Nations Unies

CCPR/C/111/D/2103/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 octobre 2014

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2103/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa 111e session(7‑25 juillet 2014)

Communication présentée par:

Vasily Poliakov (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

10 septembre 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 26 septembre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date d ’ adoption des constatations:

17 juillet 2014

Objet:

L’auteur a été reconnu coupable d’une infraction administrative pour avoir distribué des «cartes de vœux».

Question(s) de fond:

Liberté de répandre des informations, procès équitable, recours utile

Question ( s ) de procédure:

Non-épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

14 (par. 1), 19 (par. 2) et 2 (par. 2)

Article(s) du Protocole facultatif:

2, 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titredu paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (111e session)

concernant la

Communication no2103/2011 *

Présentée par:

Vasily Poliakov (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

10 septembre 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 juillet 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2103/2011présentée par Vasily Poliakov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteurde la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Vasily Poliakov, de nationalité bélarussienne, né en 1969. Il affirme être victime d’une violation par le Bélarus des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte lu conjointement avec les articles 14 et 19. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 26 juillet 2010, l’auteur distribuait à des habitants de la ville de Gomel des cartes de vœux marquant la fête de l’Indépendance, qui avaient été imprimées par le parti politique Forces démocratiques unies. Il a été arrêté par la police, qui a établi un procès‑verbal (protocole) indiquant qu’il avait commis l’infraction administrative visée par le paragraphe 2 de l’article 22.9 du Code des infractions administratives du Bélarus, à savoir diffusé illégalement «du matériel élaboré par les médias», en violation du paragraphe 20 de l’article premier et de l’article 17 de la loi relative aux médias. L’affaire a ensuite été portée devant le tribunal régional central de Gomel qui, le 24 septembre 2010, a reconnu l’auteur coupable de l’infraction susmentionnée et l’a condamné à une amende de 1 050 000 roubles bélarussiens.

2.2Le 29 septembre 2010, l’auteur a fait appel du jugement auprès du tribunal de district de Gomel, qui l’a débouté le 27 octobre 2010. Le 28 décembre 2010, la Cour suprême, après avoir procédé à un contrôle, a également confirmé la décision. L’auteur indique qu’il n’a pas déposé de demande de contrôle auprès du Bureau du Procureur général car il ne considère pas que cette procédure constitue un recours utile; il renvoie à la jurisprudence du Comité en la matière. L’auteur fait également valoir que la législation en vigueur n’autorise pas les particuliers à porter plainte auprès de la Cour constitutionnelle. L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur indique que le paragraphe 2 de l’article 22.9 du Code des infractions administratives fait référence à la loi «relative aux médias», qui définit les médias comme un type de diffusion périodique d’informations de masse au moyen de la presse, de la télévision, de la radio ou de l’Internet. Il fait valoir que les cartes imprimées qu’il distribuait étaient une publication ponctuelle et non périodique et qu’il a donc été condamné en violation de la législation nationale. Il affirme qu’en ne se conformant pas à la loi, les tribunaux bélarussiens ont violé les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.2L’auteur affirme en outre que les autorités n’ont pas justifié les restrictions apportées à sa liberté de répandre des informations, comme l’exige le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Laptsevich c. Bélarus, dans laquelle le Comité a indiqué que «même si les sanctions imposées à l’auteur étaient valides en droit interne, l’État partie doit prouver qu’elles étaient nécessaires à l’une des fins légitimes énoncées au paragraphe 3 de l’article 19».

3.3L’auteur renvoie aux articles 26 et 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui disposent qu’une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité, et à l’article 15 de la loi de la République du Bélarus relative aux instruments internationaux qui, selon l’auteur, prévoit que les dispositions des instruments internationaux qui sont entrés en vigueur pour le Bélarus font partie de son droit interne applicable. L’auteur renvoie en outre à l’article 19 du Pacte et affirme que sa détention et sa condamnation ultérieure pour avoir distribué des cartes de vœux constituaient une violation des droits qu’il tient de cet article, et que les autorités n’ont pas fait primer les normes de cet instrument international sur la législation interne. Il conclut qu’en n’accordant pas la primauté aux dispositions du Pacte, les autorités de l’État partie ont manqué à leur obligation découlant du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 14 et 19.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Dans une note en date du 28 novembre 2011, l’État partie affirme qu’aucun motif juridique ne justifie l’examen de la communication sur la recevabilité et sur le fond vu qu’elle a été enregistrée en violation de l’article premier du Protocole facultatif. Il fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif, puisqu’il n’a pas sollicité le contrôle de la décision de la Cour suprême du 28 décembre 2010 auprès du bureau du Procureur.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité

5.Dans une note en date du 5 janvier 2012, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il y souligne à nouveau qu’il n’a pas adressé de demande au bureau du Procureur car il n’estime pas qu’une telle demande constitue un recours juridique utile. Il fait valoir qu’un tel recours doit être disponible et utile et que, selon la pratique du Comité, un recours est utile lorsqu’il est susceptible d’assurer à l’auteur une indemnisation et qu’il lui offre des perspectives raisonnables d’obtenir réparation. L’auteur renvoie à la jurisprudence constante du Comité, selon laquelle la procédure de contrôle est une procédure de réexamen discrétionnaire, dont la portée se limite à des points de droit et dont le Comité considère qu’elle ne fait pas partie des recours utiles qui doivent être épuisés. Il renvoie en particulier à la jurisprudence du Comité dans l’affaire Tulzhenkova c. Bélarus, soulignant à nouveau que les particuliers ne sont pas autorisés à déposer plainte auprès de la Cour constitutionnelle.

Observations complémentaires de l’État partie

6.Dans une note en date du 25 janvier 2012, l’État partie fait valoir qu’en adhérant au Protocole facultatif, il a accepté de reconnaître la compétence du Comité en vertu de l’article premier de cet instrument, mais que cette reconnaissance est liée à d’autres dispositions du Protocole facultatif, notamment celles qui énoncent les critères de recevabilité et les conditions à remplir par les auteurs, en particulier les articles 2 et 5 du Protocole facultatif. Il soutient que le Protocole facultatif ne fait pas obligation aux États parties d’accepter le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par celui-ci des dispositions du Protocole facultatif, laquelle «ne peut être efficace que lorsqu’elle est faite conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités». Il affirme qu’en ce qui concerne la procédure d’examen des plaintes, les États parties doivent s’appuyer en premier lieu sur les dispositions du Protocole facultatif et que la pratique bien établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, auxquelles celui-ci renvoie, ne relèvent pas du Protocole facultatif. L’État partie ajoute qu’il considérera toute communication enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques comme incompatible avec le Protocole et qu’il la rejettera sans faire la moindre observation sur la recevabilité ni sur le fond. L’État partie déclare en outre que les décisions du Comité concernant les communications ainsi rejetées seront considérées par ses autorités comme «non valides».

Observations complémentaires de l’auteur

7.1Dans ses observations complémentaires datées du 21 mars 2012, l’auteur fait valoir que l’État partie remet en cause le droit du Comité d’établir son règlement intérieur, ainsi que la pratique habituelle des organes internationaux consistant à se doter de règles internes pour assurer leur bon fonctionnement. Il affirme que le règlement intérieur n’est pas contraire au Pacte et qu’il est accepté par les États parties comme relevant des compétences du Comité. Qui plus est, en l’absence de tels règlements, les organes ne seraient pas en mesure de fonctionner convenablement.

7.2L’auteur fait également valoir que l’État partie, en devenant partie au Protocole facultatif, a reconnu que le Comité avait compétence non seulement pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte, mais aussi, conformément au paragraphe 4 de l’article 40 du Pacte, pour adresser aux États parties ses propres rapports, ainsi que toutes Observations générales qu’il jugerait appropriées. En vertu de l’article 2 du Pacte, l’État partie est également tenu de garantir que tout individu se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence dispose d’un recours utile en cas de violation de ses droits consacrés par le Pacte. En reconnaissant la compétence du Comité pour se prononcer, dans des cas concrets, sur l’utilité d’un recours interne donné, l’État partie s’est également engagé à prendre en considération les Observations générales du Comité. Le rôle du Comité consiste notamment à interpréter les dispositions du Pacte et à élaborer une jurisprudence. En refusant de reconnaître les pratiques habituelles du Comité, ses méthodes de travail et les précédents qu’il a établis, le Bélarus refuse de reconnaître sa compétence pour interpréter le Pacte, ce qui va à l’encontre des buts et objectifs visés par cet instrument.

7.3L’auteur fait valoir que l’État partie ayant reconnu de son plein gré la compétence du Comité, il n’est pas en droit d’empiéter sur ses compétences et de ne pas tenir compte de son avis. L’État partie est tenu non seulement de mettre en œuvre les décisions du Comité, mais aussi de reconnaître ses normes, pratiques et méthodes de travail, ainsi que les précédents qu’il établit, conformément à la règle «pacta sunt servanda», principe le plus important du droit international, qui veut que tout traité en vigueur oblige les parties et doive être appliqué par elles de bonne foi.

7.4En ce qui concerne l’argument du non-épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir que ces recours doivent être disponibles et utiles et que, selon la jurisprudence du Comité, un recours est utile lorsqu’il est susceptible d’assurer à l’auteur une indemnisation et qu’il lui offre des perspectives raisonnables d’obtenir réparation. L’auteur renvoie à la jurisprudence constante du Comité selon laquelle la procédure de contrôle, procédure de réexamen discrétionnaire courante dans les anciennes républiques soviétiques, ne fait pas partie des recours utiles qui doivent être épuisés. Il fait également valoir que la Cour européenne des droits de l’homme applique une norme similaire. L’auteur affirme en outre que l’inefficacité du recours mentionné précédemment a été confirmée récemment dans l’affaire concernant Vladislav Kovalev, qui a été exécuté alors que la Cour suprême réexaminait son dossier dans le cadre d’une procédure de contrôle.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

8.1Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie, selon laquelle aucun motif juridique ne justifie l’examen de la communication présentée par l’auteur vu qu’elle a été enregistrée en violation de l’article premier du Protocole facultatif, et que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes; qu’il n’est nullement tenu de reconnaître le règlement intérieur du Comité ni l’interprétation donnée par celui-ci des dispositions du Protocole facultatif; et que la décision prise par le Comité concernant la présente communication sera considérée comme «non valide».

8.2Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 39 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties sont convenus d’accepter. Le Comité fait en outre observer que tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui affirment être victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de leurs constatations à l’État partie et aux particuliers (art. 5, par. 1 et 4). Le fait pour un État partie d’adopter une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ses obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée et, en n’acceptant pas la compétence du Comité pour déterminer s’il y a lieu d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas sa décision concernant la recevabilité et le fond des communications, l’État partie manque aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés, l’auteur n’ayant pas sollicité auprès du bureau du Procureur le contrôle de la décision de la Cour suprême du 28 décembre 2010. Le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle une demande de contrôle d’une décision de justice devenue exécutoire adressée au Bureau du Procureur général ne constitue pas un recours devant être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Dans ces circonstances, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

9.4Le Comité note que l’auteur dénonce une violation par les tribunaux de l’État partie des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte liée au fait qu’ils ont mal interprété la définition de l’expression «média» énoncée dans la loi relative aux médias et l’ont condamné à tort. Le Comité rappelle sa jurisprudence à cet égard et souligne à nouveau qu’il appartient généralement aux juridictions nationales compétentes d’apprécier ou de réexaminer les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. Le Comité n’exerce ses pouvoirs de contrôle que s’il est établi que cette appréciation ou cette interprétation ont été manifestement arbitraires ou ont constitué un déni de justice. En se fondant sur les éléments dont il est saisi, le Comité considère que l’auteur n’a pas présenté suffisamment d’éléments à l’appui de son argument selon lequel il y a eu arbitraire ou déni de justice. Le Comité conclut donc que ce grief est insuffisamment étayé et, partant, irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.5Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 14 et 19, car il n’a pas fait primer les normes de cet instrument international sur sa législation interne lorsqu’il a examiné la condamnation de l’auteur pour avoir distribué des cartes de vœux. Le Comité rappelle toutefois à cet égard son Observation générale no 31 selon laquelle l’article 2 autorise un État partie à donner effet aux droits énoncés dans le Pacte conformément à sa propre structure constitutionnelle interne et n’exige pas que le Pacte puisse être directement applicable par les tribunaux, par voie d’incorporation dans le droit interne. En conséquence, le Comité considère que l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’État partie doit faire primer le Pacte sur sa législation interne est incompatible avec l’article 2 de cet instrument et irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

9.6Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, le grief qu’il tire de l’article 19 du Pacte. En conséquence, il déclare cette partie de la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Comme le requiert le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation par les autorités des droits qu’il tient de l’article 19 du Pacte. Il ressort des éléments d’information dont le Comité est saisi que l’auteur a été arrêté, puis condamné et puni d’une amende pour avoir distribué des cartes de vœux imprimées par un parti politique qui n’avait pas été enregistré conformément à la législation nationale. De l’avis du Comité, ces mesures susmentionnées prises par les autorités entravent l’exercice par l’auteur du droit de répandre des informations et des idées de toute espèce, qui est protégé par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

10.3Le Comité doit ensuite déterminer si les restrictions apportées à la liberté de l’auteur de répandre des informations sont justifiées en vertu de l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Le Comité renvoie à ce sujet à son Observation générale no 34 (2011), dans laquelle il affirme que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique (par. 2). Il note que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise l’application de restrictions à la liberté d’expression, y compris la liberté de répandre des informations et des idées, dans la seule mesure où celles-ci sont fixées par la loi et sont nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Enfin, aucune restriction de la liberté d’expression ne doit avoir une portée trop large: elle doit constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et doit être proportionnée à l’intérêt à protéger.

10.4Le Comité constate qu’en l’espèce l’interdiction de la distribution d’imprimés au motif qu’ils ont été imprimés par un parti politique qui n’était pas autorisé à distribuer de tels documents, la détention de l’auteur pour violation de cette interdiction et sa condamnation à une amende importante soulève des doutes sérieux quant à la nécessité et à la proportionnalité des restrictions apportées aux droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte. Le Comité constate en outre que l’État partie n’a invoqué aucun motif précis justifiant les restrictions imposées à l’auteur, comme l’exige le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. L’État partie n’a pas non plus montré que les mesures choisies constituaient le moyen le moins perturbateur d’obtenir le résultat recherché ou étaient proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, les restrictions imposées à l’auteur, bien que fondées sur la législation interne, n’étaient pas justifiées au regard des conditions énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il conclut par conséquent qu’il y a eu violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par le Bélarus des droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte. L’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

12.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme du remboursement de la valeur actuelle de l’amende qui lui a été infligée et des frais de justice qu’il a encourus, ainsi qu’une indemnisation. L’État partie doit en outre veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement sur son territoire en biélorusse et en russe.

Appendice

Opinion individuelle (concordante) de Fabián Omar Salvioli

J’approuve la décision du Comité dans l’affaire Poliakov c. Bélarus (communication no 2103/2011). Je ne peux toutefois souscrire aux arguments présentés par le Comité au paragraphe 9.5, dans lequel il cite l’Observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte comme base pour déclarer irrecevable le grief tiré du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.

Le paragraphe 13 de l’Observation générale no 31 est malencontreux et ne reflète pas de manière satisfaisante le paragraphe 2 de l’article 2. Dans le paragraphe 13 de son Observation générale, le Comité déclare ce qui suit: «L’article 2 autorise un État partie à procéder à cette modification conformément à sa structure constitutionnelle propre et, partant, il n’exige pas que le Pacte puisse être directement applicable par les tribunaux, par voie d’incorporation dans le droit interne.».

Le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte est libellé comme suit: «Les États parties au présent Pacte s’engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures, d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur.».

Le but manifeste du paragraphe 2 de l’article 2 est de faire en sorte que les droits consacrés par le Pacte soient efficacement protégés au niveau national. Si ces droits ne sont pas dûment protégés par la législation au moment de la ratification, l’État partie est tenu d’adopter immédiatement une loi nationale conformément aux procédures constitutionnelles en place.

Il est essentiel que le Pacte soit appliqué au niveau national si l’on veut garantir les droits qu’il consacre. C’est pour cette raison que le Comité demande, lorsqu’il examine les rapports des États parties, des exemples de l’application du Pacte par les tribunaux nationaux et qu’il appelle l’attention dans ses observations finales sur le fait qu’il est nécessaire que les tribunaux appliquent le Pacte. Le Comité devrait s’abstenir de donner − que ce soit dans ses Observations générales ou dans ses constatations − des interprétations qui portent atteinte au système de protection prévu par le Pacte.

Cela dit, je comprends pourquoi, en l’espèce, le Comité a jugé nécessaire de déclarer l’allégation selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 2 irrecevable au motif que l’auteur n’a pas étayé son allégation.