Nations Unies

CED/C/PRT/CO/1

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

5 décembre 2018

Français

Original : anglais

Comité des disparitions forcées

Observations finales concernant le rapport soumis par le Portugal en application du paragraphe 1 de l’article 29 de la Convention *

1.Le Comité des disparitions forcées a examiné le rapport soumis par le Portugal en application du paragraphe 1 de l’article 29 de la Convention (CED/C/PRT/1) à ses 259e et 260e séances (CED/C/SR.259 et 260), les 6 et 7 novembre 2018. À sa 272e séance, le 15 novembre 2018, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la soumission en temps voulu du rapport établi par le Portugal en application du paragraphe 1 de l’article 29 de la Convention, ainsi que les renseignements qui y figurent. Il se félicite du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie sur les mesures prises pour appliquer les dispositions de la Convention, qui a permis de dissiper plusieurs de ses préoccupations. Il salue, en particulier, la compétence, la rigueur et l’ouverture d’esprit avec lesquelles la délégation a répondu aux questions qu’il a posées. En outre, il remercie l’État partie de ses réponses écrites (CED/C/PRT/Q/1/Add.1) à la liste de points (CED/C/PRT/Q/1), qui ont été complétées par les réponses données oralement par la délégation pendant le dialogue.

B.Aspects positifs

3.Le Comité se félicite de ce que l’État partie ait reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers et d’États, en application, respectivement, des articles 31 et 32 de la Convention.

4.Le Comité accueille en outre avec satisfaction les mesures prises par l’État partie dans des domaines intéressant la Convention, notamment :

a)L’adoption de la loi relative au statut de la victime (loi no 130/2015 du 4 septembre 2015), qui modifie le Code de procédure pénale et vise à renforcer la protection des droits des victimes et à étendre ces droits aux membres de leur famille ;

b)La modification (loi no142/2015 du 8 septembre 2015) apportée à la loi relative à la protection des enfants et des jeunes (loi no 147/99 du 1er septembre 1999), qui vise à renforcer la protection des enfants ;

c)L’adoption et la mise en œuvre des troisième et quatrième plans d’action nationaux visant à prévenir et combattre la traite des êtres humains, qui couvrent la période 2014-2017 et la période 2018-2021, respectivement.

5.Le Comité félicite l’État partie d’avoir ratifié la quasi-totalité des principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme ainsi que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

6.Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a adressé à tous les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme une invitation permanente à se rendre dans le pays.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

7.Le Comité considère qu’au moment de la rédaction des présentes observations finales, le cadre législatif en vigueur dans l’État partie visant à prévenir et à réprimer les disparitions forcées n’était pas pleinement conforme aux obligations qui incombent aux États ayant ratifié la Convention. Il encourage l’État partie à mettre en œuvre ses recommandations, qui ont été formulées dans un esprit constructif de coopération, l’objectif étant de faire en sorte que la législation en vigueur et la manière dont elle est appliquée par les pouvoirs publics soient pleinement conformes aux droits et obligations énoncés par la Convention.

1.Renseignements d’ordre général

Applicabilité directe de la Convention

8.Le Comité se félicite de la confirmation, donnée par la délégation, du fait que la Convention est appliquée sur l’ensemble du territoire de l’État partie, y compris dans les régions autonomes. Il prend note de l’indication donnée par la délégation selon laquelle les dispositions de la Convention sont directement applicables, à l’exception de celles qui appellent l’adoption de mesures législatives tendant à ce qu’un acte soit érigé en infraction. Il s’inquiète cependant de ce que l’absence de mesures prises pour ériger la disparition forcée en infraction autonome puisse entraver l’exécution de l’ensemble des obligations découlant de la Convention ainsi que l’exercice de tous les droits énoncés par celle-ci.

9. Le Comité invite l ’ État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l ’ applicabilité directe et l ’ application uniforme des dispositions de la Convention.

Institution nationale des droits de l’homme

10.Le Comité constate avec satisfaction que le Bureau du Médiateur portugais exerce le double mandat de Médiateur et de mécanisme national de prévention au titre du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité prend note des explications fournies par la délégation selon lesquelles le Bureau du Médiateur est toujours en mesure d’exercer ses fonctions même s’il ne dispose pas d’un budget suffisant, mais il demeure préoccupé par les informations fournies par l’État partie (CED/C/PRT/Q/1/Add.1, par. 115) indiquant que le Médiateur ne reçoit pas suffisamment de ressources financières, humaines et techniques pour être à même de s’acquitter efficacement de ses fonctions de mécanisme national de prévention.

11. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures nécessaires pour que le Médiateur portugais dispose des ressources financières, matérielles et humaines nécessaires pour s ’ acquitter efficacement et en toute indépendance de ses fonctions , y compris cel les de mécanisme national de prévention.

2.Définition et incrimination de la disparition forcée (art. 1er à 7)

Définition de la disparition forcée en tant que crime contre l’humanité

12.Le Comité prend note de ce que le paragraphe i) de l’article 9 de la loi no 31/2004 du 22 juillet 2004 érige la disparition forcée en crime contre l’humanité, mais il est préoccupé par le fait que la définition figurant dans cette loi n’est pas pleinement conforme à l’article 2 de la Convention. En particulier, la définition actuelle ne couvre pas la « dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve » en tant qu’élément possible de l’infraction ; elle ne vise pas les infractions commises « par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État », mais les infractions perpétrées avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement d’un « État ou [d’]une organisation politique ». Le Comité accueille avec satisfaction la précision apportée par l’État partie (CED/C/PRT/Q/1/Add.1, par. 21) selon laquelle le fait de soustraire une personne à la protection de la loi est considéré comme une conséquence de la disparition forcée et non comme un élément constitutif de cette infraction (art. 2).

13. Le Comité recommande à l ’ État partie de réviser la définition de la disparition forcée en tant que crime contre l ’ humanité énoncée au paragraphe i) de l ’ article 9 de la loi n o  31/2004 de façon à la mettre en pleine conform ité avec les articles  2 et 5 de la  Convention.

La disparition forcée en tant qu’infraction autonome

14.Le Comité prend note de la position de l’État partie, qui estime que les normes en vigueur telles que l’article 158 du Code pénal (séquestration illégale) suffisent à poursuivre et à sanctionner les faits de disparition forcée et qu’il n’est pas nécessaire d’inscrire dans sa législation la disparition forcée en tant qu’infraction autonome. Cependant, le Comité est préoccupé par le fait que l’article 158 du Code pénal et les articles visant d’autres atteintes à la liberté évoqués par l’État partie, notamment les articles 159 et 161 dudit code, ne couvrent pas tous les éléments constitutifs de la disparition forcée telle qu’elle est définie à l’article 2 de la Convention et ne permettent pas à l’État partie de s’acquitter de l’obligation prévue par l’article 4, laquelle est étroitement liée à d’autres obligations conventionnelles concernant la législation telles que celles qui sont énoncées aux articles 6 et 7. À ce propos, le Comité constate que, pour ce qui est de la commission d’une infraction par un agent public, l’abus d’autorité est défini comme une circonstance aggravante dans le Code pénal, mais que les dispositions en vigueur dudit code ne prévoient pas de peines appropriées tenant compte de l’extrême gravité de la disparition forcée (art. 2 et 4 à 7).

15. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures législatives nécessaires pour faire en sorte que la disparition forcée constitue une infraction autonome définie conformément à l ’ article 2 de la Convention, et pour garantir que cette infraction soit passible de peines appropriées qui tiennent compte de son extrême gravité. L ’ État partie devrait également prendre les mesures voulues pour tenir pénalement responsable et punir comme il se doit toute personne qui commet une disparition forcée, l ’ ordonne ou la commandite, tente de la commettre, en est complice ou y participe, conformément au paragraphe 1 a) de l ’ article 6 de la Convention.

Responsabilité pénale du supérieur hiérarchique et devoir d’obéissance

16.Le Comité prend note de l’information communiquée par l’État partie selon laquelle le paragraphe 3 de l’article 271 de la Constitution exclut la possibilité d’invoquer les ordres d’un supérieur pour justifier la commission d’une infraction pénale. Il constate toutefois avec préoccupation qu’en vertu des paragraphes 1 et 2 de l’article 177 de la loi no 35/2014 du 20 juillet 2014, l’agent de l’État qui exécute un ordre illicite peut être exonéré de responsabilité s’il a préalablement demandé ou exigé que cet ordre lui soit transmis par écrit, en indiquant expressément qu’il le considère comme illégal. Ces dispositions n’offrent manifestement pas les garanties requises par les dispositions du paragraphe 2 de l’article 6 de la Convention.

17. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures nécessaires pour que la législation nationale prévoie expressément l ’ interdiction d ’ invoquer l ’ ordre ou les instructions d ’ un supérieur pour justifier une infraction de disparition forcée, en pleine conformité avec le paragraphe 2 de l ’ article 6 de la Convention.

3.Responsabilité pénale et coopération judiciaire en matière de disparition forcée (art. 8 à 15)

Prescription

18.Le Comité constate avec satisfaction que l’article 7 de la loi no 31/2004 consacre l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité. Il accueille également avec satisfaction l’information selon laquelle, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 119 du Code pénal, le délai de prescription pour les crimes permanents commence à courir à la date à laquelle la consommation de l’acte a pris fin, en d’autres termes, dans le cas d’une disparition forcée, au moment où la personne disparue a été retrouvée. Toutefois, le Comité est préoccupé par le fait que le régime de prescription applicable à un cas de disparition forcée donné n’est pas clairement défini car les infractions pertinentes prévues par le Code pénal sont soumises à des régimes de prescription qui varient (art. 8).

19. Le Comité recommande à l ’ État partie de faire en sorte que, conformément à l ’ article 8 de la Convention, le délai de prescription de l ’ infraction de disparition forcée soit de longue durée et proportionné à l ’ extrême gravité de cette infraction.

4.Mesures de prévention des disparitions forcées (art. 16 à 23)

Non-refoulement

20.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie (CED/C/PRT/Q/1/Add.1, par. 89) selon lesquelles la disparition forcée en tant que crime contre l’humanité constitue une violation grave des droits de l’homme et que, de ce fait, l’extradition est obligatoirement refusée s’il y a des raisons suffisantes de croire que la personne concernée pourrait être soumise à une disparition forcée. Il relève en outre que, d’après les articles 6 à 8 et 32 de la loi no 144/99 du 31 août 1999, les autorités peuvent rejeter une demande de coopération ou d’extradition internationale pour des motifs impératifs. Cependant, le Comité est préoccupé par l’incertitude entourant les cas dans lesquels la personne réclamée risque d’être soumise à une infraction autonome de disparition forcée qui ne constitue pas un crime contre l’humanité (art. 16).

21. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer pleinement au principe de non-refoulement tel qu’il est consacré par le paragraphe 1 de l ’ article 16 de la Convention.

Formation

22.Le Comité prend note avec satisfaction des informations fournies par l’État partie indiquant que des formations approfondies sur le droit international des droits de l’homme, dont la Convention, sont dispensées aux juges, aux militaires et aux agents de la force publique, notamment aux gardiens de prison. Cependant, le Comité relève l’absence de renseignements sur ce qui est fait pour dispenser de telles formations à tous les agents de l’État et à d’autres catégories professionnelles telles que le personnel médical susceptible d’intervenir dans la surveillance ou le traitement des personnes privées de liberté (art. 23).

23. Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que tous les agents des forces de l ’ ordre et des services de sécurité, qu ’ ils soient des civils ou des militaires, et que l’ensemble du personnel médical, d es agents de la fonction publique et d es personnes susceptibles d ’ intervenir dans la surveillance ou le traitement de s personnes privée s de liberté, notamment les juges, les procureurs et les autres fonctionnaires responsables de l ’ administration de la justice, reçoivent régulièrement une formation portant spécifiquement sur les dispositions de la Convention comme le prévoit le paragraphe 1 de l ’ article 23 de cet instrument .

5.Mesures de réparation et mesures de protection des enfants contre la disparition forcée (art. 24 et 25)

Droit d’obtenir réparation et d’être indemnisé rapidement, équitablement et de manière adéquate

24.Le Comité se félicite de l’adoption de la loi relative au statut de la victime, qui vise à renforcer les droits des victimes d’infractions, notamment en étendant ces droits aux membres de la famille des victimes, mais il est toutefois préoccupé par le fait que l’absence dans le Code pénal d’une infraction autonome de disparition forcée risque d’avoir des incidences sur l’exercice de ces droits par la victime d’une disparition forcée. Le Comité est également préoccupé par l’information fournie par l’État partie (CED/C/PRT/Q/1/Add.1, par. 136) selon laquelle la législation portugaise ne prévoit pas de garanties de non‑répétition telles que visées au paragraphe 5 d) de l’article 24 de la Convention.

25. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures nécessaires pour garantir que toutes les victimes de disparition forcée obtiennent une réparation complète, comprenant la restitution, la réadaptation, la satisfaction et des garanties de non-répétition.

Législation relative à la soustraction d’enfants

26.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie (CED/C/PRT/Q/1/Add.1, par. 145) selon lesquelles les dispositions actuelles du Code pénal, notamment l’article 256 (falsification ou contrefaçon de documents), le paragraphe a) de l’article 255 (définition de documents aux fins du Code pénal) et l’article 259 (altération ou soustraction de documents), couvrent les actes visés au paragraphe 1 b) de l’article 25 de la Convention. Le Comité, cependant, demeure préoccupé par le fait qu’il n’existe pas de disposition portant spécifiquement sur les mesures visées au paragraphe 1 de l’article 25 de la Convention et rappelle qu’il incombe aux États parties de prévenir et de réprimer les actes couverts par cet article.

27. Le Comité recommande à l ’ État partie de revoir sa législation pénale pour y inscrire les actes visés au paragraphe 1 de l ’ article 25 de la Convention en tant qu ’ infractions distinctes et de prévoir pour ces infractions des peines appropriées qui tiennent compte de leur extrême gravité.

D.Diffusion et suivi

28. Le Comité tient à rappeler les obligations auxquelles les États ont souscrit en devenant parties à la Convention et, à ce propos, engage l ’ État partie à veiller à ce que toutes les mesures qu ’ il adopte, quelles que soient leur nature et l ’ autorité dont elles émanent, soient pleinement conformes aux obligations qu ’ il a contractées en devenant partie à la Convention et d ’ autres instruments internationaux pertinents.

29. Le Comité tient également à souligner l ’ effet particulièrement cruel qu ’ ont les disparitions forcées sur les droits de l ’ homme des femmes et des enfants qu ’ elles touchent. Les femmes victimes de disparition forcée sont particulièrement vulnérables à la violence sexuelle et aux autres formes de violence fondée sur le genre. Les femmes parentes d ’ une personne disparue sont particulièrement susceptibles d ’ être gravement défavorisées sur les plans économique et social et de subir des violences, des persécutions et des représailles du fait des efforts qu ’ elles déploient pour localiser leur proche. Les enfants victimes d ’ une disparition forcée, qu ’ ils y soient soumis eux ‑ mêmes ou qu ’ ils subissent les conséquences de la disparition d ’ un membre de leur famille, sont particulièrement exposés à de nombreuses violations des droits de l ’ homme, notamment la substitution d ’ identité. C ’ est pourquoi le Comité insiste particulièrement sur la nécessité, pour l ’ État partie, de suivre des approches qui tiennent compte des questions de genre et des besoins des enfants lorsqu ’ il met en œuvre les droits et obligations énoncés dans la Convention.

30. L ’ État partie est invité à diffuser largement la Convention, le rapport qu ’ il a soumis en application du paragraphe 1 de l ’ article 29 de la Convention, ses réponses écrites à la liste de points établie par le Comité et les présentes observations finales en vue de sensibiliser les autorités judiciaires, législatives et administratives, la société civile, les organisations non gouvernementales actives dans le pays et le grand public. Le Comité encourage aussi l ’ État partie à promouvoir la participation de la société civile à l ’ action menée pour donner suite aux présentes observations finales.

31. Conformément au Règlement intérieur du Comité, l ’ État partie doit communiquer, le 16 novembre 2019 au plus tard , des informations sur la suite qu ’ il aura donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 15 (disparition forcée en tant qu ’ infraction autonome), 17 (responsabilité pénale du supérieur hiérarchique et devoir d ’ obéissance) et 21 (non-refoulement).

32. En application du paragraphe 4 de l’article 29 de la Convention, le Comité demande à l’État partie de lui soumettre, au plus tard le 16 novembre 2024, des informations précises et à jour sur la mise en œuvre de toutes ses recommandations, ainsi que tout renseignement nouveau touchant l’exécution des obligations énoncées par la Convention, dans un document établi conformément aux directives concernant la forme et le contenu des rapports que les États parties doivent soumettre en application de l’article 29 de la Convention (CED/C/2, par. 39). Le Comité encourage l’État partie à promouvoir et à faciliter la participation de la société civile à la compilation de ces informations.