du procès pénal qui a abouti au jugement de condamnation; b) l’annulation de la peine prononcée; c) une indemnisation appropriée pour les préjudices matériels et moraux subis, y compris le remboursement des frais de justice dans l’État partie et des dépenses engagées pour présenter la communication au Comité.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1En date du 12 avril 2012, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication et a répété ses arguments au sujet du non-épuisement des recours internes.

6.2Pour ce qui est du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’État partie maintient que le Tribunal suprême a procédé à un examen approfondi et complet du jugement rendu par l’Audiencia Provincial le 30 juin 2008. Comme il n’existe pas formellement de juridiction du deuxième degré au pénal, le Tribunal suprême a affirmé, dans sa jurisprudence, qu’il est compétent pour réexaminer tous les éléments de preuve produits au procès à l’issue duquel a été rendu le jugement contesté en cassation, avec certaines limites en ce qui concerne les éléments subjectifs parce que ceux-ci n’avaient pas été produits devant lui alors que leur appréciation dépend dans une grande mesure de la perception directe du tribunal qui les examine. Ainsi, dans le cas des auteurs, le Tribunal suprême a précisé qu’il ne pouvait pas procéder à une nouvelle appréciation des éléments subjectifs produits devant la juridiction du premier degré mais qu’il devait vérifier, ce qu’il a fait effectivement, si en première instance il existait une preuve suffisante de la commission des faits et de la participation des accusés à ces faits; il devait vérifier également que ces preuves avaient été obtenues dans le respect des droits et des libertés fondamentales, que les principes d’oralité, de publicité, d’immédiateté et de contradiction avaient été respectés dans l’administration des preuves à l’audience et que le jugement de condamnation était suffisamment motivé.

6.3L’État partie réaffirme ses observations au sujet des griefs de violation du paragraphe 7 de l’article 14 et fait remarquer que les procès qui ont abouti aux jugements de 2004, d’une part, et au jugement de condamnation du 30 juin 2008, d’autre part, n’étaient en réalité pas identiques puisque les faits jugés étaient différents.

6.4L’État partie rejette les allégations des auteurs qui prétendent que le paragraphe 1 de l’article 14 a été violé parce que les trois procédures pénales n’ont pas été jointes. Ce grief n’était pas soulevé dans la communication initiale au Comité, ce qui devrait le rendre irrecevable. Quoi qu’il en soit, il n’était pas nécessaire de joindre les affaires puisqu’elles portaient sur des faits différents.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie sur le fond

7.1En date du 11 juin 2012, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie quant au fond de la communication. Ils répètent leurs allégations concernant les paragraphes 5 et 7 de l’article 14. L’État partie n’a pas contesté la jurisprudence du Comité qui a considéré que le recours en amparo était un recours inutile pour les griefs de violation du paragraphe 5 de l’article 14. Il n’a pas commenté ni contesté la jurisprudence du Comité dans les affaires où celui-ci a conclu que le réexamen en cassation d’un jugement de condamnation effectué par le Tribunal suprême ne constituait pas une révision au sens de cette disposition du Pacte.

7.2Pour respecter le principe non bis in idem consacré au paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte, les juridictions de l’État partie auraient dû joindre les procédures judiciaires ouvertes contre les auteurs de façon à juger tous les faits qui étaient intimement liés dans un seul procès et au même moment.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note des arguments de l’État partie qui considère que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes, étant donné que le recours en amparo a été rejeté par le Tribunal constitutionnel en raison d’un vice de forme irrémédiable imputable aux auteurs qui n’avaient pas montré dans leur mémoire en quoi ce recours revêtait une importance constitutionnelle particulière. De plus, l’État partie signale que ni dans ce recours ni dans le pourvoi en cassation les auteurs n’ont invoqué une violation du droit au double degré de juridiction. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme qu’il n’y a lieu d’épuiser que les recours qui ont une chance raisonnable d’aboutir. Tel n’est pas le cas du recours en amparo concernant une violation possible du paragraphe 5 de l’article 14, compte tenu de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel. Le Comité observe en outre que les auteurs ont attaqué la décision de l’Audiencia Provincial de Murcie en formant un pourvoi en cassation rejeté, en dernier ressort, par le Tribunal suprême le 16 octobre 2009, et qu’ils ont ensuite formé un recours en amparo, recours que le Tribunal constitutionnel a déclaré irrecevable le 24 février 2010. Le Comité estime doncqu’aucun obstacle, au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, ne l’empêche d’examiner la présente communication.

8.4Le Comité prend note des allégations des auteurs qui affirment que le droit à ce que la condamnation et la peine soient réexaminées par une juridiction supérieure leur a été dénié parce qu’ils n’ont pu former qu’un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, ce qui, dans la pratique, constitue un déni du droit de faire appel de la condamnation prononcée par l’Audiencia Provincial de Murcie. Il prend aussi note des arguments de l’État partie qui objecte que le pourvoi en cassation permet au Tribunal suprême de procéder à un examen complet des preuves administrées devant la juridiction inférieure puisqu’il peut réexaminer les jugements aussi bien en ce qui concerne les faits et les preuves qu’en ce qui concerne les points de droit.

8.5Le Comité note que, dans son arrêt du 16 octobre 2009, le Tribunal suprême a examiné tous les motifs de cassation présentés par les auteurs, y compris le respect de la règle non bis in idem, le fait que la preuve documentaire produite par les auteurs n’avait pas été admise et le degré de la peine prononcée. Le Tribunal n’a pas limité son examen aux aspects de forme du jugement de l’Audiencia Provincial de Murcie et a conclu que les preuves étaient suffisantes pour confirmer l’appréciation des faits effectuée par la juridiction du premier degré; que les auteurs n’avaient pas apporté d’élément permettant de conclure que les faits n’avaient pas été correctement établis en première instance et que, toutefois, il n’y avait pas de preuve suffisante pour justifier que la circonstance aggravante prévue au paragraphe 1 7) de l’article 250 du Code pénal soit retenue, ce pourquoi le Tribunal a confirmé la condamnation prononcée par l’Audiencia Provincial de Murcie mais en excluant cette circonstance. Par conséquent, le Comité considère que les griefs tirés du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et conclut qu’ils sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité prend note des allégations de S. S. F. et E. J. S. E., qui affirment que l’Audiencia Provincial de Murcie les a jugés deux fois pour l’infraction d’escroquerie en relation avec leur participation à l’activité commerciale de l’entreprise et qu’au premier procès, ils avaient été relaxés de ce chef par jugement exécutoire du 4 février et du 9 septembre 2004. Il note cependant que ces jugements ont porté exclusivement sur la responsabilité pénale de S. S. F. et E. J. S. E. pour leur participation à l’activité commerciale entre l’entreprise et les entreprises demanderesses Hermanga S.A. et Fricuenca S.A., respectivement. De plus, la procédure pénale qui a abouti au jugement de condamnation rendu par l’Audiencia Provincial de Murcie le 30 juin 2008 était née des plaintes déposées par les entreprises Cárnicas Poveda S.A. et Ganadera del Segura S. L. et a permis d’établir la responsabilité pénale de ces deux auteurs pour l’infraction continue d’escroquerie, dans le cadre de leur participation à l’activité commerciale de l’entreprise en général et à l’égard de différentes personnes physiques et morales en particulier. Le Comité estime donc que les griefs de violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et conclut qu’ils sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7Le Comité note que les auteurs affirment être victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce que les autorités judiciaires de l’État partie auraient dû joindre toutes les procédures pénales ouvertes contre eux afin qu’elles fassent l’objet d’un seul et même procès, puisqu’elles portaient sur des faits connexes. Le Comité estime que ce grief n’a pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et conclut qu’il est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.