Communication présentée par :

B. et C. (représentés par un conseil, Jaroslav Capek)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

République tchèque

Date de la communication :

18 septembre 2009 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 11 février 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

2 avril 2015

Objet :

Restitution d’un bien

Question(s) de procédure :

Justification des griefs; recevabilité ratione materiae et ratione temporis

Question(s) de fond :

Discrimination; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (113e session)

concernant la

Communication no1967/2010 *

Présentée par :

B. et C. (représentés par un conseil, Jaroslav Capek)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

République tchèque

Date de la communication :

18 septembre 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 2 avril 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no1967/2010présentée par B. et C. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteursde la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication sont B. et C., de nationalité allemande, nés le 21 juin 1933 et le 20 décembre 1936 respectivement, et domiciliés en République tchèque. Ils affirment être victimes de violations par la République tchèque des droits qu’ils tiennent des articles 2 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par un conseil, Jaroslav Capek.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont les héritiers de leurs parents, qui étaient des « citoyens tchèques de nationalité allemande ». Leurs parents étaient agriculteurs. Le père, décédé en 1944, était propriétaire d’une ferme située dans la commune de Horní Jindrivhoc, dans la région des Sudètes, en République tchèque. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs prisonniers de guerre français et polonais ont été affectés au travail à la ferme pour contribuer à la production alimentaire destinée au ravitaillement du Reich allemand. Les parents des auteurs traitaient bien les prisonniers et leur donnaient autant à manger qu’à eux-mêmes, malgré les risques que cela entraînait. En 1943, un voisin a dénoncé les parents des auteurs à la police allemande. Ils ont alors été condamnés par un tribunal allemand pour « sabotage économique » contre le IIIe Reich et favoritisme envers des prisonniers. La mère des auteurs a été condamnée à dix-huit mois de détention dans un camp de concentration, mais l’exécution de sa peine a été différée parce qu’elle avait quatre enfants en bas âge. Le père des auteurs a d’abord été condamné à une peine de vingt-quatre mois de détention dans un camp de concentration, mais il a ensuite reçu l’ordre de rejoindre une « unité de sanction disciplinaire » sur le front de l’Est. Parti de chez lui le 27 juin 1944, il n’est jamais revenu. Par la suite, il a été déclaré comme étant décédé le 27 juillet 1944, et ses biens ont été confisqués par l’État en raison de sa nationalité allemande. Les auteurs affirment que les autorités tchèques, lorsqu’elles ont confisqué les biens, n’ont pas pris en compte le fait que leurs parents s’étaient comportés avec humanité envers les prisonniers de guerre qui travaillaient dans leur ferme et que ce comportement était le motif de leur condamnation par les tribunaux du Reich allemand.

2.2En 1992, B. et sa mère ont présenté des demandes en restitution de la ferme familiale auprès de l’autorité du district de Decin, qui les a rejetées au motif que le père des auteurs n’était pas citoyen tchèque. Les auteurs affirment que l’autorité de district n’a pas pris en compte le fait qu’eux-mêmes, leur mère et leurs sœurs sont tous devenus citoyens tchèques après la guerre. Ils affirment aussi que le décret présidentiel no 33/1945 a certes déchu rétroactivement les citoyens tchèques d’origine allemande de leur citoyenneté tchèque, mais que leur père, étant décédé lorsque cette loi est entrée en vigueur le 10 août 1945, ne pouvait être concerné par ledit décret puisque celui-ci imposait un certain nombre de démarches qui ne pouvaient être entreprises par un défunt.

2.3Les auteurs ont engagé une nouvelle procédure en restitution, visant à prouver que leur père était citoyen tchèque et qu’il aurait donc été éligible à la restitution des biens s’il avait été en vie. Déboutés, ils ont engagé une action auprès du tribunal de district pour faire déterminer la succession non dévolue de leur père décédé (au décès du père, les biens avaient été transférés à une entité quasi publique). Dans cette demande, ils faisaient valoir que la procédure de confiscation n’avait pas été menée dans les règles parce qu’elle n’avait pas été autorisée par un texte administratif précis et que la propriété des biens n’avait donc pas été transférée à l’État. Néanmoins, le tribunal de district a jugé que la ferme avait été confisquée dans les règles par l’État. Les recours ensuite formés en appel et devant la Cour constitutionnelle ont été rejetés au motif que les auteurs avaient « un intérêt juridique insuffisant ». Les tribunaux se fondaient, dans leur raisonnement, sur un avis émis le 1er novembre 2005 par la Cour constitutionnelle, publié sous le numéro 477/2005.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent que le refus, par l’État partie, de reconnaître leur droit à la restitution des biens de leur père décédé constitue une violation de l’article 26 du Pacte. Ils affirment que l’avis constitutionnel est discriminatoire parce qu’il empêche ceux dont les biens ont été confisqués par l’État avant le 1er janvier 1990 de présenter une demande en restitution en application des règles du droit civil ordinaire. Ils font valoir qu’à cause de l’avis constitutionnel, l’accès à un examen judiciaire juste et équitable sur le fond de leur affaire leur a été refusé, alors que ceux dont les biens ont été expropriés après le 1er janvier 1990 avaient accès à une telle procédure. Selon eux, la raison de cette discrimination pourrait être le fait que l’État partie considère les personnes de souche allemande comme les « ennemis des Tchèques ». Les auteurs affirment aussi qu’ils ont fait l’objet de discrimination dans la mesure où ils n’ont pas eu accès à un juge indépendant car les juges qui s’appuient sur l’avis constitutionnel n’examinent pas l’intérêt juridique des plaignants.

3.2Les auteurs invoquent aussi une violation, par l’État partie, de l’article 2 du Pacte. Ils affirment que les biens de leur père ont été expropriés illégalement parce que la confiscation n’avait pas été autorisée au moyen d’un acte administratif précis, et que les tribunaux qui se sont appuyés sur l’avis constitutionnel les ont privés de la possibilité de voir prospérer leur demande en restitution de ces biens. Selon eux, avant le 1er novembre 2005, la Cour constitutionnelle estimait que les lois relatives à la restitution des biens n’interdisaient pas les actions en restitution de biens saisis avant le 1er janvier 1990 lorsque l’État n’avait pas acquis la propriété dans les règles. Les auteurs prétendent que, lorsqu’elle a adopté son avis, la Cour constitutionnelle est revenue sur sa pratique alors que la législation en matière de restitution n’avait pas été modifiée et que, ce faisant, elle a violé l’article 11 (par. 4) de la Déclaration des libertés et droits fondamentaux. Ils font valoir qu’en vertu de la Déclaration, il est possible d’exproprier des biens « sur une base juridique et contre indemnisation ». Ils affirment que l’avis constitutionnel était contraire à la Déclaration, ainsi qu’au Pacte, du fait qu’il autorisait l’État partie à ne pas indemniser les personnes dont les biens avaient été expropriés sans base juridique avant le 1er janvier 1990. Les auteurs soulignent que si la législation relative à la restitution n’est pas incompatible avec le Pacte, en revanche, l’interprétation politique qui en est faite dans l’avis constitutionnel en constitue bien une violation. Ils ajoutent que toute personne dont les biens ont été saisis a droit à restitution, quel que soit le temps écoulé depuis la confiscation.

3.3Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes et que leur affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations en date du 22 avril 2011 et du 27 septembre 2011, l’État partie énumère les lois pertinentes et indique que le décret présidentiel no12/1945 portait autorisation générale de confisquer les biens agricoles de toutes les personnes de nationalité allemande ou hongroise, quelle que soit leur citoyenneté. La loi no229/1991 autorisait la restitution des biens agricoles qui étaient devenus propriété de l’État entre le 25 février 1948 et le 1er janvier 1990. La loi no 243/1992 a élargi le champ d’application de la loi no 229/1991 en autorisant la restitution aux citoyens de la République tchèque des biens dont ils avaient perdu la propriété en application des décrets présidentiels nos 12/1945 ou 108/1945, à conditions qu’ils n’aient commis aucune infraction contre l’État tchécoslovaque et qu’ils aient de nouveau acquis la citoyenneté en application des lois de 1948 à 1953 (sauf si celle-ci avait été récupérée en application du décret présidentiel constitutionnel no 33/1945). En application de la section 80 du Règlement de procédure civile, une action peut être engagée pour demander une décision sur une déclaration quant à l’existence d’un droit ou d’un lien légal, à condition que ladite déclaration présente un intérêt juridique urgent. Dans son avis de 2005, la Cour constitutionnelle a déclaré qu’en application de la législation relative à la restitution, il n’était pas possible de demander la protection d’un droit de propriété éteint avant le 25 février 1948, sauf si une loi distincte autorisait la restitution des biens visés.

4.2L’État partie complète le contexte factuel de la communication en indiquant qu’en 1992, B. et sa mère ont formé une action en restitution de la ferme en application de la loi no 229/1991 auprès du bureau du cadastre de l’autorité de district, à Decin. Cette action, formée contre les personnes morales dont le nom était enregistré sur le titre de propriété, a été rejetée le 7 septembre 1993 au motif que la mère des auteurs, seule héritière du père des auteurs, n’avait pas acquis la propriété des biens. Les biens avaient été confisqués ex lege à la date d’entrée en vigueur du décret no 12/1945. En application de la loi no 243/1992, les conditions de restitution des biens doivent être remplies par le propriétaire d’origine, et les prétentions des autres personnes habilitées découlent de la réclamation présentée par le propriétaire d’origine. Le père des auteurs ne remplissait que la condition de la confiscation en application du décret no 12/1945; il ne remplissait pas les autres conditions. Les auteurs eux-mêmes remplissaient les autres conditions (leur citoyenneté leur avait été rendue en application du décret no 33/1945; ils n’avaient pas commis d’infraction contre l’État; ils étaient citoyens tchèques et résidents permanents), mais ils ne remplissaient pas la condition relative à la confiscation parce qu’ils n’avaient pas possédé les biens. Par conséquent, ils ne pouvaient pas prétendre à la restitution de ces biens. La mère des auteurs a présenté un recours constitutionnel le 22 septembre 1994, en faisant valoir que son mari décédé était citoyen tchèque. Le recours a été rejeté le 5 octobre 1994, au motif qu’il était manifestement infondé, parce qu’aucun élément ne prouvait que le père des auteurs avait été un citoyen tchécoslovaque ou qu’il avait acquis cette citoyenneté. La mère des auteurs est ensuite décédée et ses quatre enfants ont été désignés ses héritiers à parts égales. Leur requête visant à reprendre la procédure a été rejetée le 30 août 1996, au motif qu’ils n’avaient pas donné la preuve de la nationalité tchèque du père. Leur recours a été rejeté par le Bureau du cadastre central du Ministère de l’agriculture le 31 janvier 1997, au motif que le père des auteurs avait acquis la citoyenneté allemande le 10 octobre 1938 en application des règlements des forces d’occupation étrangères et que, à son décès, il était un citoyen allemand. Les auteurs ont alors présenté un recours devant la Cour supérieure de Prague, qui a pris une décision de classement sans suite le 29 mai 1997 pour des motifs de procédure. L’État partie relève qu’apparemment, les auteurs n’ont pas présenté de recours constitutionnel de la décision de la Cour supérieure. En 2002, ils ont engagé plusieurs actions contre des entités légales auprès du tribunal de district de Decin, pour demander une déclaration selon laquelle la propriété de la ferme constituait encore une succession non dévolue (hereditas iacens) de leur père. Ces actions étaient fondées sur les mêmes arguments juridiques (à savoir que la confiscation était illégale parce qu’on ne trouvait pas d’acte précis d’application du décret de confiscation et qu’il n’était pas possible de confisquer une hereditas iacens); la plupart ont été rejetées en application de l’avis constitutionnel, au motif que les auteurs n’avaient pas d’intérêt juridique à demander la déclaration, qui était une tentative de contourner la législation relative à la restitution. Néanmoins, deux des plaintes n’ont pas encore été entendues en raison d’une suspension d’instance que les auteurs ont demandée eux-mêmes. Après avoir rassemblé des éléments de preuve suffisants et fait des recherches dans les registres historiques, le tribunal de district a rejeté la première plainte, que les auteurs avaient déposée contre l’entreprise publique Lesy Ceske republiky. Ayant examiné lesdits registres, le tribunal a établi que la ferme avait fait l’objet d’une confiscation, et relevé que les plaignants d’origine avaient eux-mêmes pris note, dans les procédures de restitution, du fait que les biens avaient été confisqués en application du décret no 12/1945. Le tribunal a estimé que le fait qu’un acte administratif particulier de confiscation ne puisse pas être retrouvé longtemps après sa délivrance ne signifiait pas nécessairement qu’il n’existait pas à l’époque ou que la confiscation n’était pas valable. Le 20 décembre 2007, la juridiction régionale a confirmé le jugement du tribunal de district et a conclu, en se fondant sur l’avis constitutionnel, les auteurs ne pouvaient pas se prévaloir d’un intérêt juridique urgent, comme requis pour demander la déclaration de propriété. Le 7 juillet 2008, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours dont les auteurs l’avaient saisie. Elle a estimé que leur grief de traitement discriminatoire par les tribunaux ne s’appuyait pas sur des arguments factuels et constitutionnels solides et qu’il était donc manifestement dénué de fondement. Les recours constitutionnels formés par les auteurs concernant leurs deuxième, troisième et quatrième plaintes contre des entités légales ont également été déclarés manifestement dénués de fondement en 2008.

4.3L’État partie considère que les auteurs n’ont pas épuisé les voies de recours internes parce qu’ils n’ont pas formé de recours constitutionnel contre la décision rendue en mai 1997 par la Cour supérieure de Prague, dans laquelle celle-ci rejetait leur demande en restitution de la ferme en application de la loi no 243/1992. Les actions engagées par les auteurs pour obtenir une déclaration selon laquelle les biens fonciers contestés faisaient encore partie de l’hereditas iacens de leur père ne constituent pas des recours internes parce que ces actions n’auraient pas entraîné l’annulation des décisions d’origine concernant la restitution ni les effets de ces décisions. De plus, même si, selon leurs propres dires, les auteurs n’ont pas saisi la Cour constitutionnelle parce que celle-ci ne peut examiner que des confiscations qui ont eu lieu entre 1948 et 1989, la loi no243/1992 indique clairement que cette limite temporelle ne vise pas la manière dont la loi est appliquée. L’État partie note aussi que B. a saisi la Cour européenne des droits de l’homme en 2008 et que celle-ci, le 3 mars 2009, a décidé que sa requête n’était pas recevable parce qu’elle était manifestement dénuée de fondement.

4.4L’État partie considère également que les griefs des auteurs sont insuffisamment étayés et manifestement dénués de fondement aux fins de la recevabilité, et qu’ils ne mettent en évidence aucune violation sur le fond. Il n’existe pas de droit fondamental à une nouvelle décision en matière de prétentions foncières n’ayant pas abouti, et les délais fixés par la loi pour les actions en restitution (énoncés notamment dans la loi no243/1992) ne constituent pas, en soi, une violation du Pacte. De plus, le fait que les auteurs n’ont pas pu démontrer qu’ils remplissaient les conditions prévues par la loi no243/1992 n’est pas imputable à l’État partie. Un organe international ne peut interpréter le droit interne différemment des autorités nationales ni conclure que des irrégularités de la législation relative à la restitution (telles que la condition de citoyenneté) puissent être invoquées en dehors des procédures définies par ladite législation. Selon la jurisprudence du Comité, les différences de traitement ne sauraient être réputées discriminatoires si elles sont fondées sur des critères raisonnables et objectifs. Les biens des auteurs n’ont pas été expropriés, parce que les auteurs n’en étaient pas propriétaires ou n’avaient pas de perspective légitime suffisamment fondée de voir leurs prétentions satisfaites à ce sujet, aucune autorité n’ayant jamais tranché en leur faveur. La situation des auteurs diffère considérablement de la situation de ceux qui ont vu leurs droits de propriété touchés après la chute du régime communiste et qui ont été expropriés, par exemple en raison de travaux publics. Les auteurs n’avaient pas exercé leur droit de propriété depuis des décennies. La différence de traitement était donc directement liée au fait que les groupes de personnes concernés étaient totalement différents. L’État partie rappelle l’observation du Comité selon laquelle « on ne peut pas conclure que la législation adoptée après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie pour indemniser les victimes de ce régime constitue une discrimination prima facie au sens de l’article 26, du seul fait qu’elle n’indemnise pas les victimes des injustices qui auraient été commises par des régimes antérieurs ». Lorsqu’elle a émis son avis, la Cour constitutionnelle n’a pas produit de nouvelles règles sur la restitution des biens mais n’a fait qu’interpréter la législation en vigueur en la matière, et ce, avant que les auteurs fassent valoir leurs prétentions. L’État partie affirme que les prétentions exclues par l’avis constitutionnel n’ont pas de fondement en droit interne. Le Parlement et la Cour constitutionnelle ont tous deux estimé que, dans l’intérêt public, il était nécessaire de limiter le champ de la législation relative à la restitution parce qu’on ne pouvait prétendre réparer qu’un certain nombre des injustices commises par le passé. L’insuccès des auteurs à bénéficier de cette législation était le résultat de diverses circonstances plutôt que la conséquence inévitable de la législation en soi.

4.5En réponse au grief des auteurs selon lequel les biens n’avaient pas été expropriés légalement parce qu’on n’avait pas trouvé d’ordonnance de confiscation dans les archives de l’État, l’État partie affirme qu’il n’était pas nécessaire d’émettre une ordonnance de confiscation en application du décret présidentiel no 12/1945, car celui-ci disposait la confiscation ex lege. Il fait également observer que le conseil des auteurs a sans succès « recouru à cet argument très fréquemment dans les diverses procédures engagées » et que les auteurs ne fondent cet argument sur aucune référence à une législation nationale pertinente ou à la jurisprudence. L’État partie considère aussi qu’il n’incombe pas au Comité de réévaluer l’interprétation et l’application du droit interne, particulièrement en ce qui concerne une législation qui a produit ses effets il y a plusieurs décennies.

4.6En réponse à l’argument des auteurs concernant l’indépendance du système judiciaire tchèque, l’État partie signale que tous les juges de la Cour constitutionnelle sont nommés conformément à la Constitution adoptée après la chute du régime communiste, par des organes publics créés démocratiquement. Qui plus est, ils ont été nommés par des présidents qui n’avaient pas de lien avec le Parti communiste et qui en rejetaient l’idéologie. De plus, la nomination des juges par le Président est approuvée par le Sénat, où le Parti communiste a toujours été représenté de manière marginale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans leurs commentaires en date du 1er juillet 2011, les auteurs répètent que les biens de leur père n’ont pas été confisqués légalement parce qu’aucun mandat de confiscation n’a jamais été trouvé dans les archives de l’État partie. Ils affirment qu’ils n’ont découvert l’absence d’une ordonnance que lorsqu’ils ont fait des recherches personnelles dans les archives, et font valoir que l’État partie n’a pas été en mesure de produire ladite ordonnance. Ils allèguent de plus que les biens ont été confisqués à cause de la nationalité allemande de leur père, ce qui constitue une discrimination. Qui plus est, l’État partie s’est rendu coupable de discrimination à leur égard en comparaison avec la manière dont il a traité les revendications de ceux dont les biens avaient été confisqués avant le 25 février 1948 (et qui leur ont été restitués). Les auteurs affirment que dans son avis, la Cour constitutionnelle va à l’encontre du principe fondamental selon lequel celui qui détient des biens illégalement doit les restituer, quel que soit le temps écoulé. Ils soutiennent qu’ils n’ont pas eu de véritable possibilité de contester la confiscation après 1945 parce que personne ne se sentait en mesure de lutter contre des confiscations dans un pays de plus en plus communiste et que la première possibilité qu’ils ont eue de le faire s’est présentée après que les communistes eurent quitté le pouvoir en 1990. Les auteurs réfutent l’argument de l’État partie selon lequel ils tentent de contourner la législation relative à la restitution et affirment qu’ils ont seulement essayé d’obtenir une déclaration concernant l’existence d’une succession non dévolue.

5.2Concernant l’épuisement des recours internes, les auteurs expliquent qu’ils n’ont pas contesté la décision de la Cour supérieure de Prague en 1997 auprès de la Cour constitutionnelle parce qu’ils avaient découvert que celle-ci refusait systématiquement la réparation de faits commis dans ce domaine avant 1948, et qu’un tel recours n’aurait donc pas été utile. Ils affirment aussi qu’au moment de l’adoption de l’avis constitutionnel, quatre des juges de la Cour constitutionnelle étaient des anciens membres du Parti communiste et qu’ils auraient dû se récuser dans toute décision sur l’affaire, qui concernait des faits commis par ce parti. Les auteurs affirment que si ces juges s’étaient récusés, l’avis constitutionnel n’aurait pas été adopté car la Cour n’aurait pas obtenu le quorum nécessaire de neuf voix.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et a conclu que ces mêmes dispositions ne faisaient pas obstacle à la recevabilité de la communication.

6.3Le Comité prend note des griefs que les auteurs tirent de l’article 2 du Pacte au motif que les biens en question n’ont pas été confisqués légalement à cause de l’absence d’un acte administratif précis, que dans son avis, la Cour constitutionnelle interprète la législation relative à la restitution d’une manière telle qu’elle permet à l’État de ne pas indemniser les personnes dont les biens ont été expropriés sans base juridique avant le 1er janvier 1990; que les tribunaux tchèques, en se fondant sur l’avis en question, ont privé les auteurs de la possibilité d’obtenir la restitution de leurs biens; et qu’ils ont droit à ladite restitution ou à une indemnisation pour les biens expropriés. Le Comité rappelle que le droit à la propriété n’est pas protégé par le Pacte et qu’il est donc incompétent ratione materiae pour examiner toute allégation de violation de ce droit. De plus, tout en déplorant les circonstances qui auraient entouré la confiscation des biens en question, il rappelle que le Pacte ne peut pas être appliqué rétroactivement et que la confiscation s’est produite en 1945, avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif. Enfin, le Comité rappelle que l’article 2 (par. 3) du Pacte ne peut être invoqué par des particuliers que conjointement avec d’autres articles du Pacte et ne peut, per se, donner lieu à une communication au titre du Protocole facultatif. Par conséquent, ces griefs sont irrecevables en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note aussi du grief que les auteurs tirent de l’article 26 du Pacte, à savoir que le système judiciaire tchèque a été discriminatoire à leur égard, au motif de leur origine allemande, lorsqu’il a appliqué l’avis dans lequel la Cour constitutionnelle a interprété de manière restrictive la législation relative à la restitution et de ce fait traité les plaignants différemment selon la date à laquelle leurs biens ont été confisqués. À cet égard, le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel ces restrictions temporelles constituent un traitement discriminatoire parce qu’elles empêchent ceux dont les biens ont été confisqués en dehors des délais prescrits d’obtenir la restitution. Le Comité note que les délais établis dans l’avis de la Cour constitutionnelle, qui ont empêché les auteurs de demander la restitution de leurs biens parce que ceux-ci avaient été confisqués avant le 25 février 1948, s’appliquaient de manière égale à tous. Il note aussi que les auteurs n’ont pas expliqué comment ces délais étaient liés aux origines nationales ou ethniques. Il considère donc que les renseignements donnés par les auteurs ne démontrent pas que les tribunaux tchèques, en appliquant l’avis aux affaires de restitution de biens, étaient discriminatoires à leur égard au motif de leur origine nationale ou ethnique. Par conséquent, le Comité considère que les auteurs n’ont pas étayé, aux fins de la recevabilité, le fait que l’application de l’avis constitutionnel était discriminatoire au sens de l’article 26. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité note aussi que les auteurs invoquent une violation de l’article 26 du Pacte au motif qu’ils n’ont pas eu accès à un juge indépendant, parce que les juges, lorsqu’ils ont appliqué l’avis constitutionnel, ont refusé d’examiner la question de leur intérêt juridique. Il prend note également de l’affirmation des auteurs selon laquelle plusieurs des membres de la Cour constitutionnelle qui ont émis l’avis étaient des membres du Parti communiste et auraient dû se récuser, auquel cas l’avis n’aurait pas été émis et les prétentions des auteurs n’auraient pas été entravées par des considérations d’ordre temporel. Le Comité rappelle qu’il a souligné à maintes reprises qu’il n’est pas un organe de dernier ressort qui serait compétent pour réexaminer des conclusions de faits ou l’application de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que les procédures suivies par les juridictions nationales ont été arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Dans le cas d’espèce, le Comité considère que les auteurs contestent la substance de la jurisprudence interne mais n’ont pas suffisamment démontré aux fins de la recevabilité que la publication de l’avis par la Cour et son application par les tribunaux tchèques étaient arbitraires ou constituaient un déni de justice. En conséquence, ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.

Annexe

[Original : français]

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de M. Olivier de Frouville, M. Mauro Politi et M. Victor Manuel Rodríguez-Rescia

Dans sa décision en l’affaire B. et C., le Comité a conclu à l’irrecevabilité des griefs des auteurs fondés sur les articles 2 et 26.

Nous rejoignons la conclusion du Comité selon laquelle le grief fondé sur l’article 2 est irrecevable, mais nous pensons qu’au paragraphe 6.3 de sa décision, le Comité énumère plusieurs motifs d’irrecevabilité, alors que le premier motif était à lui seul décisif, à savoir que l’article 2 ne peut être invoqué qu’en lien avec un autre article du Pacte. L’invocation d’une incompétence ratione temporis, en particulier, semble peu justifiée, pour au moins deux raisons de forme : tout d’abord, l’État partie n’ayant pas invoqué ce motif, il ne revenait pas au Comité de le soulever d’office (voir la communication no R.10/44, Pietroroia c. Uruguay, constatations adoptées le 27 mars 1981); ensuite, le Comité n’applique ce motif qu’au grief fondé sur l’article 2, mais pas au grief fondé sur l’article 26, ce qui est incohérent. Au surplus, le Comité se réfère explicitement, pour retenir cette exception, à ses constatations en l’affaire Bergauer et consorts c. République tchèque. Or la motivation dans cette affaire est loin d’être exempte de toute critique. Il n’est toutefois pas nécessaire de s’appesantir sur ce point, puisque ce motif n’aurait, selon nous, pas dû être retenu par le Comité en l’espèce.

Nous rejoignons également la conclusion du Comité au paragraphe 6.5 quant à la deuxième branche du moyen soulevé par les auteurs au titre de l’article 26 : ce moyen ne semble en effet pas suffisamment étayé et peut être écarté comme étant manifestement mal fondé.

Nous tenons en revanche à exprimer respectueusement notre désaccord avec la conclusion du Comité qui rejette, comme également manifestement mal fondée, la première branche du moyen des auteurs, à savoir que « le système judiciaire tchèque a été discriminatoire à leur égard au motif de leur origine allemande, lorsqu’il a appliqué l’avis dans lequel la Cour constitutionnelle a interprété de manière restrictive la législation relative à la restitution » et que, ce faisant, les juridictions tchèques auraient traité « les plaignants différemment selon la date à laquelle leurs biens ont été confisqués » (par. 6.4 de la décision). À cela, le Comité répond que la restriction temporelle établie par la loi sur la restitution de 1991 – et réitérée par la Cour constitutionnelle et les juridictions qui se sont prononcées dans le cas des auteurs – s’appliquait « de manière égale à tous ». Il estime par ailleurs que « les auteurs n’ont pas expliqué comment ces délais étaient liés aux origines nationales ou ethniques » (voir par. 6.4).

Il nous semble que les auteurs avaient ici un grief suffisamment étayé, qui méritait d’être examiné au fond. Initialement, la confiscation de propriété est intervenue sur la base du décret présidentiel no 12/1945 portant « autorisation générale de confisquer les biens agricoles de toutes les personnes de nationalité allemande ou hongroise, quelle que soit leur citoyenneté ». Or la loi sur la restitution de 1991 « autorisait la restitution des biens agricoles qui étaient devenus la propriété de l’État entre le 25 février 1948 et le 1er janvier 1990 » (voir par. 4.1). Il était donc évident que le champ temporel de la loi excluait toute demande en restitution pour les confiscations intervenues en 1945 à l’encontre des personnes de nationalité allemande ou hongroise visées par le décret de 1945.

Du reste, dans cette affaire, le gouvernement lui-même semblait à tout le moins admettre l’existence d’une « différence de traitement » entre différentes catégories de personnes : « La situation des auteurs diffère considérablement de la situation de ceux qui ont vu leurs droits de propriété touchés après la chute du régime communiste et qui ont été expropriés, par exemple, en raison de travaux publics. Les auteurs n’avaient pas exercé leur droit de propriété depuis des décennies. La différence de traitement était donc directement liée au fait que les groupes de personnes concernés étaient totalement différents » (par. 4.4).

Il aurait donc été approprié pour le Comité d’approfondir cette question au fond, en demandant à l’État d’éclaircir sa position à cet égard.

Le Comité reproche aux auteurs de ne pas avoir « expliqué » le lien entre la limitation temporelle de la loi et une discrimination qui aurait été fondée sur leurs origines nationales ou ethniques. Autrement dit, il fait peser la charge de la preuve exclusivement sur les auteurs, alors que ceux-ci ont avancé des éléments probants concernant un lien entre la limite temporelle de la loi de 1991 et ses réitérations ultérieures, et une possible discrimination à l’encontre d’un groupe de personnes. En se fondant sur ces éléments probants, le Comité aurait dû constater, lors d’un examen au fond, qu’il revenait à l’État de démontrer non seulement que la limite temporelle fixée n’était pas discriminatoire en soi, mais aussi qu’elle n’occasionnait pas une discrimination indirecte, autrement dit qu’elle n’avait pas « d’effets préjudiciables affectant exclusivement ou de manière disproportionnée des personnes particulières en raison de leur race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou toute autre opinion, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation »a.. En l’espèce, il fallait s’interroger sur la question de savoir si les personnes de nationalité allemande étaient les seules affectées par cette limitation temporelle, ou bien si elles étaient affectées de manière disproportionnée par rapport à d’autres catégories de personnes. Si le Comité était arrivé à une telle conclusion, l’État partie aurait encore eu la possibilité de montrer qu’une telle atteinte au droit à l’égalité devant la loi au sens de l’article 26 visait un but légitime et était bien fondée sur des motifs objectifs et raisonnables. En considérant que les auteurs n’avaient pas suffisamment « expliqué » leur allégation de discrimination, le Comité a fait peser sur eux une charge excessive, alors même que l’État partie n’a pas expliqué clairement ce qui justifiait la différence de traitement dont il reconnaît lui-même l’existence.