Trente-neuvième session

23 juillet-10 août 2007

* Nouveau tirage pour raisons techniques.

Constatations

Communication no6/2005

Présentée par :Le Centre d’intervention contre la violence familiale de Vienne et l’Association pour l’accès des femmes à la justice, au nom de Banu Akbak, Gülen Khan et Melissa Özdemir (descendants de la défunte)

Victime présumée :Fatma Yildirim (la défunte)

État partie :Autriche

Date de la communication :21 juillet 2004, complétée par des renseignements datés des 22 novembre et 10 décembre 2004 (présentation initiale)

Le 6 août 2007, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a adopté le texte ci-joint en tant que constatations présentées en application du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif au sujet de la communication no6/2005. Le texte des constatations figure en annexe au présent document.

Annexe

Constatations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes présentées en application du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Trente-neuvième session)

Communication no6/2005 *

Présentée par :Le Centre d’intervention contre la violence familiale de Vienne et l’Association pour l’accès des femmes à la justice, au nom de Banu Akbak, Gülen Khan et Melissa Özdemir (descendants de la défunte)

Victime présumée :Fatma Yildirim (la défunte)

État partie :Autriche

Date de la communication : 21 juillet 2004, complétée par des renseignements datés des 22 novembre et 10 décembre 2004 (présentation initiale)

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes, créé en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 6 août 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no6/2005 présentée au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes par le Centre d’intervention contre la violence familiale de Vienne et l’Association pour l’accès des femmes à la justice, au nom de Banu Akbak, Gülen Khan et Melissa Özdemir, descendants de Fatma Yildirim (la défunte), conformément au Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte le texte ci-après :

* Les membres du Comité ci-après ont participé à l ’ examen de la présente communication : M me Ferdous Ara Begum, M me Magalys Arocha Domínguez, M me Meriem Belmihoub-Zerdani, M me Saisuree Chutikul, M me Mary Shanthi Dairiam, M.  Cees Flinterman, M me Naela Mohamed Gabr, M me Françoise Gaspard, M me Violeta Neubauer, M me Pramila Patten, M me Silvia Pimentel, M me Fumiko Saiga, M me Heisoo Shin, M me Glenda P. Simms, M me Dubravka Simonovic, M me Anamah Tan, M me Maria Regina Tavares da Silva et M me Zou Xiaoqiao.

Constatations présentées en application du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif

Les auteurs de la communication datée du 21 juillet 2004 et complétée par des renseignements datés des 22 novembre et 10 décembre 2004 sont le Centre d’intervention contre la violence familiale de Vienne et l’Association pour l’accès des femmes à la justice, deux organisations sises à Vienne (Autriche) qui protègent et aident les femmes victimes d’actes de violence sexiste. Ils affirment que feu Fatma Yildirim, ressortissante autrichienne d’origine turque qui avait bénéficié de l’assistance du Centre d’intervention contre la violence familiale de Vienne, est victime d’une violation par l’État partie des articles 1er, 2, 3 et 5 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La Convention et son protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie respectivement le 30 avril 1982 et le 22 décembre 2000.

Rappel des faits tels qu’ils sont présentés par les auteurs

Fatma Yildirim a épousé Irfan Yildirim le 24 juillet 2001. Elle avait alors trois enfants nés d’un premier mariage, dont deux sont adultes. Melissa, la cadette, est née le 30 juillet 1998.

Irfan Yildirim aurait proféré des menaces de mort contre son épouse pour la première fois en juillet 2003, lors d’une dispute qui avait éclaté pendant que le couple séjournait en Turquie. À leur retour en Autriche, ils ne cessaient de se quereller. Fatma Yildirim souhaitait divorcer mais son mari s’y opposait et menaçait de les tuer, elle et ses enfants, si elle mettait son projet à exécution.

Le 4 août 2003, se sentant en danger de mort, Fatma Yildirim et sa fille de 5 ans, Melissa, ont emménagé chez l’aînée des filles, Gülen, au 18/29-30 Haymerlegasse. Le 6 août 2003, pensant que son mari était au travail, Fatma Yildirim est retournée au domicile conjugal pour récupérer quelques effets personnels. Irfan Yildirim est entré dans l’appartement pendant qu’elle s’y trouvait et lui a saisi les poignets, l’empêchant de se dégager. Ayant quand même réussi à s’échapper, Fatma a été appelée sur son téléphone portable par son mari, qui l’a à nouveau menacée de mort. Elle s’est alors rendue au commissariat de la police fédérale de l’arrondissement d’Ottakring, à Vienne, où elle a porté plainte contre Irfan Yildirim pour agression et menaces graves passibles de sanctions pénales.

Le 6 août 2003, la police a pris un arrêté « d’expulsion-éloignement » du domicile conjugal visant Irfan Yildirim, conformément à l’article 38 a) de la loi autrichienne sur la sécurité de la police (Sicherheitspolizeigesetz). Elle en a ensuite informé le Centre d’intervention contre la violence familiale de Vienne et le Service de la protection des jeunes de cet arrêté et des motifs pour lesquels il avait été pris. Elle a également informé le parquet de Vienne qu’Irfan Yildirim avait menacé de mort son épouse et demandé qu’il soit placé en détention, ce que le Procureur a refusé.

Le 8 août 2003, avec l’aide du Centre d’intervention contre la violence familiale, Fatma Yildirim a demandé en son nom et au nom de sa fille cadette au tribunal d’arrondissement de Hernals (Vienne) de rendre une ordonnance interdisant à Irfan Yildirim de les approcher. Le tribunal a informé le commissariat de l’arrondissement d’Ottakring de la demande formulée par Fatma Yildirim.

Ce même jour, Irfan Yildirim s’est rendu sur le lieu de travail de son épouse pour la harceler. La police est intervenue pour mettre fin à la querelle, mais n’a pas signalé l’incident au Procureur. Un peu plus tard, Irfan Yildirim a menacé le fils de son épouse, âgé de 26 ans, qui en a informé la police.

Le 9 août, Irfan Yildirim a menacé de mort son épouse sur son lieu de travail. Fatma a alors appelé la police sur son téléphone portable. Lorsque celle-ci est arrivée sur les lieux, Irfan Yildirim ne s’y trouvait plus; il a néanmoins été sommé d’y revenir et les policiers se sont entretenus avec lui. Son épouse a déposé une nouvelle plainte contre lui au commissariat de police après qu’il les eut menacés elle et son fils, plus tard dans la nuit. Suite à quoi, les policiers ont téléphoné à Irfan Yildirim, qu’ils avaient appelé sur son téléphone portable.

Le 11 août 2003, à 19 heures, Irfan Yildirim a fait irruption sur le lieu de travail de son épouse. Il lui a dit qu’il n’avait plus rien à perdre, qu’il la tuerait et que son assassinat ferait la une de tous les journaux. Il s’est enfui lorsque Fatma Yildirim a appelé la police, laquelle a transmis la plainte à la brigade d’inspecteurs no17.

Le 12 août 2003, un employé (dont le nom a été communiqué) du Centre d’intervention contre la violence familiale de Vienne a envoyé au commissariat d’arrondissement d’Ottakring une télécopie dans laquelle il indiquait que des menaces de mort avaient été proférées les 9 et 11 août 2003 contre Fatma Yildirim, que celle-ci avait été harcelée sur son lieu de travail et qu’elle avait sollicité que des mesures provisoires d’interdiction soient ordonnées à l’encontre de son mari. Le nouveau numéro de téléphone portable de Fatma Yildirim a été communiqué à la police pour que celle-ci puisse la joindre à tout moment. Il a également été demandé à la police de prendre l’affaire plus au sérieux.

Le 14 août 2003, Fatma Yildirim a fait une déclaration officielle à la police concernant les menaces de mort dont elle avait fait l’objet. La police a transmis la déclaration au parquet de Vienne et a demandé qu’Irfan Yildirim soit mis en détention. Une fois de plus, cette demande a été rejetée.

Le 26 août 2003, Fatma Yildirim a déposé une demande de divorce auprès du tribunal d’arrondissement de Hernals.

Le 1er septembre 2003, le tribunal a pris des mesures provisoires à l’encontre d’Irfan Yildirim, en vertu de l’article 382 b) de la loi sur l’application des décisions de justice (Exekutionsordnung). Ces mesures décidées en faveur de Fatma Yildirim et de Melissa restaient en vigueur jusqu’à la fin de la procédure de divorce pour l’épouse et pendant trois mois pour Melissa. Il était interdit à Irfan Yildirim de se rendre au domicile conjugal ou dans les environs, de se rendre sur le lieu de travail de son épouse et de rencontrer celle-ci ou Melissa ou d’entrer en contact avec elles.

Le 11 septembre 2003, vers 22 h 50, Irfan Yildirim a suivi son épouse sur le trajet qui la menait de son lieu de travail à son appartement et l’a mortellement poignardée dans la Roggendorfgasse, rue proche du domicile conjugal.

Irfan Yildirim a été arrêté à la frontière bulgare le 19 septembre 2003. Il a été reconnu coupable du meurtre de Fatma Yildirim et exécute actuellement une peine de réclusion à perpétuité.

Teneur de la plainte

Les auteurs affirment que Fatma Yildirim est victime d’une violation par l’État partie des articles 1er, 2, 3 et 5 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, l’État partie n’ayant pas pris toutes les mesures qui s’imposaient pour protéger son droit à la vie et à la sécurité. Ils soutiennent notamment que les informations communiquées par la police au Procureur n’ont pas permis à celui-ci d’évaluer à sa juste mesure le danger que représentait Irfan Yildirim et qu’à deux reprises, le Procureur aurait dû demander au juge d’instruction d’ordonner le placement en détention conformément à l’article 180, paragraphe 2, alinéa 3 du Code pénal (Strafprozessordrung).

Les auteurs font valoir que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre des recommandations générales nos 12, 19 et 21 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, de la Déclaration sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, des observations finales formulées en juin 2000 par le Comité à propos du rapport unique (valant troisième et quatrième rapports périodiques) et du cinquième rapport périodique soumis par l’Autriche, de la résolution de l’Assemblée générale intitulée « Mesures en matière de prévention du crime et de justice pénale pour éliminer la violence contre les femmes », de plusieurs dispositions du texte issu de la vingt-troisième session extraordinaire de l’Assemblée générale, de l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, des articles 6 et 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de plusieurs dispositions d’autres instruments internationaux et de la Constitution autrichienne.

Au sujet de l’article premier de la Convention, les auteurs soutiennent que, dans la pratique, le système de justice pénale est principalement et anormalement défavorable aux femmes. Ils font valoir notamment que celles-ci ont bien plus de difficultés que les hommes à convaincre le procureur de demander le placement en détention des personnes soupçonnées d’infractions. Les femmes victimes d’actes de violence familiale se heurtent également à un plus grand laxisme de la justice lorsqu’il s’agit de poursuivre et de condamner les auteurs de ces actes. En outre, elles pâtissent davantage du manque de coordination entre les services de maintien de l’ordre et le personnel judiciaire, du fait que les uns et les autres ne sont pas suffisamment sensibilisés à la violence familiale, et de l’absence de données et de statistiques concernant ce problème.

Faisant état de l’article premier et des articles 2 a), c), d), f) et 3 de la Convention, les auteurs affirment que le fait de ne pas mettre en détention les auteurs d’actes de violence familiale, l’insuffisance des poursuites, le manque de coordination entre les services de maintien de l’ordre et le personnel judiciaire et l’absence de données et de statistiques concernant les effets de la violence familiale se sont traduits par un traitement inégal de fait et ont empêché Fatma Yildirim d’exercer ses droits fondamentaux.

En ce qui concerne les articles 1er et 2 e) de la Convention, les auteurs déclarent que le ministère public n’a pas fait preuve de la diligence requise pour enquêter sur les actes de violence dont Fatma Yildirim a été victime, engager les poursuites nécessaires et protéger le droit de la défunte à la vie et à la sécurité.

Quant aux articles 1er et 5 de la Convention, les auteurs affirment que le meurtre de Fatma Yildirim illustre de façon tragique à quel point la population et les autorités autrichiennes sous-estiment la gravité de la violence à l’égard des femmes. Aux yeux des juges et du ministère public, il s’agit d’un problème social ou familial ou d’une infraction mineure propres à certaines classes sociales. Le droit pénal n’est pas appliqué à cette forme de violence car le danger qu’elle représente n’est pas pris au sérieux.

Les auteurs demandent au Comité d’évaluer dans quelle mesure les droits fondamentaux de la victime et les droits que lui reconnaît la Convention ont été violés et quelle est la responsabilité de l’État partie à raison du non-placement en détention d’un suspect dangereux. Ils demandent également au Comité de recommander à l’État partie d’offrir une protection efficace aux femmes victimes d’actes de violence, notamment les migrantes, en donnant des instructions claires au ministère public et au juge d’instruction sur la marche à suivre lorsque des femmes sont victimes d’actes de violence grave.

Les auteurs demandent au Comité de recommander à l’État partie d’appliquer une politique mettant l’accent sur l’arrestation et la détention, de façon à protéger véritablement les femmes victimes d’actes de violence familiale, et sur les poursuites, pour bien montrer aux délinquants et à l’opinion que la société condamne la violence familiale, et de veiller à assurer la coordination entre les diverses autorités chargées du respect de la loi. En outre, ils demandent au Comité de faire systématiquement usage du pouvoir prévu à l’article 5, alinéa 1 du Protocole facultatif, concernant les mesures conservatoires, comme il l’a fait dans l’affaire A. T. c. Hongrie (communication no2/2003).

Les auteurs demandent au Comité de recommander à l’État partie de veiller à ce qu’à tous les niveaux de la justice pénale (police, parquet, juges) il y ait une coopération régulière avec les organisations qui s’efforcent de protéger et d’aider les femmes victimes d’actes de violence sexiste et que les programmes de formation et de sensibilisation à la violence familiale soient rendus obligatoires.

En ce qui concerne la recevabilité de la communication, les auteurs affirment qu’aucun autre recours interne n’aurait pu garantir la sécurité de Fatma Yildirim et empêcher qu’elle soit tuée : les mesures provisoires visant, d’une part, à expulser Irfan Yildirim du domicile conjugal et à lui interdire d’y retourner et, d’autre part, à lui interdire d’entrer en contact avec Fatma Yildirim et sa fille cadette se sont révélées sans effet.

Dans les conclusions datées du 10 décembre 2004, il est indiqué que la fille cadette de Fatma Yildirim, représentée par son père biologique, a engagé une action civile en vertu de la loi sur la responsabilité de l’État. Cette loi autorise les enfants à intenter un procès à l’État pour l’obliger à les dédommager à raison des troubles psychologiques qu’ils ont subis, des frais de psychothérapie engagés pour se faire à l’idée du décès de leur mère et des frais funéraires et à verser une pension alimentaire pour l’entretien du plus jeune des enfants. Cela étant, les auteurs font valoir qu’une telle réparation ne change rien au fait que Fatma Yildirim a été insuffisamment protégée et qu’on n’a pas empêché qu’elle soit assassinée. Un procès pour omission et négligence ne ramènera pas la défunte à la vie; il ne pourra servir qu’à obtenir réparation de la perte et des dommages subis. Les deux démarches, fondées l’une sur le dédommagement et l’autre sur la protection, sont antagoniques, qu’il s’agisse du bénéficiaire (les héritiers ou la victime), de l’intention (réparer une perte ou sauver une vie) ou du moment (après ou avant le décès). Si l’État partie protégeait réellement les femmes, il ne serait pas requis d’établir sa responsabilité. De plus, les procès en dommages-intérêts coûtent très cher. C’est la raison pour laquelle les auteurs déclarent avoir présenté la communication pour conduire l’État partie à s’expliquer sur les omissions et la négligence qu’ils lui reprochent et non pour que les héritiers de la défunte soient dédommagés. Enfin, conformément à l’article 4 du Protocole facultatif, il est improbable que le requérant obtienne réparation en intentant un procès à l’État partie.

Les auteurs déclarent qu’ils n’ont présenté la communication à aucun autre organe de l’ONU ou à aucun mécanisme régional de règlement international ou d’enquête.

Sur le point de savoir s’ils ont qualité pour agir, les auteurs estiment qu’il se justifie et qu’il est judicieux de présenter la plainte au nom de Fatma Yildirim, qui ne peut donner son accord étant donné qu’elle est décédée. Ils s’estiment fondés à la représenter devant le Comité compte tenu qu’ils lui fournissaient une assistance et entretenaient des contacts avec elle et que leur objet, en tant qu’organisations, est de protéger et d’aider les femmes victimes d’actes de violence familiale. D’ailleurs, l’une des deux organisations requérantes est un centre d’intervention contre la violence familiale qui aurait été créé en vertu de l’article 25, paragraphe 3 de la loi sur la sûreté nationale. Les auteurs veulent obtenir gain de cause pour Fatma Yildirim et renforcer la protection dont bénéficient les Autrichiennes en matière de violence familiale afin que la défunte ne soit pas morte en vain. Les auteurs ont obtenu le consentement écrit des enfants adultes et du père de l’enfant mineur.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

Dans ses conclusions datées du 4 mai 2005, l’État partie confirme les faits décrits dans la communication et ajoute qu’Irfan Yildirim a été condamné à la réclusion à perpétuité par un jugement définitif du tribunal pénal régional de Vienne (Landesgericht für Strafsachen) du 14 septembre 2004, pour meurtre et menaces graves.

Melissa Özdemir, fille mineure de la défunte, a déposé une plainte en bonne et due forme et invoqué la responsabilité de l’Autriche. Le tribunal a cependant rejeté cette plainte, estimant que les mesures prises par le parquet de Vienne étaient justifiées. Le procureur devait examiner ex ante s’il fallait demander le placement en détention et, outre les autres conditions requises, il devait trouver le moyen de concilier le droit fondamental à la vie et à l’intégrité physique de la défunte et le droit fondamental à la liberté du suspect, qui avait à l’époque un casier judiciaire vierge et, selon les policiers présents sur les lieux, ne paraissait pas excessivement agressif. Le fait que cette évaluation de la situation se soit révélée par la suite insuffisante, malgré une analyse détaillée des circonstances pertinentes, ne rend pas la décision du procureur injustifiable. Melissa Özdemir peut encore faire valoir ses prétentions au civil.

L’État partie fait valoir que la loi fédérale sur la protection contre la violence familiale (Bundesgesetz zum Schutz vor Gewalt in der Familie) constitue un système éminemment efficace de lutte contre ce type de violence et établit un cadre efficace de coopération entre différentes institutions. Les officiers de police sont habilités à ordonner à un contrevenant potentiel de quitter les lieux (Wegweisung). Une ordonnance interdisant l’entrée du domicile conjugal (Betretungsverbot) est rendue lorsqu’il n’y a pas de motif de détention en vertu du Code pénal et qu’il faut recourir à des moyens « moins lourds ». Selon la loi, les victimes de violence familiale peuvent trouver un soutien auprès de centres d’intervention. Les officiers de police sont tenus d’aviser un de ces centres lorsqu’une ordonnance d’interdiction est rendue. Le centre doit ensuite apporter soutien et conseil à la victime, mais il n’a pas le droit de la représenter. Ces ordonnances d’interdiction sont généralement valables 10 jours. Lorsque l’intéressé demande au tribunal de rendre une ordonnance décrétant des mesures provisoires, la durée de validité de l’ordonnance est portée à 20 jours. Outre les mesures d’ordre pénal, il existe un certain nombre de mesures de police ou de droit civil qui protègent contre la violence familiale. Ce système est complété par des lieux d’accueil. Il est possible de régler des différends moins graves dans le cadre de la loi sur le maintien de l’ordre (Sichersheitpolizeigesetz). L’article 382 b) de la loi sur l’exécution des décisions de justice (Executionsordnung) habilite les tribunaux à prononcer à l’encontre du contrevenant présumé des injonctions dont la durée de validité peut aller jusqu’à trois mois. Cette durée peut être prorogée dans certaines circonstances, à la demande de la victime présumée.

L’État partie fait valoir que des cours spéciaux de formation sur la violence familiale sont organisés régulièrement pour les juges et le personnel de police. La coopération entre les magistrats et la police est constamment réexaminée pour permettre aux organes de l’État d’intervenir plus rapidement, l’objectif étant d’empêcher autant que faire se peut des tragédies comme celle dont a été victime Fatma Yildirim sans pour autant s’ingérer dans la vie familiale et autres droits fondamentaux d’une personne. De telles tragédies ne sont pas le signe d’une discrimination à l’égard des femmes, au sens de la Convention.

Selon l’État partie, la détention constituant une lourde atteinte aux droits fondamentaux de la personne, elle ne peut être décidée que comme ultima ratio. L’analyse de proportionnalité est une tentative d’évaluation prospective de la dangerosité de la personne concernée et du risque de la voir commettre une infraction, ce risque devant être mis en balance avec les libertés et droits fondamentaux du suspect. Par ailleurs, Irfan Yildirim avait un casier judiciaire vierge, ne portait pas d’arme et est apparu aux officiers de police qui étaient intervenus comme étant calme et coopératif. Fatma Yildirim n’avait pas de blessures apparentes. Dans ces conditions, et considérant qu’un suspect doit être présumé innocent, le procureur a finalement décidé de ne pas requérir le placement en détention parce que, ex ante, une telle mesure aurait été disproportionnée.

L’État partie fait valoir qu’il aurait été loisible aux personnes qui interviennent au nom de la victime de saisir la Cour constitutionnelle, en arguant que Fatma Yildirim ne disposait d’aucun recours contre la décision du procureur de refuser à deux reprises de faire droit à la demande de délivrance d’un mandat d’arrêt. Ses ayants droit pourraient donc, en vertu du paragraphe premier de l’article 140 de la Constitution fédérale, contester devant la Cour constitutionnelle les dispositions pertinentes du Code pénal. Ils pourraient soutenir qu’ils sont actuellement et directement touchés et qu’ils ont un intérêt actuel et direct à l’effet préventif d’une annulation des dispositions pertinentes au bénéfice de victimes de violence familiale, telles que Fatma Yildirim. La Cour constitutionnelle aurait compétence pour examiner les dispositions légales pertinentes et les annuler si nécessaire.

Commentaires des auteurs concernant les observationsde l’État partie sur la recevabilité

Dans leurs conclusions datées du 31 juillet 2005, les auteurs soutiennent que la victime et eux-mêmes ont épuisé toutes les voies de recours internes qui auraient pu aboutir à une réparation satisfaisante. Selon eux, le fait que la fille de la défunte peut encore intenter une action au civil ne devrait pas les empêcher de présenter une communication au Comité et n’a aucun effet juridique sur la recevabilité de celle-ci.

Toujours à leurs yeux, l’idée que l’on peut exiger d’une femme faisant l’objet de menaces de mort qu’elle saisisse la Cour constitutionnelle ne peut être un argument avancé de bonne foi par l’État partie. Cette procédure s’étend en effet sur deux à trois ans et, de ce fait, il est peu probable qu’elle pourrait constituer une réparation satisfaisante pour une femme menacée de mort.

Les auteurs contestent la manière dont l’État partie interprète le fait que le procureur n’a pas requis le placement en détention d’Irfan Yildirim. Le procureur était au courant de tous les incidents violents. Il aurait réagi différemment si une personnalité connue avait reçu des menaces de mort; il est très probable que l’auteur présumé de ces menaces aurait été immédiatement arrêté et que la victime aurait bénéficié entre-temps d’une protection policière. Quant à l’affirmation de l’État partie selon laquelle, de l’avis des policiers qui étaient intervenus, Irfan Yildirim ne donnait pas l’impression d’être par trop agressif, les auteurs font valoir que son agressivité était dirigée contre Fatma Yildirim et non contre la police et que l’évaluation des risques qu’avaient faite les autorités était simpliste et peu professionnelle. Comme l’illustre cette affaire, même après que la victime eut signalé les incidents et menaces et déclaré autoriser des poursuites contre le contrevenant présumé, le procureur n’a rien fait pour la faire protéger efficacement contre de nouvelles violences. Il n’a eu aucun contact avec le contrevenant présumé et s’est fié aux déclarations d’un juriste des services de police qui n’avait pas une connaissance directe de l’affaire et n’avait eu aucun contact direct avec la défunte. Il n’y a pas eu d’évaluation approfondie de la dangerosité d’Irfan Yildirim et des faits importants ont été négligés ou tenus pour négligeables. Irfan Yildirim avait peut-être un casier judiciaire vierge, mais les rapports de police faisaient état des menaces de mort qu’il avait proférées. Il n’y a donc pas eu de protection contre un contrevenant présumé qui n’a jamais été condamné auparavant.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité

Dans des conclusions datées du 21 octobre 2005, l’État partie maintient intégralement ses observations précédentes.

Il fait observer que, selon les auteurs, on ne peut contester les décisions du procureur lorsque celui-ci refuse de placer en détention l’auteur présumé d’une infraction ou d’engager des poursuites contre lui. Les auteurs soutiennent que les mesures prévues par la loi fédérale sur la protection contre la violence familiale ne sont pas suffisamment efficaces pour assurer une véritable protection des femmes. Ils affirment également que le procureur ne peut requérir la mise en détention d’un suspect qu’à condition d’ouvrir une enquête et d’engager des poursuites. Ils font donc état de défaillances du procureur et du magistrat instructeur compétents et de carences de la loi elle-même, c’est-à-dire de l’application de la loi et du cadre légal.

Chacun peut contester la constitutionnalité d’une disposition légale à condition d’invoquer une violation directe de droits individuels résultant de l’application effective de la loi à cette personne – sans qu’un tribunal ait rendu une décision ou un jugement à cet effet (Individualantrag). Aucun délai n’est prévu pour le dépôt d’une telle requête.

Le but de cette procédure serait de remédier à la violation de la loi. La Cour constitutionnelle ne juge la requête légitime que si l’annulation de la disposition contestée modifie à ce point la situation juridique du requérant que les incidences juridiques négatives alléguées cessent d’exister. En outre, les intérêts juridiquement protégés du requérant doivent être effectivement lésés. Il doit en être ainsi au moment tant du dépôt de la requête qu’à celui où la Cour constitutionnelle statue sur celle-ci. Les requérants qui obtiennent gain de cause ont droit à une indemnisation.

L’article 15 de la loi portant création de la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshofgesetz) énonce les conditions de forme à remplir pour pouvoir saisir la Cour constitutionnelle. Il faut notamment que la requête soit formulée par écrit, qu’elle renvoie à une disposition précise de la Constitution, que le requérant expose les faits et que la requête formule une demande précise. En vertu du paragraphe 1 de l’article 62 de la loi, la requête doit préciser les dispositions à annuler. Par ailleurs, elle doit expliquer dans le détail en quoi les dispositions contestées sont illégales et dans quelle mesure la loi s’appliquerait dans le cas du requérant sans qu’une décision ou sentence judiciaire ait été prononcée. En vertu du paragraphe 2 de l’article 17 de la loi, ces requêtes doivent être déposées par un avocat habilité à cet effet.

Si la Cour constitutionnelle estime que les dispositions contestées sont contraires à la Constitution, elle rend un arrêt d’annulation. Le Chancelier fédéral est tenu de faire publier cette décision d’annulation au Bulletin officiel fédéral (Bundesgesetzblatt), et l’annulation prend effet le soir de la publication. La Cour constitutionnelle peut aussi fixer, pour le retrait de ces dispositions, un délai maximum de 18 mois, qui ne s’applique pas nécessairement au requérant lui-même. La Cour fixe un tel délai lorsqu’il faut donner au législateur la possibilité de mettre en place un nouveau régime conforme au cadre constitutionnel. Au vu de ses décisions antérieures, on peut considérer que la Cour constitutionnelle userait de cette possibilité si elle devait décider qu’une disposition doit être annulée.

L’État partie admet qu’un pourvoi devant la Cour constitutionnelle en application du paragraphe 1 de l’article 140 de la Constitution fédérale n’offre pas une voie de recours rapide. Cela étant, le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes exige que tous les recours internes aient été épuisés, à moins que la procédure n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen.

L’obligation d’avoir épuisé les recours internes correspond à un principe général du droit international et est un élément habituel des mécanismes internationaux relatifs aux droits de l’homme. Elle donne à l’État concerné la possibilité de réparer les violations des droits de l’homme tout d’abord sur le plan interne (subsidiarité de l’instrument international de protection juridique).

En l’espèce, la requête devrait préciser les éléments ou les mots de la disposition légale à annuler. Il semble que les termes visés soient « uniquement sur la requête du procureur », au paragraphe 1 de l’article 180 du Code de procédure pénale (Strafprozessordnung). Une requête déposée devant la Cour constitutionnelle devrait indiquer toutes les dispositions légales qui, selon les requérants, violent les droits qui leur sont garantis par la Constitution.

L’État partie soutient que les proches de Fatma Yildirim auraient dû user de la possibilité de déposer une requête individuelle devant la Cour constitutionnelle avant de s’adresser au Comité, comme l’exige le paragraphe premier de l’article 4 du Protocole facultatif. La procédure devant la Cour constitutionnelle n’est pas d’une longueur déraisonnable. Qui plus est, au vu de la jurisprudence de la Cour, on ne peut pas dire que les proches ne seraient pas habilités à former une requête individuelle, au motif que – autant qu’on puisse en juger – la Cour n’a jusqu’ici été saisie d’aucune affaire similaire.

Le paragraphe premier de l’article 4 du Protocole facultatif ne vise pas que les recours qui sont toujours assurés d’aboutir. Or, les auteurs n’ont pas soutenu que la procédure prévue au paragraphe premier de l’article 140 de la Constitution fédérale était totalement inadaptée en tant que voie de recours. Les auteurs veulent obtenir un recours efficace concernant la protection effective de la vie et de la sécurité personnelle des femmes. À cette fin, il aurait été possible d’engager une procédure en modification des dispositions légales qui posent problème en déposant une requête individuelle auprès de la Cour constitutionnelle.

6.12Certes, une fois décédée, Fatma Yildirim ne disposait d’aucun recours efficace en ce qui concerne la protection de sa vie et de sa sécurité personnelle, mais l’Autriche considère que cette question n’a pas à être examinée au stade de la recevabilité de la procédure visée par le Protocole facultatif. La question qui se pose est de savoir si les proches auraient eu à leur disposition un recours leur permettant de faire annuler des dispositions légales pour réaliser leurs objectifs.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

À sa trente-quatrième session (16 janvier-3 février 2006), le Comité a examiné si la communication était recevable conformément aux articles 64 et 66 de son règlement intérieur. Il a vérifié que l’affaire n’avait pas été déjà examinée, ou n’était pas encore en cours d’examen, devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

En ce qui concerne le paragraphe premier de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (la règle des recours internes), le Comité a noté que les auteurs devaient user des recours disponibles dans le système juridique interne qui leur permettraient d’obtenir réparation à raison des violations alléguées. La teneur des plaintes qui étaient ultérieurement portées devant le Comité devrait d’abord être portée à la connaissance d’une instance interne appropriée. Agir autrement serait perdre de vue la raison d’être même de cette disposition. La règle des recours internes avait été conçue pour donner aux États parties la possibilité de remédier à la violation de l’un quelconque des droits énoncés dans la Convention par le biais de leur système juridique avant que le Comité ne se penche sur les mêmes questions. Le Comité des droits de l’homme avait récemment rappelé la raison d’être de sa règle correspondante dans Panayote Celal, au nom de son fils, Angelo Celal c. Grèce (1235/2003, par. 6.3) dans les termes que voici :

« Le Comité rappelle que la disposition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif vise à offrir à l’État partie lui-même la possibilité de réparer la violation qui aurait été infligée… »

Le Comité a noté que, dans les communications dénonçant la violence familiale, les recours qui venaient à l’esprit en matière de recevabilité avaient trait à l’obligation de l’État partie concerné d’exercer la diligence voulue en matière de protection, d’enquêter sur l’infraction, de punir son auteur et d’indemniser la victime, comme prévu dans la recommandation générale 19 du Comité.

Le Comité a estimé que les allégations relatives à l’obligation de l’État partie d’exercer la diligence voulue pour protéger Fatma Yildirim étaient l’élément central de cette communication et revêtaient une grande importance pour les héritiers. En conséquence, la question de savoir si les recours internes avaient été épuisés conformément au paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif devait être examinée au regard de ces allégations. Celles-ci portaient essentiellement sur des lacunes de la loi ainsi que sur la faute ou la négligence dont se seraient rendu coupables les autorités dans l’application des mesures prévues par la loi. S’agissant des lacunes alléguées de la loi elle-même, les auteurs affirmaient que, conformément au Code pénal, Fatma Yildirim ne pouvait pas faire appel de la décision prise par le Procureur de ne pas placer son époux en détention alors que celui-ci avait proféré des menaces mettant sa vie en danger. L’État partie a fait valoir qu’une procédure ayant pour but de réparer la violation alléguée en droit, qui était énoncée au paragraphe premier de l’article 140 de la Constitution fédérale, était ouverte à la défunte et le restait à ses descendants. Il a affirmé que le fait que la défunte et ses descendants n’avaient pas fait usage de cette procédure aurait dû rendre la communication irrecevable.

Le Comité a relevé que la procédure prévue au paragraphe premier de l’article 140 de la Constitution fédérale ne saurait être considéré comme un recours utile pour une femme dont la vie était menacée. De même, il a estimé improbable que les descendants de la défunte obtiennent réparation par ce recours interne, compte tenu du caractère abstrait de cette voie constitutionnelle. En conséquence, il a estimé que, pour ce qui est de l’admissibilité des allégations des auteurs concernant le cadre juridique de protection des femmes en situation de violence familiale dans le cas de la défunte, il n’existait pas de recours susceptible d’offrir une réparation effective et que la communication à cet égard était donc recevable. En l’absence d’informations sur d’autres recours efficaces vers lesquels Fatma Yildirim et ses héritiers auraient pu se tourner ou auraient pu encore le faire, le Comité estime que les allégations des auteurs concernant les actions ou omissions d’agents de la puissance publique étaient admissibles.

Le Comité a noté que Melissa Özdemir, fille mineure de la défunte, avait engagé, mais en vain, une procédure invoquant la responsabilité de l’Autriche. Il a relevé que l’État partie faisait valoir qu’une action pouvait encore être intentée au civil. En l’absence de renseignements sur cette voie de recours ou tout autre recours utile disponible, dont Fatma Yildirim ou ses héritiers auraient pu ou pouvaient encore user, le Comité a conclu que les allégations des auteurs relatives aux actions ou omissions des agents de la puissance publique étaient admissibles.

Le 27 janvier 2006, le Comité a déclaré que la communication était recevable.

Demande présentée par l’État partie aux fins de réexamen de la décision de recevabilité et communication de l’État partie sur le fond

Dans une communication datée du 12 juin 2006, l’État partie demande au Comité de réexaminer sa décision concernant la recevabilité. L’État partie réaffirme que les descendants de Fatma Yildirim devraient invoquer la procédure visée au paragraphe 1 de l’article 140 de la Constitution fédérale, car cette procédure est le seul moyen prévu dans le système autrichien pour affirmer qu’une disposition législative doit être modifiée. La Cour constitutionnelle pourrait rendre une décision visant à inciter le législateur à adopter sans tarder une autre réglementation, qui soit conforme à la Constitution. De telles décisions sont toujours motivées et renvoient souvent aussi aux éléments qui devraient figurer dans une nouvelle réglementation. Par conséquent, l’État partie soutient qu’il s’agit bien d’un recours utile par rapport au but poursuivi par la communication sur le plan interne.

L’État partie fait référence au recours en responsabilité formulé par Melissa Özdemir, la fille mineure de Fatma Yildirim. Il indique qu’au moment où il a présenté ses premières observations, elle avait écrit aux autorités autrichiennes affirmant qu’elle était en droit d’obtenir réparation de la part du Gouvernement fédéral représenté par le Bureau du Procureur général.

L’État partie explique qu’en droit civil, le Gouvernement fédéral peut être tenu responsable des dommages causés à des biens ou personnes quand lesdits dommages sont le résultat d’un comportement illicite. Il précise en outre que les allégations de Melissa Özdemir n’avaient pas été retenues par le Gouvernement autrichien car, dans les circonstances de l’affaire, la procédure suivie par le parquet de Vienne avait été jugée acceptable. Melissa Özdemir a ultérieurement intenté une action en justice contre le Gouvernement autrichien. La décision rendue le 21 octobre 2005 par le tribunal de première instance de Vienne (Landesgericht für Zivilrechtssachen) l’a déboutée. La Cour d’appel de Vienne (Oberlandesgericht) a confirmé ladite décision le 31 mai 2006.

L’État partie revient sur la suite des événements qui ont conduit à l’assassinat de Fatma Yildirim. En juillet 2003, après avoir annoncé à son mari, Irfan Yildirim, qu’elle avait l’intention de divorcer, celui-ci l’avait menacée par téléphone, puis sur son lieu de travail; il l’avait notamment menacée de la tuer. En août 2003, Irfan Yildirim avait également menacé de tuer le fils de son épouse. Le 4 août 2003, Fatma a quitté le domicile conjugal; deux jours plus tard, elle a porté plainte au commissariat de police contre son mari pour menaces. De ce fait, la police a enjoint à Irfan Yildirim de quitter le domicile conjugal, avec interdiction d’y retourner et en a immédiatement informé le parquet. Celui-ci a décidé de le poursuivre en justice, mais n’a pas requis son placement en détention. Ultérieurement, à la demande de Fatma Yildirim, le tribunal d’arrondissement de Hernals a ordonné des mesures provisoires qui interdisaient au mari de retourner au domicile conjugal ou aux abords immédiats; de se rendre sur le lieu de travail de son épouse ou d’entrer en contact avec elle. Malgré les interventions de la police et les ordonnances rendues par le tribunal, Irfan Yildirim n’a eu de cesse d’entrer en contact avec Fatma Yildirim et de la menacer. Le parquet de Vienne a engagé des poursuites contre Irfan Yildirim pour menaces graves. L’État partie soutient qu’à ce moment-là, la délivrance d’un mandat d’arrêt semblait une mesure disproportionnée, Irfan Yildirim n’ayant pas de casier judiciaire et étant bien intégré dans la société. Irfan Yildirim a tué Fatma Yildirim le 11 septembre 2003 sur le trajet entre son lieu de travail et son domicile.

L’État partie rappelle qu’Irfan Yildirim a été condamné à la réclusion à perpétuité pour assassinat conformément à l’article 75 du Code pénal (Strafgesetzbuch); le jugement définitif a été rendu le 14 septembre 2004 par le tribunal pénal de Vienne. Irfan Yildirim exécute actuellement sa peine.

L’État partie note qu’il est difficile de déterminer à l’avance et de manière fiable si un auteur d’actes de violence peut être dangereux et si la détention constituerait une atteinte disproportionnée aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. La loi fédérale sur la protection contre la violence familiale vise à lutter de manière efficace, mais proportionnée, contre ce type de violence, à la fois par des mesures prévues par le droit pénal et le droit civil, des interventions policières et des mesures de soutien. Les juridictions pénales et les juridictions civiles, les services de maintien de l’ordre, les institutions de protection de la jeunesse et les institutions de protection des victimes, notamment les centres d’intervention pour la protection contre la violence familiale, doivent coopérer étroitement et être en mesure d’échanger rapidement des informations. En ce qui concerne Fatma Yildirim, il ressort clairement du dossier que le Centre d’intervention contre la violence familiale de Vienne a été informé par télécopie deux heures après l’entrée en vigueur des mesures d’expulsion et d’interdiction visant Irfan Yildirim.

L’État partie souligne que la police ne se contente pas de mettre fin à des querelles, mais qu’elle prend aussi des mesures d’expulsion et d’éloignement qui vont moins loin que le placement en détention. En vertu du paragraphe 7 de l’article 38 de la loi sur le maintien de l’ordre, la police a l’obligation de contrôler, au moins une fois pendant les trois premiers jours, l’application effective des mesures prises. En ce qui concerne Fatma Yildirim, ce contrôle a été effectué le soir même du premier jour. Conformément aux instructions de la Direction de la Police fédérale de Vienne, il est préférable que ce contrôle soit effectué en prenant contact directement avec la personne en danger, sans l’avertir au préalable, à un moment où il y aura probablement quelqu’un à la maison. Les inspecteurs généraux de la police de Vienne doivent conserver un fichier répertoriant les cas de violence pour avoir rapidement accès à des renseignements fiables.

L’État partie indique que ses lois, ainsi que le fichier électronique des poursuites judiciaires, font périodiquement l’objet d’une évaluation. Une sensibilisation accrue à la violence familiale a permis de procéder à une réforme du droit en profondeur et de mieux protéger les victimes de ce type de violence. L’Autriche a notamment supprimé l’obligation faite, en application du paragraphe 4 de l’article 107 du Code pénal, à tout membre menacé d’une famille d’autoriser l’engagement de poursuites contre une personne qui a proféré de graves menaces.

L’État partie soutient que la question de la violence familiale et les stratégies envisagées pour la combattre ont été régulièrement examinées lors de réunions entre les responsables des parquets et les représentants du Ministère fédéral de l’intérieur, notamment en relation avec l’affaire en question. Il maintient également que des efforts considérables sont déployés pour améliorer la coopération entre les parquets et les centres d’intervention contre la violence familiale. Il fait état des initiatives prises dans le domaine de la statistique par le Ministère fédéral de l’intérieur et les organes qui relèvent de lui.

L’État partie indique que la loi fédérale sur la protection contre la violence familiale et son décret d’application sont des éléments fondamentaux que les juges et les procureurs doivent connaître. Des séminaires et réunions portant sur la protection des victimes sont organisés. Chaque année, les futurs juges suivent des séances d’information sur les thèmes de la violence familiale, de la protection des victimes et du droit et la famille. Les programmes portent sur les rudiments de la violence à l’égard des femmes et des enfants (formes, traumatismes, conséquences post-traumatiques, dynamique de la relation violente, psychologie des auteurs d’actes de violence, facteurs permettant de déterminer si un auteur d’actes de violence peut être dangereux, organismes de soutien, lois et réglementations, registres électroniques, etc.). Une formation pluridisciplinaire et globale est également assurée.

L’État partie reconnaît que les victimes de la violence familiale doivent être informées des moyens légaux existants et des services de soutien psychologique mis à leur disposition. Il indique qu’une fois par semaine, les juges des tribunaux d’arrondissement fournissent, à titre gratuit, des renseignements à quiconque souhaite connaître les instruments de protection juridique existants. Il est également possible d’obtenir un soutien psychologique, notamment auprès du tribunal d’arrondissement de Hernals. L’État partie précise que l’on peut obtenir, auprès des tribunaux d’arrondissement, des renseignements utiles (affiches et dépliants en arabe, allemand, anglais, français, polonais, russe, serbo-croate, espagnol et hongrois). Un numéro de téléphone gratuit a été mis en place pour les victimes de violence. En cas d’appel, des conseils sont donnés 24 heures sur 24 par des juristes. L’État partie affirme que les femmes victimes de violence peuvent bénéficier, chez elles, de conseils, de soins et d’une aide dans leurs relations avec les autorités publiques. En cas de violence familiale, quand des mesures d’expulsion et d’éloignement ont été prises, les fonctionnaires de police doivent indiquer aux personnes en danger qu’elles ont la possibilité de solliciter des mesures provisoires au titre de l’article 382 a) de la loi relative à l’exécution des jugements. À Vienne, on donne à la personne concernée une notice d’information (en anglais, espagnol, français, serbe et turc).

L’État partie a expliqué succinctement la raison pour laquelle la loi fédérale pour la protection contre la violence familiale ainsi que la pratique applicable en matière de placement en détention, de poursuite et de répression en cas de violence familiale enfreindraient les articles 1er, 2, 3 et 5 de la Convention. Il considère, en effet, que, de toute évidence, son système juridique comporte des mesures exhaustives appropriées et efficaces de lutte contre la violence familiale.

L’État partie affirme que l’on ordonne le placement en détention quand il y a tout lieu de craindre qu’un suspect mette ses menaces à exécution. Il soutient qu’il est toujours possible de se tromper sur le danger que présente un auteur d’actes de violence. À l’entendre, même si on se trouve en l’espèce face à une affaire extrêmement tragique, il ne faut pas perdre de vue la nécessité de mettre en balance le droit à la liberté et à un procès équitable et le placement en détention. Et de faire état de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle la privation de liberté est, en tout état de cause, un dernier moyen (ultima ratio) et ne saurait être imposée que si elle n’est pas disproportionnée par rapport au but de la mesure. L’État partie fait encore valoir qu’à supposer même que toutes les sources de danger auraient été écartées, le placement en détention serait néanmoins décidé à titre préventif en cas de violence familiale, ce qui renverserait la charge de la preuve et serait en contradiction flagrante avec les principes de la présomption d’innocence et du droit à un procès équitable. Il serait inacceptable et contraire à la primauté du droit et aux droits fondamentaux de protéger les femmes en adoptant des mesures de discrimination positive comme en procédant automatiquement à l’arrestation et au placement en détention des hommes, dont on présagerait de la culpabilité et qu’on punirait dès qu’ils sont soupçonnés d’avoir commis des actes de violence familiale.

L’État partie affirme qu’au moment de l’inculpation de l’époux de Fatma Yildirim, le parquet et le magistrat instructeur se trouvaient dans une situation où les menaces qui avaient été signalées n’avaient pas été suivies d’agression physique. Sur la base des renseignements dont le magistrat instructeur disposait, des mesures provisoires d’interdiction étaient apparues suffisantes pour protéger Fatma Yildirim. Par ailleurs, l’État partie fait valoir qu’Irfan Yildirim était bien intégré dans la société et n’avait pas de casier judiciaire. Il affirme que si celui-ci avait été placé en détention, ses droits fondamentaux, tels la présomption d’innocence, le droit au respect de la vie privée et familiale, et le droit à la liberté personnelle, auraient été directement violés.

L’État partie soutient que l’auteur aurait pu, à tout moment, intenter une action en justice contre le parquet en vertu de l’article 37 de la loi relative au ministère public.

L’État partie affirme que son système de mesures globales visant à lutter contre la violence familiale ne constitue pas une discrimination à l’égard des femmes et que les affirmations en sens contraire sont infondées. Des décisions qui, rétrospectivement (quand on dispose de renseignements plus complets), semblent mauvaises, ne sont pas automatiquement discriminatoires. L’État partie soutient qu’il se conforme aux obligations que lui impose la Convention en matière de législation et d’exécution et qu’on ne voit pas en quoi il y a eu discrimination, au sens de la Convention, à l’égard de Fatma Yildirim.

C’est pourquoi, l’État partie demande au Comité de rejeter la présente communication comme étant irrecevable; à titre subsidiaire, il lui demande de la rejeter comme étant non fondée; à titre plus subsidiaire encore, il lui demande de juger que les droits constitutionnels de Fatma Yildirim n’ont pas été violés.

Observations des auteurs concernant la demande de réexamen de la décision sur la recevabilité et les conclusions au fond présentées par l’État partie

Dans leurs conclusions datées du 30 novembre 2006, les auteurs font valoir que ni la fille de la victime ni eux-mêmes n’entendaient demander à la Cour constitutionnelle de réviser des dispositions législatives, car une telle requête aurait été jugée irrecevable. Ils n’auraient pas eu qualité pour agir en ce sens devant la Cour constitutionnelle. Ils indiquent qu’ils visent essentiellement le fait que des dispositions législatives n’ont pas été appliquées et qu’ils ne demandent pas qu’elles soient modifiées ou abrogées. En outre, ils affirment que leurs propositions tendant à améliorer la législation et à la faire appliquer n’auraient jamais pu aboutir par le biais d’une plainte devant la Cour constitutionnelle. Par conséquent, une telle procédure ne devrait pas être considérée comme un recours interne aux fins du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

Les auteurs indiquent que l’État partie fait état de modifications de dispositions législatives dont l’entrée en vigueur est postérieure à l’assassinat de Fatma Yildirim.

Les auteurs font valoir que l’État partie n’a pas endossé la responsabilité des échecs des autorités et des fonctionnaires. Selon eux, l’État partie continue d’estimer que l’arrestation et le placement en détention d’Irfan Yildirim auraient constitué une atteinte disproportionnée à ses droits car il n’avait pas de casier judiciaire et était parfaitement intégré dans la société. Les auteurs affirment que l’État partie aurait dû faire une évaluation globale de la situation pour déterminer si Irfan Yildirim était véritablement dangereux et qu’il aurait dû tenir compte des nombreuses menaces qu’il avait proférées et des nombreuses agressions auxquelles il s’était livré. Quant à dire qu’Irfan Yildirim était bien intégré dans la société, les auteurs font observer qu’il n’était pas un ressortissant autrichien et que son permis de séjour lui aurait été retiré s’il avait cessé d’être le conjoint de Fatma. En outre, l’État partie aurait dû tenir compte des aspects sociaux et psychologiques de l’affaire.

Les auteurs réfutent l’argument de l’État partie selon lequel rien ne justifiait le placement en détention d’Irfan Yildirim. Ils soutiennent que le risque de le voir commettre la même infraction ou des infractions similaires aurait justifié son placement en détention. Selon eux, comme cette affaire l’illustre, tout endroit peut devenir le théâtre du crime quand on a affaire à un délinquant dangereux. Ils considèrent que les procédures de recours internes ne suffisaient donc pas à elles seules à empêcher des délinquants violents vraiment dangereux de commettre des infractions ou de récidiver.

Les auteurs appellent l’attention sur le fait qu’un porte-parole du Ministère de la justice avait déclaré, dans un entretien télévisé en juin 2005, que, « rétrospectivement », le parquet n’avait pas évalué à sa juste valeur la gravité de l’affaire en ne requérant pas le placement en détention d’Irfan Yildirim.

Les auteurs font ressortir les défaillances du système de protection, à savoir, d’une part, l’impossibilité pour les services du maintien de l’ordre et le parquet de communiquer entre eux rapidement et, d’autre part, l’impossibilité pour les fonctionnaires chargés de la gestion des services d’appels d’urgence de consulter les fichiers de la police concernant la violence familiale. Les auteurs mettent aussi en cause l’absence systématique de communication coordonnée ou structurée entre le parquet et le tribunal de la famille. Ils soutiennent par ailleurs que les ressources allouées par le Gouvernement ne suffisent pas à dispenser les nombreux soins dont toutes les victimes de violence familiale ont besoin.

Les auteurs font valoir qu’il serait déraisonnable d’attendre des victimes de violence qu’elles fournissent, dans une situation d’urgence, tous les renseignements susceptibles d’être utiles, vu leur état d’esprit. De plus, en l’espèce, l’allemand n’était pas la langue maternelle de Fatma Yildirim. Les auteurs affirment que les autorités devraient recueillir systématiquement des données sur les délinquants violents et dangereux, données qui pourraient être consultées n’importe où en cas d’urgence.

Observations complémentaires présentées par l ’ État partie

Dans une communication datée du 19 janvier 2007, l’État partie affirme que le tribunal civil de la région de Vienne a rejeté, le 21 octobre 2005, l’invocation par la fille mineure de Fatma Yildirim, Melissa Özdemir (représentée par son père Rasim Özdemir), de la responsabilité objective. Le tribunal n’a constaté aucune irrégularité de la part des organes compétents de l’État. La Cour d’appel de Vienne a confirmé cette décision le 30 mai 2006, et celle-ci est donc devenue définitive.

L’État partie affirme que Fatma Yildirim aurait été habilitée, en vertu de l’article 37 de la loi relative au ministère public (Staatsanwaltschaftsgesetz), à former un recours auprès des autorités du parquet de Vienne, du Procureur général ou du Ministère fédéral de la justice au cas où elle aurait jugé illicites les mesures officielles prises par le parquet chargé de l’affaire. Selon l’État partie, il n’y a pas de règle formelle, et les plaintes peuvent être déposées par lettre, par courriel, par télécopieur ou par téléphone.

L’État partie indique que des mesures provisoires peuvent être ordonnées pour protéger les victimes de violence familiales, à la demande des personnes qui vivent ou ont vécu avec un auteur d’actes de violence dans le cadre d’une relation familiale ou assimilée, en se fondant sur l’article 382 b) de la loi relative à l’exécution des décisions de justice, en cas d’agression physique ou de menaces d’agression physique ou quand un comportement, quel qu’il soit, met gravement en danger la santé mentale de la victime et que le requérant a besoin de toute urgence du domicile pour se loger. L’auteur d’actes de violence peut se voir enjoindre de quitter le domicile conjugal et ses abords immédiats, avec interdiction d’y revenir. Si de nouvelles rencontres deviennent inacceptables, il peut se voir interdire de fréquenter des endroits expressément définis et on peut lui enjoindre d’éviter toute rencontre et tout contact avec le requérant, pour autant que cela ne porte pas atteinte aux intérêts importants de l’auteur d’actes de violence. Lorsque des mesures provisoires ont été décidées, les autorités chargées de la sécurité publique peuvent décider qu’une ordonnance d’expulsion (Wegweisung) s’impose à titre de mesure préventive.

L’État partie affirme que des mesures provisoires peuvent être décidées pendant les procédures de divorce, d’annulation du mariage ou de contestation de la nullité du mariage, ou concernant la division des biens acquis pendant le mariage ou le droit d’occuper le domicile conjugal. Dans ces cas, les mesures provisoires ordonnées restent en vigueur pendant la durée de la procédure. Si aucune procédure de ce type n’est pendante, les mesures provisoires peuvent être ordonnées pour une durée maximale de trois mois. La durée de validité d’une ordonnance d’expulsion et d’éloignement est de 10 jours à compter de sa date de délivrance, mais elle est prorogée de 10 jours en cas de dépôt d’une demande d’ordonnance de mesures provisoires.

Examen de la recevabilité

11.1Conformément au paragraphe 2 de l’article 71 de son règlement intérieur, le Comité a réexaminé la communication à la lumière de tous les renseignements qui lui avaient été communiqués par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif.

11.2En ce qui concerne la demande de réexamen de la décision de recevabilité présentée par l’État partie, lequel fait valoir que les héritiers de Fatma Yildirim n’ont pas invoqué la procédure visée au paragraphe 1 de l’article 140 de la Constitution fédérale, le Comité fait observer que l’État partie n’a pas présenté de nouveaux arguments susceptibles de modifier son opinion, à savoir que, compte tenu du caractère abstrait de ce recours interne, il est improbable qu’il eut été un moyen d’obtenir réparation.

11.3Quant au fait que l’État partie se réfère au recours en responsabilité introduit par Melissa Özdemir, la fille mineure survivante de Fatma Yildirim, le Comité relève que tant la décision du tribunal de première instance datée du 21 octobre 2005 que la décision de la cour d’appel datée du 31 mars 2006 ont été rendues après que les auteurs lui eurent présenté la communication et que celle-ci eut été enregistrée. Il note que le Comité des droits de l’homme suit généralement la pratique des autres organes de décision internationaux en cherchant à déterminer si les recours internes sont épuisés au moment de l’examen de la communication, sauf dans des cas exceptionnels; cette pratique a pour but d’éviter qu’» une communication soit rejetée comme irrecevable alors que pendant le temps écoulé avant que le Comité examine la communication, les recours internes auront pu être épuisés; en pareil cas en effet, il suffirait à l’auteur de soumettre une nouvelle communication dénonçant la même violation ». À cet égard, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes appelle l’attention sur l’article 70 (communications irrecevables) de son règlement intérieur, en vertu duquel il peut réexaminer des décisions concluant à l’irrecevabilité quand les raisons de l’irrecevabilité cessent de s’appliquer. Par conséquent, le Comité ne reviendra pas sur sa décision concluant à l’irrecevabilité pour ce motif.

11.4Quand l’État partie soutient que Fatma Yildirim aurait pu porter plainte en vertu de l’article 37 de la loi relative au ministère public, le Comité considère qu’un tel recours – qui vise à déterminer la légalité des mesures officielles prises par le parquet chargé de l’enquête – ne saurait être considéré comme un recours utile pour une femme dont la vie est en danger et qu’il ne devrait donc pas constituer un obstacle à la recevabilité de la communication.

11.5Le Comité en vient à l’examen de la communication sur le fond.

Examen au fond

En ce qui concerne la violation reprochée de l’obligation qu’a l’État partie d’éliminer toutes les formes de violence contre les femmes, en l’espèce à l’égard de Fatma Yildirim, conformément aux alinéas a) et c) à f) de l’article 2 et à l’article 3 de la Convention, le Comité rappelle sa recommandation générale 19 relative à la violence contre les femmes. Cette recommandation générale porte sur le point de savoir si les parties peuvent être responsables des actes commis par d’autres acteurs que le Gouvernement. Elle précise que « … la discrimination au sens de la Convention n’est pas limitée aux actes commis par les gouvernements ou en leur nom…. » et que « en vertu du droit international en général et des pactes relatifs aux droits de l’homme, les États peuvent être également responsable d’actes privés s’ils n’agissent pas avec la vigilance voulue pour prévenir la violation de droits ou pour enquêter sur des actes de violence, les punir et les réparer ».

Le Comité note que l’État partie a mis en place un système de mesures globales types pour lutter contre la violence familiale (dispositions législatives, recours au civil et au pénal, sensibilisation, information et formation, foyers d’accueil, services de soutien psychologique pour les victimes de violence, et travail avec les délinquants). Toutefois, pour qu’une femme victime de violence familiale puisse bénéficier concrètement du principe de l’égalité entre les sexes et exercer ses libertés et droits fondamentaux, la volonté politique exprimée par l’Autriche dans le cadre du système visé plus haut doit être soutenue par les organismes gouvernementaux, lesquels doivent souscrire à l’obligation de diligence raisonnable incombant à l’État partie.

En l’espèce, le Comité note que la séquence des événements ayant conduit à l’assassinat à coups de poignard de Fatma Yildirim n’est pas contestée, en particulier qu’Irfan Yildirim n’a eu cesse d’entrer en contact avec elle et qu’il l’a menacée, en personne et au téléphone, de la tuer, en dépit des mesures provisoires prises lui interdisant de retourner au domicile conjugal et aux abords immédiats et de se rendre sur le lieu de travail de son épouse, ainsi que d’entrer en contact avec elle, et ce, malgré des interventions répétées de la police. Il relève encore que Fatma a déployé des efforts réels et résolus pour rompre le lien qui l’unissait à son conjoint et sauver sa vie. Elle a ainsi déménagé avec sa fille mineure de l’appartement où elle vivait, établi un contact suivi avec la police, demandé qu’une ordonnance d’interdiction soit rendue et autorisé l’engagement de poursuites contre Irfan Yildirim.

Le Comité considère que les faits sont révélateurs d’une situation lourde de dangers pour Fatma Yildirim et que les autorités autrichiennes connaissaient ou auraient dû connaître. Aussi, le Procureur n’aurait-il pas dû rejeter les requêtes présentées par la police aux fins d’arrestation et de mise en détention d’Irfan Yildirim. Le Comité note, à cet égard, qu’Irfan Yildirim avait beaucoup à perdre d’un divorce (son permis de séjour en Autriche dépendait en effet de sa situation maritale) et que ce fait était un élément donnant à penser qu’il pouvait devenir dangereux.

Le Comité considère que le non-placement d’Irfan Yildirim en détention constitue un manquement à l’obligation de diligence raisonnable qu’avait l’État partie de protéger Fatma Yildirim. Même si, aux dires de l’État partie, la délivrance d’un mandat d’arrêt apparaissait à l’époque comme une mesure disproportionnée, le Comité estime, comme il l’a dit au sujet d’une autre communication sur la violence familiale, que les droits de l’auteur d’actes de violence ne peuvent pas l’empoter sur le droit fondamental des femmes à la vie et à l’intégrité physique et mentale.

Le Comité note qu’Irfan Yildirim a été poursuivi avec toute la rigueur de la loi pour avoir tué Fatma Yildirim, mais il conclut aussi que l’État partie ne s’est pas acquitté des obligations qui lui incombaient en vertu des alinéas a) et c) à f) de l’article 2 et de l’article 3 de la Convention interprétés à la lumière de l’article premier de la Convention et de la recommandation générale 19 du Comité, et qu’il n’a pas respecté les droits corrélatifs de feu Fatma Yildirim à la vie et à l’intégrité physique et mentale.

Le Comité relève que les auteurs ont également affirmé que l’État partie avait enfreint les dispositions des articles premier et 5 de la Convention. Il a indiqué dans sa recommandation générale 19 que la définition de la discrimination au sens de l’article premier de la Convention englobait la violence sexiste. Il a pris acte aussi du lien existant entre la violence familiale et des comportements stéréotypés consistant à considérer la femme comme subordonnée à l’homme. Cela étant, il estime que les constatations des auteurs présentées dans la communication et par l’État partie ne nécessitent pas de nouvelles conclusions.

Agissant en vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de feu Fatma Yildirim à la vie et à l’intégrité physique et mentale au titre des alinéas a) et c) à f) de l’article 2 et de l’article 3 de la Convention, interprétés à la lumière de l’article premier de la Convention et de la recommandation générale 19 du Comité, et il formule les recommandations ci-après à l’intention de l’État partie :

a)Il faudrait renforcer l’application et s’assurer du respect de la loi fédérale pour la protection contre la violence familiale et des dispositions pertinentes du droit pénal en faisant preuve de la diligence raisonnable pour prévenir cette forme de violence contre les femmes et dûment sanctionner les contrevenants;

b)Il faudrait poursuivre rapidement et de manière rigoureuse les auteurs d’actes de violence familiale pour leur faire comprendre ainsi qu’à l’opinion publique que la société condamne la violence familiale, et veiller à ce que les procédures de recours prévues par le droit civil et le droit pénal soient appliquées lorsque l’auteur d’actes de violence familiale profère des menaces graves à l’encontre de la victime; et veiller aussi à ce que toutes les mesures visant à protéger les femmes contre la violence prennent dûment en considération la sécurité des femmes en préconisant que les droits des auteurs des violences ne peuvent primer sur les droits fondamentaux des femmes à la vie et à l’intégrité physique et mentale;

c)Il faudrait assurer une meilleure coordination entre les fonctionnaires chargés du respect de la loi et les autorités judiciaires, et faire en sorte qu’à tous les échelons de l’appareil de justice criminelle (police, parquet, juges) il y ait une coopération systématique avec les organisations non gouvernementales qui œuvrent à protéger et à aider les femmes victimes de violence sexiste;

d)Il faudrait renforcer les programmes de formation et d’information en matière de violence familiale à l’intention des juges, des avocats et des fonctionnaires chargés de l’application des lois, notamment en ce qui concerne la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la recommandation générale 19 du Comité et le Protocole facultatif à la Convention.

Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, l’État partie examine dûment les constatations et les recommandations du Comité, auxquels il soumet, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie est en outre prié de rendre publiques les constatations et recommandations du Comité et de les traduire en allemand, et de les diffuser largement afin d’atteindre tous les secteurs de la société concernés.