NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/93/D/1423/20054 août 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-treizième session7 au 25 juillet 2008

CONSTATATIONS

Communication n o 1423/2005

Présentée par:

M. Gennadi Šipin (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Estonie

Date de la communication:

18 juillet 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 23 août 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

9 juillet 2008

Objet: Refus arbitraire d’accorder la nationalité

Questions de procédure: Néant

Question s de fond: Discrimination, égalité devant la loi et protection égale de la loi

Article du Pacte: 26

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 a))

Le 9 juillet 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1423/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-treizième session

concernant la

Communication n o 1423/2005*

Présentée par:

M. Gennadi Šipin (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Estonie

Date de la communication:

18 juillet 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 9 juillet 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1423/2005 présentée au nom de M. Gennadi Šipin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Gennadi Šipin, d’origine ethnique russe, né dans la région de Kirovskaya dans l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) le 8 octobre 1961 et résidant actuellement en Estonie. Il prétend être victime de violations par l’Estonie de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur à l’égard de l’État partie le 21 janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1Le 21 août 2001, l’auteur, un ancien militaire dans l’armée de l’ex-URSS, a présenté une demande en vue d’obtenir la nationalité estonienne par naturalisation. Le 5 février 2003, sa demande a été rejetée par décret daté du 28 janvier 2003, au motif qu’il faisait partie d’un groupe de personnes mentionné au paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité de 1995, qui dispose:

«Paragraphe 21. Refus d ’ accorder la nationalité estonienne ou refus de réintégration

1)Nul ne pourra être naturalisé Estonien ou être réintégré dans la nationalité estonienne:

[…]

6)s’il a servi à titre professionnel dans les forces armées d’un État étranger, s’il a été incorporé dans la réserve, ou s’il en est retraité […]».

2.2Le 27 novembre 2003, le Tribunal administratif de Tallinn a rejeté la demande d’interjeter appel formulée par l’auteur. Un autre recours adressé à la cour d’appel de Tallinn a également été rejeté le 21 juin 2004. Le 27 octobre 2004, la Cour suprême a décidé que le recours de l’auteur était manifestement infondé.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur prétend que le paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité est discriminatoire en ce qu’il limite de façon abusive et injustifiée ses droits du fait de son origine sociale, de son appartenance à un groupe social particulier et/ou de sa position. Cette disposition légale repose sur la présomption que tous les étrangers qui ont servi dans les forces armées représentent une menace indéfinie pour l’État partie, quelles que soient les caractéristiques particulières de leur service ou de leur formation. Rien ne permet de démontrer, dans le dossier judiciaire, que l’auteur constitue une menace pour la sécurité estonienne. En outre, l’auteur ajoute que le permis de résidence est refusé ou annulé lorsqu’une personne est considérée comme une menace pour la sécurité nationale. Or, l’État partie a accordé, à plusieurs reprises, des permis de résidence temporaires à l’auteur, démontrant ainsi que celui-ci ne représente pas une menace.

3.2L’auteur reconnaît que le Pacte ne consacre pas un droit à la nationalité, mais il estime que l’article 26 pose néanmoins le principe de l’égalité devant la loi, de l’égale protection de la loi et de l’interdiction de la discrimination. Dès lors que la loi elle-même interdit, de façon abusive, aux personnes appartenant à un groupe social déterminé (ou ayant une origine ou une position sociale donnée) d’acquérir la nationalité, elle viole l’article 26 en ce qu’elle est discriminatoire. En outre, un certain nombre de personnes ayant obtenu la nationalité estonienne alors même qu’elles avaient servi dans les forces armées d’un État étranger (notamment l’URSS), la loi en question n’a pas été appliquée de manière uniforme à toutes les personnes concernées. Le droit de l’auteur à l’égalité devant la loi a donc été violé. L’État partie n’a avancé aucun argument raisonnable pour justifier son refus de lui accorder la nationalité. Le casier judiciaire de l’auteur est vierge, et il n’a jamais été jugé pour une infraction pénale; qui plus est, il ne peut servir dans les forces de sécurité ou les forces armées «d’aucun État étranger» dans la mesure où il est apatride, et il n’y a donc pas de motif social impérieux de lui refuser la nationalité. La seule justification avancée par l’État partie est le paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité, que l’auteur considère discriminatoire en soi.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 22 février 2006, l’État partie a confirmé que l’auteur avait épuisé les voies de recours internes, mais il soutient que la communication est manifestement mal fondée et, partant, irrecevable. La demande de naturalisation de l’auteur a été refusée pour des motifs de sécurité nationale, dans la mesure où celui-ci avait précédemment servi à titre professionnel dans les forces armées de l’ex-URSS, conformément au paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité. Le type ou la nature du service en question est sans intérêt. S’agissant des faits, l’État partie fait valoir qu’en 1979, l’auteur est entré à l’Institut militaire technique de l’aviation d’Ashinski, et qu’il a obtenu son diplôme en 1982. Puis, de 1982 à 1985, il a servi en tant que technicien de l’armée de l’air à Kaliningrad. En 1985, il a été détaché à Paldiski, dans l’ex‑République socialiste soviétique d’Estonie, où il a occupé le poste de commandant d’escadre. Il est entré en Estonie le 10 avril 1985, après sa nomination à Paldiski. Il a été affecté à la réserve des forces armées de l’ex-URSS avec le grade de lieutenant en 1989, suite à la commission d’une infraction pénale.

4.2L’État partie indique qu’en vertu de sa législation, il ne peut accorder la nationalité estonienne aux personnes qui ont servi à titre professionnel dans les forces armées d’un pays étranger; cette disposition s’explique par des raisons historiques et doit être considérée à la lumière du traité qu’il a signé avec la Fédération de Russie relatif au statut et aux droits des anciens officiers militaires. Il précise que le 31 août 1994, les troupes de la Fédération de Russie se sont retirées conformément au traité de 1994. Le statut socioéconomique des pensionnés militaires est régi par l’accord de 1996 sur la réglementation des garanties sociales accordées aux officiers retraités des forces armées de la Fédération de Russie sur le territoire de la République d’Estonie, en vertu duquel un permis de résidence estonien a été accordé à ceux d’entre eux et aux membres de leur famille qui en ont fait personnellement la demande et sur la base des listes présentées par la Fédération de Russie. Les questions sociales et juridiques concernant les pensionnés militaires, parmi lesquels figure l’auteur, ont donc fait l’objet d’accords distincts entre l’État partie et la Fédération de Russie. Après l’effondrement de l’ex-URSS et la restauration de l’indépendance de l’Estonie en 1991, le statut d’ancien militaire de l’auteur lui conférait le droit de demander un permis de résidence en Estonie à compter du 26 juillet 1994, en application des traités bilatéraux entre l’État partie et la Fédération de Russie. Il a obtenu ce permis, qui expirera en 2008.

4.3L’État partie ayant le droit de déterminer dans quelles conditions il accorde la nationalité ou refuse de l’accorder pour des motifs de sécurité nationale, un tel refus ne saurait constituer en lui-même une discrimination. Le droit à la nationalité n’étant ni un droit fondamental ni un droit consacré par le Pacte, l’auteur ne saurait prétendre que le refus de lui accorder la nationalité était discriminatoire. L’État partie renvoie à la jurisprudence constante du Comité selon laquelle les différences de traitement ne sont pas toutes discriminatoires; celles qui sont justifiées par des motifs raisonnables et objectifs sont compatibles avec l’article 26. Il fait valoir que les différences existant entre les personnes qui ont un permis de résidence et celles qui ont la nationalité se rapportent essentiellement aux droits politiques. L’auteur est titulaire d’un permis de résidence qui l’autorise à résider en Estonie, et jouit de ce fait d’importants droits sociaux, économiques et culturels. Lorsqu’il doit se prononcer sur la délivrance d’un permis de résidence ou l’octroi de la nationalité, l’État partie tient compte de «différents niveaux de menace».

4.4L’État partie soutient que le paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité est justifié pour des raisons de sécurité nationale; en effet, une personne qui a appartenu aux forces armées d’un pays étranger est quelqu’un qui entretient une relation forte avec cet État, qui s’est consacré à la défense de la sécurité nationale de cet État, qui était prêt à risquer sa vie et qui a prêté serment à cet effet. Si la nationalité était accordée à une telle personne, celle-ci risquerait ensuite d’être confrontée à des dilemmes éthiques et moraux, dans la mesure où elle a prêté serment de servir dans les forces armées d’un pays contre lequel elle pourrait être amenée à combattre en tant que ressortissant d’un autre pays.

4.5Selon l’État partie, le pays dans lequel le requérant a servi en tant que membre des forces armées est sans importance aux fins du paragraphe 21 1), sous-alinéa 6; en effet, lorsque tel est le cas, le requérant se voit refuser la nationalité. Le fait d’avoir servi dans les forces armées n’est pas le seul motif de refus. L’État cite la jurisprudence du Comité selon laquelle des considérations liées à la sécurité nationale peuvent viser un but légitime lorsque, dans l’exercice de sa souveraineté, un État partie accorde sa nationalité. Selon l’État partie, tant le tribunal administratif de Tallinn que la Cour d’appel de Tallinn se sont prononcés sur les mêmes griefs que ceux invoqués par l’auteur devant le Comité, notamment le grief de discrimination et celui selon lequel le refus de lui accorder la nationalité sur la base du paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité était inconstitutionnel étant donné qu’il n’y avait pas de pouvoir d’appréciation discrétionnaire. L’auteur a été représenté par un conseil, et tous deux ont eu la possibilité de prendre part à l’audience et de faire des observations.

4.6L’État partie présente les conclusions des deux juridictions. La cour d’appel a estimé que la distinction qui existait dans la législation était raisonnable et objective, dans la mesure où l’indépendance de l’État partie était relativement récente, et où l’on ne pouvait écarter la menace potentielle qu’un grand nombre de personnes ayant servi dans les forces armées d’un autre pays, en particulier un pays qui avait occupé l’Estonie, constituait pour sa sécurité. En refusant d’accorder la nationalité à une personne, on restreint sa participation à la prise de décisions générale au niveau national. Vu le nombre d’anciens professionnels des forces armées d’un pays étranger qui résident dans l’État partie, cette restriction a été jugée indiquée et nécessaire. Toutefois, le résident n’est pas totalement privé de la possibilité de participer à la vie politique dans l’État partie, et il peut voter lors des élections locales.

4.7La cour a estimé que le fait que l’auteur se réfère aux professionnels des forces armées qui se sont vu accorder la nationalité était sans pertinence, dans la mesure où, dans de tels cas, les intéressés ont fait l’objet d’un traitement différent, soit que leur conjoint avait la nationalité estonienne, et ils tombaient alors sous le coup de l’exception prévue au paragraphe 21 2), soit qu’une erreur administrative avait été commise. Elle a souligné que le refus d’accorder la nationalité à l’auteur et de reconnaître un quelconque pouvoir discrétionnaire à l’autorité administrative n’avait pas eu de conséquences disproportionnées. Il n’y avait pas de raison fondamentale qui aurait justifié d’accorder la nationalité estonienne à l’auteur, son apatridie ne pouvant constituer une telle raison. À cet égard, la cour a renvoyé aux constatations du Comité concernant la communication Borzov c. Estonie, dans lesquelles celui-ci a indiqué que les juridictions de l’État partie, lorsqu’elles ont à connaître de décisions administratives, y compris celles fondées sur des motifs de sécurité nationale, semblent être habilitées à procéder à un véritable réexamen au fond.

4.8L’État partie fait valoir qu’en vertu de la loi sur la nationalité de la Fédération de Russie du 28 novembre 1991, les citoyens de l’ex-URSS, comme l’auteur, pouvaient devenir citoyens de la Fédération de Russie jusqu’au 31 décembre 2000. Selon lui, l’auteur a eu la possibilité d’acquérir une nationalité, qu’il n’a pas utilisée.

Commentaires de l ’ auteur sur les observations de l ’ État partie

5.1Le 9 juin 2006, l’auteur a fait des commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que le refus de lui accorder la nationalité était fondé non sur des raisons de sécurité nationale mais uniquement sur son appartenance à un groupe particulier. Lorsqu’il a pris sa décision, le Gouvernement n’a tenu compte d’aucun élément concernant la menace que l’auteur pouvait faire personnellement peser sur la sécurité nationale de l’État partie. Celui-ci n’a pas démontré qu’au cours des quinze années qui s’étaient écoulées depuis son indépendance, l’auteur avait personnellement représenté un quelconque danger.

5.2L’auteur se réfère au paragraphe 12 6) de la loi relative aux étrangers, qui énonce les critères constitutifs d’une menace pour la sécurité de l’État, notamment le fait pour un étranger de fournir de faux renseignements dans sa demande de visa, de ne pas respecter la législation de l’État partie, d’être en service actif dans les forces armées d’un État étranger, d’avoir été plusieurs fois sanctionné pour avoir commis des infractions pénales, etc. L’auteur affirme qu’aucun de ces critères ne s’applique à lui et qu’il ne représente donc aucune menace. Il insiste sur le fait que son casier judiciaire est vierge, qu’il n’a jamais été jugé pour une infraction pénale, et qu’il ne peut pas comprendre comment, en tant qu’électricien retraité, il pourrait constituer une menace pour la sécurité nationale. En outre, étant apatride, il ne peut servir dans les forces de sécurité ou les forces armées d’aucun État étranger. Il souligne que même les personnes qui ont été condamnées pour une infraction pénale, et se voient de ce fait refuser la naturalisation, peuvent renouveler leur demande après l’expiration d’un certain délai.

5.3L’auteur note que l’État partie n’a pas fourni de justification raisonnable du fait que certaines personnes se sont vu accorder la nationalité estonienne alors même qu’elles avaient précédemment fait partie du personnel militaire d’un État étranger (notamment l’URSS). Il affirme qu’il a la possibilité de demander la nationalité de tout autre pays dans le monde, y compris de la Lettonie, de la Finlande ou de la Fédération de Russie, à condition de satisfaire aux conditions de naturalisation. Il fait valoir que l’État partie ne saurait le contraindre à choisir la nationalité d’un autre État, et qu’il s’est suffisamment intégré dans la société estonienne depuis 1988 pour pouvoir solliciter la nationalité de ce pays.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité note que le seul argument avancé par l’État partie au sujet de l’irrecevabilité de la communication est que les griefs de l’auteur sont «manifestement mal fondés». Il considère que l’argument de l’État partie n’est pas assez convaincant, et que les griefs de l’auteur sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Ne voyant aucune autre raison de considérer les griefs irrecevables, le Comité procède à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations fournies par les parties, comme cela est prévu au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2L’auteur soutient que le paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité, en vertu duquel la nationalité estonienne lui est automatiquement refusée au motif qu’il «est un ancien membre des forces armées d’un autre pays» viole l’article 26 du Pacte. L’État partie invoque des considérations de sécurité nationale comme justification de cette disposition légale. Le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle une personne peut être privée abusivement de son droit à l’égalité devant la loi si l’application à son détriment d’une disposition légale n’est pas fondée sur des motifs raisonnables et objectifs. Il renvoie également à ses constatations dans les affaires Borzov c. Estonie et Tsarjov c. Estonie, dans lesquelles il a estimé que des considérations liées à la sécurité nationale peuvent viser un but légitime lorsqu’un État partie, dans l’exercice de sa souveraineté, accorde sa nationalité. Le Comité rappelle que son droit de regard ne disparaît pas ipso facto du fait de l’invocation de raisons de sécurité nationale par un État partie, et il reconnaît que son propre rôle pour examiner l’existence et la pertinence de telles considérations dépendra des circonstances de chaque affaire.

7.3En l’espèce, l’article 26 n’exige qu’une justification raisonnable et objective visant un but légitime pour l’application des distinctions. Le Comité constate que la promulgation de la loi de 1995 sur la nationalité et, en particulier, l’interdiction générale d’octroyer la nationalité estonienne à quiconque «a servi à titre professionnel dans les forces armées d’un État étranger ou [...] a été incorporé dans la réserve, ou [...] en est retraité» ne peuvent pas être examinées hors de leur contexte factuel. Bien que l’interdiction générale susmentionnée équivale à une différence de traitement, en l’espèce, le bien-fondé d’une telle différence s’apprécie en fonction de la manière dont l’État partie justifie ses arguments fondés sur la sécurité nationale.

7.4En l’occurrence, l’État partie a conclu qu’octroyer la nationalité à l’auteur soulèverait des problèmes de sécurité nationale parce que ce dernier avait servi dans les forces armées d’un autre pays, notamment un pays qui avait précédemment occupé l’Estonie, et que le fait de refuser tout pouvoir discrétionnaire à l’autorité administrative, s’agissant de l’application de la loi sur la nationalité, n’est pas disproportionné. Le Comité relève que ni le Pacte ni le droit international en général ne précisent les critères spécifiques applicables à l’octroi de la nationalité par naturalisation, et que l’auteur a de fait pu saisir les tribunaux de l’État partie du rejet de sa demande de nationalité.

7.5Le Comité constate également que le choix de la catégorie de personnes auxquelles la législation de l’État partie refuse le bénéfice de la citoyenneté estonienne est étroitement lié à des considérations de sécurité nationale. En outre, lorsque l’argument invoqué pour justifier la différence de traitement est convaincant, il est superflu que l’application de la loi soit également justifiée par les circonstances personnelles. La décision prise dans l’affaire Borzov s’explique par l’opinion que les distinctions établies dans la loi elle-même, lorsqu’elles obéissent à des considérations raisonnables et objectives, ne doivent pas être justifiées à nouveau sur ces bases lorsqu’elles sont appliquées à une personne donnée. En l’espèce, le Comité ne conclut pas qu’il y a eu violation de l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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