Présentée par :

X et Y (représentées par un conseil)

Victimes présumées :

Les auteures

État partie :

Géorgie

Date de communication :

24 juin 2009 (date de la lettre initiale)

Références :

–Communiquées à l’État partie le 29 octobre 2009 (non publiées sous forme de document)

–Décision de recevabilité du 26 juillet 2013 (CEDAW/C/55/D/24/2009)

Date d’adoption des constatations :

13 juillet 2015

Annexe

Constatations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (soixante et unième session)

Concernant la

Communication no 24/2009 * *

Présentée par :

X et Y (représentées par un conseil)

Victimes présumées :

Les auteures

État partie :

Géorgie

Date de communication :

24 juin 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, institué en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 13 juillet 2015,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif

1.Les auteures de la communication sont des ressortissantes géorgiennes : X, née en 1961, et sa fille, Y, née en 1990. Elles affirment avoir été victimes d’une violation, par la Géorgie, des droits que leur reconnaissent les articles 1, 2, alinéas b) à f), et 5, alinéa a), de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Les auteures sont représentées par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Géorgie le 1er août 2002.

Rappel des faits

2.1X a épousé en 1987 un ressortissant géorgien qui l’avait violée en juillet de la même année après une soirée d’étudiants; elle était vierge au moment des faits. D’après elle, la société géorgienne considère la virginité des jeunes filles comme une vertu qui est le gage d’un mariage réussi. X a donc épousé cet homme parce qu’elle croyait que personne d’autre ne voudrait l’épouser. Dans le cadre de ce mariage, elle a donné naissance à cinq enfants, en 1988, 1989, 1990, 1991 et 1993. Après sa première grossesse, elle a cessé de travailler comme professeur de piano dans une école de musique de Tbilissi pour devenir femme au foyer. En 1993, sa mère s’est s’installée chez X pour l’aider à tenir la maison et à s’occuper des enfants.

2.2 X déclare que son époux était souvent mécontent de la façon dont elle tenait le ménage et qu’il se mettait en colère lorsque ses instructions n’étaient pas respectées. Des disputes éclataient pour des questions insignifiantes concernant la tenue du ménage et donnaient lieu à des scènes de violence. En un certain nombre d’occasions, son époux s’en est pris violemment à leur fils T. D’une manière générale, son époux réagissait violemment quand les enfants se disputaient en jouant. Il « leur criait dessus, les malmenait » et les enfermait dans les toilettes. En une occasion, X avait dû soigner les blessures de Y et de T., leur père leur ayant coincé les doigts dans une porte pour les punir de s’être mal conduits. Ces deux enfants sont ceux qui ont été victimes de la plus grande violence. En d’autres occasions, le père battait les enfants à coup de divers objets que X tentait alors de lui enlever. X se faisait battre par son époux chaque fois qu’elle intervenait pour protéger les enfants.

Violences dont a souffert X

2.3 X déclare avoir commencé à être victime de violences physiques de la part de son époux en 1996. Elle a fait plusieurs signalements de violence conjugale à la police, sans résultat. Le 23 décembre 2001, après une autre dispute, son époux l’a rouée de coups, la blessant au visage et à la tête. Elle a reçu des soins médicaux. Le 28 décembre, le Bureau du Procureur du district d’Isani-Samgori a refusé d’ouvrir une enquête sur les faits, X ayant décidé de retirer sa plainte, car elle était enfermée dans un dilemme moral, sachant que son époux était violent, mais n’en restait pas moins le père de leurs enfants qu’il fallait élever et aider.

2.4 Le 3 juillet 2004, X a déclaré à la police que son époux l’avait de nouveau battue à cause de la plainte qu’elle avait déposée un mois plus tôt au Bureau du Procureur. La police s’est contentée d’exiger de l’époux qu’il s’engage par écrit à ne plus user de violence à l’égard de sa famille.

2.5 Le 15 juillet 2004, X s’est fait insulter et battre par son époux après lui avoir demandé de l’argent. Un examen médical a qualifié ses blessures de blessures corporelles légères. Le 17 juillet, la police a demandé à l’époux de s’engager par écrit à ne plus faire usage de la force contre X. Le 24 juillet, le Bureau du Procureur du district a informé X qu’aucune enquête ne serait ouverte.

2.6 X déclare qu’après sa plainte du 16 juin 2004 à la police, son époux est devenu de plus en plus violent et qu’elle a à nouveau porté plainte le 7 décembre. La police n’est pas intervenue de manière appropriée, l’époux étant uniquement enjoint de s’engager par écrit à ne plus recourir à la violence pour régler les problèmes familiaux.

Violences dont a souffert Y

2.7 X explique qu’elle s’est rendu compte en 1993 que son époux avait commencé à se comporter de manière inappropriée à l’égard de Y. La grand-mère, la mère de X, qui avait emménagé dans l’appartement familial en 1993, a remarqué que le père avait l’habitude de mettre ses mains entre les jambes de sa fille, sur son sexe, lorsqu’il jouait avec elle. La grand-mère a vu le père la main posée sur le sexe de l’enfant, alors âgée de 2 ans environ, pendant qu’il la tenait assise sur ses genoux; il avait le visage rouge et il gémissait, et il ne se savait pas observer. Indignée, la grand-mère lui avait reproché son comportement et lui avait enlevé l’enfant.

2.8 Y a aussi été souvent battue par son père. Celui-ci l’a une fois frappée avec une batte qui lui a occasionné de graves blessures en se brisant.

2.9Le 16 juin 2004, X a déclaré au Bureau du Procureur du district que son époux exerçait des sévices sexuels sur Y. En présence d’un psychologue, elle a décrit les faits, dont les sévices physiques et sexuels commis par son père pendant les cinq années précédentes, les disputes constantes dans le foyer et le climat de tension qui régnait entre les membres de la famille à cause du comportement de son père. T., l’un des fils de X, a également été entendu (et a décrit les scènes au cours desquelles son père les avait frappés, lui et sa sœur, ou s’en était pris à eux). La mère de X a également été entendue. Malgré leurs déclarations, le Bureau du Procureur a décidé le 30 juin de ne pas engager de poursuites.

Épuisement des recours internes

2.10En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, X rappelle qu’elle a signalé à plusieurs reprises que son époux la battait. L’inspecteur de la police locale s’est rendu à son domicile en un certain nombre d’occasions pour s’entretenir avec son époux et obtenir de lui qu’il s’engage par écrit à cesser d’être violent envers son épouse et ses enfants. Aucune autre mesure n’a été prise par l’inspecteur de police et aucune charge n’a été retenue contre l’époux. En particulier, X s’est vu délivrer un certificat médical attestant qu’elle souffrait de blessures corporelles légères2 après les coups que son époux lui avait portés le 23 décembre 2001. De ce fait, le Bureau du Procureur du district a ouvert une enquête préliminaire. X et son époux ont été entendus et un agent de police a confirmé par écrit que X avait été battue par son époux le 23 décembre. Le 26 décembre, X a retiré sa plainte sous la pression de son époux, si bien que l’affaire a été classée le 28 décembre. Le 15 juillet 2004, X a déclaré à la police de nouvelles voies de fait survenues le 14 juillet; ses blessures avaient été qualifiées de blessures corporelles légères. Au poste de police, son époux s’est une nouvelle fois engagé par écrit à ne plus user de violence à son encontre. Des agents de police se sont entretenus avec X, qu’ils ont tentée de convaincre de retirer sa plainte. Le 24 juillet, elle a reçu une lettre l’informant, sans justification, que le Bureau du Procureur n’ouvrirait pas d’enquête pénale sur la base de sa plainte contre son époux.

2.11X explique également qu’elle a aussi signalé à la police les violences physiques que son époux ne cessait d’infliger à ses enfants, notamment à Y. Les faits qu’elle a dénoncés ont toutefois été considérés comme relevant de la vie privée et n’ont pas donné lieu à une enquête. Le 16 juin 2004, elle a fait état des sévices physiques et sexuels exercés sur sa fille et l’un de ses fils, décrivant les actes commis par son époux, y compris par le passé. Le Bureau du Procureur du district a également entendu dans ce contexte la mère de X, Y ainsi que l’époux. Le 30 juin, le Bureau du Procureur a refusé d’ouvrir une enquête pénale. Le 25 juillet, X a fait appel de cette décision, au motif qu’elle était illégale, non fondée et de parti pris, devant le Tribunal du district d’Isani-Samgori. Le 4 octobre, le Tribunal du district d’Isani-Samgori a annulé le refus du 30 juin, constatant que le Bureau du Procureur avait refusé d’ouvrir une enquête pénale compte tenu uniquement de l’exposé des faits selon l’époux, sans prendre en considération les explications des auteures et l’état de santé mentale de l’époux. Le Bureau du Procureur a de nouveau entendu X, ses enfants et sa mère. Le 7 novembre, le Bureau du Procureur a refusé d’engager des poursuites contre l’époux, ayant conclu que les faits de lubricité et de pédophilie n’avaient pas été confirmés et que les enfants étaient sous l’influence de leur mère. X a fait appel et la décision a été annulée le 8 décembre. L’affaire a été transmise au Bureau du Procureur, qui a recueilli de nouveaux éléments auprès des employés de l’époux et de ses voisins. Le 28 décembre, le Bureau du Procureur a une nouvelle fois refusé d’engager des poursuites, notant que l’époux faisait bonne impression à ses voisins et à ses partenaires commerciaux et déclarant la plainte des auteures non fondée. Le 24 janvier 2005, X a fait appel de cette décision. Le 11 février, le Bureau du Procureur de Tbilissi a annulé la décision du 28 décembre 2004 et renvoyé l’affaire devant le Bureau du Procureur du district au motif que la plainte n’avait pas donné lieu à une enquête appropriée. Le 11 mars, X a écrit au Procureur général pour lui demander de faire examiner sa plainte du 16 juin 2004, car son époux les menaçait, elle et les enfants. Par une décision du 12 mars, le Bureau du Procureur du district a refusé d’engager des poursuites contre l’époux. L’auteure X a fait appel de cette décision devant le Bureau du Procureur général qui l’a déboutée le 4 août 2005 au motif que les actes de son époux ne constituaient pas un délit. X a fait appel de cette décision devant le Tribunal du district, qui l’a déboutée le 29 novembre 2005 au motif que son appel était non fondé. Elle a fait appel de cette décision devant la Cour d’appel de Tbilissi. Son appel a été examiné en son absence, le 7 février 2006, et a été rejeté au motif que sa demande était non fondée. Cette décision n’était pas susceptible d’appel.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteures font valoir que les faits ci-dessus révèlent que l’État partie a violé les articles 1, 2, alinéas b) à f), et 5, alinéa a), de la Convention, car il a manqué à son obligation d’adopter des dispositions législatives pénales pour protéger les femmes et les filles contre les sévices physiques et sexuels dans le cadre familial, n’a pas fourni de protection juridictionnelle sur un pied d’égalité aux victimes de violence familiale et de sévices sexuels et a soumis les auteures à la torture en ne les protégeant pas contre la violence familiale.

3.2 À l’appui de leurs griefs, en référence aux articles 1 et 2 de la Convention ainsi qu’à la recommandation générale no 19 du Comité, les auteures expliquent que l’État partie a manqué à son obligation en vertu de la Convention de condamner la discrimination à l’égard des femmes sous toutes ses formes, de faire en sorte que des mesures appropriées soient prises pour empêcher toute manifestation de violence sexiste et d’enquêter sur les violations des droits humains et de punir les personnes les ayant commises. L’État partie a entre autres obligations celle d’introduire des politiques nationales efficaces pour lutter contre la violence, de les développer et de les améliorer le cas échéant, ce qui consiste à assurer la sécurité et la protection des victimes, à leur apporter aide et assistance, à amender le droit pénal et civil et à former les professionnels confrontés à la violence contre les femmes afin de prévenir cette violence.

3.3 Les auteures ajoutent que les femmes et les enfants, plus susceptibles d’être victimes de violence familiale, ont droit à une protection active de l’État partie contre de graves atteintes à leur intégrité personnelle – physique, morale et sexuelle – dont les autorités ont ou devraient avoir connaissance. Elles font valoir qu’outre son obligation d’intervenir en cas de dépôt de plainte, l’État partie a l’obligation d’ouvrir une enquête chaque fois qu’il existe suffisamment d’indices de violation grave. L’obligation faite à l’État partie de protéger les femmes contre la violence implique non seulement de mettre fin au comportement de l’auteur des faits, mais aussi de veiller au bien-être de la victime. Les mesures essentielles à prendre pour assurer une protection efficace consistent entre autres à éliminer le risque persistant de violence familiale, à adopter des dispositions permettant d’empêcher les auteurs des faits d’entrer en contact ou de communiquer avec les victimes ou de les approcher et à fournir des services appropriés d’aide aux victimes (foyer d’accueil, conseils et soutien médical, notamment). L’interdiction de la torture et autres formes de maltraitance impose aux autorités de mener des enquêtes sérieuses lorsque des personnes disent avoir été victimes d’actes de torture ou de maltraitance et d’identifier et de punir ceux qui ont commis ces actes.

3.4 En référence à l’article 1 de la Convention et à la recommandation générale no 19 du Comité, les auteures indiquent qu’à l’époque des faits à la base de la plainte, l’État partie n’avait pas de disposition juridique pour lutter efficacement contre la violence familiale. La définition de la violence familiale n’a été introduite dans le système juridique de l’État partie qu’avec l’adoption, le 25 mai 2006, de la loi sur la prévention de la violence familiale. Jusqu’alors, les plaintes pour violence familiale étaient traitées par l’inspecteur de police du lieu ou secteur où les faits s’étaient produits sur la base de dispositions administratives. Après avoir fait les constatations d’usage sur place, l’inspecteur se chargeait d’obtenir de l’auteur des faits qu’il s’engage par écrit à ne plus commettre d’actes de même nature à l’avenir. Comme ces engagements n’avaient pas de valeur légale, l’on ne pouvait contraindre les personnes qui les avaient pris à les tenir. Si une victime insistait pour déposer une plainte officielle, le Bureau du Procureur intervenait comme médiateur entre les époux au lieu d’enquêter sur les faits et de poursuivre leur auteur. Le fait que l’État partie n’a pas adopté de dispositions législatives et n’a pas fourni les services sociaux voulus pour protéger les victimes de violence familiale est aggravé par le fait que les autorités n’ont pas réellement enquêté sur les nombreuses plaintes de X au sujet des sévices physiques et sexuels que son époux a exercés sur elle et ses enfants.

3.5 Les auteures ajoutent que leur situation était bien connue de la police qui avait eu de nombreux contacts avec X et ses proches. Les voies de fait sont devenues plus fréquentes à partir de l’épisode violent du 23 décembre 2001 et ont atteint leur paroxysme lors de l’épisode du 17 juillet 2004 (tous deux signalés à la police). Comme X, les enfants ont été victimes de la violence verbale et physique de leur père, ce qui a engendré de nouvelles querelles entre leurs parents. X a appelé la police à plusieurs reprises en quête de protection pour elle et ses enfants, mais en vain.

3.6 Les auteures font valoir qu’en vertu du Code géorgien de procédure pénale, la police aurait dû enregistrer les plaintes de X, ouvrir une enquête pénale, recueillir des preuves, poursuivre l’époux et prendre des mesures pour empêcher toute nouvelle violence. La police a toutefois manqué à toutes ces obligations. Les signalements faits à l’inspecteur local n’ont jamais été enregistrés comme plaintes, ni entraîné d’enquête ou de poursuites appropriées. Au vu de ce long historique de violence et de sévices, la police n’a pas fait montre de la diligence voulue pour protéger les auteures contre la violence sexiste, car elle n’a pas donné immédiatement suite aux plaintes. La police et le ministère public savaient ou auraient dû savoir que les auteures étaient continuellement exposées à des actes de violence et à des sévices dangereux pour leur santé physique et mentale; ils étaient donc dans l’obligation d’éviter que de telles violences ne se produisent.

3.7 Les auteures ajoutent que l’incapacité des autorités à mettre fin à la violence familiale dans leur cas ressort aussi clairement de l’enquête sur la plainte déposée le 14 juin 2004 par X. Celle-ci y accusait son époux de battre ses enfants et de se comporter de manière indécente à l’égard de Y. Sa plainte a été rejetée à plusieurs reprises au motif qu’elle était « manifestement dénuée de fondement » ou « non fondée » ou que les faits « ne dépassaient pas les limites raisonnables du comportement d’un père à l’égard de ses enfants dans le cadre familial ». Les autorités se sont contentées d’entendre les parties sans demander d’examen médico-légal, ignorant les plaintes précédentes pour violence familiale.

3.8 Les auteures expliquent que les enfants ont été entendus à plusieurs reprises en présence d’un psychologue scolaire. En ces occasions, les enfants ont confirmé les voies de fait, Y décrivant les scènes lors desquelles son père lui avait touché le sexe et l’avait battue. Le Bureau du Procureur a toutefois mis en doute la véracité des dires de Y et a demandé au psychologue scolaire d’examiner les enfants. Le psychologue a conclu que Y tenait des propos répétitifs, dénués d’émotion et formulés en des termes qui ne correspondaient pas à son milieu social, à son niveau d’instruction ou à son âge. Les auteures expliquent que le ministère public s’est fondé sur ces conclusions sans vérifier les qualifications, compétence et expertise du psychologue, arguant qu’il aurait fallu solliciter l’avis d’un psychologue ayant de l’expérience clinique.

3.9 Les auteures expliquent par ailleurs que le Procureur s’est renseigné sur la santé mentale de X et de son époux. Un Centre psycho-neurologique de Tbilissi a déclaré dans son diagnostic que l’époux était sain d’esprit, mais irritable et prompt à s’emporter. Un autre Centre psycho-neurologique de Tbilissi a certifié que X n’était pas répertoriée comme malade mentale, ajoutant toutefois que « ceci ne suffisait pas à établir qu’une personne était saine d’esprit ». À une date inconnue, l’Hôpital no 5 de Tbilissi a diagnostiqué une neurasthénie chez X et lui a prescrit un traitement. Les auteures font remarquer que « ces certificats ont été demandés à des praticiens, et non à des experts, et ont fourni une évaluation générale et non individuelle des auteures ».

3.10 Les auteures font aussi observer que le ministère public a pris en considération les déclarations faites au sujet de leur époux et père en tant qu’étudiant et commerçant, c’est-à-dire en dehors du cadre familial, pour rejeter la plainte de X. Le fait que X était diplômée de l’enseignement supérieur et avait travaillé comme professeur de musique, mais avait cessé son activité professionnelle pour élever ses enfants n’a pas été pris en considération. Les auteures font valoir qu’en accordant plus d’importance au niveau de formation de leur époux et père et à sa bonne réputation en dehors du cadre familial qu’à ceux de la victime, les enquêteurs ont manqué d’impartialité et ont fait preuve de discrimination subjective à l’examen de sa plainte. Le ministère public a essentiellement cherché à déceler des failles dans les déclarations de X, son comportement et sa santé mentale, et non à recueillir des éléments de preuve à l’appui de sa plainte et à les examiner. Les auteures et tous les autres membres de leur famille, à l’exception de leur époux et père, ont fait l’objet d’une évaluation négative dans les décisions du ministère public, où il n’est pas fait référence aux actes de violence familiale dont X a été victime par le passé et à la nécessité de confier à un professionnel le soin d’examiner les enfants et de faire un bilan de leur état de santé physique et psychologique. À aucun stade de la procédure, les services sociaux n’ont été sollicités pour aider la famille. Le fait que le ministère public n’a pas pris en compte les violences sexuelles dont X disait que ses enfants avaient été victimes a vidé la procédure de son sens et lui a ôté toute chance d’aboutir. Même lorsque la plainte a révélé une tendance à la maltraitance des enfants, le ministère public a estimé que ce n’était pas pertinent.

3.11 Les auteures prétendent que la violence qu’elles ont endurée pendant des années dans le cadre familial équivaut à de la torture et à de la maltraitance et que l’État partie a manqué à son devoir d’engager des poursuites et de les protéger. En référence à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, elles font valoir que tous les éléments constitutifs de la torture étaient réunis dans leur cas : une douleur et des souffrances physiques et mentales aiguës (X a indiqué dans sa plainte qu’elle en venait à perdre son estime de soi en tant que mère et femme au foyer à cause des critiques et insultes incessantes de son époux et qu’elle se sentait harcelée moralement; Y a indiqué qu’elle s’était rendu compte que la façon dont son père la caressait n’était pas celle d’un père câlinant son enfant, ce dont elle avait honte, et qu’elle avait peur de rester seule avec lui à leur domicile parce qu’il risquait de la battre); l’intention (les deux auteures ont été battues et victimes à plusieurs reprises des sévices exercés par leur époux et père, qui cherchait, par la violence physique et l’intimidation, à exercer son emprise sur elles); l’incapacité de la police à les protéger (qui avait contribué à l’impunité de l’auteur des faits); et l’implication de l’État (aucun cadre juridique clair n’existait concernant la protection des victimes de violence familiale avant 2006 et même après l’adoption de la loi, la violence familiale pouvait encore être parfois considérée comme relevant de la vie privée). D’après les auteures, les autorités étaient pleinement conscientes de la situation, mais elles avaient contribué par leurs manquements à encourager le comportement violent de l’époux et père, sans y mettre fin, sans offrir de refuge aux victimes, ni enquêter sur leurs accusations.

Offre d’un règlement amiable par l’État partie et observations en retour des auteures

4.1 Le 5 septembre 2011, l’État partie a présenté une proposition de règlement amiable aux auteures. L’État partie explique qu’il approuve pleinement les principes énoncés dans la Convention. Il admet qu’en 2004-2005 (au moment des faits), le droit national était en cours d’harmonisation conformément aux exigences de la Convention, mais affirme que les principes majeurs de la Convention étaient pleinement d’application à l’échelle nationale. L’État partie ajoute qu’il est possible que certains défauts d’enquête aient à l’époque conduit à une violation des droits des auteures. Dans ce contexte, il invite les auteures et leurs représentants à engager des pourparlers en vue d’un règlement amiable.

4.2 Le 21 octobre 2011, les représentants des auteures ont confirmé que celles-ci acceptaient de s’engager dans une procédure de règlement amiable. Le 22 avril 2012, le conseil des auteures a informé le Comité des pourparlers engagés avec les autorités à ce sujet et le 20 juin, lui a fait savoir qu’aucun fait nouveau n’était intervenu.

Observations supplémentaires des parties

5.1 Le 22 août 2012, les auteures ont expliqué que le 9 décembre 2008, la Cour européenne des droits de l’homme avait, sur décision d’un comité de trois juges, rejeté leur requête au motif qu’elle était manifestement mal fondée, sans justifier autrement ce rejet. Le 17 septembre, les auteures ont fourni copie de leur requête introduite le 14 mars 2007 devant la Cour, ainsi que de la décision de la Cour en date du 9 décembre 2008.

5.2Le 4 janvier 2013, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention, car les auteures avaient, avec l’un des fils de X, introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’avait examinée et l’avait déclarée irrecevable en vertu des articles 34 et 35 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) le 9 décembre 2008.

5.3Le 25 mars 2013, les auteures ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Elles ont entre autres fait remarquer que la présente communication concernait les répercussions sexospécifiques de la violence familiale et la discrimination fondée sur le sexe inhérente à l’incapacité de l’État partie de prévenir et de combattre la violence contre les femmes et les filles. Par contre, dans leur requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, elles ne faisaient pas référence à la discrimination fondée sur le sexe, mais aux répercussions personnelles des violences subies par Y et son frère et au préjudice subi par X en tant que mère dans l’incapacité de protéger ses enfants. Pareille distinction se retrouve dans les différences concernant les parties, les faits et les motifs de plainte. Devant la Cour, les auteures n’ont pas dénoncé de discrimination, fondée sur le sexe ou autrement motivée, et n’ont dès lors pas invoqué de violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme, mais ont insisté sur les répercussions personnelles des sévices subis par Y et son frère. Cette requête faisait par ailleurs valoir que X avait elle aussi été victime d’une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, car elle avait été empêchée de protéger ses enfants contre de tels sévices. Leur requête portait essentiellement sur une violation des articles 3 (interdiction de la torture), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette approche tranche avec leur dossier tel qu’il a été présenté au Comité, qui invoque la discrimination fondée sur le sexe (voir le paragraphe 3.1).

Délibérations du Comité concernant la recevabilité

6.1Le 26 juillet 2013, à sa cinquante-cinquième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Le Comité a noté, aux fins de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, qu’une requête au nom des auteures et de l’un des fils de X (et frère de Y) avait été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme en mars 2007 et que la Cour avait déclaré cette requête irrecevable au motif qu’elle était manifestement mal fondée et avait également conclu que les faits dont elle était saisie ne révélaient aucune violation apparente des droits et des libertés des requérants aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme et de ses protocoles. Le Comité a pris note des objections de l’État partie concernant la recevabilité de la communication. Le Comité devait déterminer si la requête introduite devant la Cour portait sur le « même objet » que la présente communication et, dans l’affirmative, de déterminer si la Cour l’avait réellement « examiné ».

6.2 Le Comité avait en premier lieu à déterminer si l’« objet » de la requête introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme se rapportait bien à la même allégation de violation d’un droit particulier concernant le même individu. Le Comité devait donc commencer par s’assurer que dans le cas présent, l’« objet » se rapportait aux mêmes faits, aux mêmes individus et aux mêmes droits fondamentaux.

6.3Le Comité a noté que l’État partie considérait que les deux demandes étaient « sensiblement les mêmes, car les articles invoqués dans les deux cas étaient analogues sur le fond ». Les auteures avaient cherché à obtenir réparation au titre de la Convention européenne des droits de l’homme, en vertu de ses articles 3 (interdiction de la torture), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 13 (droit à un recours effectif), alors que dans le cas présent, les auteures avaient invoqué les articles 1, 2, alinéas b) à f), et 5, alinéa a), de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Selon l’État partie, pour éviter le réexamen de différends déjà réglés, il fallait s’attacher à la nature profonde des différends, et non à leur classification officielle.

6.4Le Comité a également pris note des observations des auteures qui ont fait valoir qu’en dépit de la similitude des affaires, les faits invoqués devant la Cour européenne des droits de l’homme différaient de ceux invoqués devant le Comité. Les auteures ont rappelé que la communication dont le Comité avait été saisi portait sur les répercussions sexospécifiques de la violence familiale et de la discrimination fondée sur le sexe inhérente à l’incapacité de l’État partie de prévenir et de combattre la violence contre les femmes et les filles, tandis que la requête introduite devant la Cour portait sur les répercussions personnelles des sévices subis par Y et par son frère, ainsi que sur le préjudice subi par X en tant que mère incapable de protéger ses enfants; cette distinction se reflétait dans les différences concernant les parties, les faits et les arguments juridiques. Les auteures ont souligné que, devant la Cour, elles n’avaient pas invoqué de violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme.

6.5Le Comité a lu attentivement la requête introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que les arguments qui y figuraient et a constaté que devant la Cour, les auteures n’avaient pas dénoncé de discrimination, fondée sur le sexe ou autrement motivée, et n’avaient pas invoqué de violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) alors que la discrimination fondée sur le sexe était au centre de la communication présentée au Comité. La requête introduite devant la Cour portait sur les sévices sexuels et physiques exercés sur les deux enfants (Y et son frère T.), l’incapacité de l’État partie de les protéger et de poursuivre l’auteur des faits et « la torture et la souffrance morale » endurées par X en tant que mère « dans l’incapacité de protéger ses enfants contre de tels actes ». La violence familiale récurrente dont X a été victime de 1996 à 2004 n’avait jamais été évoquée devant la Cour. Par ailleurs, le fils de X (et frère de la seconde auteure), lui aussi victime d’actes de violence, était partie à la requête devant la Cour, mais non à la communication présentée au Comité.

6.6Le Comité a noté que les deux dossiers n’avaient pas trait aux mêmes droits fondamentaux dans la mesure où les auteures avaient invoqué leur droit fondamental à l’égalité et à la non-discrimination dans la communication qui lui a été présentée, mais ne l’avaient pas invoqué dans leur requête devant la Cour européenne des droits de l’homme.

6.7En conséquence, le Comité a estimé qu’il n’était pas établi que le « même objet » avait déjà été examiné par la Cour européenne des droits de l’homme et que rien ne s’opposait à ce qu’il examine la communication dont il a été saisi en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif. Il a estimé que les auteures avaient suffisamment étayé leurs griefs en vertu des articles 1, 2, alinéas b) à f), et 5, alinéa a), de la Convention, aux fins de la recevabilité, et les a déclarés recevables.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1Le 9 décembre 2013, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication. Il affirme que les auteures n’ont pas fourni d’arguments valides à l’appui de la violation des articles 1, 2, alinéas b) à f), et 5, alinéa a), de la Convention, à la lumière de la recommandation générale no 19 du Comité.

7.2L’État partie déclare que ses autorités se sont acquittées de leurs obligations positives en vertu de la Convention et fait référence aux enquêtes menées.

7.3L’État partie rappelle les faits et fait référence aux plaintes déposées par X entre le 16 et le 30 juin 2004. Le 30 juin, un substitut du Bureau du Procureur du district a, en vertu de l’article 28, paragraphe b), du Code de procédure pénale, refusé d’ouvrir une enquête sur l’époux à cause des explications contradictoires et des divergences relevées lors des interrogatoires. Les enquêtes n’avaient pas mis au jour d’acte illégal.

7.4L’État partie fait également référence à une plainte déposée le 30 juin 2004 au Bureau du Procureur du district par une voisine de X, K. La voisine expliquait que le 30 décembre 2002, de l’eau s’était infiltrée dans l’appartement de X et que l’époux de celle-ci avait fait irruption chez elle, s’en était pris à ses enfants et avait fait des dégâts dans son appartement. Elle avait précisé que par égard pour X, elle s’était dans un premier temps abstenue de déclarer l’incident à la police. Toutefois, lorsqu’elle avait appris que X tentait de faire engager des poursuites contre son époux, elle avait décidé de l’aider en signalant l’incident. Le 7 juillet 2004, la voisine avait néanmoins déclaré vouloir revenir sur ses dires et révélé qu’elle avait fait état de cet incident à la demande de X. L’État partie maintient qu’avec ces faits présents à l’esprit, les divergences et les déclarations contradictoires démontrent l’inconsistance de l’affaire et qu’il est difficile d’établir que l’époux aurait commis quelque acte illégal.

7.5L’État partie indique qu’après que les auteures ont soumis une note explicative supplémentaire le 7 juillet 2004, les autorités chargées de l’enquête au Bureau du Procureur du district avaient contraint l’époux à s’engager à respecter la loi et à ne pas insulter les membres de sa famille.

7.6Le 15 juillet 2004, l’époux a fait savoir au Bureau du Procureur du district qu’une psychose agressive avait été diagnostiquée chez son épouse. Il a décrit les agressions de son épouse envers lui à leur domicile et sur son lieu de travail et a demandé au Procureur de faire tout ce qui était en son pouvoir pour le protéger de ces agressions physiques et d’ordonner l’administration d’un traitement psychiatrique à son épouse.

7.7Les 14 et 15 juillet 2004, le Bureau du Procureur du district a demandé au Centre psycho-neurologique de Tbilissi de lui remettre les éventuels dossiers médicaux en sa possession concernant l’état de santé psychologique de X et de son époux. Les autorités ont reçu des informations faisant état de la forte personnalité de l’époux. De plus, le 16 juin, l’inspecteur responsable du dossier au Bureau de police du secteur a demandé à X de se faire examiner au Centre psycho-neurologique, ce qu’elle a refusé.

7.8X a fait appel de la décision du Bureau du Procureur du district en date du 30 juin 2004, et le Tribunal régional d’Isani-Samgori a annulé cette décision le 4 octobre, constatant, entre autres, que le ministère public s’était uniquement fondé sur les explications de l’époux, que d’autres membres mineurs de la famille ou témoins n’avaient pas été entendus et qu’aucune mesure légale n’avait été prise pour vérifier l’état de santé psychologique de X et de son époux. L’État partie conclut que cette décision montre que les autorités judiciaires ont fait preuve de leur détermination à enquêter de manière rapide, approfondie, impartiale et sérieuse sur toutes les accusations de violence familiale, comme le prévoit la jurisprudence du Comité, sans distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe.

7.9L’État partie appelle l’attention sur la déclaration faite par X le 18 octobre 2004, selon laquelle son fils aîné, D. travaillait régulièrement avec son père au marché. Il en ressort qu’elle ne craignait apparemment pas que son époux ne fasse du mal à ce dernier. L’État partie estime qu’au vu de cette déclaration, les déclarations antérieures de X paraissent extrêmement vagues et sans fondement.

7.10 Par ailleurs, les interrogatoires des autres enfants mineurs, en présence d’un psychologue et d’un enseignant de leur école, ont mis au jour des faits supplémentaires qui contredisent les déclarations des auteures. Y a déclaré au psychologue que trois ans auparavant, lorsqu’elle s’était rendue avec son frère T. et son père à Telavi, son père ne les avait pas battus, ni caressés d’une façon inappropriée. T. a nié que son père les ait jamais emmenés tous les deux à Telavi, mais a affirmé qu’il avait séjourné avec son père et son frère A., à Telavi, chez leur tante, et que son père ne les avait pas battus durant leur séjour. L’État partie fait remarquer que cette déclaration montre aussi que X ne craignait pas de laisser ses enfants seuls avec leur père.

7.11Durant leur interrogatoire, les fils aînés, D., et S., ont maintenu qu’ils n’avaient pas été témoins de gestes inappropriés de la part de leur père, mais qu’ils en avaient uniquement entendu parler par leur mère et leur grand-mère. Ils ont par ailleurs déclaré que leur mère et leur grand-mère leur parlaient souvent de pédophilie. En conséquence, l’État partie considère que les enfants ont subi un lavage de cerveau de la part de leur mère et de leur grand-mère, ce qui les a amenés à témoigner contre leur père.

7.12Le fils cadet, A., a déclaré durant son interrogatoire qu’il était là parce que sa mère et sa grand-mère voulaient faire main basse sur le commerce de son père, pour que son frère aîné puisse l’exploiter et entretenir la famille. Selon l’État partie, ces propos jettent la suspicion sur les circonstances de l’affaire et remettent en cause les accusations des auteures.

7.13Le psychologue qui a assisté aux interrogatoires a constaté, entre autres, que les enfants parlaient de sujets traumatisants sans émotion particulière, s’exprimant en des phrases apprises par cœur, et qu’ils employaient des termes qui n’étaient pas de leur âge et que la réaction tardive de X et de sa mère aux événements rendait les faits extrêmement vagues. Le psychologue en a conclu que les enfants n’étaient pas sous le coup de l’émotion et qu’il était très probable qu’ils soient sous influence.

7.14Le 7 novembre 2004, le Bureau du Procureur du district a refusé d’engager des poursuites contre l’époux après avoir examiné le compte rendu des interrogatoires, le rapport du psychologue et d’autres divergences suspectes, en concluant que les enfants étaient sous l’influence de leur mère et qu’il était incohérent de la part de X d’accuser son époux de pédophilie, mais de permettre à ses enfants de travailler avec lui et de séjourner avec lui dans une autre ville.

7.15Cette décision a été annulée par le Bureau du Procureur de Tbilissi qui a constaté, entre autres, que les voisins et les collègues de l’époux n’avaient pas été entendus et qu’aucune information n’avait été obtenue au sujet du traitement neuropathologique administré à X. L’État partie affirme que cette décision atteste une nouvelle fois la volonté des autorités d’enquêter de manière rapide et impartiale.

7.16Les voisins et collègues ont par la suite déclaré que l’époux de X était un homme digne qui faisait grand cas de sa famille et qu’ils n’avaient jamais constaté de sa part de comportement inapproprié envers ses enfants. Certains d’entre eux ont également déclaré que X était une femme très jalouse qui faisait courir des rumeurs sur son époux et le diffamait. De plus, le médecin qui avait traité X a été entendu. Il a confirmé lui avoir diagnostiqué une neurasthénie et prescrit un traitement.

7.17Le Bureau du Procureur du district a refusé d’engager des poursuites sur la base des témoignages susmentionnés, une décision qui a été annulée par le Bureau du Procureur de Tbilissi le 11 février 2005. Cette décision a été annulée au motif, entre autres, que le médecin de l’époux aurait dû être interrogé au sujet de la forte personnalité et des troubles de son patient, que les voisins vivant sur le même palier que les auteures auraient dû tous être entendus et qu’il aurait fallu établir le profil complet de X et de son époux quant à leur niveau de formation et à leur statut social.

7.18. Entendu par la suite, le médecin de l’époux a expliqué que la forte personnalité de son patient ne relevait pas de troubles mentaux et était sans rapport avec de la perversion sexuelle, mais que les personnes dans son cas étaient irritables et promptes à s’emporter pour des broutilles. Les voisins ont, pour leur part, qualifié la famille d’unie et ses membres, de gens bien. Quant à l’employeur de l’époux, il a déclaré que celui-ci était quelqu’un d’honnête. L’État partie considère que ces témoignages n’éclairent pas l’affaire sous un jour nouveau.

7.19L’État partie rappelle par ailleurs que l’affaire a été examinée, puis classée le 4 août 2005 par le Bureau du Procureur général, le 29 novembre 2005 par le Tribunal de première instance de Tbilissi et le 7 février 2006 par la Cour d’appel de Tbilissi.

7.20L’État partie en conclut que ses autorités se sont acquittées de toutes les composantes de son obligation positive en vertu de la Convention. Il constate par ailleurs qu’il n’y a pas d’indices de discrimination fondée sur le sexe et que toutes les procédures d’enquête ont été menées rapidement et de manière impartiale, dans le respect des articles pertinents de la Convention et de la jurisprudence du Comité.

Commentaires des auteures sur les observations de l’État partie

8.1Le 17 novembre 2014, les auteures ont soumis leurs commentaires au sujet des observations de l’État partie sur le fond, déclarant que l’État partie n’avait en rien étayé les conclusions tirées et n’avait dans l’ensemble pas traité du fond de l’affaire.

8.2Selon les auteures, l’État partie n’a pas abordé l’objet principal de l’affaire, en l’espèce la violence familiale récurrente, et a ignoré un certain nombre de faits, dont le fait que X avait été violée, puis contrainte d’épouser l’homme qui l’avait violée, qu’elle avait depuis 1996 enduré les sévices graves et récurrents exercés sur elle par son époux et que ses enfants avaient été victimes de sévices répétés, ayant été battus au moyen de divers objets (ces sévices ont été particulièrement graves pour Y, sachant que celle-ci s’est régulièrement fait battre, crier dessus et secouer avec force, qu’elle a eu les doigts coincés dans une porte en guise de punition et qu’elle a été victime de sévices sexuels). L’État partie n’a pas mentionné ces faits, pas plus qu’il n’a évoqué les obligations juridiques que ces faits généraient. Toutefois, ces violences, endurées pendant de nombreuses années, et l’incapacité des autorités d’y réagir constituent l’essence des enquêtes menées par l’État partie.

8.3Les auteures font valoir que les observations de l’État partie apportent la preuve d’une incompréhension fondamentale de ses obligations en vertu de la Convention, incompréhension révélée par l’évocation de la détermination judiciaire et les procédures d’enquête qualifiées d’impartiales et d’approfondies. Ainsi, lorsque X a déclaré qu’elle pensait que son époux ne battrait pas leur fils en public, l’État partie en a déduit que toutes ses déclarations antérieures étaient « vagues et dénuées de fondement ». Les auteures considèrent que cela n’est pas rationnel et témoigne soit d’un parti pris contre les auteures, soit d’une opinion préconçue du comportement des victimes de violence familiale. Avec la décision des autorités de classer l’affaire au motif que les déclarations des voisins ne révélaient pas de circonstances nouvelles, c’est aux auteures qu’est revenue la charge de la preuve. Il s’agit là d’une charge trop lourde, sachant que les auteures avaient déjà produit des éléments de preuve significatifs.

8.4Les auteures soulignent que la violence fondée sur le sexe est une forme de discrimination qui empêche sérieusement les femmes de jouir de leurs droits et libertés. Elles soutiennent dès lors que l’État partie n’a pas agi avec la diligence voulue pour prévenir les actes de violence sexiste, enquêter sur ces actes et poursuivre et punir les personnes les ayant commis, comme le prévoit le paragraphe 19 de la recommandation générale no 28 du Comité.

8.5Les auteures rappellent les manquements structurels dans le droit géorgien à l’époque des faits dénoncés par la première auteure et l’absence de dispositions législatives érigeant la violence familiale en infraction; le fait qu’aucune politique n’ait été adoptée ou mise en œuvre pour garantir que les actes de violence familiale donnent lieu à l’ouverture d’une enquête et que les personnes les ayant commis soient poursuivies et punies; l’absence de dispositions législatives permettant de rendre des ordonnances de protection ou des injonctions interdisant tout contact; le manque de formation suffisante du personnel des services de répression, du ministère public et des tribunaux pour garantir la protection des victimes et l’élimination de tout parti pris en faveur des personnes (de sexe masculin pour la plupart) accusées de tels actes de violence au détriment des plaignants (de sexe féminin pour la plupart); et l’absence de dispositif sexospécifique pour entendre les victimes et la pratique consistant à obtenir des personnes présumées coupables d’actes de violence des engagements écrits qui ne sont pas juridiquement contraignants. Les auteures considèrent que l’État partie n’a pas fourni d’éléments ou d’arguments probants pour infirmer ce qui précède. Il apparaît dès lors que bien que l’État partie ne conteste en aucun cas l’exactitude des faits exposés, il conteste la thèse selon laquelle les manquements en question constituent une violation des droits invoqués. C’est incompatible avec les directives claires fournies par le Comité.

8.6Les auteures rappellent que dans le cas présent, l’État partie a, entre autres, manqué à son devoir d’enregistrer officiellement les accusations de violence familiale, d’ouvrir une enquête, de prendre en considération les accusations antérieures de violence familiale, de reconnaître que les actes de violence physique admis constituaient des infractions pénales et de fournir des cadres de dépôt de plainte et d’interrogatoire sexospécifiques ou appropriés aux enfants. Les auteures soutiennent dès lors que l’État partie n’a pas garanti la réalisation concrète du principe de non-discrimination et d’égalité authentique conformément aux articles 1 et 2, alinéas c) et d), de la Convention.

8.7 Les auteures considèrent qu’il existe dans l’État partie une tendance socioculturelle à accorder plus de poids aux dires d’un homme et à estimer qu’un certain niveau de violence physique et d’attouchements sexuels fait partie d’une façon acceptable d’élever ses enfants pour un homme. Les coutumes et les usages sociaux perpétuent aussi la discrimination et les préjugés fondés sur l’idée d’infériorité ou de supériorité. Les auteures ajoutent que l’État partie n’a pas contesté ces pratiques discriminatoires, modèles de comportements sociaux et culturels et préjugés, ni n’a fourni d’éléments montrant que des mesures ont été prises pour les modifier ou les supprimer.

8.8Les auteures contestent l’argument de l’État partie selon lequel toutes les procédures nécessaires ont bien été suivies lors de l’enquête préliminaire, indiquant que l’État partie n’a pas adopté de normes objectives pour évaluer les indices convaincants suggérant la commission d’un délit et n’a pas agi en conséquence. Même le fait que l’époux ait reconnu qu’il caressait tout le temps sa fille, qu’il frappait parfois son épouse et qu’il avait jeté son fils T. à plat ventre sur un lit et l’avait frappé à plusieurs reprises n’a pas donné lieu à l’ouverture d’une enquête. En lieu et place, les autorités ont conclu que le comportement de l’époux n’était pas illégal, ce qui démontre la défaillance institutionnelle et le manque de volonté des autorités d’enquêter et d’engager des poursuites en cas de violence familiale.

8.9Les auteures considèrent par ailleurs que l’État partie n’a pas recueilli et présenté les éléments de preuve de façon impartiale, mais a fait montre de scepticisme et d’incrédulité quant aux dires de X et de ses témoins, à la différence du parti pris affiché pour l’époux. Elles épinglent en particulier le fait que tous les témoins susceptibles d’être pertinents n’ont pas été entendus dès le début, que des questions orientées ont été posées durant les interrogatoires et qu’il a été demandé à X de se soumettre à des examens psychiatriques en l’absence d’éléments suggérant leur pertinence. Il apparaît par ailleurs que les autorités ont sollicité des informations médicales confidentielles au médecin de X, sans éléments suggérant que celle-ci consentait à leur divulgation.

8.10Les auteures déclarent que l’examen des décisions judiciaires révèle que l’appareil judiciaire a couvert les manquements et les erreurs du ministère public ainsi qu’un parti pris en faveur de l’époux. La décision prise par le Tribunal de Tbilissi le 29 novembre 2005 ne comporte pas d’analyse impartiale et ne présente pas avec exactitude les éléments de preuve en détail et en totalité. Le juge conclut en ces termes : « Le point le plus important réside dans le fait que l’avocat [de la première auteure] est incapable de contester les éléments de preuves recueillis par les enquêteurs lors de nombreux devoirs d’enquête ». Selon les auteures, cela montre bien que c’était à elles qu’il revenait de réfuter les éléments présentés en faveur de l’époux.

8.11Les auteures considèrent que les sévices physiques, sexuels, affectifs et psychologiques qu’elles ont subis ont eu des répercussions durables sur leur vie et leur bien-être physique et affectif.

8.12Concernant l’évolution de la législation et de l’action publique dans l’État partie, les auteures considèrent que bien qu’il existe désormais des lois qui interdisent la violence familiale et l’érigent en infraction pénale, leur application pose des problèmes dans les faits.

8.13Les auteures cherchent à obtenir une indemnisation en espèces en réparation du préjudice moral et matériel qu’elles ont subi à cause de la violation de leurs droits. Elles cherchent aussi à obtenir que le Gouvernement présente officiellement des excuses, entre autres qu’il reconnaisse les faits et qu’il accepte d’assumer sa responsabilité quant à la violation de leurs droits en vertu de la Convention. Nonobstant les défauts fondamentaux des procédures d’enquête à l’échelle nationale, elles ne demandent pas que leurs plaintes donnent lieu à l’ouverture d’une nouvelle enquête. Les auteures évoquent par ailleurs le nombre croissant de femmes victimes de violence et le taux peu élevé de signalement d’actes de violence sexiste et de violence familiale, par peur et par crainte de la stigmatisation et demandent au Comité de faire les recommandations générales suivantes à l’État partie pour renforcer l’application du cadre juridique : garantir l’ouverture rapide d’enquêtes impartiales; garantir l’accès des victimes de violence familiale à des voies de recours au pénal et au civil; et redoubler ses efforts pour éliminer les attitudes stéréotypées à l’égard des responsabilités des femmes et des rôles qui leur sont dévolus.

Délibérations du Comité

Examen au fond

9.1En application des dispositions du paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations mises à sa disposition par les auteures et l’État partie.

9.2 Le Comité prend note des affirmations de X concernant les antécédents de violence de son époux, à commencer par le viol dont elle a été victime en juillet 1987, avant leur mariage, des actes de violence physique perpétrés pendant leur mariage, notamment à compter de 1996, et des nombreux signalements qu’elle a faits à la police. Le Comité prend également note des informations détaillées fournies par l’auteure concernant le tempérament violent de son époux envers les enfants et notamment envers son fils T. et sa fille Y. Le Comité note en particulier les détails fournis à propos des sévices physiques et sexuels subis par Y et pour lesquels elle a porté plainte au Bureau du Procureur du district le 16 juin 2004. Le Comité observe par ailleurs que ladite plainte était étayée par les déclarations de T., le fils de X, et de sa mère qui a été la première à remarquer le comportement inapproprié de l’époux envers Y. X a déclaré que l’État partie n’avait pas mené d’enquête effective sur ses plaintes faisant état de violence conjugale à son encontre et de sévices physiques et sexuels à l’encontre de sa fille, et n’avait pas poursuivi son époux en violation de leurs droits en vertu des articles 1, 2, alinéas b) à f), et 5, alinéa a), de la Convention. Le Comité doit donc déterminer en premier lieu si l’État partie, par le biais de ses autorités et de ses institutions publiques, a traité les plaintes de X de manière adéquate et leur a assuré, à elle et à Y, une protection juridictionnelle effective.

9.3Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 6 de sa recommandation générale no 19, la discrimination au sens de l’article 1 de la Convention inclut la violence fondée sur le sexe contre les femmes. Cette discrimination n’est pas limitée aux actes commis par les gouvernements ou en leur nom. Aux termes de l’article 2, alinéa e), les États parties peuvent également être responsables d’actes privés s’ils n’agissent pas avec la diligence voulue pour prévenir la violation de droits ou pour enquêter sur des actes de violence, les punir et les réparer (par. 9).

9.4 Le Comité prend note de l’argument avancé par X, selon lequel à l’époque des faits à la base de la plainte, l’État partie n’avait pas de disposition juridique pour lutter efficacement contre la violence familiale, et la loi sur la prévention de la violence familiale, qui intégrait pour la première fois une définition de la violence familiale, n’a été adoptée dans l’État partie que le 25 mai 2006. Il prend également note des détails fournis concernant la manière dont les plaintes pour violence familiale ont été traitées par l’inspecteur de police du lieu ou secteur où les faits se sont produits, sur la seule base de dispositions administratives, à savoir que l’inspecteur se chargeait simplement d’obtenir de l’auteur des faits qu’il s’engage par écrit à ne plus commettre d’actes de même nature à l’avenir, ces engagements n’ayant aucune valeur légale, on ne pouvait contraindre les personnes qui les avaient pris à les tenir. Si une victime insistait pour déposer une plainte officielle, le Bureau du Procureur intervenait comme médiateur entre les époux au lieu d’enquêter sur les faits et de poursuivre leur auteur.

9.5 Le Comité a attentivement examiné la manière dont les autorités de l’État partie ont traité les plaintes de X et observe que, le 28 décembre 2001, le Bureau du procureur du district d’Isani-Samgori a refusé d’ouvrir une enquête sur un autre incident, survenu le 23 décembre 2001, au cours duquel X a été blessée au visage et à la tête, parce qu’elle avait retiré sa plainte. La police a répondu aux plaintes de X faisant état d’agressions physiques commises par son époux le 16  juin et les 3 et 15 juillet 2004 en exigeant simplement de l’époux qu’il s’engage par écrit à ne plus user de violence à l’égard de sa famille. Le 24 juillet 2004, le Bureau du Procureur a informé X que son mari ne serait pas poursuivi. De même, en réponse aux plaintes déposées par X au Bureau du Procureur faisant état de sévices physiques et sexuels infligés à Y par son père, étayés par les déclarations de T., le fils de X, qui a décrit les scènes au cours desquelles son père les avait frappés, lui et sa sœur, ou s’en était pris à eux, et par celles de la mère de X, le Bureau du procureur a décidé, le 30 juin 2004, de ne pas engager de poursuites. Le Comité note également que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations. Au contraire, l’État partie a admis, dans son dossier soumis le 5 septembre 2011, qu’au moment des faits incriminés, le droit national était en cours d’harmonisation avec les exigences de la Convention. L’État partie a également reconnu qu’il est possible que certains défauts d’enquête aient à l’époque conduit à une violation des droits des auteures.

9.6Le Comité note que X a, à plusieurs reprises, dénoncé à diverses autorités les actes de violence que son époux a commis sur elle et ses enfants. Chaque fois qu’elle a dénoncé ces actes à la police, des agents de police ont obtenu que son époux s’engage par écrit à ne plus user de violence envers elle et ses enfants, et ce, même lorsqu’un certificat médical a attesté, en une occasion au moins, les blessures corporelles superficielles dont elle avait été victime sous les coups de son époux. Le Comité note qu’en dépit de ses engagements écrits répétés, l’époux a continué d’user de violence contre les auteures et les autres enfants, les autorités ne prenant pas de mesures appropriées pour l’en empêcher. La plainte initiale de X n’a pas été suivie d’effets une fois retirée et le ministère public a décidé de ne pas poursuivre l’enquête malgré la gravité des accusations. Les signalements suivants de X ont tous été classés sans suite et le ministère public a décidé que les actes de l’époux ne constituaient pas un délit, tandis que les tribunaux ont simplement déclaré que les accusations étaient sans fondement.26 Ces déclarations n’ont été ni niées, ni réfutées par l’État partie, qui a simplement constaté que l’avocat de X était incapable de contester les éléments recueillis par les enquêteurs au cours de nombreux devoirs d’enquête, imposant ainsi des exigences très élevées concernant la charge de la preuve dans une affaire de violence familiale.

9.7Le Comité considère que considérés en intégralité, les faits non réfutés susmentionnés démontrent que les autorités de l’État partie ont manqué à leur devoir d’adopter des mesures législatives et autres, dont des sanctions, interdisant toute discrimination à l’égard des femmes; d’instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et de garantir, par le truchement des tribunaux nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire; de s’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et de faire en sorte que les autorités et les institutions publiques se conforment à cette obligation; de prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes par une personne, une organisation ou une entreprise quelconque; et de prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes. Il considère également que les faits susmentionnés démontrent que l’État partie a manqué à son devoir de prendre toutes les mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes.

10.S’autorisant du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif et tenant compte de toutes les considérations exposées ci-dessus, le Comité est d’avis que l’État partie n’a pas rempli ses obligations et qu’il a ainsi violé les droits dont jouissent les auteures en vertu de l’article 2, alinéas b) à f), rapproché de l’article 1, et de l’article 5, alinéa a), de la Convention ainsi que de la recommandation générale no 19 du Comité.

11.Le Comité adresse les recommandations suivantes à l’État partie :

a)En ce qui concerne les auteures de la communication : accorder aux auteures une indemnisation adéquate et proportionnelle à la gravité des violations de leurs droits;

b)De manière générale :

i)Veiller à ce que les victimes de violence familiale et leurs enfants reçoivent rapidement un soutien adéquat, y compris un refuge et une aide psychologique;

ii) Intensifier les campagnes de sensibilisation et introduire une politique de tolérance zéro à l’égard de la violence envers les femmes, plus précisément à l’égard de la violence familiale;

iii) Ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique;

iv)Dispenser aux magistrats, avocats et membres des forces de l’ordre une formation obligatoire sur l’application de la loi sur la prévention de la violence familiale, y compris sur la définition de cette violence et les stéréotypes sexistes, ainsi qu’une formation adéquate portant sur la Convention, le Protocole facultatif à la Convention et les recommandations générales du Comité, en particulier la recommandation générale no 19.

12.Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention, l’État partie examinera dûment les constatations du Comité, ainsi que ses recommandations, et soumettra au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant notamment de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie est prié de rendre publiques les constatations et recommandations du Comité et de les faire traduire en langue géorgienne et diffuser à grande échelle afin qu’elles touchent tous les secteurs de la société.