Nations Unies

CAT/C/63/D/637/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

26 juin 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 637/2014 * , **

Communication présentée par :

Danil Gabdulkhakov (non représenté par un conseil)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Fédération de Russie

Date de la requête :

25 juillet 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

17 mai 2018

Objet :

Actes de torture infligés par des policiers ; absence d’enquête diligente et impartiale ; utilisation devant les tribunaux d’aveux obtenus par la contrainte

Questions de procédure :

Recevabilité − griefs non étayés ; examen devant une autre instance internationale

Questions de fond :

Torture ; enquête diligente et impartiale ; aveux obtenus par la contrainte

Article(s) de la Convention :

1, 2, 4, 12, 13, 15 et 16

1.Le requérant est DanilGabdulkhakov, de nationalité russe et d’origine bachkire, né en 1982. Il affirme que la Fédération de Russie a violé les droits qu’il tient des articles 2, 4, 12, 13, 15 et 16 de la Convention. Le requérant n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1 Le 22 septembre 2007, le requérant, sa femme et deux amis ont été arrêtés parce qu’ils étaient soupçonnés, entre autres, de préparer une attaque terroriste, de faire partie d’un groupe armé illégal et d’avoir assassiné des policiers. Au cours de l’arrestation, il a été ordonné au requérant et aux trois autres personnes de se dévêtir. L’arrestation a été filmée et l’enregistrement diffusé à la télévision quelques jours plus tard. Dans le véhicule de police qui faisait route vers le Département des affaires intérieures de Ponomarevka, dans l’Orenbourg, le requérant, qui était menotté, a été frappé par les policiers, forcé à s’asseoir dans une position douloureuse et menacé de mort et de violences sexuelles et de voir sa femme subir le même sort. Les proches du requérant n’ont pas été informés de son arrestation. Sa mère a appris qu’il avait été arrêté en regardant un programme télévisé diffusé les 24 ou 25 septembre 2007.

2.2 Plus tard dans la journée du 22 septembre 2007, dans le centre de détention temporaire du Département des affaires intérieures de Ponomarevka, le requérant a été frappé à coups de matraque en caoutchouc et a reçu des coups de bottes. Il affirme avoir eu des côtes cassées car il a ressenti une vive douleur et avait mal quand il respirait. Lorsque les coups ont cessé, il est resté étendu sur le sol froid environ deux heures, nu, les mains liées dans le dos, forcé de garder le menton relevé. Le même jour, il a passé une visite médicale, au cours de laquelle la présence de nombreuses ecchymoses sur tout son corps a été constatée. Après la visite, le requérant, toujours nu, a été interrogé et de nouveau frappé.

2.3 Le 25 septembre 2007, le requérant a été transféré au commissariat municipal d’Oufa pour interrogatoire. Il a été constamment roué de coups durant son transfert, qui a duré entre trois et quatre heures. On lui a mis un sac sur la tête pour l’empêcher de respirer normalement. Il avait pour seul vêtement un pantalon léger et souffrait du froid. Les policiers ont arrêté le véhicule à plusieurs reprises, forcé le requérant à se mettre à genoux et braqué un pistolet sur sa tête pour le forcer à s’avouer coupable de crimes.

2.4 Pendant sa détention dans les locaux de détention temporaire du commissariat municipal d’Oufa, le requérant a fait l’objet de violences quotidiennes. Il a également été frappé et torturé lors de transports intervenus les 28 septembre et 2 octobre 2007. Au cours d’un interrogatoire, les policiers lui ont frappé la tête contre la table et son nez s’est mis à saigner. Il a été contraint d’écrire une note dans laquelle il déclarait s’être accidentellement cogné le nez dans sa cellule.

2.5Le 2 octobre 2007, le requérant a été placé dans une cellule ne mesurant qu’un demi-mètre carré. Il a perdu connaissance, et les policiers ont appelé une ambulance. On lui a diagnostiqué une hypertension artérielle, une affection dont il n’avait jusque-là jamais souffert. Le requérant a reçu des soins d’urgence, après quoi il est resté dans la cellule jusqu’au lendemain. Il n’a reçu ni nourriture ni eau et n’a pas pu aller aux toilettes.

2.6 Le 4 octobre 2007, le requérant a été transféré au centre de détention provisoire (SIZO) no 1 à Oufa. Le même jour, il a passé une visite médicale au cours de laquelle seule une dermabrasion au nez a été constatée. Le requérant affirme que ses codétenus le battaient systématiquement dans le but de le forcer à s’avouer coupable. Il a essayé de se suicider en s’ouvrant les veines. Il a, à de nombreuses reprises, été placé à l’isolement pendant plusieurs jours, sans nourriture ni accès à des sanitaires.

2.7 Du 9 au 16 novembre 2007, le requérant a une nouvelle fois été transféré au centre de détention temporaire du commissariat municipal d’Oufa. Soumis en permanence à des violences et des pressions psychologiques, le requérant s’est avoué coupable à six reprises entre le 22 septembre et le 11 décembre 2007. Un avocat commis d’office était présent lors des interrogatoires mais n’a pas réagi aux coups portés au requérant ni n’a assisté celui-ci.

2.8Le 21 janvier 2011, à l’issue d’un procès avec jury devant la Cour suprême de la République de Bachkirie, le requérant a été déclaré coupable de plusieurs crimes et condamné à la réclusion à perpétuité. À l’audience, le requérant et ses avocats ont maintes fois fait état des actes de torture et de l’extorsion d’aveux dont le requérant avait fait l’objet pendant sa détention provisoire, mais le président de la Cour n’a pas autorisé le jury à en tenir compte. En revanche, toutes les déclarations que le requérant avait faites pendant l’instruction ont été portées à la connaissance du jury. Le requérant a saisi la Cour suprême de la Fédération de Russie d’un recours en annulation, qui a été rejeté le 31 juillet 2012. En novembre 2013, le requérant a saisi la Cour suprême de la Fédération de Russie dans le cadre de la procédure de contrôle, mais sa requête a été rejetée le 29 novembre 2013.

2.9Le 26 octobre 2007, le service des enquêtes d’Oufa a reçu du centre de détention provisoire no 1 des informations sur les blessures du requérant. Après enquête, il a décidé le 5 novembre 2007 de ne pas engager de poursuites pénales. Cette décision a été prise après que le requérant eut lui-même demandé la clôture de l’enquête dans une note dans laquelle il indiquait s’être cogné le nez par accident contre le lit de sa cellule. La décision du 5 novembre 2007 a été annulée par un enquêteur de rang supérieur le 22 octobre 2012 et renvoyée pour complément d’enquête. À une date non précisée, le requérant a fait appel de la décision du service des enquêtes du 5 novembre 2007 devant le Tribunal du district Oktiabrsky d’Oufa. Le 23 octobre 2012, le Tribunal a rejeté cet appel au motif que la décision en question avait déjà été annulée par l’enquêteur de rang supérieur. Le 31 janvier 2013, la Cour suprême de la République de Bachkirie a confirmé la décision du Tribunal du district Oktiabrsky. Le 5 août 2013 et le 26 février 2014, les recours en annulation formés par le requérant ont été rejetés par la Cour suprême de la République de Bachkirie et la Cour suprême de la Fédération de Russie, respectivement.

2.10D’autres décisions de ne pas engager de poursuites pénales ont été rendues par le service des enquêtes d’Oufa les 1er novembre 2012, 25 août 2013, 25 septembre 2013 et 19 décembre 2013. Toutes ont été annulées par des enquêteurs de rang supérieur et renvoyées pour complément d’enquête, respectivement, s’agissant des trois premières, le 15 août 2013, le 15 septembre 2013 et le 19 novembre 2013. Le 29 août 2013, le Tribunal du district Oktiabrsky a également rejeté l’appel formé par le requérant contre la décision du procureur en date du 1er novembre 2012 de ne pas engager de poursuites pénales. L’appel du requérant a été rejeté par la Cour suprême de la République de Bachkirie le 18 décembre 2013.

2.11Les 30 janvier et 22 juillet 2013, le requérant a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Les 26 septembre 2013 et 23 janvier 2014, respectivement, la Cour européenne des droits de l’homme, statuant en formation de juge unique, a déclaré la requête irrecevable en vertu des articles 34 et 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme).

2.12 Le 24 février 2015, le requérant a prié le Comité de demander à l’État partie de prendre des mesures provisoires de protection afin d’empêcher son transfert au centre pénitentiaire no 18, où sont incarcérées les personnes condamnées à la réclusion à perpétuité, qui est situé dans le village de Kharp, dans la région autonome de Yamalo Nenets. D’après le requérant, il était de notoriété publique que dans cet établissement, les prisonniers étaient torturés et poussés au suicide s’ils ne coopéraient pas avec l’administration en fournissant de faux témoignages dans des enquêtes criminelles ou en s’avouant coupables de crimes non élucidés. Le requérant a également affirmé, sans donner de précisions, que lui-même et sa famille subissaient des pressions visant à l’inciter à retirer la requête dont il avait saisi le Comité. Le 24 mars 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de veiller à ce que le requérant, sa famille, les témoins et les représentants du requérant ne subissent pas de représailles pour avoir soumis la requête et à ce qu’ils bénéficient d’une protection pendant l’examen de celle-ci par le Comité.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il a été torturé et soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants pendant plusieurs mois, en violation de l’article 2 de la Convention.

3.2Il affirme également que l’État partie n’a pas procédé immédiatement à une enquête impartiale sur les actes de torture allégués, en violation de l’article 12 de la Convention.

3.3 Il affirme en outre que toutes ses tentatives pour obtenir que des poursuites pénales soient engagées ont été infructueuses et que les aveux qu’il avait faits sous la contrainte ont été admis comme preuves par les tribunaux, en violation des articles 13 et 15 de la Convention.

3.4 Le requérant soutient que l’État partie non seulement n’a pas empêché qu’il soit torturé, mais a même encouragé un tel traitement en diffusant sur une chaîne de télévision nationale l’enregistrement vidéo de son arrestation, qui montre le requérant et sa femme nus et donne d’eux une image dégradante, en violation des articles 4 et 16 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note en date du 10 mars 2015, l’État partie a fait observer que la requête devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention parce que le requérant avait déjà saisi la Cour européenne des droits de l’homme des mêmes faits (requêtes nos 10236/13 et 52225/13).

4.2L’État partie ajoute que le requérant a été détenu une première fois dans le centre de détention provisoire no 1 d’Oufa du 4 octobre 2007 au 15 septembre 2012, et qu’il y a été placé de nouveau le 27 juin 2013 et y était toujours incarcéré à la date à laquelle l’État partie a fait part de ses observations au Comité. Pendant ces périodes, le requérant a été détenu dans des conditions et reçu des soins médicaux conformes aux normes établies par la législation nationale. Le requérant n’a pas fait l’objet de mesures coercitives, de mesures spéciales ou de sanctions disciplinaires pendant sa détention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une note en date du 5 août 2015, le requérant a fait savoir au Comité que la Cour européenne des droits de l’homme avait déclaré ses requêtes irrecevables pour des motifs procéduraux, sans les examiner au fond. Sa requête devait donc être déclarée recevable au regard du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention.

5.2Le requérant fait valoir que sa lettre initiale au Comité concernait les mauvais traitements auxquels la police l’avait soumis pour lui extorquer des aveux au stade de l’enquête pénale, et que les observations de l’État partie sur ses conditions de détention au centre de détention provisoire no 1 sont donc dénuées de pertinence en l’espèce.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note en date du 22 juin 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de l’affaire. Il rappelle que le requérant a été arrêté le 22 septembre 2007 à 7 heures sur les lieux d’un crime. Il n’a pas protesté lors de son arrestation. Il a été fouillé en présence de deux témoins et a signé le procès-verbal d’arrestation sans faire d’objections ou de remarques. Ses parents ont été dûment informés de son arrestation. Il ressort du procès-verbal d’arrestation qu’il y a eu un échange de tirs entre les suspects et la police, et le requérant pourrait avoir été blessé pendant son arrestation.

6.2Le requérant a passé une visite médicale le 22 septembre 2007 au Département des affaires intérieures de Ponomarevka en présence de deux témoins. Les lésions suivantes ont été constatées à cette occasion : une ecchymose bleu-violacée de 3 x 2 cm sur la paupière inférieure de l’œil gauche ; une dermabrasion de 1 cm2 de couleur brunâtre à la base et de forme indéfinie sur la partie gauche du front, et des ecchymoses bleu-violacé mesurant entre 3 x 2 cm et 25 x 10 cm dans le dos à la hauteur de la poitrine, dans le tiers médian de l’épaule gauche, dans le tiers médian de la cuisse gauche et sur le pied gauche.

6.3Le 22 septembre 2007, le requérant a été interrogé en qualité de suspect en présence d’un avocat, N. Il a déclaré qu’il y avait eu un échange de tirs au moment de son arrestation et qu’il avait blessé un policier à la jambe. Le requérant comme son avocat ont signé le procès-verbal d’arrestation sans faire d’observations ni d’objections. Le 23 septembre 2007, le requérant a été interrogé en tant qu’accusé, en présence du même avocat. Il a fait une déclaration similaire et a signé le procès-verbal sans formuler d’objections.

6.4Le requérant a confirmé ses déclarations le 11 décembre 2007, lorsque les chefs d’accusation finalement retenus lui ont été signifiés. Son avocat et lui-même ont de nouveau signé le procès-verbal sans formuler d’objections.

6.5Les pièces du dossier pénal montrent que ni le requérant ni ses représentants n’ont fait état de violences et d’actes de torture avant février 2009. Le 11 février 2009, les parents des accusés ont saisi la Cour suprême de la République de Bachkirie d’une requête demandant que les déclarations des coaccusés, y compris celles du requérant, soient déclarées inadmissibles au motif qu’elles avaient été obtenues par la torture au moment de leur arrestation et pendant leur détention. Des requêtes similaires ont été faites auprès d’autres autorités en avril 2009. Le requérant n’a formulé aucune plainte à cet égard pendant l’instruction.

6.6Le 13 avril 2009, en l’absence du jury, les accusés ont été interrogés sur leurs allégations de torture. Ils ont refusé de répondre aux questions du procureur. Le tribunal a conclu que le requérant avait été blessé par les policiers lorsde son arrestation en raison de la résistance armée que lui-même et ses coaccusés avaient opposée à la police. Le tribunal a décidé d’admettre comme preuves les premières déclarations que le requérant avait faites lors de l’instruction.

6.7 D’après la réponse datée du 3 avril 2009 adressée par le bureau du Procureur de la République de Bachkirie à la mère du requérant, c’est pour des raisons de sécurité, afin de garantir la sécurité des policiers et de prévenir le risque d’un attentat terroriste, que le requérant et ses coaccusés avaientreçu l’ordre de se déshabillerlors de leur arrestation. Leurs vêtements avaient été saisis comme pièces à conviction et les intéressés avaient reçu des vêtements de rechange. Il est indiqué dans l’inventaire des effets personnels établi au Département des affaires intérieures de Ponomarevka que le requérant portait des chaussettes et un caleçon. Le requérant n’a pas formulé de grief concernant le fait qu’on l’aurait laissé sans vêtement. D’après le procès-verbal des tests de dépistage de drogue et d’alcool réalisés peu après l’arrestation, les vêtements du requérant étaient en désordre mais il n’est pas attesté qu’il ait été nu.

6.8Au vu de ce qui précède, l’État partie nie toute violation des droits du requérant.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1 Dans une note en date du 30 septembre 2017, le requérant a indiqué que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, il a été arrêté pendant la nuit, et non à 7 heures le 22 septembre 2007. Sa mère n’en a pas été informée et a appris son arrestation en regardant la télévision. Le jury n’a pas confirmé qu’il y ait eu un échange de tirs entre les personnes visées par l’arrestation et la police. Le requérant et les trois autres personnes n’ont pas opposé de résistance lors de leur arrestation. Le rapport médical du 22 septembre 2007 confirme totalement les allégations du requérant selon lesquelles il a été battu, mais il ne fait état que des lésions apparentes et non des lésions internes, à savoir les contusions, les côtes cassées et les lésions rénales et ligamentaires. Comme le confirment les enregistrements vidéo, l’avocat présent lors des interrogatoires n’a fourni ni aide ni conseils au requérant.

7.2Selon le requérant, l’affirmation de l’État partie selon laquelle il ne s’est plaint qu’en février 2009 d’avoir été frappé et torturé est inexacte, puisqu’une série d’enquêtes ont été menées à partir de 2007. En outre, lors de l’instruction, le requérant était sous le contrôle des policiers et n’était pas en mesure de soumettre une plainte. Il a également signé les procès-verbaux alors qu’il était totalement sous le contrôle des policiers. C’est pourquoi ça n’est qu’au procès qu’il a formulé une plainte circonstanciée, exposant en détail comment il avait été maltraité.

7.3Lors du procès, les accusés ont refusé de répondre aux questions du procureur, dont l’intérêt était de démontrer leur culpabilité. Les accusés souhaitaient informer le jury des tortures qu’ils avaient subies et répondre aux questions des jurés, mais le président du tribunal ne les y a pas autorisés. Les déclarations initiales du requérant ont été jugées admissibles par le président du tribunal, mais non par le jury, dont les membres ne savaient pas comment elles avaient été obtenues.

7.4Comme le confirme l’enregistrement vidéo de l’arrestation, qui a été diffusé à la télévision, après son arrestation le requérant était nu. Il a peu à peu reçu des vêtements une fois dans les locaux du Département des affaires intérieures de Ponomarevka. Pour la visite médicale qui a eu lieu après qu’il eut été battu toute la nuit et pendant la matinée, on lui a donné un caleçon et des chaussettes parce que des témoins étaient présents. Lors du premier interrogatoire, le requérant était nu, comme le montre également l’enregistrement vidéo.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité doit s’assurer que la même question n’a pas été examinée ou n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité relève que l’État partie a indiqué que le requérant avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme de deux requêtes. Il note à cet égard que ces deux requêtes ont été déclarées irrecevables par décision d’un juge unique de la Cour et n’ont pas été examinées au fond, et que le seul motif d’irrecevabilité mentionné est le fait qu’elles ne satisfaisaient pas aux conditions énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Comité considère par conséquent que, dans ces circonstances, il n’est pas empêché par le paragraphe 5 a) de la Convention d’examiner la communication.

8.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. À cet égard, le Comité note que le requérant n’a pas soulevé devant les tribunaux internes les griefs concernant la diffusion de son arrestation sur une chaîne de télévision nationale qu’il tire des articles 4 et 16 de la Convention, et il déclare donc cette partie de la requête irrecevable au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

8.3Le Comité considère que les autres griefs du requérant, qui soulèvent des questions au regard des articles 1, 2 (par. 1), 12, 13 et 15 de la Convention, sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et il va procéder à leur examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité prend note de l’allégation du requérant selon laquelle il a été torturé, notamment en étant roué de coups, exposé au froid et menacé directement et en la personne de son épouse, quotidiennement et pendant plusieurs mois à partir du moment où il a été arrêté, dans le but de l’amener à avouer des crimes. Parmi les documents dont dispose le Comité figure un certificat médical (no 679) daté du 22 septembre 2007, qui a été établi par un médecin légiste. Ce certificat énumère les nombreuses ecchymoses constatées sur le corps du requérant, résultant apparemment de coups portés à l’aide d’objets contondants massifs plusieurs heures avant l’examen. Il y est également indiqué que les lésions constatées ne peuvent pas avoir été causées par des tirs d’arme à feu. Compte tenu des informations dont il est saisi, le Comité conclut que les mauvais traitements subis par le requérant lui ont été infligés par des agents de l’État partie dans le but d’obtenir des aveux de culpabilité, et que les actes en question constituent des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention.

9.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les lésions mentionnées ont été causées au cours de l’arrestation parce que le requérant et les autres personnes impliquées ont opposé une résistance et ouvert le feu. L’État partie n’a présenté aucun document pour étayer cette affirmation. Le Comité prend note de l’argument formulé par le requérant pour la réfuter, à savoir que lui et ses camarades se sont rendus sans opposer de résistance et qu’au procès le jury a estimé que l’allégation selon laquelle ils auraient opposé une résistance armée n’était pas fondée. Le Comité note que le requérant avait déjà passé quelques heures au moins en garde à vue avant que ses blessures soient constatées lors de l’examen médical du 22 septembre 2007. À cet égard, le Comité rappelle que les États parties sont spécialement tenus de prendre des mesures efficaces pour prévenir les actes de torture et de garantir aux personnes privées de liberté le respect des droits consacrés par la Convention, et qu’ils sont dans une position particulière de garant étant donné que les autorités pénitentiaires exercent sur lesdites personnes un contrôle ou un pouvoir considérable. L’État partie n’ayant pas fourni d’élément convaincant démontrant que les blessures n’ont pas été causées pendant que le requérant était sous le contrôle des policiers, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, lu conjointement avec l’article premier.

9.4Dans ce contexte, le Comité relève que rien dans les observations de l’État partie n’indique qu’une enquête ait été menée pour déterminer l’origine des blessures constatées dans le certificat médical du 22 septembre 2007. Le Comité conclut donc à une violation de l’article 12 de la Convention.

9.5Le Comité prend note du grief que le requérant tire de l’article 13 de la Convention, à savoir qu’il n’a pas pu engager de poursuites pénales contre les policiers qui l’ont torturé. À cet égard, le Comité observe que bien que l’enquête, qui a commencé en 2007, n’ait pas été ouverte à l’initiative du requérant, celui-ci a plusieurs fois fait appel des décisions du service des enquêtes d’Oufa de ne pas engager de poursuites pénales dans cette affaire. Le Comité note que le service des enquêtes a pris ces décisions en tenant compte des explications fournies par le requérant lui-même, selon lesquelles ses dermabrasions au nez étaient accidentelles, et de sa propre demande de clôture de l’enquête. Le Comité note que rien n’indique que le service des enquêtes ait réellement interrogé le requérant en personne à un moment ou à un autre, étant donné en particulier que ses déclarations ont été rédigées alors qu’il était en détention et sous le contrôle des policiers qui lui auraient infligé lesdites blessures. Le Comité note également que le requérant n’a pas pu faire effectivement appel des décisions du service des enquêtes devant les tribunaux étant donné que, chaque fois, la décision a été annulée et renvoyée pour complément d’enquête par un enquêteur de rang supérieur. Cependant, à chaque fois, le complément d’enquête a débouché sur des conclusions quasiment identiques à celles de l’enquête initiale. Tout ce qui précède tend à démontrer que la cause du requérant n’a pas été examinée promptement et impartialement par les autorités nationales. En conséquence, le Comité conclut que les faits tels qu’ils sont présentés font apparaître une violation de l’article 13 de la Convention.

9.6Le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel les déclarations, faites sous la torture, par lesquelles il s’accusait lui-même ont été admises comme preuves valides par le tribunal. À cet égard, le Comité note qu’au cours d’une des audiences en première instance, le procureur a fait valoir que les enquêtes menées sur les allégations de torture formulées par le requérant ne permettaient pas de confirmer ces allégations. Ledossier ne contenant pas d’informations permettant d’éclaircir ce point, le Comité suppose que le tribunal a considéré les conclusions des autorités ayant procédé à ces enquêtes comme un fait établi et les déclarations du requérant comme des preuves admissibles. Le Comité note toutefois que la seule enquête dont les parties font état est celle qui a été ouverte en 2007. Cette enquête ne concernait que les dermabrasions que le requérant présentait au nez et qui étaient constatées dans le rapport médical du centre de détention provisoire en date du 5 octobre2007. Les documents d’enquête ne mentionnent aucune des autres lésions recensées dans le certificat médical daté du 22 septembre 2007. Le Comité rappelle que la généralité des termes de l’article 15 de la Convention découle du caractère absolu de la prohibition de la torture et implique par conséquent que tout État partie est tenu de vérifier si des déclarations invoquées dans une procédure relevant de sa juridiction n’ont pas été faites sous la torture. Le Comité note que le tribunal n’a pas examiné les allégations du requérant selon lesquelles il a passé plusieurs heures dans le froid quasi dévêtu et avait peur pour sa femme, qui était elle aussi dévêtue et constamment menacée de violences sexuelles. Au vu de ce qui précède, le Comité conclut que la Cour suprême de la République de Bachkirie, agissant comme juridiction de première instance, n’a pas examiné de façon approfondie les griefs du requérant selon lesquels les déclarations par lesquelles il s’avouait coupable lui avaient été extorquées par la torture avant d’être présentées comme preuves au jury. Le Comité conclut donc à une violation de l’article 15 de la Convention.

10. Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, décide que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 2 (par. 1), lu conjointement avec l’article premier, ainsi que des articles 12, 13 et 15 de la Convention.

11.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité prie instamment à l’État partie d’assurer au requérant un recours utile, et notamment : a) d’ouvrir une enquête impartiale sur les allégations du requérant en vue de poursuivre, juger et punir toute personne reconnue responsable d’actes de torture, ladite enquête devant comprendre un examen médical du requérant mené conformément au Protocole d’Istanbul ; b) de rejuger le requérant en tenant compte du principe énoncé à l’article 15 de la Convention ; c) d’accorder au requérant une réparation et des moyens de réadaptation pour les actes de torture commis ; d) de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. Le Comité prie instamment l’État partie de l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux conclusions ci-dessus.