Quarante-quatrième session

20 juillet-7 août 2009

Décision du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes déclarant une communication irrecevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes prise à sa quarante‑quatrième session

Communication no 12/2007* †

* Ont participé à l’examen de cette communication les membres du Comité ci ‑après : Ferdous Ara Begum, Magalys Arocha Dominguez, Violet Awori, Barbara Bailey, Meriem Belmihoub ‑Zerdani, Niklas Bruun, Saisuree Chutikul, Cees Flinterman, Naela Mohamed Gabr, M me  Ruth Halperin ‑Kaddari, M me  Yoko Hayashi, M me  Soledad Murillo de la Vega, Violeta Neubauer, Pramila Patten, Silvia Pimentel, Victoria Popescu, Zohra Rasekh, Dubravka Ŝimonović et Xiaoqiao Zou. En application de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 60 du Règlement intérieur du Comité, Nicole Ameline n’a pas pris part à l’examen de cette communication car elle est une ressortissante de l’Etat partie intéressé.

† Le texte de l’opinion individuelle (dissidente), signé par Dubravka Ŝimonović, Saisuree Chutikul, Ruth Halperin ‑Kaddari, Yoko Hayashi, Violeta Neubauer, Silvia Pimentel et Victoria Popescu, est joint au présent document.

Présentée par :Groupe d’intérêt pour le matronyme

Au nom de :G.F. et S.F.

État partie :France

Date de la communication :26 mai 2006 (communication initiale)

Références :Transmises à l’État partie le 24 avril 2007 (non publiées sous forme de document)

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, établi en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 4 août 2009

Adopte ce qui suit :

Décision relative à la recevabilité

Les auteurs de la communication datée du 26 mai 2006 sont G.D. et S.F., deux ressortissantes françaises qui affirment être victimes d’une violation par la France du paragraphe 1 g) de l’article 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci‑après dénommée « la Convention »). Elles sont représentées par le Groupe d’intérêt pour le matronyme, organisation ayant son siège à Saint‑Gely‑Du‑Fesc en France. La Convention et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 13 janvier 1984 et le 9 septembre 2000, respectivement. Lors de la ratification de la Convention, la France a émis une réserve à propos du paragraphe 1 g) de l’article 16.

Les faits tels que présentés par les auteurs

2.1G.D. est âgée de 28 ans, célibataire, sans enfant et enseignante. À sa naissance, le nom de famille de son père, G., lui a été automatiquement assigné conformément à la règle coutumière en vigueur à l’époque, selon laquelle un enfant né de parents mariés portait le nom de famille du mari de sa mère. Les parents de l’auteur se sont séparés en 1984 en raison de prétendues violences conjugales graves et ont divorcé en 1986. Le divorce a été prononcé aux torts du seul père. L’auteur a été élevée par sa mère et par la famille de sa mère et a été abandonnée par son père et la famille de celui‑ci. Elle fait valoir que, depuis sa plus tendre enfance, elle utilise le nom de famille de sa mère et est connue sous le nom de G.D.. Toutefois, elle figure dans les registres d’état civil sous le nom de famille de son père. Or, estimant qu’un nom de famille constitue l’identité d’une personne et marque son lien avec une famille donnée, elle a voulu changer son nom de famille officiel, puisque c’est à sa mère qu’elle doit son identité psychologique, familiale, sociale et administrative. À cette fin, elle a entamé de multiples et longues procédures.

2.2En 1986, l’auteur a eu recours à la procédure prévue à l’article 43 de la loi no 85‑1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des conjoints, qui autorise tout adulte à ajouter à son nom de famille le nom de famille du parent qui ne lui a pas été transmis à la naissance, et à se servir de ce nom double comme « nom d’usage » sur les documents d’identité officiels. Depuis cette date, l’auteur utilise son nom d’usage, tel qu’il figure sur son passeport, à savoir les noms de ses deux parents reliés par un trait d’union (D.-G.).

2.3Le 5 janvier 1999, l’auteur a adressé une requête au Garde des Sceaux (Ministre de la justice) pour obtenir le changement de son nom de famille de G. en D. À l’appui de sa demande, elle invoquait le principe général de l’égalité entre les sexes, ainsi que le fait qu’elle se faisait appeler G.D. depuis l’âge de 7 ans.

2.4Le 14 avril 1999, le Garde des Sceaux a rejeté sa demande au motif qu’elle n’utilisait pas le nom de famille de sa mère depuis assez longtemps et que les raisons personnelles qu’elle invoquait ne justifiaient pas qu’il soit dérogé à la loi établissant le nom de famille du père comme nom de famille. Le Garde des Sceaux invoquait également l’article 43 de la loi no 85-1372 du 23 décembre 1985, en vertu duquel l’auteur était autorisée à utiliser son nom d’usage.

2.5Le 10 juin 1999, l’auteur a fait appel de la décision du Garde des Sceaux devant le Tribunal administratif de Paris.

2.6Dans une communication écrite adressée au Tribunal administratif de Paris et datée du 29 novembre 2000, le Garde des Sceaux a affirmé que la demande de l’auteur avait été rejetée parce qu’elle n’utilisait pas le nom de famille D. depuis assez longtemps et que la jurisprudence exigeait en effet que le nom de famille ait été utilisé de manière constante et ininterrompue depuis plus de 90 ans et par trois générations au moins. Le Garde des Sceaux estimait que ces conditions n’étaient pas remplies.

2.7Le 29 mars 2002, le Tribunal administratif de Paris a rejeté l’appel au motif que la plaignante n’utilisait le nom de famille D. que depuis une époque trop récente, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), ni de l’article 14 (interdiction de discrimination) de la Convention européenne sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales et que le Garde des Sceaux n’avait manifestement pas commis d’erreur dans la façon dont il avait traité les considérations personnelles avancées par l’auteur.

2.8Le 31 décembre 2004, l’auteur s’adressait de nouveau au Garde des Sceaux pour lui demander l’autorisation de changer son nom de famille de G, en D.-G..

2.9Le 20 mai 2005, le Garde des Sceaux a rejeté la deuxième requête de l’auteur pour les mêmes raisons que celles données dans sa décision du 14 avril 1999. L’auteur n’a eu connaissance de cette décision que le 3 octobre 2005.

2.10Le 2 novembre 2005, l’auteur a fait appel de la décision du Garde des Sceaux en se prévalant de la procédure dite du recours gracieux, soutenant qu’elle avait un intérêt légitime à faire une demande de changement de nom. Son appel a été rejeté le 28 novembre 2005 au motif que le souhait de l’auteur de porter le nom de famille de sa mère ne constituait pas, en soi, un intérêt légitime au sens de l’article 61‑1 du Code civil et que l’utilisation par l’auteur du nom de famille de sa mère remontait à une date trop récente.

2.11Le 14 juillet 2006, l’auteur a soumis une troisième requête au Garde des Sceaux pour obtenir une modification de son nom de famille. Sa demande a été rejetée à nouveau le 20 mars 2008. L’auteur a été informée de cette décision le 30 avril 2008. Le 30 juin 2008, elle a formé un recours auprès du Tribunal administratif de Paris.

2.12Le deuxième auteur, S.F., est une femme de 39 ans, célibataire, sans enfant. À sa naissance, le nom de famille de son père, à savoir « C.», lui a été automatiquement assigné conformément à la règle coutumière en vigueur à l’époque, selon laquelle un enfant né de parents mariés portait automatiquement le nom de famille du mari de sa mère. Ses parents, qui vivaient séparés depuis 1972, ont divorcé en 1977. Il y avait eu des scènes de violence entre les époux et le père a été condamné pour abandon de famille en 1978. L’auteur affirme qu’elle n’a eu qu’une seule famille au fil des années, à savoir la famille de sa mère, et que ses seuls liens familiaux réels sont avec la famille de sa mère.

2.13En 1988, l’auteur a eu recours à la procédure prévue à l’article 43 de la loi no 85‑1372 du 23 décembre 1985, qui autorise tout adulte à ajouter à son nom de famille le nom de famille du parent qui ne lui a pas été transmis à sa naissance et à se servir de ce nom double comme nom d’usage sur ses papiers d’identité officiels. Depuis lors, l’auteur utilise son nom d’usage tel qu’il figure sur sa carte nationale d’identité, à savoir les noms de ses deux parents reliés par un trait d’union (F.‑C.).

2.14Le 29 septembre 1993, conformément à l’article 61‑1 du Code civil, qui autorise une personne justifiant d’un intérêt légitime à demander de changer de nom de famille, l’auteur a adressé une première demande au Garde des Sceaux pour obtenir de porter le nom de famille « F.», invoquant l’égalité des sexes.

2.15Le 15 décembre 1995, le Garde des Sceaux a rejeté sa requête au motif que les raisons invoquées ne justifiaient pas de déroger à la loi établissant le nom de famille du père comme nom de famille de l’enfant. L’auteur a eu connaissance de cette décision le 12 février 1996.

2.16Le 28 mars 1996, l’auteur a interjeté appel auprès du Garde des Sceaux en se prévalant de la procédure du recours gracieux, afin de prouver la légitimité de sa demande de changement de nom. Son recours gracieux a toutefois été rejeté. Le 14 octobre 1996, l’auteur a de nouveau fait appel (recours gracieux) auprès du Garde des Sceaux, alléguant une erreur dans l’interprétation de l’intérêt légitime. Le 27 novembre 1996, le Garde des Sceaux a rejeté sa requête au motif que les raisons invoquées par l’auteur pour changer de nom, qui étaient de nature affective, ne constituaient pas un intérêt légitime au sens de l’article 61‑1 du Code civil. Il était noté en outre que, bien que l’auteur revendique une utilisation prolongée du nom de famille qu’elle souhaitait se voir attribuer, elle ne pouvait prouver son utilisation constante et ininterrompue, pendant plus de 90 ans et par au moins trois générations. Ces conditions, selon le Garde des Sceaux, n’étaient tout simplement pas remplies.

2.17Le 23 octobre 2000, l’auteur, représentée par un avocat, a soumis une deuxième demande au Garde des Sceaux pour obtenir une modification de son nom de famille, invoquant les mêmes motifs qu’auparavant. Cette requête a été rejetée le 23 avril 2001 pour les mêmes raisons que précédemment. L’auteur a reçu notification de cette décision le 21 janvier 2002, la notification initiale ayant été mal adressée (elle avait été envoyée sous son nom d’état civil au lieu de son nom d’usage).

2.18Suite au refus prétendu de deux avocats de la représenter pour interjeter appel de la décision auprès du Tribunal administratif de Paris, le 30 juillet 2004, l’auteur, assistée d’un autre avocat, a introduit une troisième demande en vue d’obtenir la modification de son nom de famille, alléguant son intérêt légitime et le fait qu’elle utilisait déjà le nom de famille de sa mère. Dans cette demande, on apprenait, pour la première fois, qu’après la séparation de ses parents, l’auteur avait subi du fait de son père des violences psychologiques et physiques à caractère sexuel.

2.19Le 30 décembre 2004, sa requête a été rejetée par le Garde des Sceaux, au motif que l’auteur n’avait pas étayé son argument selon lequel son père aurait eu un comportement violent à son égard après le divorce de ses parents et que de ce fait elle n’avait toujours pas établi qu’elle avait un intérêt légitime à changer de nom pour cette raison. L’auteur a reçu notification du rejet le 1er mars 2005, encore une fois parce que la notification avait été mal adressée.

2.20Le 24 mars 2005, l’auteur a fait appel de cette décision auprès du Tribunal administratif de Paris alléguant l’excès de pouvoir. Le Garde des Sceaux n’a pas répondu dans le délai de trois mois à compter de la date de notification le 6 avril 2005. Le 1er mars 2006, le Tribunal administratif de Paris a adressé un rappel au Garde des Sceaux pour qu’il soumette ses observations et le 22 mars 2006 il lui a enjoint de présenter sa défense dans le délai d’un mois. En juillet 2008, l’auteur a été notifiée qu’une audience du Garde des Sceaux se tiendrait en septembre 2008 devant le Tribunal administratif de Paris, plus de trois ans après qu’elle eut fait appel.

2.21S.F. affirme que toute la correspondance émanant du Garde des Sceaux lui a été adressée sous son nom d’état civil délibérément, au mépris de la loi qui veut qu’en pareille occurrence le nom d’usage soit utilisé. L’auteur allègue que ce comportement équivaut à un harcèlement sexuel et moral et contrevient à plusieurs directives du Parlement européen et du Conseil de l’Europe.

Teneur de la plainte

3.1G.D. et S.F. affirment être victimes de violations des droits reconnus par la Convention, parce que l’État partie n’a pas pris les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux et pour assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, les mêmes droits personnels au mari et à la femme, y compris en ce qui concerne le choix du nom de famille et sa transmission aux enfants. Elles émettent l’opinion que la législation française demeure discriminatoire à l’égard des femmes, malgré l’adoption de la loi du 4 mars 2002 sur les noms de famille, modifiée par la loi du 18 juin 2003 qui a pris effet le 1er janvier 2005, et dont l’objet est d’établir l’égalité entre les hommes et les femmes dans la transmission du nom de famille aux enfants. Elles affirment que cette nouvelle législation demeure discriminatoire à l’égard des femmes dans la mesure où elle accorde au père un droit de veto en l’autorisant à s’opposer à la transmission du nom de famille de la mère. Elles affirment également que, bien que la France ait ratifié la Convention en 1983, il demeure impossible pour toute personne née avant le 1er janvier 2005 d’utiliser le nom de famille de sa mère comme nom officiel. Selon elles, la législation française régissant les noms de famille contrevient au principe de l’égalité entre les parents et constitue une violation du paragraphe 1 g) de l’article 16 de la Convention.

3.2Bien que les auteurs se soient prévalues des dispositions de l’article 43 de la loi no 85‑1372 du 23 décembre 1985 sur l’égalité des conjoints dans le mariage pour associer par un trait d’union le nom de famille de leur mère à celui de leur père, leur nom d’usage ne figure que sur leur carte nationale d’identité, mais pas sur leur certificat de nationalité française, ni sur leur acte de naissance. Par conséquent, le prétendu nom d’usage est d’un usage limité et ne reflète pas l’état civil de la personne. Qui plus est, la législation n’autorise pas la transmission du nom d’usage aux enfants.

3.3Les auteurs affirment en outre qu’en dépit des procédures longues et coûteuses qu’elles ont entamées au titre de l’article 61‑1 du Code civil, qui stipule que toute personne justifiant d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom de famille, elles n’ont pas été en mesure d’obtenir satisfaction. Ce refus leur a nui sur les plans personnel, administratif, civique, civil, social, professionnel et juridique et constitue une violation de leurs droits fondamentaux. S.F. soutient en particulier que le fait de n’avoir pu changer de nom de famille expliquerait sa réticence à se marier et à avoir des enfants.

3.4Les auteurs allèguent également des violations d’autres instruments internationaux, tels que les recommandations 1271 (1995) et 1362 (1998) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe concernant la discrimination entre les hommes et les femmes pour le choix du nom de famille et la transmission du nom des parents aux enfants; la résolution 78 (37) du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur l’égalité des époux en droit civil; la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 5, 8 et 14); et la Déclaration française des droits de l’homme de 1789.

3.5En ce qui concerne la recevabilité de la communication, les auteurs affirment que l’affaire n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international.

3.6En ce qui concerne la réserve formulée par l’État partie concernant le droit de choisir un nom de famille, énoncé au paragraphe 1 g) de l’article 16 de la Convention, les auteurs soutiennent que la position du Comité apparaît clairement dans ses observations finales les plus récentes concernant la France, résumées comme suit : « Tout en se félicitant de la volonté déclarée de l’État partie de lever ses réserves à l’alinéa b) de l’article 5 et à l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, le Comité est préoccupé par le fait qu’il n’ait pas manifesté son intention de lever celles formulées aux alinéas c) et h) du paragraphe 2 de l’article 14, et à l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention » (A/58/38, deuxième partie, chap. IV, par. 251). Les auteurs font également référence à la déclaration suivante du Comité concernant les réserves : « Des pratiques traditionnelles, religieuses ou culturelles, ou des lois et politiques nationales incompatibles ne sauraient justifier des violations de la Convention. Le Comité demeure également convaincu que les réserves à l’article 16, qu’elles soient formulées pour des motifs nationaux, coutumiers, religieux ou culturels, sont incompatibles avec la Convention et donc illicites, et qu’elles devraient être réexaminées, puis modifiées ou retirées » (A/53/38/Rev.1, deuxième partie, chap. I, par. 17).

3.7Concernant l’épuisement des recours internes, les auteurs affirment que la procédure prévue à l’article 61‑1 du Code civil pour modifier le nom de famille est le seul recours disponible, mais qu’elle a peu de chance d’être efficace. Les auteurs fondent leur raisonnement sur les décisions du Garde des Sceaux concernant leur cas et d’autres cas analogues, qui montrent qu’en pratique, un changement de nom en vertu du Code civil n’est accordé que si le nom de famille du père est jugé « déshonorant » – parce qu’il a une consonance étrangère, qu’il est ridicule ou qu’il est associé à une condamnation criminelle – ou si le nom de famille de la mère est utilisé de manière continue depuis au moins 90 ans et par plus de trois générations. Les auteurs affirment que la notion d’intérêt légitime est interprétée de manière sexiste et arbitraire, mettant en avant des statistiques sur les demandes de changement de nom de famille en France, qui montrent que 15 % des requêtes sont formulées pour des motifs personnels ou affectifs et que dans 80 % des cas ces demandes sont rejetées.

3.8Les auteurs affirment en outre qu’il faut au moins 10 ans, en moyenne, pour obtenir un changement de nom de famille en vertu du Code civil et que l’épuisement des recours internes excède de ce fait des délais raisonnables. Enfin, le coût d’une telle procédure serait prohibitif.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1Dans sa communication du 22 juin 2007, l’État partie a contesté l’admissibilité de la communication, au motif principal qu’elle est incompatible avec le paragraphe 1 g) de l’article 16 de la Convention, compte tenu des réserves émises par la France au sujet de cet article. L’État partie fait valoir en outre que les auteurs ne sont pas des victimes au sens de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.2L’État partie demande qu’il soit tenu compte de la réserve qu’il a émise, lors de la ratification de la Convention, au sujet du paragraphe 1 g) de l’article 16 concernant le choix du nom de famille. Il estime que, bien que l’article 17 du Protocole facultatif exclue de faire des réserves au sujet du Protocole, son article 2 doit être lu à la lumière de la Convention telle que ratifiée par l’État partie, c’est‑à‑dire avec ses réserves et déclarations. L’État partie en conclut que la communication doit être déclarée irrecevable au motif qu’elle est incompatible avec les dispositions de la Convention.

4.3Deuxièmement, l’État partie fait observer que l’article 2 du Protocole facultatif dispose que des communications peuvent être présentées par des particuliers relevant de la juridiction d’un État partie, « qui affirment être victimes d’une violation par cet État partie d’un des droits énoncés dans la Convention ». Il se réfère à la recommandation générale no 21 dans laquelle le Comité a clarifié le sens de « mêmes droits personnels au mari et à la femme, y compris en ce qui concerne le choix du nom de famille » figurant au paragraphe 1 g) de l’article 16 et affirme que l’objet essentiel du paragraphe 1 g) de l’article 16 est de permettre à une femme mariée ou à une femme vivant dans le cadre de relations mari‑femme, de garder son nom de jeune fille qui, de l’avis du Comité, fait partie de l’identité. Il soutient que, puisque l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention garantit aux femmes mariées et aux femmes vivant dans le cadre de relations mari‑femme, le droit de garder leur nom de jeune fille et de le transmettre à leurs enfants, G.D. et S.F., qui ne sont pas mariées, ne vivent pas dans le cadre de relations mari‑femme et n’ont pas d’enfants, ne peuvent être victimes de la violation d’un droit dont bénéficient des femmes mariées ou des femmes mères.

4.4En ce qui concerne le souhait des auteurs de porter le patronyme de leur mère, l’État partie note en outre que les auteurs ne montrent pas en quoi elles ont été victimes d’une discrimination fondée sur le sexe du fait qu’elles portent le nom de famille de leur père. Il affirme en outre que, du point de vue des enfants, il n’y a pas de discrimination en ce sens que le nom de famille qui leur est donné ne dépend pas de leur sexe et que ni l’ancienne législation ni la nouvelle législation du 18 juin 2003 n’a changé ce fait. L’État partie déclare que les mères des auteurs auraient pu être considérées comme des victimes, au motif qu’elles ne pouvaient transmettre leur nom de famille à leurs enfants. L’État partie fait valoir qu’au cas où le Comité en déciderait autrement, il aurait à faire une évaluation in abstracto de la législation interne française, ce qui serait contraire à l’objet de l’article 2 du Protocole facultatif. Une telle évaluation a déjà été faite dans le cadre de la procédure pour la présentation des rapports, prévue par la Convention. L’État partie en conclut que la communication est irrecevable, au motif que les auteurs ne sont pas des victimes au sens de l’article 2 du Protocole facultatif.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans leur communication en date du 19 août 2007, les auteurs ont réitéré leurs arguments concernant le point de vue du Comité sur la réserve émise par la France au sujet du paragraphe 1 g) de l’article 16 et ajouté que l’État partie a été exhorté par le Comité à prendre, sans tarder, les mesures nécessaires pour lever toutes ses réserves à la Convention (voir A/58/38, deuxième partie, chap. IV, par. 252). Les auteurs notent que, contrairement à ce qu’avait demandé le Comité, l’État partie a maintenu ses réserves, comme en fait foi son rapport périodique (voir CEDAW/C/FRA/6). En conséquence, elles demandent au Comité de ne pas tenir compte de la réserve émise par l’État partie au sujet du paragraphe 1 g) de l’article 16.

5.2En ce qui concerne la portée du paragraphe 1 g) de l’article 16 de la Convention, les auteurs affirment que cet article devrait être interprété largement, de façon à ce qu’il vise également tous les membres d’une famille au lieu de viser le mari et la femme uniquement. Elles font valoir en outre que la transmission d’un nom de famille étant un droit personnel appartenant au mari et à la femme, ledit droit appartient également aux enfants qui reçoivent un nom de famille de leurs parents. Elles réaffirment que la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, modifiée par la loi du 18 juin 2003, ne garantit pas l’égalité entre parents pour ce qui est de la transmission de leurs noms de famille respectifs à leurs enfants, puisqu’en cas de désaccord, le père a le droit de s’opposer au désir de la mère.

5.3Quant à l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs ne sont pas des victimes au sens de l’article 2 du Protocole facultatif, au motif qu’elles ne sont pas mariées, ne vivent pas dans le cadre de relations entre mari‑femme et n’ont pas d’enfants, les auteurs font valoir que le paragraphe 1 g) de l’article 16 porte également sur la transmission des patronymes sans tenir compte de l’état matrimonial des enfants.

5.4S’agissant de l’allégation de l’État partie selon laquelle les auteurs n’ont pas montré en quoi elles sont l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe en portant le nom de famille de leur père, les auteurs réitèrent qu’elles ont dû porter le nom de leur père figurant dans leurs documents d’état civil du fait des règles coutumières discriminatoires et sexistes qui étaient en vigueur au moment de leur naissance.

5.5Les auteurs contestent l’argument de l’État partie selon lequel le régime français de transmission des noms de famille n’est pas discriminatoire du point de vue des enfants, étant donné que le nom de famille qu’ils ont reçu ne dépend pas de leur sexe et que ni l’ancienne législation ni la nouvelle législation du 18 juin 2003 n’ont modifié cet état de fait. Les auteurs affirment que c’est précisément en raison du caractère discriminatoire du régime français à leur égard qu’elles ont présenté une communication dans laquelle elles dénoncent une violation de l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention et que cette discrimination touche à la fois les filles et les garçons.

Communication supplémentaire de l’État partie sur la recevabilité et observations sur le fond

6.1Dans sa communication du 24 octobre 2007, l’État partie réitère, comme principal argument, que la communication devrait être déclarée irrecevable à la lumière de la réserve qu’il a émise au sujet du paragraphe 1 g) de l’article 16, lorsqu’il a ratifié la Convention. Qui plus est, l’État partie affirme que les auteurs n’ont pas la qualité de victimes parce qu’elles ne sont pas mariées; n’ont pas d’enfants; et n’ont pas apporté la preuve qu’elles étaient l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe, s’agissant du nom de famille qu’elles ont reçu à la naissance ou des procédures qu’elles ont entamées pour changer leur nom.

6.2L’État partie réitère la demande faite au Comité de tenir compte, lorsqu’il se prononcera sur la recevabilité de la communication, de la réserve qu’il a émise au moment où il a ratifié la Convention, au sujet du paragraphe 1 g) de l’article 16.

6.3L’État partie réaffirme que les auteurs ne peuvent prétendre qu’elles sont victimes d’une violation d’une législation discriminatoire régissant les noms de famille, s’agissant du paragraphe 1 g) de l’article 16, au motif qu’elles ne sont ni mariées ni mères. En conséquence, l’État partie fait valoir que cette partie de la plainte des auteurs est mal fondée. L’État partie réitère qu’au cas où le Comité déciderait de déclarer cette partie de la plainte recevable, il aurait à faire une évaluation in abstracto de la législation interne française. Une telle évaluation serait contraire à l’objet de l’article 2 du Protocole facultatif, outre qu’une évaluation de la législation française a déjà été faite dans le cadre de la procédure d’examen des rapports présentés par l’État partie (art. 18 de la Convention).

6.4L’État partie appelle également l’attention du Comité sur les progrès vers l’égalité entre hommes et femmes s’agissant de la loi régissant la transmission des noms de famille aux enfants. Il fait valoir qu’en vertu de la loi du 4 mars 2002 sur les noms de famille, modifiée par la loi du 18 juin 2003, les parents peuvent donc choisir ensemble le nom de famille de leur enfant. L’enfant peut porter le nom de famille de son père ou de sa mère ou les deux à la fois. L’État partie fait également observer que la transmission du nom de famille du père contre le gré de la mère est devenu l’exception et ne se produit que lorsque les filiations maternelle et paternelle sont établies simultanément et que les parents ne s’entendent pas sur le choix du nom de famille de l’enfant. L’État partie explique en outre que la raison de cette exception est l’intérêt primordial de l’enfant, c’est‑à‑dire qu’il ait un nom à la naissance, tel que garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention relative aux droits de l’enfant. À cet égard, l’État partie invoque également le paragraphe 1 d) de l’article 16 de la Convention qui dispose que l’intérêt des enfants est la considération primordiale. Cette disposition vise à empêcher une action en justice à propos de la transmission d’un nom de famille et évite qu’un enfant ne soit placé au centre d’un conflit opposant ses parents. En conséquence, il réitère que la loi du 4 mars 2002 sur les noms de famille, telle que modifiée par la loi du 18 juin 2003, est un pas en avant considérable vers l’égalité entre les hommes et les femmes au sein de la famille et constitue une réforme très importante. L’État partie demande en outre au Comité de tenir compte de la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme du 27 septembre 2001 dans l’affaire G. M. B. et K. M. c. la Suisse, dans laquelle la Cour a déclaré qu’» une large marge d’appréciation doit être laissée » à l’État défendeur, c’est‑à‑dire la Suisse, s’agissant des questions relatives à la transmission des noms de famille. En conséquence, l’État partie conclut que la loi du 4 mars 2002, telle que modifiée par la loi du 18 juin 2003, résulte du fait qu’il est nécessaire de concilier l’intérêt de l’enfant d’avoir et de garder son nom de famille, l’intérêt de la société d’assurer la stabilité sur le plan de l’état d’état civil et l’intérêt qu’il y a à réaliser l’égalité entre époux, s’agissant de la transmission des noms de famille.

6.5En ce qui concerne l’argument des auteurs selon lequel l’article 61‑1 du Code civil (la procédure de changement de nom de famille) est incompatible avec la Convention, l’État partie réitère l’argument selon lequel les auteurs n’ont étayé d’aucune preuve le fait qu’elles étaient l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe. Il réaffirme en outre que les demandes de changement de nom faites par les auteurs ont été rejetées au motif qu’elles n’ont pu prouver qu’elles justifiaient d’un intérêt légitime à changer leur nom de famille et non au motif qu’elles étaient l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe; le Garde des Sceaux traite les hommes et les femmes de façon égale dans de tels cas. L’État partie explique que la pratique du Garde des Sceaux montre que l’autorisation de porter le nom de famille de la mère a été accordée lorsque le requérant apportait la preuve que son père était coupable de violence ou d’abandon.

6.6L’État partie déclare également que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes et pourraient par conséquent justifier davantage l’intérêt qu’elles ont à changer leur nom de famille. Concernant S.F. en particulier, l’État partie fait valoir qu’elle aurait pu déposer un recours devant les tribunaux contre le rejet par le Garde des Sceaux de sa demande de changer son nom de famille au lieu de choisir de présenter en 2000 une nouvelle demande au Garde des Sceaux, laquelle a été également rejetée. L’État partie explique en outre que S.F. n’a pas fait appel de cette dernière décision et qu’au lieu de cela elle a présenté en 2004 une troisième demande dans le même sens, qui était en cours d’examen le 24 octobre 2007. Concernant G.D., l’État partie explique que, le Tribunal administratif de Paris l’ayant déboutée de son appel en 2002, au lieu de faire appel de cette décision auprès de la Cour d’appel du Tribunal administratif, elle a entrepris de faire en 2004 une nouvelle demande de modification de son nom en 2004, laquelle a été rejetée en 2005 par le Garde des Sceaux. Aucun recours contentieux n’a été exercé.

6.7L’État partie conclut que les auteurs, qui n’ont pas la qualité de victimes pour alléguer une violation de l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, n’ont pas non plus établi qu’elles avaient été l’objet de discrimination fondée sur le sexe ou qu’une telle discrimination avait eu lieu en ce qui concerne la procédure visant à changer leur nom de famille, et qu’en outre qu’elles n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles.

6.8L’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable ratione personae et ratione materiae ou, subsidiairement, au cas où il la jugerait recevable, de la déclarer mal fondée.

Informations supplémentaires fournies par les auteurs

Le 16 octobre 2008, les auteurs ont fourni des informations à jour au sujet des nouvelles démarches judiciaires qu’elles avaient effectuées. Le 19 juin 2008, G.D. a fait appel de la décision du 20 mars 2008 du Garde des Sceaux devant le Tribunal administratif de Paris. L’appel interjeté par S.F. a été rejeté par le Tribunal administratif de Paris le 26 septembre 2008.

Décision provisoire du Comité

À sa quarante‑deuxième session, le Comité a examiné l’affaire et estimé qu’elle semblait aussi soulever des questions au titre des articles 2, 5 et 16 1) de la Convention. Les parties ont été invitées à communiquer des commentaires au sujet des dispositions desdits articles.

Commentaires des auteurs en réponse à la décision intérimaire du Comité

Dans leur communication du 16 janvier 2009, les auteurs affirment que la décision provisoire du Comité n’a pas d’incidence sur leurs communications précédentes et maintiennent que l’État partie a contrevenu au paragraphe 1 g) de l’article 16 de la Convention. Selon les auteurs, l’État enfreint ses obligations aux termes des alinéas a) à g) de l’article 2 par le fait que la loi française régissant les noms de famille demeure discriminatoire à l’égard des femmes et qu’il est toujours impossible pour une personne âgée de plus de 18 ans, quel que soit son sexe, de changer le nom de patronyme qui lui a été attribué de manière autoritaire et arbitraire sur la base du principe patriarcal de la supériorité des hommes sur les femmes. Les auteurs font également valoir que cette loi discriminatoire, qui va à l’encontre du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes et de la liberté individuelle, empiète sur une règle coutumière qui interdit de changer de nom. En dernier lieu, les auteurs soutiennent que le fait de porter le nom de famille de la mère est refusé d’une façon radicale, manifeste et sexiste.

En ce qui concerne l’article 5, les auteurs affirment que la législation de l’État partie perpétue une situation d’infériorité des femmes par rapport aux hommes, accordant à ces derniers un droit de veto qui leur permet de s’opposer à la transmission du nom de famille de la mère aux enfants.

S’agissant du paragraphe 1 de l’article 16, les auteurs font valoir que l’État partie n’a pas pris toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans tous les domaines liés au mariage et aux relations familiales, en raison du fait que ni un homme ni une femme ne peut faire établir le nom de sa mère dans son état civil.

Réponse de l’État partie à la décision provisoire du Comité

Dans sa communication du 24 avril 2009, l’État partie fait part de ses observations au sujet de la décision provisoire du Comité, soulignant que sa principale objection à la recevabilité de la communication découle de la réserve qu’il a émise à l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16, lorsqu’il a ratifié la Convention, et que les autres motifs d’irrecevabilité selon lui sont que les auteurs n’ont pas la qualité de victimes, que les recours internes n’ont pas été épuisés et qu’elles n’ont été l’objet d’ aucune discrimination fondée sur le sexe.

Tout en notant que la décision provisoire du Comité donnera lieu à un examen de la communication au titre de dispositions n’ayant pas fait l’objet des réserves, l’État partie considère que cet examen créerait de graves difficultés juridiques. Il invoque à cet égard la doctrine de la lex specialis, qui s’applique dans l’interprétation des dispositions du droit interne et du droit international, et selon laquelle une loi régissant une question spécifique (lex specialis) ne peut pas être annulée par une loi régissant les questions d’ordre général (lex generalis). L’État partie se réfère à un rapport de la Commission du droit international (A/CN.4/L.682), selon lequel ce principe est une technique d’interprétation et de règlement des conflits généralement acceptée en droit international et applicable en cas de conflit entre les dispositions d’un même traité ou de deux ou plusieurs traités. Ainsi, le paragraphe 1 g) de l’article 16 est la seule disposition de la Convention en fonction de laquelle la législation nationale régissant les questions de transmission du nom de famille doive être évaluée. Il souligne aussi que le non‑respect de ce principe aurait des conséquences préjudiciables en ce qui concerne les réserves et les déclarations. Loin d’assurer une meilleure protection des droits, la « requalification » que le Comité envisage pourrait inciter les États à formuler des réserves aussi générales que possible, comme celle que l’État partie a émise au sujet du paragraphe 1 g) de l’article 16. L’État partie soutient que le fait d’envoyer ce signal aux États qui ne sont pas encore parties à la Convention pourrait être extrêmement préjudiciable à la Convention et aux droits qu’elle vise à protéger.

L’État partie soutient en outre que, si le Comité décide d’examiner la communication au titre du paragraphe 1 de l’article 16 et des articles 5 et 2 et non du paragraphe 1 g) de l’article 16, malgré l’incidence directe que cela peut avoir sur la recevabilité de la communication, dans la mesure où elle se rapporte à la réserve qu’il a émise au sujet du paragraphe 1 g) de l’article 16, cela ne changera nullement le fait que les auteurs n’ont toujours pas la qualité de victimes au titre de l’article 2 du Protocole facultatif, argument qu’il a déjà avancé dans ses communications précédentes. L’État partie affirme en outre que l’article 2 et le paragraphe 1) de l’article 16 ne peuvent pas être invoqués par les auteurs qui n’ont pas soutenu avoir fait l’objet de discrimination sexiste, dans le cadre de la transmission du nom de famille ou dans celui de la procédure engagée à ce sujet. L’État partie soutient enfin que la loi contestée par les auteurs ne relève pas de l’article 5, qui porte sur les traditions et les pratiques coutumières.

L’État partie réaffirme que les auteurs, qui n’ont pas la qualité de victimes, invitent en fait le Comité à déterminer in abstracto si la législation française est contraire aux dispositions du Protocole facultatif, et note qu’une telle évaluation a déjà été faite dans le cadre de la procédure pour la présentation des rapports, prévue par la Convention.

L’État partie réaffirme que c’est le principe de la stabilité de l’état civil et non pas la règle patriarcale de la primauté des hommes sur les femmes qui a limité l’effet rétroactif de la loi du 4 mars 2002. Il ajoute que la stabilité du nom de famille est une garantie fondamentale pour que ce nom ne devienne une question contentieuse en cas de conflit familial, envers les ascendants et les descendants. L’État partie conteste la véracité des dernières communications des auteurs, selon lesquelles il est formellement interdit de changer son nom de famille et réaffirme qu’en vertu de l’article 61 du Code civil, toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom.

En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie réaffirme qu’ils n’ont pas été épuisés par les auteurs. G.D. a engagé une procédure d’appel devant le Tribunal administratif de Paris et S.F. une procédure devant la Cour d’appel de Paris. L’État partie fait valoir en outre que les auteurs n’ont pas invoqué de violations des articles 2, 5 et 16 de la Convention au niveau national. Il ajoute que les recours internes sont efficaces, comme en témoignent les décisions auxquelles il se réfère et dans lesquelles les tribunaux administratifs et juridictionnels ont reconnu qu’une personne pouvait avoir un intérêt légitime à adopter le nom de famille de sa mère, au sens de l’article 61 du Code civil, y compris dans le cas où le père abandonne la famille. L’État partie soutient que les auteurs, contrairement aux plaignants dans l’affaire nationale mentionnée, n’ont pas fourni de preuve attestant qu’elles avaient effectivement été abandonnées ou qu’elles avaient subi des mauvais traitements. Enfin, l’État partie déclare que chacun des recours internes intentés par les auteurs a été jugé dans un délai raisonnable et que la longueur de la procédure au niveau national peut s’expliquer par le fait que les auteurs ont systématiquement engagé plusieurs fois la même procédure. L’État partie appelle l’attention du Comité sur une décision prise récemment par la Cour européenne des droits de l’homme qui a déclaré une communication irrecevable au motif que l’auteur n’avait pas, au sens de l’article 61 du Code civil, fait appel de la décision négative du Garde des Sceaux devant la juridiction administrative.

L’État partie demande donc au Comité de déclarer la communication irrecevable ou, subsidiairement, au cas où il la jugerait recevable, de la déclarer mal fondée.

Examen de la recevabilité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité décide si une communication est ou n’est pas recevable en vertu du Protocole facultatif.

Conformément à l’article 66 de son règlement intérieur, le Comité peut décider d’examiner séparément la question de la recevabilité d’une communication et la communication elle‑même quant au fond.

Le Comité a examiné en détail les arguments avancés par les auteurs à l’appui de leur affirmation selon laquelle elles seraient victimes d’une violation du paragraphe 1 g) de l’article 16 de la Convention, ainsi que les raisons pour lesquelles l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il a également examiné les observations supplémentaires qui ont été communiquées par les deux auteurs ainsi que par l’État partie au regard de la décision provisoire qu’il avait prise à sa quarante‑deuxième session.

Le Comité a examiné l’applicabilité des articles 2 et 5 et du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention à la présente communication. Toutefois, compte tenu de toutes les communications des auteurs et de l’État partie, ainsi que de la manière dont l’affaire a été plaidée sur la plan national, le Comité est d’avis que la présente communication devrait être examinée, principalement au titre de l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention.

S’agissant de la loi no 2002‑304 du 4 mars 2002, telle que modifiée en 2003, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2005 et qui visait à instaurer l’égalité entre les hommes et les femmes pour la transmission des noms de famille aux enfants, le Comité partage le point de vue des auteurs selon lequel cette loi demeure discriminatoire à l’égard des femmes, dans la mesure où elle accorde au père un droit de veto en l’autorisant à s’opposer à la transmission du nom de famille de la mère. Il note par ailleurs l’impact négatif du fait qu’il est impossible à toute personne née avant le 1er janvier 2005 d’utiliser le nom de famille de sa mère comme nom officiel à moins de faire une demande de changement de nom en application de l’article 61‑1 du Code civil. À cet égard, le Comité réaffirme les préoccupations, et ainsi que les recommandations qu’il a formulées après avoir examiné le rapport de l’État partie en janvier 2008, et dans lesquelles il recommandait à l’État partie d’amender sa législation sur les noms de famille afin de se conformer pleinement à la Convention.

Le Comité a dûment examiné tous les arguments avancés par l’État partie à l’appui de son affirmation selon laquelle les auteurs n’avaient pas épuisé les recours internes, à savoir que G.D. avait engagé une procédure d’appel devant le Tribunal administratif de Paris et S.F. une procédure devant la Cour d’appel de Paris, qu’elles n’avaient pas invoqué de violations au titre des articles 2, 5 et 16 de la Convention au niveau national et que le deuxième auteur (S.F.) n’avait pas étayé ses allégations de violence.

Le Comité se déclare quelque peu préoccupé au sujet de l’efficacité de l’amélioration apportée par la procédure de changement du nom de famille prévue à l’article 61‑1 du Code civil, et plus particulièrement de l’interprétation de l’» intérêt légitime » et du fait que le nom de famille doit avoir été utilisé de manière constante et ininterrompue depuis plus de 90 ans et par trois générations au moins. Le Comité note avec préoccupation que toutes les demandes des deux auteurs qui, dans leurs plus jeunes années, ont été abandonnées par leur père, élevées exclusivement par leur mère dont elles ont utilisé le nom de famille, ont été rejetées au motif que les raisons invoquées pour changer de nom, qui étaient de nature affective, et par conséquent ne constituaient pas un intérêt légitime au sens de l’article 61‑1 du Code civil. Le Comité n’est pas convaincu par l’argument de l’État partie selon lequel, pour chacun des recours internes intentés, une décision judiciaire a été rendue dans un délai raisonnable et la durée globale de la procédure au niveau national peut s’expliquer par le fait que les auteurs ont inventé les mêmes procédures de façon répétitive. Il estime au contraire que la répétition des mêmes procédures aurait dû en accélérer la conclusion.

Le Comité conclut en conséquence que dans les circonstances présentes, bien que les recours internes n’aient pas été épuisés, l’appel de G.D. étant pendant devant le Tribunal administratif de Paris et celui de S.F. étant devant la Cour d’appel de Paris, la procédure de recours prévue à l’article 61‑1 du Code civil excède des délais raisonnables et il est peu probable qu’elle permette aux auteurs d’obtenir satisfaction.

Le Comité note la large portée de l’article 16 de la Convention, qui traite de l’égalité des droits des femmes mariées ou des femmes qui vivent dans une union de fait avec un homme pour toutes les questions relatives au mariage et aux rapports familiaux. Aux termes du paragraphe 1 g) de l’article 16, les États parties assurent les mêmes droits personnels au mari et à la femme, y compris en ce qui concerne le choix du nom de famille, d’une profession et d’une occupation. Le Comité note que les deux auteurs demandent à remplacer le nom de famille de leur père par celui de leur mère et qu’aucune d’elles n’a l’intention de transmettre son nom de famille à ses enfants. C’est également un fait que les deux femmes ne sont pas mariées, qu’elles ne vivent pas dans le cadre d’une relation mari‑femme et qu’elles n’ont pas d’enfants à qui transmettre leur nom de famille. L’article 2 du Protocole facultatif stipule que des communications peuvent être présentées par des particuliers relevant de la juridiction d’un État partie « qui affirment être victimes d’une violation par cet État partie d’un des droits énoncés dans la Convention »

Le Comité considère que le paragraphe 1 g) de l’article 16 a pour objet de permettre à une femme mariée ou à une femme vivant dans le cadre de relations mari‑femme avec un homme de garder son nom de jeune fille, qui fait partie de son identité, et de le transmettre à ses enfants, cela étant, il estime que les bénéficiaires de cette disposition ne peuvent être que des femmes mariées, des femmes qui vivent dans une union de fait avec un homme et des mères. Le Comité partage donc le point de vue de l’État partie selon lequel les auteurs ne peuvent être victimes de la violation d’un droit qui ne s’applique qu’aux femmes mariées, aux femmes vivant dans une union de fait et aux mères, au motif qu’elles ne sont pas mariées, qu’elles ne vivent pas dans le cadre de relations mari‑femme et qu’elles n’ont pas d’enfants. Il conclut donc qu’en vertu de cette disposition, les auteurs en tant qu’enfants ne peuvent revendiquer des droits relatifs à l’utilisation ou à la transmission des noms de famille et ne jouissent d’aucun droit individuel découlant de l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16. Pour cette raison, il ne juge pas nécessaire d’examiner la question de la réserve formulée par la France à l’égard de cette disposition .

En outre, le Comité a dûment examiné l’argument des auteurs selon lequel, bien que le paragraphe 1 g) de l’article 16 octroie un droit personnel au mari et à la femme, ce droit devrait être interprété comme appartenant aussi aux enfants qui reçoivent un nom de famille de leurs parents. Cependant, il le juge sans fondement, tout en reconnaissant que les enfants peuvent être indirectement affectés par une violation des droits de l’un ou de l’autre de leurs parents. Il considère néanmoins que les mères des auteurs auraient pu affirmer être des « victimes » du fait qu’elles n’avaient pas pu transmettre leur nom de famille à leurs enfants.

Par ailleurs, le Comité estime également que les auteurs n’ont pas réussi à démontrer qu’elles avaient été victimes d’une discrimination fondée sur le sexe du fait qu’elles portaient le nom de famille de leur père. Même si elles ont dû en effet porter le nom de famille de leur père dans leurs documents d’état civil du fait des règles coutumières discriminatoires et sexistes qui étaient en vigueur au moment de leur naissance, dans la perspective de leur statut en tant qu’enfants, il n’y a pas de discrimination, étant donné que le nom de famille qu’elles ont reçu n’est pas lié à leur sexe.

En conséquence, le Comité conclut que les auteurs n’ont pas qualité de victimes au sens de l’article 2 du Protocole facultatif et déclare donc la communication irrecevable.

Le Comité souhaite consigner qu’il comprend parfaitement que les auteurs ont en effet souffert de ne pouvoir prendre le nom de leur mère en dépit du fait que leur identité psychologique, familiale, sociale et administrative est uniquement liée à leur mère depuis leur plus jeune âge. Il est également sensible à tous les efforts déployés par les auteurs, depuis leur âge adulte, pour changer leur nom de famille, et notamment aux procédures multiples, longues et coûteuses qu’elles ont dû engager en vertu de l’article 61‑1 du Code civil.

Le Comité décide par conséquent :

a)Que la communication est irrecevable, au motif que ses auteurs n’ont pas la qualité de victime au sens de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.

Opinion individuelle (dissidente) de Dubravka Šimonović, Yoko Hayashi, Ruth Halperin‑Kaddari, Silvia Pimentel, Violeta Neubauer et Saisuree Chutikul, membres du Comité

12.1A sa réunion du 4 août 2009, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a décidé que la communication no 12/2007 est irrecevable au motif que ses auteurs n’ont pas la qualité de victimes au sens de l’article 2 du Protocole facultatif.

12.2.Nous nous dissocions de l’opinion du Comité selon laquelle cette communication est irrecevable. Nous considérons qu’elle est recevable et que ses auteurs sont discriminées par l’État partie au titre des articles 2 et 5 et du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention.

12.3Les auteurs se plaignent d’être victimes d’une législation discriminatoire en ce qui concerne le nom de famille car la loi discrimine les femmes en interdisant la transmission ou le changement du nom de famille au seul nom de la mère. Conformément à la règle coutumière en vigueur au moment de la naissance des auteurs, le nom de leur père marié à leur mère, leur a été automatiquement assigné. Suite au divorce de leurs parents et à des relations familiales tendues, les deux auteurs ont habité chacune chez leur mère et ont utilisé le nom de leur mère. Elles se plaignent du caractère continu de cette discrimination du fait que la nouvelle loi de 2002 de l’État partie, relative au nom de famille, n’a pas d’effet rétroactif en ce qui les concerne. Les deux auteurs tentent vainement depuis 10 ans de faire changer leur nom de famille, et remplacer le nom de famille de leur père par celui de leur mère, en recourant à la seule procédure disponible aux termes du paragraphe 1 de l’article 61 du Code civil. Leurs requêtes ont été rejetées au motif d’un manque d’intérêt légitime et d’un usage insuffisamment prolongé du nom de famille de la mère (l’utilisation du nom de famille depuis plus de 90 ans par trois générations au moins, est requise). Les auteurs affirment être victimes de violations de leurs droits au titre des articles 2, 5 et du paragraphe 1 ainsi que de l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention parce que l’État partie n’a pas adopté les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux. Le Comité a décidé d’examiner la recevabilité de la communication principalement au titre de l’alinéa g) du paragraphe 1) de l’article 16. Il a déclaré qu’elle n’était pas recevable parce que les auteurs n’ont pas montré en quoi elles étaient victimes d’une discrimination fondée sur le sexe du fait qu’elles portent le nom de famille de leur père. Le Comité a en outre déclaré que même si elles étaient contraintes d’utiliser le nom de famille de leur père dans les documents d’état civil en raison d’une règle discriminatoire et sexiste en vigueur au moment de leur naissance, du point de vue des enfants, il n’y a pas eu de discrimination en ce sens que le nom de famille qui leur a été donné ne dépendait pas de leur sexe. C’est pourquoi le Comité a conclu que les auteurs ne pouvaient être assimilées à des victimes au sens de l’article 2 du Protocole facultatif.

12.4S’agissant de la recevabilité de ce cas, nous nous dissocions de la position du Comité selon laquelle les auteurs n’ont pas la qualité de victimes au sens de l’article 2 du Protocole facultatif ainsi que de sa décision d’examiner la communication dans la perspective de l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention. Nous sommes d’avis que suivant la décision provisoire du Comité d’examiner le cas à la lumière des articles 2, 5 et du paragraphe 1) de l’article 16 de la Convention et eu égard aux réponses fournies par l’État partie et les auteurs, notamment le fait que les auteurs ont confirmé une violation des articles 2, 5 et du paragraphe 1) de l’article 16 de la Convention outre la violation de l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16, la communication devrait être examinée au titre des articles 2, 5 et du paragraphe 1) de l’article 16 de la Convention.

12.5Nous nous dissocions des conclusions du Comité qui contestent la qualité de victimes au sens de l’article 2 du Protocole facultatif en se basant sur le fait que, du point de vue des enfants, il n’y a pas eu de discrimination puisque la transmission du nom de famille est indépendante de leur sexe. Nous sommes d’avis que la reconnaissance du statut de victime dépend de la mesure dans laquelle les auteurs ont été directement et personnellement affectées par les violations alléguées. Il est incontestable que les auteurs ont subi une discrimination fondée sur le sexe lorsque c’est le nom de famille du père qui est inscrit dans leur document d’état civil et que ces discriminations se fondent sur une règle coutumière discriminatoire et sexiste gouvernant la transmission du nom de famille en vigueur à leur naissance. Il est également incontestable que la nouvelle législation de 2002 de l’État partie relative au nom de famille n’a pas pour elles d’effet rétroactif. En outre, les deux auteurs ont depuis plus de 10 ans vainement tenté de prendre le nom de famille de leur mère à la place de celui de leur père, en recourant à la seule procédure disponible au titre du paragraphe 1 de l’article 61 du Code civil. Leurs plaintes ont été rejetées. Nous sommes d’avis que cette norme apparemment neutre au regard de l’égalité entre les sexes produit des discriminations fondées sur le sexe en ne reconnaissant pas l’intérêt légitime qu’il peut y avoir à vouloir changer le nom de famille attribué dans le cadre d’une législation discriminatoire. Une telle législation et l’impossibilité pour les auteurs de prendre le nom de famille de leur mère comme nom légal ont entraîné des conséquences discriminatoires négatives qui se prolongent aujourd’hui.

12.6Nous sommes d’avis que la législation régissant le nom de famille est discriminatoire à l’égard des femmes en empêchant la transmission ou le changement du nom de famille pour celui de la mère et que l’impossibilité de choisir le seul nom de la mère comme nom de famille à transmettre aux enfants ou de le changer constitue une discrimination fondée sur le sexe au sens de l’article 1 de la Convention, prohibée au titre des articles 2, 5 et du paragraphe 1 de l’article 16. L’article 1 définit la discrimination à l’égard des femmes comme « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine ». Selon l’article 2 de la Convention, les États parties s’engagent à concrétiser l’égalité entre hommes et femmes tandis que les États au paragraphe 1 de l’article 16 s’engagent spécifiquement à concrétiser cette égalité dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux. Selon l’article 5, les États parties ont l’obligation d’éliminer les pratiques coutumières fondées sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe. Tous ces articles exigent un même traitement du nom de famille des hommes et des femmes et de la transmission du nom aux enfants.

12.7Nous sommes d’avis que les auteurs qui affirment avoir reçu leur nom de famille du fait de l’application d’une règle coutumière discriminatoire relative au nom de famille et qui, adultes, se sont vues dénier le droit de changer leur nom en raison d’une interprétation discriminatoire de l’intérêt légitime dans le cadre du paragraphe 1 de l’article 61 du Code civil, remplissent les conditions pour être considérées comme des victimes au sens de l’article 2 du Protocole facultatif. Le fait que cette discrimination affecte tous les enfants sans considération de leur sexe ne change en rien le fait incontestable que les auteurs ont acquis leur nom de famille par le biais d’une règle discriminatoire, vu qu’elle s’applique exclusivement au nom de famille des femmes, constituant de la sorte une forme de discrimination à l’égard des femmes au titre des articles 2, 5 et du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention. Nous sommes d’avis, tant que la loi viole les dispositions de la Convention, constituant ainsi une discrimination à l’égard des femmes fondée sur le sexe, que le sexe de leurs enfants n’est pas pertinent. Par conséquent, cela s’applique également aux adultes victimes de cette discrimination continue, vu que l’enjeu concerne une loi et une pratique discriminatoires à propos du nom de famille assigné aux auteurs. Cela constitue une discrimination à l’égard des femmes et de leur nom de famille. Le fait qu’un homme pourrait également être victime d’une telle discrimination fondée sur le sexe ne modifie pas la qualité de victimes des auteurs. Nous sommes d’avis que les auteurs ont suffisamment étayé leurs plaintes d’avoir subi une discrimination fondée sur le sexe en devant porter le nom de leur père, et de continuer à être directement et personnellement affectées par ces violations des articles 2, 5 et 16 de la Convention pour être qualifiées de victimes au sens de l’article 2 du Protocole facultatif.

12.8Nous trouvons que la démarche du Comité consistant à examiner la communication dans le cadre de l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention manifeste un certain manque de cohérence. Si nous devions examiner spécifiquement l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 à l’instar du Comité, nous examinerions les arguments avancés par les auteurs concernant la position du Comité sur le caractère non autorisé de la réserve concernant l’article 16 de la Convention.

12.9En ce qui concerne l’irrecevabilité de la plainte par l’État partie au motif de la réserve qu’il a faite à l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16, nous avons décidé d’examiner la présente communication à la lumière des articles 2, 5 et du paragraphe 1 de l’article 16 et de ne pas porter notre attention exclusivement sur l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16. Nous sommes d’avis que cet alinéa ne recouvre pas de façon explicite et exclusive la situation des auteurs, vu que l’enjeu concerne le droit des auteurs de changer leur nom de famille en abandonnant celui du père au bénéfice de celui de la mère. Le chapeau du paragraphe 1) de l’article 16 dispose : « Les États parties prennent toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux et, en particulier, assurer sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme… », suivent les alinéas a) à h). L’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 dispose que les États parties assurent : « les mêmes droits personnels au mari et à la femme, y compris en ce qui concerne les choix du nom de famille, d’une profession et d’une occupation ». Les alinéas a) à h) du paragraphe 1 de l’article 16 ne sont pas exhaustifs mais en constituent des illustrations. Ils représentent des exemples de diverses situations dans lesquelles l’État partie doit assurer les mêmes droits aux hommes et aux femmes. Nous sommes d’avis que l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 a pour but principal de permettre à une femme mariée ou à une femme vivant dans le cadre de relations mari‑femme de garder son nom de jeune fille qui fait partie de son identité. Néanmoins, il n’y a rien dans cet alinéa concernant la pratique discriminatoire à l’origine de cette situation, à savoir la faculté des femmes mariées (en l’occurrence les mères des auteurs) de transmettre leur nom de jeune fille à leurs enfants (le nom des mères des auteurs dans le cas présent).

12.10Nous nous dissocions de l’interprétation donnée par l’État partie à l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16, lui attribuant le caractère de lex specialis, c’est‑à‑dire de la seule disposition dans la Convention relative à la transmission du nom de famille eu égard à la législation nationale. Cet alinéa ne concerne pas spécifiquement le nom de famille des enfants, tandis que l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 16 affirme les mêmes droits et les mêmes responsabilités des parents dans toutes les questions se rapportant à leurs enfants. En outre, le principe sous‑jacent de l’égalité entre hommes et femmes contenu dans l’article 2 de même que les dispositions plus spécifiques sur l’égalité entre hommes et femmes dans les relations familiales évoquées dans le chapeau du paragraphe 1 de l’article 16 sont les principes fondamentaux qui régissent la transmission du nom de famille aux enfants. Nous estimons que les faits à l’origine de la présente communication se rapportent à un acte de discrimination à l’égard des femmes dans le cadre des « rapports familiaux » et que le chapeau du paragraphe 1 de l’article 16, concerne la discrimination à l’égard de toutes les femmes, mariées et non mariées, dans toutes les questions ayant trait au mariage et aux rapports familiaux. Nous considérons que la situation des auteurs n’est pas exclusivement ni explicitement couverte par l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16 au titre de lex specialis et que le chapeau du paragraphe 1 de l’article 16 ainsi que ses autres alinéas, outre les articles 2 et 5, sont pleinement applicables à leur situation.

12.11Nous avons pleinement tenu compte de tous les arguments de l’État partie à l’appui de son affirmation que les auteurs ont omis de porter plainte pour discrimination au titre des articles 2, 5 et 16 de la Convention à l’échelle nationale. Nous sommes d’avis que les auteurs ont de fait invoqué le contenu des articles 2, 5 et 16 en faisant état d’une discrimination à l’égard des femmes en matière de transmission et de changement du nom de famille. Elles ont fait appel à toutes les procédures disponibles pour se protéger d’une discrimination fondée sur le sexe. Ainsi qu’en témoigne l’alinéa 3 du paragraphe 2 de la décision du Comité, G.D., dans sa requête visant à changer de nom, a invoqué le principe général d’égalité entre les sexes aussi bien que le fait d’avoir utilisé le nom de G.D. depuis l’âge de sept ans. De surcroît, la requête de G.D. a été rejetée par le tribunal administratif de Paris en 2002 au motif d’absence de violation de l’article 8 (Droit au respect de la vie privée) et de l’article 14 (Interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales) qui cite notamment le sexe dans l’énumération des motifs de discrimination, interdisant de ce fait la discrimination fondée sur le sexe.

12.12Nous souscrivons à la conclusion du Comité relatif à la recevabilité de la plainte concernant l’épuisement de tous les recours internes disponibles. Nous partageons également la conclusion du Comité que l’application du recours prévu par le paragraphe 1 de l’article 61 du Code civil entraîne un délai déraisonnablement long et des probabilités limitées de succès. Sur la base de ces faits, nous estimons que cette communication est recevable ratione temporis sans qu’il soit nécessaire d’élaborer en détail ce motif de recevabilité.

12.13En ce qui concerne le fond de l’affaire, nous sommes d’avis que les auteurs sont indirectement victimes d’une législation discriminatoire fondée sur une vision patriarcale du père chef de famille imposée par l’État partie durant leur enfance. Elles ont subi cette législation en même temps que leurs mères. En raison du divorce de leurs parents et de leurs relations familiales avec la famille de leur mère, outre l’emploi du nom de famille de leur mère, un élément de leur identité, devenues adultes, les auteurs demandent de changer leur nom de famille qui leur a été imposé de façon discriminatoire. Elles sont victimes d’une discrimination fondée sur le sexe dans le cadre de la procédure du changement de nom requise par le paragraphe 1 l’article 61 du Code civil vu que leurs demandes de changement de nom n’ont pas été considérées comme légitimes. Nous sommes d’avis que la règle coutumière en vigueur au moment où les auteurs ont reçu leur nom de famille est discriminatoire à l’égard des femmes (mères) en ce qui concerne la transmission de leur nom de famille à leurs enfants. Nous notons également que l’État partie a communiqué des informations sur les progrès réalisés en matière d’égalité entre les sexes dans le domaine de la transmission du nom de famille grâce à l’adoption de la loi no 2002‑304 du 4 mars 2002 telle qu’amendée en 2003, entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Nous relevons de surcroît que cette information implique la reconnaissance par l’État partie que la règle coutumière antérieure n’était pas basée sur l’égalité entre hommes et femmes et qu’elle était discriminatoire à l’égard des femmes et de leur identité au regard de leur nom de famille.

12.14 S’agissant de la législation en vigueur, nous faisons nôtre le point de vue exprimé par les auteurs selon lequel cette loi continue de discriminer les femmes en octroyant au père un droit de veto lui permettant de faire obstacle à la transmission du nom de famille de la mère. Néanmoins, nous sommes d’avis que cet aspect n’est pas directement pertinent à la plainte déposée par les auteurs dans la présente communication. Ce qui est pertinent pour les auteurs est le fait qu’une personne née avant le 1er janvier 2005 ne peut pas prendre le nom de famille de sa mère comme nom officiel à l’état civil. Nous nous dissocions de l’argument de l’État partie selon lequel ce serait la stabilité de l’état civil et non pas la règle de primauté patriarcale qui limite l’effet rétroactif de la loi de 2002. Nous sommes d’avis que l’État partie n’avance aucune raison pour laquelle les droits des femmes, en particulier celui de la mère de transmettre son nom de famille à ses enfants ou celui d’un enfant de recevoir son nom de famille sur une base d’égalité entre les sexes, doit faire l’objet d’un traitement différent au nom de la stabilité du nom de famille.

12.15Nous sommes d’avis que la stabilité de l’état civil du nom de famille peut être réalisée en accordant la même reconnaissance et le même traitement du nom de famille aux hommes et aux femmes, ainsi qu’en dispose la nouvelle législation relative au nom de famille qui élimine partiellement la discrimination concernant la transmission du nom de famille de la mère. Comme cette loi n’a pas d’effet rétroactif pour les auteurs, celles‑ci continuent d’être affectées par la loi précédente aussi bien que par la présente application discriminatoire de la procédure prescrite par le Code civil pour changer son nom de famille. Cette procédure qui n’est applicable qu’à l’une des auteurs seulement, ne prend pas en compte les anciennes règles discriminatoires relatives au nom de famille qui ont été appliquées aux auteurs et dont elles continuent de souffrir dans la vie de tous les jours. De tels faits concrets comprennent notamment dans le cas présent le divorce des parents, la violence conjugale (à l’encontre de la mère dans deux cas et, dans l’un des cas, allégations de violences aussi à l’encontre de l’une des auteurs de la communication), abandon par le père et relation étroite avec la mère seulement. Le nom de famille de la mère représente une partie importante de l’identité des auteurs que l’État partie devrait respecter sur base de son engagement en faveur du principe d’égalité entre hommes et femmes en général et en matière de rapports familiaux en particulier. Tous les États parties à la Convention ont l’obligation de respecter le principe d’égalité entre hommes et femmes dans la législation nationale et d’en assurer l’application (article 2) et d’éliminer et modifier les rôles stéréotypés des hommes et des femmes (article 5). Cela signifie qu’il faudrait avancer des motifs extrêmement sérieux pour qu’une différence de traitement fondée uniquement sur le sexe soit considérée comme compatible avec la Convention (voir Cour européenne des droits de l’homme, Burghartz c. la Suisse, requête no 16213/90, jugement du 24 février 1994, par. 27).

12.16Les deux auteurs se réfèrent à l’article 43 de la loi no 85‑1372 relative à l’égalité des époux, qui dispose que toute personne peut ajouter à son nom, à titre d’usage, le nom de celui de ses parents qui n’a pas transmis le sien. Les auteurs ont pu ainsi ajouter, relié par un trait d’union, le nom de leur mère à leur nom de famille. Toutefois, leur nom d’usage ne figure que sur leur carte d’identité et non sur leur certificat de nationalité ni sur leur acte de naissance. Pour les personnes qui choisissent cette option, elle est source de confusion et d’incertitude juridique. De surcroît, la législation n’autorise pas la transmission du nom d’usage à ses enfants. Par conséquent, le nom d’usage est limité et est principalement utilisé pour ajouter le nom de famille de la mère, vu que celui du père a été automatiquement transmis selon la règle coutumière à toute personne née avant l’adoption de la nouvelle législation sur la famille qui ne s’applique pas aux auteurs. Il est évident que cette possibilité qui vise à renforcer l’égalité entre les époux, a fourni une reconnaissance limitée au nom de famille de la mère, mais toujours dans un rapport inégal. Elle n’a pas garanti l’égalité de traitement des noms de famille ni le droit de chaque personne de le choisir en application d’une législation qui protégerait de la même façon les hommes et les femmes en ce qui concerne la transmission ou l’acquisition du nom de famille.

12.17.Nous sommes d’avis que les auteurs ont prouvé qu’elles ont souffert d’une discrimination à l’égard des femmes fondée sur le sexe en portant le nom de famille du père dans leurs documents d’état civil en raison d’une règle coutumière discriminatoire et sexiste qui était en vigueur au moment de leur naissance, sans être à même de la changer pour adopter le nom de famille de leur mère. Les auteurs ont également souffert moralement en raison de règles et pratiques discriminatoires imposées par l’État partie en dépit du fait que leur identité psychologique, familiale, sociale et administrative s’est construite dès le plus jeune âge dans la relation avec la mère. Les auteurs ont souffert sur le plan économique et mental en raison des efforts déployés dès leur entrée dans l’âge adulte pour changer de nom de famille, en particulier en raison des procédures légales multiples, longues et coûteuses qu’elles ont dû assumer au titre du paragraphe 1 de l’article 61 du Code civil. Nous reconnaissons également que l’impossibilité d’adopter le nom de famille de leur mère comme nom légal officiel continue d’avoir des incidences négatives pour les auteurs tout en portant atteinte à leurs droits fondamentaux de ne pas être discriminées et de jouir de l’égalité entre hommes et femmes dans la transmission du nom de famille de la mère.

Recommandation à l’État partie concernant les auteurs

12.18Dans les délibérations, les auteurs ont utilisé le nom de famille de leur mère et non leur nom de famille officiel du père et ont été reconnues par le Comité sous le nom de famille de leur mère. Dans notre opinion dissidente, nous sommes d’avis que le nom de famille maternel devrait bénéficier de la même reconnaissance par l’État partie et que les auteurs devraient être autorisées à changer leur nom de famille sur le plan national.

12.19L’État partie, conformément à ses obligations au titre des articles 2 et 5 et du paragraphe 1 de l’article 16 et plus spécifiquement de l’alinéa f) de l’article 2 de la Convention, devrait prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes.

12.20L’État partie devrait modifier son interprétation de ce qui constitue un intérêt légitime dans la procédure du Code civil de manière à reconnaître la légitimité de la demande des auteurs à vouloir changer de nom et adopter un amendement autorisant de manière explicite le changement de nom de toutes les personnes souhaitant adopter le nom de leur mère et ne bénéficiant pas de la réforme de la loi de 2003.

Recommandation générale

12.21Nous réitérons les conclusions du Comité après l’examen du rapport périodique (CEDAW/C/FRA/CO/6, para 35) et la recommandation à l’État partie d’amender sa nouvelle législation relative au nom de famille pour être pleinement conforme à la Convention.

(Signé) Dubravaka Šimonović

(Signé)Yoko Hayashi

(Signé) Ruth Halperin ‑Kaddari

(Signé)Silvia Pimentel

(Signé) Violeta Neubauer

(Signé)Saisuree Chutikul