NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/93/D/1562/2007

31 juillet 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-treizième session

7 - 25 juillet 2008

DÉCISION

Communication n o  1562/2007

Présentée par:

Guillaume Kibale (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

23 août 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 10 mai 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

22 juillet 2008

GE.08-43381Objet: Non-nomination de l’auteur à des postes pour des motifs discriminatoires

Questions de procédure: Ré-évaluation des faits et des preuves

Questions de fond: Discrimination, droit d’accéder dans des conditions générales d’égalité aux fonctions publiques de son pays, droit à un procès équitable, droit à un recours effectif

Articles du Pacte: 2, 14, 25 et 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 3

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-treizième session

concernant la

Communication n o 1562/2007 *

Présentée par:

Guillaume Kibale (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

23 août 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 juillet 2008,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, reçue le 23 août 2005, est Guillaume Kibale, de nationalité canadienne et d’origine franco-zaïroise, né en 1941 à Marseille en France. Il affirme être victime de violations par le Canada des articles 2(1), 14, 25(c) et 26 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour le Canada le 19 août 1976.

Rappel des faits

2.1En 1981 et 1988, l’auteur a passé deux concours de recrutement dans la fonction publique à l’issue desquels il n’a pas obtenu de poste.

Concours de 1981 au ministère canadien des Transports et les procédures relatives à ce concours

2.2En mai 1981, la Commission de la Fonction publique du Canada annonce un concours public en vue de pourvoir un poste d’économiste analyste stratégique (« poste analytique ») au Ministère des Transports. Étant donné qu’il y avait deux autres postes à combler dans ce ministère dans le domaine de la planification des systèmes (« postes gestionnaires »), il est décidé d’avoir recours au même bassin de candidats pour combler les trois vacances. Dix candidats sont invités à une entrevue devant un jury de sélection. Le 15 juillet 1981, l’auteur se présente et apprend que l’entrevue portera sur les trois postes à pourvoir. À la suite des entrevues devant un jury composé de deux personnes, l’auteur obtient la meilleure note. Le premier membre du jury recommande à son supérieur hiérarchique l’auteur pour le poste analytique. Comme le supérieur n’était pas présent lors des entrevues de sélection, il convoque l’auteur pour un entretien le 28 juillet 1981. L’auteur est informé le 14 août 1981 que le supérieur a décidé qu’aucun des deux candidats choisis par le premier membre du jury n’est qualifié pour le poste analytique.

2.3L’auteur porte plainte auprès du ministère des Transports et réclame une enquête au motif de discrimination fondée sur la race. Cette plainte est rejetée le 25 septembre 1981. L’auteur entreprend alors une procédure judiciaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Il fait une requête en mandamus demandant que le ministère lui accorde le poste analytique. Le 3 novembre 1981, la Section de première instance de la Cour fédérale rejette cette requête au motif qu’il n’existe aucune obligation légale de la part du ministère de combler le poste par le concours. L’auteur a porté cette décision en appel devant la Cour d’appel fédérale, mais s’est désisté de son appel le 20 mars 1985.

2.4En février 1982, l’auteur soumet une plainte pour discrimination auprès de la section anti-discrimination de la Commission de la Fonction publique du Canada. Le directeur-adjoint de la section conduit une enquête à l’issue de laquelle il rédige un rapport concluant que la plainte pour discrimination est bien fondée. Par contre, le sous-ministre adjoint au Ministère des Transports, chargé de la responsabilité administrative de l’unité du personnel au sein du ministère, a informé le directeur-adjoint de la section que, même si le processus de dotation adopté lors du concours en question avait été « unique » et que « les faits liés à ce processus de sélection particulier n’ont pas été documentés ni bien surveillés », il ne trouvait pas que l’auteur ait été victime de discrimination. En novembre 1983, les commissaires de la Commission ont décidé que la plainte était mal fondée.

2.5L’auteur soumet alors une plainte à la Commission des droits de la personne, affirmant être victime de discrimination. La Commission décide de déférer l’affaire au Tribunal des droits de la personne qui rejette la plainte le 5 septembre 1985 au motif que le demandeur n’a pas prouvé la discrimination. Cependant, le Tribunal note que l’auteur a établi une série de pratiques irrégulières dans le processus d’embauche et qualifie le concours « d’irrémédiablement irrégulier ». L’auteur fait appel de la décision devant le Tribunal d’appel du Tribunal des droits de la personne. Ce dernier confirme la décision du Tribunal le 27 janvier 1987. Le Tribunal d’appel décide dans le même sens concernant le processus de sélection, mais il conclut que « ce n’est pas au Tribunal des droits de la personne qu’incombe le pouvoir de contrôle et de surveillance du fonctionnement du processus de dotation ». Le 25 mars 1988, la Cour d’appel fédérale rejette la demande d’appel de l’auteur. Il fait une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême qui l’a rejetée le 30 juin 1988.

2.6Le 6 octobre 1988, l’auteur intente une action en dommages-intérêts devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Cette action repose sur la Loi sur la responsabilité de la Couronne de 1970 qui prévoit que la Couronne est responsable à l’égard d’un délit civil commis par un préposé de la Couronne dans l’exercice de ses fonctions. Le 9 décembre 1988, la Cour a accueilli une requête en radiation au motif que l’action est intentée plus de six ans après la naissance de la cause d’action. Le 28 novembre 1990, la Cour d’appel fédérale a décidé que la requête en radiation était prématurée vu que la prescription n’éteint pas le droit d’action mais donne seulement au défendeur un moyen de défense d’ordre procédural. L’action est donc renvoyée à la Section de première instance de la Cour fédérale pour instruction.

2.7Le 2 novembre 1992, la Section de première instance de la Cour fédérale note qu’en ce qui concerne le poste analytique, la cause d’action a pris naissance au moment où l’auteur a été avisé en août 1981 qu’il n’était pas considéré qualifié par le supérieur alors qu’il savait qu’il était arrivé premier au concours. La Cour remarque que l’action est prescrite six ans plus tard, soit en août 1987, alors que l’action devant la Cour fédérale n’avait été introduite que le 6 octobre 1988. L’appel de l’auteur relatif au poste analytique est donc rejeté par la Cour fédérale pour motif de prescription. En examinant la question de prescription de la plainte à propos des deux postes gestionnaires, la Cour fédérale a considéré que ce n’était qu’au cours des auditions tenues devant le Tribunal des droits de la personne en 1985 que l’auteur a appris avoir obtenu la note la plus élevée pour ces postes-là. La Cour fédérale a donc conclu que la cause d’action visant les deux postes gestionnaires n’est pas prescrite. La Cour fédérale s’est aussi prononcée sur le respect du principe du mérite dans la Fonction publique. Elle a conclu qu’en ce qui concerne le poste analytique, il aurait considéré que le principe du mérite n’avait pas été respecté. En ce qui concerne les postes gestionnaires, la Cour a conclu qu’il y avait eu respect du principe du mérite. La Cour a souligné que ce n’était que par ricochet que l’auteur avait eu la possibilité de postuler aux postes gestionnaires. La Cour a noté qu’un des membres du jury avait expliqué dans une lettre à son supérieur, que bien qu’il ait attribué la meilleure note à l’auteur, il l’avait fait pour ses qualités académiques, tandis que les deux autres candidats avaient une expérience plus convenable pour les postes gestionnaires. C’est pourquoi il les avait recommandés pour ces postes.

2.8L’auteur a fait appel à la Cour d’appel fédérale qui a confirmé la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale le 8 février 1994. Il a fait une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême qui l’a rejetée le 23 juin 1994. Entre 1996 et 1997, l’auteur a présenté quatre requêtes en rétraction du jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rejetant son action en dommages-intérêts. Toutes ses requêtes ont été rejetées. Le 10 mars 1998, la Cour d’appel fédérale a rejeté un appel à l’encontre du quatrième de ces rejets. L’auteur a fait une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême qui l’a rejetée le 19 novembre 1998.

2.9En 1999, l’auteur a porté une plainte à la Commission inter-américaine des droits de l’homme. La Commission a fini d’examiner cette plainte en 2000.

Concours de 1988 au ministère des Services et approvisionnements et les procédures relatives à ce concours

2.10En 1984, l’auteur s’est inscrit au Répertoire des candidats externes de la Commission de la fonction publique et en octobre 1986, il s’est inscrit au Répertoire de membres des minorités visibles qui venait d’être créé par la même Commission. Après 1984, la Commission de la fonction publique a alors aidé l’auteur à se chercher un emploi. Entre 1984 et 1988, les responsables de ces deux répertoires ont référé l’auteur à 13 concours pour des emplois dans la fonction publique. Des représentants du Répertoire des membres des minorités visibles l’ont aussi rencontré à de nombreuses reprises afin de l’aider à se promouvoir sur le marché du travail.

2.11En 1988, l’auteur pose sa candidature à un concours de recrutement pour des postes de conseillers en gestion au sein du ministère des services et approvisionnements. Il n’est pas présélectionné car il ne posséderait pas les connaissances et l’expérience requises en statistiques. Selon l’auteur, il n’aurait obtenu aucun des postes en question car l’avocat du ministère de la justice a enquêté sur la vie professionnelle ou universitaire de l’auteur au Canada et en Europe pour prouver que l’auteur n’avait pas les qualifications requises. Il a porté plainte à la Commission de la fonction publique pour discrimination raciale. La Commission a estimé que la plainte était mal fondée. Le 20 novembre 1989, il intente une nouvelle action en dommages-intérêts à la Section de première instance de la Cour fédérale. Le 1er février 1990, il dépose une requête visant la radiation de plusieurs paragraphes de sa déclaration. Le 6 mars 1990, cette requête est rejetée par la Section de première instance de la Cour fédérale qui ordonne la radiation complète de la déclaration de l’auteur. Le 12 mars 1990, l’auteur présente une nouvelle déclaration. Le 17 août 2000, un protonotaire rejette l’action intentée par l’auteur vu l’absence de cause d’action valable. Le 12 février 2001, la Section de première instance de la Cour fédérale rejette la requête en appel de l’auteur. Le 4 octobre 2002, la Cour d’appel fédérale rejette la demande d’appel de l’auteur. L’auteur a demandé le réexamen du jugement de la Cour d’appel fédérale, ce qui a été rejeté le 8 novembre 2002. Il a fait une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême qui l’a rejetée le 15 mai 2003.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque l’article 26 car il n’a obtenu aucun poste dans la fonction publique à la suite des concours de 1981 et de 1988. Il estime avoir été victime de discrimination raciale lors de ces deux concours. Il estime également avoir été victime de discrimination de façon générale vis-à-vis l’accès à la fonction publique. De plus, il allègue être victime de discrimination par le système judiciaire. Il considère que l’État partie a manqué à son obligation de garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment raciale.

3.2L’auteur invoque le paragraphe c de l’article 25 parce qu’il considère que malgré la première place obtenue dans le concours de 1981 et ses excellents résultats dans d’autres concours, il n’a pu réaliser pendant vingt ans son droit d’accéder dans des conditions générales d’égalité, sans aucune discrimination, à la fonction publique de son pays.

3.3L’auteur allègue plusieurs violations de l’article 14. Il affirme que la Cour suprême a jugé à plusieurs reprises en son absence et qu’elle a refusé de l’entendre. Il considère que les tribunaux n’ont pas été équitables et impartiaux lorsqu’ils ont considéré ses actions et requêtes. Il affirme que leurs jugements ont violé son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial. Il affirme qu’en novembre 1981, la Cour fédérale lui a refusé le droit de présenter des moyens ou des preuves à l’appui de ses affirmations et que ses témoins n’ont pas été entendus.

3.4L’auteur invoque également le paragraphe 1 de l’article 2 puisque l’État partie refusa de le nommer à un des postes auxquels il a postulé.

3.5L’auteur explique qu’il ne pouvait saisir le Comité des deux causes en question avant que la Cour suprême n’ait rendu sa décision en mai 2003.

3.6L’auteur demande à ce que l’État partie indemnise l’auteur pour tous les dommages qu’il a subis depuis plus de vingt ans.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans sa note verbale du 12 novembre 2007, l’État partie estime que la communication est irrecevable pour les raisons suivantes. Tout d’abord, l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne ses allégations de violations de l’article 14 du Pacte. Il n’a pas allégué devant les tribunaux d’appel canadiens la partialité du juge de la Section de première instance de la Cour fédérale et du juge de la Cour d’appel fédérale qu’il accuse maintenant de ne pas avoir été impartiaux lorsqu’ils statuaient sur ses requêtes en 1981 et en 1990 respectivement. Peu après avoir fait appel contre la décision du 3 novembre 1981 de la Section de première instance de la Cour fédérale, l’auteur s’est lui-même désisté de son appel. Aucun tribunal canadien n’a alors eu la possibilité de considérer cette allégation de partialité et de discrimination. L’auteur n’a pas non plus allégué de la discrimination de la part du juge de la Cour d’appel fédérale devant les tribunaux nationaux.

4.2L’État partie note les allégations faites par l’auteur quant à des déclarations discriminatoires de la part d’un avocat du ministère public, ainsi que les allégations que le même avocat aurait fait, à la demande de la Commission de la fonction publique du Canada, une enquête sur l’auteur. Ces allégations n’ont jamais été présentées à aucune instance nationale. L’État partie précise que l’avocat, qui avait charge de deux actions en dommages-intérêts menées par l’auteur, a décidé de son propre accord de vérifier les renseignements que l’auteur présentait sur ses curriculum vitae, après avoir appris que certains de ces renseignements étaient inexacts. Cette vérification a démontré que plusieurs renseignements contenus dans les différents curriculum vitae de l’auteur sont faux. L’État partie insiste que l’avocat du ministère public n’a pas formulé de propos discriminatoires contre l’auteur.

4.3Deuxièmement, l’auteur demande essentiellement au Comité de réévaluer les faits déjà examinés par les instances nationales. L’État partie rappelle qu’il n’appartient pas au Comité de substituer son avis au jugement des juridictions internes.

4.4Troisièmement, l’État partie fait valoir qu’il s’agit d’un abus du droit de présenter des communications. Il souligne que l’auteur a épuisé ses recours internes relatifs au concours de 1981 en 1994 lorsque la Cour suprême a rejeté sa demande d’autorisation d’appel. Il invoque la jurisprudence du Comité selon laquelle, même s’il n’existe aucune échéance pour la présentation des communications, le Comité s’attend à une explication raisonnable pour justifier le retard. Dans le cas présent, l’auteur a épuisé les recours internes plus de dix ans avant de présenter sa communication au Comité. L’État partie estime que l’explication donnée par l’auteur (voir par.3.5 ci-dessus) n’est pas raisonnable puisque l’auteur n’aurait pas pu savoir en 1994, lorsqu’il avait épuisé ses recours internes relatifs au concours de 1981, qu’il n’allait pas réussir avec son action en dommages-intérêts ressortant du deuxième concours. Il soutient que la présentation de la partie de la communication relative au concours de 1981 est un abus du droit de présenter des communications et est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.5En ce qui concerne les allégations de violations systémiques des articles 2(1), 14. 25(c) et 26 du Pacte, l’État partie fait valoir qu’une allégation de discrimination systématique dans l’emploi à la fonction publique qui se fonde uniquement sur deux concours de dotation échoués constitue un abus du droit de plainte de l’auteur. L’auteur ne s’est pas plaint des 13 autres concours auxquels la Commission de la fonction publique l’a référé entre 1984 et 1988. Les processus de dotation à la fonction publique sont très compétitifs et il n’est pas inhabituel qu’un candidat ne réussisse à obtenir un poste qu’après avoir participé à plusieurs concours. Selon l’État partie, l’auteur n’a pas établi une seule incidence de discrimination. Tous les tribunaux nationaux ont conclu qu’il n’y avait pas de discrimination dans le concours de 1981. Ils ont aussi rejeté l’action de l’auteur suite au concours de 1988 au motif que l’action ne révélait aucune chance de succès. De plus, les allégations de l’auteur sur le système judiciaire et la Cour suprême sont purement gratuites et non étayées par l’auteur. Les allégations d’une violation systématique de l’article 14 sont vexatoires et elles constituent un abus du droit de plainte. Elles devraient donc être déclarées irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.6Quatrièmement, l’État partie fait valoir que les demandes de l’auteur sont incompatibles avec les dispositions du Pacte en que les décisions de ne pas accorder certains postes à l’auteur ne sont pas des « contestations sur ses droits et obligations de caractère civil » et n’engagent donc pas l’application de l’article 14(1). Ni un jury de sélection, ni la Commission de la fonction publique (chargée de la présélection des candidats) n’est un tribunal. Ceux-ci ne déterminent pas la contestation d’un droit, mais plutôt ils évaluent la capacité à satisfaire aux exigences d’un poste. Le Comité a déjà statué que les processus de dotation dans la fonction publique d’un pays ne sont pas des « contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ». Cette partie de la communication est donc incompatible avec l’article 14(1) et irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.7En outre, l’État partie note que le Pacte ne prévoit pas un droit d’appel au tribunal de dernier ressort d’un pays. Il soutient que les allégations de l’auteur concernant la Cour suprême sont incompatibles avec le Pacte. Bien que l’article 14(5) protège le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction de faire examiner la déclaration de culpabilité par une juridiction supérieure, le Pacte ne garantit aucun droit d’appel d’une décision d’une cour en ce qui concerne une contestation de caractère civil. Cette partie de la communication est incompatible ratione materiae avec l’article 14 du Pacte et donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.8Finalement, l’État partie soutient que les allégations de l’auteur ne sont pas suffisamment étayées. En ce qui concerne les allégations de violations du paragraphe 1 de l’article 2, de l’article 25 et de l’article 26, l’auteur n’a pas établi qu’il n’a pas eu accès à la fonction publique dans des conditions générales d’égalité. L’État partie rappelle que le droit garanti par l’article 25 (c) n’est pas le droit d’occuper un poste dans la fonction publique, mais de pouvoir accéder à la fonction publique dans des conditions égales aux autres citoyens du pays. Dans son Observation générale no 25 sur l’article 25, le Comité a souligné que les États parties peuvent imposer certaines restrictions à l’accès à la fonction publique, incluant les compétences et l’expérience requises, pourvu que les critères de sélection soient objectifs et raisonnables. L’auteur n’a pas établi que la sélection dans les deux concours contestés n’a pas répondu à des critères objectifs et raisonnables ou qu’il y aurait eu discrimination. Il s’est pourvu devant plusieurs instances de tribunaux et cours internes, lesquelles ont toutes conclu que ces mêmes allégations étaient mal fondées. L’État partie rappelle que dans le concours de 1981, le poste d’économiste n’a été offert à aucun candidat. Quant aux deux postes de gestionnaires du concours de 1981, il note que la Section de première instance de la Cour fédérale a conclu le 2 novembre 1992 que même si la dotation s’était faite dans les règles, l’auteur n’aurait pas réussi à obtenir un de ces postes puisqu’il était moins qualifié pour ces postes que d’autres candidats. En ce qui concerne le concours de 1988, l’auteur ne présente aucun fait permettant de conclure que des irrégularités auraient été commises lors de ce concours. Par conséquent, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas établi de violation prima facie de l’article 2(1), de l’article 25(c), ni de l’article 26 en ce qui concerne les concours de 1981 et de 1988. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.9En ce qui concerne les allégations de violations de l’article 14, l’État partie fait valoir que l’auteur a pu faire appel des décisions des instances canadiennes. Il a en effet fait appel des décisions de la Section de première instance de la Cour fédérale. Il a en outre pu s’adresser à la Cour suprême pour obtenir une autorisation de pourvoi à l’encontre des décisions de la Cour d’appel. Les décisions de la Cour suprême de rejeter les demandes d’autorisation de pourvoi de l’auteur sur la base de représentations écrites ne contreviennent pas à l’article 14 du Pacte. En général, la Cour suprême ne motive pas ses décisions en regard des demandes d’autorisation de pourvoi et ne permet pas les représentations orales sur de telles demandes. Par conséquent, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas établi de violation prima facie de l’article 14. De plus, l´État partie fait valoir que l’allégation d’une violation de l’article 14 en raison de la radiation de la déclaration de l’auteur par le protonotaire en 2000 est totalement dénuée de mérite. En outre, Il rappelle qu’un jugement qui n’est pas favorable à l’auteur n’est pas, en soi, preuve de discrimination ou d’un déni de justice. Pour ces raisons, la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.10Subsidiairement, l’État partie soutient que la communication est dénuée de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires du 28 janvier 2008, l’auteur rappelle que les exigences relatives aux postes de gestionnaires étaient les mêmes que pour le poste d’économiste et qu’il a bien étudié les sciences économiques jusqu’au niveau du doctorat. Il fait valoir qu’il s’est plaint de plusieurs juges au Conseil canadien de la magistrature. Il répète qu’il voulait présenter ses deux causes en même temps et qu’il a donc attendu de recevoir la décision de la Cour suprême le 15 mai 2003. Il explique également qu’il souffre d’une maladie qui le garde souvent au lit.

5.2L’auteur répète que la Cour suprême ne motive jamais ses décisions en regard des demandes d’autorisation de pourvoi en violation de l’article 14 du Pacte. Il redemande des compensations de la part de l’État partie à hauteur de quatre millions de dollars.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a abusé du droit de présenter des communications. En ce qui concerne le concours de 1981, l’État partie estime que l’auteur a épuisé les recours internes en 1994 lorsque la Cour suprême a rejeté sa demande d’autorisation d’appel. Le Comité note cependant que la décision de la Cour suprême du 23 juin 1994 n’a pas mis fin à la procédure puisque l’auteur a continué à présenter des requêtes en rétraction du jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale du 2 novembre 1992. Ces requêtes ont été rejetées. L’auteur a fait appel à la Cour d’appel fédérale. Il a ensuite fait une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême qui l’a rejetée le 19 novembre 1998. En ce qui concerne le concours de 1981, la dernière décision nationale date donc de 1998. Le Comité note également que l’auteur a porté sa plainte à la Commission inter-américaine des droits de l’homme qui a fini de l’examiner en 2000. L’auteur a finalement porté sa plainte devant le Comité le 23 août 2005, soit cinq années plus tard. Bien que regrettant le délai dans la présentation de la communication, le Comité considère que l’auteur n’a pas abusé du droit de présenter des communications.

6.4En ce qui concerne les allégations de violations du paragraphe c de l’article 25 et de l’article 26 du Pacte, le Comité note que ces questions ont été examinées à plusieurs reprises par les tribunaux nationaux. Pour ce qui est du concours de 1981, le Tribunal des droits de la personne a estimé dans sa décision du 5 septembre 1985 que l’auteur n’avait pas prouvé la discrimination. Cette décision a été confirmée en appel par le Tribunal d’appel des droits de la personne le 27 janvier 1987 et par la Cour fédérale d’appel le 25 mars 1988 (voir par.2.5 ci-dessus). Pour ce qui est du concours de 1988, la Commission de la fonction publique a estimé que la plainte de l’auteur pour discrimination était mal fondée. Les requêtes de l’auteur déposées en 1989 et 1990 à la Section de première instance de la Cour fédérale ont été rejetées pour absence de cause d’action valable. Cette décision a été confirmée en appel par la cour d’appel fédérale le 4 octobre 2002 (voir par.2.11 ci-dessus). Le Comité note que l’auteur demande essentiellement la révision des jugements des tribunaux nationaux le concernant. Il rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’évaluer les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation interne, dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que l’évaluation est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que les procédures devant les autorités de l’État partie aient été entachées de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations au titre du paragraphe c de l’article 25 et de l’article 26 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 En ce qui concerne les allégations de violations de l’article 14, l e Comité note qu’elles ont trait aux nombreux efforts déployés par l’auteur pour contester les décisions de rejet de ses demandes de poste dans la fonction publique. Réaffirmant son opinion selon laquelle la notion de «droits de caractère civil» visée au paragraphe 1 de l'article 14 se fonde sur la nature du droit en cause et non sur la qualité de l'une des parties, le Comité rappelle également que cette notion englobe non seulement les procédures visant à déterminer le bien ‑fondé de contestations sur les droits et obligations relevant du domaine des contrats, des biens et de la responsabilité civile en droit privé, mais également les procédures concernant des concepts équivalents en droit administratif. En revanche, le Comité considère que l’article 14 ne s’applique pas lorsque la loi interne ne reconnaît aucun droit à l’intéressé. En l’occurrence, le droit interne applicable au cas présent ne reconnaît aucun droit à l’intéressé d’être nommé à un poste dans la fonction publique. Le Comité estime donc que les procédures engagées par l'auteur pour contester les décisions de rejet de ses demandes de poste dans la fonction publique ne constituent pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est incompatible ratione materiae avec la disposition susmentionnée et est irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif. Le Comité considère donc qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de l’épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne ses allégations de violations de l’article 14 du Pacte.

6.6 Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte ne peut être invoqué par les particuliers qu’en relation avec d’autres dispositions du Pacte, et note que le paragraphe 3 a) de l’article 2 stipule que chaque État partie s’engage à «garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus (dans le Pacte) auront été violés disposera d’un recours utile ». Le paragraphe 3 b) de l’article 2 assure une protection aux victimes présumées si leurs plaintes sont suffisamment fondées pour être défendables en vertu du Pacte. Il ne peut être raisonnablement exigé d’un État partie, en application du paragraphe 3 b) de l’article 2, de faire en sorte que de telles procédures soient disponibles même pour les plaintes les moins fondées. Considérant que l’auteur de la présente communication n’a pas étayé sa plainte aux fins de la recevabilité au titre des articles 14, 25 et 26, son allégation de violation de l’article 2 du Pacte est aussi irrecevable, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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