NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/93/D/1485/20064 août 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt−treizième session7‑25 juillet 2008

CONSTATATIONS

Communication n o 1485/2006

Présentée par:

Zdenek Vlček (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

21 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 19 juillet 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

10 juillet 2008

Objet: Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure: Abus du droit de présenter une communication

Question s de fond: Égalité devant la loi et égale protection de la loi

Article du Pacte: 26

Article du Protocole facultatif: 3

Le 10 juillet 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, en ce qui concerne la communication no 1485/2006.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑treizième session

concernant la

Communication n o 1485/2006 *

Présentée par:

Zdenek Vlček (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

21 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 10 juillet 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1485/2006 présentée par Zdenek Vlček en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Zdenek Vlček, naturalisé américain et résidant dans l’Illinois, né le 12 août 1925 à Kresin, en Tchécoslovaquie. Il se déclare victime de violations par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

L’auteur dit qu’il a fui le régime communiste tchécoslovaque en septembre 1951. Le 15 mars 1960, il a acquis la citoyenneté des États-Unis d’Amérique et a perdu la nationalité tchécoslovaque, conformément au Traité bilatéral sur la naturalisation conclu en 1928. Il a recouvré la nationalité tchèque le 10 juin 2000.

En application d’une décision du tribunal populaire de Pacov en date du 28 avril 1953, les biens de l’auteur ont été transférés à l’État. En vertu du décret du Gouvernement n° 15/1959 et de la décision du Comité national de district de Pelhrimov en date du 13 juillet 1961, les biens appartenant jusqu’alors à la mère de l’auteur ont aussi été transférés à l’État.

À la suite de l’adoption de la loi n° 229/1991, qui a autorisé la restitution des biens agricoles confisqués par le régime communiste, l’auteur et son frère ont déposé, le 26 janvier 1993 puis à nouveau le 25 septembre 1995, une demande de restitution de ses propres biens et des biens familiaux, qui consistaient en une minoterie, des champs, des prairies et des bois s’étendant sur environ 36 hectares à Kresin (district de Pelhrimov). Le 23 avril 1996, l’administration du district de Pelhrimov a rejeté la demande au motif que les requérants n’étaient pas citoyens de la République tchèque et ne remplissaient donc pas les conditions énoncées à l’article 4 de la loi.

À la suite de l’appel formé par l’auteur et son frère, la Cour suprême, par un arrêt rendu le 19 août 1996, a déféré l’affaire au tribunal régional de Ceske Budejovice. Le 18 septembre 1996, le tribunal régional a annulé la décision contestée et a renvoyé l’affaire à l’administration du district pour décision. Le 4 juin 1997, l’administration du district a une fois de plus rejeté la demande de l’auteur au motif que son frère et lui ne remplissaient pas les conditions de nationalité.

Le 26 septembre 2000, après avoir recouvré la nationalité tchèque, l’auteur a déposé avec son frère une nouvelle demande de restitution des biens familiaux. Le 16 octobre 2000, l’administration du district a rejeté la requête au motif qu’elle avait été introduite après le 31 janvier 1993, date limite de dépôt des demandes fixée par la loi.

2.6L’auteur souligne qu’il est le seul héritier des biens familiaux, depuis la mort de son frère, en 2001.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme être victime de discrimination car la nécessité de posséder la nationalité pour que soient restitués les biens familiaux contrevient à l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

Dans ses observations datées du 8 novembre 2006, l’État partie traite à la fois de la recevabilité et du fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il fait observer que la dernière décision officielle concernant la cause de l’auteur est devenue définitive le 29 juillet 1997. Par conséquent, neuf ans et huit mois se sont écoulés avant que l’auteur ne saisisse le Comité (ou cinq ans et demi si la décision de l’administration de district en date du 16 octobre 2000 est considérée comme la dernière décision prise à ce sujet). En l’absence de toute explication de l’auteur sur les raisons de ce retard, et se référant à la décision du Comité concernant la communication n° 787/1997 Gobin c. Maurice, l’État partie invite le Comité à considérer la communication comme irrecevable pour abus du droit de présenter une communication, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

Sur le fond, l’État partie renvoie aux observations qu’il avait soumises au Comité à propos d’affaires similaires, et dans lesquelles il avait exposé le contexte politique et les conditions juridiques dans lesquels s’inscrivait la loi relative à la restitution des biens. Cette loi visait uniquement à supprimer certaines des injustices commises par le régime communiste, étant donné qu’il n’était pas possible de réparer toutes celles commises à cette époque. L’État partie renvoie aux décisions de la Cour constitutionnelle, qui a examiné à plusieurs reprises la question de savoir si le critère de citoyenneté était conforme à la Constitution et aux libertés et aux droits fondamentaux et n’a trouvé aucun motif de l’abolir.

L’État partie explique ensuite que les lois relatives à la restitution des biens étaient l’un des dispositifs visant à la transformation de la société et à la mise en œuvre des réformes économiques, qui comprenaient la restitution de biens privés. Le critère de citoyenneté a été prévu pour s’assurer que les propriétaires entretiennent correctement les biens. Il a été considéré comme entièrement conforme avec l’ordre constitutionnel de l’État partie.

Enfin, l’État partie reconnaît que le principe général pacta sunt servanda entraîne l’obligation de respecter les dispositions du Pacte. Toutefois, en ce qui concerne l’application des constatations du Comité, il fait observer que celles-ci n’ont pas les caractéristiques d’une décision de justice et que l’obligation de l’État partie ne va donc pas au-delà du devoir, pour les autorités compétentes, de prendre les constatations en considération, lorsque cela est possible. L’État partie estime qu’en l’espèce, comme dans d’autres cas similaires, des raisons particulièrement sérieuses lui permettent de s’écarter des constatations du Comité sans porter atteinte au principe pacta sunt servanda.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, datés du 28 février 2007, l’auteur affirme que la République tchèque a invoqué abusivement le Traité sur la naturalisation conclu avec les États-Unis pour refuser de restituer des biens aux personnes ayant acquis la nationalité américaine et, par là même, perdu la nationalité tchèque. Il renvoie aux observations finales du Comité des droits de l’homme concernant le rapport initial de la République tchèque et aux constatations adoptées dans des affaires similaires, où le Comité a engagé la République tchèque à modifier sa législation, et il termine en déclarant que l’État partie n’a jamais attaché une grande importance aux décisions du Comité, contrevenant ainsi à sa Constitution, qui dispose que les traités internationaux priment la législation interne.

L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme que sa communication est irrecevable car elle constitue un abus. Il explique que le retard avec lequel il a soumis la communication était dû à l’absence d’informations et indique à cet égard que l’État partie ne publie pas et ne traduit pas les décisions du Comité ni les observations finales.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie pour qui la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de plainte en raison du temps excessif qui s’est écoulé entre la dernière décision rendue sur cette affaire et la soumission de la communication au Comité. L’auteur a fait valoir que ce retard était dû à l’absence d’informations disponibles. Le Comité souligne que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser des communications. Par conséquent, un retard dans la soumission de la plainte ne peut entraîner l’irrecevabilité de la communication que dans des circonstances exceptionnelles. À cet égard, le Comité constate que l’auteur, dont la demande de restitution des biens familiaux a été rejetée par le tribunal régional en septembre 1996 au motif que son frère et lui ne remplissaient pas les conditions de nationalité, a recouvré la nationalité tchèque en 2000. L’auteur et son frère ont par la suite déposé une nouvelle demande de restitution des biens familiaux, qui a été rejetée par l’administration de district en octobre 2000. En l’espèce, le Comité considère que le retard de cinq ans et demi qui s’est écoulé entre la dernière décision rendue par l’autorité compétente et la soumission de la communication au Comité ne rend pas la communication irrecevable en tant qu’abus au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4En l’absence de toute autre objection à la recevabilité de la plainte, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle peut soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte.

Examen au fond

Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Le Comité doit déterminer si le rejet de la requête de l’auteur relative à la restitution des biens familiaux au motif qu’il ne remplit pas les conditions de nationalité prévues à l’article 4 de la loi no 229/1991 constitue une violation du Pacte.

Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.

Le Comité rappelle en outre les constatations adoptées dans les affaires Simunek, Adam, Blazek, Des Fours Walderode et Gratzinger, dans lesquelles il avait conclu que la condition de nationalité exigée par l’État partie pour la restitution des biens constituait une violation de l’article 26 du Pacte: «les auteurs dans ce cas, comme bien d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue, avaient quitté la Tchécoslovaquie à cause de leurs opinions politiques et cherché à échapper aux persécutions politiques dans d’autres pays, où ils avaient fini par s’installer définitivement et dont ils avaient obtenu la nationalité. Compte tenu du fait que l’État partie lui-même est responsable [de leur] départ …, il serait incompatible avec le Pacte d’exiger [d’eux] … qu’ils obtiennent la nationalité tchèque pour pouvoir ensuite demander la restitution de [leurs] biens ou, à défaut, le versement d’une indemnité appropriée». Le Comité rappelle aussi sa jurisprudence et réaffirme que dans ces circonstances la condition de nationalité n’est pas raisonnable.

Le Comité estime que le précédent établi dans les affaires mentionnées plus haut s’applique également à l’auteur de la présente communication. Il conclut donc que l’application à l’auteur de la condition de nationalité prévue par la loi n° 229/1991 a représenté une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, qui peut être une indemnisation si son bien ne peut pas lui être rendu. Le Comité engage à nouveau l’État partie à revoir sa législation et sa pratique de façon à garantir que toutes les personnes bénéficient à la fois de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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