Nations Unies

CAT/C/63/D/678/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

11 juin 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 678/2015 * , **

Communication présentée par :

Igor Kovzik (représenté par un conseil, Knut Rognlien)

Au nom de :

Igor Kovzik

État partie :

Norvège

Date de la requête :

10 septembre 2013 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

16 mai 2018

Objet :

Mauvais traitements par les pouvoirs publics ; manquement à l’obligation d’enquêter

Questions de procédure :

Recevabilité − autre procédure ; non-épuisement des recours internes ; qualité de victime

Questions de fond :

Mauvais traitements infligés dans un lieu de détention − enquête diligente et impartiale ; formation des agents des forces de l’ordre ; mise à l’isolement

Article(s) de la Convention :

10, 11, 12 et 16

1.Le requérant est I. K., de nationalité norvégienne, né en Union Soviétique en 1961. I. K. se dit victime d’une violation par la Norvège des droits garantis par les articles 10, 11, 12 et 16 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 9 juillet 1986. Le requérant est représenté par un conseil, Knut Rognlien.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 8 novembre 2006, le requérant a été arrêté et conduit au commissariat central d’Oslo pour avoir troublé l’ordre public en brisant une fenêtre pendant une dispute au domicile d’un de ses amis ; il a ensuite été accusé d’avoir mordu un policier à la main pendant son transfert au commissariat. Il a été placé en garde à vue à l’isolement jusqu’à sa mise en liberté, le lendemain matin. Au moment de son arrestation et pendant sa garde à vue, le requérant a demandé à recevoir un traitement médical pour les troubles mentaux dont il souffrait, mais n’a pas reçu le traitement demandé, et ce, bien que les policiers aient compris qu’il était malade, comme le montre le registre de la police. Durant la nuit, troispoliciers inconnus sont entrés dans sa cellule et l’ont frappé, lui infligeant des blessures corporelles (tuméfaction et hématome près de l’œil gauche, petite abrasion sur la joue gauche, hématome sur l’épaule gauche, et douleurs au cuir chevelu dues au fait qu’on lui avait tiré les cheveux). Le 9novembre 2006, quinzeheures après son arrestation, le requérant a été libéré dans l’attente de poursuites. Il est alors allé se faire soigner au service des urgences. Le requérant soutient que cette expérience a été particulièrement traumatisante pour lui car il avait déjà été victime de violences policières en Norvège en 2005.

2.2Le 15 novembre 2006, le conseil du requérant a demandé des renseignements concernant la garde à vue de son client, notamment le nom des policiers qui étaient de service aux dates en question. Le 7 janvier 2008, à l’audience, le requérant a déclaré qu’il avait subi des violences pendant sa détention.

2.3Le 21 avril 2008, le tribunal municipal d’Oslo a déclaré le requérant non coupable des faits du 8 novembre 2006, estimant qu’il n’était pas sain d’esprit.

2.4Le 1er novembre 2011, le requérant a informé l’Inspection nationale de la police qu’il avait subi des brutalités. Le 17 avril 2012, l’Inspection a décidé de ne pas engager de poursuites contre les policiers, estimant qu’il était peu probable, compte tenu des informations disponibles, qu’une enquête permette d’apporter la preuve que l’intéressé avait été victime d’une infraction pénale. Elle a cependant conclu qu’il était probable que les blessures constatées chez le requérant soient liées à l’emploi de la force décrit dans le rapport de police établi à la suite des faits. Elle a tenu compte du fait que la plainte avait été déposée cinq ans après les faits, que les déclarations du requérant concernant l’emploi qui aurait été fait de la force pendant son séjour en cellule étaient vagues, et que, d’après l’évaluation psychiatrique, on ne pouvait pas affirmer avec certitude que l’intéressé était sain d’esprit au moment de son arrestation, ce qui nuisait à la crédibilité de ses allégations.

2.5Le 26 avril 2012, le requérant a formé un recours préliminaire, puis, le 30 mai 2012, a interjeté appel auprès de l’Inspection nationale de la police, qui a renvoyé l’affaire au Procureur général. Le 17 juillet 2012, ce dernier a confirmé la décision attaquée, déclarant qu’il était d’accord avec l’Inspection sur tous les points importants.

2.6Le 17juillet 2010, le requérant a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Le 29novembre 2012, cette dernière, siégeant en formation de juge unique, a déclaré la requête irrecevable au regard des articles34 et 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme).

2.7Le 21 mai 2012, le requérant a saisi l’Autorité nationale des affaires civiles d’une demande de dommages-intérêts pour préjudice non pécuniaire découlant de l’ouverture d’une procédure pénale à son encontre. Le 15 janvier 2014, l’Autorité a rejeté sa demande, estimant que le ministère public n’avait pas été particulièrement sévère à son égard étant donné la brièveté de sa garde à vue et son comportement suspect et perturbateur.

2.8 Le requérant avance que comme la décision du Procureur général n’est pas susceptible d’examen, il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient qu’ayant été gardé à vue à l’isolement pendant quinze heures sans accès à des soins médicaux et frappé par les policiers, il a subi un traitement inhumain et dégradant, et donc une violation de l’article 16 de la Convention.

3.2Le requérant avance en outre que le fait que l’Inspection nationale de la police n’ait pas enquêté sur sa plainte est contraire aux dispositions de l’article 12 de la Convention. Il soutient que c’est à l’État partie de prouver que les blessures subies au cours de sa garde à vue pourraient avoir été dues à des circonstances dont les autorités ne sont pas responsables. Or, selon lui, l’État partie n’a fourni aucune explication plausible concernant lesdites blessures, qui n’ont pas été signalées par écrit au moment de son arrestation, mais ont été constatées dans le rapport médical établi après sa mise en liberté. Le requérant argue en outre que le fait que l’État partie n’ait pas recueilli suffisamment d’éléments de preuve après coup, et n’ait notamment pas interrogé les policiers de service, est également constitutif d’une violation de l’article 12 de la Convention.

3.3Le requérant soutient qu’il a été victime d’une violation des articles 10 et 11 de la Convention car les formations dispensées, les informations fournies et les instructions et mécanismes établis ne permettent pas de traiter comme il se doit les personnes souffrant de problèmes mentaux qui sont arrêtées et privées de liberté.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 6 juillet 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la requête. L’État partie soutient que la requête est irrecevable au motif que le paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention ne permet pas de conclure que le requérant a été victime de violations des articles 10 et 11 de cet instrument, ni l’un ni l’autre de ces deux articles ne garantissant de droits individuels. Selon lui, l’article 10 concerne les relations entre l’État et les agents chargés de s’occuper des personnes privées de liberté, et non les relations entre l’État et l’une quelconque de ces personnes. De même, l’article 11 ne régit pas les relations entre l’État et les personnes privées de liberté, mais impose au premier une obligation générale envers la société dans son ensemble. Tout en reconnaissant que, de manière générale, les obligations énoncées aux articles 10 et 11 jouent un grand rôle dans la prévention des traitements cruels, inhumains et dégradants, l’État partie fait observer que le non-respect des dispositions de l’un ou l’autre de ces articles n’aurait sur les personnes privées de liberté qu’un effet indirect, insuffisant pour donner naissance à un droit subjectif dont le requérant pourrait se prévaloir.

4.2L’État partie soutient également que la plainte est irrecevable au motif que la question a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Selon lui, la Cour a été saisie d’une requête portant sur la même question que celle portée devant le Comité, et l’a examinée. L’État partie argue en outre que la Cour n’a pas pu déclarer la requête irrecevable parce que le requérant n’avait pas respecté le délai de six mois auquel est assujetti le dépôt d’une plainte, ni parce que l’affaire était en cours d’examen devant un tribunal interne, le requérant était anonyme ou la requête était examinée par une autre instance, et n’a donc pu se prononcer comme elle l’a fait que pour l’un des motifs suivants : a) le requérant n’est pas une victime ; b) le requérant n’a pas épuisé les recours internes ; c) la requête est incompatible avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, manifestement mal fondée ou abusive. Or, selon l’État partie, les motifs d’irrecevabilité prévus par la Convention européenne des droits de l’homme sont les mêmes que ceux prévus par la Convention contre la torture.

4.3Enfin, l’État partie conteste l’affirmation selon laquelle le requérant a épuisé tous les recours internes depuis qu’il a saisi le Procureur général. Premièrement, s’il estimait qu’engager des poursuites était un moyen opportun d’obtenir réparation, l’intéressé aurait pu citer directement les policiers concernés. Deuxièmement, il aurait pu déposer plainte auprès de la police. Bien que la procédure de plainte soit destinée à permettre réparation non pour telle ou telle infraction pénale reprochée à un policier, mais pour des situations telles qu’une insuffisance de la formation fournie par l’État à ses agents, elle aurait néanmoins permis à la police de redresser les griefs tirés des articles 10, 11 et 12. Troisièmement, le requérant avait à sa disposition des voies de recours plus appropriées que l’action pénale. En particulier, il aurait pu chercher à obtenir réparation en engageant au civil une action en dommages-intérêts ou une action déclaratoire visant à faire établir que les droits qu’il tenait de la Convention avaient été violés. Le requérant a demandé une indemnisation pour préjudice non pécuniaire auprès de l’Autorité norvégienne des affaires civiles, qui dépend du Ministère de la justice et de la sécurité publique. La décision de l’Autorité de le débouter aurait pu faire l’objet d’un contrôle par les tribunaux ordinaires. Or, le requérant n’a pas demandé le contrôle judiciaire de cette décision, ni d’ailleurs expliqué pourquoi il ne l’avait pas fait. L’État partie soutient qu’étant donné que le requérant n’a pas porté l’affaire devant un tribunal ordinaire, la requête est irrecevable pour ce qui est du grief de violation de l’article 16 de la Convention.

4.4L’État partie avance que le requérant aurait aussi pu chercher à faire établir qu’il y avait eu violation de la Convention en introduisant une requête en jugement déclaratoire. En effet, la Cour suprême a reconnu aux particuliers le droit d’engager une action déclaratoire contre l’État en vue de faire établir l’existence de violations des droits de l’homme garantis par les conventions relatives aux droits de l’homme dont les dispositions ont été incorporées dans le droit norvégien. Les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ayant été incorporées dans la législation norvégienne, le requérant aurait pu introduire une requête en jugement déclaratoire en vue de faire reconnaître l’existence d’une violation de l’article16 de la Convention contre la torture en arguant d’une violation des dispositions correspondantes de la Convention européenne des droits de l’homme (art. 3) et du Pacte (art. 7). De même, il aurait pu introduire une requête en jugement déclaratoire pour faire reconnaître l’existence d’une violation de l’article12 de la Convention contre la torture en arguant d’une violation de l’article3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et l’existence d’une violation des articles10 et 11 en arguant d’une violation de l’article7 du Pacte.

4.5L’État partie fait observer que rien dans la requête ne laisse entendre que les recours susmentionnés n’auraient pas été traités dans un délai déraisonnable ou n’étaient pas susceptibles de permettre au requérant d’obtenir une réparation effective. Il convient qu’exonérer une personne de l’obligation d’épuiser les voies de recours est justifié lorsque le temps presse compte tenu des circonstances de l’affaire. Néanmoins, en l’espèce, les violations alléguées remontent à 2006, et le requérant a attendu cinq ans avant même de les signaler aux autorités. L’État partie signale de surcroît que rien dans le dossier n’indique que le requérant a été empêché de saisir la justice par des considérations d’ordre financier ou autres, l’intéressé ayant bénéficié de l’aide juridictionnelle à un stade antérieur de l’affaire et étant assisté d’un conseil dans la procédure engagée devant le Comité.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Dans une communication du 15 septembre 2015, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité de la requête.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il ne peut pas se dire victime d’une violation des articles 10 et 11 de la Convention, le requérant convient qu’en eux-mêmes, ces dispositions ne lui donnent pas de droits individuels, mais soutient qu’étant donné que l’article 16, lui, confère des droits subjectifs aux personnes, les articles 10 et 11, lus conjointement avec l’article 16, créent des obligations pour l’État partie, en conséquence de quoi il peut les invoquer en tant que victime.

5.3Le requérant avance que si les faits dont il a saisi le Comité sont effectivement les mêmes que ceux dont il a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, la requête portée devant le Comité ne renvoie pas aux mêmes droits que celle portée devant la Cour car le contenu des articles 12 et 16 de la Convention contre la torture est différent de celui de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. De surcroît, on ne saurait dire que la Cour a « examiné » la même question que celle portée devant le Comité. En effet, la Cour n’a pas motivé sa décision de juger la requête irrecevable autrement qu’en déclarant que celle-ci ne remplissait pas les conditions posées aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, et rien ne permet d’arguer que les conditions de recevabilité posées dans la Convention européenne des droits de l’homme sont les mêmes que celles posées dans la Convention contre la torture.

5.4Le requérant soutient que les recours internes ont été épuisés puisqu’il a déposé plainte auprès de l’Inspection nationale de la police, du Procureur général et de l’Autorité nationale des affaires civiles, qui n’ont pas ouvert d’enquête. L’État partie a donc eu de nombreuses occasions d’examiner les violations alléguées et d’y remédier. Le requérant avance en outre que l’Inspection nationale de la police est en réalité plus compétente que les tribunaux nationaux pour enquêter sur des affaires comme la sienne, notamment parce qu’elle a le pouvoir d’obtenir, de préserver et d’apprécier les éléments de preuve pertinents. Il ajoute qu’en pratique, il lui serait très difficile de recourir à la citation directe car il ignore l’identité des policiers qui l’ont brutalisé. De surcroît, il lui serait impossible d’obtenir des déclarations attestant ce qui s’est passé pendant sa garde à vue, et donc de prouver les faits, ce qui est aussi la raison pour laquelle l’Inspection nationale de la police a décidé de ne pas engager des poursuites. Le requérant déclare par ailleurs qu’il ne pouvait pas intenter d’action civile en dommages-intérêts devant les tribunaux norvégiens parce que, n’ayant pas subi de préjudice financier direct, il ne remplissait pas les conditions prévues par la loi sur l’indemnisation et n’avait donc aucune chance d’obtenir gain de cause. Il ne pouvait pas non plus interjeter appel de la décision de l’Autorité nationale des affaires civiles auprès des tribunaux, ses griefs étant trop anciens.

5.5Le requérant soutient que, lorsque diverses voies de recours sont disponibles, l’État partie ne peut pas exiger que tous les recours juridiques soient épuisés ; il doit suffire que l’intéressé ait épuisé un d’entre eux. Le requérant argue qu’il est allé aussi loin que possible au pénal et qu’on ne saurait raisonnablement s’attendre à ce qu’il engage encore d’autres démarches.

5.6Enfin, le requérant conteste la thèse de l’État partie selon laquelle il aurait pu engager une action déclaratoire contre l’État devant la justice norvégienne. En effet, la Cour suprême a jugé qu’on ne pouvait conclure à la violation d’une convention internationale que lorsque la convention elle-même prévoyait le droit à un recours utile devant une instance nationale, comme le font la Convention européenne des droits de l’homme (art. 13) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 2). La Cour a également jugé que la Convention contre la torture n’avait pas la même valeur juridique que la législation norvégienne, ce qui empêche le requérant d’engager une action sur le fondement de la Convention. Le requérant estime donc qu’on ne saurait raisonnablement s’attendre à ce qu’il emprunte la voie judiciaire jusqu’à la Cour suprême pour que celle-ci statue de nouveau sur une question qu’elle a déjà tranchée, en particulier compte tenu des frais que cela entraînerait, frais qu’il ne pourrait couvrir ni par ses propres moyens ni grâce à l’aide juridictionnelle.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale du 6 novembre 2015, l’État partie a présenté ses observations sur le fond, tout en maintenant que la requête était irrecevable. L’État partie avance qu’il n’y a pas eu violation de l’article 16 de la Convention car les blessures du requérant sont compatibles avec l’emploi légitime de la force, rendu nécessaire par le fait que l’intéressé a résisté à son arrestation et à son placement en cellule et agressé et menacé les policiers. La thèse du requérant doit en outre être appréciée à la lumière du fait que celui-ci avait une perception déformée de la réalité et souffrait d’hallucinations, notamment d’une paranoïa s’exprimant sous la forme d’un délire de persécution par la police. L’État partie soutient que le requérant n’a pas, au cours de sa garde en vue, souffert au-delà de ce qui était inévitable dans une telle situation, et que rien ne prouve que les policiers aient compris qu’il souffrait de troubles mentaux. En tout état de cause, le requérant était en état d’ivresse et n’aurait donc pas pu recevoir de soins psychiatriques avant sa libération, le lendemain matin. L’État partie renvoie à l’affaire Keremedchiev c. Bulgarie , dans laquelle le Comité a « reconn[u] qu’une douleur et des souffrances p[ouvai]ent résulter de l’arrestation légale d’un individu qui refuse de coopérer ou qui est violent, mais [...] estim[é] que l’usage de la force dans de telles circonstances d[eva]it être strictement nécessaire et proportionné ». Dans le même ordre d’idées, la Cour européenne des droits de l’homme a systématiquement estimé que, pour constituer un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, la souffrance infligée « d[evai]t aller au-delà de celle[...] que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes ». Par conséquent, le fait d’être légalement placé en cellule de garde à vue ne pose pas en soi un problème au regard de cet article.

6.2L’État partie réaffirme qu’étant donné que les violations alléguées remontent à plus de dix ans, recueillir des éléments de preuve n’est pas chose facile. Les autorités ont pris contact avec plusieurs des policiers qui étaient présents lorsque le requérant a été placé en cellule, et aucun ne se souvenait de l’intéressé, ni à plus forte raison de ce qui s’était passé. Les seuls éléments de preuve disponibles sont les rapports écrits et autres documents établis à l’époque des faits.

6.3L’État partie rejette l’allégation selon laquelle les blessures constatées sur la personne du requérant ont été infligées à ce dernier par trois policiers qui sont entrés dans sa cellule pendant la nuit et l’ont roué de coups. Selon lui, il se peut que l’intéressé ait été blessé pendant son arrestation et son placement en cellule. Le comportement du requérant a en effet obligé les policiers à recourir à la force − proportionnée − à trois reprises : a) lorsqu’il a résisté à l’arrestation ; b) lorsqu’il a mordu un des policiers, ce qui a nécessité son immobilisation dans la voiture de police ; c) lorsqu’il a subi une fouille au corps dans sa cellule après avoir menacé de s’en prendre aux policiers. L’État partie soutient que compte tenu de ce qui précède, les blessures du requérant étaient compatibles avec l’emploi de la force nécessaire pour faire face à son comportement violent et agressif et n’indiquent pas le recours à une force excessive. En ce qui concerne la crédibilité du requérant, l’État partie rappelle qu’il s’est avéré après coup qu’à l’époque de son arrestation, le 8 novembre 2006, l’intéressé souffrait de troubles mentaux qui provoquaient chez lui des hallucinations visuelles. L’État partie renvoie à un rapport préliminaire établi en 2008, dans lequel le psychiatre consultant en chef près le tribunal de district d’Oslo signalait que le requérant exprimait des pensées paranoïaques concernant la police, et avance que les allégations formulées en l’espèce ne peuvent pas être correctement appréciées s’il n’est pas dûment tenu compte des antécédents psychiatriques de leur auteur.

6.4L’État partie rejette l’allégation selon laquelle les policiers avaient compris que le requérant souffrait de troubles mentaux puisque l’information figure dans le registre de police. Selon lui, c’est l’opérateur téléphonique qui a reçu l’appel concernant l’incident du 8 novembre 2006 qui a inscrit cette information sur le registre. C’est donc sur la base des renseignements fournis par la personne qui a signalé l’incident que les troubles mentaux du requérant ont été mentionnés dans ce document, et non sur la base de l’appréciation des policiers. Par ailleurs, l’État partie fait observer que rien dans le dossier ne vient étayer l’allégation selon laquelle le requérant a demandé à recevoir des soins médicaux. Lors de son audition, le 9 novembre 2006, le requérant n’a jamais dit ni avoir besoin d’une assistance médicale ni avoir été privé de pareille assistance. Il a seulement déclaré qu’il était très fatigué et avait besoin de prendre un comprimé. En outre, les policiers passaient le voir dans sa cellule toutes les trente minutes ; ils auraient donc su s’il souhaitait obtenir une assistance médicale, et auraient consigné sa demande dans le registre des gardes à vue. Or, à l’entrée dudit registre correspondant au 9 novembre 2006, on peut lire qu’une personne placée dans une autre cellule a été soignée pendant la nuit pour une plaie au menton, mais il n’est fait aucune mention d’une éventuelle demande de soins médicaux formulée par le requérant.

6.5En ce qui concerne l’argument selon lequel le requérant a demandé à recevoir des soins psychiatriques dans la nuit du 8 novembre 2006, l’État partie signale que le service d’urgences psychiatriques n’accepte pas les patients qui sont sous l’emprise de l’alcool ou d’autres substances car il est difficile d’évaluer leur santé mentale dans ces conditions. Étant donné que le requérant était en état d’ivresse au moment où il a été arrêté, comme le montrent le registre des gardes à vue et le rapport de police établis ce soir-là, il aurait de toutes façons dû attendre jusqu’au lendemain avant de pouvoir consulter un psychiatre. En outre, compte tenu de l’agressivité qu’il avait manifestée à son arrivée au commissariat, les blessures physiques subies pendant sa garde à vue n’étaient pas suffisamment graves pour justifier la mise en danger des policiers et du personnel médical.

6.6L’État partie fait observer que le requérant n’est resté en cellule qu’une nuit, c’est‑à‑dire douze heures. Il renvoie au registre des gardes à vue, qui indique que l’intéressé a été amené en cellule le 8 novembre 2006 à 21 h 58 et a été auditionné le lendemain à 10 heures, après quoi il a été libéré. Au cours des douze heures qu’a duré la garde à vue du requérant, les policiers de service sont passés voir l’intéressé toutes les trente minutes, conformément à la procédure standard applicable aux personnes en état d’ivresse. L’État partie soutient donc que pendant son séjour en cellule, le requérant n’a pas souffert outre mesure pour une personne placée en garde en vue dans sa situation.

6.7En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 12 de la Convention, l’État partie conteste l’argument selon lequel la police aurait dû enquêter sur les faits en 2006 au motif que le requérant avait déclaré que quelque chose était arrivé pendant sa garde à vue et que, peu après les faits, son avocat avait demandé que des pièces lui soient communiquées. L’État partie avance que comme les blessures du requérant avaient été infligées par la police, il n’y avait aucune raison de croire qu’elles résultaient d’autre chose qu’un emploi légitime de la force. Le fait que le requérant ait dit que quelque chose lui était arrivé ne permettait pas de penser que des policiers étaient venus le trouver pendant la nuit pour le frapper ; en déclarant qu’il informerait son avocat de ce qui s’était passé, l’intéressé a d’ailleurs donné aux autorités toutes les raisons de croire qu’il déposerait plainte auprès de la police s’il était fondé à le faire. Quant à la demande que le conseil du requérant a présentée le 15 novembre 2006 en vue d’obtenir une copie de toutes les pièces relatives à l’arrestation et la garde à vue, y compris le procès-verbal d’audition et les pages des registres et des rapports pertinents, elle s’inscrit dans le cadre de la procédure normale, qui veut que tout avocat demande une copie du dossier de son client, et ne fait nullement allusion à une quelconque violation de l’article 16 de la Convention. Toutes les pièces du dossier ont été communiquées au conseil du requérant le 29 novembre 2006.

6.8L’État partie fait observer que ni le jugement rendu par le tribunal ni le compte rendu de l’audience du 7 janvier 2008 ne mentionnent d’allégations de mauvais traitements. Il est donc peu probable que pareilles allégations aient été formulées, d’autant que le requérant était représenté par un conseil et qu’en toute logique, celui-ci aurait fait en sorte qu’il y soit donné suite. De surcroît, l’État partie ne voit pas bien pourquoi les déclarations faites par le requérant cinq ans après les faits auraient dû conduire à l’ouverture d’une enquête plus approfondie que celle menée par l’Inspection nationale de la police. Il signale en outre que le Ministère de la justice et de la sécurité publique a publié des instructions très claires à l’intention des policiers qui seraient témoins de traitements dégradants infligés à une personne en garde à vue ou soupçonneraient pareils traitements.

6.9L’État partie avance de nouveau qu’un particulier ne peut pas arguer d’une violation des articles 10 et 11 de la Convention car ces dispositions ont une portée générale. Étant donné que le droit d’être protégé contre les mauvais traitements est dûment garanti par les articles 12 et 16, il ne voit pas la nécessité de permettre aux particuliers de fonder une requête sur les articles 10 et 11, ce qui reviendrait selon lui à étendre la portée de ces articles alors que rien dans la Convention ne le justifie. L’État partie fournit néanmoins des informations détaillées concernant la formation et les instructions reçues par les policiers susceptibles d’avoir eu accès au requérant pendant la nuit qu’il a passée en cellule, ainsi que les règles et instructions relatives au traitement des personnes en garde à vue. L’État partie renvoie de surcroît aux conclusions que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants a formulées en octobre 2005 après avoir inspecté les cellules de garde à vue, type de cellule dans laquelle le requérant a passé la nuit du 8 au 9 novembre 2006. Il ressort de ces conclusions que les lignes directrices énoncées dans la circulaire G-67/2000 étaient correctement appliquées.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur le fond

7.1Dans une communication du 8 février 2016, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond de la requête.

7.2Le requérant fait observer que contrairement à ce que soutient l’État partie, il est improbable que ses blessures aient été causées par un emploi raisonnable de la force car elles ont été provoquées par un contact violent entre sa tempe gauche et un objet contondant ou tranchant. En tout état de cause, ces blessures auraient dû être signalées dans le rapport de police ou le registre des gardes à vue. Le requérant renvoie à la copie de l’entrée dudit registre correspondant à la nuit des faits, où il est fait mention d’une plaie au menton constatée sur un autre détenu, mais pas de ses blessures à lui. Faute de raison plausible venant expliquer cette omission, le requérant soutient qu’il a été victime d’une violation de l’article 16 de la Convention.

7.3En ce qui concerne l’argument selon lequel son état psychologique doit être pris en considération aux fins de l’appréciation de la fiabilité de ses propos, le requérant souligne que justement parce que la crédibilité des personnes souffrant de troubles mentaux est susceptible d’être mise en doute, il est particulièrement important de veiller à ce que les rapports et registres de police contiennent des informations précises sur tous éléments objectifs indiquant une blessure. Les blessures du requérant n’étaient pas des hallucinations ; il aurait donc fallu les signaler et donner une description précise des objets les ayant causées. Le requérant renvoie aussi à l’article 3-2 du règlement de la police, qui dispose que si l’emploi de la force cause un préjudice à une personne ou à un bien ou s’il existe des raisons de penser qu’un acte policier pourrait faire l’objet d’une plainte, le policier doit immédiatement informer ses supérieurs hiérarchiques par écrit. Si, en l’espèce, le supérieur hiérarchique compétent avait été informé de ce qui s’était passé, conformément au règlement, la police aurait pu évaluer la situation et recueillir des éléments de preuve. Le fait que cela n’a pas été fait montre que les procédures ne sont pas efficacement appliquées.

7.4Le requérant avance que contrairement à ce que l’État partie soutient, le fait que son avocat ait demandé copie du dossier ne participait pas de la procédure standard. Il fait observer que, normalement, la demande de communication de pièces intervient pendant la garde à vue ou lorsque la mise en accusation est décidée ; or, en l’espèce, son conseil a demandé copie des documents relatifs à son arrestation après sa libération et alors qu’il n’avait pas été mis en accusation. Le requérant soutient que si son conseil n’a pas fait en sorte qu’il soit donné suite aux allégations de mauvais traitements, c’est parce qu’il a refusé de le faire, comme du reste les autres avocats sollicités. Selon lui, cela pourrait s’expliquer par le fait qu’en mai 2006, l’Inspection nationale de la police avait décidé de ne pas engager de poursuites contre un policier à qui étaient reprochés des faits similaires. Le requérant fait en outre observer qu’en Norvège, pour qu’un policier soit mis en accusation, et à plus forte raison pour qu’il soit déclaré coupable d’une infraction, il faut que des conditions très strictes soient réunies. Le requérant n’est pas d’accord avec l’argument de État partie selon lequel la police n’avait aucune raison d’ouvrir une enquête car aucune violation n’avait été commise. Selon lui, on ne saurait tolérer que les autorités ne manifestent aucune volonté d’enquêter et, de surcroît, nient totalement la possibilité qu’une infraction ait été commise. Le requérant fait observer qu’il aurait été plus convaincant qu’au moins une personne neutre ait enquêté sur l’emploi de la force par la police. Il soutient qu’étant donné qu’aucune enquête n’a été menée, il a été victime d’une violation des dispositions du paragraphe 12 de la Convention, lu conjointement avec l’article 16.

7.5Le requérant soutient que lorsqu’une blessure provoque des marques visibles, la police devrait faire examiner la victime par un professionnel de la santé. Dans son cas, la nécessité d’appeler un médecin aurait dû être d’autant plus évidente qu’il souffrait manifestement de troubles mentaux et était en état d’ivresse. Le requérant renvoie au règlement relatif à l’utilisation des cellules de garde à vue, qui prévoit qu’avant de placer une personne dans une de ces cellules, la police doit préalablement déterminer si elle a besoin de soins médicaux et, le cas échant, la faire examiner par un médecin. Il soutient que les informations consignées à son sujet dans le rapport de police auraient dû au moins conduire les policiers à se poser des questions sur sa santé mentale et à se demander s’il n’était pas trop ivre ou confus pour prendre soin de lui-même. Avant de le placer dans une cellule pendant de longues heures, la police aurait donc dû le faire examiner par un professionnel de la santé. Le requérant conteste par ailleurs l’allégation de l’État partie selon laquelle les policiers passaient le voir dans sa cellule toutes les trente minutes, qu’aucun document ne vient selon lui étayer. Il fait observer que son cas n’est pas unique puisque en 2011, au cours de sa visite en Norvège, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants a constaté qu’un gardé à vue avait été privé des soins médicaux dont il avait besoin car il n’avait pas été jugé suffisamment malade par le policier de service au commissariat de Bergen. Dans son rapport, le Comité a recommandé de rappeler aux policiers qu’ils étaient tenus de veiller à ce que les personnes qui ne sont pas capables de prendre soin d’elles-mêmes reçoivent les soins médicaux nécessaires.

7.6Le requérant avance que la police savait qu’il souffrait de troubles mentaux car : a) il avait dans sa poche un certificat médical sur lequel figurait un diagnostic psychiatrique ; et b) un des policiers qui l’avaient arrêté, B., l’avait déjà été arrêté le 13 mai 2005 pour une autre infraction. À la suite de cette première arrestation, le requérant avait saisi l’Inspection nationale de la police d’une plainte pour violences contre B. Cette plainte contenait des informations sur son état de santé mentale ; or, B. a joué un rôle majeur à la fois dans la procédure engagée contre le requérant en 2005 et dans l’enquête que l’Inspection nationale de la police a menée contre lui comme suite aux allégations de violence. Le requérant a été de nouveau arrêté le 8 novembre 2006, trois mois seulement après que le Procureur général a décidé de ne pas ouvrir d’enquête contre B. pour ce qui s’était passé en 2005. L’intéressé soutient donc qu’au moins un des policiers qui l’ont arrêté était au courant de son état de santé mentale, et que cette personne n’était probablement pas totalement impartiale à son égard.

7.7Le requérant soutient que la décision de le garder à vue à l’isolement n’était pas fondée. Officiellement, elle était motivée par la nécessité de l’empêcher de détruire des preuves. Toutefois, rien dans les documents de police n’explique comment le requérant aurait pu détruire des preuves, ni pourquoi la mesure était nécessaire et proportionnée. Le paragraphe a) de l’article 170 du Code de procédure pénale prévoit que l’arrestation et la détention doivent être justifiées et proportionnées. Or, dans le cas du requérant, la police ne s’est pas posée la question de savoir si la garde à vue à l’isolement était nécessaire et proportionnée car en Norvège, elle n’a d’autre choix, après une arrestation, que de libérer l’intéressé ou de le placer en garde à vue à l’isolement. Le requérant fait référence aux observations finales formulées comme suite au troisième rapport périodique de la Norvège, dans lesquelles le Comité a recommandé que « sauf dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque la sécurité des personnes ou de biens est en jeu, [...] le régime de la mise au secret soit aboli, en particulier pendant la détention avant jugement, ou du moins qu’il soit strictement et expressément réglementé par la loi, et que le contrôle judiciaire soit renforcé ». Le requérant soutient que depuis que ces observations finales ont été publiées, en 1998, l’État partie n’a pas modifié sa pratique générale, qui consiste à placer toutes les personnes gardées à vue à l’isolement dans les locaux de la police.

7.8Le requérant soutient que la question fondamentale en ce qui le concerne n’est pas de savoir combien d’heures il a passées à l’isolement, même si ce point n’est pas dénué d’importance, mais si la mesure était nécessaire et proportionnée compte tenu du fait qu’il souffrait de troubles mentaux. Le requérant renvoie à plusieurs rapports dont il ressort que la période d’isolement initiale est généralement la plus difficile à vivre. Il renvoie également au rapport dans lequel le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants conclut que la mise à l’isolement des personnes souffrant de troubles mentaux constitue une violation de l’article 7 du Pacte et de l’article 16 de la Convention contre la torture. Il fait observer que de manière générale, comme cela a été le cas pour lui, la police ne motive pas la mise à l’isolement parce que la loi n’exige pas expressément qu’elle le fasse. Il soutient que l’absence de loi exigeant que la mise à l’isolement soit dûment motivée est contraire aux dispositions de l’article 11 de la Convention, à plus forte raison compte tenu des observations finales formulées par le Comité en 1998. De plus, faute de loi, le personnel de police n’est pas formé sur la question, ce qui constitue une violation de l’article 10 de la Convention.

Observations complémentaires de l’État partie sur le fond

8.Dans une note verbale du 3 juin 2016, l’État partie a fourni une traduction anglaise de plusieurs documents précédemment communiqués par le requérant et souligné qu’il maintenait ses arguments concernant la recevabilité et le fond de la requête.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer si elle est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité note que, selon l’État partie, la requête devrait être déclarée irrecevable car elle ne remplit pas les conditions énoncées au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, la même question ayant déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Le Comité note également que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé la requête irrecevable sans motiver sa décision autrement qu’en renvoyant aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme.

9.2Le Comité estime qu’en l’espèce, le raisonnement que la Cour européenne des droits de l’homme a exposé dans sa décision du 29 novembre 2012 est trop succinct pour qu’il puisse déterminer dans quelle mesure la Cour a examiné la plainte du requérant, et notamment si elle a procédé à un examen approfondi des éléments relatifs au fond de l’affaire. Par conséquent, il estime que les dispositions du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

9.3Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il prend note de l’allégation de l’État partie selon laquelle le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles puisque, après que le Procureur général a décidé de ne pas ouvrir d’enquête, l’intéressé aurait pu citer directement les policiers soupçonnés ou déposer plainte auprès de la police. En outre, à défaut d’emprunter la voie pénale, le requérant aurait pu chercher à obtenir réparation en engageant au civil une action en dommages-intérêts ou une action déclaratoire visant à faire établir que les droits qu’il tenait de la Convention avaient été violés. Le Comité prend note également des arguments du requérant, qui soutient qu’il ne pouvait pas recourir à la citation directe car il ne connaissait pas l’identité des policiers qui étaient entrés dans sa cellule pendant la nuit, et qu’il était allé aussi loin que possible sur la voie pénale, en conséquence de quoi on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’il entreprenne d’autres démarches. Le Comité note de surcroît que selon le requérant, lorsqu’il existe diverses voies de recours, l’État partie ne peut pas exiger que tous les recours juridiques aient été épuisés et il devrait suffire qu’un seul l’ait été.

9.4Le Comité rappelle que selon sa jurisprudence, on ne saurait exiger, aux fins du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, qu’une personne qui a épuisé sans succès une voie de recours épuise les autres voies de recours tendant au même but alors qu’elles n’offrent pas de meilleures chances d’obtenir gain de cause. Il estime en conséquence que les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas de procéder à l’examen de la communication.

9.5Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Le requérant allègue qu’il a été victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention au motif qu’après son arrestation, il a été placé à l’isolement toute la nuit sans accès à des soins psychiatriques et a été battu par des policiers. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui soutient que la police ne savait pas que le requérant souffrait de troubles mentaux, que l’intéressé n’a pas demandé à bénéficier de soins médicaux et que pendant son séjour en cellule, il n’a pas souffert outre mesure pour une personne gardée à vue dans sa situation. Le Comité prend note également des rapports médicaux fournis par le requérant, dans lesquels sont décrites les blessures constatées sur le corps de l’intéressé après sa libération, ainsi que de l’explication de l’État partie, qui soutient que ces blessures sont compatibles avec l’emploi légitime de la force, rendu nécessaire par le fait que le requérant a résisté à son arrestation et à son placement en garde à vue. Si le Comité est conscient du fait que l’arrestation légitime d’un individu qui refuse de coopérer ou se montre violent peut entraîner certaines douleurs et souffrances, sachant que l’emploi de la force en pareilles circonstances doit se limiter à ce qui est nécessaire et proportionné, il regrette qu’au moment du placement de l’auteur en garde à vue, la police n’ait pas consigné toutes les blessures, qui étaient probablement visibles, ce qui aurait permis d’essayer de déterminer objectivement quand et comment elles avaient été infligées. Néanmoins, sur la base des informations dont il dispose, le Comité ne peut pas conclure que le requérant a subi des traitements inhumains ou dégradants pendant sa garde à vue.

10.3En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 12, le Comité rappelle que cette disposition porte que les enquêtes doivent être rapides, immédiates et efficaces. Il note qu’en dépit du fait que la plainte pour mauvais traitements a été déposée cinq ans après les faits allégués, l’État partie a fait procéder à une enquête, à la suite de laquelle les autorités ont décidé de ne pas poursuivre les policiers mis en cause au motif qu’il était peu probable que les informations disponibles permettent d’apporter la preuve que l’intéressé avait été victime d’une infraction pénale. Le Comité constate que le requérant savait que la procédure de plainte existait car il avait déjà eu affaire à la police en 2005 et avait retenu les services d’un avocat après sa libération, le 9 novembre 2006. Le requérant n’a fourni aucun document prouvant qu’à l’audience du 7 janvier 2008, il s’est plaint d’avoir été frappé. En l’espèce, le Comité estime que le requérant n’a pas montré que l’enquête à laquelle ses allégations de mauvais traitements ont donné lieu n’a pas été rapide, impartiale et efficace. En conséquence, compte tenu des éléments dont il dispose, le Comité ne peut pas conclure que l’État partie a manqué à son obligation de mener une enquête rapide, impartiale et efficace sur les allégations de mauvais traitements formulées par le requérant.

10.4Pour ce qui est des griefs de violation des articles 10 et 11, le Comité fait observer que, n’ayant pas pu conclure que l’État partie avait manqué aux obligations mises à sa charge par l’article 16 de la Convention, il ne peut formuler aucune constatation au sujet des droits protégés par cette disposition.

11.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation de la Convention par l’État partie.