Nations Unies

CAT/C/63/D/731/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

23 août 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 731/2016 * , **

Communication p résentée par :

X

Au nom de :

X, son épouse et leurs deux enfants mineurs

État partie :

Norvège

Date de la requête :

29 février 2016 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

4 mai 2018

Objet :

Transfert du requérant en France en application du Règlement de Dublin

Questions de procédure :

Recevabilité − épuisement des recours internes ; recevabilité − requête manifestement dénuée de fondement

Questions de fond :

Non-refoulement ; statut de réfugié ; torture

Article(s) de la Convention :

2 et 22

1.1Le requérant et les membres de sa famille sont ressortissants du Congo. Au moment de la soumission de la présente communication, leur demande d’asile en Norvège avait été rejetée et ils étaient sur le point d’être transférés en France dans le cadre du Règlement de Dublin. Le requérant affirme que leur expulsion constituerait une violation par la Norvège des articles 2 et 22 de la Convention.

1.2Le 16 mars 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a rejeté la demande de mesures provisoires présentée par le requérant. L’État partie a transféré le requérant et sa famille en France le 21 mars 2016.

1.3Le 27 juillet 2016, à la suite d’une demande formulée par l’État partie le 13 mai 2016, le Comité a décidé d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le requérant est M. X, de nationalité congolaise, né en 1982. Il présente la requête en son nom et au nom de son épouse, née en 1987, de leur fille, née en 2009 et de leur fils, né en 2012.

2.2Le requérant affirme qu’il était, depuis 2008, un membre actif du parti d’opposition, l’Union panafricaine pour la démocratie sociale, et qu’il était chargé de coordonner les activités de plaidoyer en faveur des jeunes dans la région de Kouilou (Pointe-Noire), au Congo. Le 17 octobre 2015, il a mobilisé activement des jeunes pour qu’ils participent, à Pointe‑Noire, à une manifestation organisée par une coalition de partis d’opposition (le Front républicain pour le respect de l’ordre constitutionnel et l’alternance démocratique) contre des modifications constitutionnelles proposées par les autorités congolaises. La police a violemment dispersé les manifestants et en a tué de nombreux. Le 28 octobre 2015, des militaires ont arrêté le requérant et son épouse. L’épouse du requérant a été libérée le lendemain, mais le requérant est resté en détention jusqu’au 29 octobre 2015 et n’a été remis en liberté qu’après qu’un ami a versé un pot-de-vin à un haut fonctionnaire. Le requérant affirme qu’il a été régulièrement torturé pendant sa détention. Après la remise en liberté du requérant, son ami a aidé le requérant et sa famille à obtenir des visas pour la France. Le requérant a donné de fausses identités aux autorités consulaires françaises pour éviter que lui et sa famille soient arrêtés par la police secrète avant le départ.

2.3Le 17 décembre 2015, le requérant et sa famille sont arrivés en Norvège, où ils ont demandé l’asile, sans passer par la France. Le 20 février 2016, la Direction norvégienne de l’immigration a rejeté leurs demandes et décidé que les membres de la famille devaient être transférés en France en application du Règlement de Dublin, parce que la France leur avait accordé des visas d’entrée. La France a accepté d’accueillir le requérant et sa famille. La demande de sursis au transfert soumise par le requérant au Tribunal de l’immigration a été rejetée le 1er mars 2016.

2.4Le requérant affirme que, s’ils sont transférés en France, sa famille et lui-même pourraient être remis aux autorités congolaises en raison des liens politiques étroits qui existent entre les deux pays. Il affirme également que de nombreux dirigeants de l’opposition congolaise ont été empoisonnés ou seraient morts en France et qu’il ne serait pas en sécurité dans ce pays. Il a demandé que la demande d’asile concernant ses enfants soit traitée en Norvège puisque leurs empreintes digitales n’avaient pas été relevées par les autorités françaises. Les autorités norvégiennes ont toutefois décidé qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants d’être transférés en France avec leurs parents.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que son transfert en France constituerait une violation des droits que sa famille et lui-même tiennent des articles 2 et 22 de la Convention étant donné qu’ils pourraient être expulsés vers le Congo ou que leur vie pourrait être en danger en France.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 13 mai 2016, l’État partie a soumis ses observations et affirmé que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 22 de la Convention pour les motifs suivants : elle constitue un abus du droit de soumettre une communication et/ou elle est manifestement dénuée de fondement, elle est incompatible avec les dispositions de la Convention et le requérant n’a pas épuisé les recours internes disponibles et utiles.

4.2L’État partie invoque trois motifs pour lesquels il considère que la communication est manifestement dénuée de fondement et constitue un abus du droit de soumettre une communication au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention. Premièrement, depuis le transfert en France du requérant et de sa famille le 21 mars 2016, il n’y a plus lieu de demander au Comité de rendre une décision. Deuxièmement, le requérant n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve concernant l’allégation selon laquelle les responsables de l’opposition congolaise ne sont pas en sécurité en France et l’allégation selon laquelle, s’il était transféré en France, il est probable qu’il serait remis aux autorités congolaises. Troisièmement, l’État partie ne voit aucune raison de croire que la France ne respecterait pas ses obligations internationales, y compris celles qui découlent de la Convention.

4.3L’État partie ajoute que la communication est incompatible avec les dispositions de la Convention au regard du paragraphe 2 de l’article 22 et au regard de l’article 113 c) du règlement intérieur du Comité. L’État partie n’est responsable que des actes ou des omissions commis sous sa juridiction. Les allégations du requérant concernant la France devraient être dirigées contre la France et non contre la Norvège.

4.4L’État partie affirme que le requérant n’a pas rempli les conditions énoncées au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention parce qu’il n’a pas introduit de recours contre la décision des autorités administratives devant les tribunaux nationaux. Le requérant aurait pu faire appel de la décision rendue le 1er mars 2016 par la Commission des recours en matière d’immigration, qui a refusé de surseoir à son transfert en France ; il aurait aussi pu demander l’invalidation de ladite décision. Il aurait pu faire appel de la décision de la Direction norvégienne de l’immigration en date du 20 février 2016, relative au transfert en France de lui-même et de sa famille (en instance devant la Commission des recours en matière d’immigration au moment où l’État partie a soumis ses observations) et contester ensuite l’issue de cet appel, s’il y avait lieu. Il aurait aussi pu saisir les tribunaux d’une plainte pour violation des droits qu’il tient de la Convention.

4.5En conséquence, l’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.Le 18 juillet 2016, le requérant a informé le Comité que sa famille et lui-même avaient déposé une demande d’asile en France après leur transfert de Norvège. L’issue de la procédure d’asile n’est pas encore connue. Le requérant conteste le fait que sa communication constitue un abus de procédure et qu’elle est manifestement dénuée de fondement. Il fait observer que les allégations formulées dans sa lettre initiale demeurent valables. Il demande au Comité de faire observer à l’État partie qu’il devrait accepter la demande d’asile que sa famille et lui-même ont présentée, en raison du danger de mort qu’il court en France et de la probabilité de son expulsion vers le Congo.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de la faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé toutes les voies de recours internes disponibles.

6.3Le Comité tient compte des observations de l’État partie selon lesquelles le requérant n’a pas porté devant les tribunaux nationaux les questions dont il a saisi le Comité dans le cadre de la présente communication. Il note que, selon l’État partie, le requérant aurait en particulier pu contester la décision de la Commission des recours en matière d’immigration en date du 1er mars 2016, par laquelle la Commission a refusé de surseoir au transfert en France ; il aurait aussi pu demander l’invalidation de cette décision et il aurait pu faire appel de la décision de la Direction norvégienne de l’immigration, en date du 20 février 2016, relative à son transfert et à celui de sa famille en France, puis contester l’issue de cet appel. Le Comité note que le requérant ne réfute pas ces observations et n’a pas démenti le fait qu’il n’avait pas fait appel des décisions administratives devant les tribunaux. Il n’a pas non plus formulé de commentaires sur ce point ni mis en évidence de motifs pour lesquels les recours internes seraient inefficaces. Dans ces circonstances, et compte tenu des dispositions de son observation générale no 4 (2017), relative à l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22 (par. 31, 34 et 35), le Comité déclare la présente communication irrecevable au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.