Nations Unies

CEDAW/C/50/D/26/2010

Convention sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination à l ’ égard des femmes

Distr. générale

30 novembre 2011

Français

Original: anglais

Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes

Communication no 26/2010

Décision adoptée par le Comité à sa cinquantième session,3-21 octobre 2011

Présentée par:

Guadalupe Herrera Rivera (représentée par un conseil, Mme Rachel Benaroche)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

15 septembre 2010 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

18 octobre 2011

Annexe

Décision du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes en vertu du Protocole facultatif à laConvention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (cinquantième session)

Concernant la

Communication no 26/2010*

Présentée par:

Guadalupe Herrera Rivera (représentée par un conseil, Mme Rachel Benaroch)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

15 septembre 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes, institué en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 18 octobre 2011,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication, datée du 15 septembre 2010, est Mme Guadalupe Herrera Rivera, ressortissante mexicaine, née en 1976. Elle soutient que son expulsion du Canada vers le Mexique constituerait une violation des droits qu’elle tient des articles 1er, 2 (par. a), b), c) et d)), 5 (par. a)) et 24 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après «la Convention»). L’auteur est représentée par un conseil. La Convention et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 10 décembre 1981 et le 18 octobre 2002, respectivement.

1.2L’auteur a sollicité des mesures conservatoires de protection, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

1.3Le 4 octobre 2010, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur et ses deux enfants mineurs, K. E. R. H. et D. R. H., vers le Mexique tant qu’il serait saisi de la communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur affirme qu’elle a été victime de violence conjugale pendant plus de douze ans. Elle s’est mariée le 16 août 1996, et a deux enfants. La famille est venue au Canada le 11 septembre 2006, et a sollicité le statut de réfugié le 21 septembre 2006. Leur demande a été rejetée le 11 janvier 2008, au motif qu’elle manquait de crédibilité. Le 23 juillet 2008, leur demande de contrôle juridictionnel de la décision leur refusant l’asile a été rejetée par le Tribunal fédéral du Canada.

2.2En avril 2008 (soit après que leur demande d’asile a été rejetée et avant que leur demande de contrôle juridictionnel le soit à son tour), à la suite d’un incident de violence conjugale et après des années de violence physique, psychologique et sexuelle au Mexique, aux États-Unis d’Amérique puis au Canada, l’auteur a signalé l’incident à la police et s’est séparée de son mari. Elle s’est réfugiée dans un foyer pour femmes à Montréal, du 25 avril au 1er août 2008. L’association de femmes «Assistance aux femmes», convaincue des souffrances que connaissait l’auteur et du danger qu’elle-même et ses enfants couraient auprès de son mari, ont déposé en son nom une demande d’examen des risques avant renvoi («ERAR») auprès de Immigration Canada, le 1er octobre 2008, ainsi qu’une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire («demande CH»), le 27 octobre 2008. À l’appui de la demande CH, «Assistance aux femmes» a soumis une déclaration de l’auteur décrivant sa vie avec son mari et la violence qu’elle-même et ses enfants avaient endurée. L’association a également produit le rapport d’un travailleur social contenant ses observations sur l’auteur et ses enfants, ainsi que son évaluation de l’impact négatif de la violence dont ils avaient été victimes. En se fondant sur le comportement du conjoint de l’auteur, ses antécédents en matière de violence, les menaces de mort qu’il avait adressées à l’auteur et le fait que la protection de l’État était insuffisante au Mexique, «Assistance aux femmes» a conclu que l’auteur et ses enfants courraient un risque au Mexique. La demande CH a été rejetée au motif que l’auteur et ses enfants ne seraient pas exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou disproportionnées s’ils étaient renvoyés.

2.3En novembre 2008, le mari de l’auteur a menacé de la tuer si elle refusait de revenir vivre avec lui; il a également menacé de se suicider. L’auteur a sollicité l’assistance de la police de Montréal; après avoir trouvé le mari de l’auteur en possession d’un couteau, la police a immédiatement arrêté l’intéressé et lui a fait passer une évaluation psychiatrique. Un mois plus tard, le mari de l’auteur a réussi à trouver le foyer où s’étaient réfugiés l’auteur et ses enfants; il a contacté le travailleur social responsable en se faisant passer pour un ami de la famille et a fait valoir que l’auteur mentait, qu’elle n’avait jamais été victime de violence conjugale et qu’elle s’était rendue au foyer pour rester au Canada. Ces événements constituaient de nouveaux éléments d’information qui n’avaient pas été communiqués à Immigration Canada avec la demande d’ERAR et la demande CH présentées en octobre 2008.

2.4Le 16 janvier 2009, les autorités canadiennes ont renvoyé le mari de l’auteur au Mexique. Le 3 septembre 2009, l’auteur et son mari ont divorcé, et la garde des enfants, mineurs, a été confiée à l’auteur. D’après les membres de la famille, depuis son expulsion vers le Mexique en janvier 2009, le mari de l’auteur a été vu à plusieurs reprises en train de surveiller la maison de l’auteur à Los Reyes de la Paz, où il vit également. Pour l’auteur, ce fait, ajouté aux menaces de mort que son mari avait précédemment proférées, montre qu’il l’attend et qu’elle courrait un danger si elle retournait au Mexique.

2.5Le 30 avril 2009, la demande d’ERAR de l’auteur, présentée sur le fondement de la violence conjugale, a été rejetée. La décision soulignait, notamment: 1) que l’auteur n’avait pas établi que les autorités mexicaines n’étaient pas en mesure d’assurer sa protection; 2) qu’elle avait au Mexique une famille importante qui pouvait les aider, elle et ses enfants, à se réinstaller dans une autre ville du pays, suffisamment éloignée du lieu de résidence de son mari; 3) que, s’il était vrai que la violence conjugale était un problème très répandu au Mexique, les femmes victimes de violence avaient néanmoins la possibilité de porter plainte auprès de la police ou de chercher refuge dans un foyer.

2.6Le 27 octobre 2009, la demande de résidence permanente pour considérations humanitaires, présentée sur le fondement de la violence conjugale, a été rejetée. Le fonctionnaire des services de l’immigration qui a examiné la demande a conclu que l’auteur et ses enfants ne rencontreraient pas de difficultés injustifiées ou disproportionnées pour les raisons suivantes: a) l’auteur pouvait obtenir une protection dans un foyer au Mexique; b) elle n’était pas tenue de retourner à son ancien domicile à Los Reyes de la Paz où son mari vivait également, mais pouvait s’installer ailleurs au Mexique; c) ses enfants n’avaient pas été affectés par la situation et semblaient s’en accommoder; et d) les victimes de violence conjugale peuvent demander la protection de l’État au Mexique, puisque de nouvelles lois ont été promulguées pour protéger les femmes contre la violence. Le 12 novembre 2009, la demande de contrôle juridictionnel présentée par l’auteur au sujet de la décision relative à sa demande CH a été rejetée par la Cour fédérale. Le 25 novembre 2009, la Cour fédérale a ordonné de surseoir à l’expulsion.

2.7En mars 2010, deux travailleurs sociaux canadiens préoccupés par le rejet des demandes présentées par l’auteur et d’autres femmes mexicaines se sont rendus au Mexique pour évaluer la situation sur le terrain, et ont conclu que la protection offerte par l’État aux femmes battues était insuffisante. Leur rapport révèle notamment qu’il existe très peu de centres d’accueil au Mexique, que l’admission dans ces centres n’est pas automatique, que ceux-ci sont mal gardés et souvent attaqués par les maris, que la police intervient rarement dans les situations de violence dans la famille, laquelle est considérée comme une «affaire de famille», que la violence conjugale est profondément ancrée dans la société mexicaine et tolérée par les autorités, et que les auteurs de telles violences sont rarement arrêtés ou sanctionnés.

2.8Le 1er juin 2010, la demande de contrôle juridictionnel présentée par l’auteur au sujet de la décision relative à sa demande CH a été rejetée. Une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi a été présentée le 25 juin 2010.

2.9L’auteur souligne que, ses moyens financiers étant limités, elle devra retourner avec ses enfants dans la maison familiale située à Los Reyes de la Paz, où son ex-mari l’attend, si elle est expulsée vers le Mexique. Même avant son arrivée au Canada, elle et son mari habitaient dans cette maison avec ses parents. Si, pour des raisons de sécurité, elle était contrainte de s’installer ailleurs, elle n’aurait d’autre choix que de vivre dans la rue avec ses enfants, dans la mesure où elle n’a pas de parents ailleurs au Mexique. Pour ces raisons, l’auteur souligne qu’elle courrait un grave risque si elle était renvoyée au Mexique.

2.10En ce qui concerne ses deux enfants mineurs, qui l’accompagneraient au Mexique si elle était expulsée, l’auteur souligne qu’ils souffriraient énormément s’il lui arrivait quoi que ce soit, et que leur intérêt supérieur devait être dûment pris en compte. Les deux enfants ont déjà été témoins pendant des années de la violence infligée à leur mère, et les nouvelles violences auxquelles elle serait exposée en cas de retour leur causeraient un grave préjudice, outre le fait qu’ils seraient déracinés du Canada, où ils vivent en sécurité, se retrouver dans un foyer au Mexique où leur sécurité ne serait pas garantie, à supposer que la famille soit admise dans un tel foyer. Il serait probablement nécessaire que les enfants se réinstallent avec leur mère dans une autre ville du Mexique, loin de leurs amis et de leurs parents. Le rejet par les autorités de l’État partie de la dernière demande de contrôle juridictionnel présentée par l’auteur le 1er juin 2010 a eu un impact négatif sur ses enfants. L’auteur soutient que l’État partie n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de ses enfants.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient qu’en l’expulsant l’État partie donnerait au Mexique la possibilité de violer les droits qu’elle tient de l’article premier, de l’article 2 a) à d), de l’article 5 a) et de l’article 24 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans sa lettre du 6 décembre 2010, l’État partie conteste la recevabilité de la communication, faisant valoir que l’auteur cherche à faire appliquer les obligations découlant de la Convention de manière extraterritoriale. D’après l’État partie, les allégations de violation formulées par l’auteur concernent le Mexique et non le Canada. En conséquence, le Comité n’est pas compétent pour connaître des allégations de violations à l’égard du Canada et la communication est incompatible avec les dispositions de la Convention.

4.2L’État partie fait valoir en outre que l’auteur fonde sa communication sur le même récit, les mêmes éléments de preuve et les mêmes faits que ceux qui ont été antérieurement présentés aux autorités canadiennes, et dont des experts de l’évaluation des risques et un tribunal indépendant ont établi dans chaque cas qu’ils ne permettaient pas de conclure que l’auteur courrait personnellement un risque grave si elle était renvoyée au Mexique, et ce, compte dûment tenu de l’intérêt supérieur des enfants de l’auteur. L’État partie souligne qu’au Canada la persécution fondée sur le sexe, notamment la violence dans la famille, peut fonder une demande de statut de réfugié, et que les agents de l’ERAR sont spécifiquement formés pour identifier et évaluer les risques particuliers encourus par les victimes de violence dans la famille en tant que groupe social à protéger, en appliquant les directives relatives à la parité entre les sexes qui ont été élaborées par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) pour évaluer les plaintes pour persécution fondée sur le sexe, notamment pour évaluer la «possibilité de trouver refuge dans une autre partie du pays», comme dans le cas de l’auteur.

4.3La demande d’ERAR présentée par l’auteur en son nom propre et au nom de ses deux enfants, qui était fondée sur le risque de violences auquel serait confrontée l’auteur si elle était renvoyée au Mexique, a été rejetée le 30 avril 2009 au motif que l’auteur n’avait pas établi, selon le critère de la plus grande probabilité, qu’elle et ses enfants couraient le risque d’être persécutés, torturés, menacés de mort ou d’être soumis à un traitement cruel et inhabituel s’ils étaient renvoyés au Mexique. Pour parvenir à cette conclusion, l’agent d’ERAR a tenu compte des possibilités de protection offertes au Mexique et a estimé que l’auteur n’avait pas fourni de preuves claires et convaincantes de l’insuffisance de la protection disponible. Pour établir l’absence de risque de torture, de persécution ou de menace pour la vie de l’auteur et de ses enfants en cas de renvoi, l’agent s’est également attaché à l’important réseau familial dont disposait l’auteur au Mexique − où vivaient ses cinq frères et sœurs en plus de ses parents −, et au fait qu’elle avait la possibilité de s’installer dans une autre région du pays, voire dans une partie de l’agglomération de Mexico différente de celle où elle avait vécu auparavant, afin d’échapper à la menace que représentait son mari. L’agent a également souligné que, malgré la persistance de la violence et le fait que, d’après les statistiques, 50 % des femmes au Mexique étaient victimes de violence, différents recours étaient ouverts aux femmes concernées, qui pouvaient notamment porter plainte auprès de la police ou se réfugier dans des foyers pour femmes battues. L’État partie considère que la communication de l’auteur semble principalement fondée sur son désaccord avec les éléments de fait, et rappelle qu’il n’appartient pas au Comité de réévaluer les faits et les éléments de preuve, sauf s’il est manifeste que l’appréciation effectuée par la juridiction interne a été arbitraire ou a constitué un déni de justice. Selon l’État partie, les éléments présentés par l’auteur ne permettent pas de conclure que les décisions rendues par les juridictions internes sont entachées d’irrégularités de ce type.

4.4Le deuxième argument avancé par l’État partie pour démontrer que la communication devrait être déclarée irrecevable repose sur le fait que la Convention n’a pas de portée extraterritoriale. L’auteur a affirmé que le Canada enfreignait la Convention en «donnant au Mexique la possibilité de violer ses droits». Selon l’État partie, le Canada ne saurait être tenu responsable d’une quelconque violation des droits de l’auteur au titre de la Convention qui pourrait se produire au Mexique après son expulsion, car cela impliquerait que le Canada a une obligation positive en vertu de la Convention de ne pas l’expulser au motif qu’elle courrait un risque grave de discrimination dans son pays d’origine, obligation que la Convention ne prévoit pas. En référence à la Recommandation générale no 19 (1992) du Comité, qui établit que la violence fondée sur le sexe est une forme de discrimination qui compromet ou empêche l’exercice par les femmes des droits individuels et des libertés fondamentales tels que le droit à la vie, le droit à la sécurité de la personne ou le droit de ne pas être soumis à la torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’État partie souligne néanmoins qu’il n’est responsable que des manquements à ses obligations vis-à-vis de personnes relevant de sa juridiction, et qu’il ne saurait être tenu responsable de la discrimination exercée sur le territoire d’un autre État, même si l’auteur pouvait établir qu’elle serait victime d’actes de discrimination contraires à la Convention en raison de la violence fondée sur le sexe qui existe au Mexique. Les obligations juridiques qui interdisent l’expulsion dans les cas où celle-ci entraînerait des violations graves des droits de l’homme sont expressément énoncées dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi qu’aux articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité des droits de l’homme a interprété ces deux dernières dispositions comme visant à protéger implicitement contre l’expulsion toute personne qui risquerait d’être condamnée à mort, d’être torturée, ou de faire l’objet d’autres menaces graves pour sa vie et sa sécurité; en revanche, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ne traite pas directement (ni indirectement) de l’expulsion susceptible d’entraîner des actes de torture ou d’autres menaces graves pour la vie et la sécurité de la personne. L’auteur ne peut présenter une communication visant le Canada qu’en rapport avec des violations présumées de la Convention commises par le Canada sur son territoire (art. 2 du Protocole facultatif). En l’espèce, aucun fonctionnaire canadien, ni aucun particulier, ni aucune organisation ou entreprise relevant de la juridiction du Canada n’a commis d’actes violents, à caractère sexiste ou autre, contre l’auteur. D’ailleurs, l’auteur n’a formulé aucune allégation à l’encontre du Canada dans ce sens. L’État partie soutient donc que la communication de l’auteur est incompatible avec les dispositions de la Convention et devrait par conséquent être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 4 du Protocole facultatif.

4.5L’État partie souligne en outre que l’allégation de discrimination avancée par l’auteur est manifestement mal fondée et insuffisamment étayée, dans la mesure où l’intéressée n’a pas montré que la décision rendue à son égard était due à l’absence de politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes au Canada (art. 2 de la Convention) et, plus précisément, au refus d’inscrire le principe de l’égalité entre hommes et femmes dans la Constitution canadienne (art. 2 a)); d’adopter des mesures législatives et autres interdisant toute discrimination à l’égard des femmes (art. 2 b)); d’instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes (art. 2 c)); ou de s’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes (art. 2 d)). De même, l’auteur n’a apporté aucun élément de preuve démontrant que le traitement réservé à sa demande d’immigration a été motivé par le refus du Canada de «modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme» en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques fondés sur des conceptions discriminatoires à l’égard des femmes, ou résultait d’un tel refus (art. 5 a)), ou encore résultait du refus d’adopter toutes les mesures nécessaires au niveau national pour assurer le plein exercice des droits reconnus par la Convention (art. 24). Selon l’État partie, la communication devrait donc être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

4.6Enfin, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. En effet, elle avait la possibilité de demander le contrôle juridictionnel de la décision du 30 avril 2009 par laquelle sa demande d’ERAR a été rejetée mais elle ne l’a pas fait. Outre sa demande d’ERAR, l’auteur a déposé, le 27 octobre 2008, une demande de résidence permanente pour des considérations humanitaires (demande CH) qui a été rejetée le 27 octobre 2009. Elle a par la suite obtenu l’autorisation de faire procéder au contrôle juridictionnel du rejet de sa demande de résidence pour considérations humanitaires par la Cour fédérale du Canada. En attendant qu’une décision soit prise, son expulsion a été suspendue. Par sa décision du 1er juin 2010, la Cour fédérale a rejeté le recours de l’auteur. Le 25 juin 2010, l’auteur a soumis une deuxième demande d’ERAR dans laquelle elle a fait valoir un certain nombre de changements concernant sa situation qui étaient survenus postérieurement aux décisions relatives à ses premières demandes d’ERAR et de résidence pour considérations humanitaires (CH) en 2009.

4.7Une décision doit encore être prise en ce qui concerne la deuxième demande d’ERAR de l’auteur. Les risques encourus par l’auteur, en particulier les nouveaux éléments évoqués, et les preuves et rapports qui n’avaient pas été précédemment fournis, n’ont pas encore été examinés dans le cadre de la procédure d’ERAR. L’État partie souligne que le contrôle juridictionnel est un recours utile et rappelle que tant le Comité des droits de l’homme que le Comité contre la torture ont établi par le passé que l’ERAR était un recours utile, qui devait être épuisé aux fins de la recevabilité. L’auteur n’a pas fourni d’explications concernant les raisons pour lesquelles elle ne s’était pas prévalue de ce recours interne utile au sujet de sa première demande d’ERAR. L’État partie souligne également que, si sa deuxième demande d’ERAR, qui est encore pendante, aboutit, l’auteur sera considérée comme une personne ayant besoin d’être protégée et pourra solliciter le statut de résidente permanente puis, le moment venu, la nationalité canadienne. Si sa demande est rejetée, elle pourra demander l’autorisation de faire procéder au contrôle juridictionnel de la décision de rejet, et faire valoir de manière plus approfondie ses arguments pour montrer que les agents d’immigration ont commis une erreur en refusant de prendre en compte les éléments pertinents tels que, par exemple, les informations contenues dans les rapports d’organisations non gouvernementales de mars 2010 et de mai 2010. L’auteur pourra alors également faire valoir à meilleur escient que les risques de violence au foyer auxquels elle serait exposée si elle était expulsée vers le Mexique sont suffisamment graves pour menacer ses droits constitutionnels à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne (art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés). En conclusion, l’État partie soutient que l’auteur a encore à sa disposition des recours internes utiles, et que le Comité devrait par conséquent déclarer sa communication irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une lettre datée du 27 mars 2011, l’auteur réitère ses griefs initiaux et conteste l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme qu’il ne saurait être tenu responsable d’actes contraires à la Convention susceptibles de se produire au Mexique après l’expulsion de l’auteur, l’intéressée souligne que l’État partie a des responsabilités, au titre de la Convention, en ce qui concerne les conséquences directes et prévisibles qui pourraient résulter de son expulsion vers le Mexique. Elle ajoute que le danger auquel elle serait exposée constitue une menace pour sa vie, compte tenu du fait que son ex-conjoint a à plusieurs reprises menacé de la tuer. Elle affirme en outre que la violence fondée sur le sexe dont elle a été victime, et à laquelle elle courrait un risque sérieux d’être de nouveau exposée si elle était expulsée vers le Mexique, constitue également une forme de traitement et châtiment cruel et inhabituel, assimilable à de la discrimination, au sens de l’article premier de la Convention. L’auteur soutient également que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, la jurisprudence du Comité des droits de l’homme a établi que, dans les cas d’expulsion, les États ont des responsabilités qui vont au-delà du risque concernant le droit à la vie ou du risque de subir des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

5.3Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel les allégations de l’auteur sont infondées et insuffisamment étayées, l’intéressée fait valoir que la communication qu’elle a adressée au Comité n’est pas fondée sur les mêmes faits et éléments de preuve que ceux qui ont été examinés par les fonctionnaires de l’État partie lorsqu’elle a formulé ses demandes initiales d’ERAR et de résidence pour considérations humanitaires (CH). Les nouveaux éléments de preuve qu’elle a présentés (rapports d’organisations non gouvernementales évaluant la protection offerte par l’État aux femmes victimes de violence familiale au Mexique) n’étaient pas disponibles à l’époque et n’ont donc jamais été soumis aux juridictions compétentes de l’État partie. En effet, lorsque sa demande de résidence pour considérations humanitaires (CH) a été examinée en octobre 2009, la loi générale du Mexique pour l’accès des femmes à une vie sans violence (2007) était encore très récente et n’était pas véritablement appliquée.

5.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne sa demande initiale d’ERAR, l’intéressée fait observer qu’elle a ultérieurement soumis une demande de permis de résidence pour considérations humanitaires sur le fondement de la violence conjugale dont elle était victime, dans laquelle le même risque était allégué, et que cette demande a été rejetée. Le recours qu’elle a formé contre cette décision a également été rejeté. En ce qui concerne les procédures les plus récentes, elle indique que sa dernière demande d’ERAR a été rejetée le 7 décembre 2010. Elle souligne que, selon le droit canadien, une deuxième demande d’ERAR n’a pas d’effet suspensif en ce qui concerne l’expulsion, et que des dispositions en vue de son renvoi ont été prises immédiatement après la décision de rejet, mais ont été interrompues lorsque le Comité a demandé que des mesures conservatoires soient prises pour empêcher l’expulsion de l’auteur vers le Mexique. L’auteur soutient qu’elle a par conséquent épuisé les recours internes.

Délibérations du Comité concernant la recevabilité

6.1En application de l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

6.2Conformément à l’article 66 de son règlement intérieur, le Comité peut décider d’examiner séparément la question de la recevabilité d’une communication et la communication elle-même quant au fond.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, pour non-épuisement des recours internes, dans la mesure où l’auteur a présenté, le 25 juin 2010, une deuxième demande d’ERAR dans laquelle elle mettait l’accent sur un certain nombre de changements concernant sa situation et qui n’avait pas été examinée au moment où l’État partie a fait des observations concernant la recevabilité de la présente communication. Conformément au paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle l’auteur doit avoir effectivement soulevé au plan interne le grief qu’il ou elle souhaite soumettre au Comité, afin que les autorités et/ou les juridictions internes aient la possibilité de se prononcer sur ce grief. À cet égard, le Comité note que la deuxième demande d’ERAR de l’auteur a été rejetée le 7 décembre 2010 alors qu’il était saisi de la communication. Il prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur aurait pu demander un contrôle juridictionnel de la décision de rejet de l’ERAR devant la Cour fédérale. L’auteur n’a pas contesté ce point; elle n’a pas non plus indiqué pour quelle raison elle n’avait pas demandé qu’il soit procédé à un contrôle juridictionnel ni sollicité un sursis à exécution de la décision d’expulsion devant la Cour fédérale jusqu’à ce qu’une décision soit prise sur la demande d’autorisation de recours et, si celle-ci était accordée, jusqu’à l’achèvement de la procédure de contrôle juridictionnel. Le Comité fait observer qu’une décision favorable de la Cour fédérale aurait pu effectivement bloquer son expulsion vers le Mexique, ce qui aurait par conséquent rendu sans objet la communication qu’elle a adressée au Comité. Le Comité considère donc que l’auteur aurait dû exercer ce recours, et conclut que la présente communication est irrecevable au titre du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

6.4Ayant conclu que la communication était irrecevable au motif que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes, le Comité estime qu’il est inutile d’examiner d’autres motifs d’irrecevabilité invoqués par l’État partie.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, compte tenu du fait que tous les recours internes n’ont pas encore été épuisés;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.