Présentée par:

Rafael Marques de Morais(représenté par la Open Society Institute et Interights)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Angola

Date de la communication:

5 septembre 2002(date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 97 (ancien article 91) du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 17 octobre 2002(non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

29 mars 2005

Objet:

Arrestation, détention et condamnation d’un journaliste pour avoir critiqué le Président de l’Angola

Questions de procédure:

Non-coopération de l’État partie– Justification des griefs − Recevabilité ratione materiae − Épuisement des recours internes

Questions de fond:

Liberté et sécurité de la personne – Droit d’être informé des raisons de son arrestation– Droit d’être traduit dans le plus court délai devant un juge – Contestation de la légalité de la détention – Réparation pour arrestation ou détention illégale– Droit à un procès équitable – Liberté de mouvement – Liberté d’expression

Articles du Pacte:

Paragraphes 1) à 5) de l’article 9, paragraphes 1), 3) [al. a, b, d et e] et 5) de l’article 14, article 12 et article 19

Articles du Protocole facultatif

Articles 2 et 3 et paragraphe 2 b) de l’article 5

Le 29 mars 2005, le Comité des droits de l’homme a adopté le projet de constatations suivant concernant la communication no 1128/2002 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-troisième session

concernant la

Communication n o  1128/2002 **

Présentée par:

Rafael Marques de Morais(représenté par la Open Society Institute et Interights)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Angola

Date de la communication:

5 septembre 2002(date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29 mars 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1128/2002 présentée par Rafael Marques de Morais, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Rafael Marques de Morais, de nationalité angolaise, né le 31 août 1971. Il se dit victime de violations par l’Angola des articles 9, 12, 14 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). L’auteur est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 3 juillet, le 28 août et le 13 octobre 1999, l’auteur, journaliste et représentant de l’Open Society Institute en Angola, a écrit plusieurs articles critiquant le Président angolais, M. Dos Santos, dans un journal angolais indépendant, l’Agora. Dans ces articles, il a écrit, entre autres, que le Président était responsable «de la destruction du pays et de la situation catastrophique des institutions de l’État» et qu’il devrait rendre des comptes pour «avoir érigé l’incompétence, l’abus de confiance et la corruption en valeurs sociales et politiques».

2.2Le 13 octobre 1999, l’auteur a été convoqué par un enquêteur de la Division nationale d’enquête pénale (DNIC) et interrogé pendant trois heures environ avant d’être relâché. Lors d’un entretien conduit un peu plus tard le même jour sur la station de radio catholique Radio Ecclésia, l’auteur a renouvelé ses critiques du Président et décrit la manière dont il avait été traité par la DNIC.

2.3Le 16 octobre 1999, l’auteur a été arrêté sous la menace d’une arme par 20 membres armés de la Police d’intervention rapide et des agents de la DNIC à son domicile à Luanda, sans être informé des raisons de son arrestation. Il a été conduit à l’Unité de police opérationnelle, où il a été retenu pendant sept heures et interrogé avant d’être remis aux enquêteurs de la DNIC, qui l’ont interrogé pendant cinq heures. Il a ensuite été placé officiellement en état d’arrestation, mais sans être inculpé, par le substitut du procureur général de la DNIC.

2.4Du 16 au 26 octobre 1999, l’auteur a été gardé au secret au Laboratoire central de police technique et scientifique (CFL) de haute sécurité à Luanda, où il n’a pas été autorisé à contacter son avocat et sa famille et a subi des intimidations de la part des responsables de la prison, qui lui ont demandé de signer des documents dégageant le CFL et le Gouvernement angolais de toute responsabilité en cas de décès ou de blessures subies pendant la détention, ce qu’il a refusé de faire. Il n’a pas été informé des raisons de son arrestation. À son arrivée au CFL, l’enquêteur en chef lui a simplement indiqué qu’il était retenu en tant que prisonnier de l’UNITA (União Nacional pela Independencia Total de Angola).

2.5Le 29 octobre 1999, ou autour de cette date, l’auteur a été transféré à la prison de Viana à Luanda et a pu contacter son avocat. Le même jour, ce dernier a déposé une requête en habeas corpus devant la Cour suprême, contestant la légalité de l’arrestation et de la détention de l’auteur. Il n’a jamais été accusé réception de cette requête et aucun juge ou tribunal n’a été chargé de l’examiner.

2.6Le 25 novembre 1999, l’auteur a été libéré sous caution et informé pour la première fois des accusations retenues contre lui. Tout comme le directeur de l’Agora, A. S., et son rédacteur en chef, A. J. F., il était accusé d’avoir «concrètement et continuellement commis des délits caractérisés de diffamation et de calomnie à l’encontre de S. E. le Président de la République et du Procureur général de la République […] visés aux articles 44 et 46 de la loi no 22/91 du 15 juin (loi sur la presse) avec les circonstances aggravantes prévues aux paragraphes 1, 2, 10, 20, 21 et 25 de l’article 34 du Code pénal». Libéré sous caution, l’auteur avait obligation «de ne pas quitter le pays» et «de ne pas se livrer à certaines activités qui renouvellent l’infraction commise et créent le risque d’une nouvelle infraction» (art. 270 du Code pénal). Les demandes d’éclaircissement des conditions de la libération sous caution, présentées à plusieurs reprises par l’auteur, n’ont pas reçu de réponse.

2.7Le procès de l’auteur a débuté le 21 mars 2000. Après trente minutes, le juge a demandé que le procès se poursuive à huis clos, un journaliste ayant essayé de prendre des photos.

2.8Se fondant sur l’article 46 de la loi no 22/91 du 15 juin 1991 sur la presse, le tribunal provincial a jugé que les éléments de preuve présentés par l’auteur pour appuyer sa défense et qui tendaient à démontrer que ses allégations étaient «vraies» et qu’elles avaient été faites de bonne foi (discours du Président, décisions du Gouvernement et déclarations de hauts responsables étrangers) n’étaient pas recevables. À titre de protestation, l’avocat de l’auteur a quitté la salle d’audience, déclarant que dans ces circonstances il ne pouvait pas représenter son client. Lorsqu’il est revenu dans la salle d’audience le 25 mars, le juge l’a empêché de reprendre la défense de l’auteur et a ordonné qu’il lui soit interdit d’exercer la profession d’avocat en Angola pendant six mois. Le tribunal a alors commis d’office comme défenseur un responsable du cabinet du Procureur général attaché à la Division du travail du tribunal provincial, qui, d’après l’auteur, n’était pas qualifié pour plaider.

2.9Le 28 mars 2000, un témoin de la défense s’est vu ordonner de quitter le tribunal et de mettre fin à son témoignage après avoir dit que la loi en vertu de laquelle l’auteur avait été inculpé était contraire à la Constitution. Le tribunal n’a pas autorisé l’auteur à appeler deux autres témoins de la défense, sans donner de motif.

2.10Le 31 mars 2000, le tribunal provincial a reconnu l’auteur coupable d’abus de la presse par diffamation, estimant que l’article du 3 juillet 1999 et l’entretien radiophonique contenaient «des termes et expressions insultants» à l’encontre du Président de la République et, bien que cela n’ait pas été soulevé par l’accusation et ne soit donc pas passible de sanctions, à l’encontre du Procureur général, dans l’exercice de leurs fonctions officielles comme à titre personnel. Le tribunal a estimé que l’auteur avait «agi avec l’intention de nuire» et l’a condamné en faisant jouer les articles 43, 44, 45 et 46 de la loi no 22/91 sur la presse, et en retenant la préméditation, circonstance aggravante prévue au paragraphe 1 de l’article 34 du Code pénal. Il a prononcé une peine de six mois d’emprisonnement, assortie d’une amende d’un million de kwanzas pour «décourager» de tels comportements, et a aussi condamné l’auteur au versement de 100 000 NKz à titre d’indemnités à «la partie lésée» et aux dépens pour un montant de 20 000 NKz.

2.11Le 4 avril 2000, l’auteur a fait appel devant la Cour suprême qui, le 7 avril 2000, a rendu un avis public critiquant l’ordre des avocats pour avoir déclaré, dans une décision de son Conseil national adoptée le 27 mars 2000, que la suspension de l’avocat de l’auteur était nulle et non avenue pour défaut de compétence du juge qui l’avait prononcée.

2.12Le 26 octobre 2000, la Cour suprême a annulé le jugement du tribunal concernant l’accusation de diffamation mais a confirmé la condamnation pour abus de la presse par outrage au Président, qui tombe sous le coup du paragraphe 3 de l’article 45 de la loi no 22/91 sur la presse. Le tribunal a estimé que les actes de l’auteur ne relevaient pas du droit constitutionnel à la liberté d’expression, dont l’exercice était en effet limité par d’autres droits reconnus par la Constitution, tels l’honneur et la réputation, ou par «le respect qui est dû aux organes de la souveraineté et aux symboles de l’État, en l’espèce le Président de la République». Il a confirmé la peine de six mois de prison mais a suspendu son exécution pendant cinq ans et a condamné l’auteur aux dépens pour un montant de 20 000 NKz ainsi qu’à des dommages-intérêts d’un montant de 30 000 Nkz. Les conditions de la libération sous caution n’ont pas été évoquées dans le jugement.

2.13Le 11 novembre 2000, l’auteur a essayé sans succès d’obtenir une déclaration confirmant que les restrictions qui lui étaient imposées par les conditions de sa libération sous caution n’étaient plus applicables.

2.14Le 12 décembre 2000, l’auteur a été empêché de quitter l’Angola pour se rendre en Afrique du Sud où il devait participer à une conférence de l’Open Society Institute. Son passeport a été confisqué. Malgré ses demandes répétées, il ne lui a pas été rendu avant le 8 février 2001, à la suite d’une décision de justice en date du 2 février 2001, fondée sur la loi d’amnistie no 7/00 du 15 décembre 2000, qui a été déclarée applicable dans son cas. En dépit de cette amnistie, l’auteur a été convoqué le 19 janvier 2002 au tribunal provincial qui lui a ordonné de verser au Président des indemnités d’un montant de 30 000 NKz, ce qu’il a refusé de faire; il a en revanche accepté de payer les frais de justice.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur estime que son arrestation et sa détention n’étaient pas fondées sur des dispositions suffisamment définies, en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. En particulier, l’article 43 de la loi sur la presse («abus de la presse») et l’article 410 du Code pénal («outrage») ne sont pas assez précis mais sont au contraire excessivement généraux, et il est donc impossible de savoir avec certitude quels types de discours politiques restent autorisés. En outre, les autorités se sont fondées sur des bases juridiques différentes pour l’arrestation de l’auteur et pour son inculpation, son procès et son appel. Même en admettant que l’arrestation était légale, le maintien en détention pendant 40 jours n’était ni raisonnable ni nécessaire au vu des circonstances de l’affaire.

3.2 L’auteur se dit victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 9, car il a été arrêté sans être informé des raisons de son arrestation ni des accusations portées contre lui. Sa détention au secret pendant 10 jours , sans qu’il puisse contacter son avocat ou sa famille, le déni du droit constitutionnel d’être traduit devant un juge pendant les 40 jours de sa détention, et le refus des autorités de le libérer rapidement en attente du procès alors qu’il n’y avait pas de risque qu’il prenne la fuite (comme il l’avait montré par son attitude coopérative, par exemple lorsqu’il s’était présenté à la DNIC le 13 octobre 1999), ont constitué des violations des droits garantis au paragraphe 3 de l’article 9. Le fait qu’il ait été empêché de soulever la question de la légalité de sa détention alors qu’il était détenu au secret constitue également une violation du paragraphe 4 de l’article 9, tout comme le refus des tribunaux angolais d’examiner sa demande d’ habeas corpus. En vertu du paragraphe 5 de l’article 9, l’auteur demande réparation pour son arrestation et sa détention illégales.

3.3L’auteur fait valoir que le refus d’autoriser la presse et le public à assister au procès n’était justifié par aucune des circonstances exceptionnelles énumérées au paragraphe 1 de l’article 14, car le photographe perturbateur aurait pu se voir confisquer son appareil ou être exclu de la salle d’audience.

3.4Le fait que l’auteur n’ait été informé des chefs d’inculpation formels retenus contre lui que 40 jours après son arrestation constituerait une violation du droit, garanti au paragraphe 3 a) de l’article 14, d’être informé rapidement de la nature et des motifs de l’accusation portée contre lui. L’auteur fait valoir que ce retard n’était pas justifié par la complexité de l’affaire. En outre, le fait qu’il ait été condamné pour des infractions plus graves (art. 43 et 45 de la loi sur la presse) que celles dont il était accusé au départ (art. 44 et 46 de la loi sur la presse) constitue une violation du droit de disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (par. 3 b) de l’article 14 du Pacte). Sa condamnation pour ces infractions supplémentaires aurait dû être annulée par la Cour suprême qui a, à la place, jugé qu’un tribunal provincial pouvait «condamner un accusé pour une infraction différente de celle dont il était accusé, même si elle était plus grave, à condition que cette condamnation se fonde sur des faits portés dans l’acte d’accusation ou dans un acte analogue».

3.5L’auteur invoque une violation du droit de communiquer avec un conseil (par. 3 b) de l’article 14) parce qu’il n’a pas pu consulter son avocat quand il était au secret, à un stade crucial de la procédure et parce que le juge n’a pas ajourné l’audience après avoir dessaisi l’avocat de l’auteur et nommé un défenseur d’office le 23 mars 2000, l’empêchant ainsi de disposer du temps nécessaire pour s’entendre avec son nouveau conseil. Le droit de bénéficier de l’assistance d’un défenseur de son choix (par. 3 d) de l’article 14) a été violé car son avocat a été exclu illégalement de l’affaire, comme l’a confirmé l’arrêt de la Cour suprême du 26 octobre 2000. L’auteur fait valoir que, alors qu’il était disposé à payer les services d’un défenseur de son choix le juge a commis d’office un nouveau conseil qui n’était ni qualifié ni compétent pour assurer correctement sa défense et qui s’est borné, pendant le reste du procès, à demander au tribunal «de rendre la justice» et à se déclarer satisfait du déroulement du procès.

3.6Selon l’auteur, la décision du juge de n’entendre qu’un seul témoin à décharge, un militant des droits de l’homme qui a été expulsé du tribunal après avoir affirmé que l’article 46 de la loi sur la presse était contraire à la Constitution, et de rejeter des écrits tendant à prouver la véracité des déclarations de l’auteur et sa bonne foi, au motif que l’article 46 de la loi sur la presse empêchait la présentation de preuves contre le Président, a constitué une violation des droits garantis au paragraphe 3 e) de l’article 14 et l’a empêché de produire des preuves permettant de déterminer si tous les éléments de l’infraction étaient présents, et notamment s’il avait agi avec l’intention d’offenser le Président.

3.7L’auteur se dit victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 en raison du manque d’impartialité de la Cour suprême qui a publiquement critiqué l’ordre des avocats alors que son appel était en cours d’examen, et des imprécisions entourant la base légale exacte de sa condamnation qui l’ont empêché de former un appel «efficace».

3.8L’auteur fait valoir que ses déclarations critiques à l’égard du Président Dos Santos relevaient de son droit à la liberté d’expression, consacré à l’article 19, qui implique que les citoyens doivent être autorisés à critiquer ou à évaluer ouvertement et publiquement leur gouvernement et que la presse doit être à même d’exprimer des opinions politiques, y compris en critiquant ceux qui détiennent le pouvoir. Son arrestation et sa détention illégales décidées à cause de ses déclarations, les restrictions imposées à sa liberté d’expression et à sa liberté de circulation alors qu’il était en attente de jugement, sa condamnation et sa peine, et la menace de réprimer à l’avenir de la même façon toute expression d’une opinion sont autant d’atteintes à sa liberté d’expression. Il fait valoir que ces restrictions ne sont pas «fixées par la loi» au sens du paragraphe 3 de l’article 19, étant donné a) que sa détention illégale et l’interdiction qui lui a été faite de voyager n’étaient fondées sur aucune disposition de la législation angolaise; b) qu’il a été condamné en vertu de dispositions telles que l’article 43 de la loi sur la presse («abus de la presse») et l’article 410 du Code pénal («outrage»), qui n’étaient pas assez claires pour être considérées comme des normes «suffisamment accessible[s]» et «énoncée[s] avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite»; et c) que la clause de sa libération conditionnelle lui interdisant de «se livrer à certaines activités qui [créeraient] le risque d’une nouvelle infraction» était tout aussi imprécise et qu’il avait en vain demandé ce qui était réellement visé.

3.9L’auteur fait valoir que les restrictions qui lui ont été imposées n’obéissaient pas à un but légitime au sens du paragraphe 3 a) et b) de l’article 19. En particulier, le respect des droits ou de la réputation d’autrui [al. a)] ne pouvait pas être interprété comme protégeant un Président contre les critiques d’ordre politique, par opposition aux critiques d’ordre personnel, étant donné que l’un des objectifs du Pacte était de promouvoir le débat politique. De même, les mesures prises à l’encontre de l’auteur n’étaient ni nécessaires pour atteindre un but légitime ni proportionnelles au but recherché, étant donné que a) les limites des critiques acceptables sont plus larges pour les hommes politiques que pour les personnes privées, qui n’ont pas le même accès aux moyens de communication pour démentir les fausses déclarations; b) il a été reconnu coupable pour ses déclarations sans avoir eu la possibilité de montrer la réalité de ce qu’il affirmait ni de prouver sa bonne foi; c) dans tous les cas, le recours à des sanctions pénales plutôt que civiles constitue un moyen disproportionné pour protéger la réputation d’autrui.

3.10Enfin, l’auteur se dit victime d’une violation de l’article 12, qui comprend le droit d’obtenir les documents de voyage nécessaires pour quitter son propre pays. L’interdiction qui lui a été faite de quitter l’Angola le 12 décembre 2000 et la confiscation, sans justification, de son passeport jusqu’en février 2001, malgré ses tentatives répétées pour le récupérer et pour se faire préciser ses droits en matière de voyage, ne reposaient sur aucune base légale puisque les restrictions découlant des conditions de sa libération sous caution n’étaient plus applicables et que dans son arrêt la Cour suprême n’avait fixé aucune limite à sa liberté de mouvement. L’auteur fait valoir que ces mesures constituaient, en plus d’une violation de l’article 12, une atteinte à la liberté d’expression puisqu’il n’a pas pu participer à la conférence organisée par l’Open Society Institute en Afrique du Sud.

3.11L’auteur affirme que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il a épuisé les recours internes, puisqu’il a déposé en vain une requête en habeas corpus contestant la légalité de son arrestation et de sa détention et qu’il a également fait appel de la déclaration de culpabilité et de la condamnation auprès de la Cour suprême, qui est la plus haute autorité judiciaire en Angola.

3.12L’auteur demande réparation pour les violations dont il se dit victime et demande au Comité de recommander à l’État partie d’annuler sa condamnation, de préciser qu’il n’existe aucun obstacle à sa liberté de mouvement et d’abroger les articles 45 et 46 de la loi sur la presse.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Par des lettres datées du 15 novembre 2002, du 15 décembre 2003, du 26 janvier 2004 et du 23 juillet 2004, l’État partie a été prié de présenter au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a toujours pas reçu les informations demandées. Il regrette que l’État partie n’ait donné aucune information quant à la recevabilité ou au fond des allégations de l’auteur. Il rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les États parties doivent examiner de bonne foi toutes les allégations présentées contre eux et fournir au Comité tous les renseignements utiles dont ils disposent. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur dans la mesure où celles-ci ont été étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3En ce qui concerne les allégations de l’auteur qui affirme que la presse et le public ont été exclus de la salle d’audience, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité relève que l’auteur n’a pas soulevé la question devant la Cour suprême. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.4Pour ce qui est des allégations de l’auteur qui dit n’avoir été informé des accusations portées contre lui que 40 jours après son arrestation, le Comité rappelle que le paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte ne s’applique pas aux personnes placées en garde à vue en attendant les résultats de l’enquête de police mais implique que l’intéressé doit être informé dans le plus court délai et de façon détaillée de ce qui lui est reproché dès que l’accusation est formulée pour la première fois par une autorité compétente. Bien que l’auteur ait été inculpé le 25 novembre 1999, c’est-à-dire une semaine après que sa mise en cause a été «approuvée» par le ministère public, il n’a pas soulevé la question de ce retard en appel. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.5En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que la condamnation pour des infractions plus graves que celles retenues dans l’acte d’accusation constitue une violation des droits garantis au paragraphe 3 b) de l’article 14, le Comité a pris note de l’argument de la Cour suprême dans son arrêt du 26 octobre 2000, selon lequel un juge peut condamner un accusé pour une infraction plus grave que celle dont il était accusé, à condition que cette condamnation se fonde sur des faits portés dans l’acte d’accusation. Le Comité rappelle que c’est généralement aux juridictions nationales, et non à lui-même, qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ou de revoir l’interprétation de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que les décisions des tribunaux ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Le Comité estime que l’auteur n’a pas véritablement montré que les accusations portées contre lui ne lui avaient pas été notifiées dans un délai raisonnable, pas plus qu’il n’a montré l’existence d’irrégularités entachant les conclusions de la Cour suprême, qui a estimé qu’un juge n’est pas lié par l’évaluation que fait le ministère public des faits contenus dans l’acte d’accusation. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.6En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 b) de l’article 14, le juge n’ayant pas ajourné le procès après avoir remplacé l’avocat de l’auteur par un conseil commis d’office, l’empêchant ainsi de disposer de suffisamment de temps pour s’entretenir avec son nouveau conseil et préparer sa défense, le Comité note qu’il ne ressort pas des documents dont il est saisi que l’auteur ou son nouveau conseil ont demandé un ajournement au motif qu’ils ne disposaient pas de suffisamment de temps pour préparer sa défense. Si le conseil estimait que son client et lui-même n’étaient pas suffisamment préparés, il lui appartenait de demander l’ajournement du procès. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu’un État partie ne peut pas être tenu pour responsable des agissements d’un avocat de la défense, à moins qu’il n’ait été ou n’eût dû être manifeste pour le juge que le comportement de l’avocat était incompatible avec les intérêts de la justice. Il estime que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que le non-ajournement du procès était manifestement incompatible avec les intérêts de la justice. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.7Pour ce qui est du grief de violation du droit de se défendre soi-même avec l’assistance d’un conseil de son choix (par. 3 d) de l’article 14), le Comité note que la Cour suprême, tout en annulant la suspension temporaire de l’avocat de l’auteur, ne s’est pas prononcée sur la légalité de l’exclusion de l’avocat du procès. Au contraire, elle a jugé que l’abandon d’un client par son avocat, en dehors des situations expressément prévues par la loi, était passible de sanctions disciplinaires en vertu des règlements applicables. Dans son avis, la Cour suprême n’a pas défendu la décision du juge de suspendre l’avocat mais s’est déclarée préoccupée par les effets de la critique de l’ordre des avocats (qui a «injustement créé un climat de suspicion et a discrédité [l’appareil judiciaire] à la fois au niveau national et à l’étranger») tout en soulignant que la décision du juge du fond était «susceptible d’être révisée par une juridiction supérieure». La Cour suprême a par la suite annulé la suspension de l’avocat pour six mois. De même, il ne semble pas, au vu des minutes du procès, que le conseil ait été nommé contre la volonté de l’auteur ou qu’il ait limité ses interventions pendant le reste du procès à des remarques redondantes. Il ressort du compte rendu d’audience que l’auteur, invité à dire s’il souhaitait désigner un nouveau défenseur, a déclaré qu’il laissait cette décision au tribunal. Le Comité conclut que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que l’exclusion de son avocat était illégale ou arbitraire, que le conseil a été nommé contre sa volonté ou qu’il n’était pas qualifié pour assurer une représentation légale efficace. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.8En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du fait de la décision du juge de n’entendre qu’un témoin de la défense, qui a été expulsé de la salle d’audience après avoir critiqué l’article 46 de la loi sur la presse en le déclarant contraire à la Constitution, le Comité note qu’il ne ressort pas de l’arrêt de la Cour suprême en date du 26 octobre 2000, ou de tout autre document à sa disposition, que l’auteur ait soulevé cette question en appel. En conséquence, la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour non-épuisement des recours internes.

5.9Tout en notant que l’auteur a avancé entre autres moyens d’appel le fait que le juge du fond avait rejeté les preuves qu’il avait présentées pour attester de la véracité de ses dires, le Comité note qu’il n’est pas en principe de sa compétence de déterminer si les juridictions nationales apprécient correctement la recevabilité des éléments de preuve, sauf s’il apparaît que leur décision est manifestement arbitraire ou constitue un déni de justice. Dans le cas d’espèce, le Comité note que le tribunal provincial et tout particulièrement la Cour suprême ont examiné si la loi sur la presse interdisait de défendre la vérité concernant les déclarations relatives au Président de la République, et rien ne permet à son avis d’estimer que leurs conclusions souffrent de telles irrégularités. Il estime par conséquent que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, cette plainte en vertu du paragraphe 3 e) de l’article 14 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.10En ce qui concerne les allégations de l’auteur qui se dit victime d’une violation des droits garantis au paragraphe 5 de l’article 14, parce que la base légale sur laquelle s’est appuyé le tribunal provincial pour le condamner n’est pas claire et que l’impartialité de la Cour suprême a été altérée par son avis du 7 avril 2000, le Comité fait observer que l’infraction pour laquelle l’auteur a été condamné (abus de la presse par diffamation) est décrite avec suffisamment de précision dans le jugement du tribunal provincial. Il conclut par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.11Pour ce qui est du reste de la communication, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé sa plainte aux fins de la recevabilité.

5.12En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’auteur a soulevé les questions constituant le fond de ses griefs au titre de l’article 9 dans sa requête en habeas corpus sur laquelle, d’après lui, les tribunaux angolais ne se sont jamais prononcés. En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 19 du Pacte, le Comité note que l’auteur a invoqué «le droit à la critique politique et sociale et la liberté de la presse» dans son appel. Il note en outre que l’auteur déclare (en rapport avec l’article 12 du Pacte) avoir fait à plusieurs reprises des démarches officielles pour récupérer son passeport et pour faire préciser par une autorité son droit de voyager mais qu’il s’est heurté à l’impossibilité absolue d’obtenir des renseignements concernant ses documents de voyage. Le Comité observe que, dans ces circonstances, aucun recours interne ne s’offrait à l’auteur.

5.13En l’absence d’informations contraires fournies par l’État partie, le Comité conclut que l’auteur a satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et que la communication est recevable pour ce qui est des questions soulevées au titre des paragraphes 1 à 5 de l’article 9 et de l’article 12, du paragraphe 3 b) de l’article 14 (en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouvait l’auteur de consulter son avocat pendant sa détention au secret) et de l’article 19 du Pacte.

Examen au fond

6.1Le Comité doit déterminer tout d’abord si l’arrestation de l’auteur le 16 octobre 1999 et sa détention jusqu’au 25 novembre 1999 étaient arbitraires ou constituaient de quelque manière que ce soit une violation de l’article 9 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme qu’il ne faut pas donner au mot «arbitraire» le sens de «contraire à la loi», mais plutôt l’interpréter plus largement du point de vue de ce qui est inapproprié, injuste, non prévisible et non conforme à la légalité. Cela signifie que la mise en détention provisoire doit certes être légale mais doit aussi être raisonnable et nécessaire à tous égards, par exemple pour éviter que l’intéressé prenne la fuite, soustraie ou modifie des preuves ou commette un nouveau crime. Or, aucune justification de ce type n’a été invoquée en l’espèce. Quelles que soient les règles de procédure pénale applicables, le Comité observe que même si l’auteur n’en a pas été informé, le motif de l’arrestation était la diffamation qui, bien que reconnue comme une infraction en droit pénal angolais, ne justifie ni l’arrestation de l’auteur [sous la menace d’une arme] par 20 policiers armés, ni la durée de sa détention, à savoir 40 jours, dont 10 jours au secret. Le Comité conclut qu’en l’espèce l’arrestation et la détention de l’auteur n’étaient ni raisonnables ni nécessaires mais revêtaient, du moins en partie, un caractère punitif et donc arbitraire, en violation du paragraphe 1 de l’article 9.

6.2Le Comité prend note de l’affirmation non réfutée de l’auteur qui dit ne pas avoir été informé des raisons de son arrestation et n’avoir été inculpé que le 25 novembre 1999, 40 jours après son arrestation le 16 octobre 1999. Le Comité considère que la déclaration de l’enquêteur en chef, le 16 octobre 1999, qui a signifié à l’auteur qu’il était retenu en tant que prisonnier de l’UNITA, ne satisfait pas aux conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 9. Dans ces circonstances, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 9.

6.3En ce qui concerne le grief de l’auteur qui se plaint de ne pas avoir été conduit devant un juge pendant ses 40 jours de détention, le Comité rappelle que le droit d’être traduit «dans le plus court délai» devant une autorité judiciaire implique que ce délai ne saurait dépasser quelques jours, et que la détention au secret en tant que telle pourrait constituer une violation du paragraphe 3 de l’article 9. Il prend note de l’argument de l’auteur selon lequel sa détention au secret pendant 10 jours, sans pouvoir consulter un avocat, a eu des incidences négatives sur l’exercice de son droit d’être traduit devant un juge, et conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Étant donné cette constatation, le Comité ne juge pas utile de se prononcer sur une violation éventuelle du paragraphe 3 b) de l’article 14.

6.4En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme qu’au lieu d’être placé en détention provisoire pendant 40 jours il aurait dû être libéré en attendant son procès, puisqu’il n’y avait pas de risque qu’il prenne la fuite, le Comité relève que l’auteur n’a été inculpé que le 25 novembre 1999, date à laquelle il a également été remis en liberté. Avant cette date, il n’était donc pas en attente de jugement, au sens du paragraphe 3 de l’article 9. De plus, il n’a pas été traduit avant cette date devant une autorité judiciaire qui aurait pu déterminer s’il existait une raison légale de prolonger sa détention. Le Comité considère par conséquent que l’illégalité de la détention de l’auteur pendant 40 jours, sans accès à un juge, fait partie de la [des] violation[s] du [des] paragraphe[s] [1] [et] 3 (première phrase) de l’article 9 et que la question d’une violation du paragraphe 3 de l’article 9 (deuxième phrase) pour durée excessive de la détention avant jugement ne se pose donc pas.

6.5Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 4 de l’article 9, le Comité rappelle que l’auteur n’avait pas la possibilité de s’entretenir avec un conseil pendant sa détention au secret, ce qui l’a empêché de contester la légalité de sa détention pendant cette période. Même si son avocat a par la suite − le 29 octobre 1999 − déposé une demande en habeas corpus auprès de la Cour suprême, celle-ci ne s’est jamais prononcée sur cette demande. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, le Comité estime que le droit de l’auteur d’obtenir qu’un tribunal statue sur la légalité de sa détention (art. 9, par. 4) a été violé.

6.6Pour ce qui est des allégations de violation du paragraphe 5 de l’article 9, le Comité rappelle que cette disposition prévoit un droit à réparation en cas d’arrestation ou de détention «illégale» que ce soit en vertu de la législation interne ou des dispositions du Pacte. Il rappelle que les circonstances de l’arrestation et de la détention de l’auteur ont donné lieu à des violations des paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte et prend note de l’argument non contesté de l’auteur qui affirme que le fait que l’État partie ne l’ait pas traduit devant un juge au cours de ses 40 jours de détention constitue également une violation de l’article 38 de la Constitution angolaise. Dans ce contexte, le Comité estime approprié de traiter de la question d’une réparation au paragraphe consacré aux mesures correctives.

6.7Le Comité doit en deuxième lieu déterminer si l’arrestation, la détention et la condamnation de l’auteur, ainsi que les obstacles qui ont été mis à ses déplacements, ont restreint illégalement son droit à la liberté d’expression, en violation de l’article 19 du Pacte. Le Comité réaffirme que le droit à la liberté d’expression au sens du paragraphe 2 de l’article 19 comprend le droit des individus d’émettre des critiques ou de porter des appréciations ouvertement et publiquement à l’égard de leur gouvernement sans crainte d’intervention ou de répression.

6.8Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que toute restriction à la liberté d’expression doit satisfaire à l’ensemble des conditions suivantes, énoncées au paragraphe 3 de l’article 19: elle doit être fixée par la loi, répondre à un des buts énumérés aux alinéas a et b du paragraphe 3 et être nécessaire pour atteindre un de ces buts. Le Comité note que la condamnation finale de l’auteur se fonde sur l’article 43 de la loi sur la presse, lu conjointement avec l’article 410 du Code pénal. Même en admettant que l’arrestation et la détention de l’auteur, ou les restrictions qui ont été imposées à ses déplacements, ont un fondement en droit angolais, et que ces mesures, tout comme sa condamnation, servaient un but légitime, comme la protection des droits et de la réputation du Président ou la préservation de l’ordre public, on ne peut dire que les restrictions étaient nécessaires pour parvenir à l’un de ces buts. Le Comité observe que le critère de nécessité implique la proportionnalité, c’est-à-dire que l’ampleur des restrictions imposées à la liberté d’expression doit être en rapport avec la valeur que ces restrictions visent à protéger. Étant donné l’importance essentielle, dans une société démocratique, du droit à la liberté d’expression et d’une presse et autres moyens d’information libres et sans censure, la sévérité des sanctions imposées à l’auteur ne peut pas être considérée comme une mesure proportionnée à l’objectif qui est de préserver l’ordre public ou de protéger l’honneur et la réputation du Président, personne publique qui, en tant que telle, est sujet à la critique et à l’opposition. De plus, le Comité considère que le fait que le motif invoqué par l’auteur dans sa défense face à l’accusation de diffamation, à savoir la défense de la vérité, ait été rejeté par les tribunaux constitue une circonstance aggravante. Dans ces circonstances, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 19.

6.9Enfin, le Comité doit déterminer si l’interdiction qui a été faite à l’auteur de quitter l’Angola le 12 décembre 2000 et la confiscation de son passeport constituent des violations de l’article 12 du Pacte. Il note que l’auteur affirme que la confiscation de son passeport n’obéissait à aucune justification et ne reposait sur aucune base légale, les restrictions dont sa libération sous caution était assortie n’étant plus applicables, et qu’il n’a obtenu aucun renseignement sur ses droits en matière de déplacement. En l’absence d’explication de la part de l’État partie, le Comité estime que l’auteur a été victime d’une violation de ses droits au titre du paragraphe 1 de l’article 12.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’article 9 et des articles 12 et 19 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile et à réparation pour arrestation et détention arbitraires [ainsi que pour violation de ses droits au titre des articles 12 et 19 du Pacte]. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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