NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/93/D/1482/200621 septembre 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-treizième session7-25 juillet 2008

CONSTATATIONS

Communication n o 1482/2006

Présentée par:

M. G. (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Allemagne

Date de la communication:

26 mai 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 juillet 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

23 juillet 2008

Objet: Injonction du tribunal pour un examen médical visant à déterminer la capacité du plaignant de prendre part à une procédure judiciaire déterminée

Questions de procédure: Droit de ne pas être soumis à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant − Droit de ne pas faire l’objet d’une immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée − Droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial

Question s de fond: Griefs insuffisamment étayés

Article s du Pacte: 7, 14 (par. 1), 17

Article du Protocole facultatif: 2

Le 23 juillet 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte figurant en annexe en tant que constatations concernant la communication no 1482/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑treizième session

concernant la

Communication n o  1482/2006*

Présentée par:

M. G. (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Allemagne

Date de la communication:

26 mai 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 juillet 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no  1482/2006 présentée au nom de M. G., en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Mme M. G., de nationalité allemande, née le 28 janvier 1963. Elle se déclare victime de violations par l’Allemagne des articles 7 et 17 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Elle réside actuellement au Paraguay. Elle a été représentée par un conseil, M. Alexander H. E. Morawa jusqu’au 15 mai 2008, date à laquelle celui‑ci a informé le Comité qu’il ne représentait plus l’auteur dans la procédure.

1.2Le 18 juillet 2006, le secrétariat a informé l’auteur que le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, avait décidé de ne pas demander de mesures provisoires en application de l’article 92 de son règlement intérieur.

Exposé des faits

2.1Les parents de l’auteur ont divorcé en 1981. Ensuite, de nombreuses actions ont été intentées par l’auteur, son père et les proches de celui‑ci et tranchées par les tribunaux chargés des affaires civiles et des affaires familiales.

2.2En juillet 2004, trois membres de la famille de l’auteur, dont son père, ont engagé une action civile contre l’auteur devant le tribunal régional d’Ellwangen, demandant à celui‑ci de rendre une ordonnance enjoignant à l’auteur de ne pas faire certaines déclarations et réclamant des dommages-intérêts. Le 7 novembre 2005, le tribunal régional d’Ellwangen, sans l’avoir entendue ni vue en personne, a ordonné à l’auteur de se faire examiner par un médecin afin de déterminer si elle était capable de prendre part à une procédure judiciaire. Il a chargé le professeur R. H., psychiatre à l’hôpital universitaire de la Charité à Berlin, «d’effectuer tous les examens qu’il jugerait nécessaires pour évaluer l’état de santé physique et mentale de [l’auteur]».

2.3Dans sa décision du 7 novembre 2005, le tribunal a fait valoir que le comportement adopté par l’auteur au cours du procès, notamment les communications nombreuses et volumineuses qu’elle avait adressées au tribunal, suscitait des doutes quant à sa capacité de prendre part à la procédure, en particulier pour les raisons suivantes: 1) dans ses communications, l’auteur avait indiqué que la procédure à laquelle elle était partie l’obligeait à travailler jusqu’à vingt heures par jour pour rédiger des mémoires et autres documents, ce qui avait eu des effets néfastes sur sa santé (attestés par des certificats médicaux) et sur l’ensemble de sa vie; malgré ces effets néfastes et alors même qu’elle était représentée par un conseil, elle continuait de présenter des communications abondantes sans raison suffisante; 2) le fait que l’auteur ait envoyé copie de ses communications au Sénateur de justice de Berlin, aux présidents du tribunal régional de Berlin, du tribunal régional supérieur de Stuttgart et du tribunal fédéral, au Président de la Cour constitutionnelle fédérale et à la Cour européenne des droits de l’homme montrait qu’elle était stressée et qu’elle surestimait l’importance de l’action; et 3) l’auteur faisait appel de chacune des décisions qu’elle considérait comme défavorable, même en l’absence de toute justification rationnelle apparente.

2.4Le 22 novembre 2005, l’auteur a introduit un recours auprès de la Cour constitutionnelle fédérale contre l’injonction du tribunal régional d’Ellwangen et a demandé des mesures provisoires de protection. Elle n’était pas représentée par un avocat. La Cour a rejeté le recours le 21 décembre 2005 sans exposer ses motifs.

2.5Le 2 décembre 2005, l’auteur, cette fois par l’intermédiaire d’un représentant, a contesté l’ordonnance du tribunal régional d’Ellwangen dans un contre-mémoire affirmant qu’il n’y avait aucun motif objectif pour ordonner un examen médical et dénonçant le fait qu’elle n’avait pas été entendue avant que l’ordonnance soit rendue. Elle a expliqué qu’elle était partie à de nombreuses procédures contre des membres de sa famille paternelle. Étant donné qu’elle n’était pas représentée par un avocat pendant une partie de la procédure, il ne pouvait pas lui être reproché d’écrire des lettres longues et nombreuses pour expliquer le contexte de ses actions en justice. Elle avait le droit d’exposer sa cause de la manière la plus complète possible et de se mettre en rapport avec des juridictions supérieures et des organes internationaux. Le fait qu’elle se soit prévalue de recours ouverts ne devait pas entraîner des conséquences aussi graves qu’une injonction de subir un examen médical contre son gré. En date du 8 décembre 2005, le tribunal régional d’Ellwangen a confirmé sa décision. Il n’était pas nécessaire qu’il entende l’auteur avant d’ordonner un examen médical car son comportement et ses communications suffisaient à susciter le doute sur sa capacité de prendre part à une action en justice.

2.6En date du 2 décembre 2005, l’auteur a contesté la décision des juges du tribunal régional d’Ellwangen qui avaient ordonné un examen médical sans raison objective et sans audience préalable. Le 16 janvier 2006, le tribunal, composé d’autres juges, a rejeté le recours considérant que la décision de ne pas entendre l’auteur, qui était domiciliée à Berlin, n’était pas partiale compte tenu du dossier volumineux qui existait.

2.7Le 22 mars 2006, le tribunal régional supérieur de Stuttgart a rejeté le recours formé par l’auteur contre la décision des juges du tribunal régional d’Ellwangen, estimant que le comportement de l’auteur justifiait la décision de prendre l’avis d’un expert. Le tribunal a noté que l’auteur s’était occupée de ses intérêts avec une «véhémence manifeste» et qu’elle employait des termes insultants dans ses communications écrites. L’absence d’audience avant d’ordonner l’examen ne constituait pas une violation du droit à un procès équitable étant donné que le tribunal n’était tenu d’entendre l’auteur qu’avant de se prononcer définitivement sur sa capacité de prendre part à la procédure.

2.8Le 6 avril 2006, l’auteur a formé un recours auprès de la Cour constitutionnelle fédérale contre les décisions du tribunal régional supérieur de Stuttgart et du tribunal régional d’Ellwangen, dans lequel elle dénonçait également l’absence d’audience préliminaire. La Cour a rejeté le recours le 27 avril 2006 sans exposer ses motifs.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’injonction ordonnant un examen médical représente un traitement dégradant et constitue une atteinte illégitime au droit à la vie privée, en violation des articles 7 et 17 du Pacte; elle affirme également que l’absence d’audience avant l’injonction a constitué une violation du droit à un procès équitable garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.2L’auteur rappelle que l’article 7 du Pacte a pour but de protéger l’intégrité et la dignité de l’individu contre des actes qui provoquent une douleur physique ou une souffrance mentale. Invoquant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle fait valoir qu’un traitement est considéré comme «dégradant» s’il suscite des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité de nature à provoquer l’humiliation ou l’avilissement de la victime. Ordonner à quelqu’un de subir un examen contre son gré porte atteinte à la dignité et à la vie privée et place l’intéressé, qui n’a jamais fait l’objet d’une évaluation psychiatrique, dans une «position particulièrement vulnérable».

3.3En ce qui concerne l’article 17 du Pacte, l’auteur fait valoir qu’un examen médical forcé de l’état de santé physique et mentale d’une personne constitue une atteinte à la vie privée ou à l’intégrité de celle‑ci. D’après la Cour européenne des droits de l’homme, «[l]a sauvegarde de la stabilité mentale est […] un préalable indispensable à la jouissance effective du droit au respect de la vie privée». Un examen ou un traitement médical obligatoire n’est acceptable que s’il est «dicté par une nécessité thérapeutique».

3.4L’auteur souligne que c’est uniquement dans des circonstances exceptionnelles et pour des raisons décisives qu’une personne peut être contrainte de se soumettre à des examens ou à un traitement médicaux ou psychiatriques sans son consentement exprès. Quant au niveau de preuve requis, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que la nécessité d’une telle contrainte dans l’intérêt public doit être «démontrée de manière convaincante».

3.5Pour l’auteur, les raisons avancées par le tribunal régional d’Ellwangen pour justifier la nécessité d’un examen médical ne sont pas décisives: 1) Certes, elle était débordée de travail du fait de ses actions en justice mais il était compréhensible qu’elle y consacre une telle énergie compte tenu des incidences financières et autres de ces actions. Même si à force de taper à la machine pour préparer ses dossiers elle avait des vertiges, des douleurs de nuque et des troubles visuels, ces problèmes de santé physique ne justifiaient pas que l’on présume qu’elle souffrait également de troubles mentaux. La véritable raison était probablement que le tribunal lui-même était surchargé de travail à cause des litiges qui opposaient l’auteur à sa famille. Or, le tribunal disposait de moyens suffisants pour rationaliser, canaliser ou limiter les requêtes et documents qu’il recevait et versait au dossier. L’obliger à subir un examen médical était une mesure excessive et injustifiable, contraire au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. 2) Ce n’était pas en raison du «stress» qu’elle avait envoyé copie de ses communications à plusieurs juridictions supérieures quand l’affaire était encore en instance, mais plutôt pour accélérer la procédure et préparer l’envoi d’une plainte aux organes internationaux relatifs aux droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme a affirmé à plusieurs reprises que les «requérants et les requérants potentiels» ne devaient pas faire l’objet de pressions visant à les décourager de soumettre une requête. 3) Elle avait le droit de faire appel de toute décision défavorable. Même si la multiplication des recours pouvait être considérée comme un obstacle à l’administration de la justice, cela ne justifiait pas qu’elle soit contrainte de se faire examiner par un médecin.

3.6À titre subsidiaire, l’auteur fait valoir que les effets préjudiciables d’un examen médical sur sa dignité et son intégrité physique et mentale seraient largement supérieurs à l’utilité de cet examen.

3.7Elle fait par ailleurs observer que le droit d’être entendu est un élément essentiel des garanties d’un procès équitable énoncées au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en particulier lorsqu’une mesure d’une portée aussi considérable qu’un examen médical forcé est ordonné ou lorsqu’une menace imminente pèse sur le bien-être physique et moral de la victime. Elle conclut que le refus du tribunal régional d’Ellwangen de l’entendre ou de la voir en personne avant d’ordonner un examen médical ainsi que les arrêts du tribunal régional supérieur de Stuttgart et de la Cour constitutionnelle fédérale confirmant cette décision constituent des violations du droit à un procès équitable consacré au paragraphe 1 de l’article 14.

3.8L’auteur indique que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles.

3.9Elle précise que l’exécution de l’injonction ordonnant une évaluation médicale de sa capacité de participer à la procédure constituerait une mesure irréparable au sens de la jurisprudence du Comité. Elle rappelle que des mesures provisoires de protection peuvent être demandées dans le cas d’allégations de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au sens de l’article 7 du Pacte, mais aussi dans le cas de menace d’atteintes à la vie privée, et prie le Comité de demander à l’État partie de ne pas l’obliger à subir un examen médical ou psychiatrique ni de l’en menacer, avant que le Comité n’ait examiné sa communication.

Renseignements supplémentaires fournis par l ’ auteur

4.1Dans une note du 2 juin 2006, l’auteur a apporté des précisions concernant sa demande de mesures provisoires en réaffirmant qu’elle n’avait jamais fait l’objet d’un examen ou d’un traitement psychiatrique. Dans un rapport médical daté du 15 novembre 2005, son médecin traitant a confirmé qu’elle est sa patiente depuis 1986 et qu’«il n’existe aucun signe de maladie psychiatrique ni de trouble psychopathologique […] ses processus de pensée sont entièrement organisés et bien structurés».

4.2L’auteur a indiqué que l’examen médical ordonné par le tribunal régional d’Ellwangen n’avait pas encore eu lieu mais qu’il était imminent, car le tribunal régional supérieur de Stuttgart avait rejeté son recours le 24 mai 2006, au motif que «l’injonction de procéder à un acte donné afin de rassembler des éléments permettant de déterminer la capacité de prendre part à une procédure n’est pas susceptible d’appel». Il n’était possible de former un recours qu’une fois que l’examen aurait eu lieu, pour demander éventuellement le réexamen de la conclusion que le tribunal tirerait de l’avis de l’expert.

4.3L’auteur redoutait l’examen parce que dans son injonction le tribunal donnait à l’expert un mandat illimité.

4.4L’auteur fait valoir que l’article 56, paragraphe 1, du Code de procédure civile allemand prévoit un examen d’office de la capacité de prendre part à une procédure. L’article 144, paragraphe 1, autorise les tribunaux à désigner des experts à cette fin. Conformément à l’article 402, les règles relatives aux dépositions des témoins s’appliquent également à l’exécution d’une injonction visant à faire évaluer des éléments par un expert. Le refus de se faire examiner par un expert désigné par un tribunal emporte plusieurs sanctions: l’intéressé doit rembourser tous les frais occasionnés par son refus, payer une amende, et s’il ne peut pas payer l’amende, une contrainte par corps est prononcée (art. 390, par. 1). À la demande d’une partie, le tribunal doit ordonner la contrainte par corps en cas de refus réitéré d’obéir à une injonction (art. 390, par. 2). Conformément à l’article 390, alinéa b, dans ce cas les dispositions relatives à l’exécution des jugements civils s’appliquent. Un mandat est décerné en cas de refus d’obéir à une injonction du tribunal et l’intéressé est appréhendé par un huissier de justice (art. 909). La contrainte par corps peut être ordonnée pour la durée de la procédure judiciaire mais ne peut dépasser six mois à chaque fois. La législation des États fédéraux prévoit un examen obligatoire et des mesures de placement en cas d’incapacité mentale (présumée). L’auteur conclut qu’elle risque d’être arrêtée et transférée de force dans un établissement psychiatrique pour y être examinée.

4.5L’auteur fait une distinction entre les effets que l’injonction du tribunal a déjà eus sur sa santé et les conséquences que l’examen médical imminent pourrait avoir. Plusieurs rapports médicaux ont confirmé qu’elle souffre de problèmes de santé qui sont le résultat caractéristique de l’anxiété et du stress causés par des circonstances inhabituelles. Elle affirme que ses symptômes ont été provoqués ou du moins aggravés par l’injonction du tribunal. S’il est impossible de prévoir avec certitude quels effets l’examen médical aura sur sa santé, il est suffisamment démontré que sa santé se détériorerait et qu’elle serait en danger imminent d’effondrement physique. Ces effets sont équivalents à la «souffrance mentale» visée à l’article 7 et constituent une immixtion illégitime dans sa vie privée, contraire à l’article 17 du Pacte.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité

5.1Dans une note du 15 août 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, faisant valoir qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications et qu’elle est irrecevable ratione materiae conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

5.2L’État partie fait observer que l’auteur a omis d’informer le Comité que l’injonction rendue par le tribunal régional d’Ellwangen en vue de déterminer sa capacité de prendre part à une action ne concernait que l’action engagée contre des membres de sa famille paternelle. Si le tribunal avait des doutes quant à sa capacité d’agir rationnellement dans ce cadre, il a indiqué expressément qu’il n’en avait aucun quant à sa capacité juridique à tous les autres égards. Cela limitait automatiquement le champ de l’expertise médicale demandée concernant son état de santé physique et mentale.

5.3Selon l’État partie, l’auteur cherche à donner l’impression, fausse, qu’elle risque d’être privée de liberté pendant une période prolongée, car la jurisprudence qu’elle cite a trait à des affaires portant sur le traitement de patients internés d’office en établissement psychiatrique. Or le placement de l’auteur dans un établissement psychiatrique, qui serait soumis à des garanties de procédure rigoureuses, notamment une décision judiciaire expresse, n’a jamais été envisagé. Le tribunal avait simplement demandé l’avis d’un expert sur sa capacité de prendre part à une procédure déterminée. Cet expert pouvait facilement se prononcer en interrogeant l’auteur et en étudiant le dossier.

5.4L’État partie rejette l’idée que le véritable motif de l’injonction était la charge que la correspondance de l’auteur représentait pour le tribunal régional d’Ellwangen. Celui‑ci a expliqué en détail pourquoi il avait des doutes quant à la capacité de l’auteur de prendre part à la procédure engagée contre des membres de sa famille. Les lettres que l’auteur a adressées au tribunal contenaient des insultes graves et même des menaces contre la vie et la santé de juges.

5.5L’État partie considère que l’injonction ordonnant un examen médical, qui a été rendue conformément à la loi, sert un but légitime (le bon fonctionnement du système judiciaire) n’est ni arbitraire ni disproportionnée, et ne soulève pas de questions au regard des articles 7 et 17 du Pacte. L’auteur avait tort de penser que les examens médicaux effectués contre le gré d’une personne ne sont acceptables que «dans l’intérêt supérieur de la sauvegarde de l’état de santé mentale de l’intéressé». Il existe d’autres buts légitimes. L’injonction du tribunal régional d’Ellwangen était nécessaire et justifiée pour préserver le bon fonctionnement de la justice. Elle visait également à protéger l’état de santé mentale de l’auteur; le tribunal était tenu de s’assurer à tous les stades de la procédure que les parties étaient capables d’agir rationnellement en faisant valoir leurs droits. L’injonction était proportionnée car elle n’empiétait que très peu sur les droits de l’auteur. La pratique consistant à prendre l’avis d’un expert sur la capacité d’une personne à participer à une procédure judiciaire était fréquente dans tous les systèmes juridiques.

5.6Enfin, l’État partie fait valoir qu’en demandant l’avis d’un expert pour déterminer si l’auteur avait ou non la capacité mentale de supporter le procès, le tribunal avait exercé une fonction protectrice. Loin de constituer une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’injonction visait à assurer les conditions préalables à un procès équitable.

Renseignements supplémentaires fournis par l ’ auteur

6.1Dans une note du 19 septembre 2006, le conseil de l’auteur a fait savoir au Comité que l’époux de celle-ci avait reçu une lettre, datée du 1er septembre 2006, par laquelle le bureau électoral (Wahlamt) de l’arrondissement berlinois de Steglitz‑Zehlendorf l’informait que le nom de l’auteur avait été rayé des listes électorales, comme suite à une notification du Département des citoyens et de l’ordre public de Berlin, en date du 18 août 2006, indiquant qu’elle ne figurait plus au registre des habitants depuis le 4 mai 2006. Dans la lettre du 1er septembre 2006, l’auteur était avisée que son adresse était déclarée «inconnue» et que «le bureau électoral ne [pouvait] pas vérifier qui [avait] pris l’initiative de supprimer [son nom] du registre des habitants, ni pour quelle raison». La lettre ajoutait que l’auteur pouvait «obtenir à tout moment des précisions sur [son] inscription sur le registre des habitants auprès de n’importe quel bureau des citoyens [Bürgeramt] de Berlin». Cependant, le 14 septembre 2006, alors que l’époux de l’auteur s’était présenté au Bureau des citoyens de l’arrondissement de Mitte pour faire réinscrire sa femme au registre des habitants, il lui avait été répondu que rien ne pouvait être fait parce que l’ordre de ne pas divulguer l’adresse de l’auteur avait été donné, à la demande de l’intéressée.

6.2Le conseil de l’auteur indique − sans toutefois alléguer une violation de l’article 25 du Pacte − qu’elle se trouvait à l’étranger pendant les deux mois précédents, pour se remettre de ses problèmes de santé, et que cette absence temporaire ne justifiait pas la radiation de son nom du registre des habitants.

Observations de l ’ État partie sur le fond de la communication

7.1Dans une note du 16 janvier 2007, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication, qu’il considère comme «manifestement dénuée de fondement». Il affirme que les dispositions applicables du Code de procédure civile allemand sont conformes au Pacte: l’article 52 dispose que toute personne capable de conclure un contrat est également capable de prendre part à une procédure civile. Il existe plusieurs motifs pour déclarer la personne incapable, notamment la minorité ou une maladie mentale permanente. En outre, une personne peut être considérée comme incapable de prendre part à une procédure déterminée si celle‑ci a pour cause des différends liés à des problèmes personnels des parties qui dépassent la portée de la question de droit en jeu. En pareil cas, si la partie concernée n’a pas déjà un tuteur ou un autre représentant légal, le tribunal doit lui attribuer un représentant spécial. Même s’il est généralement présumé que les parties à une procédure civile ont la capacité juridique requise, en cas de doute le tribunal est tenu de s’assurer qu’il en est bien ainsi (art. 56). Ces dispositions visent à protéger les personnes qui ne seraient pas capables de suivre la procédure, et ne violent aucunement le droit de tout individu à la reconnaissance de sa personne juridique, puisqu’elles ne font que définir les conditions et les restrictions applicables à l’exercice des droits civils et politiques. Loin d’exclure une partie de la procédure, elles garantissent au contraire que l’intéressé est représenté.

7.2L’État partie fait valoir que rien dans la décision du tribunal régional d’Ellwangen n’oblige l’auteur à se soumettre à un examen psychiatrique. Certes, les articles 402 et suivants du Code de procédure civile prévoient que les experts, tout comme les témoins, peuvent être obligés de produire des preuves, mais cette obligation ne s’applique pas aux personnes qui font l’objet d’une expertise. La seule disposition qui autorise les tribunaux civils à ordonner expressément à une partie de se soumettre à une expertise est l’article 144, paragraphe 1, du Code de procédure civile. Or la décision du tribunal régional d’Ellwangen ne fait aucune référence à cet article et l’auteur n’a pas non plus «reçu l’ordre de se soumettre» à un examen de ce genre ou de «se rendre disponible» pour se faire examiner. Le tribunal s’est limité à ordonner que «la capacité de la défenderesse à prendre part à la procédure judiciaire soit vérifiée par un expert et constatée par écrit». Même si le tribunal avait expressément ordonné une expertise au titre de l’article 144, paragraphe 1, l’auteur n’aurait pas été contrainte de subir l’examen puisque la jurisprudence établit qu’«une partie à la procédure ne peut pas être contrainte de subir un examen visant à constater son état mental hormis dans le cas des procédures relatives à l’incapacité juridique qui sont visées aux articles 654 et 656».

7.3L’État partie indique que si l’auteur refusait l’examen, la seule conséquence serait que l’expert fonderait son avis sur le dossier de l’affaire ainsi que sur sa propre impression de la conduite de l’auteur à l’audience, et que le tribunal serait libre d’interpréter l’attitude de l’auteur lorsqu’il apprécierait sa capacité juridique de participer à la procédure. Si le tribunal concluait que l’auteur n’a pas la capacité requise pour être partie à la procédure visée, la conséquence serait que la plainte présentée contre elle serait déclarée irrecevable, à moins qu’un représentant spécial (généralement un avocat auprès du tribunal) ne soit désigné par le juge à la demande du plaignant. Dans ce cas, le tribunal serait tenu d’informer l’auteur de tout fait nouveau dans la procédure et de lui notifier tous documents utiles. L’État partie conclut que les allégations de l’auteur sont dénuées de fondement lorsqu’elle affirme être obligée de subir un examen médical de son état de santé physique et mentale, puisqu’il n’y a aucune possibilité de l’y contraindre.

7.4L’État partie affirme que si l’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, c’est parce qu’elle pense à tort que le tribunal régional d’Ellwangen lui a ordonné de faire examiner par un médecin son état de santé physique et mentale contre son gré et sans l’avoir entendue personnellement, alors que le tribunal n’a jamais rendu une ordonnance d’une telle portée. Le tribunal devra certes apprécier l’avis de l’expert à une audience, en donnant à l’auteur la possibilité de faire des observations et de contester cet avis, mais la procédure n’en est pas encore à ce stade.

Renseignements supplémentaires et commentaires de l ’ auteur

8.1.Le 10 février 2007, l’auteur a informé le Comité que le 6 décembre 2006, le tribunal régional d’Ellwangen avait écrit au professeur R. H. de l’hôpital de la Charité à Berlin pour lui demander de constater l’état de santé physique et mentale de l’auteur, de convoquer celle‑ci à l’hôpital et d’autoriser la partie adverse à assister à l’examen. Par télécopie en date du 29 décembre 2006 adressée au tribunal régional d’Ellwangen, l’auteur a fait objection à la teneur de cette lettre, dont elle avait eu connaissance par hasard, une copie ayant été envoyée à la partie adverse mais non à elle. Le 4 janvier 2007, le professeur R. H. a fait savoir au tribunal qu’il avait pour habitude de faire les expertises avec un assistant et qu’il demanderait à un collègue de procéder à un examen psychologique si cela était nécessaire. Ces prestations seraient facturées en sus, alors même que les différents avis allaient être regroupés dans le rapport d’expertise principal. Le professeur communiquerait la date de l’examen au tribunal et lui ferait savoir également si l’auteur avait répondu aux convocations. Le 8 janvier 2007, le tribunal a rejeté l’objection de l’auteur au motif qu’elle n’avait pas été soulevée par l’intermédiaire d’un avocat et que la loi ne prévoyait pas la possibilité de contester une désignation d’expert. Dans une lettre du 13 janvier 2007, le professeur R. H. a proposé trois dates pour l’examen. Le 20 janvier 2007, l’époux de l’auteur a répondu que celle‑ci ne pourrait se rendre à l’hôpital à aucune des dates proposées parce qu’elle se trouvait en Amérique du Sud et n’était pas joignable. Il a demandé que les rendez‑vous soient annulés.

8.2Le 26 avril 2007, l’auteur a commenté les observations de l’État partie, et contesté que sa communication constitue un abus du droit de plainte. Elle affirme qu’elle n’a ni soumis «des allégations […] totalement dénuées de fondement», ni fait preuve d’un grave manque de considération à l’égard du Comité, par exemple en modifiant délibérément des faits essentiels. L’auteur estime qu’elle n’a pas formulé des allégations «fausses et trompeuses» en affirmant que la portée de l’examen médical était laissée entièrement à la discrétion de l’expert, puisque cela est corroboré par le fait que l’ordonnance du tribunal ne mentionne pas la moindre limite à l’examen et que le professeur R. H., dans sa lettre du 13 janvier 2007, l’a convoquée pour un examen approfondi, en lui demandant de «s’attendre à ce que d’autres rendez-vous soient pris […] pour des examens supplémentaires». L’auteur affirme qu’elle n’a pas «insinué» qu’elle serait privée de liberté «pendant une période prolongée», mais craignait que sa liberté ne soit restreinte pendant un examen médical non consenti. Même sans cet élément, ses droits à la dignité et au respect de sa vie privée seraient bafoués.

8.3Sur le fond, l’auteur fait valoir que, en pratique, cela ne fait aucune différence que le tribunal adresse directement à l’intéressé l’injonction de se soumettre à un examen médical ou qu’il l’adresse au tiers qui doit procéder à cet examen. La distinction que fait l’État partie à propos du destinataire de l’injonction est artificielle, puisque le tribunal régional d’Ellwangen a demandé à l’expert de «procéder à tous les examens qu’il jugerait nécessaires…». Fort de ce pouvoir, l’expert a convoqué l’auteur pour un examen médical de son état de santé physique et mentale. Le professeur R. H. a agi en qualité d’agent de l’État partie. Compte tenu du mandat général des experts désignés par les tribunaux, lesquels déterminent souvent l’issue d’une affaire, et de l’autorité dont il avait été investi, le professeur R. H. jouissait d’un pouvoir discrétionnaire étendu et il n’y avait donc aucune «garantie […] contre les applications arbitraires» de son mandat, comme l’exige l’article 17 du Pacte.

8.4L’auteur nie que le refus de subir l’examen n’aurait pas de conséquences préjudiciables importantes. Elle affirme que l’obliger à choisir entre accepter l’examen ou le refuser en laissant l’expert fonder sa décision sur le dossier, avec le risque qu’il la déclare en son absence mentalement incapable, revient à exercer une coercition à son égard. L’État partie affirme que l’expert désigné pouvait s’acquitter facilement de sa mission en se contentant d’un entretien et en étudiant le dossier de l’affaire, mais cette affirmation est contredite par le fait que le professeur R. H. a convoqué l’auteur pour un examen approfondi.

8.5L’auteur admet que déterminer d’office, conformément à l’article 56 du Code de procédure civile, la capacité d’un individu de prendre part à une action en justice peut permettre de protéger les personnes qui risquent de ne pas pouvoir suivre la procédure et se défendre, mais elle réitère qu’aucune des raisons avancées par le tribunal ne suffirait, ni séparément ni conjointement, à justifier la décision de lui imposer un examen médical. En prétendant que l’auteur a fait des déclarations «confuses», insultantes ou menaçantes qui jettent le doute sur sa «capacité d’agir rationnellement» dans le cadre de cette procédure, l’État partie tente de justifier rétroactivement la décision du tribunal régional d’Ellwangen d’ordonner une expertise.

8.6L’auteur fait valoir que la décision de lui imposer un examen médical contre son gré constituait une mesure disproportionnée compte tenu de la stigmatisation sociale qu’entraîne une déclaration d’incapacité mentale, même dans le contexte limité d’un seul procès. En l’absence de raisons impératives, la décision du tribunal était arbitraire et illégale au regard de l’article 17 du Pacte.

8.7En ce qui concerne le grief au titre de l’article 7, l’auteur fait valoir que devoir choisir entre obéir aux convocations de l’expert ou accepter que l’on apprécie en son absence sa capacité de prendre part à la procédure lui a fait éprouver «des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à [l’]humilier et à [l’]avilir».

8.8L’auteur affirme que les atteintes à sa vie privée et à sa dignité avaient des incidences si importantes sur l’action civile à laquelle elle est partie qu’il aurait fallu, conformément au paragraphe 1 de l’article 14, que le tribunal l’entende avant d’ordonner l’expertise, d’autant que le mandat étendu donné à l’expert affaiblissait sa position pour faire valoir ses droits. La tenue d’une audience principale avant que le tribunal ne statue sur la capacité de l’auteur de prendre part à la procédure ne compensait pas l’absence d’une audience à un stade antérieur, à un moment où l’auteur pouvait encore faire valoir son droit de refuser l’expertise.

8.9L’auteur se prévaut également du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte pour affirmer que le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial lui a été dénié. Le tribunal régional d’Ellwangen a ordonné à un expert d’évaluer sa capacité de prendre part à la procédure sans l’avoir vue ni entendue, mais il n’a pas demandé la même expertise pour les autres parties, alors que le père de l’auteur avait menacé la vie de cette dernière et de ses frères et sœurs, ce qui lui avait valu d’être déchu de son droit de visite. L’auteur joint des documents qui, selon elle, établissent une présomption que la capacité de son père de prendre part à la procédure est sujette à caution. En ordonnant une expertise sur la santé mentale de l’auteur uniquement, le tribunal régional d’Ellwangen a fait preuve de partialité et a favorisé les intérêts de l’une des parties.

8.10Le 28 avril 2008, l’auteur a transmis copie de l’expertise en date du 6 décembre 2007 établie par le professeur R. H. et son assistant le docteur S. R. sur la base du dossier de l’affaire et d’autres pièces, concluant que l’auteur devait être considérée comme incapable de prendre part à la procédure judiciaire engagée par son père et d’autres membres de sa famille à son encontre.

8.11Le 6 mai 2008, l’auteur a communiqué copie de sa convocation à comparaître à une audience, fixée au 8 mai 2008, au tribunal régional d’Ellwangen.

8.12Le 21 mai 2008, elle a informé le Comité qu’elle avait demandé la récusation des juges du tribunal régional d’Ellwangen auquel son affaire avait été renvoyée, pour cause de partialité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7 du Pacte, le Comité rappelle que cet article a pour but de protéger à la fois la dignité et l’intégrité physique et mentale de l’individu. La détermination de ce qui constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 7 dépend de toutes les circonstances de l’affaire, par exemple la durée et les modalités du traitement considéré, ses conséquences physiques ou mentales ainsi que le sexe, l’âge et l’état de santé mentale de la victime. L’objet du traitement peut également entrer en ligne de compte. Le Comité a pris note des arguments de l’auteur concernant les incidences qu’un examen médical pourrait avoir sur sa santé physique et mentale. Il relève que l’auteur a été invitée à se soumettre à une expertise pour les besoins d’une procédure dans laquelle son état mental est un facteur pertinent. Il considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, qu’une telle invitation soulève en soi des questions au titre de l’article 7 ni que les souffrances indubitables qu’a entraînées pour elle la décision de l’inviter à se soumettre à une telle expertise sont de nature à tomber sous le coup de l’article 7. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.3En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que sa cause n’a pas été entendue par un tribunal impartial, en violation du droit reconnu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, parce que le tribunal régional d’Ellwangen a ordonné une expertise médicale uniquement en ce qui la concerne, sans faire de même pour son père en dépit d’éléments de présomption montrant que ce dernier n’avait pas la capacité requise pour prendre part à la procédure, le Comité relève que l’ordonnance du tribunal a été rendue à la suite d’une demande d’aide juridictionnelle formulée par l’auteur, c’est‑à‑dire d’une requête qui concernait sa propre position dans la procédure et non celle de son père. Il considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et déclare que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.4En ce qui concerne le grief au titre de l’article 17 du Pacte, ainsi que la violation alléguée du droit à une audience publique garanti au paragraphe 1 de l’article 14, le Comité s’est assuré que l’auteur avait épuisé les recours internes, ce que l’État partie n’a pas contesté. Le Comité estime aussi que l’auteur a étayé ces allégations aux fins de la recevabilité, et conclut que cette partie de la communication est recevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen au fond

10.1En ce qui concerne le grief de violation de l’article 17 du Pacte, le Comité note que le fait de soumettre une personne à une injonction de subir un examen ou un traitement médical sans son consentement ou contre sa volonté représente une immixtion dans sa vie privée, susceptible de constituer une atteinte illégale à son honneur et à sa réputation. Il doit donc déterminer si l’immixtion dans la vie privée de l’auteur a été arbitraire ou illégale ou si l’injonction du tribunal régional d’Ellwangen a constitué une atteinte illégale à son honneur ou à sa réputation. Pour qu’une immixtion soit justifiée au titre de l’article 17, elle doit satisfaire plusieurs conditions cumulatives, à savoir être prévue par la loi, être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte, et être raisonnable eu égard aux circonstances particulières de l’espèce.

10.2Le Comité rappelle que l’injonction du tribunal régional d’Ellwangen ordonnant de faire examiner l’auteur pour vérifier sa capacité de participer à la procédure a été prise conformément à l’article 56 du Code de procédure civile allemand. Il prend note des raisons avancées par ledit tribunal pour ordonner un examen médical de l’auteur, à savoir les excès de ses communications écrites et de ses recours et les répercussions sur sa santé de tout le travail qu’elle avait consacré à son affaire, ainsi que l’argument de l’État partie qui affirme que l’injonction servait un but légitime qui était de préserver le «bon fonctionnement de la justice» et de protéger la santé mentale de l’auteur. Néanmoins, le Comité constate que l’injonction du tribunal régional d’Ellwangen a eu pour effet d’exiger que l’auteur subisse un examen médical de son état de santé physique et mental, ou bien que le professeur R. H. établisse sont expertise en se fondant uniquement sur le dossier existant. Il estime que le fait de prendre une telle ordonnance, sans avoir entendu ni vu personnellement l’auteur et de fonder cette décision uniquement sur son comportement procédural et ses écritures n’était pas raisonnable dans les circonstances particulières de l’espèce. Le Comité considère donc que l’immixtion dans la vie privée de l’auteur et l’atteinte à son honneur et à sa réputation étaient disproportionnées par rapport à l’objectif visé et par conséquent «arbitraires», et il conclut que les droits qui lui sont garantis par l’article 17, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été violés.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de l’auteur en vertu de l’article 17 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

12.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non eu violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Ivan Shearer (dissidente)

Je regrette de ne pouvoir m’associer à la majorité de mes collègues, qui ont conclu à une violation dans le cas d’espèce. Je ne pense pas que la décision du tribunal régional d’Ellwangen, enjoignant à l’auteur de subir un examen médical avant que l’affaire ne soit entendue oralement, soit déraisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances. Le tribunal était en droit de craindre que l’auteur ne fût pas en mesure d’agir dans son propre intérêt. La décision de faire examiner l’état de santé de l’auteur, et d’en rendre compte, avant que la procédure orale ne commence me paraît on ne peut plus raisonnable. Le rapport médical n’aurait pas été contraignant. En effet, le tribunal était compétent pour déterminer si l’auteur était pleinement en mesure d’engager son action. En revanche dans l’hypothèse où, comme le souhaitait l’auteur, ces questions n’avaient été tranchées qu’à l’audience orale, sans qu’il y ait eu d’examen et de rapport médical préalables, un temps précieux aurait été perdu si le tribunal avait alors été contraint d’ajourner les débats parce qu’il aurait constaté, à ce stade, que l’auteur n’était pas en mesure d’agir en son propre nom.

(signé) Ivan Shearer

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M me  Ruth Wedg wood ( dissidente)

Bien que les conclusions des parties ne soient pas un modèle de clarté, il ressort du cas d’espèce qu’un tribunal régional allemand, siégeant à Ellwangen, dans le Land de Bade‑Wurttemberg (Allemagne), a estimé qu’il avait la responsabilité juridique de déterminer si l’auteur, désignée ici par les initiales «M. G.», était compétente pour assurer sa défense dans une action civile engagée contre elle par trois membres de sa famille. Ceux-ci demandaient au tribunal de condamner l’auteur à des dommages-intérêts et d’ordonner des mesures provisoires à son encontre. Conformément au droit allemand, si l’auteur n’était pas compétente pour protéger ses propres intérêts, un représentant légal aurait dû être désigné.

Les pièces dont est saisi le Comité ne permettent pas de déterminer si ce représentant aurait eu simplement pour tâche d’agir en qualité d’avocat dans le cadre de la procédure engagée devant le tribunal régional (au lieu de permettre à M. G. d’assurer sa propre défense, sans avocat), ou bien d’agir plus largement en qualité de tuteur chargé de conseiller l’auteur ou de déterminer ses intérêts dans le cas d’espèce.

Dans un cas comme dans l’autre, le tribunal régional d’Ellwangen disposait de suffisamment d’éléments pour avoir des craintes quant à la capacité de l’auteur d’assurer sa défense dans une procédure civile. Ainsi, les termes employés par l’auteur dans une lettre adressée au Président du tribunal de district d’Ellwangen sont extrêmement insultants et menaçants. À la lecture d’une telle lettre, tout juge raisonnable aurait pu avoir des doutes sur la capacité de l’auteur d’assurer sa propre défense et de sauvegarder ses propres intérêts, et aurait été incité à rechercher la procédure appropriée pour mener à bien le procès.

La question que l’auteur a posée au Comité est celle de savoir si l’État partie a violé les dispositions du Pacte parce qu’un tribunal régional a tenté d’engager un expert pour connaître «l’état de santé physique et psychologique» de l’auteur, avant de l’autoriser à participer à une audience orale au cours de laquelle elle aurait pu contester la nécessité d’un tel examen. L’expert n’a jamais pu effectuer l’examen en question, en particulier parce que l’auteur a quitté le pays et s’est rendue en Amérique du Sud aux dates proposées pour l’examen.

En tout état de cause, l’examen n’était cependant pas obligatoire. En effet, si l’auteur avait préféré ne pas le subir, le tribunal était disposé à fonder une évaluation préliminaire de sa capacité d’agir sur les pièces versées au dossier. Il est dès lors difficile de voir sur quelle base l’auteur peut fonder la plainte selon laquelle la demande du tribunal l’invitant à participer à un examen psychologique constituait une immixtion illicite dans sa vie privée ou une atteinte arbitraire à son honneur ou sa réputation, susceptible de motiver une action en justice au titre de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Un tribunal a le droit et la responsabilité, en toute indépendance, de protéger l’intégrité de ses débats et de veiller à ce que les parties à l’action soient dûment représentées. L’auteur ne conteste d’ailleurs pas qu’elle avait la possibilité d’être pleinement entendue par le tribunal avant qu’une décision définitive et exécutoire ne soit prise quant à sa capacité d’agir en son propre nom. Rien dans le cas d’espèce ne laisse supposer que le tribunal agissait dans un but autre que l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Compte tenu du caractère insultant des propos de la lettre susmentionnée, il serait tendancieux d’exiger d’un juge qu’il recueille des «impressions personnelles» supplémentaires sur un plaignant avant même de faire procéder à un examen psychologique, examen qui était un choix volontaire pour l’auteur. Pour ces motifs, je ne peux m’associer à la conclusion selon laquelle l’État partie a commis une violation dans le cas d’espèce.

(signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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