NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/93/D/1448/20062 septembre 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑treizième session7‑25 juillet 2008

CONSTATATIONS

Communication n o  1448/2006

Présentée par:

Ivanka Kohoutek (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

2 février 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 16 février 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

17 juillet 2008

Objet: Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure: Abus du droit de présenter une communication; griefs non étayés

Question s de fond: Égalité devant la loi; égale protection devant la loi

Articles du Pacte: 26, 12

Article s du Protocole facultatif: 3, 2

Le 17 juillet, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1448/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑treizième session

concernant la

Communication n o 1448/2006*

Présentée par:

Ivanka Kohoutek (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

2 février 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 juillet 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1448/2006 présentée au nom de Mme Ivanka Kohoutek, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 2 février 2006, est Ivanka Kohoutek, Allemande d’origine tchèque, née en 1947 dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Elle se déclare victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Protocole facultatif) est entré en vigueur pour la République tchèque le 22 février 1993.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1En 1981, l’auteur et son époux ont quitté l’ancienne Tchécoslovaquie avec leurs deux enfants pour émigrer dans l’ancienne République fédérale d’Allemagne. Un tribunal tchécoslovaque les a condamnés par défaut à douze mois d’emprisonnement, avec confiscation de leurs biens, pour avoir quitté le pays.

2.2L’auteur explique que le bien qu’ils possédaient était une maison de famille située à Hosov, dans ce qui est aujourd’hui le district de Jihlava, avec un garage, des annexes et un jardin de 861 m2. Selon elle, leur droit de propriété était dûment enregistré au service du cadastre de Jihlava, et un certificat de propriété (no 433) avait été établi.

2.3Le 23 février 1982, la sœur de l’auteur s’est portée acquéreur de la propriété. En raison de considérations politiques, et bien que la sœur de l’auteur eût présenté sa demande en premier, la maison et le terrain ont été transférés à M. et Mme Ch. Ce transfert de propriété a été enregistré le 12 novembre 1982 par un notaire à Jihlava. Bien que M. et Mme Ch. occupent toujours la maison, le droit de propriété a été officiellement transféré à un certain Michael S. pour empêcher, semble-t-il, tout autre litige éventuel.

2.4L’époux de l’auteur est décédé en 1987. À cette date, il avait encore la nationalité tchécoslovaque. L’auteur a obtenu la nationalité allemande en 1991, ce qui lui a valu de perdre sa nationalité tchécoslovaque d’origine.

2.5L’auteur affirme que son époux décédé et elle‑même ont été entièrement réhabilités en 1990, en application de la loi no 119/1990 relative à la réhabilitation judiciaire. Elle a demandé que M. et Mme Ch. lui restituent son bien en application de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire. Ils ont refusé et elle a donc déposé plainte auprès du tribunal de district de Jihlava. À une date non précisée, le tribunal a rejeté la requête au motif que l’auteur n’avait pas la nationalité tchèque. Le 8 décembre 1998, le tribunal régional de Brno a confirmé la décision du tribunal de district.

2.6L’auteur a formé un recours devant la Cour constitutionnelle, en faisant valoir qu’elle avait été victime de discrimination en violation de l’article 26 du Pacte. La Cour constitutionnelle a rejeté le recours le 27 septembre 1999.

2.7L’auteur a alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme (requête no 58716/00). Le 10 septembre 2002, un comité de trois juges de la Cour a déclaré sa requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.

Teneur de la plainte

3.L’auteur se déclare victime d’une violation de l’article 26 du Pacte parce que la condition de nationalité fixée par la loi no87/1991 constitue une discrimination illégale. Elle invoque la jurisprudence du Comité, plus particulièrement les affaires Marik et Krizc. République tchèque, dans lesquelles le Comité a conclu à une violation de l’article 26 par l’État partie.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans une note du 6 septembre 2006, l’État partie a fait parvenir ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Concernant les faits, il précise que le 23 février 1982 l’auteur et son époux ont été condamnés par le tribunal de district de Jihlava, notamment à la confiscation de leurs biens, pour avoir émigré illégalement. Le 16 février 1989, l’auteur et son époux, décédé en 1987, ont été amnistiés par ce même tribunal. L’État partie confirme qu’ils ont été rétablis dans leurs droits par une décision rendue le 13 février 1991 en application de la loi no 119/1990, qui a annulé le jugement du 23 février 1982.

4.2L’État partie souligne qu’en vertu de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire («loi sur la restitution») il fallait remplir d’autres critères que les conditions de nationalité et de résidence permanente pour prétendre à la restitution. La condition de résidence permanente a été supprimée par l’arrêt no 164/1994 de la Cour constitutionnelle, en date du 12 juillet 1994, qui a fixé un nouveau délai de six mois, à compter du 1er novembre 1994, pour la présentation des demandes de restitution.

4.3Le 3 octobre 1995, l’auteur et ses enfants ont demandé la restitution de leur bien. La demande a été rejetée en date du 10 septembre 1997 au motif qu’ils ne remplissaient pas la condition de nationalité. Le 8 décembre 1998, le tribunal régional de Brno a confirmé la décision rendue en première instance.

4.4L’État partie conteste la recevabilité de la communication, affirmant qu’elle constitue un abus du droit de plainte au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. Il reconnaît que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai précis pour la soumission de communications mais il renvoie à la jurisprudence du Comité, notamment à l’affaire Gobin c. Maurice dans laquelle le Comité avait déclaré irrecevable une communication présentée cinq ans après la commission de la violation alléguée du Pacte, au motif que l’auteur n’avait pas donné d’«explication convaincante» pour justifier ce retard. En l’espèce, l’État partie fait valoir que l’auteur a saisi le Comité en février 2006, soit sept ans et deux mois après que le tribunal régional de Brno eut rendu sa décision du 8 décembre 1998, et à tout le moins trois ans et presque cinq mois après la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, rendue le 10 septembre 2002, sans donner la moindre explication pour justifier un retard aussi déraisonnable. À ce propos, l’État partie rappelle qu’un délai de six mois est fixé pour la présentation des requêtes à la Cour européenne des droits de l’homme (art. 35, par. 1, de la Convention européenne des droits de l’homme). Il fait valoir en outre que l’intérêt particulier de l’auteur dans la présente affaire ne saurait être considéré comme suffisamment important pour l’emporter sur l’intérêt généralement reconnu qu’il y a à préserver le principe de la sécurité juridique, d’autant plus que l’auteur a déjà saisi par le passé un autre organe international chargé de protéger les libertés et les droits de l’homme.

4.5Sur le fond, l’État partie renvoie aux observations qu’il avait exposées antérieurement au Comité au sujet d’affaires analogues, dans lesquelles il avait expliqué les circonstances politiques et les conditions juridiques propres aux lois sur la restitution, notamment la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire. L’État partie fait observer qu’il était conscient, à l’époque où ces lois ont été adoptées, qu’il ne serait pas possible de réparer toutes les injustices commises sous le régime communiste, et que la Cour constitutionnelle a examiné et rejeté dans plusieurs affaires la question de savoir si la condition de nationalité était contraire à la Constitution et aux libertés et droits fondamentaux (par exemple dans l’arrêt no 185/1997). Il ajoute que les lois sur la restitution ont été adoptées avec un double objectif: atténuer dans une certaine mesure les conséquences d’une partie des injustices commises par le passé et permettre de mener rapidement à bien une réforme économique complète en vue de passer à une économie de marché. Les lois sur la restitution faisaient partie d’un train de mesures législatives visant à transformer l’ensemble de la société, et il semblait opportun de prévoir des conditions restrictives, notamment la condition relative à la nationalité, qui visait à garantir que les biens restitués soient dûment entretenus.

4.6L’État partie fait observer en outre que les personnes susceptibles de demander la restitution de biens confisqués ont eu la possibilité de recouvrer la nationalité tchèque entre le 29 mars 1990 et le 31 décembre 1993. Il renvoie à ce sujet à la décision du tribunal régional de Brno, dans laquelle celui‑ci a estimé que «la législation nationale, de ce fait, permettait également aux personnes qui ne remplissaient pas la condition de nationalité de présenter des demandes de restitution en vertu de la loi relative à la réparation par voie non judiciaire». L’État partie relève que le tribunal régional de Brno n’était pas tenu d’examiner − et d’ailleurs ne l’a pas fait, pour des raisons d’économie de procédure − les autres conditions à satisfaire pour prétendre à la restitution. Il en conclut qu’il n’est pas possible de présumer qu’il aurait été fait droit à sa demande si l’auteur avait satisfait à la condition concernant la nationalité tchèque.

Commentaires de l ’ auteur sur les observations de l ’ État partie

5.1Dans une réponse datée du 28 septembre 2006, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle rappelle qu’avec son mari elle a fui la Tchécoslovaquie communiste en 1981 et fait valoir que le jugement rendu le 23 février 1982 par le tribunal de district de Jihlava va à l’encontre des dispositions du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte. Au sujet de la loi no 119/1990 relative à la réhabilitation judiciaire, elle affirme que celle‑ci ne prévoit aucune condition de nationalité pour les personnes réhabilitées et que cette condition a été introduite dans la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire, promulguée quatorze mois plus tard.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que sa communication constitue un abus du droit de soumettre des communications, l’auteur nie qu’il y ait abus du droit de plainte et rappelle que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai. Elle avait été anéantie par le déni de justice qu’entraînaient les décisions judiciaires et elle était à bout, émotionnellement et financièrement. Elle avait saisi le Comité dès qu’elle avait eu connaissance des constatations qu’il avait adoptées le 26 juillet 2005 dans l’affaire Mari k (communication no 945/2000), et le 1er novembre 2005 dans l’affaire Kriz (communication no 1054/2002).

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif impose au Comité de s’assurer que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité a noté que la plainte portant sur les mêmes faits qui avait été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme (requête no 58716/00) avait été déclarée irrecevable par un comité de trois juges, pour défaut manifeste de fondement le 10 septembre 2002. Les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication étant donné que la Cour européenne n’est plus saisie de l’affaire et que l’État partie n’a pas émis de réserve à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 En ce qui concerne le grief de l’auteur qui fait valoir que le jugement rendu le 23 février 1982 par le tribunal de district de Jihlava est contraire aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte, le Comité note que ce grief n’était pas avancé dans la communication initiale sur laquelle l’État partie a fait ses observations. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations de violation de l’article 12 et déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de plainte au regard de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du temps écoulé avant qu’elle ne soit adressée au Comité. L’État partie rappelle que l’auteur a attendu trois ans et cinq mois après que la Cour européenne des droits de l’homme eut rendu sa décision pour soumettre sa plainte au Comité. En l’espèce et compte tenu des explications données par l’auteur, le Comité n’estime pas que le temps écoulé avant que la communication lui soit adressée constitue un abus du droit de plainte. Il déclare par conséquent la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si l’application à l’auteur de la loi no 87/1991 a constitué une discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.

7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans les affaires Adam, Blazek, Marik, Kriz, Gratzinger et Ondracka, dans lesquelles il a conclu à une violation de l’article 26 du Pacte, et qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger des auteurs qu’ils remplissent la condition relative à la nationalité tchèque pour obtenir la restitution de leurs biens ou, à défaut, une indemnisation. Le Comité estime que le principe établi dans les affaires susmentionnées est également valable dans la présente affaire et qu’en appliquant à l’auteur la condition de nationalité, les tribunaux internes ont violé les droits qui lui sont garantis à l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une réparation, y compris une indemnisation si le bien ne peut pas être restitué. Le Comité engage de nouveau l’État partie à revoir sa législation de façon à garantir à tous l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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