Comité des droits de l’homme
Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2465/2014 ** , ***
Communication présentée par : |
Eugène Diomi Ndongala Nzo Mambu (représenté par un conseil, Georges Kapiamba) |
Au nom de : |
L’auteur |
État partie : |
République démocratique du Congo |
Date de la communication : |
22 septembre 2014 (date de la lettre initiale) |
Références : |
Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 8 octobre 2014 (non publiée sous forme de document) |
Date des constatations : |
3 novembre 2016 |
Objet : |
Poursuites contre un député d’un parti d’opposition |
Question(s) de procédure : |
N on bis in idem ; non-épuisement des voies de recours internes |
Question(s) de fond : |
Détention au secret ; privation de soins de santé en prison ; garanties d’un procès équitable |
Article(s) du Pacte : |
2 (par. 3) conjointement avec 9, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 14 (par. 1) et 14 (par. 3 b)) |
Article(s) du Protocole facultatif : |
5 (par. 2 a) et b)) |
1.1L’auteur de la communication est Eugène Diomi Ndongala Nzo Mambu, ressortissant congolais né le 24 décembre 1962 en République démocratique du Congo. Il allègue être victime de violations par l’État partie des droits qu’il tient des articles 9, 10 et 14 du Pacte. La République démocratique du Congo a adhéré au Protocole facultatif se rapportant au Pacte le 1er novembre 1976.
1.2Le 8 octobre 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de prendre en compte l’état de santé de l’auteur et de prendre toutes les mesures nécessaires pour lui fournir une assistance médicale appropriée afin d’éviter un préjudice irréparable à sa santé.
1.3Le 23 février 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner la question de la recevabilité conjointement avec le fond de la communication.
Les faits tels que présentés par l’auteur
2.1L’auteur est administrateur de sociétés et Président du parti politique de l’opposition Démocratie chrétienne. Lors des élections législatives de novembre 2011, il a été élu député à l’Assemblée nationale. Se trouvant à la tête d’autres députés de l’opposition, il a refusé de siéger, exigeant préalablement la reconnaissance d’Étienne Tshisekedi comme vainqueur de l’élection présidentielle de novembre 2011 et contestant la régularité de l’élection du Président Kabila.
2.2Le 26 juin 2012, la police a occupé le siège de son parti à Gombe, Kinshasa. Cette occupation était illégale car elle a eu lieu sans que le Procureur général de la République ne signe une réquisition d’information. La police a eu accès à l’ensemble des bureaux et plusieurs effets de l’auteur ainsi que des documents et autres biens s’y trouvant furent emportés. Ce n’est que le 26 juillet 2012 que le Procureur du Parquet de grande instance de Kinshasa/Gombe a émis une réquisition de sécuriser les biens meubles et immeubles appartenant à l’auteur. Le 2 août 2012, l’épouse de l’auteur a écrit au Procureur général de la République pour demander le retrait de la réquisition et le départ des policiers, mais l’occupation des lieux a duré environ deux mois.
2.3L’auteur affirme avoir été enlevé le 27 juin 2012 par des agents des services de sécurité alors qu’il se rendait à une cérémonie de signature de la charte d’un regroupement politique de l’opposition appelée « Majorité Présidentielle Populaire », prévue à la cathédrale Notre Dame du Congo à Kinshasa. L’auteur affirme avoir été détenu au secret pendant une période de trois mois et treize jours, durant laquelle il a été interrogé sur sa relation avec M. Tshisekedi et sur la stratégie envisagée par l’opposition pour prendre le pouvoir étant donné la contestation des élections de 2011.
2.4Le 28 juin 2012, le Ministre des médias et porte-parole du Gouvernement a annoncé publiquement qu’une personnalité importante avait été arrêtée pour viol et, le même jour, le Procureur général de la République a déclaré aux médias que l’auteur avait pris la fuite après qu’un mandat d’arrêt ait été délivré à son encontre pour un viol sur deux mineures qui aurait eu lieu en juin 2012. Son épouse a porté plainte contre X pour enlèvement et détention au secret auprès du Procureur général de la République à Kinshasa/Gombe le 16 août 2012. La plainte n’a jamais été instruite.
2.5L’auteur affirme avoir été libéré la nuit du 10 octobre 2012 et abandonné sur la route, avenue de Matadi, à Kinshasa. Il a porté plainte pour enlèvement, détention au secret et mauvais traitements auprès de l’Auditeur général des forces armées en date du 15 octobre 2012. Or, sa plainte, enregistrée sous le no 5576/017, n’a jamais été instruite.
2.6Le 13 octobre 2012, trois membres de son parti politique ont eux aussi été enlevés à Gombe, Kinshasa, par des agents de sécurité et détenus au secret pendant un mois dans les locaux de l’Agence nationale de renseignement.
2.7Le 8 janvier 2013, l’auteur s’est vu notifier une décision de levée de son immunité parlementaire afin de permettre au Procureur général d’engager des poursuites à son encontre concernant les accusations de viol dont il faisait l’objet.
2.8Le 18 janvier 2013, l’attaché de presse de l’auteur, ainsi que trois autres militants de la plateforme « Majorité Présidentielle Populaire » ont eux aussi été enlevés pendant la nuit à leurs domiciles respectifs et conduits vers une destination inconnue par des agents de sécurité, avant de réapparaître en public lors de leur présentation à la presse par le Ministre de l’intérieur comme membres d’un groupe que l’auteur aurait formé pour renverser le régime en place.
2.9Le soir du 8 avril 2013, l’auteur a été arrêté par la police, selon les ordres du colonel K., et détenu dans un lieu secret toute la nuit. Le lendemain, il a été conduit au Parquet général de la République et informé de l’existence d’un mandat d’arrêt émis contre lui depuis le 18 janvier 2013 pour « viol et entretien d’un mouvement insurrectionnel dénommé imperium ». Le 17 avril 2013, le Procureur général de la République a déféré l’auteur devant la Cour suprême de justice.
2.10Alors que l’auteur se trouvait en détention préventive, la Cour a rendu une ordonnance de placement en résidence surveillée le 15 avril 2013. Cette ordonnance a été renouvelée trois fois mais le Procureur ne l’a pas exécutée et l’auteur est resté en détention à la prison centrale de Makala, Kinshasa. Par courrier du 29 août 2013, l’auteur a requis l’intervention du Président de la Cour suprême afin d’obtenir son transfert en résidence surveillée, sans succès.
2.11Le 15 juin 2013, le mandat parlementaire de l’auteur a été invalidé par l’Assemblée nationale pour absences injustifiées et non autorisées.
2.12L’auteur affirme avoir subi des mauvais traitements pendant sa détention, à la suite desquels il a passé des examens médicaux au centre hospitalier de la prison le 18 juillet 2013. Il a été recommandé de le transférer dans un centre mieux équipé pour sa prise en charge. Par courriers du 19 juillet 2013 au Directeur de la prison et du 18 septembre 2013 au Procureur général, l’auteur a requis son transfert dans un centre médical pour obtenir les soins adaptés. En outre, le 16 septembre 2013, la Cour de cassation a ordonné le renvoi du procès de l’auteur à quarante-cinq jours afin de lui permettre de bénéficier des soins appropriés étant donné son état de santé. Dans un courrier du 29 octobre 2013, l’auteur a déposé une requête de mise en liberté provisoire, en indiquant qu’il était toujours en détention alors qu’il devait bénéficier d’une résidence surveillée et qu’aucune disposition n’avait été prise par l’administration pénitentiaire pour lui permettre d’accéder à des soins médicaux.
2.13L’auteur affirme avoir subi un accident vasculaire cérébral le 27 décembre 2013 et avoir été admis dans une clinique de Kinshasa en urgence. Toutefois, il a été ramené de force en prison par des hommes en uniforme qui l’ont arraché de son lit et remis dans sa cellule sans qu’il ait passé les examens prescrits ni obtenu les soins nécessaires.
2.14Par jugement rendu le 26 mars 2014, la Cour suprême de justice, siégeant comme Cour de cassation en premier et dernier ressort, a condamné l’auteur à dix ans de réclusion ferme pour viol à l’aide de violence sur deux mineures, tentative de viol et exposition d’enfants à la pornographie. Selon l’auteur, le jugement a été rendu en violation des lois 13/010 du 19 février 2013, relative à la procédure devant la Cour de cassation, et 13/011-B du 11 avril 2013, portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire ainsi que de la garantie des droits de la défense.
2.15L’auteur a contesté sa condamnation par courrier du 2 septembre 2014, adressé au Premier Président de la Cour, en dénonçant notamment l’absence de moyens de défense lors du procès, la composition irrégulière de la chambre et l’incompétence de celle-ci, ainsi que sa partialité dans le dossier de l’auteur.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur invoque plusieurs violations du Pacte commises par l’État partie à son encontre relativement aux droits qu’il tire des articles 9, 10 et 14.
3.2L’auteur fait valoir que son enlèvement le 27 juin 2012 et sa détention au secret par des agents de sécurité jusqu’au 10 octobre 2012 constituent une violation de l’article 9 du Pacte.Il affirmeavoir été enlevé du fait de ses alliances politiques avec M. Tshisekedi. Les plaintes soumises aux autorités n’ont jamais été instruites et les appels de différentes organisations n’ont jamais été écoutés par les autorités congolaises.
3.3L’auteur soutient également que l’État partie a violé l’article 10 du Pacte en le privant de soins médicaux adéquats pendant sa détention.À ce sujet, il présente au Comité copie d’un rapport du centre hospitalier de la prison centrale de Makala, daté du 17 juillet 2013, faisant état d’une douleur à l’épaule droite et d’une impotence fonctionnelle du bras pour lesquelles il avait déjà été traité par le passé. Une hospitalisation ainsi qu’une consultation chez un interniste et un scanner ont été prescrits. Malgré les demandes de ses avocats aux autorités judiciaires, aucune suite n’a été donnée à cette demande de soins. Il présente également au Comité copie d’une demande de la clinique Ngaliema datée du 28 décembre 2013 pour un scanner cérébral suite à un effondrement brutal. Aucune suite n’a non plus été donnée à cette demande. L’auteur présente en outre au Comité copie d’un rapport établi par l’hôpital de l’amitié sino-congolaise le 29 octobre 2012 indiquant l’existence d’une hernie inguinale droite étranglée et d’une contusion du coude gauche, et les soins octroyés, ainsi qu’une attestation de la clinique Baraka datée du 4 décembre 2012 signifiant que son état de santé exigeait des explorations toxicologiques et des examens gastroduodénaux spécialisés qui devaient être réalisés dans un pays disposant des moyens techniques adéquats.
3.4Concernant son procès et sa condamnation, l’auteur affirme être victime de violations de ses droits en vertu de l’article 14 (par. 1) du Pacte, car il n’a pas été jugé par un tribunal indépendant et impartial. En tant que membre de l’Assemblée nationale,il a été jugé en premier et dernier ressort par la Cour de cassation. Or, la composition de la chambre n’était pas conforme à la loi organique no13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation, ainsi qu’à la loi organique no13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire.En particulier, l’article 34 de cette dernière signale que la Cour de cassation, siégeant en premier et dernier ressort en formation de chambres réunies, comprend au moins sept magistrats, à savoir les présidents des quatre chambres ainsi que les trois conseillers les plus anciens de chaque chambre. Or, dans son procès, la Cour a siégé à cinq au lieu de sept.
3.5L’auteur allègue également qu’il n’a pas eu la possibilité d’organiser sa défense. Il a été empêché de présenter ses moyens de défense par rapport aux faits imputés car il était très malade et physiquement dans l’impossibilité de prendre la parole. À l’audience du 12 mars 2014 à laquelle le dossier était pris en délibéré, ses avocats ont quitté la barre en signe de protestation contre la jonction au fond des exceptions d’ordre public qu’ils avaient soulevées, dont celle contestant la filiation du prétendu père des mineures supposées être victimes du viol. Les avocats avaient l’intention de démontrer que celui qui se présentait comme le père des mineures et avait dénoncé les viols n’était pas le père, que les jeunes filles n’étaient pas mineures et que tous les trois avaient été payés par le colonel K. pour accuser l’auteur. Pendant l’absence de ses avocats, l’auteur était présent dans la salle mais à l’écart de la barre suite à l’étouffement dont il a été victime lorsqu’il a essayé de prendre la parole. Dans ces conditions, il ne pouvait pas plaider sa cause et la Cour lui a refusé une courte remise pour faire revenir ses avocats.Le lendemain, ses avocats se sont adressés à la Cour pour demander la réouverture des débats, démontrer l’inexistence des preuves à charge et produire les preuves de son innocence, mais cette demande a été refusée.
3.6L’ensemble des poursuites ont été décidées pour des raisons politiques visant l’élimination d’un adversaire politique par tous les moyens. L’invalidation de son mandat de député sans droit de se défendre, l’occupation policière du siège de son parti et sa condamnation à la suite d’un procès expéditif, sévère et politique rentraient dans la stratégie du régime de détruire un opposant politique gênant. Sa persécution politique a été étendue aux membres de sa famille. À titre d’exemple, le 1er janvier 2013, sa fille de 19 ans a été interpellée à l’aéroport de Ndjili et ses documents ont été retenus sans raison valable avant de lui permettre de prendre l’avion. Le 11 novembre 2013, son fils de 18 ans qui rentrait à Kinshasa a été retenu à l’aéroport pendant une heure sans qu’aucun motif ne lui ait été notifié. Les 16 et 17 juillet 2014, son épouse a fait l’objet d’une filature par des agents de sécurité. Une sœur de l’auteur a été enlevée par des policiers et relâchée le lendemain sans être notifiée d’une quelconque charge.
3.7L’auteur affirme en outre ne pas disposer de voies de recours internes, puisque la Cour de cassation l’a condamné et jugé en premier et dernier ressort. Il a écrit au Premier Président de la Cour pour se plaindre de l’irrégularité de sa condamnation et demander sa remise en liberté mais sans succès.
3.8L’auteur souhaite que le Comité demande à l’État partie :d’annuler sans condition le jugement prononcé à son encontre et de le remettre en liberté ; d’octroyer à l’auteur une réparation adéquate pour le dommage subi des suites de son enlèvement, de sa détention au secret et de sa condamnation ; de reconnaître publiquement les violations subies par l’auteur et de présenter solennellement des excuses ; d’adopter des mesures législatives qui puissent réprimer sérieusement et prévenir les atteintes à l’indépendance de la justice par d’autres branches du pouvoir, particulièrement l’exécutif ; de sanctionner sérieusement les membres du pouvoir judiciaire qui violent délibérément le droit à un juge naturel et de veiller à ce que pareilles violations ne se reproduisent plus à l’avenir.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1L’État partie a formulé des observations sur la recevabilité en date des 9 décembre 2014 et 26 mai 2015.
4.2L’État partie invoque la condition selon laquelle la question soumise au Comité ne peut pas être déjà en cours d’examen devant une autreinstance internationale d’enquête ou de règlement. Il avance à cet égard qu’en 2013 l’auteur a saisi l’Union interparlementaire (UIP) d’une plainte contre l’État partie pour arrestation arbitraire, détention illégale, mauvais traitements, poursuites judiciaires infondées et méconnaissance du droit à un procès équitable.Dans le cadre de ses investigations,l’UIP a saisi plusieurs autorités de la République démocratique du Congo aux fins d’obtenir des observations sur la plainte et a envoyé des missions d’enquête dans le pays. La plainte a fait l’objet d’une première résolution adoptée par le Conseil directeur de l’UIP le 20 mars 2014 dans laquelle il invite le comité des droits de l’homme des parlementaires àpoursuivre l’examen du cas et à lui faire rapport. Le Conseil directeur a à nouveau examiné ce dossier le 16 octobre 2014 et a recommandé une fois de plus à son comité des droits de l’homme de poursuivre l’examen du cas et de lui faire rapport en temps utile. En vertu de ce qui précède, l’État partie estime que la plainte de l’auteur devant le Comité des droits de l’homme n’est pas recevable, les faits constitutifs de la plainte étant en cours d’examen devant une autre instance internationale. L’UIP est une instance internationale qui contribue, entre autres, à la défense et à la promotion des droits de l’homme et qui, à cette fin, œuvre en étroite collaboration avec l’Organisation des Nations Unies, dont elle partage les objectifs et appuie les efforts. De ce fait, l’UIP est bel et bien une instance internationale d’enquête et de règlement.
4.3Quant à l’épuisement des voies de recours internes, l’État partie estime qu’au 22 septembre 2014, date de saisine du Comité par l’auteur, les voies de recours internes n’étaient pas épuisées. L’auteur aurait en effet introduit devant la Cour suprême de justice de la République démocratique du Congo une requête en inconstitutionnalité le 11 novembre 2012, à la fois contre le réquisitoire du Procureur général de la République et la Commission spéciale de levée de l’immunité parlementaire. Au jour de la soumission des observations de l’État partie, cette procédure serait toujours pendante. En conséquence, la communication est également irrecevable pour ce motif.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie quant à la recevabilité
5.1L’auteur a présenté des commentaires aux observations de l’État partie en date des 20 décembre 2014 et 12 octobre 2015.
5.2Concernant l’argument de l’État partie relatif à l’examen par une autre instance internationale, l’auteur signale tout d’abord que le comité des droits de l’homme des parlementaires de l’UIP n’est pas à considérer comme une instance internationale d’enquête ou de règlement, mais plutôt comme un organe interparlementaire visant tout simplement à promouvoir le règlement de cas de violation des droits de l’homme des parlementaires par la promotion du dialogue. Les décisions du comité et du Conseil directeur de l’UIP n’ont qu’un caractère consultatif et leur mise en œuvre relève en premier lieu du principe de la solidarité parlementaire. Le fait que l’UIP soit saisie d’un cas n’a jamais été considéré comme un obstacle à la recevabilité du dossier par le Comité des droits de l’homme ni par d’autres mécanismes comme la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ou la Commission interaméricaine des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
5.3L’auteur rejette également les observations de l’État partie relatives à l’épuisement des voies de recours internes. La requête qu’il a introduite devant la Cour suprême de justice tendait à obtenir l’inconstitutionnalité du réquisitoire du Procureur général adressé à l’Assemblée nationale pour obtenir la levée de son immunité parlementaire. La requête mettait également en question les conditions dans lesquelles la commission spéciale de levée d’immunité parlementaire avait été constituée. Elle avait pour but d’empêcher la levée de son immunité parlementaire et sa mise en accusation devant la Cour de cassation par le Procureur général. Or, la procédure d’inconstitutionnalité a été rendue sans objet, dès lors que la Cour suprême ne l’a jamais fixée pour qu’elle soit examinée en urgence et que l’immunité de l’auteur a été effectivement levée avant qu’il ne soit poursuivi et condamné pénalement. Il ne s’agit donc pas d’une voie de recours de reformation contre l’arrêt déclarant l’auteur coupable dont la régularité est contestée devant le Comité. L’auteur prie donc le Comité de rejeter ce moyen car non pertinent.
Observations de l’État partie sur le fond
6.1L’État partie a présenté ses observations sur le fond le 26 mai 2015.
6.2Sur les faits ayant motivé les poursuites et la condamnation de l’auteur, l’État partie estime que l’auteur cherche à semer la confusion dans l’esprit du Comité, en invoquant à plusieurs reprises son statut de directeur au sein de mouvements opposants. Or, le parti politique que l’auteur représente est très minoritaire et ne retient dès lors pas l’attention des institutions républicaines, en tout cas pas comme un parti de l’opposition qui dérangerait outre mesure. De nombreux opposants tiennent en République démocratique du Congo des propos virulents sur le régime en place, sans pour autant être inquiétés par les autorités.
6.3L’État affirme que les faits avancés par l’auteur devant le Comité sont faux. Des détails importants manquent par rapport à l’enlèvement qu’il allègue, comme des indications sur le nombre d’agents qui y auraient participé, les moyens de transport utilisés, l’itinéraire suivi, le lieu et les conditions de détention, l’identité des personnes qui l’auraient auditionné, la raison de sa libération le 12 octobre 2012, etc. L’auteur, conscient de la gravité des faits de viol qu’il est accusé d’avoir commis les 20 et 26 juin 2012, a choisi de se cacher. Croyant que l’arrivée de plusieurs représentants étrangers à l’occasion du Sommet de la francophonie en octobre 2012 pourrait aider sa cause, l’auteur serait sorti de sa cachette le 12 octobre 2012, veille de la tenue de ce sommet. L’État partie ajoute que l’auteur n’a pas prouvé son alliance politique avec M. Tshisekedi. À défaut d’avoir donné plus d’indications sur les circonstances de son enlèvement, l’auteur ne réussit pas à donner suffisamment de substance à sa demande. L’article 9 du Pacte n’a ainsi pas été violé.
6.4L’allégation de l’auteur selon laquelle il n’aurait pas eu accès à des soins appropriés lors de sa détention serait contredite par les propres examens médicaux que celui-ci fournit et qui montrent des transferts pour raisons médicales dans les meilleurs hôpitaux de Kinshasa. Au vu du fait que l’auteur n’impute pas sa maladie à la République démocratique du Congo et qu’il est établi qu’il a bénéficié de la possibilité de se faire soigner, l’article 10 du Pacte n’a pas été violé.
6.5Tout comme pour la prétendue violation de l’article 9 du Pacte, l’auteur ne produit pas suffisamment de substance pour qu’une violation de l’article 14 soit établie. L’État partie considère que l’auteur soumet de manière obscure un mélange d’arguments liés á des échecs judiciaires, à la révision du mode de nomination des magistrats de la Cour suprême de justice et à des arrestations de membres de sa famille.
6.6L’État partie considère enfin que les pièces fournies par l’auteur sont dénuées de caractère probant et que certaines sont dénuées de toute neutralité. Sur les poursuites judiciaires, l’État partie souligne que l’issue de l’affaire de l’espèce sera soit pédagogique pour les violeurs potentiels, soit un coup fatal aux efforts incessants que l’État entreprend dans la lutte contre les violences faites aux femmes. L’État souhaite mettre en place une politique de tolérance zéro en la matière.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie relatives au fond
7.1Le 12 octobre 2015, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il souligne tout d’abord que la République démocratique du Congo n’a jamais exécuté les mesures conservatoires exigées par le Comité des droits de l’homme le 8 octobre 2014.
7.2L’auteur réitère les faits exposés dans sa communication initiale et réaffirme que les prétendus viols de mineures ont été montés dans l’objectif de l’éliminer politiquement. L’État partie n’a fait que rejeter les faits présentés, sans produire un seul élément doté de force probante.
7.3Au sujet de son enlèvement et de sa détention au secret par des agents de sécurité de l’État du 27 juin au 10 octobre 2012, l’auteur souligne que les plaintes soumises par son épouse aux autorités judiciaires compétentes n’ont jamais été instruites, en violation de l’article 9 du Pacte. Il souligne aussi que l’État partie a violé l’article 10 (par. 1) en l’empêchant d’accéder aux examens et soins médicaux requis par son état de santé.
7.4En ce qui concerne l’article 14 du Pacte, l’auteur ajoute que la date d’entrée en vigueur de la loi organique no 13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation était le 20 mars 2013. Cette loi a été renforcée par la loi du 11 avril 2013 valant nouveau code de l’organisation et de la compétence judiciaire. En vertu de l’article 34 de cette dernière, le demandeur en sa qualité de parlementaire aurait dû au moins être jugé par une chambre de sept juges. La composition à cinq juges qui l’a jugé selon le Code de procédure devant la Cour suprême de justice du 31 mars 1982 est donc irrégulière en vertu des nouvelles dispositions. L’auteur affirme donc n’avoir pas eu le droit à un juge compétent comme requis par l’article 14 du Pacte.
7.5L’auteur invoque également à titre comparatif une différence de traitement par rapport au dossier d’un autre député national, Jean Bernard Ewanga, passé la même année devant la Cour suprême de justice, qui aurait été jugé par une chambre de sept juges, comme requis par l’article 34 de la loi du 11 avril 2013, sans cependant que ne soit imposée l’obligation de faire siéger les quatre présidents et trois conseillers les plus anciens.
7.6L’auteur réitère qu’il n’a jamais eu la possibilité d’organiser sa défense. Alors qu’il a été très malade et dans l’impossibilité de prendre la parole, la Cour lui a refusé une courte remise pour lui permettre de préparer sa défense et de faire revenir ses avocats à l’audience du 12 mars 2014. La demande de réouverture des débats lors de cette même audience a également été refusée.
7.7Le 12 mai 2016 l’auteur a informé le Comité qu’il avait dû être hospitalisé à cause de graves problèmes cardiaques.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie pour qui la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, étant donné que les faits constitutifs de la plainte sont en cours d’examen devant l’UIP. Cette organisation a été saisie de l’affaire par l’auteur et a, à ce sujet,contacté plusieurs autorités de l’État partie afin d’obtenir des observations et envoyé des missions d’enquête dans le pays. Le Comité note également les commentaires de l’auteur selon lesquels le comité des droits de l’homme des parlementaires de l’UIP n’est pas à considérer comme une instance internationale d’enquête ou de règlement, mais plutôt comme un organe interparlementaire visant à promouvoir le règlement de cas de violation des droits de l’homme des parlementaires par la promotion du dialogue, et que les décisions de ce comité et du Conseil directeur de l’UIP n’ont qu’un caractère consultatif. Le Comité considère que l’UIP n’est pas une organisation intergouvernementale et que ses organes n’ont pas pour but d’établir si un État s’est ou non acquitté de ses obligations vis-à-vis d’un instrument international des droits de l’homme auquel cet État a adhéré, en l’occurrence le Pacte et son Protocole facultatif, et considère en conséquence qu’il n’est pas empêché, au titre de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, d’examiner la communication présentée par l’auteur.
8.3Le Comité note également l’argument avancé par l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, car il a introduit devant la Cour suprême de justice une requête en inconstitutionnalité qui n’était pas résolue au moment où l’État a formulé ses observations. Au vu des commentaires de l’auteur, en particulier le fait que la requête avait pour but d’empêcher la levée de son immunité parlementaire et sa mise en accusation devant la Cour de cassation, que la levée de l’immunité a finalement eu lieu et que les plaintes devant le Comité concernent principalement les questions liées à sa détention et son procès pénal, le Comité considère qu’il n’y a pas d’obstacle à l’examen de la communication au titre de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.
8.4Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs de violation des articles 9, 10 et 14 du Pacte et procède à leur examen au fond.
Examen au fond
9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.
9.2Le Comité note le grief de l’auteur selon lequel il a été victime de la violation de ses droits au titre de l’article 9 du Pacte du fait de son enlèvement le 27 juin 2012 et de sa détention au secret par des agents de sécurité jusqu’au 10 octobre 2012. L’État partie nie les allégations et maintient que l’auteur n’a pas été enlevé mais qu’il s’est caché suite aux faits de viol dont il était accusé. Le Comité note également que l’épouse de l’auteur a porté plainte contre X pour enlèvement et détention au secret auprès du Procureur général de la République le 16 août 2012, et que l’auteur lui-même a porté plainte pour enlèvement, détention au secret et mauvais traitements auprès de l’Auditeur général des forces armées en date du 15 octobre 2012. L’affirmation de l’auteur qu’aucune de ces plaintes n’a jamais été instruite n’a pas été contestée par l’État partie. Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte (par. 15), selon laquelle le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, le Comité considère que l’absence de toute enquête et de toute réponse des autorités à l’auteur et son épouse sur la suite donnée aux plaintes respectives constitue une violation de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 9 du Pacte.
9.3Le Comité note également le grief de l’auteur relatif à l’ordonnance de placement en résidence surveillée rendue par la Cour suprême le 15 avril 2013 et renouvelée ultérieurement alors qu’il se trouvait en détention préventive, ordonnance qui n’aurait pas été exécutée par le Procureur. En l’absence de contestation des faits et d’observations sur les raisons du Procureur pour ne pas avoir donné suite à l’ordonnance de la Cour, le Comité considère que la détention préventive de l’auteur dans une prison au-delà de la date de l’ordonnance de la Cour suprême était illégale conformément au droit interne et constitue une violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte.
9.4Concernant le grief de l’auteur au titre de l’article 10 du Pacte selon lequel il a été privé de soins médicaux adéquats pendant son emprisonnement, le Comité prend note du rapport du centre hospitalier de la prison centrale de Makala, daté du 17 juillet 2013, qui prescrit une hospitalisation ainsi qu’une consultation chez un interniste et un scanner concernant une affection à l’épaule droite. L’auteur allègue qu’aucune suite n’a été donnée par les autorités à ce rapport malgré ses demandes. Le Comité note également les allégations de l’auteur indiquant que pendant son hospitalisation, en décembre 2013, suite à un effondrement brutal il a été ramené de force en prisonet qu’aucune suite n’a été donnée par les autorités à la prescription de la clinique Ngaliema pour un scanner cérébral. Le Comité relève que l’État partie ne répond pas de manière précise sur ces allégations, se contentant d’indiquer que l’auteur a bénéficié de transferts dans des hôpitaux. En l’absence d’information détaillée de l’État partie contestant les allégations relatives à l’absence de suite aux prescriptions figurant sur les rapports médicaux mentionnés ainsi que sur le départ forcé de l’auteur de l’hôpital en décembre 2013, le Comité considère que les droits de l’auteur en vertu de l’article 10 (par. 1) du Pacte ont été violés.
9.5L’auteur affirme ne pas avoir été jugé par un tribunal indépendant et impartial, en violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Il soulève en particulier que la composition de cinq magistrats de la chambre qui l’a jugé en Cour de cassation n’était pas conforme à la loi du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation et la loi du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, conformément auxquelles la chambre aurait dû comprendre au moins sept magistrats. L’État partie rejette les griefs en soulignant qu’ils manquent de substance pour qu’une violation de l’article 14 soit établie. Concernant le grief de l’auteur relatif à la composition de la Cour de cassation, le Comité note que, selon l’arrêt du 26 mars 2014, cette question a été soulevée par les avocats de l’auteur pendant le procès en tant qu’incident de procédure et déclarée non fondée par la Cour sans motivation. Le Comité note également l’absence d’observations de l’État partie par rapport à ce grief. Dans ces circonstances le Comité considère suffisamment fondé le grief de l’auteur et que les faits font apparaître une violation du droit de l’auteur en vertu de l’article 14 (par. 1) à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi.
9.6En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel il a été empêché de présenter ses moyens de défense par rapport aux faits imputés, le Comité note les allégations que lors de l’audience du 12 mars 2014 où le procès s’est conclu l’auteur a subi un étouffement et était physiquement dans l’impossibilité de prendre la parole pour présenter ses arguments contre les réquisitions du ministère public ; que la Cour lui a refusé une courte remise pour faire revenir ses avocats dans la salle ; et que les débats ont été clos et l’affaire prise en délibéré sans que la défense ait été entendue sur des faits d’importance capitale, tels que le fait que celui qui prétendait être le père des victimes mineures des viols ne l’était pas effectivement, ou encore que les jeunes filles n’étaient pas mineures, tout ceci étant un complot ourdi par la police contre l’auteur. Le Comité note également l’absence d’observations de l’État partie par rapport à ce grief. Étant donné que les accusations concernant le viol constituaient la base du procès,le Comité considère que la Cour aurait dû donner à l’auteur toutes les possibilités pour qu’il puisse développer ses moyens de défense. Les restrictions imposées par la Cour à ce sujet constituent donc une violation de l’article 14 (par. 3 b)) en ce que l’auteur n’a pas disposé pendant l’audience des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à la communication avec ses avocats.
10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par la République démocratique du Congo l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 9 ; et des articles 9 (par. 1) ; 10 (par. 1) ; 14 (par. 1) ; et 14 (par. 3 b)) du Pacte.
11.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Cela exige que les États parties accordent réparation aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pour : a) libérer l’auteur immédiatement ; b) annuler la condamnation de l’auteur et, si nécessaire, établir de nouvelles poursuites, conformément aux principes d’équité et de présomption d’innocence assortis des autres garanties légales ; c) accorder à l’auteur une indemnisation adéquate. L’État partie doit en outre prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans ses langues officielles et à les diffuser largement.