Communication présentée par :

M. N. N (représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

8 mai 2010 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision du Groupe de travail en vertu des articles 5 et 6 du Protocole facultatif et des articles 63 et 69 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 13 juillet 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la présente décision :

15 juillet 2013

Annexe

Décision du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes en vertu du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (cinquante-cinquième session)

* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la communication : M me Ayse Feride Acar, M me Nor Al-Jehani, M me Barbara Bailey, M me Olinda Bareiro-Bobadilla, M. Niklas Bruun, M me Naéla Gabr, M me Hilary Gbedemah, M me Nahla Haidar, M me Ruth Halperin-Kaddari, M me Yoko Hayashi, M me Ismat Jahan, M me Dalia Leinarte, M me Violeta Neubauer, M me Theodora Nwankwo, M me Pramila Patten, M me Silvia Pimentel, M me Maria Helena Pires, M me Biancamaria Pomeranzi, M me Patricia Schulz, M me Dubravka Šimonović et M me Xiaoqiao Zou.

Communication no 33/2011, M. N. N.c. Danemark*

Présentée par :

M. N. N. (représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de :

La requérante

État partie :

Danemark

Date de la communication :

8 mai 2010 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision du groupe de travail au titre des articles 5 et 6 du Protocole facultatif et des articles 63 et 69 du règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 13 juillet 2011 (non publiée sous forme de document)

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, établi en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 25 juillet 2013,

Adopte ce qui suit :

Décision en matière de recevabilité

1.1L’auteur de la communication est M. N. N., une ressortissante ougandaise née le 26 décembre 1984. Celle-ci a demandé l’asile au Danemark; sa demande a été rejetée et, au moment de présentation de la communication, elle attendait son expulsion du Danemark à destination de l’Ouganda. Elle affirme que son expulsion vers l’Ouganda constituerait une violation par le Danemark des articles 1, 2 c), 2 d) et 3 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elle est représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen. Le Protocole facultatif à la Convention est entré en vigueur pour le Danemark le 22 décembre 2000.

1.2Le 13 juillet 2011, en vertu l’article 5 1) du Protocole facultatif et de l’article 63 de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion de la requérante vers l’Ouganda tant que sa communication serait à l’examen devant lui. Le 20 juillet 2011, l’État partie a fait savoir au Comité que la date limite fixée pour le départ de la requérante avait été reportée sine die.

Rappel des faits

2.1La requérante est une Mogadishu, célibataire et de confession chrétienne. Elle est née dans un village près de Kampala. Selon l’auteur, sa mère est une Muganda et son père un Mogishu originaire de l’est du pays, près de la frontière kényane. Son père a quitté sa mère alors qu’elle était enceinte; la requérante a vécu avec sa mère à Natete jusqu’à l’âge de 9 ans. À une date non précisée, son père s’est rendu chez sa mère, en compagnie de quelques hommes, pour demander où sa fille se trouvait afin de la faire exciser, mais sa mère l’a cachée. À la suite de cet événement, sa mère l’a envoyée vivre chez une tante dans une autre partie du pays pour que son père ne puisse pas la retrouver.

2.2La requérante n’a plus eu aucun contact avec son père, mais celui ci se serait rendu à plusieurs reprises chez sa mère pour essayer de la retrouver. À chaque visite, son père a affirmé qu’elle devait être excisée. Lorsqu’elle a eu 16 ans, la requérante a appris que son père savait où elle se trouvait. Elle s’est donc enfuie et a vécu seule en différents endroits. À 18 ou 19 ans, elle a eu son premier enfant et, deux ans plus tard, elle en a eu un second, d’un père différent. Elle n’avait aucun contact avec les pères de ses enfants et a vécu avec ceux-ci dans le village de Kosubi, près de Kampala, jusqu’au moment où elle a quitté l’Ouganda.

2.3La requérante est entrée sur le territoire danois le 20 novembre 2007, avec un passeport valide et un visa touristique de trois mois (visa Schengen). Le 31 mars 2008, le Service danois de l’immigration a décidé de l’expulser du Danemark en se fondant l’article 25a 2) de la loi sur les étrangers (séjour illégal), ordre assorti d’une interdiction de revenir sur le territoire pendant un an. Le 2 avril 2008, au moment de son arrestation pour séjour irrégulier, la requérante a introduit une demande d’asile.

2.4Le 19 novembre 2008, le Service de l’immigration a fait savoir à la requérante que sa demande de permis de séjour avait été refusée en vertu de l’article 7 de la loi sur les étrangers. Le 8 février 2009, l’avocat commis d’office de la requérante a présenté des observations écrites sur son cas. Le 19 mars 2009, avant de tenir la procédure orale sur ce cas, la Commission de recours pour les réfugiés a décidé de demander un complément d’information sur les mutilations génitales féminines en Ouganda au Ministère des affaires étrangères. Le 3 septembre 2009, le Ministère des affaires étrangères lui a communiqué les informations demandées.

2.5Selon la requérante, ces informations sont incorrectes, puisque, tout en confirmant que les mutilations génitales féminines sont toujours pratiquées en Ouganda, le Ministère indique qu’une loi interdisant cette pratique a été adoptée. Or, aucune loi de cet ordre n’était en vigueur en novembre 2009, au moment où la Commission de recours pour les réfugiés a pris sa décision. La requérante a d’ailleurs communiqué à la Commission de recours pour les réfugiés des éléments d’information montrant qu’un projet de loi était à l’examen mais n’avait pas encore été adopté par le Parlement.

2.6Le 9 novembre 2009, la Commission des recours pour les réfugiés a conclu qu’il était improbable que la requérante coure un véritable danger de subir des mutilations génitales en cas de renvoi en Ouganda. Elle a relevé que la requérante n’a introduit une demande d’asile qu’au moment de son arrestation pour séjour irrégulier. Par conséquent, la requérante ne satisfaisait pas au critère requis pour se voir accorder un permis de séjour en vertu de l’article 7 de la loi sur les étrangers et devait immédiatement quitter le territoire danois. Si elle refusait de partir de son plein gré, elle serait expulsée de force vers l’Ouganda conformément à l’article 32 a de la loi.

2.7Il ressort de la décision de la Commission de recours pour les réfugiés que la requérante a quatre demi-sœurs utérines, qui vivent à Kampala avec leurs pères respectifs et dont elle ne sait pas si elles ont été excisées ou non. Ses enfants, avec qui elle est en contact téléphonique, vivent avec sa tante à Natete. Si elle ne craignait pas de subir des mutilations génitales, elle retournerait en Ouganda pour y retrouver ses enfants. Sa fille n’a pas été excisée. À la question de savoir si elle ne craignait pas que sa fille soit excisée, puisque le père de l’enfant appartenait au clan mogishu, la requérante a expliqué qu’elle était inquiète mais qu’elle ne pouvait rien y faire. Elle avait perdu le contact avec sa mère, et ce, avant même de quitter l’Ouganda, parce que sa mère n’avait pas le téléphone. Elle ne connaissait aucune femme excisée mais a affirmé que les femmes n’abordaient pas ces questions intimes entre elles. Elle ne savait pas si l’excision était traditionnelle dans le clan de son père , qu’elle n’avait pas vu depuis l’âge de 9 ans, ni son père ni des membres de sa famille paternelle ne l’avaient menacée, mais elle craignait qu’ils ne le fassent s’ils retrouvaient sa trace. Elle a fait valoir que la police ougandaise ne pouvait pas la protéger, car « la police ne protégeait que ceux qui lui versaient des pots-de-vin », et que, même si elle payait la police, son père pourrait encore la faire exciser et ne serait pas puni s’il le faisait.

2.8En date du 14 mai 2010, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a écrit au conseil de la requérante pour lui demander, entre autres choses, de lui communiquer :

a)Des éclaircissements sur le statut ethnique/clanique/tribal de la requérante, différents termes étant utilisés dans la communication, à savoir mogadishu, mogishu et moghisu;

b)des informations indépendantes étayant les allégations de la requérante selon lesquelles les femmes appartenant au groupe ethnique/clan/tribu en question étaient encore excisées. Il a été demandé au conseil d’étayer plus avant le risque que la requérante courrait d’être excisée si on la renvoyait en Ouganda, compte tenu de l’entrée en vigueur de la loi réprimant les mutilations génitales féminines le 9 avril 2010.

2.9La demande d’information du Comité étant toujours sans réponse au 14 mai 2010, le Groupe de travail a décidé, le 18 février 2011, d’adresser un rappel écrit au conseil de la requérante, dans lequel il réitérait sa demande et lui demandait de lui faire parvenir les renseignements demandés au plus tard le 31 mars 2011.

2.10N’ayant reçu qu’une réponse partielle du conseil de la requérante le 29 mars 2011, le Groupe de travail lui a de nouveau demandé, le 4 avril 2011, de fournir au Comité des informations ou des résultats de recherche indépendants étayant les affirmations de la requérante selon lesquelles il existait effectivement un groupe ethnique/une tribu mogishu en Ouganda, que les femmes appartenant au groupe ethnique/la tribu mogishu étaient encore excisées et que l’excision était aussi pratiquée sur des femmes adultes ayant déjà donné naissance à des enfants. Le conseil de la requérante était invité à présenter les informations demandées au plus tard le 31 mai 2011. Une réponse partielle a été reçue le 31 mai 2011 (voir les paragraphes 3.4 et 3.5).

Teneur de la plainte

3.1La requérante invoque, sans avancer d’arguments précis, une violation de l’article premier, des alinéas c et d de l’article 2, et de l’article 3 de la Convention et fait valoir que, selon la Convention relative au statut des réfugiés, la violence sexiste peut être une forme de persécution dirigée contre les femmes considérées comme un « groupe social » et que, selon le Ministère danois des affaires étrangères, l’excision est pratiquée en Ouganda par certaines tribus. De plus, selon une ONG active dans ce domaine (Female Genital Cutting Education and Networking Project), il s’agit d’un problème encore très répandu, cette pratique traditionnelle ayant encore cours dans certaines tribus. La requérante ajoute que les victimes ne peuvent pas demander la protection des autorités, l’excision n’étant pas illégale en Ouganda.

3.2Selon la requérante, en Ouganda, l’excision est liée à l’appartenance clanique et ne dépend pas de l’âge. Ainsi, elle doit être excisée pour pouvoir appartenir au clan de son père, lequel habitait dans une région frontalière avec le Kenya avant de s’installer à Kampala à une date non précisée. La requérante craint que son père et sa famille paternelle ne la fassent exciser si elle rentre en Ouganda. Elle affirme que les autorités ougandaises sont corrompues et n’ont aucune intention de lui venir en aide, même si elle n’a jamais demandé de protection officielle.

3.3En tant que membre d’un clan (moghiso/mogishu) qui pratique l’excision et en tant que femme non excisée, la requérante risquerait de subir un traitement qui serait contraire à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, si on la renvoyait de force en Ouganda. Elle affirme qu’une telle expulsion serait aussi contraire à son droit à la vie privée prévu par l’article 17 du Pacte. Comme le traitement qui lui serait réservé serait imputable à sa qualité de femme, la requérante invoque une violation des articles 2, 3 et 26 du Pacte, affirmant qu’elle devrait être protégée contre un tel traitement discriminatoire.

3.4La requérante précise que les termes « bagishu » et « mugisu » désignent la même tribu, avant de décrire le rituel de la circoncision chez les Bagisu. Selon elle, une fois circoncis, le garçon devient un homme et une personne à part entière. Autrement dit, son père appartenant à la tribu des Bagishu est devenu un homme, c’est-à-dire un Mugisu, une fois circoncis. La requérante renvoie au rapport de la Commission canadienne de l’immigration et du statut de réfugié selon lequel les Bagishu pratiquent la circoncision mais pas l’excision. Or, de l’aveu même des auteurs, le rapport a souffert de « contraintes de temps ». De plus, les auteurs ajoutent que le rapport « n’était pas et ne se voulait pas concluant, s’agissant de déterminer la validité de telle ou telle demande d’asile ou du statut de réfugié ». La requérante fait valoir que les questions sur lesquelles le Comité doit se pencher sont les suivantes : à quel moment les mutilations génitales féminines sont-elles devenues illégales en droit ougandais, et l’interdiction offre-t-elle une véritable protection contre son père ? Elle fait observer qu’à une date aussi récente que le 11 mars 2010, il a été rapporté que des mutilations génitales féminines étaient pratiquées en Ouganda et qu’elle a donc établi que son grief était fondé.

3.5Tout en reconnaissant que la loi réprimant les mutilations génitales féminines est entrée en vigueur en Ouganda le 9 avril 2010, la requérante relève que la décision de la Commission de recours pour les réfugiés a été prise le 9 novembre 2009, c’est-à-dire près de six mois plus tôt. Elle ajoute que cette décision était fondée, notamment, sur des informations inexactes fournies par le Ministère des affaires étrangères (en date du 3 septembre 2009), indiquant que la législation était déjà entrée en vigueur (voir les paragraphes 2.5 et 2.6 ci dessus). Elle fait valoir que, du fait que la décision était fondée sur une information manifestement fausse du Ministère sur l’état d’avancement de la législation en Ouganda, elle n’a pas bénéficié d’un « procès équitable » de la part des autorités danoises de l’asile. Il faudrait donc, maintenant que la loi est entrée en vigueur, que les autorités danoises compétentes en matière d’asile lui accordent une nouvelle audition afin d’évaluer si la loi en question protège efficacement les Ougandaises contre des mutilations génitales que voudrait leur faire subir leur famille et dans quelle mesure la police peut constituer un recours effectif à cet égard. Une fois qu’elles auront procédé à une telle évaluation, elles pourront établir si la requérante risque d’être persécutée et si elle pourrait effectivement se prévaloir de la protection de la loi.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 10 janvier 2012, l’État partie a fait parvenir au Comité ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il rappelle que la requérante a déclaré aux autorités danoises compétentes en matière d’asile qu’elle avait quitté l’Ouganda parce qu’elle craignait que son père ou un de ses parents ne la fasse exciser, étant donné que le clan de son père (le clan mogishu) pratiquait traditionnellement l’excision pour les filles et la circoncision pour les garçons. Elle ne pouvait pas donner davantage d’informations sur cette tradition et ne savait pas si d’autres femmes avaient été excisées. Elle avait en outre déclaré aux autorités danoises compétentes en matière d’asile qu’elle n’avait jamais eu maille à partir avec les autorités ougandaises et qu’elle n’était pas politiquement active. La seule raison pour laquelle elle avait quitté son pays était sa crainte de l’excision. Si elle n’avait pas demandé le droit d’asile au Danemark avant son arrestation quatre mois après son arrivée, c’était parce qu’elle ignorait tout de la notion d’asile, n’étant qu’une jeune fille cherchant à fuir son pays d’origine.

4.2L’État partie rappelle en outre que, dans sa décision du 9 novembre 2009, la Commission de recours pour les réfugiés a accepté que le fondement d’un éventuel droit d’asile de la requérante serait le risque d’une excision forcée si elle rentrait en Ouganda. La Commission a également accepté les dires de la requérante selon lesquels son père avait pris contact avec sa mère lorsqu’elle avait 9 ans pour la faire exciser. Elle a par ailleurs fait observer que la requérante et son père n’avaient eu aucun contact depuis lors, à l’exception d’une rencontre fortuite dans les rues de Kampala, au cours de laquelle ils ne s’étaient pas adressé la parole. Elle a conclu que la requérante ne courrait aucun risque de subir des mutilations génitales si elle rentrait en Ouganda, insistant sur le fait que de nombreuses années s’étaient écoulées depuis que son père ou des membres de sa famille paternelle avaient essayé de la retrouver. Dans ces circonstances, elle a estimé qu’il était peu probable que la requérante soit soumise à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants si on la renvoyait en Ouganda.

4.3L’État partie donne des renseignements plus détaillés sur les fonctions et la composition de la Commission de recours pour les réfugiés, ainsi que sur la base juridique de ses décisions, la loi sur les étrangers. Conformément au paragraphe 1 de l’article 31 de cette loi, aucun étranger ne peut être renvoyé dans un pays où il ou elle risque de se voir imposer la peine de mort ou d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou encore dans un pays où l’intéressé ne sera pas protégé contre le risque d’être renvoyé dans un tel pays (non-refoulement). Cette disposition, qui ne souffre aucune exception, s’applique à tous les étrangers et doit être appliquée conformément aux obligations internationales du Danemark.

4.4L’État partie fait valoir qu’à une date non précisée, la requérante a présenté une communication au Comité des droits de l’homme, indiquant que son expulsion constituerait une violation du Pacte. Le Comité a toutefois rejeté cette communication. L’État partie affirme par conséquent que la présente communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention, au motif qu’elle porte sur une question qui a déjà fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international, à savoir devant le Comité des droits de l’homme. Il relève à ce propos que toute la communication, à l’exception de la première phrase, concerne des violations alléguées du Pacte et non de la Convention. Les violations alléguées de la Convention sont seulement mentionnées en passant dans la première phrase.

4.5L’État partie fait valoir en outre que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif puisque le Danemark n’est pas responsable, en vertu de la Convention, des actes qui sont censés étayer la communication de la requérante. Il relève que, si la Convention ne contient pas de clause expresse limitant la portée de son application, l’article 2 du Protocole facultatif dispose clairement que les communications « peuvent être présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers, relevant de la juridiction d’un État partie, qui affirment être victimes d’une violation par cet État partie d’un des droits énoncés dans la Convention ». Par conséquent, le droit individuel de soumettre des communications est clairement limité par une clause de compétence. S’il est vrai que la requérante réside provisoirement au Danemark et se trouve donc actuellement sous la juridiction danoise, ses griefs ne s’appuient pas sur le traitement dont elle serait victime dans ce pays, ou dans une zone sous le contrôle effectif des autorités danoises, ou en raison du comportement des autorités danoises, mais, au contraire, sur les conséquences éventuelles de son renvoi en Ouganda. La seule chose que la requérante reproche aux autorités danoises, c’est leur décision de la renvoyer dans un pays où elle risquerait d’être victime d’un traitement discriminatoire contraire à la Convention. La décision de la renvoyer en Ouganda ne saurait toutefois engager la responsabilité de l’État partie en vertu des articles 1, 2 c) et d) et 3 de la Convention.

4.6L’État partie fait valoir en outre que la notion de « juridiction » aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif doit être considérée dans son acception générale en droit international public. De ce point de vue, la compétence juridictionnelle d’un État est essentiellement territoriale. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que les actes de l’État peuvent produire des effets dans d’autres pays et engager sa responsabilité − il s’agit de « la portée extraterritoriale ». L’État partie considère que le cas à l’examen ne comporte pas de telles circonstances exceptionnelles et que le Danemark ne peut être tenu responsable à raison d’une violation de la Convention qui pourrait être commise par un autre État partie, en dehors du territoire danois et de la juridiction danoise.

4.7L’État partie soutient que la question de la portée extraterritoriale n’a pas été expressément traitée par le Comité dans sa jurisprudence publiée, mais rien dans cette jurisprudence n’indique que les dispositions de la Convention aient une portée extraterritoriale. En revanche, la Cour européenne des droits de l’homme a clairement insisté dans sa jurisprudence sur le caractère exceptionnel de la protection extraterritoriale des droits consacrés par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne).

4.8L’État partie fait également valoir que l’article premier du Protocole facultatif au Pacte prévoit, tout comme le fait mutatis mutandis l’article 2 du Protocole facultatif à la Convention, que le Comité des droits de l’homme peut recevoir des communications émanant d’individus relevant de la juridiction d’un État partie qui affirme être victime d’une violation, commise par le même État partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Le Comité des droits de l’homme a conclu, dans un certain nombre d’affaires, que le renvoi d’un individu par un État partie vers un pays pouvait aboutir à la violation du droit à la vie, consacré par l’article 6 du Pacte, ou du droit de ne pas être soumis à la torture, garanti par l’article 7 du même Pacte. L’État partie fait observer que le Comité des droits de l’homme n’a jamais examiné quant au fond une communication concernant le renvoi d’une personne craignant des violations des droits de l’homme de moindre gravité (par exemple la violation d’un droit susceptible de dérogation) dans l’État de destination.

4.9Selon l’État partie, les orientations pouvant être tirées de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de l’homme indiquent clairement que, sauf circonstances tout à fait exceptionnelles, les étrangers qui sont susceptibles d’expulsion ne peuvent pas se prévaloir du droit de rester sur le territoire d’un État partie pour la seule raison qu’ils y jouiraient d’un droit à la non-discrimination, dont ils seraient privés dans l’État de destination. Par conséquent, le renvoi d’une personne arrivée au Danemark simplement pour échapper à un traitement discriminatoire dans son propre pays, pour condamnable que soit ce traitement, ne saurait constituer une violation de la Convention. Pour les motifs ci-dessus, l’État partie fait valoir que le Danemark ne peut être tenu pour responsable en vertu de la Convention des violations alléguées par la requérante pour étayer sa communication. De ce fait, celle-ci devrait être déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

4.10L’État partie soutient également que la communication de la requérante devrait être déclarée irrecevable au titre de l’article 4 1) du Protocole facultatif, pour non épuisement des recours internes. Il ressort de la jurisprudence du Comité que la requérante aurait dû présenter ses griefs dans le cadre d’une procédure interne avant de les soumettre au Comité. Il relève que les articles de la Convention invoqués par la requérante portent tous sur la discrimination à l’égard des femmes. Or, la requérante n’a jamais allégué avoir été l’objet d’un traitement discriminatoire en tant que femme de la part du Service danois de l’immigration ou de la Commission de recours pour les réfugiés et que, par conséquent, les autorités internes n’ont pas eu l’occasion d’examiner les griefs avancés par la requérante selon lesquels la décision est entachée de discrimination sexiste. Le Comité statuerait alors comme « un tribunal de première instance » et la communication devrait par conséquent être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

4.11L’État partie fait également valoir que, dans sa communication au Comité, la requérante n’a pas indiqué clairement sur quels droits précis consacrés par la Convention elle se fondait, se contentant de renvoyer à l’article premier, à l’article 2 c) et d), et à l’article 3 de la Convention. Le reste de la communication porte sur des violations alléguées du Pacte et non de la Convention. Pour ces motifs, l’État partie soutient que la communication, faute d’être suffisamment étayée, devrait aussi être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

4.12Étant donné que, pour les raisons expliquées aux paragraphes 4.5 à 4.9, le renvoi de la requérante en Ouganda ne saurait engager la responsabilité de l’État partie en vertu de la Convention, il ne pourrait en aucune manière porter atteinte à la Convention.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1En date du 17 février 2012, la requérante a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie relatives à la recevabilité et au fond. Elle a fait valoir que la notion de discrimination sexiste définie à l’article premier de la Convention devait être interprétée dans le contexte des instruments relatifs aux droits de l’homme existants, en veillant toutefois à renforcer la protection accordée aux femmes contre certaines formes particulières de discrimination fondée sur le sexe.

5.2La requérante fait valoir que, dans son sixième rapport périodique au Comité, l’État partie a indiqué que « la condition de ‘dualité d’infraction’ pour mutilations génitales féminines a été supprimée. Il est donc possible maintenant de punir des ressortissants danois aussi bien que des personnes résidant au Danemark qui pratiquent ou aident à pratiquer les mutilations génitales féminines à l’étranger, même si celles-ci ne sont pas jugées criminelles dans le pays où elles sont pratiquées ». Elle ajoute que les mutilations génitales féminines ont donc, depuis mai 2003, un effet extraterritorial au Danemark en vertu de l’article 245 a) du Code pénal.

5.3Rappelant la Recommandation générale no 19 du Comité relative à la violence à l’égard des femmes, la requérante fait observer que nombre de communications pourraient utilement orienter le Comité concernant la présente communication. Elle soutient que les mutilations génitales féminines font peser une menace sur la santé des femmes et que cette question est donc couverte par l’article 12 de la Convention. Elle ajoute que les dispositions pertinentes de la Convention sont l’article premier, l’article 2 c) et f), l’article 5 a), l’article 12 et le paragraphe 1 de l’article 16, ainsi que la Recommandation générale no 19 du Comité, auxquelles viennent s’ajouter les dispositions d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme qui s’appliquent de la même façon aux hommes et aux femmes.

5.4La requérante fait valoir que la question dont est saisi le Comité est celle de savoir si la Convention a une portée extraterritoriale, comme en ont l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants et l’article 7 du Pacte. En d’autres termes, la requérante demande si l’État partie a une « obligation positive » d’offrir une protection efficace du droit à la sécurité de la personne, si la menace contre l’intéressée existe dans un autre pays ou dans son pays d’origine, où une telle protection n’existe pas ? La requérante ajoute que cette question a déjà été soulevée dans plusieurs communications, dans lesquelles les auteurs ont fait valoir que leur expulsion dans leur pays d’origine constituerait une violation de la Convention. Toutes ces communications ayant été déclarées irrecevables pour des motifs autres que la portée extraterritoriale de la Convention, le Comité ne s’est donc jamais prononcé sur cette question. Il a toutefois demandé aux États parties de prendre des mesures conservatoires dans le cadre de plusieurs d’entre elles, ce qui tendrait à indiquer que le Comité estime que de telles mesures peuvent être utilisées dans des cas exceptionnels [d’expulsion], dans lesquels l’intéressée risque de subir la torture ou un traitement inhumain dans le pays de destination.

5.5La requérante appelle l’attention du Comité sur le fait que l’État partie n’a pas incorporé la Convention dans son droit interne, contrairement à ce qu’elle a fait pour la Convention européenne. Elle ajoute que, du fait que l’État partie n’a pas incorporé les instruments relatifs aux droits de l’homme des Nations Unies dans son ordre juridique interne, la plus grande incertitude règne en ce qui concerne le statut juridique de décisions adoptées par les organes conventionnels des droits de l’homme dans le cadre de la procédure des communications individuelles.

5.6En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la présente communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, la requérante soutient que sa communication n’a pas été examinée dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international. Sa première communication a en effet été adressée au Comité des droits de l’homme, mais celle-ci n’a pas été enregistrée comme « communication » officielle, puisqu’elle n’a pas reçu de numéro, et n’a donc jamais été examinée. Par conséquent, la requérante fait valoir que le paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif ne s’applique pas en l’espèce.

5.7En ce qui concerne les arguments avancés par l’État partie quant à la irrecevabilité ratione loci et ratione materiae en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, la requérante réitère sa crainte d’être soumise à des mutilations génitales si elle était expulsée du Danemark et renvoyée en Ouganda, où elle ne pourrait compter sur aucune protection des autorités ougandaises. Elle rappelle l’argument de l’État partie selon lequel il n’a aucune responsabilité en vertu de la Convention en ce qui concerne les violations, y compris les mutilations génitales féminines, qui seraient commises dans un autre pays. En ce qui concerne la jurisprudence du Comité contre la torture et du Comité des droits de l’homme, ainsi que celle de la Cour européenne des droits de l’homme, elle fait valoir, que, au regard du droit international, « dans des circonstances exceptionnelles, […] les actes de l’État partie peuvent produire des effets dans d’autres pays et engager sa responsabilité » (voir plus haut, par. 4.6) et que de telles circonstances sont réunies « si leur effet équivaut à de la torture ou à un traitement inhumain, ainsi qu’à d’autres violations graves des droits de l’homme ».

5.8La requérante soutient que, comme elle craint de subir des mutilations génitales si on la renvoie dans son pays d’origine, le critère des « circonstances exceptionnelles » est satisfait. C’est pourquoi la tentative de l’État partie de réduire sa communication à la question de la discrimination à l’égard des femmes au titre de l’article premier de la Convention, à savoir une forme moindre de violation des droits de l’homme, doit être rejetée par le Comité. Elle ajoute que les mutilations génitales féminines constituent une grave violation des droits de l’homme, assimilable à de la torture et à un traitement inhumain et que la situation est encore aggravée du fait que la loi ougandaise n’offre aucune protection à cet égard. Elle fait également valoir que son argument est étayé par le fait que le Comité a prié l’État partie de prendre des mesures conservatoires dans le cadre de la communication à l’examen.

5.9En outre, le fait que la législation de l’État partie incrimine les mutilations génitales féminines semble, selon la requérante, indiquer qu’il s’agit bien de « circonstances exceptionnelles ». Selon l’article 245 a) du Code pénal, les mutilations génitales féminines sont une forme grave de violence, passible d’une peine pouvant aller jusqu’à six ans de prison. De plus, l’État partie a aussi introduit des sanctions pénales à raison de mutilations génitales féminines perpétrées dans d’autres pays, même lorsque de tels actes sont légaux dans le pays en question. La requérante en conclut que les arguments de l’État partie visant à faire déclarer la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif sont contraires à la législation et à la pratique danoises s’agissant des mutilations génitales féminines.

5.10Quant à l’épuisement des recours internes, la requérante relève que l’État partie n’indique pas que la décision de la Commission de recours pour les réfugiés aurait dû faire l’objet d’un recours devant un tribunal ou toute autre juridiction supérieure au Danemark. Elle soutient avoir soulevé la question de la violence fondée sur le sexe dans le cadre de la procédure relative au droit d’asile, sans que cela n’apparaisse dans la décision de la Commission de recours pour les réfugiés. Or, son conseil a invoqué le grief de la violence fondée sur le sexe dans les observations écrites qu’il a adressées à la Commission de recours pour les réfugiés le 8 février 2009. Il a de nouveau soulevé cette question en citant la Convention lors de l’audition orale de la Commission de recours pour les réfugiés en date du 9 novembre 2009, quoique sans succès, la demande ayant finalement été rejetée. La requérante fait valoir que l’État partie se fonde à tort sur une omission de la Commission de recours pour les réfugiés pour justifier son argument selon lequel elle n’aurait pas épuisé les recours internes.

5.11S’agissant de l’argument de l’État partie concernant l’irrecevabilité en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, la requérante renvoie à la Recommandation générale no 19 du Comité relative à la violence à l’égard des femmes. Elle ajoute que l’État partie lui-même considère que la violence à l’égard des femmes, notamment les mutilations génitales féminines, relève du champ d’application de l’article 12 de la Convention. La requérante fait valoir que l’État partie est parfaitement conscient que les mutilations génitales féminines relèvent du champ d’application de la Convention et invoque une violation de l’article 12 de la Convention, outre les griefs précédents qu’elle a exprimés dans sa communication au Comité.

5.12Enfin, la requérante renvoie à la décision du Comité dans l’affaire N. S. F. c. Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, faisant valoir que la jurisprudence du Comité montre qu’il n’est pas nécessaire d’invoquer des dispositions précises de la Convention et de montrer en quoi la Convention peut avoir été violée pour qu’une communication soit considérée comme recevable.

5.13En date du 12 mars 2012, la requérante a présenté des commentaires supplémentaires sur les observations de l’État partie. En ce qui concerne le raisonnement suivi par la Commission de recours pour les réfugiés (voir plus haut, par. 4.2), elle affirme que ce n’est pas parce que son père n’a pas été en mesure de la faire exciser par le passé qu’il ne voudrait pas le faire s’il parvenait à la retrouver. Elle ajoute que la Commission de recours pour les réfugiés aurait pu lui conseiller de demander la protection des autorités ougandaises mais aucun élément de ce type ne figure dans la décision rendue. Le fait qu’elle soit demeurée au Danemark pendant quatre mois avant d’introduire une demande d’asile n’a rien à voir avec l’évaluation du risque qu’elle encourrait d’être soumise à des mutilations génitales si elle rentrait en Ouganda.

5.14La requérante fait valoir que, bien que la loi portant interdiction des mutilations génitales féminines ait été adoptée en 2010, cette loi ougandaise n’est pas encore suivie d’effet. De ce fait, les mutilations génitales féminines continuent de faire peser une menace bien réelle sur les filles et les femmes en Ouganda. La requérante ajoute que la Commission de recours pour les réfugiés n’a pas mis en question la crédibilité de ces affirmations (voir plus haut, par. 4.2) mais a conclu que, puisque son père n’était jusque là pas parvenu à la faire exciser, il ne pourrait pas le faire par la suite. Elle affirme à cet égard que tout pousse à croire que son père tient toujours à faire valoir son « droit » traditionnel et qu’il le fera s’il la retrouve. Elle fait valoir, par conséquent, que la décision de la Commission de recours pour les réfugiés en date du 9 novembre 2009 était contraire à la Convention et que, même à présent, son expulsion vers l’Ouganda constituerait une violation de la Convention par l’État partie.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1En date du 22 juin 2012, l’État partie a présenté ses observations supplémentaires. En ce qui concerne la suppression de la condition de « dualité d’infraction » pour les mutilations génitales féminines, l’État partie fait valoir qu’elles n’entrent pas en ligne de compte pour évaluer si la Convention a ou non une portée extraterritoriale. Les dispositions de la législation nationale énoncées dans le Code pénal n’ont aucun effet sur l’interprétation de la Convention et le fait qu’elle ne s’applique pas de manière extraterritoriale. La suppression de la condition de « dualité d’infraction » prévue au paragraphe 1 ii) a) de l’article 7 du Code pénal et la criminalisation distincte des mutilations génitales féminines visées à l’article 245 a) du Code pénal ne font que témoigner du souhait des autorités danoises de poursuivre les personnes qui se livrent aux mutilations génitales féminines dans les pays qui autorisent cette pratique. L’État partie ne partage donc pas l’interprétation de la requérante selon laquelle ces modifications impliquent ou indiquent que les mutilations génitales féminines devraient être considérées comme des circonstances exceptionnelles justifiant que l’on accorde un effet extraterritorial à la Convention.

6.2L’État partie ne conteste pas que le fait de soumettre une enfant ou une adulte à des mutilations génitales soit assimilable à de la maltraitance et donc contraire à l’article 3 de la Convention européenne, à l’article 3 de la Convention contre la torture et aux articles 6 et 7 du Pacte. En revanche, la Convention ne traite, ni directement ni indirectement, de l’expulsion susceptible d’entraîner des actes de torture ou d’autres menaces graves pour la vie et la sécurité de la personne. La requérante ne peut donc présenter une communication visant un État partie qu’en rapport avec des violations présumées de la Convention commises par le Danemark ou sous sa juridiction.

6.3L’État partie dit qu’il n’ignore pas que, dans sa Recommandation générale no 19, le Comité a insisté sur le fait que la violence fondée sur le sexe est une forme de discrimination qui compromet ou empêche la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes, dont le droit à la vie, le droit à la sécurité de la personne et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il reste que les États parties n’ont d’obligations qu’à l’égard des individus placés sous leur juridiction et ne peuvent être tenus responsables d’actes de discrimination commis dans un autre pays, et ce, même si la requérante parvenait à établir qu’elle pourrait être victime en Ouganda d’une discrimination visée par la Convention, à savoir d’une forme de violence fondée sur le sexe.

6.4.En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, le fait que le Comité a demandé l’application de mesures urgentes en vertu du paragraphe 1 du même article dans le cadre de la présente communication et d’autres communications ne signifie pas, selon l’État partie, que la Convention ait une portée extraterritoriale.

6.5L’État partie relève que la requérante prétend que, si elle n’a pas soulevé la question de la discrimination fondée sur le sexe dans le cadre de la procédure interne, elle l’a fait plus tard, notamment dans ses observations écrites du 8 février 2009. L’État partie précise toutefois que la seule référence à la Convention que l’on trouve dans ces observations est une brève citation des observations finales du Comité en date du 23 août 2002 sur l’examen du troisième rapport périodique de l’Ouganda. L’État partie maintient, par conséquent, que les recours internes n’ont pas été épuisés.

Commentaires de la requérante sur les observations supplémentaires de l’État partie

7.1En date du 13 juillet 2012, la requérante a présenté au Comité ses commentaires sur les observations supplémentaires de l’État partie. En ce qui concerne la question de l’effet extraterritorial de la Convention, elle fait valoir que la criminalisation des mutilations génitales féminines au Danemark constitue une preuve importante de ce que l’État partie reconnaît son obligation de mettre fin à l’impunité dont jouissent ceux qui les pratiquent partout dans le monde, s’ils relèvent de la juridiction danoise. Pour des femmes placées sous la juridiction danoise, une exigence analogue découle de la Convention : l’État partie doit éviter qu’elles soient renvoyées dans des pays où les mutilations génitales féminines sont pratiquées avec impunité, ce qui est le cas de l’Ouganda.

7.2La requérante relève que l’État partie, tout en reconnaissant que les mutilations génitales féminines peuvent être assimilées à des mauvais traitements visés par d’autres instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme, fait valoir que la Convention « ne traite ni directement ni indirectement de l’expulsion susceptible d’entraîner des actes de torture et d’autres menaces graves pour la vie et la sécurité de la personne ». À cet égard, elle fait observer que c’est là une question d’interprétation de la Convention, qui, en tant que telle, est du ressort du Comité et non de l’État partie. Elle avance qu’il est probable que le Comité conclura que la mission qui lui est conférée par la Convention est d’examiner les violences fondées sur le sexe et qu’il sera donc en mesure de déterminer si certaines formes de violence sexiste peuvent atteindre un niveau de gravité suffisant pour donner une portée extraterritoriale à la Convention. Elle relève également que, bien que l’article 7 du Pacte ne mentionne, ni directement ni indirectement, pas d’expulsion, il donne néanmoins mandat au Comité des droits de l’homme de traiter des communications pourtant sur des cas d’expulsion.

7.3La requérante convient que le fait que le Comité a demandé que des mesures urgentes soient prises n’implique pas qu’il ait statué sur la recevabilité ou le fond de la présente communication. Mais le simple fait qu’il en ait demandé indique qu’il considère qu’il existe des situations dans lesquelles la Convention peut être invoquée pour surseoir à l’expulsion vers le pays d’origine, si les intéressées craignent d’y être victimes d’une violence fondée sur le sexe. La requérante soutient par conséquent que la Convention peut, dans certains cas, avoir une portée extraterritoriale et que la présente communication pourrait donc être déclarée recevable et examinée quant au fond.

7.4S’agissant de l’épuisement des recours internes, la requérante affirme que la Commission des recours pour les réfugiés a mentionné les observations finales que le Comité a formulées le 23 août 2002 dans le cadre de son examen du troisième rapport périodique de l’Ouganda dans sa décision du 17 octobre 2008 et a conclu que « elle ne pouvait, sur la base des informations disponibles, considérer que le cas [de la requérante] était manifestement non fondé ». Elle rappelle que le Service de l’immigration a refusé de lui délivrer un permis de séjour. Elle fait valoir en outre que, dans ses observations écrites du 8 février 2009, son conseil a fait référence aux mêmes observations finales du Comité que la Commission de recours pour les réfugiés, devant laquelle il a aussi argué du fait qu’en cas de renvoi en Ouganda, la requérante ne pourrait se prévaloir de la protection contre les mutilations génitales féminines auxquelles les femmes et les filles ont droit en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la Convention. Il a précisé que les femmes, surtout quand elles sont célibataires, ne bénéficient d’aucune protection juridique en Ouganda et que, si elles veulent porter plainte, elles doivent verser des pots-de-vin à la police.

7.5La requérante fait également valoir que, le 30 octobre 2009, son conseil a fait parvenir des observations supplémentaires à la Commission de recours pour les réfugiés, dans laquelle il renvoyait au rapport unique valant les quatrième, cinquième, sixième et septième rapports périodiques présenté par l’Ouganda au Comité. Selon ce rapport des autorités ougandaises, un projet de loi réprimant les mutilations génitales féminines avait été rédigé et présenté au Parlement, ce qui contredisait l’information reçue du Ministère danois des affaires étrangères, selon laquelle une telle loi existait déjà en Ouganda. Le conseil de la requérante a donc fait valoir que l’expulsion de sa cliente vers l’Ouganda constituerait une violation de la Convention et des « articles 2, 3, 7, 14 et 26 » du Pacte, précisant que sa cliente « risquait d’être victime d’un traitement inhumain parce qu’elle était une femme et que l’État partie ne lui réservait pas le même traitement qu’aux hommes, puisqu’elle n’était pas protégée contre les violations qui ne concernaient que les femmes ». La requérante fait observer que la décision de la Commission des recours pour les réfugiés ne mentionne aucunement les observations supplémentaires du 30 octobre 2009.

7.6La requérante maintient que la Convention a été invoquée devant les autorités danoises compétentes en matière d’asile, et ce, plus d’une fois, mais que la décision de la Commission des recours pour les réfugiés n’en fait nulle mention. Elle fait valoir que la Commission n’a même pas essayé d’expliquer pourquoi elle n’était pas protégée en vertu de la Convention.

Délibérations du Comité concernant la recevabilité

8.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit décider si la communication est recevable ou non en vertu du Protocole facultatif à la Convention. Conformément à l’article 66, il décide d’examiner la question de la recevabilité séparément de celle du fond.

8.2Conformément à l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la question n’a pas été examinée ou ne l’est pas dans le cadre d’une autre procédure de règlement international. Le Comité note à cet égard que la communication de la requérante présentée au titre du Protocole facultatif au relatif aux droits civils et politiques n’a jamais été enregistrée en vue de son examen par le Comité des droits de l’homme.

8.3Le Comité prend note des allégations de la requérante selon lesquelles son expulsion vers l’Ouganda constituerait une violation par le Danemark des articles 1, 2 c) et d), 3 et 12 de la Convention. Il prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, du fait que le Danemark n’a d’obligations en vertu de la Convention qu’à l’égard des individus placés sous sa juridiction et qu’il ne saurait être tenu responsable de violations de la Convention, telles que des actes de violence sexiste, qui pourraient être commises dans un autre État, en dehors de la juridiction et du territoire danois. Le Comité relève en outre que l’État partie se réfère à la notion de « juridiction » en droit public international, faisant valoir que la Convention n’a pas de « portée extraterritoriale » et que, contrairement à d’autres traités relatifs aux droits de l’homme, elle ne traite ni directement ni indirectement de l’expulsion susceptible d’entraîner des actes de torture ou d’autres menaces graves pour la vie et la sécurité de la personne.

8.4Quant à l’argument de la requérante selon lequel la demande de mesures conservatoires formulée par le Comité indiquerait que celui ci a déjà pris position sur l’applicabilité extraterritoriale de la Convention, le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 5 du Protocole additionnel, une telle demande n’implique pas qu’il ait statué sur la recevabilité ou le fond de la communication.

8.5La première question que doit examiner le Comité est donc celle de savoir s’il a compétence au regard de la Convention pour examiner la présente communication, qui implique l’expulsion de la requérante du Danemark à destination de l’Ouganda, où elle affirme qu’elle serait exposée à un risque de mutilation génitale féminine, un traitement interdit par la Convention. Le Comité devrait déterminer si, en expulsant ainsi la requérante vers l’Ouganda, la responsabilité de l’État partie serait engagée au regard de la Convention par rapport aux conséquences de cette expulsion, bien que ces conséquences se produiraient en dehors de son territoire.

8.6En vertu de l’article 2 du Protocole facultatif à la Convention, « des communications peuvent être présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers relevant de la juridiction d’un État Partie, qui affirment être victimes d’une violation par cet État Partie d’un des droits énoncés dans la Convention ». Le Comité rappelle sa Recommandation générale no 28, dans laquelle il affirme que les obligations des États parties s’appliquent sans discrimination aux citoyens et aux non citoyens, y compris les refugiés, les demandeurs d’asile, les travailleurs migrants et les apatrides, qui se trouvent sur leur territoire ou qui, sans y être, sont placés sous leur juridiction effective. Les États parties sont « responsables de tous leurs actes ayant une incidence sur les droits de l’homme, que les personnes touchées soient ou non présentes sur leur territoire ».

8.7Le Comité rappelle que l’article premier de la Convention définit l’expression « discrimination à l’égard de femmes » comme visant « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes (…) des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou dans tout autre domaine ». Le Comité rappelle en outre sa recommandation générale n° 19, qui a précisé clairement que la violence à l’égard des femmes fait partie de la discrimination à leur égard : « La violence fondée sur le sexe est une forme de discrimination, et englobe les actes qui infligent des tourments ou des souffrances d’ordre physique, mental ou sexuel, la menace de tels actes, la contrainte ou autres privations de liberté ». En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel, contrairement aux autres traités relatifs aux droits de l’homme, la Convention ne traite pas, directement ou indirectement, de l’élimination de la torture ou autres menaces graves pour la vie et la sécurité de la personne, le Comité rappelle que, dans la même recommandation, il affirme également qu’une telle violence fondée sur le sexe compromet ou empêche la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes, dont le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne et le droit à l’égalité de protection de la loi.

8.8Le Comité note en outre qu’en vertu du droit international des droits de l’homme, le principe de non refoulement impose aux États l’obligation de ne pas renvoyer une personne vers une juridiction dans laquelle elle peut être confrontée à des violations graves des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le principe de non refoulement constitue aussi une composante essentielle du droit d’asile et de la protection internationale des réfugiés. L’essence de ce principe est qu’un État ne peut obliger une personne à regagner un territoire où elle peut être exposée à la persécution, y compris à des formes et des motifs de persécution liés au sexe. Les formes de persécution liée au sexe sont des formes de persécution dirigées contre une femme parce qu’elle est une femme ou qui affectent les femmes de manière disproportionnée. L’article 3 de la Convention contre la torture contient une disposition explicite relative au non refoulement qui interdit l’expulsion d’une personne vers un pays où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Les obligations au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, telles qu’interprétées par le Comité des droits de l’homme dans sa jurisprudence, incluent également l’obligation pour l’État de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de son territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, comme celui envisagé par les articles 6 [droit à la vie] et 7 [droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants] du Pacte, dans le pays vers lequel la personne sera expulsée ou pourrait l’être ultérieurement.

8.9L’interdiction absolue de la torture, qui fait partie du droit coutumier international, comprend, en tant que composante corollaire essentielle, l’interdiction du refoulement vers un risque de torture, ce qui implique l’interdiction de toute expulsion d’une personne vers un endroit où elle serait exposée à un risque de torture. Il en va de même de l’interdiction de privation arbitraire de la vie. La violence sexiste est interdite par le droit des droits de l’homme au travers, principalement, de l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité contre la torture, dans son Observation générale n° 2, a explicitement situé la violence et la maltraitance sexistes dans le champ d’application de la Convention contre la torture.

8.10En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel rien, dans la jurisprudence du Comité, n’indique que certaines dispositions de la Convention ont un effet extraterritorial, le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 2 alinéa d) de la Convention, les États parties s’engagent à s’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et à faire en sorte que les autorités publiques se conforment à cette obligation. Cette obligation positive inclut l’obligation, pour les États parties, de protéger les femmes contre l’exposition à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le sexe, que ces conséquences aient lieu ou non dans les limites territoriales de l’État partie d’envoi : si un État partie prend une décision concernant une personne qui se trouve dans sa juridiction et que la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne au titre de la Convention seront violés dans une autre juridiction, il se peut que l’État partie lui même agisse en violation de la Convention. Par exemple, un État partie serait lui même coupable de violation de la Convention s’il renvoie une personne dans un autre État dans des circonstances dans lesquelles il est prévisible que des actes de violence sexiste auront lieu. La prévisibilité de la conséquence signifierait qu’il existe une violation actuelle par l’État partie, même si la conséquence ne se produirait qu’ultérieurement. Ce qui constitue des formes graves de violence sexiste dépendra des circonstances de chaque cas et devra être déterminé cas par cas par le Comité au stade de l’examen au fond, à condition que l’auteur ait établi devant le Comité qu’il y avait matière à plainte en étayant suffisamment ces allégations.

8.11En l’espèce, le Comité prend note du fait que la requérante dit craindre que son père ou des membres de sa famille paternelle ne la fassent exciser si elle était renvoyée en Ouganda. Il note encore que, selon les informations fournies par l’intéressée aux autorités danoises compétentes en matière d’asile et dans le contexte de sa communication au Comité, elle n’a plus vu son père depuis l’âge de 9 ans et qu’elle ne sait pas si des sœurs, des parentes ou d’autres femmes ont été excisées. De plus, elle a donné des informations contradictoires concernant son ethnie/clan/tribu en Ouganda et n’a pas fourni, malgré des demandes répétées du Comité (voir par. 2.8 à 2.10), des éléments d’information indépendants pour étayer ses allégations selon lesquelles : a) les femmes appartenant au groupe ethnique/tribu mogishu sont encore excisées en Ouganda; et b) l’excision est pratiquée sur des femmes adultes qui ont déjà donné naissance à des enfants. À supposer même que le nom du clan/de la tribu pourrait avoir été mal orthographié par les autorités danoises compétentes en matière d’asile et que l’ethnie/tribu de la requérante soit effectivement le groupe bagishu, bagisu ou mogisu, elle n’a pas fourni d’éléments de preuve indépendants montrant que les femmes appartenant au groupe ethnique/tribu bagishu, bagisu ou mogisu sont soumises à des mutilations génitales en Ouganda. Dans ce contexte, le Comité note également que la loi sur l’interdiction des mutilations génitales féminines est en vigueur en Ouganda depuis le 9 avril 2010.

8.12Vu les circonstances de l’espèce et en l’absence de toute information pertinente sur le dossier, le Comité estime que la requérante n’a pas suffisamment étayé, aux fins de l’admissibilité, l’affirmation selon laquelle son expulsion du Danemark à destination de l’Ouganda l’exposerait au risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence sexiste. Le Comité relève qu’aux termes du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, il doit déclarer une communication irrecevable si elle n’est pas suffisamment étayée. Par conséquent, le Comité conclut que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

8.13Compte tenu de cette conclusion, Comité décide de ne pas examiner les autres motifs d’irrecevabilité invoqués par l’État partie.

9.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à la requérante.

[Adopté en anglais (version originale), en arabe, en chinois, en espagnol, en français et en russe.]