Nations Unies

CAT/C/63/D/719/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 juin 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 719/2015 * , **

Communication présentée par :

H. A. et G. H. (représentés par un conseil, P. J. Schuller)

Au nom de :

H. A. et G. H.

État partie :

Pays-Bas

Date de la requête :

2 décembre 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

17 mai 2018

Objet :

Risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement) ; prévention de la torture

Question ( s ) de procédure :

Non-épuisement des recours internes

Question ( s ) de fond :

Expulsion des requérants des Pays-Bas vers l’Arménie

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Les requérants sont H. A. et G. H., de nationalité arménienne, nés en 1982 et 1983 respectivement. Ils ont demandé l’asile aux Pays-Bas, mais leur demande a été rejetée deux fois. Ils affirment qu’en les renvoyant en Arménie, les Pays-Bas violeraient l’article 3 de la Convention. Les requérants sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1H. A. était infirmière à l’hôpital Arsen Hayryan Armash, en Arménie. Le directeur de cet hôpital était un proche de Hovik Abrahamyan, alors Président de l’Assemblée nationale. Le 1er mars 2008, il a demandé à H. A. de fournir une assistance médicale à la police et à l’armée lors des manifestations qui ont eu lieu à Erevan au lendemain de l’élection présidentielle. H. A. a reçu l’ordre d’injecter une substance inconnue à plusieurs civils détenus mais elle a refusé et a détruit les ampoules contenant la substance. En représailles, elle a été violemment frappée, retenue à l’hôpital toute la nuit et forcée à remettre son passeport. Le lendemain, des complices de M. Abrahamyan lui ont fait signer trois déclarations contenant des indications fallacieuses sur les manifestations.

2.2Après les événements du 1er mars 2008, des complices de M. Abrahamyan ont rendu visite régulièrement à H. A. et l’ont forcée à mémoriser une déposition de témoin contenant de fausses informations sur Nikol Pashinyan, un membre éminent du Congrès national arménien et partisan de Levon Ter-Petrosyan, un candidat aux élections présidentielles de 2008. H. A. devait faire cette déposition lors du procès de M. Pashinyan qui allait avoir lieu. En mars 2009, des complices de M. Abrahamyan ont retenu H. A. en otage pendant trois semaines dans une maison à Arashat, la battant et la maltraitant régulièrement. Son frère Garik, son compagnon G. H. et deux amis l’ont libérée et elle s’est enfuie en Géorgie. Garik a par la suite été assassiné pour l’avoir libérée. Des complices de M. Abrahamyan ont ensuite harcelé G. H., qui avait parlé à son chef de la situation de H. A. G. H. a été licencié et trois hommes ont fait incursion à son domicile et lui ont dit de faire en sorte que H. A. revienne en Arménie, faute de quoi elle serait traquée parce qu’elle avait protesté et avait connaissance du complot visant à fabriquer à l’encontre M. Pashinyan de fausses preuves à charge concernant des infractions qui auraient été commises en février et mars 2008. Peu de temps après, G. H. s’est enfui en Géorgie où il a rejoint H. A. Ils se sont ensuite rendus ensemble aux Pays-Bas via Kiev. Ils sont arrivés aux Pays-Bas le 28 octobre 2010 et ont demandé l’asile.

2.3Le 1er juin 2011, le Bureau de l’immigration et de la naturalisation a émis une notification d’intention de rejet des demandes d’asile au motif que les requérants n’avaient pas fourni suffisamment de documents d’identité et de voyage. Il n’a pas contesté les événements du 1er mars 2008, y compris le fait que H. A. avait été contrainte de fournir une assistance médicale, frappée et forcée à signer trois déclarations concernant la manifestation. Il a toutefois mis en doute la crédibilité des déclarations des deux requérants concernant leur harcèlement aux mains de complices de M. Abrahamyan, l’identité de ces complices et l’enlèvement de H. A. ainsi que le fait qu’elle avait été contrainte à mémoriser une déposition de témoin. Le 18 juillet 2011, les requérants ont demandé qu’une enquête soit menée et un rapport établi sur les preuves disponibles, mais le 19 juillet 2011 le Bureau de l’immigration et de la naturalisation a rejeté leur demande au motif que leurs documents d’identité et de voyage étaient insuffisants et a donc appliqué à leurs déclarations le strict test de crédibilité.

2.4Les recours des requérants contre cette décision ont été rejetés par le Tribunal régional de La Haye et la Section du contentieux administratif du Conseil d’État les 8 mai et 24 septembre 2012, respectivement. Dans un jugement sommaire non motivé, la Section du contentieux administratif a déclaré leur appel dénué de fondement.

2.5Le 21 juillet 2014, les requérants ont déposé une deuxième demande d’asile sur la base d’un rapport médical de l’Institut néerlandais pour les droits de l’homme et la recherche médicale, qui indiquait que les problèmes de santé et le syndrome de stress post‑traumatique dont souffrait H. A. concordaient avec sa demande d’asile. Ce rapport concluait qu’il était probable que son état de santé l’avait empêchée de faire des déclarations complètes, logiques et cohérentes lors de ses premiers entretiens d’asile. Le 18 août 2014, le Bureau de l’immigration et de la naturalisation a déterminé que le rapport de l’Institut ne constituait pas un fait nouveau et ne pouvait donc pas modifier la décision prise sur la demande initiale. Il a émis une notification d’intention de rejet, en prenant note de nouvelles informations émanant des autorités belges selon lesquelles les deux requérants avaient demandé un visa pour l’Italie à Erevan le 27 septembre 2010 et s’étaient vu accorder des visas à entrée unique. Le 19 août 2014, le Bureau a rejeté la deuxième demande d’asile. Le 10 septembre 2014, les requérants ont formé un recours judiciaire accompagné d’une demande de mesures provisoires de protection. Le 2 octobre 2014, le tribunal de district d’Utrecht a déclaré ce recours sans fondement au motif que le rapport de l’Institut ne pouvait être considéré comme un fait nouveau et qu’aucune raison « juridiquement valide » n’expliquait pourquoi les requérants n’avaient pas présenté ce rapport avant le rejet de leur première demande.

2.6Les requérants affirment qu’un appel devant le Conseil d’État ne constituerait pas un recours effectif, eu égard à la jurisprudence constante de cette juridiction quant à la nécessité pour les demandeurs d’asile de fournir une raison juridiquement valide pour expliquer pourquoi ils n’ont pas joint à leur demande initiale un rapport médical attestant qu’ils avaient subi des actes de torture. Il ressort de cette jurisprudence qu’une demande de rapport à la suite d’une décision initiale négative et l’impossibilité d’obtenir un rapport médical dans les huit jours qui suivent l’examen de la demande initiale ne constituent pas des raisons juridiquement valides. De plus, les requérants font observer qu’interjeter appel ne suspendra pas leur expulsion et soutiennent que dans les cas d’expulsion un recours n’est effectif que s’il a un « effet suspensif de plein droit » sur la procédure d’expulsion.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants affirment qu’en les expulsant vers l’Arménie les Pays-Bas violeraient l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 20 janvier 2016, l’État partie conteste la recevabilité de la requête au motif que les requérants n’ont pas épuisé les recours internes. Il note que le tribunal de district d’Utrecht a rejeté la demande des requérants tendant à obtenir le contrôle juridictionnel de la décision du Bureau de l’immigration et de la naturalisation rejetant leur deuxième demande d’asile et qu’ils n’ont pas fait appel de ce jugement devant la Section du contentieux administratif. Par conséquent, ils n’ont pas épuisé les recours internes disponibles.

4.2L’État partie conteste l’argument selon lequel interjeter appel devant la Section du contentieux administratif aurait été inefficace, au motif que les requérants n’avaient pas fourni de raison juridiquement valable expliquant pourquoi le rapport de l’Institut pour les droits de l’homme et la recherche médicale n’avait pas été soumis lors de la procédure d’asile initiale. L’État partie renvoie à deux affaires dans lesquelles la Section du contentieux administratif a examiné la question de savoir si un rapport médical pouvait justifier la modification d’une décision rendue sur une demande d’asile. Il renvoie également à une affaire dans laquelle la Section du contentieux administratif déclare expressément qu’un rapport médical soumis dans le cadre d’une procédure d’asile antérieure n’avait pas été suffisamment pris en compte lors de l’évaluation du risque de violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Cette jurisprudence démontre que les décisions de la Section du contentieux administratif ne se limitent pas à l’examen de la question de savoir si un rapport médical aurait dû être présenté avec la première demande d’asile et que saisir cette juridiction constitue donc un recours effectif.

4.3L’État partie conteste l’affirmation des requérants selon laquelle un appel ne constituerait pas un recours effectif, dans la mesure où il n’aurait pas d’effet suspensif de plein droit et n’empêcherait pas les autorités néerlandaises de procéder à leur expulsion. Il soutient que les requérants auraient pu demander à la Section du contentieux administratif d’ordonner des mesures provisoires de protection pour empêcher leur expulsion tant que l’appel était pendant. En vertu des articles 8:81 et 8:83, paragraphe 4, de la loi sur le droit administratif général, un juge compétent pour ordonner des mesures provisoires (en appel) doit évaluer le risque de violation de l’article 3 de la Convention en cas de retour du demandeur d’asile dans son pays d’origine et rendre sa décision avant l’expulsion. Par conséquent, les requérants ne sont pas justifiés à conclure qu’interjeter appel devant la juridiction supérieure n’était pas un recours devant être épuisé.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note en date du 26 février 2016, les requérants ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils soutiennent que leur demande d’asile est plausible au regard de l’article 3 de la Convention et font valoir que selon la jurisprudence du Comité, l’application effective de cet article appelle une approche souple des règles de plausibilité.

5.2Les requérants contestent l’argument de l’État partie selon lequel des recours internes permettraient de suspendre leur expulsion. Ils affirment que ni un appel ni une demande de mesures provisoires de protection dans l’attente de la décision en appel n’ont d’effet suspensif de plein droit. Ils invoquent la décision de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle la possibilité de demander la suspension de l’exécution d’une mesure litigieuse dans le cadre d’une procédure en urgence ne constitue pas un recours suffisant, à moins que la procédure ne permette un examen rigoureux des griefs quant au fond. Un tel recours permet en effet l’expulsion sans examen complet des griefs, en violation de l’article 3 de la Convention.

5.3Les requérants réfutent également l’argument de l’État partie selon lequel un appel interjeté devant la Section du contentieux administratif ne serait pas limité à la question procédurale de savoir si un rapport médical présenté postérieurement à la demande d’asile initiale peut être considéré comme un fait nouveau. Ils se réfèrent à deux avis d’experts selon lesquels la Section du contentieux administratif exige qu’une « raison juridiquement valide » justifie la présentation tardive d’un rapport médical. En l’absence de « raison juridiquement valide », l’appel se limitera strictement à la question de savoir si des faits nouveaux ont été présentés, sans examen au fond. En ce qui concerne les trois décisions mentionnées par l’État partie, les requérants soulignent que dans ses décisions du 14 janvier 2011 et du 28 juin 2012, la Section du contentieux administratif a jugé que le demandeur n’avait pas donné de raison juridiquement valide expliquant pourquoi il n’avait pas initialement demandé un rapport médical. Ainsi, ces décisions étayent leurs allégations selon lesquelles un nouvel appel se limiterait à la question de savoir si le rapport médical constitue un fait nouveau. De plus, dans sa décision du 28 décembre 2015, la Section du contentieux administratif a jugé que le rapport médical n’avait pas été suffisamment pris en compte dans l’examen de la violation de l’article 3 à la lumière des faits nouveaux présentés par le demandeur attestant une détérioration de la situation. En soi, le rapport médical n’a pas été considéré comme un fait nouveau justifiant un examen au fond. Les requérants concluent que le fait que l’État partie n’ait cité que trois affaires sur plus de quinze ans de jurisprudence de la Section du contentieux administratif, dont aucune ne démontre que l’examen en appel ne portera pas uniquement sur la pertinence du rapport de l’Institut pour les droits de l’homme et la recherche médicale en tant que fait nouveau, donne à penser qu’un appel supplémentaire n’a pratiquement aucune chance d’aboutir pour ce qui est de l’examen de leurs griefs quant au fond.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note en date du 9 juin 2016, l’État partie donne des informations sur le fond de l’affaire. Après un bref rappel des faits, il décrit la législation interne et la politique applicables en la matière. Se référant à la loi sur les étrangers de 2000, il explique que si un demandeur n’est pas en mesure de présenter les documents de voyage, d’identité ou autres documents requis à l’appui de sa demande d’asile, il en est tenu compte lors de l’examen de cette demande, à moins que l’intéressé ne puisse établir de manière satisfaisante que l’absence de ces documents ne lui est pas imputable. L’État partie souligne toutefois qu’une demande de permis de séjour temporaire ne peut être rejetée au seul motif que l’étranger n’a pas produit de documents ou qu’il a produit des documents faux ou falsifiés. Ce n’est que s’il est établi que ce fait lui est imputable que la crédibilité de ses déclarations est mise en doute. Dans de telles circonstances, la charge de la preuve qu’il incombe à l’intéressé de rapporter pour établir la plausibilité de sa demande d’asile est plus lourde. Il doit fournir toutes les informations, y compris les documents pertinents, qui sont nécessaires pour décider s’il existe des motifs juridiques justifiant l’octroi d’un permis de séjour. Les dispositions légales susmentionnées font donc reposer sur le demandeur d’asile la charge de la preuve pour ce qui est d’établir la validité de son récit et lui donnent la possibilité d’en démontrer la véracité au moyen de déclarations s’il n’est pas en mesure de produire des documents à cette fin.

6.2En ce qui concerne les recours juridiques disponibles, l’État partie fait valoir qu’un étranger peut demander au tribunal de district de La Haye le contrôle juridictionnel d’une décision de rejet de sa demande d’asile. En principe, dans le cas d’une première demande d’asile, l’étranger peut attendre le résultat de sa demande de contrôle aux Pays-Bas. Il peut être interjeté appel des jugements du tribunal de district devant la Section du contentieux administratif. En vertu de l’article 53 de la loi sur le Conseil d’État, celle-ci peut soit confirmer le jugement du tribunal de district, soit l’infirmer dans sa totalité ou en partie. En vertu du paragraphe 2 de l’article 91 de la loi sur les étrangers de 2000, elle peut confirmer le jugement du tribunal de district sans donner de motifs si elle estime que les arguments présentés en appel sont insuffisants pour justifier l’annulation de ce jugement. Contrairement à un étranger qui saisit le tribunal de district dans le cadre de sa première procédure d’asile, un étranger qui présente une nouvelle demande d’asile ou qui a interjeté appel devant la Section du contentieux administratif ne peut, en principe, attendre la décision aux Pays-Bas. Il peut toutefois faire opposition à son expulsion effective des Pays‑Bas, notamment au motif qu’elle serait contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, ou demander à la justice de la suspendre jusqu’à ce qu’il soit statué sur son opposition.

6.3En ce qui concerne l’évaluation des preuves médicales à l’appui de la demande d’asile, l’État partie note que si celles-ci donnent fortement à penser que le traitement inhumain dont le demandeur allègue avoir fait l’objet dans son pays d’origine est la cause des problèmes de santé dont il souffre, les autorités peuvent être tenues de mener une enquête plus approfondie sur ces preuves, ce afin d’éliminer tout doute quant au risque que courrait l’intéressé d’être exposé à un traitement incompatible avec l’article 3 de la Convention s’il était expulsé vers le pays en cause. La question de savoir si les preuves médicales présentées créent une obligation de mener une enquête plus approfondie dépend en premier lieu de la crédibilité du récit du demandeur d’asile concernant le traitement inhumain allégué, compte tenu de la situation générale dans le pays concerné. Toutefois, l’obligation de mener une enquête plus approfondie peut également exister lorsque d’autres parties du récit manquent de crédibilité. En pareil cas, les autorités doivent déterminer si : a) des cicatrices ou blessures importantes sont présentes ; b) les cicatrices correspondent à des déclarations crédibles ; c) des sources générales attestent que les demandeurs d’asile qui rentrent dans leur pays sont examinés à leur retour par les autorités locales pour déterminer s’ils portent des cicatrices ; d) d’autres preuves matérielles étayant l’allégation selon laquelle il existe un risque de violation de l’article 3 de la Convention ont été présentées.

6.4En ce qui concerne les événements survenus en 2008 en Arménie, l’État partie fait valoir que, selon divers rapports de pays et autres sources d’informations générales, le premier tour des élections présidentielles tenu le 19 février 2008 a été remporté par Serzh Sargsyan. Son adversaire, M. Levon Ter-Petrosyan, est arrivé en deuxième position mais a refusé d’accepter les résultats, accusant M. Sargsyan de fraude et exigeant de nouvelles élections. Les partisans de M. Ter-Petrosyan ont organisé des manifestations qui ont rassemblé des milliers de personnes dans les jours qui ont suivi les élections. La police était présente en force dans le centre-ville et l’accès aux bâtiments officiels et aux ambassades était interdit. Dans la matinée du 1er mars 2008, la police a utilisé la force pour faire évacuer la place de la Liberté, l’une des principales places d’Erevan. L’après-midi du même jour, environ 20 000 manifestants se sont rassemblés ailleurs dans le centre d’Erevan pour continuer à manifester. Dans la soirée, la police est de nouveau intervenue, cette fois avec des conséquences plus graves : les heurts entre les manifestants et les forces de sécurité ont causé la mort de 10 personnes et fait beaucoup de blessés. Selon plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, dont Human Rights Watch, la police a fait un usage abusif de la force létale. Par la suite, une centaine de partisans de M. Ter‑Petrosyan ont été arrêtés et emprisonnés, dont de nombreux membres éminents de partis d’opposition qui avaient fait campagne aux niveaux national et local pour M. Ter‑Petrosyan. M. Pashinyan est entré dans la clandestinité après les événements du 1er mars 2008. Il était recherché avec sept autres personnes par les autorités de l’État partie pour diverses infractions. Le 1er juillet 2009, il est sorti de la clandestinité et s’est rendu à la police. Il a été condamné à sept ans d’emprisonnement pour avoir organisé les manifestations de février et mars 2008, puis libéré en 2011 à la faveur d’une amnistie.

6.5L’État partie fait valoir en outre que, bien que la situation des droits de l’homme en Arménie soit préoccupante, compte tenu des informations provenant de diverses sources publiques, il n’y a aucune raison de conclure qu’une expulsion vers l’Arménie comporterait en soi un risque de violation de l’article 3 de la Convention. Les six militants de l’opposition emprisonnés à la suite des troubles de 2008 ont tous été libérés. Le rapport de pays d’avril 2016 du Ministère des affaires étrangères des Pays-Bas révèle un large mécontentement de la population face à la corruption généralisée, aux inégalités sociales et à la mauvaise situation économique en Arménie. D’une manière générale, la population n’a guère confiance dans le Gouvernement, et beaucoup d’Arméniens essayent de trouver un emploi à l’étranger, pour leurs enfants sinon pour eux-mêmes.

6.6L’État partie affirme que chaque demande d’asile présentée par un ressortissant arménien doit être examinée compte tenu des circonstances qui lui sont propres. Il cite des décisions récentes concernant les événements de mars 2008. En particulier, à propos d’un demandeur d’asile arménien qui affirmait avoir eu des problèmes à la suite des troubles de février et mars 2008, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que rien n’indiquait que, plus de cinq ans après les faits, le requérant présenterait un intérêt particulier pour les autorités, qu’il serait arrêté dès son arrivée à Erevan et qu’il serait soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Dans une affaire similaire, le Comité des droits de l’homme a déclaré qu’en ce qui concerne la version des allégations de l’auteur que l’État partie a jugée crédible, la question demeurait de savoir si l’auteur serait exposé à l’avenir à un risque réel d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en Arménie. Le Comité s’est déclaré préoccupé par le fait que les documents appartenant à l’auteur avaient été envoyés par erreur à l’ambassade d’Arménie. Toutefois, étant donné que l’auteur n’avait jamais été politiquement actif, qu’il n’était plus policier et que du temps s’était écoulé depuis l’élection controversée de 2008, le Comité ne pouvait conclure que l’auteur serait exposé à un risque réel de traitement contraire à l’article 7 du Pacte s’il était renvoyé en Arménie.

6.7L’État partie fait valoir que la requête ne précise pas pour quels motifs les requérants estiment désormais que leur retour, compte tenu de la situation politique actuelle en Arménie, les exposerait personnellement et à actuellement à un risque d’être soumis à un traitement incompatible avec l’article 3 de la Convention. Ils ne prétendent pas être toujours recherchés par M. Abrahamyan ou ses hommes ni faire autrement l’objet d’une attention hostile des autorités. Ils n’expliquent pas non plus à quel type de traitement ils craignent d’être soumis à leur retour, ni de la part de qui. L’État partie note que les requérants n’ont pas étayé leurs allégations quant à l’itinéraire qu’ils ont emprunté en fournissant les documents qu’ils ont utilisés pour franchir la frontière ou d’autres preuves, et qu’ils n’ont pas été en mesure de donner des informations détaillées, cohérentes et vérifiables sur cet itinéraire. Puisqu’ils affirment être allés de Géorgie en Ukraine par avion, il n’est pas déraisonnable de supposer qu’il existe des preuves documentaires de ce voyage. L’État partie rejette l’explication des requérants selon laquelle c’est l’intermédiaire qui a organisé leur voyage qui était en possession de leurs passeports et de leurs billets, et considère qu’il n’est pas plausible que deux adultes n’aient pas été tenus de présenter leur passeport au contrôle des frontières à l’aéroport. Les requérants n’ont pas pu dire de quelle ville leur avion avait décollé, quelle compagnie aérienne ils ont utilisée et à quelle heure l’avion a quitté la Géorgie. Pour l’État partie, ces lacunes sapent leur crédibilité. Même si l’on tient compte du fait que H. A. était enceinte et à un stade avancé de sa grossesse au moment du vol, cela n’explique en rien pourquoi G. H. n’a pas été en mesure de fournir des informations aussi élémentaires.

6.8L’État partie fait observer en outre que l’absence de crédibilité des déclarations des requérants concernant l’itinéraire qu’ils auraient emprunté est confirmée par les informations relatives à leurs demandes de visa pour l’Italie, aux fins desquelles ils ont présenté leurs passeports. L’État partie est convaincu que les requérants ont fait des déclarations incorrectes et dissimulé des informations. Lors du deuxième entretien, H. A. a affirmé qu’elle avait été forcée de remettre son passeport le 29 février 2008, et G. H. qu’il avait remis le sien le 28 septembre 2010. Or il a été établi que les requérants ont présenté une demande de visa pour l’Italie à Erevan le 27 septembre 2010 et qu’à ce moment-là ils étaient en possession de leurs passeports. L’État partie ne peut accepter l’explication des requérants, à savoir que cela est impossible puisqu’ils se trouvaient alors en Géorgie et qu’ils ont dû être victimes d’une usurpation d’identité. Étant donné que les requérants ont chacun remis leur passeport à deux ans et demi d’intervalle et à des personnes différentes, il serait remarquable que, par pure coïncidence, ces deux passeports aient été utilisés simultanément pour demander des visas européens. Dans ce contexte, l’État partie tient compte du fait que les visas ont été demandés et accordés très peu de temps (un mois) avant que les requérants ne se présentent au centre de demande d’asile de Ter Apel aux Pays-Bas.

6.9L’État partie note que les explications données par les requérants des raisons pour lesquelles ils ont fui l’Arménie ont été jugées partiellement crédibles. La description des événements qui se sont produits dans la nuit du 29 février au 1er mars 2008 et le fait que H. A. a été contrainte de fournir une assistance médicale pendant les manifestations et qu’elle a refusé d’injecter un liquide qu’elle ne connaissait pas ont tous été jugés crédibles. Par contre, la description des événements ultérieurs, selon laquelle H. A. aurait été enlevée de 25 à 35 fois contre son gré, détenue et maltraitée pour l’obliger à mémoriser son témoignage contre M. Pashinyan, y compris pendant une semaine en mars 2009, n’a pas été jugée crédible. L’État partie note en outre que G. H. n’a eu aucun problème avec les autorités jusqu’à l’incursion du 28 septembre 2010. Il considère que les allégations de G. H. selon lesquelles il aurait été licencié pour avoir parlé à son supérieur de la situation de H. A. et des hommes qui se sont identifiés comme des hommes de M. Abrahamyan auraient fait incursion au domicile de ses parents manquent de crédibilité. L’État partie estime en effet qu’il n’est pas plausible que les autorités arméniennes ou M. Abrahamyan aient encore eu besoin du témoignage de H. A. puisque M. Pashinyan avait déjà été condamné en janvier 2010 (neuf mois avant l’incursion alléguée). Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que les raisons invoquées par les requérants pour expliquer leur départ d’Arménie ne peuvent être considérées comme crédibles. Cette conclusion est renforcée par les informations susmentionnées concernant les demandes de visa pour l’Italie déposées par les requérants en septembre 2010 à Erevan.

6.10En ce qui concerne le rapport de l’Institut néerlandais pour les droits de l’homme et la recherche médicale en date du 15 avril 2014, l’État partie affirme que ce document ne rend pas le récit des requérants pleinement crédible, pas plus qu’il ne justifie une enquête plus approfondie. L’État partie relève que ce que H. A. a déclaré au médecin de l’Institut au sujet des actes de torture qu’elle aurait subis ne correspond pas aux déclarations qu’elle‑même et G. H. ont faites lors des divers entretiens dans le cadre de la première procédure d’asile. Il fait observer qu’il n’est pas certain que les conclusions du rapport médical reposent sur une analyse minutieuse, car les déclarations de H. A. ont été examinées en bloc et leur teneur semble avoir été considérée comme établie. Il n’a pas été démontré que l’Institut avait fondé ses conclusions sur des informations objectives susceptibles d’être corroborées. L’État partie fait par ailleurs observer que le rapport de l’Institut ne concernait pas G. H.

6.11Enfin, l’État partie souligne non seulement qu’un important laps de temps s’est écoulé depuis les événements en question, mais aussi que M. Pashinyan s’est rendu volontairement à la police le 1er juin 2009, et qu’il a été jugé et condamné puis libéré en 2011 à la faveur d’une amnistie générale. Rien ne prouve qu’il ait eu de graves problèmes par la suite, que ce soit avec les autorités ou M. Abrahamyan. De plus, M. Pashinyan est maintenant membre de l’Assemblée nationale. Compte tenu de l’évolution de la situation, et à la lumière des informations indiquant que d’une manière générale les personnes impliquées dans les troubles de février-mars 2008 ne sont plus en danger, il n’y a absolument aucune raison de présumer que les requérants sont susceptibles d’être inquiétés par les autorités ou par M. Abrahamyan et ses partisans.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie sur le fond

7.1Dans une note en date du 22 décembre 2016, le conseil des requérants renvoie à ses commentaires du 26 février 2016 et réaffirme sa position quant à la recevabilité de la requête. Il renvoie également à une décision récente du Conseil d’État, la plus haute instance judiciaire des Pays-Bas en matière d’asile, qui a élargi sa compétence en ce qui concerne l’expulsion de demandeurs d’asile et a demandé au législateur de modifier la loi afin que celle-ci soit conforme à l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme pour ce qui est du droit à un recours effectif.

7.2En ce qui concerne l’existence d’un risque personnel et actuel, le conseil des requérants souligne que, selon le paragraphe 8 de l’observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, les expériences passées de violations des droits de l’homme, en particulier d’actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements, sont à prendre en compte pour établir l’existence d’un risque réel. Le conseil fait valoir que l’approche du Comité est différente de celle adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire S  c.  France ; par conséquent, les arguments de l’État partie à ce sujet ne sont pas pertinents en l’espèce. Il fait en outre valoir que l’État partie estimant crédible que H. A. a été maltraitée parce qu’elle a refusé d’injecter à des personnes une substance inconnue, cette expérience passée de torture ou de mauvais traitement donne clairement à penser qu’elle risque d’être torturée à son retour en Arménie.

7.3Le conseil fait aussi remarquer qu’à compter du 1er janvier 2015, la procédure d’évaluation de la crédibilité des demandeurs d’asile a été substantiellement modifiée dans un souci d’harmonisation avec la législation de l’Union européenne. Depuis cette date, la crédibilité n’est plus évaluée sur la base du test de crédibilité dit positif, qui supposait une lourde charge de la preuve dès le départ, mais dans le cadre d’une évaluation approfondie. Désormais, toutes les circonstances pertinentes de l’affaire sont examinées et évaluées. Dans le cadre de cette nouvelle politique, les autorités compétentes sont, dans chaque cas, tenues de montrer en quoi les éléments qui ont une incidence négative sur le récit fait par le demandeur d’asile influent sur l’évaluation de sa crédibilité. Cette démarche est particulièrement importante pour l’examen des deuxièmes demandes d’asile, qui pouvaient auparavant être rejetées sur la base de l’ancien test. Une deuxième demande d’asile présentant de nouveaux faits et circonstances devrait être considérée comme reposant sur un ensemble de faits différent et comme indépendante de la première demande. Les autorités compétentes ne peuvent donc se contenter de renvoyer aux conclusions concernant celle-ci.

7.4Le conseil des requérants rappelle en outre que la situation des droits de l’homme dans le pays d’origine est un facteur qui doit être pris en compte. Or les informations sur le pays d’origine émanant de diverses sources continuent de montrer que la corruption aux niveaux les plus élevés demeure un problème en Arménie. Les lanceurs d’alerte ne sont pas protégés, et des organisations de lutte contre la corruption ont signalé que les agents de l’État ignoraient systématiquement les allégations de corruption. Dans ce contexte, il est particulièrement important de se souvenir que M. Abrahamyan est toujours le vice‑président du Parti républicain d’Arménie et que, jusqu’à récemment, il était Premier Ministre. Il est considéré comme une personne très puissante et extrêmement influente qui ne craint pas d’utiliser ses pouvoirs pour atteindre ses objectifs. Les pouvoirs dont il dispose et les informations préjudiciables détenues par H. A. font courir aux requérants un risque personnel et actuel de traitement incompatible avec l’article 3 de la Convention.

7.5Le conseil fait valoir que les requérants ont donné une explication plausible et logique de ce qu’ils ont fait après les événements de février et mars 2008. Conformément à la jurisprudence constante du Comité, les autorités sont tenues de vérifier les faits, qui sont suffisamment détaillés. Le conseil affirme que l’État partie n’a pas vérifié les faits relatés dans la demande d’asile, alors même que les requérants ont fourni des indications claires sur les risques invoqués et des informations sur les personnes dont ils craignaient des représailles. L’absence d’un examen rigoureux de la demande d’asile est d’autant plus inacceptable que certains des faits ont été reconnus par les parties concernées.

7.6En ce qui concerne les preuves médicales, le conseil note que l’État partie n’a pas tenu compte du rapport de l’Institut néerlandais pour les droits de l’homme et la recherche médicale en date du 15 avril 2014 lorsqu’il a évalué la crédibilité des demandes d’asile des requérants. Il renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a estimé qu’examiner de manière excessivement restrictive s’il existait de nouveaux éléments dans la deuxième demande d’asile ne pouvait être considéré comme l’examen attentif et rigoureux requis pour assurer une protection effective contre le risque de violation de l’article 3. Le conseil prend note de la conclusion de l’Institut selon laquelle des problèmes mentaux expliquent les incohérences dans le récit qu’a fait H. A. et dans le détail de ses souvenirs de la torture et de la détention, ainsi que le fait qu’elle n’ait mentionné que tardivement les violences sexuelles, une forme de torture particulièrement humiliante. La recherche scientifique montre que le souvenir qu’ont les victimes de torture de leurs expériences douloureuses et traumatisantes s’améliore et gagne en précision au fil des entretiens. Le rapport de l’Institut indique que H. A. a été interrogée vingt-trois jours seulement après la naissance de son fils, un événement qui peut avoir affecté sa concentration et sa mémoire.

7.7Compte tenu des explications qui précèdent concernant certains éléments essentiels des aspects médicaux de la présente affaire, le conseil des requérants fait valoir que les arguments de l’État partie ne sont pas défendables. Le seul fait que certaines parties du récit fait dans le cadre de la demande d’asile ont été jugées crédibles, associé à l’absence d’examen rigoureux de la part des autorités de l’État partie et à l’état de santé mentale de H. A. tel que décrit dans le rapport de l’Institut, devrait amener à conclure qu’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risqueraient d’être torturés s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Dans une note en date du 4 mai 2017, l’État partie a soumis des observations complémentaires sur la recevabilité et le fond de l’affaire. Il réaffirme que la requête est irrecevable parce que les requérants n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles. Les requérants avaient la possibilité de se pourvoir devant la Section du contentieux administratif du Conseil d’État en demandant à celle-ci d’ordonner des mesures provisoires de protection pour empêcher leur expulsion tant que leur appel était pendant. L’État partie ne pense pas comme les requérants qu’un appel devant la Section du contentieux administratif, parce qu’il n’aurait pas d’effet suspensif de plein droit, ne constitue pas un recours qui doit être épuisé. Bien qu’il n’y ait pas d’obligation légale de suspendre l’expulsion tant qu’un appel est pendant devant la Section du contentieux administratif, la jurisprudence de celle-ci montre que, lorsqu’un étranger demande une mesure conservatoire pour empêcher son expulsion, il n’est pas expulsé tant que le président de la Section n’a pas statué sur cette demande. Un appel devant la Section du contentieux administratif est donc un recours interne par lequel un étranger qui risque d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en cas d’expulsion peut effectivement obtenir satisfaction.

8.2L’État partie affirme en outre que la jurisprudence de la Section du contentieux administratif montre que le Ministre de l’immigration, de l’intégration et de l’asile a l’obligation d’informer adéquatement et en temps utile la personne concernée de son intention de procéder à son expulsion afin de lui ouvrir un recours juridique effectif. Cela implique que, si le Ministre sait qu’un étranger est assisté par un représentant autorisé, il doit, en application de l’article 2:1 de la loi sur le droit administratif général, informer ce représentant de cette intention, y compris de la date et l’heure de l’expulsion, et ce, en temps voulu pour lui permettre de demander une mesure provisoire s’il le souhaite. Dans un tel cas, le Président de la Section du contentieux administratif a amplement la possibilité d’examiner la demande avec le soin requis. Dans l’affaire ECLI:NL:RVS:2012:BW0628, la Section du contentieux administratif a jugé qu’en procédant à l’expulsion d’un étranger sans avoir préalablement informé celui-ci de son intention d’exécuter la mesure, le Ministre avait privé l’intéressé de la possibilité d’exercer un recours juridique effectif. Cela a amené le Président de la Section du contentieux administratif à prendre une mesure conservatoire en ordonnant que l’étranger soit ramené aux Pays-Bas dans les soixante-douze heures. Il existe donc un système complet qui garantit que, tant qu’un appel est pendant devant la Section du contentieux administratif, une demande de mesure conservatoire aura de plein droit un effet suspensif jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie estime que la communication est irrecevable.

8.3L’État partie affirme que les requérants n’ont pas démontré de manière satisfaisante que les autorités arméniennes ou M. Abrahamyan s’intéressent ou, de fait, se soient jamais intéressés à eux personnellement. Les parties du récit des requérants qui sont considérées comme crédibles sont insuffisantes pour permettre de conclure qu’ils courraient un risque réel d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en Arménie. Même si leur récit était jugé crédible dans son intégralité, l’État partie estime que les requérants ne risqueraient plus d’être inquiétés par les autorités arméniennes ou par M. Abrahamyan et ses partisans à leur retour.

Commentaires des requérants sur les observations complémentaires de l’État partie

9.1Dans une note en date du 4 mai 2018, le conseil des requérants a soumis des commentaires complémentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête. En ce qui concerne la recevabilité, le conseil renvoie une nouvelle fois à l’arrêt Salah Sheekh c. Pays-Bas rendu par la Cour européenne des droits de l’homme et fait valoir qu’outre qu’un appel devant la Section du contentieux administratif n’a pas d’effet suspensif de plein droit, un tel appel est ineffectif et n’a « pratiquement aucune chance d’aboutir » en raison des obstacles procéduraux rigoureux applicables aux demandes d’asile ultérieures. Ces obstacles procéduraux sont constitués par : a) le refus constant de la Section du contentieux administratif de tenir compte des rapports de l’Institut néerlandais pour les droits de l’homme et la recherche médicale et ; b) le refus de la Section de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles concernant « la condition de culpabilité » s’agissant des demandes subséquentes de protection internationale.

9.2En ce qui concerne les mesures provisoires de protection, le conseil note qu’avant que le Conseil d’État rende son arrêt du 20 décembre 2016, l’État partie ne prenait pas de mesures provisoires de protection, ou du moins n’en prenait pas souvent, lorsque les contraintes procédurales propres à une deuxième procédure d’asile faisaient obstacle à la formulation de prétentions potentiellement valides. Comme les requérants ont présenté leur demande en 2015, il est peu probable que des mesures provisoires de protection auraient été ordonnées.

9.3En ce qui concerne l’évaluation du récit fait par les requérants à l’appui de leur demande d’asile, le conseil fait de nouveau valoir que l’État partie n’a pas enquêté comme il convenait sur les demandes de visa frauduleusement présentées comme émanant des requérants. Il souligne de plus que le stress, les traumatismes et la grossesse de H. A. expliquent raisonnablement pourquoi en Géorgie, les requérants, qui ne parlent que l’arménien, n’ont pas pu lire les panneaux en alphabet cyrillique et n’ont donc pu répondre aux questions qui leur ont été posées sur l’itinéraire qu’ils ont emprunté.

9.4Enfin, en ce qui concerne les preuves médicales produites par les requérants, à savoir le rapport de l’Institut, le conseil souligne que l’État partie a refusé de faire procéder à une contre-expertise sur le contenu de ce rapport, ce qui signifie que, alors que les requérants ont fait des déclarations (partiellement) crédibles et produit de solides preuves pour étayer leur crainte d’être torturés, l’État partie n’a pas procédé à un examen rigoureux des raisons pour lesquelles ils demandaient l’asile. Pour le conseil, les événements politiques actuels en Arménie, notamment la surenchère entre, d’une part, M. Abrahamyan et son Parti républicain d’Arménie et, d’autre part, M. Pashinyan, qui essaie de devenir premier ministre, ne fait qu’accroître la vulnérabilité des requérants. Étant donné l’augmentation des tensions entre le Parti républicain d’Arménie et M. Pashinyan, tout témoignage que pourra donner H. A. pour ou contre ce dernier amènera M. Abrahamyan à vouloir la contrôler ou l’intimider. Ainsi, étant donné les épreuves qu’elle a subies par le passé et compte tenu de la situation actuelle, force est de conclure qu’il existe toujours de sérieuses raisons de croire que H. A. court un risque réel d’être torturée si elle est renvoyée en Arménie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce l’État partie fait valoir que les requérants n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles parce qu’ils n’ont pas interjeté appel de la décision du Bureau de l’immigration et de la naturalisation devant la Section du contentieux administratif du Conseil d’État. Les requérants avaient la possibilité de se pourvoir devant ladite Section et de demander une mesure conservatoire pour empêcher leur expulsion tant que leur appel était pendant. Le Comité prend note des arguments des requérants qui font valoir qu’un appel n’a pas d’effet suspensif de plein droit, que l’État partie n’a pu citer que trois affaires sur plus de quinze ans de jurisprudence de la Section du contentieux administratif, dont aucune ne démontre que l’appel conduirait à examiner d’autres questions que celle de savoir si le rapport de l’Institut doit être considéré comme un fait nouveau, et qu’un appel supplémentaire n’a pratiquement aucune chance d’aboutir à un examen sur le fond. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la jurisprudence de la Section du contentieux administratif montre que, lorsqu’un étranger demande une mesure conservatoire pour empêcher son expulsion, il n’est pas expulsé tant que le Président de la Section n’a pas statué sur cette demande.

10.3Le Comité considère que de simples doutes sur l’efficacité d’un recours ne dispensent pas le requérant de l’épuiser. Il conclut que les requérants n’ont pas soumis suffisamment d’éléments pour démontrer qu’un appel devant la Section du contentieux administratif, accompagné d’une demande de mesures provisoires propre à empêcher leur expulsion tant que leur appel était pendant, aurait été ineffectif en l’espèce et qu’ils ne se sont pas justifiés de n’avoir pas exercé ce recours.

10.4Le Comité estime donc que, ainsi que l’affirme l’État partie, les requérants disposaient en l’espèce de recours effectifs qu’ils n’ont pas épuisés. Compte tenu de cette conclusion, il considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement.

11.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la requête est irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée aux requérants et à l’État partie.