NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/93/D/1437/20055 août 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑treizième session7‑25 juillet 2008

CONSTATATIONS

Communication n o  1 437/2005

Présentée par:

Wolfgang Jenny (représenté par un conseil, M. Alexander H. E. Morawa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Autriche

Date de la communication:

8 août 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

−Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 21 novembre 2005 (non publiée sous forme de document)

−CCPR/C/89/D/1437/2005 − décision concernant la recevabilité adoptée le 5 mars 2007

Date de l’adoption des constatations:

9 juillet 2008

Objet: Partialité du juge au cours de la procédure

Questions de procédure: Épuisement des recours internes

Questions de fond: Droit à un procès équitable et public; égalité des armes

Articles du Pacte: 2, 14 et 26

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b))

Le 9 juillet 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1437/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑ vingt ‑ treizième session

concernant la

Communication n o  1437/2005*

Présentée par:

Wolfgang Jenny (représenté par un conseil,M. Alexander H. E. Morawa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Autriche

Date de la communication:

8 août 2005 (date de la lettre initiale)

Décision de recevabilité:

5 mars 2007

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 9 juillet 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1437/2005 présentée au nom de M. Wolfgang Jenny en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est M. Wolfgang Jenny, de nationalité autrichienne, né le 2 octobre 1940. Il affirme être victime de violations par l’Autriche du paragraphe 1 de l’article 14, pris séparément et lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 et l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. Alexander H. E. Morawa.

1.2Le 24 janvier 2006, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a décidé, au nom du Comité, que la question de la recevabilité serait examinée séparément de celle du fond.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1À une date non précisée, l’auteur a créé une coentreprise avec trois autres personnes, en vue de faire construire un immeuble d’appartements et de bureaux à Salzbourg. Sa part était de 81,15 %. En novembre 1997, l’administrateur chargé de la comptabilité du projet a établi que l’auteur avait dépassé ses obligations financières en tant que partenaire, d’environ 7 475 euros, et que les autres partenaires devaient un total d’environ 60 000 euros, obligations financières et impôt compris. Les partenaires n’ont pas effectué les paiements correspondants en temps voulu. Le 9 septembre 1998, les autorités fiscales ont fixé le montant de l’impôt sur le chiffre d’affaires, à verser avant la fin de 1996, à 13 176 euros, dont 10 692 euros à acquitter par l’auteur. Sur les conseils de son avocat, M. W., l’auteur a versé le montant total avec l’intention de demander un remboursement à ses partenaires.

2.2En janvier 1999, après avoir entamé des négociations en vue d’un règlement amiable, M. W. a annoncé que les partenaires étaient disposés à rembourser à l’auteur la somme qu’il avait versée aux autorités fiscales. En février 1999, les autorités fiscales ont fixé le montant de l’impôt sur le chiffre d’affaires dû par la coentreprise pour l’année 1997 à 31 291 euros, somme que, selon l’administrateur, les partenaires étaient tenus de verser. Cependant, M. W. a informé l’auteur qu’aucune autre mesure ne pouvait être prise à l’encontre des partenaires car le 27 janvier 1999, M. W. avait conclu au nom de l’auteur un accord de règlement global qui supprimait obligatoirement toute obligation financière mutuelle entre les parties et empêchait l’auteur d’engager toute autre action contre ses partenaires, dans ce cas précis et à l’avenir.

2.3Le 23 février 1999, l’auteur a demandé à son avocat d’annuler l’accord de règlement global avec les partenaires, qui avait été conclu sans qu’il en ait été informé et sans son approbation, l’avocat ayant outrepassé le mandat qui lui avait été confié. L’auteur a également révoqué ce mandat avec effet immédiat et engagé un autre conseil.

2.4Sur les conseils de ce dernier, l’auteur a engagé trois procédures distinctes:

Une action civile contre ses partenaires pour les contributions financières qu’il leur restait à verser («première procédure»);

Une action civile contre M. W. pour faute professionnelle («deuxième procédure»);

Une plainte pénale contre M. W. («troisième procédure»).

2.5Dans la première procédure, l’auteur a porté plainte devant le tribunal régional de Salzbourg le 17 mars 1999 contre ses partenaires pour leurs contributions non acquittées au coût des travaux, faisant valoir que sa créance demeurait exigible puisque l’accord de règlement global conclu par M. W. ne pouvait lui être attribué, M. W. l’ayant signé sans l’en informer et sans son approbation. L’auteur a soutenu qu’il était contraire au bon sens de croire qu’il puisse renoncer à faire valoir une réclamation portant sur un montant d’environ 60 000 euros en échange d’un versement de seulement 20 % de la somme totale qui lui revenait, et que l’accord de règlement global, que M. W. avait conclu en outrepassant le mandat qui lui avait été confié et en commettant une faute professionnelle, était sans effet au regard du droit autrichien. Les partenaires ont fondé leur défense sur l’accord de règlement global conclu par M. W. et ont soutenu que l’affaire ne pouvait faire l’objet d’aucun réexamen.

2.6À la première audience, le juge du fond du tribunal régional de Salzbourg a fait observer que l’auteur n’avait peut‑être pas poursuivi les bonnes parties et lui a demandé pourquoi il avait intenté une action contre les partenaires et non contre M. W. Il a ajouté qu’il «ne [pouvait] imaginer que M. W. ait fait une chose pareille». L’auteur a contesté l’impartialité du juge du fond devant la chambre d’appel du tribunal régional de Salzbourg, qui a rejeté sa demande de récusation le 9 août 1999. Pendant l’examen de la demande, le juge a déclaré ce qui suit: «On ne peut exclure que je n’aie pas été pleinement impartial à cause de cette contestation dénuée de fondement – du point de vue du juge − bien qu’en tant que juge je me considère encore capable de me prononcer sur la base de l’appréciation des éléments de preuve». L’auteur n’a pas fait appel du rejet de sa demande de récusation. En conséquence, la procédure civile a été poursuivie par le juge du tribunal régional de Salzbourg qu’il avait auparavant contesté.

2.7À l’audience du 30 juin 2000, M. W. a déclaré qu’il avait appelé l’auteur le 27 janvier 1999, le jour où il avait conclu l’accord, et que l’auteur lui avait donné son approbation oralement. Il a produit une note à l’appui de son affirmation.

2.8Le 18 avril 2001, le tribunal régional a débouté l’auteur au motif que l’accord de règlement global l’empêchait d’introduire une réclamation contre les partenaires, et considérant qu’«on ne [pouvait] tenir pour vrai que M. W., en tant qu’homme de loi et témoin passible de sanctions pénales, puisse commettre un parjure dans le procès en cours ou fabriquer de toutes pièces une note à propos de sa conversation téléphonique avec l’auteur», conversation au cours de laquelle l’auteur aurait approuvé verbalement l’accord. Dans son jugement, le juge du fond a réaffirmé son opinion au sujet de la crédibilité des témoignages. Il a reconnu sa préférence pour le témoignage d’un homme de loi, affirmant qu’«on ne [pouvait] présumer» que M. W. avait menti en tant que témoin.

2.9L’auteur a formé un recours auprès de la cour d’appel de Linz, faisant valoir que le juge du fond n’avait pas évalué les faits en s’appuyant sur «le sens commun», qu’il n’avait pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve disponibles et qu’il avait enfreint les règles de procédure relatives à l’appréciation des éléments de preuve. Le juge avait fondé son jugement sur sa conviction qu’il était impossible de présumer qu’un homme de loi tel que M. W. puisse produire un faux témoignage, alors que «l’ordre juridique autrichien ne [contenait] aucune règle selon laquelle il [fallait], de manière générale, accorder plus de poids au témoignage d’un homme de loi qu’à un autre élément de preuve». L’auteur a dénoncé ce qu’il considérait comme un manque d’impartialité de la part du juge ainsi que l’absence de procédure équitable, et a demandé à la cour de procéder à un nouvel examen des preuves et de citer à comparaître les témoins, l’auteur, M. W. et le conseil qui avait négocié l’accord de règlement global entre les partenaires.

2.10Le recours a été rejeté le 9 janvier 2002 sans que la cour n’ait entendu les témoins. La cour d’appel a déclaré qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier les éléments de preuve lors d’une audience et que seule une appréciation «manifestement désinvolte, superficielle ou arbitraire» des preuves par le juge du fond justifierait qu’elle conclue à un défaut de raisonnement. Elle a considéré que «rien n’[indiquait] que M. W. ait agi dans l’intention de nuire» à l’auteur et qu’«on ne [pouvait] exclure que, même dans un cabinet juridique bien géré, des erreurs soient commises». S’agissant de la nouvelle contestation du juge du fond par l’auteur, la cour a estimé que cette question avait déjà été examinée par la chambre d’appel du tribunal régional de Salzbourg. L’auteur a alors formé auprès de la Cour suprême un pourvoi extraordinaire en révision, qui a été déclaré irrecevable le 13 mars 2002 pour des raisons formelles.

2.11Dans la deuxième procédure, engagée le 23 novembre 1999, l’auteur a demandé au tribunal régional de Salzbourg de déclarer l’avocat responsable de tout préjudice pouvant découler, y compris à l’avenir, du fait qu’il avait conclu l’accord de règlement global sans l’approbation ni le consentement de l’auteur. Cette demande a été rejetée le 4 décembre 2000, et l’auteur a saisi la cour d’appel de Linz, qui a suspendu la procédure dans l’attente du règlement du procès engagé contre les partenaires (première procédure). Au vu de l’issue de ce procès, où il a été considéré que M. W. n’avait pas commis de faute professionnelle, ni l’auteur ni M. W. n’ont demandé à la cour de reprendre la procédure, puisqu’elle était devenue sans objet.

2.12Dans la troisième procédure, l’auteur a déposé une plainte pénale contre M. W. auprès de la police fédérale de Salzbourg pour tromperie et faux témoignage, et mauvaise foi devant le tribunal. Cette plainte a été rejetée en septembre 2002, car la culpabilité de M. W. n’a pu être prouvée. L’auteur a demandé au ministre de réexaminer la décision de ne pas poursuivre, mais sa demande a été rejetée en février 2003. Enfin, il a déposé à titre privé une plainte pénale devant le tribunal régional de Salzbourg, qui l’a rejetée le 13 juin 2003.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que ses plaintes ont été rejetées à tort par les tribunaux nationaux, qui n’ont pas respecté les critères minimaux d’une procédure équitable énoncés au paragraphe 1 de l’article 14. Tout en étant pleinement conscient qu’il n’appartient généralement pas au Comité d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des tribunaux nationaux a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, l’auteur soutient qu’une décision clairement erronée a bien été prise dans son cas. Le fait que les tribunaux nationaux n’aient pu parvenir à une conclusion qui ne soit pas contraire au sens commun, ce qui rend leur décision «suspecte», devrait inciter le Comité à exercer une vigilance accrue au moment de vérifier si les critères d’équité, d’indépendance et d’impartialité ont été respectés.

3.2L’auteur déclare que le juge du fond manquait manifestement d’impartialité et que, partant, l’audience et la décision en première instance étaient entachées de préjugé, puisque l’auteur a été nettement défavorisé par rapport à la partie adverse. Le juge du fond a dit clairement qu’il ne «[pouvait] imaginer que M. W. ait fait une chose pareille». L’auteur se réfère à la décision du Comité dans Karttunen, où le Comité a estimé que «l’impartialité du tribunal exige[ait] que les juges n’aient pas d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils [étaient] saisis et qu’ils n’agissent pas de manière à favoriser les intérêts de l’une des parties». En outre, le manque d’impartialité du juge a été ignoré en appel, puisque la cour d’appel a seulement examiné la question de savoir si la manière dont il s’était prononcé n’était pas «inconcevable». Elle n’était pas disposée à procéder à un nouvel examen des preuves et elle n’a pas examiné en détail la façon dont le juge du fond les avait lui‑même appréciées.

3.3L’auteur affirme que le principe de l’égalité des armes n’a pas été respecté dans son cas, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14, de l’article 26, et du paragraphe 1 de l’article 2, le juge ayant déclaré qu’«on ne [pouvait] présumer» que l’avocat avait menti en tant que témoin, ce qui signifiait implicitement que l’on pouvait présumer que les déclarations divergentes de l’auteur équivalaient à des mensonges. Ainsi, le tribunal a estimé que le témoignage d’un juriste (M. W.) était de plus grande valeur que celui de toute autre personne, et il a alourdi la charge de la preuve au‑delà de ce qui est considéré comme étant la norme dans les affaires civiles en Autriche. L’auteur a été défavorisé car il a dû affronter une «présomption de crédibilité» de la partie adverse.

3.4L’auteur déclare que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il a épuisé les recours internes.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité

4.1Le 19 janvier 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés dans la première procédure. L’État partie a rappelé que l’auteur avait engagé une action devant le tribunal régional de Salzbourg et qu’il avait demandé la récusation du juge du fond à l’audience du 6 juillet 1999. Le 9 août 1999, la chambre d’appel du tribunal régional de Salzbourg a rejeté la demande de récusation du juge du fond. L’auteur n’ayant pas fait appel de cette décision, la procédure a continué devant ce même juge.

4.2L’État partie indique que l’auteur avait la possibilité de former un recours contre la décision de la chambre d’appel devant la cour d’appel de Linz, en vertu du paragraphe 2 de l’article 24 de la loi autrichienne sur la compétence judiciaire. Or, il ne l’a pas fait, et il a accepté que la procédure civile se poursuive. En conséquence, la communication doit être déclarée irrecevable.

Commentaires de l ’ auteur

5.1Le 1er avril 2006, l’auteur a commenté les observations de l’État partie. Il affirme que l’État partie n’a pas démontré que la voie de recours qui existe théoriquement en vertu des articles 23 et 24 de la loi sur la compétence judiciaire aurait été disponible et utile, et qu’elle lui aurait permis d’obtenir réparation au niveau national pour les violations de ses droits en vertu du Pacte. Il fait valoir qu’il ne suffit pas de citer une disposition légale pour décrire une procédure, et que l’application de la disposition en question dans la pratique judiciaire et administrative doit être prise en considération.

5.2L’auteur affirme que la décision de la chambre d’appel du tribunal régional de Salzbourg, en date du 9 août 1999, ne contenait aucune instruction concernant les voies de recours disponibles et ne l’informait pas de son droit de former un recours auprès de la cour d’appel de Linz contre le rejet de sa demande de récusation du juge du fond. Il se réfère à une décision de la Cour constitutionnelle dans laquelle la Cour a estimé que ni l’absence d’instructions concernant les voies de recours disponibles ou le caractère inexact de telles instructions ne pouvait être retenu contre l’intéressé. L’auteur a donc été privé d’un accès égal et équitable à la voie de recours en question et par conséquent il n’était pas tenu de l’épuiser.

5.3L’auteur fait valoir que la législation autrichienne relative à la récusation des juges est très stricte et que la charge de la preuve imposée pour établir la partialité est contraire à l’exigence d’impartialité énoncée au paragraphe 1 de l’article 14. Il se réfère à un arrêt de la Cour suprême, dans lequel la Cour a estimé que «la récusation [était] “l’arme la plus puissante” qu’une partie puisse employer contre un juge du fond. La demande de récusation ne peut aboutir que si les motifs qui y sont avancés sont si graves que des doutes sérieux pèsent sur l’impartialité du juge visé». Les motifs d’une telle demande doivent être exposés «en détail et concrètement». La Cour suprême a également considéré que «des faits doivent être établis qui permettent de conclure qu’un juge ne se laissera pas guider uniquement par des considérations raisonnables pour trancher l’affaire; de simples craintes ou doutes subjectifs d’une partie quant à l’impartialité du juge sont insuffisants». Selon l’auteur, dans ces conditions, une demande de récusation n’est donc pas un recours utile au sens du Protocole facultatif.

5.4Or, en vertu des normes internationales, un requérant qui met en doute l’impartialité objective d’un juge n’est pas tenu de prouver que le juge est partial, mais seulement de montrer qu’il existe un doute légitime quant à son impartialité. Pour évaluer s’il y a partialité subjective, il faut déterminer si les juges ont «des idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont saisis». La conviction personnelle d’un juge telle que la perçoit une partie peut susciter la «crainte objectivement justifiée» d’un manque d’impartialité. «Dans certaines circonstances, une apparence de partialité peut être de nature à constituer une violation du droit d’une personne à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial.» La législation autrichienne relative à la récusation des juges, telle qu’elle est appliquée par la Cour suprême, ne reflète pas ces normes internationales. Elle impose un critère exclusivement objectif pour évaluer l’impartialité des juges.

5.5La Cour suprême a considéré que les juges qui admettaient avoir pu être partiaux mais qui avaient «estimé» qu’ils pouvaient se prononcer sans parti pris dans une affaire donnée ne devaient pas être récusés. Ce précédent s’appliquerait au cas de l’auteur. Un appel aurait donc été inutile.

5.6L’auteur affirme que les demandes de récusation de juges du fond et les recours formés contre les rejets de telles demandes n’ont pas d’effet suspensif et que, par conséquent, le juge contesté peut continuer à diriger la procédure, sans pouvoir toutefois rendre de décision définitive. S’il est récusé pour partialité, il peut être décidé, ou non, d’annuler ou de refaire l’instruction. Cette question est tranchée par l’instance qui statue sur la demande de récusation, sans véritable contribution de la part du requérant.

5.7L’auteur affirme qu’en demandant la récusation du juge du fond dans son recours auprès de la cour d’appel, conformément à la loi, il a épuisé les recours internes. Aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5, les auteurs sont tenus de soulever devant les juridictions internes les questions de fond présentées au Comité de manière que l’État partie ait la possibilité de rectifier la situation. L’auteur a bien contesté l’impartialité du juge, une première fois lors de l’audience où le juge a exprimé son parti pris, et de nouveau dans le mémoire de recours qu’il a adressé à la cour d’appel. Le fait que la deuxième demande de récusation ait été formulée dans le mémoire de recours plutôt que dans un recours contre la décision rejetant la demande initiale est conforme à la loi autrichienne. L’auteur n’a eu connaissance de certains motifs de récusation qu’une fois le procès en première instance achevé, ce qui l’autorisait à soulever cette question dans son appel sur le fond. Il a déclaré dans son mémoire de recours que le juge du fond avait tranché l’affaire arbitrairement en n’évaluant pas pleinement les éléments de preuve, en ne les pesant pas soigneusement, en ne tenant pas compte d’une certaine note, en n’utilisant pas correctement les éléments de preuve et en présumant que la crédibilité du témoignage d’un homme de loi est supérieure à celle accordée au témoignage d’un particulier. Or, la contestation initiale ne portait que sur les déclarations du juge à la première audience. L’auteur se réfère à la jurisprudence de la Cour suprême et indique que dans les affaires civiles, contrairement aux affaires pénales, les juges peuvent également être contestés après qu’ils ont pris leur décision sur le fond, si les raisons d’une telle contestation ne sont apparues qu’à ce moment‑là ou après que le jugement de la juridiction inférieure a été rendu. L’auteur n’aurait pas pu avancer ces nouveaux motifs de contestation dans un recours contre la décision de ne pas récuser le juge du fond, mais uniquement dans son appel sur le fond.

5.8En outre, les cours d’appel ne sont habilitées à réexaminer des questions que dans les limites des faits établis par le juge du fond. La Cour suprême a estimé que «lorsqu’il est fait appel du rejet d’une demande de récusation d’un juge, aucun nouveau motif de récusation ne peut être avancé».

5.9Enfin, l’auteur soutient que la portée de sa communication s’étend, au‑delà de la partialité du juge du fond, à l’absence de réexamen adéquat au stade de l’appel et d’accès à une procédure équitable. En tout état de cause, ces aspects de la communication n’ont pas été examinés par l’État partie lorsqu’il en a rejeté la recevabilité.

Décision du Comité concernant la recevabilité

6.1À sa quatre‑vingt‑neuvième session, le 5 mars 2007, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a noté que l’État partie avait contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés, puisque l’auteur n’avait pas fait appel de la décision rejetant sa demande de récusation du juge. Le Comité a toutefois fait observer que, conformément à la jurisprudence autrichienne invoquée par l’auteur, celui‑ci pouvait contester le juge dans son appel sur le fond si la décision faisait apparaître de nouveaux motifs de contestation. C’est ce qu’il a fait, faisant valoir que le juge du fond avait tranché l’affaire arbitrairement car il n’avait pas évalué pleinement les éléments de preuve, ne les avait pas soigneusement pesés, n’avait pas tenu compte d’une certaine note, n’avait pas utilisé correctement les éléments de preuve et avait présumé que la crédibilité du témoignage d’un homme de loi est supérieure à celle accordée au témoignage d’un particulier. L’auteur n’a découvert ces motifs qu’une fois que le jugement avait été rendu, et il était donc en droit de les invoquer dans son pourvoi contre cette décision. Son pourvoi auprès de la Cour suprême a été rejeté le 13 mars 2002. Le Comité a conclu que l’auteur, qui avait soulevé la question de la partialité du juge à tous les niveaux, jusqu’à la Cour suprême, avait épuisé les recours internes aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2En outre, le Comité a fait observer que s’il appartient généralement aux tribunaux nationaux d’apprécier les éléments de fait et de preuve, il est compétent pour examiner si le procès s’est déroulé conformément aux dispositions de l’article 14 du Pacte. Le Comité a estimé que l’auteur avait suffisamment étayé sa demande au titre de l’article 14, lu conjointement avec l’article 26 du Pacte, aux fins de la recevabilité, et que la communication est donc recevable.

Observations de l ’ État partie sur le fond

7.1Dans une lettre du 9 octobre 2007, l’État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif. Il réaffirme également que l’auteur n’a pas contesté la décision de la chambre d’appel du tribunal régional de Salzbourg, alors qu’il avait le droit, conformément à la législation autrichienne, de présenter un recours devant une juridiction supérieure. L’auteur commet une erreur en affirmant avoir épuisé les recours internes lorsqu’il a dénoncé la partialité du juge dans son recours devant la Cour d’appel de Linz, en particulier dans la mesure où ses arguments concernant la partialité du juge du fond sont fondés sur la prétendue partialité de celui‑ci s’agissant de l’évaluation des éléments de preuve et des motifs avancés pour justifier le jugement, c’est‑à‑dire sur une allégation manifestement erronée et foncièrement insuffisante pour récuser le juge pour partialité. Au contraire, les motifs sur lesquels se fonde le jugement montrent clairement l’impartialité du juge du fond.

7.2S’agissant du fond de la communication, l’État partie soutient que les articles 14 et 26 du Pacte n’ont pas été violés. L’affirmation de l’auteur selon laquelle les témoignages des juristes sont, de manière générale, plus crédibles et les allégations contraires des autres parties au procès devraient surmonter une «présomption de crédibilité» n’a pas de fondement légal. Le juge autrichien doit évaluer les dépositions de toutes les parties et des témoins de manière impartiale et leur accorder – en particulier en se fondant sur son impression personnelle à l’audience – l’importance voulue. Dans le système juridique autrichien, il n’y a pas de règle relative aux éléments de preuve qui élèverait de manière générale la valeur du témoignage de telle ou telle partie ou témoin au‑dessus de celle de toute autre personne.

7.3Le grief de l’auteur selon lequel le tribunal régional a accordé davantage d’importance à la déposition de M. W. qu’à la sienne en ce qui concerne la conclusion de l’accord de règlement global et en particulier la conversation téléphonique décisive avec l’auteur, au motif que M. W. est un avocat, est erroné. L’évaluation des éléments de preuve – à laquelle le tribunal a procédé avec toute l’attention voulue – a conduit à une conclusion totalement différente. Le tribunal régional a tenu compte du fait qu’il existait des contradictions entre les témoignages de l’auteur et de M. W. au sujet de l’accord de règlement global. Toutefois, lorsqu’il a évalué les éléments de preuve, le tribunal a accepté la version des faits présentée par M. W. pour les raisons suivantes:

M. W. a déposé en qualité de témoin, et il était donc soumis à l’obligation de présenter les faits véritables sous peine de sanctions, alors que la déposition du demandeur (l’auteur) n’était pas soumise à l’obligation de sincérité sous peine de sanctions (pénales);

L’hypothèse que M. W. a fait un faux témoignage impliquerait non seulement qu’il se serait parjuré au cours du procès, mais également qu’il aurait falsifié des documents, à savoir la note concernant sa conversation téléphonique avec le demandeur;

La lettre de son administrateur d’alors, Mag. F., du 19 mai 1998, indiquait que l’auteur avait probablement approuvé la clause de règlement global;

La lettre de l’auteur à M. W., du 11 février 1999, semblait également confirmer la version des faits présentés par M. W.

7.4Le tribunal a également évalué les éléments de preuve touchant aux témoignages divergents de l’auteur et de M. W. La présomption de l’auteur selon laquelle le tribunal n’aurait pas accordé foi à sa version des faits parce que, n’étant pas juriste, il était en général moins crédible est infondée et contredit manifestement les explications très claires données par le tribunal lorsqu’il a évalué les éléments de preuve. Les éléments pris en considération par le tribunal à cet égard sont, en fait, fondés sur des circonstances objectives compréhensibles qui justifient ses conclusions sans aucune équivoque.

7.5On ne saurait conclure de façon définitive que le juge du fond a pu provoquer ce malentendu essentiel concernant son évaluation des éléments de preuve avec ses remarques au cours de débats officieux au sujet du fondement juridique de l’affaire. Il est vrai que le juge du fond aurait dû faire preuve de plus de prudence. Par ailleurs, il n’est absolument pas inhabituel pour un juge du fond d’exprimer des avis et des évaluations à titre préliminaire lorsqu’il examine l’affaire pour la première fois avec les parties et leurs conseils. Ces avis doivent bien entendu être expressément formulés sous réserve d’un examen plus approfondi de la cause, du respect des règles de procédure quant aux éléments de preuve et des conclusions concrètes auxquelles l’appréciation de ceux‑ci donne lieu. En l’espèce, le juge du fond a exprimé une telle réserve. Par conséquent, la décision énoncée dans le jugement du 18 avril 2001 et les motifs sur lesquels elle se fonde montrent clairement que le juge a été exclusivement guidé par des critères objectifs.

Commentaires d e l ’ auteur concernant les observations de l ’ État partie sur le fond

8.1Le 19 décembre 2007, l’auteur a transmis au Comité ses commentaires concernant les observations de l’État partie. S’agissant de la recevabilité, il indique avoir donné à l’État partie toute latitude, comme cela est prévu par la législation autrichienne (en particulier, il a adressé une demande de récusation à la chambre d’appel du tribunal régional et une demande de réexamen à la Cour d’appel) pour remédier à la violation alléguée de son droit d’être entendu par un tribunal impartial.

8.2C’est à tort que l’État partie affirme que le juge du fond n’a fait preuve d’aucune partialité dans son jugement. Comme indiqué dans la lettre initiale, le juge, dans sa décision écrite, a réaffirmé ses commentaires antérieurs («Je ne peux pas imaginer que M. W. ait pu faire une chose pareille.»). Ainsi, d’après le compte rendu d’audience du 6 juillet 1999, il a déclaré: «On ne [pouvait] tenir pour vrai que M. W., en tant qu’homme de loi et témoin passible de sanctions pénales, puisse commettre un parjure dans le procès en cours ou fabriquer de toutes pièces une note à propos de sa conversation téléphonique [avec l’auteur].». En poursuivant sa plainte pour partialité dans l’appel sur le fond (après sa demande de récusation initiale dans une plainte distincte), l’auteur était donc on ne peut plus prudent, étant donné que le même tribunal (la Cour d’appel de Linz) devait se prononcer à la fois sur la partialité du juge du fond et sur le fond de la cause. L’auteur réaffirme en outre ses allégations selon lesquelles une demande en récusation ne constitue pas un recours utile contre le manque d’impartialité d’un juge.

8.3En ce qui concerne le fond, l’État partie a raison lorsqu’il affirme qu’il n’y a pas de règle formelle en droit autrichien qui aurait pour effet d’élever le témoignage de juristes au‑dessus de ceux de citoyens ordinaires. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de pratique systématique consistant à traiter défavorablement les citoyens ordinaires qui ont engagé une action en justice contre des juristes. Cela ne veut pas dire non plus que l’auteur n’a pas été expressément traité de manière défavorable parce que son adversaire était juriste, eu égard aux circonstances concrètes de la cause.

8.4La liste des points sur lesquels le tribunal de première instance a effectivement fondé sa décision, établie par l’État partie, comporte quatre points dont les deux premiers sont les suivants:

L’adversaire de l’auteur a témoigné alors qu’il était passible de sanctions, tandis que l’auteur n’encourait pas de telles sanctions. En réalité, l’obligation de faire une déposition de bonne foi s’applique tant à une partie qu’à un témoin; la différence tient uniquement aux circonstances en fonction desquelles ils peuvent être pénalement responsables. Si les témoins sont responsables, en règle générale les parties ne le sont que si elles témoignent sous serment. En Autriche, la procédure civile autorise un juge à demander qu’une déclaration soit faite ou répétée sous serment, quelles que soient les circonstances. Ainsi, le juge du fond aurait donc pu très facilement «élever» la menace de sanctions pénales contre l’auteur s’il avait le moindre doute sur sa bonne foi. Le fait qu’il ne l’ait pas fait confirme qu’il s’était sans doute déjà fait son opinion à ce stade de l’instance;

L’«hypothèse» selon laquelle l’adversaire de l’auteur avait fait un faux témoignage aurait signifié qu’il se serait parjuré et qu’il aurait falsifié des documents. Sans vouloir en aucune manière suggérer que l’adversaire de l’auteur ait effectivement fait cela, l’hypothèse inverse selon laquelle il ne l’a pas fait n’est fondée sur aucun élément de preuve objectif, hormis le fait qu’il est juriste − et donc plus crédible. L’hypothèse inverse signifie également qu’il est plus probable que l’auteur ait fait un faux témoignage − hypothèse qui n’est appuyée par aucun élément de preuve quel qu’il soit.

8.5L’État partie a conclu qu’il y avait des circonstances objectives compréhensibles qui justifiaient sans ambiguïté la conclusion formulée par la cour. Toutefois, il n’explique pas quelles sont ces circonstances. Rien dans les explications de l’État partie ne permet d’invalider l’impression de l’auteur, fondée sur deux déclarations expresses du juge du fond, à savoir que son adversaire, parce qu’il était juriste, a été considéré comme un témoin plus crédible.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties.

9.2L’auteur soutient que le juge qui a statué sur son action contre M. W. était partial parce qu’à deux reprises au cours des débats il a fait des remarques montrant qu’il était favorable à M. W.

9.3Le Comité rappelle que l’exigence d’impartialité comprend deux aspects. Premièrement, les juges ne doivent pas laisser des partis pris ou des préjugés personnels influencer leur jugement ni nourrir d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont saisis, ni agir de manière à favoriser indûment les intérêts de l’une des parties au détriment de l’autre. Deuxièmement, le tribunal doit aussi donner une impression d’impartialité à un observateur raisonnable. Le premier aspect correspond au caractère subjectif de l’impartialité et le second au caractère objectif.

9.4En ce qui concerne le caractère subjectif, un juge doit être considéré comme impartial jusqu’à preuve du contraire. À cet égard, le Comité prend note de la déclaration de l’État partie concernant l’évaluation des éléments de preuve par le tribunal régional, en particulier le fait que le tribunal a accepté la version des faits présentée par M. W., compte tenu des éléments de preuve documentaire existants donnant à penser que l’auteur avait approuvé le règlement global. Il conclut que, en l’espèce, les éléments d’information dont il est saisi ne font pas apparaître que le juge a manqué d’impartialité sur le plan subjectif.

9.5Il faut en outre déterminer si, indépendamment de la mentalité personnelle du juge, il existe des faits objectifs vérifiables qui seraient de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Les juges ne doivent pas seulement être impartiaux, ils doivent aussi donner une impression d’impartialité. Quand il s’agit de déterminer s’il existe un motif légitime de craindre que tel ou tel juge manque d’impartialité, l’optique de ceux qui affirment qu’il y a des raisons de douter de cette impartialité est importante mais non décisive. Ce qui est décisif, c’est l’existence ou non de raisons objectives à ces appréhensions.

9.6Dans la présente affaire, il se peut que les observations faites par le juge aient suscité quelques doutes dans l’esprit de l’auteur quant à son impartialité. Néanmoins, le Comité estime que, en l’absence d’éléments complémentaires, ces observations n’étaient pas de nature à justifier objectivement les appréhensions de l’auteur à cet égard. En conséquence, il constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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