NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/93/D/1456/20062 septembre 2008

FRANÇAISOriginal: ESPAGNOL

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-treizième session7-25 juillet 2008

CONSTATATIONS

Communication n o 1456/2006

Présentée par:

X (en son nom et au nom de sa fille, Y) (représentées par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

Y

État partie:

Espagne

Date de la communication:

14 février 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 28 février 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

24 juillet 2008

Objet: Acquittement du père accusé d’atteintes sexuelles sur la personne de sa fille de 3 ans et rétablissement du droit de visite

Questions de procédure: Griefs insuffisamment fondés; abus du droit de présenter des communications; non-épuisement des recours internes

Question s de fond: Déni de justice présumé pour appréciation arbitraire des preuves; droit à la vie privée et personnelle d’une mineure; droit à la protection d’une mineure

Article s du Pacte: 14 (par. 1), 17 et 24 (par. 1)

Article s du Protocole facultatif: 2, 3 et 5 (par. 2 b))

Le 24 juillet 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 1456/2006.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-treizième session

concernant la

Communication n o 1456/2006*

Présentée par:

X (en son nom et au nom de sa fille, Y) (représentées par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

Y

État partie:

Espagne

Date de la communication:

14 février 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1456/2006 présentée au nom de X et de Y, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 14 février 2006, est X, de nationalité espagnole, née en 1963. Elle agit en son nom propre et au nom de sa fille, Y, née en 1994. Elle déclare que sa fille est victime de violations par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et du paragraphe 1 de l’article 24 lu conjointement avec l’article 17. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa.

1.2Le 3 mai 2006, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a décidé d’examiner simultanément la recevabilité et le fond de la communication.

Exposé des faits

2.1L’auteur, employée de banque, qui habite à Murcie et est séparée par décision judiciaire d’avec Z, a déposé une plainte contre ce dernier le 14 novembre 1997 pour un délit d’agression sexuelle qu’il aurait commis sur la personne de leur fille commune, âgée de 3 ans à l’époque des faits. Cette plainte était fondée sur le comportement et les propos de l’enfant après ses visites chez son père, ainsi que sur un rapport établi par un pédopsychiatre et sur un certificat de la garderie de la fillette.

2.2Par décision du 14 novembre 1997, le juge d’instruction no 5 de Murcie a décidé d’engager une procédure d’information sur la base de la plainte de l’auteur. Par une ordonnance du 18 novembre 1997, le même juge d’instruction a décidé de suspendre provisoirement le régime de visite entre le père et la fille. À la suite de la procédure d’information engagée le 19 octobre 1998, le juge a rendu une ordonnance de poursuites et a transmis le dossier à l’Audiencia Provincial de Murcie, le procureur ayant qualifié les faits de constitutifs d’un délit continu d’atteintes sexuelles sur mineur, conformément aux articles 74, 181.1, 181.2, 181.3 et 192.2 du Code pénal espagnol. L’accusation a de son côté qualifié les faits de délit de tentative d’agression sexuelle.

2.3Le 21 mai 2002, l’Audiencia Provincial a acquitté Z des chefs d’atteintes et d’agression sexuelles. Ont été consignés dans le texte du jugement comme étant des faits démontrés les éléments suivants:

–À la suite de la séparation judiciaire des parties intervenue au début de 1997, ces dernières ont été prises dans des querelles judiciaires incessantes autour du régime des visites à leur fille commune, à tel point qu’une vingtaine de plaintes pénales ont été déposées;

–Entre fin septembre et octobre 1997, les éducatrices de l’école maternelle où était inscrite la fille de l’auteur ont observé un changement de comportement de la fillette après les visites rendues à son père, car elle se montrait irritable et donnait des signes de sommeil et de fatigue excessifs, avec des allusions répétées au jeu de la «petite tortue», en expliquant que son père avait à l’intérieur de son pantalon et de son caleçon une petite tortue que la fillette prenait et embrassait; ses dessins représentaient la tortue sous la forme d’un pénis;

–En novembre 1997, la responsable de l’école a décidé de porter ces faits à la connaissance de l’auteur. Celle-ci en a parlé à son psychiatre, qui l’a adressée à une gynécologue, laquelle a conclu que la fillette avait un aspect anatomique normal mais que son ouverture vaginale paraissait agrandie, et que l’attitude passive de la fillette pendant l’auscultation avait attiré son attention car elle était inhabituelle chez les enfants de cet âge. Par la suite, la mère a conduit sa fille chez un pédopsychiatre, qui a rendu un rapport provisoire concluant à l’existence d’atteintes sexuelles consistant au moins à exhiber devant elle un pénis en érection que l’enfant avait manipulé avec des mouvements masturbatoires et embrassé lors de jeux érotiques.

2.4À l’audience, le débat avait été axé sur l’administration des preuves apportées par l’accusation, à savoir: a) le rapport et l’enregistrement vidéo faits par la psychologue et l’assistante sociale de l’équipe technique du juge aux affaires familiales; b) le rapport du pédopsychologue qui avait examiné la fillette; c) le témoignage des éducatrices de l’école maternelle; et d) le rapport de la gynécologue qui avait examiné la fillette. L’Audiencia a analysé chacune des preuves produites, et a conclu que celles-ci ne permettaient pas «d’acquérir la ferme conviction que les atteintes avaient effectivement eu lieu. Le jeune âge de la fillette et le contexte de l’affaire, caractérisé par une rupture conjugale violente, compliquaient extraordinairement l’établissement des faits et militaient en faveur d’une procédure rigoureuse et minutieuse, confiée à des spécialistes, avec intervention ab initio de l’autorité judiciaire, ce qui aurait permis d’obtenir une déclaration de l’enfant présentant suffisamment de garanties, de l’enregistrer sur un support audiovisuel afin d’en faciliter la reproduction autant de fois que nécessaire et, tout particulièrement, à l’audience plénière […]. Cela n’ayant pas été fait, les preuves qui ont pu exister ont été définitivement perdues. À cela s’ajoute le fait que l’attitude du père a toujours consisté à nier les faits, et à maintenir une version cohérente et constante qui, pour l’essentiel, est sans faille.».

2.5Le jugement d’acquittement rendu par l’Audiencia Provincial de Murcie a ôté tout effet à l’ordonnance du juge d’instruction no 5 de Murcie, datée du 18 novembre 1997, qui décidait de suspendre le régime des visites à titre de protection. L’Audiencia a considéré que «bien qu’elle puisse, en vertu de l’article 158 du Code civil et, en général, de la Loi organique 1/96 sur la protection juridique du mineur, instaurer des mesures en vue de rétablir et normaliser les relations entre le père et la fille qui ont été, au détriment de celle‑ci, gravement détériorées, elle [l’Audiencia] estime que ces mesures doivent être ordonnées − dans les délais les plus brefs − par le juge aux affaires familiales qui connaît de la séparation des parents et qui a davantage de moyens (équipe psychosociale) que le présent tribunal pour établir le régime jugé le plus adéquat par ses spécialistes, la considération primordiale devant être l’intérêt supérieur de l’enfant, étant entendu que l’objectif principal sera d’obtenir, plus que les simples contacts et les séjours, le rétablissement et la consolidation du lien père‑fille dont l’enfant a tant besoin pour son équilibre personnel et affectif, en prêtant une attention particulière à ceux qui prétendent s’y opposer.».

2.6L’auteur s’est pourvue en cassation devant le Tribunal suprême contre le jugement d’acquittement rendu par l’Audiencia Provincial, en invoquant une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif et aux garanties relatives au droit de la défense, reconnus aux paragraphes 1 et 2 de l’article 24 de la Constitution de l’Espagne, considérant que l’Audiencia Provincial n’avait pas été saisie d’un récit fait directement par la victime. L’auteur a également invoqué l’existence d’erreurs dans l’appréciation des rapports d’expertise et des preuves testimoniales. Enfin, elle a invoqué la non-application erronée des articles 181.1 et 192 du Code pénal, en faisant valoir que les faits démontrés correspondaient aux délits prévus dans les dispositions en question.

2.7Le 23 juin 2003, le Tribunal suprême a rejeté tous les motifs de cassation et considéré que l’Audiencia Provincial avait suffisamment motivé le jugement d’acquittement, et avait expressément examiné les preuves dont elle était saisie et, en particulier, le problème causé par l’absence de déclaration directe émanant de la victime présumée, pour conclure à l’absence de preuve à charge suffisante pour affaiblir le droit à la présomption d’innocence de l’accusé. Le Tribunal a également considéré que «les preuves documentaires et testimoniales présentées au procès n’étaient pas suffisamment fiables, ce qui a justifié la conclusion de l’Audiencia Provincial selon laquelle il existait un doute suffisant concernant les faits, qui l’empêchait d’acquérir la conviction nécessaire à la condamnation». Enfin, le Tribunal a considéré que la description des faits consignée dans le jugement de l’Audiencia Provincial ne justifiait pas leur assimilation aux délits allégués parce que les preuves recueillies n’avaient pas permis à l’Audiencia de conclure que les atteintes s’étaient effectivement produites.

2.8Le 26 avril 2004, l’auteur a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, en invoquant trois motifs: a) atteinte aux droits de la défense pour avoir déclaré non valide la principale preuve de l’accusation, consistant en un enregistrement vidéo de la déclaration faite par la fillette devant l’équipe technique du juge aux affaires familiales, vu qu’il était impossible de faire témoigner directement la fillette à l’audience; b) caractère manifestement arbitraire des jugements rendus en première et en deuxième instance eu égard à l’appréciation des preuves; et c) violation du droit à la vie privée et personnelle de la mineure du fait que le jugement d’acquittement ordonnait la reprise urgente de contacts entre l’enfant et son père.

2.9Par une décision du 17 janvier 2005, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours en amparo formé par l’auteur. En ce qui concerne la violation présumée du droit à la vie privée et personnelle de la fillette, le Tribunal a considéré que cet argument n’avait pas été invoqué en cassation, ce qui le rendait irrecevable en raison du caractère subsidiaire du recours en amparo. En ce qui concerne le grief tiré de l’atteinte aux droits de la défense résultant du refus de reconnaître la validité de la preuve principale de l’accusation, le Tribunal a considéré que l’Audiencia Provincial avait jugé légitime la preuve en question qu’elle avait même qualifiée d’«élément de preuve essentiel», de sorte que ce n’était pas la validité de la preuve en tant que telle qui était niée, la preuve ayant été admise et administrée à l’audience plénière, mais la validité du but recherché, à savoir servir de preuve à charge de la culpabilité de l’accusé, parce que l’administration de cette preuve ne remplissait pas les conditions requises pour garantir la vraisemblance du témoignage fait par la fillette. Enfin, en ce qui concerne le motif fondé sur l’atteinte aux droits de la défense due au caractère arbitraire de l’appréciation des preuves par l’Audiencia Provincial, le Tribunal a rappelé que le recours en amparo n’était pas la voie de recours appropriée pour obtenir un réexamen de l’appréciation des éléments de preuve par la juridiction du premier degré, à moins que celle-ci ait agi de manière arbitraire ou déraisonnable. Le Tribunal a observé que l’Audiencia Provincial avait apprécié de manière minutieuse chacune des preuves (expertise et témoignages) administrées au cours du procès, et les avait écartées une par une en motivant sa décision d’une manière qui ne pouvait en aucun cas être considérée comme irrationnelle ou arbitraire.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a eu déni de justice, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, parce que les tribunaux du premier et du second degré ont nié la validité d’une preuve, l’enregistrement vidéo par l’équipe technique du juge aux affaires familiales, qui, de par sa nature, ne pouvait s’administrer que de la manière dont elle l’a été, vu le jeune âge du témoin et la longueur du délai écoulé avant la tenue du procès, qui faisait que la fillette ne se souvenait plus des faits. Elle relève l’incohérence entre les jugements rendus par l’Audiencia Provincial et le Tribunal suprême qui ont déclaré que les faits reprochés à l’accusé ne pouvaient être établis qu’au moyen d’un récit direct effectué par la fillette à l’audience, tout en reconnaissant en même temps l’impossibilité de reproduire la déposition à cause de l’âge de la fillette et du délai écoulé entre les faits et la tenue du procès. Selon l’auteur, la preuve préconstituée consistant en une déclaration de la fillette enregistrée sur un support vidéo et visionnée lors du procès était la seule possibilité de reproduire ses déclarations; par conséquent, elle aurait dû avoir une valeur fondamentale. Néanmoins, les tribunaux de jugement ont nié la validité de cette preuve, laissant la partie demanderesse sans moyen pour se défendre.

3.2Il y a eu également déni de justice en raison du caractère manifestement arbitraire des jugements rendus par les juridictions de premier et de second degré eu égard à l’appréciation des preuves. L’auteur affirme que ces juridictions ont eu recours à la «probatio diabolica» (preuve diabolique) ou preuve impossible, selon laquelle seule une déclaration de la fillette devant les juges de l’Audiencia Provincial constituerait une preuve à charge suffisante, preuve qui est impossible à administrer.

3.3Enfin, l’auteur affirme que l’ordonnance rendue par l’Audiencia Provincial visant à rétablir d’urgence les contacts entre la fillette et son père, et annulant la suspension du régime de visite, est une violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, lu conjointement avec l’article 17. L’auteur signale que cette ordonnance laisse la fillette sans protection, ce qui est contraire au paragraphe 1 de l’article 24. Cette mesure constitue en outre, selon l’auteur, une immixtion arbitraire dans la vie privée de la fillette, forcée à cohabiter avec le père qui, selon de multiples preuves recueillies dans le compte rendu des faits consigné dans le jugement, a abusé sexuellement d’elle. Elle relève que c’est le juge aux affaires familiales qui a compétence pour définir les mesures de protection d’une mineure, lequel n’est pas lié par le jugement d’acquittement, même si ce jugement le soumet à une pression incontestable et illégitime puisque l’Audiencia Provincial de Murcie est l’instance juridictionnelle supérieure.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 27 avril 2006, l’État partie affirme que la communication est irrecevable parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement, qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications et que les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés.

4.2L’État partie fait observer que la plainte de l’auteur porte sur une question d’appréciation des preuves, lesquelles ont été analysées minutieusement par la juridiction de jugement. Ce tribunal a considéré, sur la base d’une preuve constituée par l’enregistrement vidéo des déclarations de la fillette effectué par l’équipe technique du juge aux affaires familiales, que «ladite déclaration de la fillette est sans valeur parce qu’elle ne raconte pas librement les faits de mémoire, mais en répondant à des questions concrètes formulées avec insistance, avec des connotations positives et négatives, qui suggéraient même les réponses, et que la fillette s’y est conformée en essayant de plaire aux adultes et d’échapper à un sujet qui ne l’intéresse pas du tout. En outre, les diverses répétitions de cet entretien laissaient prévoir son échec, étant donné le risque que la fillette ne fasse plus la distinction entre ce qui s’était réellement passé et les informations venues de l’extérieur que la fillette avait intégrées naturellement à son récit.». L’État partie observe que chacune des preuves rapportées pendant le procès a fait l’objet d’une appréciation minutieuse et concrète de la part de l’Audiencia Provincial, y compris les déclarations de la plaignante et de l’inculpé, ce qui l’a conduite à prononcer l’acquittement. Il rappelle qu’il n’appartient pas au Comité, comme celui‑ci l’a indiqué à plusieurs reprises, de se substituer aux juridictions nationales pour apprécier les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Il observe que la simple lecture du jugement d’acquittement rendu par l’Audiencia Provincial montre bien l’analyse minutieuse à laquelle cette juridiction a procédé et qui ne saurait aucunement être qualifiée d’arbitraire.

4.3En ce qui concerne l’article 17 du Pacte, l’État partie observe qu’il est absolument logique que l’Audiencia Provincial ait communiqué le jugement d’acquittement au juge aux affaires familiales pour qu’il soit mis fin aux mesures qui avaient été adoptées concernant le régime de visite en attendant la fin du procès. Il relève que l’expression utilisée par l’Audiencia Provincial a été faussement interprétée par l’auteur, et se lit comme suit: «Que la présente décision soit communiquée au juge aux affaires familiales […] pour qu’il en ait connaissance et que, de toute urgence (art. 158 du Code civil), il adopte les décisions appropriées afin de normaliser les relations père-fille en prenant les précautions qu’il jugera opportunes.». L’État partie affirme que, conformément à l’article 158 susmentionné, «les mesures de protection des mineurs peuvent être prises dans le cadre de toute procédure civile ou pénale ou dans le cadre d’une procédure devant une juridiction gracieuse», et qu’à défaut, la juridiction de jugement se limite à communiquer sa décision au juge aux affaires familiales pour qu’il prenne la décision pertinente.

4.4L’État partie affirme qu’en tout état de cause les mesures qu’a pu adopter le juge aux affaires familiales en vertu du jugement d’acquittement qui lui est communiqué ne sont pas contestées en l’espèce, ce qui fait qu’à cet égard les voies de recours internes disponibles concernant la violation alléguée des articles 17 et 24 du Pacte n’ont pas été épuisées.

Observations de l ’ État partie sur le fond

5.Dans ses observations du 10 juillet 2006, l’État partie présente ses observations sur le fond de la communication, dans lesquelles il réitère les arguments formulés dans les observations du 27 avril 2006.

Commentaires de l ’ auteur sur les observations de l’État partie

6.1Dans ses commentaires du 16 octobre 2006, l’auteur affirme que l’ordonnance rendue par l’Audiencia Provincial afin de communiquer le jugement d’acquittement au juge aux affaires familiales pour que soient rétablies d’urgence les relations père-fille l’a plongée dans un profond état d’angoisse. Elle souligne que l’article 158 du Code civil n’oblige pas le juge aux affaires familiales à adopter une mesure de cette nature mais que le paragraphe 4 de ce même article impose au juge le devoir d’adopter d’office les mesures opportunes pour mettre un mineur à l’abri d’un danger ou d’un préjudice. L’auteur ajoute que, bien que le juge aux affaires familiales n’ait pas donné suite à la requête formulée dans le jugement de l’Audiencia Provincial, elle a pour sa part vécu pendant des années dans un climat d’angoisse parce qu’à tout moment le père pouvait exiger d’exercer son droit de visite à l’égard de la fillette.

6.2L’auteur insiste sur le fait que la réalité des atteintes sexuelles subies par la fillette ressort de l’énumération des faits prouvés dans le jugement, faits dont elle dit qu’ils n’ont pas été pris en compte par l’Audiencia Provincial lorsqu’elle a prononcé l’acquittement, plaçant la fillette en situation de vulnérabilité.

6.3L’auteur affirme que le fait d’invalider la preuve constituée par l’enregistrement vidéo de la déclaration de la fillette est arbitraire et consacre l’impunité pour la pédérastie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il peut procéder à l’examen de la plainte.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés en ce qui concerne les griefs fondés sur les articles 17 et 24 du Pacte, étant donné que la question de l’invalidité des mesures adoptées par le juge aux affaires familiales sur l’éventuel rétablissement du régime de visite n’avait pas été soulevée devant la juridiction interne. Le Comité observe toutefois que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles, y compris le recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, par lequel elle a invoqué la violation du droit à la vie privée de la fillette.

7.4En ce qui concerne l’absence de fondement du grief tiré de l’article 17, invoquée par l’État partie, le Comité relève que ce grief se fonde sur la décision de l’Audiencia Provincial, confirmée en cassation par le Tribunal suprême, de rejeter la validité de la preuve présentée par l’auteur. L’Audiencia Provincial et le Tribunal suprême auraient fait preuve d’arbitraire, ce qui pourrait représenter une violation du paragraphe 1 de l’article 14 et constituerait le fondement d’un grief de violation des articles 17 et 24. Le Comité estime que la plainte fondée sur ces articles est suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

7.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui invoque l’existence d’un abus du droit de présenter des communications, le Comité observe que cet abus n’a pas été montré par l’État partie et que, par ailleurs, il n’y a aucune raison de considérer, à la lumière des circonstances de la cause, qu’un tel abus soit constitué.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme avoir été victime d’un déni de justice en raison de l’appréciation prétendument arbitraire par les tribunaux internes des preuves présentées par l’accusation parce qu’ils ont considéré comme non valide une preuve − l’enregistrement vidéo de la déclaration de la fillette − qui, par sa nature, pouvait seulement être administrée de la manière dont elle l’a été, vu le jeune âge de l’enfant et la longueur du délai écoulé avant le procès. Il prend note également des allégations de l’État partie qui affirme que toutes les preuves, y compris l’enregistrement vidéo de la mineure, ont été analysées avec beaucoup de minutie par le tribunal de jugement, qui les a écartées de manière rationnelle.

8.3Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence constante, il appartient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que leur appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Le Comité relève que l’Audiencia Provincial a analysé minutieusement chacune des preuves produites par l’accusation, une par une et de manière rationnelle. L’appréciation des éléments de preuve effectuée par l’Audiencia Provincial a été réexaminée minutieusement, à son tour, par le Tribunal suprême, lequel a conclu qu’elle avait été rationnelle et suffisante. Concrètement, en ce qui concerne l’élément de preuve considéré comme fondamental par l’auteur, à savoir l’enregistrement vidéo de la fillette par l’équipe technique du juge aux affaires familiales, le Comité note que cette preuve également a été analysée minutieusement par l’Audiencia Provincial, qui l’a jugée insuffisante, vu les circonstances dans lesquelles elle avait été administrée et le jeune âge de l’enfant. Le Comité considère qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la pertinence des arguments exposés par l’Audiencia Provincial pour écarter la preuve produite, considérée comme insuffisante, dès lors que les motifs détaillés de l’argumentation et la cohérence du raisonnement utilisé ont été vérifiés. Il considère donc qu’il n’existe pas d’éléments suffisants pour affirmer qu’il y a eu arbitraire de la part des juridictions nationales dans l’appréciation des éléments de preuve de l’accusation.

8.4Étant donné qu’il ne constate pas de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité estime que les griefs de violation des articles 17 et 24 n’ont pas de fondement juridique. Le fait que les deux juridictions aient acquitté le mari de l’auteur n’apporte pas le fondement nécessaire pour considérer qu’il y a eu violation des droits consacrés aux articles 17 et 24 du Pacte.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du Pacte.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah , M me  Christine Chanet et M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati

La plainte de l’auteur formulée au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte est à notre avis irrecevable pour les motifs suivants:

Le Pacte ne confère pas le droit d’obtenir qu’une autre personne fasse l’objet de poursuites (voir notamment la communication no 578/1994 (de Groot c. Pays-Bas), conforme à la jurisprudence constante du Comité);

Dans une procédure judiciaire, le paragraphe 1 de l’article 14 et tous les autres paragraphes de l’article 14, visent à protéger le droit à un procès équitable de la personne accusée et non celui du ministère public;

Personne ne conteste que l’auteur, en sa qualité de parent, avait le droit de veiller à la protection de sa fille et, comme cela a été expliqué par le Tribunal suprême, le tribunal pour enfants était le mieux à même de trancher toute question pertinente à cet égard.

(Signé) Rajsoomer Lallah(Signé) Christine Chanet(Signé) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood et de Sir Nigel Rodley

Dans sa pratique, le Comité s’incline généralement devant les décisions motivées des tribunaux nationaux quant à l’évaluation des éléments de preuve présentés lors du procès. Dans l’affaire dont le Comité est saisi, une très jeune fillette est présumée avoir été victime d’atteintes sexuelles graves de la part de son père. Une déposition faite par l’enfant et enregistrée sur une bande vidéo a été écartée par les tribunaux pénaux espagnols, parce qu’elle était constituée de questions suggérant une réponse particulière posées à l’enfant de manière répétitive. En outre, l’enfant ne se souvenait pas des faits et n’était plus en mesure de confirmer les faits en audience publique. Comme le Comité, je m’incline devant cette décision.

Je tiens toutefois à faire une mise en garde quant aux limites de notre décision. Les enfants jouissent d’un droit juridique et moral de protection contre toute atteinte physique et sexuelle, fondé sur les articles 7, 9, 17 et 23 du Pacte. Les normes en matière de preuve appliquées dans les affaires de garde d’enfant et de droit de visite peuvent être très différentes de celles qui sont appliquées dans un procès pénal.

Dans l’affaire à l’examen, après l’acquittement du parent accusé et poursuivi pour atteintes sexuelles, l’Audiencia P rovincial a fortement suggéré, voire ordonné au tribunal pour enfants de rendre au parent accusé ses droits de visite, laissant toutefois au tribunal pour enfants le soin d’en déterminer les modalités particulières. Ce dernier a refusé de suivre l’avis de l’Audiencia P rovincial.

Dans son ordonnance, l’Audiencia P rovincial semble avoir négligé le fait que les normes relatives aux preuves appliquées dans les décisions en matière de garde d’enfant et de droit de visite diffèrent considérablement, et à juste titre, des preuves quasi parfaites exigées dans les procédures pénales. Par conséquent, en l’espèce, la requérante agissant au nom de sa fille était fondée à faire grief de ce que le droit à la protection dont jouissent tous les enfants n’aurait pas dû être méconnu, même après un acquittement au pénal.

(Signé) Ruth Wedgwood(Signé) Sir Nigel Rodley

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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