Nations Unies

CAT/C/63/D/767/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

7 août 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 767/2016 * , **

Communication présentée par:

U. A. (représenté par un conseil, Rajwinder S. Bhambi)

Au nom de:

U. A.

État partie:

Canada

Date de la requête :

16 août 2016 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

17 mai 2018

Objet:

Expulsion du requérant du Canada vers le Pakistan

Question ( s ) de procédure:

Griefs non étayés ; non-épuisement des recours internes ; incompatibilité avec la Convention

Question ( s ) de fond:

Risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement)

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est U. A., de nationalité pakistanaise, né en 1987. Il affirme que son expulsion vers le Pakistan constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 17 août 2016, en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers le Pakistan tant que la communication serait à l’examen.

1.3À la même date, le Comité a informé le requérant que la demande de mesures provisoires serait automatiquement levée s’il n’apportait pas davantage d’éléments montrant le risque auquel il serait exposé en cas de renvoi au Pakistan, notamment des preuves concernant les accusations de blasphème portées contre lui, avant le 17 octobre 2016.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, un musulman chiite, entretenait une relation avec une jeune fille sunnite, N. Sa demande en mariage a été rejetée par la famille de cette jeune fille parce qu’il était issu d’une caste chiite inférieure. Le requérant et la jeune fille ont été avertis que, s’ils ne mettaient pas un terme à cette relation, ils s’exposaient à des conséquences fatales. Ils ont été surpris ensemble le 24 avril 2010. Le requérant a été violemment battu par des amis de la famille de la jeune fille, qui étaient aussi membres des Taliban. Le requérant affirme que, bien que les Taliban soient un groupe terroriste interdit au Pakistan, Lashkar‑e‑Taiba, un groupe qui lui est étroitement lié, agit en toute impunité et a fait le serment de le tuer, ainsi que sa famille. Après l’agression, le requérant a fui la région. De plus, en 2010, des membres de Lashkar-e-Taiba ont tué son cousin.

2.2Depuis le départ du requérant, la famille de celui-ci a été continuellement menacée et agressée par le groupe. Elle a essayé de signaler ces agressions à la police, mais celle‑ci n’a pris aucune mesure. Le requérant considère que cette absence de mesures montre que la police cautionne les attaques des sunnites contre la minorité chiite et il affirme qu’il ne serait pas protégé par les autorités s’il était renvoyé au Pakistan. Depuis qu’il est parti, sa famille est contrainte de se cacher de la police et des terroristes, qui les recherchent en permanence, lui et sa famille. Il fournit trois déclarations sous serment déchirées confirmant ses dires, écrites par ses parents, un ami et un voisin.

2.3Le requérant affirme qu’en tant que chiite, il a été déclaré kâfir (infidèle) par les sunnites et qu’il pourrait par conséquent être condamné à mort ou à l’emprisonnement à vie en vertu des lois pakistanaises sur le blasphème. À l’appui de cette affirmation, il cite des versets du Coran dans lesquels il est préconisé de tuer les kâfirs et cite aussi des religieux sunnites qui ont prononcé une fatwa contre les kâfirs.

2.4Le 10 mai 2010, le requérant a déménagé à Lahore pour échapper au danger. En juillet 2010, il est parti en République islamique d’Iran pour sa sécurité. Le 27 décembre 2010, il a reçu un visa d’études pour le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, mais n’a pas demandé le statut de réfugié parce qu’il a été averti que s’il le faisait il perdrait son visa d’étudiant et parce que le Royaume-Uni n’était « pas très bienveillant » avec les réfugiés venant du Pakistan. Il est arrivé au Canada le 24 février 2013 et a demandé le statut de réfugié immédiatement, à l’aéroport.

2.5Le 9 juillet 2016, la police a fait une descente au domicile du requérant au Pakistan et a dit aux voisins que le requérant et sa famille devaient se présenter au poste de police car ils étaient accusés de blasphème. Le requérant affirme que la police a aussi apposé sur son domicile une affiche indiquant que sa famille et lui-même étaient « recherchés ». Il soutient qu’il court par conséquent aussi le risque d’être torturé par les autorités en raison des allégations de blasphème le concernant et mentionne diverses sources qui confirment qu’il est courant que le droit de la personne à la liberté de parole et de religion soit violé au Pakistan au moyen d’accusations de blasphème. Il renvoie en particulier à un rapport du Département d’État des États-Unis d’Amérique dans lequel il est souligné que les capacités et la volonté limitées du Gouvernement pour ce qui est d’enquêter sur les attaques commises contre les minorités religieuses ou de poursuivre les auteurs de tels actes contribuent à la persistance d’un climat d’impunité et que des informations font état en permanence de violences commises par les forces de l’ordre contre les membres de minorités religieuses et contre les personnes placées en détention pour blasphème. Il est indiqué dans le rapport qu’au moment de sa rédaction, 17 personnes au moins attendaient d’être exécutées pour blasphème et au moins 20 autres purgeaient une peine de prison à vie. Le requérant ajoute que son statut de demandeur d’asile débouté lui fait courir un risque de torture et de détention arbitraire. Il cite notamment un rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada dans lequel il est souligné que des demandeurs d’asile déboutés qui avaient été détenus pour infraction à la législation relative à l’immigration ont été arrêtés à leur arrivée par les agents de l’immigration pakistanais.

2.6Le 15octobre 2013, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande de statut de réfugié présentée par l’auteur. Le 20 mars 2014, la Section d’appel des réfugiés a rejeté le recours déposé par l’auteur contre cette décision. Le 24 juillet 2014, la Section d’appel des réfugiés a rejeté sa demande de réouverture de la procédure de recours. Le 12 novembre 2014, la Cour fédérale a refusé sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire. Le 29 décembre 2015, sa demande d’examen des risques avant renvoi a été rejetée. La demande de protection pour considérations d’ordre humanitaire est toujourspendante mais n’a pas d’effet suspensif. Le22 juillet 2016, l’Agence des services frontaliers du Canada a fait savoir au requérant par téléphone qu’il devrait quitter volontairement le Canada avant le 19 août 2016. Le 10 août 2016, l’Agence a rejeté la demande de sursis au renvoi déposée par le requérant ; celui-ci devait par conséquent être renvoyé de force du Canada le 19 août 2016.

2.7Le requérant a demandé au Comité d’adresser à l’État partie une demande de mesures provisoires, afin qu’il ne soit pas renvoyé au Pakistan tant que la communication serait à l’examen.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son expulsion vers le Pakistan l’exposerait au risque d’être soumis à la torture ou d’être tué par Lashkar-e-Taiba ou par la famille de sa petite amie, en violation de l’article 3 de la Convention. Il ajoute qu’il ne peut pas compter sur la protection des autorités pakistanaises et qu’il court aussi un risque de torture et de détention arbitraire en raison des accusations de blasphème et de son statut de demandeur d’asile débouté.

3.2Le requérant soutient que le risque susmentionné existera où qu’il se trouve au Pakistan et qu’il n’existe par conséquent dans son cas aucune possibilité de trouver refuge dans le pays.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 17février 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. L’État partie affirme que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles qui auraient pu lui permettre de rester au Canada. En particulier, il n’a pas demandé à la Cour fédérale l’autorisation de solliciter un contrôle judiciaire des décisions négatives du 29 décembre 2015, concernant sa demande d’examen des risques avant renvoi, et du 10 août 2016, concernant la demande de sursis administratif au renvoi qu’il avait présentée à l’Agence des services frontaliers du Canada. Sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire est toujours pendante. Ils’agit de recours internes utiles qui doivent avoir été épuisés avant de soumettre une communication. Le requérant pouvait aussi demander un deuxième examen des risques avant renvoi depuis le 29 décembre 2016.

4.2L’État partie affirme que la communication n’entre pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention, puisque le requérant craint d’être persécuté par des acteurs non étatiques, c’est-à-dire par la famille de son ex-petite amie et par les membres de Lashkar-e-Taiba, une entité non étatique interdite par le Gouvernement pakistanais. Aucun élément ne prouve que des agents de l’État aient été de quelque manière que ce soit impliqués dans l’agression présumée du requérant par des membres de Lashkar-e-Taiba en 2010 ou aient approuvé cette agression.

4.3Le requérant n’a pas montré, même à première vue, qu’il court un risque réel, prévisible et personnel d’être soumis à la torture au Pakistan, même si la situation en matière de droits de l’homme dans le pays pourrait être qualifiée de problématique. Aucun élément ne prouve qu’il a été ou qu’il sera soumis à la torture par des agents de l’État ou par une personne agissant à titre officiel, ou que l’État du Pakistan a consenti ou consentirait à un tel traitement ou a approuvé ou approuverait ce traitement. Les allégations du requérant qui affirme que sa famille et lui-même sont recherchés pour blasphème ou qu’il a été déclaré kâfir ne sont pas étayées. Il n’a fourni aucun élément, que ce soit aux autorités nationales ou au Comité, prouvant qu’une action pénale a été intentée contre lui ou que la police enquête sur lui. S’agissant du fait qu’il ait été déclaré kâfir, il ne précise pas qui a fait cette déclaration ni de quand elle date et ne fournit aucun document à ce sujet.

4.4L’État partie fait observer que le risque que court le requérant a été soigneusement évalué par les autorités nationales. Le 4 juin 2013, la Section de la protection des réfugiés a examiné l’affaire du requérant, qui demandait une protection au titre des articles 96 et 97 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, affirmant qu’il craignait d’être persécuté en raison de sa religion. Le 15 octobre 2013, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande de protection du requérant, estimant qu’il ne courait pas un risque personnel de persécution ou de peine ou traitement cruel et inhabituel et que sa vie n’était pas en danger. La Section de la protection des réfugiés a fondé sa décision sur le fait que le requérant n’était pas crédible car il n’avait pas apporté suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de ses allégations. Le 20 mars 2014, la Section d’appel des réfugiés a rejeté le recours du requérant au motif qu’il n’avait pas respecté les délais fixés et n’avait pas fourni de documents supplémentaires. Le 12 novembre 2014, la Cour fédérale a rejeté sa demande d’autorisation de recourir contre la décision de la Section d’appel des réfugiés car, pour que l’autorisation puisse lui être accordée, le requérant aurait dû démontrer qu’il présentait un « cas raisonnablement défendable » ou « une question importante à trancher ».

4.5La demande d’examen des risques avant renvoi présentée par le requérant a aussi été rejetée, le 29 décembre 2015, après un examen attentif des informations soumises par le requérant etde rapports sur le Pakistan. L’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a jugé que le requérant n’avait présenté que peu d’éléments pour montrer qu’il courait le risque d’être persécuté ou qu’il risquait personnellement, dans le futur, d’être torturé, de voir sa vie menacée ou d’être soumis à une peine ou à un traitement cruel et inhabituel par la famille de son ex-petite amie ou en raison de sa religion. Pour les mêmes motifs, l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi n’a pas estimé nécessaire de déterminer si le requérant pouvait attendre une protection de l’État ou s’il existait une possibilité de trouver refuge à l’intérieur du pays. Le requérant n’a pas saisi la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l’examen des risques avant renvoi.

4.6L’Agence des services frontaliers du Canada a rejeté le 10 août 2016 la demande de sursis au renvoi présentée par le requérant, après avoir examiné la demande et apprécié la totalité des documents soumis. L’État partie explique que les demandeurs qui affirment disposer d’éléments nouveaux montrant l’existence d’un risque personnel peuvent solliciter auprès d’un agent de renvoi de l’Agence des services frontaliers du Canada un sursis administratif au renvoi. En ce qui concerne la pratique de la Cour d’appel fédérale, l’État partie souligne que l’agent de renvoi de l’Agence des services frontaliers du Canada doit surseoir au renvoi dans le cas où la procédure de renvoi exposerait l’intéressé au risque d’être tué ou d’être soumis à une sanction extrême ou à un traitement inhumain. Le  requérant n’a pas non plus sollicité de contrôle judiciaire de la décision de l’Agence des services frontaliers du Canada auprès de la Cour fédérale.

4.7L’État partie souligne que, lorsque le contrôle judiciaire a une issue favorable, un réexamen de la décision contestée est ordonné. Il renvoie aux constatations adoptées par le Comité dans plusieurs communications qui montrent que, dans l’État partie, le contrôle judiciaire n’est pas qu’une simple formalité et peut comprendre un examen de l’affaire au fond. L’État partie évoque des constatations récentes du Comité, dans lequel celui-ci a jugé que, dans l’État partie, un contrôle judiciaire ne permettait pas et ne devrait pas permettre un réexamen au fond de décisions d’expulsions d’individus qui courent un risque important de torture. L’État partie n’accepte pas qu’il soit dit que son système national de contrôle judiciaire, en particulier sa Cour fédérale, n’offre pas de recours utile contre une décision de renvoi lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire que les requérants sont exposés à un risque important. Il affirme que le système actuel prévoit au contraire un examen au fond lorsque la question se pose de savoir : si l’agent appelé à se prononcer sur la demande a agi dans les limites de sa compétence ; si les principes relatifs à l’équité de la procédure ont été respectés ; si une erreur de fait a été commise ; et si le responsable a fait une erreur de droit. En pareil cas, la Cour fédérale réexamine forcément les allégations du demandeur selon lesquelles celui-ci risquerait d’être torturé s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Lorsque la Cour fédérale constate qu’une erreur de droit a été commise ou lorsqu’elle conclut à une mauvaise appréciation des faits, elle accorde au demandeur une autorisation de contrôle judiciaire et a compétence pour annuler la décision rendue et renvoyer la demande devant un autre agent, qui sera chargé de la réexaminer conformément aux instructions que la Cour jugera bon de lui donner. La Cour fédérale n’hésite pas à intervenir si elle considère que la décision contestée résulte d’une erreur. L’État partie affirme en outre que les décisions rendues à l’issue du contrôle judiciaire, lesquelles reposent sur le principe de l’attitude raisonnable, sont conformes à l’approche adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme qui a estimé que, s’il reposait sur ce principe, le contrôle judiciaire satisfaisait à l’obligation d’assurer un recours utile. La procédure de contrôle judiciaire constitue donc une voie de recours qui doit être épuisée aux fins de la recevabilité et le requérant n’a pas expliqué pourquoi il ne l’avait pas épuisée.

4.8Dans l’éventualité où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie fait valoir que les griefs du requérant sont dépourvus de fondement. Le requérant n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants et crédibles montrant qu’il court un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture par des agents de l’État ou par des personnes agissant à titre officiel, en cas de renvoi au Pakistan.

4.9L’État partie ajoute que, selon les éléments de preuve dont il dispose, le requérant pourrait bénéficier de la protection de l’État et aurait la possibilité de trouver refuge dans une autre région du Pakistan. Bien que l’on ne sache pas vraiment où a eu lieu l’agression présumée d’avril 2010, le requérant semble affirmer que le risque éventuel proviendrait de Lashkar-e-Taiba à Lahore, sa ville d’origine, et dans les environs.

4.10L’État partie demande au Comité de lever les mesures provisoires concernant le requérant car celui-ci n’a pas établi qu’il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé au Pakistan. Sa communication est incompatible avec la Convention puisque les actes qui auraient été commis contre lui dans le passé et qui pourraient être commis dans le futur n’ont pas été le fait d’agents de l’État et ne sont donc pas constitutifs de « torture » au sens de l’article premier de la Convention. En outre, les autorités de l’État partie ont estimé qu’il bénéficierait de la protection de l’État et aurait la possibilité de trouver refuge dans une autre région du Pakistan, ce qui lui permettrait de vivre sans courir de grave danger.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1En réponse à la demande du Comité, qui avait prié le requérant d’établir le risque qu’il courrait en cas de renvoi au Pakistan, le conseil du requérant a indiqué, en date du 3 novembre 2016, qu’aucune action pour blasphème n’avait été intentée contre le requérant au Pakistan et que « la police harcelait seulement sa famille, accusant faussement le requérant de blasphème et disant qu’elle allait prendre des mesures contre lui ». Aucune autre information à ce sujet n’a été fournie par le requérant, malgré des demandes expresses.

5.2Le 5mai 2017, le requérant a commenté les observations de l’État partie et demandé que les mesures provisoires soient maintenues et que le Comité examine la communicationsur le fond. Il affirme que, s’il était renvoyé au Pakistan, il courrait un risque sérieux d’être tué ou torturé par les terroristes et les extrémistes sunnites (Lashkar-e-Taiba), la police et la famille de sa petite amie ; un risque sérieux d’être arrêté et placé en détention sur la base d’accusations mensongères, comme le blasphème ; et un risque sérieux d’être enlevé, tué, décapité ou lapidé par Lashkar-e-Taiba. Le requérant affirme qu’il a été agressé et que son cousin a été tué par Lashkar-e-Taibaet que sa famille a reçu des menaces de ce groupe. Ilexplique que le Gouvernementsoutient les organisations terroristes sunnites telles que Lashkar-e-Taibaet est impliqué dans des meurtres et des persécutions visant les minorités. Iln’a pas bénéficié de la protection des autoritésdans le passé et ne bénéficiera d’aucune protection à l’avenir. Les autoritésn’ont ni la volonté ni la capacité d’enquêter sur les attaques perpétrées contre les minorités religieuses ou de poursuivre les auteurs de tels actes.

5.3Le requérant soutient qu’il n’a pas de possibilité de trouver refuge où que ce soit au Pakistan parce que les terroristes sunnites opèrent dans tout le pays et sont à sa recherche.

5.4Il ajoute que la situation des minorités au Pakistan se dégrade et que, chaque jour, on signale des meurtres de chiites commis par Lashkar-e-Taiba. Les autorités canadiennes ont recommandé d’éviter tout voyage non essentiel au Pakistan.

5.5Par conséquent, le requérant affirme qu’il a établi à première vue qu’il avait été victime de torture dans le passé et qu’il est exposé à un risque sérieux, personnel, réel et actuel d’être soumis à la torture à l’avenir. Il ajoute que le rejet d’éléments de preuve pertinents par les autorités canadiennes équivaut à un déni de justice.

5.6Le requérant souligne qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles. Il a choisi de ne pas exercer les recours énumérés par l’État partie parce qu’ils sont onéreux et inefficaces et qu’il est peu probable qu’ils lui donnent satisfaction, les chances de succès étant très minces. En outre, ces voies de recours n’ont pas d’effet suspensif sur le renvoi. L’État partie n’offre pas de recours effectifs qui permettraient de remédier aux erreurs et de prévenir les violations du droit international.

5.7En outre, le requérant s’est marié à une résidente permanente au Canada le 12 septembre 2016 et celle-ci l’a parrainé dans le cadre d’une demande de résidence permanente présentée le 26 septembre 2016 ; toutefois, l’acte de parrainage en soi ne permet pas de surseoir à son renvoi ; il faut que la demande soit acceptée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si celle-ci est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que l’intéressé a épuisé tous les recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donnent satisfaction.

6.3Le comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que la requête devrait être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, au motif que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles puisqu’il n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision négative rendue au sujet de l’examen des risques avant renvoi et de celle rendue par l’Agence des services frontaliers du Canada et vu que sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire est pendante. Le Comité prend aussi note de l’observation de l’État partie selon laquelle le requérant n’a pas demandé un deuxième examen des risques avant renvoi, ce qu’il avait pourtant la possibilité de faire depuis le 29 décembre 2016.

6.4Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’une demande pour considérations d’ordre humanitaire n’est pas un recours utile aux fins de la recevabilité au sens du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, compte tenu de sa nature discrétionnaire et non judiciaire et du fait qu’il ne permet pas de surseoir au renvoi d’un requérant. En conséquence, le Comité ne juge pas nécessaire que le requérant ait épuisé la procédure de demande pour considérations d’ordre humanitaire aux fins de la recevabilité.

6.5En ce qui concerne le fait que le requérant n’a pas demandé d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision relative à l’examen des risques avant renvoi et de celle rendue par l’Agence des services frontaliers du Canada, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que, dans le cadre du contrôle judiciaire de ce type de décisions, la Cour s’attache notamment à déterminer si une erreur de fait ou de droit a été commise, que cette procédure de contrôle constitue un recours utile, qu’elle comprend un examen au fond et que, dans la pratique, la Cour ordonne le réexamen des décisions contestées pour les motifs susdits. Le Comité prend également note de l’argument du requérant qui dit qu’il n’a pas demandé de contrôle judiciaire des décisions contestées car, dans tous les cas, ces recours sont onéreux et inefficaces et il est peu probable qu’ils lui donnent satisfaction et que, par conséquent, la communication devrait être déclarée recevable conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22.

6.6Le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort que le contrôle judiciaire dans l’État partie n’est pas qu’une simple formalité et que la Cour fédérale peut procéder à un examen au fond si cela se justifie. Le Comité estime que de simples doutes quant à l’utilité d’un recours ne dispensent pas de l’obligation de s’en prévaloir. Dans ces circonstances, il conclut que le requérant n’a pas produit suffisamment d’éléments de nature à démontrer que le contrôle judiciaire des décisions négatives concernant l’examen des risques avant renvoi et la demande de sursis administratif au renvoi n’aurait eu aucune chance d’aboutir en l’espèce et n’a pas donné d’explication susceptible de justifier le fait qu’il ne s’est pas prévalu cette possibilité.

6.7Par conséquent, le Comité estime, comme l’État partie, qu’en l’espèce le requérant disposait de recours utiles qu’il n’a pas épuisés. Compte tenu de cette conclusion, il considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication est irrecevable parce qu’elle est incompatible avec la Convention ou manifestement dénuée de fondement.

6.8En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.