Nations Unies

CRC/C/88/D/107/2019

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

11 novembre 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’enfant

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 107/2019 * , **

Communication présentée par :

Chiara Sacchi et consorts (représentés par des conseils, Scott Gilmore et autres (Hausfeld LLP) et Ramin Pejan et autres (Earthjustice))

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Allemagne

Date de la communication :

23 septembre 2019 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

22 septembre 2021

Objet :

Non-prévention des changements climatiques et non-atténuation de leurs conséquences

Questions de procédure :

Compétence ; qualité de victime ; non‑épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Questions de fond :

Droit à la vie ; droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible ; droit de l’enfant d’avoir sa propre vie culturelle ; intérêt supérieur de l’enfant

Article(s) de la Convention :

6, 24 et 30, lus conjointement avec l’article 3

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 1) et 7 (al. e) et f))

1.1Les auteurs de la communication sont Chiara Sacchi, de nationalité argentine, Catarina Lorenzo, de nationalité brésilienne, Iris Duquesne, de nationalité française, Raina Ivanova, de nationalité allemande, Ridhima Pandey, de nationalité indienne, David Ackley III, Ranton Anjain et Litokne Kabua, de nationalité marshallienne, Deborah Adegbile, de nationalité nigériane, Carlos Manuel, de nationalité palaosienne, Ayakha Melithafa, de nationalité sud-africaine, Greta Thunberg et Ellen-Anne, de nationalité suédoise, Raslen Jbeili, de nationalité tunisienne, et Carl Smith et Alexandra Villaseñor, ressortissants des États-Unis d’Amérique. Au moment où ils ont soumis leur plainte, les auteurs avaient tous moins de 18 ans. Ils affirment qu’en ne prévenant pas les changements climatiques et en n’atténuant pas leurs conséquences, l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 6, 24 et 30 de la Convention, lus conjointement avec l’article 3. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 20 novembre 2019, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 8 du Protocole facultatif et l’article 18 (par. 4) du règlement intérieur du Comité au titre du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de soumettre ses observations sur la recevabilité de la communication séparément de ses observations sur le fond.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs font observer que la température de la Terre a augmenté de 1,1 °C depuis l’ère préindustrielle et qu’il est prévisible que le réchauffement de la planète aura bientôt des conséquences catastrophiques irréversibles. Si la température de la Terre augmente de 2 °C, la pollution atmosphérique devrait à elle seule faire 150 millions de morts. Si elle augmente de 3 à 4 °C d’ici à 2100, ce qui sera le cas si les États ne réduisent pas radicalement leurs émissions, les effets des changements climatiques menaceront la vie et le bien-être de plus de 2 milliards d’enfants.

2.2L’augmentation des températures favorise la propagation des maladies infectieuses et aggrave les risques sanitaires. À Lagos (Nigéria), une auteure, Deborah Adegbile, a été hospitalisée à plusieurs reprises pour des crises d’asthme, car la chaleur nuit à la qualité de l’air. Les maladies transmises par les moustiques se sont répandues dans de nouvelles régions. En 2019, dans les Îles Marshall, un autre auteur, Ranton Anjain, a contracté la dengue, qui est maintenant devenue courante dans le pays, et un autre encore, David Ackley III, a contracté le chikungunya, maladie apparue dans ces îles en 2015. Parce que l’air est plus chaud et plus sec, les incendies de forêt deviennent de plus en plus fréquents et intenses. À Tabarka (Tunisie), une nuit, Raslen Jbeili a entendu des cris et a vu un incendie de forêt se rapprocher de sa maison. Lui a été épargné, mais ses voisins, non. Aux États-Unis d’Amérique, Alexandria Villaseñor est restée alitée pendant trois semaines après avoir inhalé de la fumée pendant l’incendie de Paradise (Californie). Les vagues de chaleur et la sécheresse menacent la vie des enfants et créent une pénurie d’eau. Au Cap (Afrique du Sud), la sécheresse a obligé la famille d’Ayakha Melithafa et 3,7 millions d’autres personnes à faire des préparatifs pour le jour où les réserves municipales d’eau seraient épuisées. À Bordeaux (France), en 2003, le premier été d’Iris Duquesne a été le plus chaud que l’Europe ait connu depuis 1540 et des dizaines de milliers de personnes sont mortes pendant la canicule. Les tempêtes extrêmes, autrefois rares, sont à présent des phénomènes courants. Sur l’île d’Ebeye (Îles Marshall), à cause d’une violente tempête, Litokne Kabua et sa famille ont dû être évacués vers une base de l’armée américaine. À Haedo (Argentine), une tempête sans précédent a dévasté le quartier de Chiara Sacchi. À Hambourg (Allemagne), pendant la tempête Herwart, en 2017, Raina Ivanova a dû traverser la cour de son école avec de l’eau jusqu’aux genoux. À Bahia (Brésil), les tempêtes venues de l’Atlantique Sud sont plus fréquentes qu’avant, et l’une d’entre elles a endommagé la maison de Catarina Lorenzo. Les inondations et la montée du niveau de la mer transforment la relation des enfants à la terre. Les Îles Marshall pourraient devenir inhabitables dans quelques dizaines d’années. Aux Palaos, avec la montée du niveau du Pacifique, Carlos Manuel voit de plus en plus souvent des vagues franchir les digues et s’écraser contre les maisons. À Haridwar (Inde), Ridhima Pandey a vu des pluies diluviennes inonder les infrastructures et provoquer des déversements d’eaux usées dans le Gange, fleuve sacré, ce qui augmente le risque de propagation des maladies infectieuses. Le mode de subsistance de nombreuses populations autochtones est en jeu. Dans le nord de la Suède, Ellen-Anne apprend les méthodes traditionnelles d’élevage des rennes, que les Sâmes se transmettent de génération en génération depuis des millénaires, mais les changements climatiques détruisent les sources de nourriture de ces animaux. À Akiak, en Alaska (États-Unis d’Amérique), Carl Smith a appris à chasser et à pêcher auprès des anciens de la tribu Yupiaq, mais la mortalité des saumons, dont dépend cette tribu, est plus élevée que jamais à cause du stress thermique, et le réchauffement climatique a rendu les terrains de chasse traditionnels inaccessibles. Les changements climatiques ont des conséquences sur la santé mentale des enfants du monde entier. Comme l’a observé l’American Psychological Association, les psychologues font à présent face à des maux nouveaux, apparus au XXIe siècle, comme l’anxiété climatique et la solastalgie, soit le deuil consécutif à la destruction du lieu auquel on est attaché. En Suède, Greta Thunberg a été à ce point perturbée par la crise climatique qu’elle est tombée dans la dépression et a arrêté de s’alimenter.

2.3Les auteurs soutiennent que l’État partie sait depuis des dizaines d’années qu’il mène des activités qui ont des effets néfastes sur le climat tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières. En 1992, il a signé la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et s’est engagé à protéger les enfants contre les menaces prévisibles que présentaient ces changements. Il était clair, à l’époque, que chaque tonne métrique de dioxyde de carbone que l’État partie émettait ou dont il autorisait l’émission venait aggraver une crise qui ne connaissait pas de frontières et mettait en danger les droits des enfants du monde entier. Il était plus clair encore que les émissions mettaient en danger la vie des enfants en 2016, lorsque l’État partie a signé l’Accord de Paris, s’engageant à faire des efforts pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. L’État partie n’a ni tenu ni honoré cet engagement, qui est en soi insuffisant pour prévenir les violations des droits de l’homme à grande échelle. Il n’a pas prévenu les atteintes prévisibles aux droits de l’homme liées aux changements climatiques en ne prenant pas, pour réduire ses émissions, les mesures correspondant au « niveau d’ambition le plus élevé possible », conformément à l’article 4 (par. 3) de l’Accord de Paris. Il retarde la réduction radicale des émissions de carbone nécessaire aux fins de la protection de la vie et du bien-être des enfants, tant sur son territoire qu’ailleurs dans le monde. Il n’a pas adopté, en matière d’émissions, une trajectoire compatible avec un réchauffement mondial inférieur à 3 °C ni, à plus forte raison, à 1,5 °C. Au cours des vingt années qui ont suivi la signature en 1997 du Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, le monde a produit plus d’émissions que pendant les vingt années précédentes. Tous les pays ont contribué aux changements climatiques. Pendant des dizaines d’années, ils n’ont rien fait pour y remédier au prétexte qu’on ne pouvait pas attribuer les dommages à des émissions particulières ou à un pays donné et qu’aucun État ne pouvait donc en être tenu responsable. Toutefois, au regard du droit des droits de l’homme, les États sont individuellement responsables de leurs actions et de leurs omissions qui, en provoquant des changements climatiques ou en contribuant à ces changements, vont à l’encontre des obligations fondamentales découlant du droit des droits de l’homme, et devraient avoir à en répondre. Gros émetteur de carbone depuis longtemps et membre influent du Groupe des Vingt (G20), qui rassemble les plus grandes économies mondiales, l’État partie doit montrer l’exemple en réduisant ses émissions le plus rapidement possible, à un niveau dont il est scientifiquement établi qu’il permettrait de protéger la vie. Les émissions des autres membres du G20, en particulier les quatre « gros émetteurs », doivent aussi être réduites si l’on veut garantir le respect des droits des enfants. Par conséquent, l’État partie doit employer tous les moyens juridiques, diplomatiques et économiques à sa disposition pour faire en sorte que les gros émetteurs décarbonent suffisamment − et suffisamment vite − pour atteindre les objectifs collectifs.

2.4Les auteurs font observer que, dans la déclaration conjointe sur les droits de l’homme et les changements climatiques qu’il a publiée avec quatre autres organes conventionnels, le Comité a souligné que les États parties étaient tenus de respecter, de protéger et de mettre en œuvre tous les droits de l’homme pour tous et que cet objectif emportait notamment des obligations extraterritoriales. Ainsi, les États sont tenus de prévenir les atteintes prévisibles aux droits de l’homme causées par les changements climatiques et de réglementer les activités qui contribuent à ces atteintes. Dans cette déclaration conjointe, les comités précisent que, pour que les États respectent leurs obligations en matière de droits de l’homme et réalisent les objectifs énoncés dans l’Accord de Paris, ils doivent adopter et mettre en œuvre des politiques visant à réduire les émissions. Ces politiques doivent correspondre au niveau d’ambition le plus élevé possible, promouvoir la résilience face aux changements climatiques et faire en sorte que les investissements publics et privés soient compatibles avec la réduction des émissions de carbone et la poursuite d’un développement résilient face aux changements climatiques. Les auteurs notent que le Comité a fait siens ces principes dans son observation générale no 16 (2003), dans laquelle il est dit que « s’il est établi que des enfants sont victimes d’une pollution de l’environnement, des mesures devraient immédiatement être prises par toutes les parties compétentes pour qu’il ne soit pas porté davantage préjudice à la santé et au développement des enfants et pour réparer les préjudices déjà subis » (par. 31).

2.5Les auteurs avancent qu’ils relèvent de la juridiction de l’État partie en ce qu’ils sont victimes des conséquences prévisibles des actes par lesquels, à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières, celui-ci contribue aux changements climatiques. Ils soutiennent qu’ils sont tous victimes des conséquences prévisibles des émissions polluantes de carbone sciemment produites, autorisées ou encouragées par l’État partie et provenant de son territoire. Ils font observer que les États ont une juridiction qui s’étend au-delà de leur territoire national et couvre les territoires et les personnes se trouvant sous leur autorité ou leur contrôle. La compétence des États s’étend également aux situations dans lesquelles leurs actes ou omissions ont des effets prévisibles à l’intérieur ou à l’extérieur de leur territoire. Il est à présent établi dans la jurisprudence internationale relative aux droits de l’homme que le contrôle que l’État exerce sur les personnes suffit à établir sa juridiction et que les comportements constitutifs de violations permettent en soi d’inférer un degré de contrôle suffisant, qu’il s’agisse d’atteintes à l’environnement, de tirs transfrontaliers ou du refoulement de demandeurs d’asile, sur terre ou en mer. Les auteurs soulignent que, dans son observation générale no 16 (2013), le Comité a indiqué que « [l]es États [avaient] aussi l’obligation [...] de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits de l’enfant dans le contexte des activités et des opérations extraterritoriales des entreprises, pour autant qu’il existe un lien raisonnable entre l’État et le comportement en question » (par. 43). Ils soutiennent que le Comité devrait considérer que, dans le contexte des violations des droits de l’homme causées par les changements climatiques, un enfant relève de la juridiction d’un État partie dès lors que : a) par ses actes ou omissions, l’État en question contribue à une activité polluante provenant de son territoire ; b) l’activité polluante a des conséquences directes et prévisibles sur les droits des enfants, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire de cet État. Ils avancent que l’État partie provoque et fait perdurer les changements climatiques à cause de la pollution au carbone qu’il a causée et continue de causer, et ce, alors qu’il sait depuis des dizaines d’années déjà que ce comportement met en danger la vie et le bien-être des enfants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son territoire. Selon eux, il était prévisible qu’ils seraient les victimes de cette pollution, et les dommages qui leur ont été causés, ainsi que les risques auxquels ils sont exposés, sont précisément le type d’atteintes susceptibles de mettre leur vie en danger dont l’État partie savait qu’elles auraient lieu s’il n’utilisait pas tous les moyens disponibles pour réduire les émissions et coopérer avec la communauté internationale en vue de prévenir le réchauffement de la planète. Les auteurs estiment que, par conséquent, ils relèvent de la juridiction de l’État partie.

2.6Les auteurs soutiennent qu’ils se heurteraient à des obstacles considérables s’ils devaient épuiser les recours internes, parce que l’ampleur et la nature du préjudice subi par 16 enfants de différents pays sont mondiales et que les violations commises par l’État partie résultent d’actions individuelles et collectives. Par conséquent, l’épuisement des recours internes supposerait d’engager des procédures qui seraient excessivement lourdes pour eux et déraisonnablement longues. En outre, les auteurs soutiennent que leur communication a trait à des questions juridiques qui soulèvent des questions relatives à la justiciabilité des relations diplomatiques et à l’immunité de juridiction étrangère de l’État. Ils allèguent que l’État partie n’a pas fait usage des moyens juridiques, économiques et diplomatiques à sa disposition pour convaincre d’autres États membres du G20 et des entreprises du secteur des combustibles fossiles de limiter leurs émissions, ce qui pose la question des obligations mises à la charge de l’État en matière de coopération internationale et de son devoir de protection des droits de l’enfant découlant de la Convention. Or, à leur connaissance, il n’existe dans l’État partie aucun recours juridique interne permettant de soulever des griefs relatifs aux relations diplomatiques. Les auteurs sont conscients que, en Allemagne, en Belgique, en France, en Inde, aux Pays-Bas et dans d’autres pays, des affaires importantes portant sur les politiques climatiques des pays en question sont actuellement examinées par les tribunaux. Toutefois, ils avancent que, pour des motifs liés aux questions d’immunité et de justiciabilité évoquées précédemment, ces procédures ne portent pas et ne peuvent pas porter sur les politiques climatiques d’autres États ou sur l’absence de coopération entre États.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent que, en provoquant et en faisant perdurer des changements climatiques qui mettent des vies en danger, sans se soucier des conséquences de ses actes, l’État partie n’a pas pris les mesures de prévention et de précaution nécessaires pour respecter, protéger et réaliser leurs droits à la vie, à la santé et à la culture. Ils soutiennent que la crise climatique n’est pas une menace lointaine et abstraite. L’augmentation de 1,1 °C de la température mondiale moyenne provoque actuellement des vagues de chaleur dévastatrices, des incendies de forêt, des phénomènes météorologiques extrêmes, des inondations et l’élévation du niveau de la mer et favorise la propagation de maladies infectieuses. Parce qu’ils font partie des plus vulnérables, physiologiquement et psychologiquement, face à ces effets potentiellement mortels, les enfants subiront les préjudices causés par les changements climatiques bien davantage et bien plus longtemps que les adultes.

3.2Les auteurs affirment que chaque jour de retard dans l’adoption des mesures nécessaires pèse sur le « budget carbone » restant, c’est-à-dire la quantité de carbone qui peut encore être émise avant que les changements climatiques n’atteignent un point de basculement irréversible pour l’environnement et la santé humaine. Ils ajoutent que l’État partie, comme d’autres États, crée un risque imminent car les occasions perdues d’atténuer les changements climatiques ne pourront pas être rattrapées et il sera impossible d’assurer des moyens de subsistance durables et sûrs aux générations futures.

3.3Les auteurs avancent que la crise climatique est une crise des droits de l’enfant. Les États parties à la Convention sont tenus de respecter, de protéger et de réaliser le droit inaliénable des enfants à la vie, dont tous les autres droits découlent. L’atténuation des changements climatiques est un impératif au regard des droits de l’homme. Dans le contexte de la crise climatique, les obligations découlant du droit international des droits de l’homme sont fondées sur les règles et principes du droit international de l’environnement. Les auteurs affirment que l’État partie n’a pas respecté l’obligation que lui fait la Convention : a) de prévenir les violations prévisibles des droits de l’homme que les changements climatiques peuvent causer, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son territoire ; b) de coopérer au niveau international pour faire face à l’urgence climatique mondiale ; c) d’appliquer le principe de précaution pour protéger la vie dans un contexte d’incertitude ; d) de garantir une justice intergénérationnelle, pour les enfants et pour la postérité.

Article 6

3.4Les auteurs soutiennent que les actes et omissions de l’État partie qui font perdurer la crise climatique les ont déjà exposés pendant toute leur enfance aux risques prévisibles et potentiellement mortels des changements climatiques causés par l’homme, qu’il s’agisse de la chaleur, des inondations, des tempêtes, des sécheresses, des maladies ou de la pollution de l’air. Les scientifiques s’accordent à dire que les risques potentiellement mortels auxquels les auteurs sont exposés s’aggraveront tout au long de leur vie si la température de la planète augmente de 1,5 °C ou plus par rapport à l’ère préindustrielle.

Article 24

3.5Les auteurs affirment que les actes et les omissions de l’État partie qui font perdurer la crise climatique ont déjà porté préjudice à leur santé mentale et physique, avec des effets allant de l’asthme au traumatisme émotionnel. Ces préjudices, qui s’aggraveront à mesure que la planète continuera de se réchauffer, constituent des atteintes au droit à la santé qu’ils tiennent de l’article 24 de la Convention.

Article 30

3.6Les auteurs affirment que, en contribuant comme il l’a fait à la crise climatique, l’État partie a déjà mis en péril les pratiques millénaires de subsistance des peuples autochtones de l’Alaska (États-Unis), des Îles Marshall et du Sápmi (Suède), auxquels appartiennent certains des auteurs. Ces pratiques ne sont pas seulement la principale source de subsistance de ces peuples, elles sont aussi directement liées à une façon d’être, de voir le monde et de se comporter qui fait intrinsèquement partie de leur identité culturelle.

Article 3

3.7En favorisant des politiques climatiques qui retardent la décarbonation, l’État partie reporte sur les enfants et sur les générations futures l’énorme fardeau et les coûts considérables des changements climatiques. Ce faisant, il manque à son devoir de garantir l’exercice des droits de l’enfant pour la postérité et ignore le principe d’équité intergénérationnelle. Les auteurs font observer que, si leur plainte porte sur la violation des droits que leur reconnaît la Convention, les effets de la crise climatique ne se limitent pas aux préjudices subis par un petit nombre d’enfants. En fin de compte, ce sont les droits de tous les enfants, partout dans le monde, qui sont en jeu. Si l’État partie, agissant seul et de concert avec d’autres États, ne prend pas immédiatement les mesures disponibles pour mettre fin à la crise climatique, les effets dévastateurs des changements climatiques réduiront à néant la capacité de la Convention à protéger les droits des enfants, où que ce soit dans le monde. Aucun État qui agirait rationnellement dans l’intérêt supérieur de l’enfant n’imposerait ce fardeau à un enfant en choisissant de retarder l’adoption de telles mesures. La seule analyse coûts-avantages qui justifierait les politiques menées par les États concernés est une analyse qui ne tiendrait pas compte de la vie des enfants et ferait primer les intérêts économiques à court terme sur les droits de l’enfant. En accordant, dans son action climatique, une valeur inférieure à l’intérêt supérieur des auteurs et des autres enfants, l’État partie viole directement l’article 3 de la Convention.

3.8Les auteurs demandent au Comité de constater : a) que la crise climatique est une crise des droits de l’enfant ; b) que l’État partie, avec d’autres États, a provoqué cette crise et la fait perdurer en ignorant délibérément les données scientifiques disponibles concernant les mesures à prendre pour prévenir et atténuer les changements climatiques ; c) que, en faisant perdurer les changements climatiques, qui représentent un danger mortel, l’État partie viole les droits des auteurs à la vie et à la santé et le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une priorité, ainsi que les droits culturels des auteurs issus de communautés autochtones.

3.9Les auteurs demandent également au Comité de recommander à l’État partie : a) d’examiner et, au besoin, de modifier ses lois et ses politiques en vue d’accélérer les efforts d’atténuation et d’adaptation dans toute la mesure des ressources disponibles et sur la base des meilleures preuves scientifiques disponibles pour protéger les droits des auteurs et faire en sorte que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale, en particulier dans le cadre de la répartition de la charge et des coûts liés à l’atténuation des changements climatiques et à l’adaptation à ces changements ; b) d’entreprendre des actions en coopération avec la communauté internationale − et de renforcer les actions de coopération existantes − en vue d’adopter des mesures contraignantes et exécutoires visant à atténuer la crise climatique, à protéger les auteurs et les autres enfants contre tout nouveau préjudice et à garantir leurs droits inaliénables ; c) de garantir, conformément à l’article 12 de la Convention, le droit de l’enfant d’être entendu et d’exprimer librement son opinion sur toutes les actions entreprises aux niveaux international, national et infranational en vue d’atténuer la crise climatique ou de s’y adapter, ainsi que sur toutes les actions entreprises pour donner suite à la présente communication.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note du 20 janvier 2020, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la plainte. Il affirme que la communication est irrecevable pour défaut de compétence, défaut de qualité de victime, défaut de fondement des griefs aux fins de la recevabilité et non-épuisement des recours internes.

4.2L’État partie affirme que la communication est irrecevable pour défaut de compétence en ce qui concerne tous les auteurs, à l’exception de l’auteure de nationalité allemande. Il souligne qu’en vertu de l’article 2 (par. 1) de la Convention, les États parties garantissent les droits énoncés dans la Convention « à tout enfant relevant de leur juridiction ». Il soutient que les auteurs qui ne résident pas en Allemagne ne relèvent pas de sa juridiction et que l’une des conditions de l’application extraterritoriale des droits de l’enfant est que les actions menées au niveau national aient des effets directs et prévisibles sur les droits des victimes présumées se trouvant dans d’autres pays. Il note que, dans son avis consultatif OC-23/17 sur l’environnement et les droits de l’homme, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a expressément souligné que les situations dans lesquelles le comportement extraterritorial d’un État constitue l’exercice de sa juridiction sont exceptionnelles et, en tant que telles, doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive. En outre, selon l’interprétation donnée par le Comité des droits de l’homme, il faut, pour que la juridiction soit établie, que le comportement ait un effet direct et raisonnablement prévisible sur le droit à la vie de personnes se trouvant à l’extérieur du territoire de l’État concerné ; la Cour européenne des droits de l’homme, quant à elle, a jugé qu’il fallait, pour que la juridiction soit établie, qu’il y ait une cause directe et immédiate. Il n’y a pas en l’espèce d’effet direct ou immédiat et prévisible sur les droits des auteurs, qui serait dû aux actes ou à l’inaction de l’État partie. Les auteurs affirment qu’il est porté atteinte à leurs droits en raison des changements climatiques actuels. Les changements climatiques sont la conséquence des émissions de gaz à effet de serres produites partout dans le monde. Certes, les émissions de gaz à effet de serre provenant d’un État en particulier contribuent à l’accentuation des changements climatiques, mais elles ne portent pas atteinte de manière directe et prévisible aux droits de personnes se trouvant dans d’autres États. En conséquence, il n’est pas possible de conclure que les personnes touchées par les changements climatiques partout dans le monde relèvent de la juridiction de l’État partie au titre de la Convention. L’État partie fait de plus observer que les auteurs n’ont pas établi leur qualité de victimes, puisque, conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, une communication n’est recevable que si une violation précise des droits énoncés dans la Convention est alléguée. Il note que l’auteure allemande a déclaré être inquiète à cause des inondations qui se sont produites dans sa région et qui l’ont beaucoup marquée. Si l’inquiétude que l’auteure allemande nourrit pour son avenir compte tenu des changements climatiques actuels est compréhensible, elle ne constitue pas une atteinte à l’un quelconque des droits consacrés par la Convention.

4.3L’État partie affirme en outre que la communication est manifestement infondée et, partant, irrecevable au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif, parce que les griefs soulevés par les auteurs ne relèvent du champ d’application ni de la Convention ni du Protocole. Il prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle les changements climatiques doivent être considérés comme une crise climatique et de leurs griefs selon lesquels lui-même, avec d’autres États, a provoqué les changements climatiques et les fait perdurer en ignorant délibérément les données scientifiques disponibles concernant les mesures à prendre pour les prévenir et les atténuer. Il soutient que, nonobstant les effets réels des changements climatiques sur les droits des enfants partout dans le monde, la déclaration selon laquelle les changements climatiques sont « une crise des droits de l’enfant » n’est pas recevable puisque ni la Convention ni le Protocole facultatif ne contiennent le terme « crise des droits de l’enfant » et la Convention ne définit pas de critères permettant de déterminer à quel moment une atteinte aux droits de l’enfant peut conduire à une telle crise. Il soutient en outre que la Convention et le Protocole facultatif ont pour objet de défendre et de garantir les droits de l’enfant. Ils n’ont pas pour objet d’identifier de manière abstraite des insuffisances.

4.4Enfin, l’État partie affirme que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Dans son système de protection juridique, il faut, pour épuiser les recours, faire usage de toutes les possibilités administratives et judiciaires de protection juridique, par exemple présenter un recours en inconstitutionnalité. Les auteurs n’ont engagé en Allemagne aucune action en justice visant à obtenir réparation de l’atteinte à leurs droits qu’ils disent avoir subie. Ils sont libres d’engager une procédure administrative conformément à l’article 40 du Code de procédure du tribunal administratif. Ils peuvent intenter une action en constatation (« Feststellungsklage ») au titre de l’article 43 du Code, ou une action générale en satisfaction (« allgemeine Leistungsklage »). Ils pourraient aussi saisir les tribunaux nationaux. Selon l’article 59 (par. 2) de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne (Grundgesetz), la Convention a le statut de loi fédérale et ses dispositions doivent par conséquent être d’office prises en considération par les tribunaux. Les auteurs auraient la possibilité d’engager une action en justice visant à ce que soient examinés les actes répréhensibles qu’auraient commis des organismes publics. En général, en vertu de l’article 19 (par. 4) de la Loi fondamentale, les tribunaux nationaux peuvent examiner toute action de l’État susceptible de porter atteinte aux droits d’individus. L’État partie ajoute que le fait que les auteurs supposent que le coût de la procédure pourrait être élevé ne les exempte pas de l’obligation d’épuiser tous les recours disponibles. En général, dans l’État partie, le coût des procédures administratives n’est pas élevé. De plus, les personnes qui ne sont pas en mesure d’assumer le coût des procédures en raison de leur situation financière peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans leurs commentaires du 4 mai 2020, les auteurs soutiennent que la communication est recevable et réaffirment que le Comité est compétent pour examiner la plainte, que celle-ci est suffisamment étayée et que rien ne servirait d’utiliser les voies de recours internes.

5.2En ce qui concerne la compétence, les auteurs soutiennent que l’État partie exerce un contrôle effectif sur les émissions provenant de son territoire. Il est le seul à pouvoir réduire ces émissions étant donné qu’il a le pouvoir souverain de réglementer les activités, de délivrer des licences, d’imposer des amendes et de percevoir des impôts. Parce que l’État partie exerce un contrôle exclusif sur les activités qui sont à l’origine de préjudices, les victimes prévisibles des répercussions de ces activités, dont les auteurs, relèvent de sa juridiction. Pour ce qui est de l’argument selon lequel les changements climatiques sont un problème mondial dont l’État partie ne saurait être tenu responsable, les auteurs avancent qu’en vertu du droit international coutumier, lorsque deux ou plusieurs États contribuent à un résultat dommageable, chacun de ces États est responsable de ses propres actes, nonobstant la participation d’autres États. Aux termes de l’article 47 des articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, « [l]orsque plusieurs États sont responsables du même fait internationalement illicite, la responsabilité de chaque État peut être invoquée par rapport à ce fait ». Dans les situations de ce genre, la responsabilité de chaque État participant est établie séparément, sur la base du comportement de l’État en question et au regard de ses propres obligations internationales.

5.3Les auteurs réaffirment qu’ils ont établi que chacun d’eux avait subi un préjudice et était exposé au risque de subir de nouveaux préjudices irréparables du fait des changements climatiques résultant en grande partie de l’incapacité de l’État partie de réduire les émissions. Les conséquences des actes et omissions de l’État partie en matière de lutte contre les changements climatiques lèsent directement et personnellement les auteurs et les exposent à des risques prévisibles. Quand bien même d’autres enfants dans le monde seraient dans la même situation ou seraient exposés à des risques similaires, la plainte pour préjudice dû aux changements climatiques ne constitue pas une actio popularis.

5.4Les auteurs réaffirment que rien ne servirait d’utiliser les recours internes, car ils n’auraient aucune chance réelle d’aboutir. Ils soutiennent que les tribunaux nationaux ne peuvent pas statuer sur leurs griefs relatifs à l’obligation de coopération internationale et ne peuvent pas déterminer si l’État partie a fait ou non usage des moyens juridiques, économiques et diplomatiques à sa disposition pour faire face aux émissions des autres États membres du G20 et des entreprises qui exploitent des combustibles fossiles. L’État partie n’a pas d’instance compétente pour examiner les griefs formulés et se prononcer sur les mesures de réparation demandées, la plainte portant sur des violations des droits de l’homme causées par les actions de multiples États dont les effets se font sentir à travers de multiples frontières. L’immunité de juridiction rend vaine toute action en réparation pour les dommages transfrontières causés par des États tiers. Les auteurs ajoutent que les mesures de réparation qu’ils demandent ne sont pas du ressort des tribunaux ou que, à tout le moins, il est très peu probable qu’elles soient ordonnées. Les tribunaux nationaux sont peu susceptibles, voire incapables, d’ordonner aux pouvoirs législatif et exécutif de respecter leurs obligations internationales dans le domaine du climat et de réduire les émissions. De plus, il est probable que les tribunaux de ces États accordent une grande latitude au parlement et au gouvernement pour ce qui est de déterminer ce qui constitue une politique climatique appropriée. En l’espèce, les mesures de réparation demandées supposent aussi l’adoption de décisions politiques en matière de relations internationales. Les tribunaux nationaux ne peuvent pas enjoindre au Gouvernement de coopérer avec la communauté internationale pour lutter contre les changements climatiques. En résumé, aucun tribunal n’obligerait le Gouvernement à prendre des mesures de précaution efficaces permettant d’éviter que les auteurs ne subissent de nouveaux préjudices.

5.5En ce qui concerne les recours qui, selon l’État partie, leur sont ouverts, les auteurs soutiennent que, contrairement à ce qu’il avance dans ses observations, l’État partie a précédemment affirmé que ses politiques de réduction des émissions ne pouvaient pas être contestées devant les tribunaux nationaux. Ils ajoutent que les tribunaux nationaux rejetteraient très probablement leur plainte au motif qu’ils n’ont pas qualité pour agir et en raison de la séparation des pouvoirs. La loi allemande relative à la protection du climat dit expressément qu’elle ne crée pas de droits individuels ni ne confère aux particuliers la capacité de demander aux tribunaux d’examiner les politiques climatiques. Par conséquent, les actes du Gouvernement fondés sur cette loi ne peuvent pas être contestés devant les tribunaux. Même si les auteurs invoquaient des droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) ou la Convention relative aux droits de l’enfant, il ressort de la jurisprudence de l’État partie que les pouvoirs exécutif et législatif disposent d’une grande latitude en matière de protection des droits fondamentaux. Cette latitude n’est limitée que par l’incapacité extrême, par exemple lorsqu’aucune mesure de protection n’a été prise ou lorsque la réglementation ou les mesures adoptées sont manifestement inappropriées ou complétement inadaptées ou sont fondées sur des évaluations injustifiables. La première affaire concernant la réduction des émissions portée devant les tribunaux de l’État partie a été déclarée irrecevable. Dans l’affaire Family Farmers and Greenpeace Germany v. Germany, le tribunal administratif de Berlin a débouté les demandeurs, qui affirmaient que les objectifs du Gouvernement fédéral pour 2020 en matière de réduction des émissions étaient insuffisants et étaient contraires à ses obligations constitutionnelles. Le tribunal a rejeté la plainte, estimant que le Gouvernement disposait d’une grande latitude en matière d’exécution de ses obligations constitutionnelles, tant que ses actions n’étaient pas complétement inappropriées ou totalement inadaptées.

5.6Les auteurs affirment en outre que, en raison du caractère unique de leurs griefs, les recours internes seraient déraisonnablement longs, car il leur faudrait engager une procédure dans chacun des cinq États parties visés et chacune de ces procédures prendrait plusieurs années. L’État partie ne pourrait pas garantir l’octroi d’une réparation dans les délais voulus et tout retard dans la réduction des émissions pèse sur le budget carbone restant et rend l’objectif consistant à limiter le réchauffement à 1,5 °C encore plus hors de portée.

Intervention de tiers

6.1Le 1er mai 2020, David R. Boyd, Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, et John H. Knox, ancien titulaire de ce mandat, ont soumis une intervention en tant que tiers au Comité.

6.2Les intervenants soulignent que la crise climatique a déjà de graves effets sur la vie et le bien-être des personnes, et donc sur les droits de l’homme. Les enfants sont particulièrement menacés, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ils sont plus vulnérables que les adultes aux dommages environnementaux de toutes sortes, qui nuisent à l’exercice de bon nombre des droits protégés par la Convention, notamment les droits à la vie, à la santé et au développement, à l’alimentation, au logement et à l’eau et à l’assainissement et le droit de se livrer au jeu et à des activités récréatives. Ils sont particulièrement vulnérables face aux problèmes de santé aggravés par les changements climatiques, comme la malnutrition, les infections respiratoires aiguës, la diarrhée et les autres maladies transmises par l’eau. De plus, les changements climatiques aggravent les inégalités socioéconomiques, accentuent la pauvreté et sapent les progrès réalisés dans l’amélioration du bien-être des enfants.

6.3En ce qui concerne la recevabilité de la communication, les intervenants font observer que les obligations faites aux États s’appliquent non seulement aux personnes placées sous leur contrôle effectif, mais aussi à celles dont les droits sont menacés « de manière directe et raisonnablement prévisible » par leurs activités. Ils soulignent que les effets que les changements climatiques ont sur les droits des auteurs entrent pleinement dans la catégorie des menaces directes et raisonnablement prévisibles. De fait, que les émissions de gaz à effet de serre aient des conséquences directes sur les droits humains des auteurs et des enfants du monde entierest non seulementraisonnablement prévisible mais inévitable.

6.4Les cinq États parties visés ne sont pas actuellement les plus gros émetteurs de CO2, et ne l’ont pas non plus été par le passé. Cela étant, leur contribution aux émissions n’est pas négligeable. Tous figurent parmi les 40 premiers émetteurs, si l’on prend en considération leurs émissions depuis 1850, et, ensemble, ils sont actuellement responsables de 7 % des émissions mondiales. Le fait que le problème dénoncé soit d’envergure mondiale n’est pas une objection valable à la recevabilité de la communication, et on ne saurait se contenter d’arguer que, lorsque plusieurs États contribuent à un dommage mondial, aucun n’est responsable de ses effets. En vertu du droit international coutumier relatif à la responsabilité de l’État, lorsque plusieurs États ont contribué séparément, par un comportement illicite, à causer un même dommage, « la responsabilité de chaque État participant est établie séparément, sur la base de son propre comportement et au regard de ses propres obligations internationales ». S’il peut être difficile d’établir un lien de causalité précis entre les actes de tel ou tel État partie visé et les préjudices subis par les auteurs, il est tout à fait possible de déterminer la responsabilité de chaque État pour les préjudices auxquels il contribue. À cet égard, les émissions totales actuelles ne sont qu’un critère parmi d’autres ; on peut aussi tenir compte, par exemple, du niveau de développement économique et des contributions passées de l’État.

6.5Les intervenants soutiennent que, en l’espèce, l’utilisation des recours internes donnerait lieu à des procédures excessivement longues et serait peu susceptible d’apporter aux auteurs une réparation effective, les tribunaux faisant face à un arriéré d’affaires d’autant plus important que bon nombre d’entre eux ont dû interrompre leurs travaux pendant la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19). Les retards sont encore plus prononcés dans les affaires concernant le climat et les droits de l’homme, qui soulèvent des questions nouvelles et complexes. Aux Pays-Bas, l’affaire Urgenda a mis sept ans à être jugée. Aux États-Unis, l’affaireJulianaa été classée au bout de cinq ans au motif que les plaignants n’avaient pas qualité pour agir. Séparément, les recours présentés devant les tribunaux nationaux ne seront pas efficaces car il est évident qu’aucune juridiction nationale n’a le pouvoir d’imposer à des États étrangers de coopérer entre eux pour résoudre la crise climatique. Le Comité, par contre, peut offrir un recours effectif contre plusieurs États parties. Il a les compétences et l’autorité nécessaires pour examiner des questions qui ne sont pas du ressort des tribunaux nationaux, y compris l’obligation que le droit des droits de l’homme fait à chaque État de s’attaquer à un problème mondial qui menace les droits humains de tous les enfants.

Audition

7.1À l’invitation du Comité et conformément à l’article 19 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, les représentants des deux parties se sont présentés devant le Comité le 25 mai 2021 par vidéoconférence, ont répondu aux questions des membres du Comité sur leurs positions et ont fourni des éclaircissements.

Commentaires présentés oralement par les auteurs

7.2Les auteurs réaffirment que l’État partie n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et appropriées pour maintenir le réchauffement de la planète à 1,5 °C au maximum par rapport à l’ère préindustrielle, contribuant ainsi aux changements climatiques, en violation de leurs droits. Ils soutiennent que les préjudices qu’ils ont subis et continueront de subir étaient prévisibles en 1990, lorsque le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a averti qu’un réchauffement de la planète de seulement 1° C pourrait provoquer les pénuries d’eau, les maladies à transmission vectorielle et l’élévation du niveau de la mer auxquelles ils sont maintenant exposés. Ils font valoir qu’ils continueront à souffrir énormément toute leur vie si les États ne prennent pas immédiatement des mesures pour réduire considérablement leurs émissions de gaz à effet de serre. Ils insistent sur le fait qu’il existe un lien de causalité direct et prévisible entre les préjudices qu’ils ont subis et les émissions de l’État partie, car ces préjudices sont imputables aux changements climatiques et que les émissions actuelles de l’État partie contribuent à l’aggravation des changements climatiques.

7.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, les auteurs renvoient à l’arrêt rendu récemment par la Cour constitutionnelle dans l’affaire Neubauer , et al. v. Germany, dans le cadre de laquelle un groupe d’enfants originaires d’Allemagne, du Bangladesh et du Népal ont présenté un recours en inconstitutionnalité contre la loi relative à la protection du climat. Ils avancent que l’arrêt rendu montre pourquoi la saisine de la Cour constitutionnelle ne constituerait pas un recours utile, à savoir : ils ne seraient toujours pas en mesure de faire valoir leurs griefs contre l’Argentine, le Brésil, la France et la Turquie devant les tribunaux allemands en raison de l’immunité des États étrangers ; leur demande visant à ce que l’Allemagne use de tous les moyens à sa disposition pour coopérer avec la communauté internationale afin d’exercer une influence sur l’action climatique n’aboutirait pas non plus ; les droits des auteurs qui ne sont pas des ressortissants allemands ne seraient pas suffisamment protégés, la Cour constitutionnelle ayant jugé dans son arrêt que l’Allemagne avait des obligations limitées à l’égard des demandeurs étrangers, auxquels elle n’était pas tenue d’apporter la même protection qu’aux demandeurs allemands. La Cour a en effet souligné que, si les autorités législatives devaient s’efforcer de limiter la hausse des températures à 1,5 °C, un objectif moins ambitieux de 2 °C pouvait être acceptable si des mesures d’adaptation pouvaient protéger le peuple allemand. Les auteurs font toutefois valoir que l’objectif de 1,5 °C de hausse maximale des températures est le minimum absolu si l’on veut empêcher que les changements climatiques ne deviennent encore plus dangereux, et représente le niveau de protection le plus élevé pour tous les droits humains des auteurs.

Observations présentées oralement par l’État partie

7.4L’État partie souligne que, s’il comprend les objectifs visés par la communication, partage les préoccupations exprimées concernant le climat et convient qu’il est urgent de lutter contre le réchauffement de la planète, il ne considère pas la communication soumise par les auteurs comme un moyen adéquat d’atteindre ces objectifs. Le Comité n’est pas l’instance appropriée pour un débat sur les avantages et les inconvénients des approches nationales de la lutte contre les changements climatiques. L’État partie réaffirme que les auteurs qui ne résident pas en Allemagne ne peuvent pas être considérés comme étant sous son contrôle effectif aux fins de l’établissement de sa compétence. Compte tenu des limites de la souveraineté au regard du droit international, il n’est pas possible pour l’État partie, dans la pratique, de prendre des mesures hors de son territoire pour protéger des personnes vivant à l’étranger. Il est en effet du devoir de l’État de coopérer avec la communauté internationale et d’user de tous les moyens juridiques, diplomatiques et économiques à sa disposition pour convaincre les autres États d’adopter des profils de réduction des émissions suffisants. Il ressort toutefois de ce qui précède que le respect de la souveraineté de chaque État reste au cœur du droit international. Le fait que les émissions d’un État aient des répercussions générales sur le climat de la planète ne peut pas permettre l’établissement de la compétence à l’égard du territoire d’un autre État. En l’espèce, aucun lien de causalité entre les actes ou omissions présumés des États parties visés et le préjudice qu’auraient subi les auteurs n’a été établi. Les gaz à effet de serre émis en Allemagne ne causent pas directement et immédiatement de vagues de chaleur, de feux de forêt ou de tempêtes à des milliers de kilomètres. Les émissions provenant d’Allemagne ou de tout autre pays auront des effets sur le climat de la planète, ce qui peut avoir des répercussions sur les conditions de vie des auteurs. Cependant, une contribution générale au phénomène mondial des changements climatiques ne peut pas, en droit, être assimilé à un effet direct et particulier sur les conditions de vie des auteurs.

7.5En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie renvoie aussi à l’arrêt de la Cour constitutionnelle dans l’affaire Neubauer , et al. v. Germany. Il souligneque la Cour a rendu une décision sur un recours en inconstitutionnalité présenté par plusieurs jeunes militants, dont certains vivent au Bangladesh et au Népal, contre la politique climatique de l’État, en particulier la loi fédérale de décembre 2019 relative à la protection du climat. De la même manière que les auteurs de la présente communication, les plaignants affirmaient que l’action menée par l’État partie en matière de lutte contre les changements climatiques était insuffisante et constituait, entre autres, une violation de leurs droits à la vie, à l’intégrité physique et à la propriété. La Cour constitutionnelle fédérale a déclaré les plaintes recevables et conclu que la loi sur les changements climatiques ne suffisait pas à garantir une transition en temps voulu vers la neutralité climatique. Elle a donc demandé à l’État partie de modifier la loi en conséquence. La Cour a toutefois rejeté le grief selon lequel la politique de l’État partie constituait actuellement une violation des droits des plaignants à la vie, à l’intégrité et à la propriété. L’État partie fait observer que cette décision est intéressante à plusieurs titres pour la communication dont est saisi le Comité. Elle établit qu’un recours en inconstitutionnalité contre la politique climatique de l’État partie est recevable et sera examiné dans un délai très raisonnable, que des non-ressortissants mineurs ont qualité pour agir devant les tribunaux et que l’État partie a l’obligation de rechercher des solutions internationales à la crise climatique. L’État partie affirme qu’il ressort clairement de la décision de la Cour constitutionnelle qu’une demande ayant les mêmes objectifs que ceux de la communication soumise par les auteurs aurait pu être portée devant la Cour constitutionnelle fédérale. Une telle plainte n’aurait pas entraîné de frais de justice et les auteurs auraient pu bénéficier d’une aide juridictionnelle.

7.6Enfin, l’État partie réaffirme que les auteurs qui sont directement concernés par certaines activités pouvaient, outre un recours en inconstitutionnalité, engager une procédure administrative dans l’État partie suivant les prescriptions générales, en vue de demander au Gouvernement de prendre des mesures particulières (ordre de fermeture de centrales à charbon, interdiction de certaines activités, etc.), ou une action en constatation (visant à ce qu’il soit déclaré, par exemple, qu’une politique publique donnée viole un droit particulier garanti au requérant par la Convention).

Audition des auteurs

8.Le 28 mai 2021, à l’invitation du Comité et en application de l’article 19 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, 11 des auteurs se sont présentés devant le Comité en vidéoconférence, en séance privée, sans la présence des représentants de l’État. Ils ont décrit les effets des changements climatiques sur leur vie quotidienne et exprimé leur avis sur ce que devraient faire les États visés pour répondre aux changements climatiques et sur les raisons pour lesquelles le Comité devrait examiner leurs griefs.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

Compétence

9.2Le Comité note que, selon l’État partie, la communication est irrecevable pour défaut de compétence et au motif que les auteurs n’ont pas le statut de victime. Il note également que les auteurs avancent qu’ils relèvent de la juridiction de l’État partie en ce qu’ils sont victimes des conséquences prévisibles des actes par lesquels, à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières, l’État partie contribue aux changements climatiques, ainsi que des conséquences prévisibles des émissions polluantes de dioxyde de carbone sciemment produites, autorisées ou favorisées par l’État partie à l’intérieur de son territoire. Il note en outre que, selon les auteurs, les actes et omissions de l’État partie qui contribuent à faire perdurer la crise climatique les ont déjà exposés pendant toute leur enfance aux risques prévisibles et potentiellement mortels des changements climatiques causés par l’homme.

9.3Aux termes de l’article 2 (par. 1) de la Convention, les États parties ont l’obligation de respecter et de garantir les droits de tout enfant relevant de leur juridiction. En vertu de l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications présentées par des particuliers ou des groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou de groupes de particuliers relevant de la juridiction d’un État partie qui affirment être victimes d’une violation par cet État partie de l’un quelconque des droits énoncés dans la Convention. Il observe que, si ni la Convention ni le Protocole facultatif ne font référence au « territoire » dans le contexte de la juridiction, la notion de juridiction extraterritoriale devrait être interprétée de manière restrictive.

9.4Le Comité prend note de la jurisprudence pertinente du Comité des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la compétence extraterritoriale. Néanmoins, cette jurisprudence concerne des situations factuelles qui sont très différentes de celles de l’affaire à l’examen. La communication des auteurs soulève de nouveaux problèmes de compétence en ce qui concerne les dommages transfrontières liés aux changements climatiques.

9.5Le Comité prend également note de l’avis consultatif OC-23/17 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme sur l’environnement et les droits de l’homme, qui est particulièrement pertinent pour la question de la compétence en l’espèce en ce qu’il précise la portée de la compétence extraterritoriale en relation avec la protection de l’environnement. Dans cet avis, la Cour a noté que, lorsqu’un dommage transfrontalier portait atteinte à des droits garantis par un traité, les personnes se trouvant en dehors du territoire de l’État d’origine étaient réputées relever de la juridiction de cet État dès lors qu’il existait un lien de causalité entre l’acte commis sur le territoire de l’État en question et les violations constatées (par. 101). Il y a exercice de la juridiction lorsque l’État d’origine exerce un contrôle effectif sur les activités qui ont causé le dommage et les violations des droits de l’homme qui y ont fait suite (par. 104, al. h)). La notion de juridiction de l’État d’origine en cas de dommage transfrontières est fondée sur le principe selon lequel c’est l’État sur le territoire ou sous la juridiction duquel les activités ont été menées qui exerce un contrôle effectif sur celles-ci et est en mesure d’éviter qu’elles causent un dommage transfrontière qui aurait des effets sur l’exercice des droits de l’homme à l’extérieur de son territoire. Les victimes potentielles des conséquences négatives de ces activités relèvent de la juridiction de l’État d’origine, dont la responsabilité peut être engagée pour manquement à l’obligation de prévenir les dommages transfrontières (par. 102). La Cour a noté que l’on pouvait donc conclure que l’obligation de prévenir des dommages ou atteintes transfrontières à l’environnement était une obligation reconnue par le droit international de l’environnement et que les États pouvaient être tenus responsables de tout dommage significatif causé à des personnes se trouvant hors de leurs frontières par des activités ayant leur origine sur leur territoire ou relevant de leur autorité ou de leur contrôle effectif (par. 103).

9.6Le Comité rappelle que, dans la déclaration conjointe sur les droits de l’homme et les changements climatiques qu’il a publiée avec quatre autres organes conventionnels, il est souligné que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a confirmé dans un rapport publié en 2018 que les changements climatiques menaçaient gravement l’exercice des droits de l’homme protégés par la Convention, notamment le droit à la vie, le droit à une alimentation adéquate, le droit à un logement convenable, le droit à la santé, le droit à l’eau et les droits culturels (par. 3). Il serait contraire aux obligations des États relatives aux droits de l’homme de ne pas prévenir des atteintes prévisibles aux droits de l’homme provoquées par les changements climatiques ou de ne pas réglementer les activités qui contribuent à de telles atteintes (par. 10).

9.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que le critère approprié en ce qui concerne l’établissement de la juridiction en l’espèce est celui retenu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans son avis consultatif sur l’environnement et les droits de l’homme. Cela signifie que, lorsqu’un dommage transfrontière se produit, les enfants sont sous la juridiction de l’État sur le territoire duquel se trouve la source des émissions aux fins de l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif s’il y a un lien de causalité entre les actes ou omissions de l’État en question et les effets négatifs produits sur les droits d’enfants se trouvant en dehors de son territoire, lorsque l’État d’origine exerce un contrôle effectif sur la source des émissions en question. Le Comité considère que, si les éléments requis pour établir la responsabilité de l’État constituent une question de fond, il faut, même aux fins de l’établissement de la juridiction, que les dommages que les victimes disent avoir subis aient été raisonnablement prévisibles pour l’État partie au moment de ses actes ou omissions.

9.8Le Comité note que les auteurs affirment que, si les changements climatiques et les dommages environnementaux et les atteintes aux droits de l’homme qu’ils entraînent sont un problème qui concerne l’ensemble de la planète et nécessite une solution mondiale, il n’en reste pas moins que les États parties sont individuellement responsables de leurs propres actes ou omissions s’agissant de ces changements et de la manière dont ils y contribuent. Il note aussi que les auteurs avancent que l’État partie exerce un contrôle effectif sur la source des émissions de dioxyde de carbone située sur son territoire et que ces émissions ont des effets transfrontières.

9.9Le Comité considère qu’il est généralement accepté et corroboré par des preuves scientifiques que les émissions de carbone générées dans l’État partie contribuent à l’aggravation des changements climatiques et que les changements climatiques ont des effets néfastes à la fois sur le territoire de l’État partie et au-delà. Il considère que, étant donné qu’il a la capacité de réglementer les activités qui sont la source de ces émissions et de faire respecter les réglementations adoptées, l’État partie exerce un contrôle effectif sur les émissions.

9.10Conformément au principe des responsabilités communes mais différenciées, tel qu’énoncé dans l’Accord de Paris, le Comité estime que le caractère collectif de la cause des changements climatiques n’exonère pas l’État partie de sa responsabilité individuelle qui pourrait découler du dommage que pourraient causer à des enfants, où qu’ils se trouvent, les émissions générées sur son territoire.

9.11En ce qui concerne la prévisibilité, le Comité prend note de l’argument des auteurs, que l’État partie n’a pas contesté, selon lequel l’État partie est conscient des effets préjudiciables de ses contributions aux changements climatiques depuis des décennies et a signé la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en 1992 et l’Accord de Paris en 2016. À la lumière des preuves scientifiques existantes qui montrent les conséquences de l’effet cumulatif des émissions de carbone pour la jouissance des droits de l’homme, y compris les droits consacrés par la Convention, le Comité considère que les effets potentiellement préjudiciables des actes ou omissions de l’État partie concernant les émissions de carbone générées sur son territoire étaient raisonnablement prévisibles pour l’État partie.

9.12Ayant conclu que l’État partie exerce un contrôle effectif sur les sources d’émissions qui contribuent à causer des dommages raisonnablement prévisibles à des enfants vivant hors de son territoire, le Comité doit maintenant déterminer si le lien de causalité entre les dommages que disent avoir subis les auteurs et les actes ou omissions de l’État partie est suffisant pour établir la juridiction. À cet égard, il observe, dans le droit fil de la position de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, que, dans les affaires de dommages transfrontières, tous les effets négatifs n’engagent pas la responsabilité de l’État sur le territoire duquel ont eu lieu les activités ayant causé le dommage transfrontière, que les raisons pour lesquelles la juridiction pourrait être établie doivent être étayées compte tenu des circonstances particulières de l’espèce et que le dommage doit être « significatif » . À cet égard, le Comité note que la Cour interaméricaine a observé que, dans les articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses, la Commission du droit international faisait référence uniquement aux activités qui pouvaient causer un dommage transfrontière significatif et qu’il devait être entendu que « significatif » est plus que « détectable » mais sans nécessairement atteindre le niveau de « grave » ou « substantiel ». La Cour a en outre indiqué que le dommage devait se solder par un effet préjudiciable réel sur des choses telles que la santé de l’homme, l’industrie, les biens, l’environnement ou l’agriculture dans d’autres États et que ces effets préjudiciables devaient pouvoir être mesurés à l’aide de critères factuels et objectifs.

Qualité de victime

9.13Dans les circonstances particulières de l’espèce, le Comité prend note des griefs des auteurs qui affirment que les droits qu’ils tiennent de la Convention ont été violés par les États parties visés, qui, par leurs actes et leurs omissions, contribuent aux changements climatiques, et que le préjudice s’aggravera à mesure que la planète continuera de se réchauffer. Il prend note des griefs des auteurs qui affirment : que la fumée des feux de forêts et la pollution liée à la chaleur sont responsables de l’aggravation de l’asthme dont souffrent certains d’entre eux, qui nécessite des hospitalisations ; que la propagation et l’intensification des maladies à transmission vectorielle a aussi eu des répercussions sur les auteurs, certains d’entre eux ayant contracté le paludisme à de multiples reprises au cours d’une année ou ayant été atteints de la dengue ou du chikungunya ; que les auteurs ont été exposés à des vagues de chaleurs extrêmes qui ont gravement menacé la santé de beaucoup d’entre eux ; que, pour certains des auteurs, la sécheresse compromet la sécurité de l’approvisionnement en eau ; que certains des auteurs ont été exposés à des tempêtes et des inondations extrêmes ; que le niveau de subsistance des auteurs autochtones est compromis ; qu’en raison de l’élévation du niveau de la mer, les Îles Marshall et les Palaos risquent de devenir inhabitables dans quelques dizaines d’années ; que les changements climatiques ont nui à la santé mentale des auteurs, dont certains disent souffrir d’anxiété liée au climat. Le Comité considère que, en tant qu’enfants, les auteurs sont particulièrement touchés par les changements climatiques, non seulement en raison des effets qu’ils ont sur eux, mais aussi parce que ces changements risquent d’avoir des conséquences pour eux tout au long de leur vie, en particulier si des mesures ne sont pas prises immédiatement. Sachant que les changements climatiques ont des effets particuliers sur les enfants et que ceux-ci ont le droit à des garanties spéciales, en particulier à une protection juridique appropriée, les États ont une obligation accrue de protéger les enfants contre les dommages prévisibles.

9.14Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que les auteurs ont suffisamment démontré, aux fins de l’établissement de la juridiction, que les atteintes aux droits qui leur sont reconnus par la Convention qui résultent des actes ou omissions de l’État partie concernant les émissions de carbone trouvant leur source sur son territoire étaient raisonnablement prévisibles. Il conclut également que, pour démontrer leur qualité de victimes, les auteurs ont établi à première vue qu’ils ont personnellement subi un dommage réel et significatif. En conséquence, il conclut qu’il n’est pas empêché par l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif d’examiner la communication.

Épuisement des recours internes

9.15Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être jugée irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Il note que l’État partie soutient que les auteurs disposaient de voies de recours et auraient notamment pu saisir la Cour constitutionnelle. Il note également que l’État partie affirme que les auteurs auraient pu engager une procédure administrative en vertu de l’article 40 du Code de procédure du tribunal administratif et auraient aussi pu soulever les griefs formulés dans la présente communication devant les tribunaux nationaux en vertu de l’article 19 (par. 4) de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne.

9.16Le Comité rappelle qu’un auteur doit avoir exercé toutes les voies de recours judiciaires et administratives qui peuvent lui offrir une perspective raisonnable de réparation. Il estime qu’il n’est pas nécessaire d’avoir épuisé les recours internes si ceux-ci n’ont objectivement aucune chance d’aboutir, par exemple dans les cas où la législation interne applicable entraînerait inévitablement le rejet de la demande ou lorsque la jurisprudence établie des plus hautes instances judiciaires exclut toute issue positive. Toutefois, il fait observer que de simples doutes ou supputations quant à l’utilité des recours internes ou leurs chances d’aboutir ne suffisent pas à dispenser les auteurs d’épuiser ces recours.

9.17En l’espèce, le Comité note que les auteurs n’ont pas engagé de procédure dans l’État partie. Il note également que les auteurs affirment qu’ils se heurteraient à des obstacles considérables s’ils devaient épuiser les recours internes, car les procédures seraient excessivement lourdes, déraisonnablement longues et peu susceptibles de leur permettre d’obtenir une réparation effective. Il note en outre qu’ils soutiennent qu’il est fort probable que les tribunaux internes rejetteraient leurs demandes, qui portent sur l’obligation d’un État de coopérer avec d’autres États, en raison de la non-justiciabilité de la politique étrangère et de l’immunité de juridiction étrangère de l’État. Il considère néanmoins que la question des manquements de l’État partie pour ce qui est de la coopération internationale est soulevée en relation avec la forme d’action en réparation particulière envisagée par les auteurs et que ceux-ci n’ont pas suffisamment démontré qu’une telle action était nécessaire pour obtenir une réparation effective. Les auteurs ont fait valoir, en particulier, que les actions menées par les pouvoirs publics sur la base de la loi relative à la protection du climat ne pouvaient être contestées devant les tribunaux nationaux. À cet égard, cependant, le Comité note que l’État partie soutient que des moyens légaux étaient à la disposition des auteurs, qui auraient notamment pu présenter un recours en inconstitutionnalité, engager une procédure administrative au titre du Code de procédure du tribunal administratif ou soulever les griefs formulés dans la communication devant les tribunaux en vertu de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne. Il note aussi que les auteurs n’ont pas tenté d’engager une action dans le cadre de l’une ou l’autre de ces procédures. Il prend note en outre de la décision de la Cour constitutionnelle dans l’affaire Neubauer , et al. v. Germany, dans laquelle la Cour a jugée recevables les griefs concernant la loi fédérale relative à la protection du climat présentés par des enfants qui n’étaient pas ressortissants de l’État partie et ne résidaient pas sur son territoire. Il relève que, dans sa décision, la Cour a aussi expressément souligné que l’État était tenu de mener des activités au niveau international pour lutter contre les changements climatiques à l’échelle mondiale et de promouvoir l’action climatique dans le cadre international. Les auteurs n’ayant fourni aucune explication sur les raisons pour lesquelles ils n’ont pas tenté d’exercer ces recours, si ce n’est en déclarant qu’ils doutaient de pouvoir obtenir gain de cause de quelque manière que ce soit, le Comité estime qu’ils n’ont pas épuisé tous les recours internes utiles et disponibles dont ils pouvaient raisonnablement se prévaloir pour dénoncer la violation présumée des droits qu’ils tiennent de la Convention.

9.18Concernant l’argument des auteurs selon lequel l’immunité de juridiction étrangère de l’État les empêcherait d’épuiser les recours disponibles dans l’État partie, le Comité note que la question de l’immunité de juridiction étrangère de l’État ne se pose qu’en relation avec l’action particulière que les auteurs auraient engagée en poursuivant d’autres États et l’État partie devant les tribunaux internes de celui-ci. Il considère qu’en l’espèce, les auteurs n’ont pas suffisamment démontré, au regard de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif, que ces recours seraient peu susceptibles de leur permettre d’obtenir une réparation effective.

9.19Le Comité note en outre que les auteurs soutiennent que l’exercice des recours internes entraînerait des procédures déraisonnablement longues. Il relève que les auteurs mentionnent des procédures engagées dans d’autres États parties, qui ont duré des années, mais n’ont pas établi de lien avec les recours disponibles dans l’État partie ou n’ont pas montré en quoi la durée d’une procédure interne serait excessive, sachant notamment que, dans l’affaire Neubauer, la décision a été rendue en temps voulu. Les auteurs n’ayant pas fourni d’informations précises montrant que les recours internes seraient inutiles ou indisponibles et n’ayant pas tenté de saisir les tribunaux de l’État partie, le Comité considère qu’ils n’ont pas épuisé les recours internes.

9.20En conséquence, le Comité déclare la communication irrecevable au regard de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés.

10.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs de la communication et, pour information, à l’État partie.