Nations Unies

CAT/C/67/D/816/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

13 septembre 2019

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 816/2017 * , **

Communication présentée par :

X, Y et autres

Victime(s) présumée(s):

Les auteurs

État partie :

Suède

Date de la requête :

23 mars 2017

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 24 mars 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

2 août 2019

Objet :

Expulsion de la Suède vers l’Égypte

Question(s) de fond :

Risque de torture et de mauvais traitements

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Article(s) de la Convention :

3

1.1Les requérants sont X et Y, un couple marié, tous deux de nationalité égyptienne. Ils soumettent leur requête en leur nom propre et au nom de leurs cinq enfants mineurs. Ils soutiennent qu’en les expulsant vers l’Égypte, l’État partie commettrait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 3 de la Convention. Ils ne sont pas représentés par un conseil.

1.2Le 24 mars 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de présenter une demande de mesures provisoires au titre du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, et a prié l’État partie de ne pas expulser les requérants en Égypte tant que la communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Les requérants résidaient aux Émirats arabes unis en juin 2013, lorsque des manifestations en Égypte ont abouti au renversement du Président de l’époque, Mohamed Morsi, le chef des Frères musulmans. Le requérant avait soutenu M. Morsi lors des élections présidentielles de 2012 en Égypte.

2.2Dans le cadre de son travail de consultant, le requérant a signé un accord avec une société appartenant aux Frères musulmans et dans le Conseil d’administration de laquelle siégeaient quatre ministres du Gouvernement dirigé par les Frères musulmans. L’objectif du requérant était de soutenir et d’aider ce gouvernement. Conformément à cet accord, il a coordonné des projets conjoints avec des membres de haut rang des Frères musulmans, notamment le Ministre de la planification et de la coopération internationale et le Ministre de l’éducation supérieure.

2.3En juillet 2013, un coup d’État militaire a eu lieu en Égypte, à la suite duquel le Président Morsi a été arrêté avec plusieurs ministres, tandis que d’autres ont fui le pays. Le requérant qui, en compagnie de sa famille, habitait et travaillait aux Émirats arabes unis à l’époque, a appris que son permis de séjour et de travail avait été annulé en raison de ses liens avec les Frères musulmans.

2.4Craignant de subir les traitements auxquels étaient soumis les partisans de l’ancien Président Morsi et des Frères musulmans en Égypte, exécutions sommaires et torture notamment, et compte tenu du fait, d’une part, que le nouveau Gouvernement égyptien avait déclaré illégale l’organisation des Frères musulmans et, d’autre part, que les autorités égyptiennes considéraient le requérant comme un partisan de Mohamed Morsi, le requérant et sa famille ont fui en Suède et y ont demandé l’asile.

2.5Le 5 août 2016, l’Office suédois des migrations a rejeté les demandes d’asile des requérants. Elle a noté que la famille avait déclaré qu’elle risquait, si elle retournait en Égypte, d’être victime de persécutions, de torture et d’autres mauvais traitements de la part du régime militaire, en raison des liens du requérant avec les Frères musulmans. Elle a fait observer que le requérant et la requérante vivaient hors d’Égypte depuis 1996 et 2000 respectivement, et que leurs enfants étaient nés aux Émirats arabes unis. La famille s’est rendue plusieurs fois en Égypte en vacances. D’après les tampons dans les passeports, c’est au début de l’année 2015 que la famille a quitté l’Égypte pour la dernière fois. Le requérant a quant à lui passé quatre jours en Égypte en octobre 2015, afin d’obtenir un nouveau passeport. L’Office ne mettait pas en doute que des personnes liées aux Frères musulmans avaient été arrêtées par le régime égyptien, mais elle considérait que le profil des requérants ne donnait pas à penser qu’ils seraient en danger s’ils retournaient en Égypte.

2.6Les requérants ont interjeté appel de la décision de l’Office des migrations devant le Tribunal administratif de l’immigration. Dans leur acte d’appel, ils ont une nouvelle fois déclaré que la famille serait en danger à cause de la collaboration du requérant avec des membres de haut rang des Frères musulmans. Les requérants seraient ainsi considérés par les autorités égyptiennes comme des partisans des Frères musulmans et risqueraient d’être soumis à la torture s’ils étaient expulsés. Ils ont également répété que leurs permis de résidence aux Émirats arabes unis avaient été annulés en raison de leurs liens avec les Frères musulmans, et ajouté que l’Office des migrations n’avait pas dûment apprécié l’ampleur des liens existant entre le requérant et les Frères musulmans. Dans leur acte d’appel, les requérants ont également avancé que l’Office avait commis une erreur en ne traduisant pas deux documents qu’ils avaient fournis en arabe, à savoir un accord signé entre le requérant et le Ministre égyptien de l’éducation, et un article de journal daté du 8 août 2012, qui associait la société avec laquelle le requérant avait un arrangement à caractère commercial aux Frères musulmans. Les requérants ont également fait observer qu’à la date de leur appel, plus de 50 000 partisans des Frères musulmans avaient été arrêtés. Selon eux, la collaboration du requérant avec les Frères musulmans suffisait à les faire percevoir comme partisans de ces derniers. Les requérants ont ajouté que la décision de l’Office des migrations comportait des inexactitudes. S’agissant des séjours en Égypte en 2015, ils ont fait observer qu’au début de l’année 2015, ils étaient restés seulement quelques heures en transit à l’aéroport international du Caire avant de prendre un vol vers les Émirats arabes unis. En octobre 2015, après avoir été expulsé des Émirats arabes unis vers l’Égypte, le requérant y était resté caché pendant quatre jours avant de partir pour la Suède. Selon les requérants, l’objectif de son séjour en Égypte n’était pas d’obtenir un nouveau passeport. La décision de l’Office des migrations a été confirmée le 22 décembre 2016 par le Tribunal administratif de l’immigration et le 22 mars 2017 par la Cour administrative d’appel de l’immigration. Les requérants soutiennent que les autorités de l’État partie ont commis une erreur en concluant que leur profil n’était pas susceptible d’intéresser les autorités égyptiennes ou de les faire considérer comme des opposants politiques. Ils font valoir que les Frères musulmans, pour des raisons idéologiques et religieuses, et en partie pour des raisons de sécurité, n’auraient probablement pas entretenu de relations d’affaires avec des personnes qu’ils ne considéraient pas comme leurs partisans. À cet égard, ils rappellent que les Frères musulmans étaient considérés comme une organisation terroriste sous le régime précédent, celui du Président Mubarak.

2.7Les requérants soutiennent en outre que la décision de les expulser vers l’Égypte a violé leur droit à une procédure équitable, dans la mesure où les procédures étaient contraires à législation nationale, notamment la loi sur les étrangers (2005), la loi sur la langue suédoise (2009) et la loi sur les procédures administratives (1986), ainsi qu’à la Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011. Les requérants font observer qu’ils ont fourni à l’Office des migrations des documents prouvant qu’ils soutenaient le gouvernement dirigé par les Frères musulmans. Ils ont également soumis des rapports décrivant la situation des droits de l’homme en Égypte après le coup d’État militaire de 2013. Ils affirment que certains de ces documents n’ont pas été traduits de l’arabe et que d’autres n’ont pas été pris en considération par l’Office des migrations.

2.8Les requérants ajoutent qu’ils ont demandé la tenue d’une audience devant le Tribunal administratif de l’immigration, afin de pouvoir démontrer les erreurs commises par l’Office des migrations dans le traitement de leurs demandes d’asile. Cette demande a été rejetée. Selon les requérants, ce refus n’était pas justifié et violait l’article 5 de la loi suédoise sur les étrangers.

2.9Les requérants soutiennent également que l’Office des migrations n’a pas procédé à un véritable examen de la situation en Égypte et n’a pas analysé les nombreux rapports disponibles et fournissant des informations détaillées sur les violations des droits de l’homme commises en Égypte. Elle s’est contentée de faire partiellement référence à deux rapports datés de janvier 2015 et juillet 2016, alors que d’autres rapports plus exhaustifs et plus récents étaient disponibles. Les requérants soutiennent que les autorités de l’État partie n’ont pas pris en considération l’existence d’un ensemble de violations systématiques, flagrantes et massives des droits de l’homme en Égypte.

Teneur de la plainte

3.Les requérants soutiennent que leur expulsion vers l’Égypte les exposerait personnellement à un risque réel et prévisible d’être placés en détention, torturés ou tués par les autorités égyptiennes, en tant que membres supposés des Frères musulmans et partisans de l’ancien Président, Mohamed Morsi.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note en date du 5 septembre 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Selon lui, la requête devrait être déclarée irrecevable au motif que les requérants n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs aux fins de la recevabilité.

4.2L’État partie fait observer que la requérante est arrivée en Suède le 23 juillet 2015 avec ses enfants et qu’elle a demandé l’asile le 24 juillet 2015. Le requérant est arrivé le 24 octobre 2015 et a demandé l’asile le 29 octobre 2015. L’Office des migrations a rejeté les demandes des requérants le 5 août 2016.

4.3L’Office des migrations a eu deux entretiens avec les requérants pendant la procédure relative à leurs demandes d’asile. Par l’intermédiaire de leur avocat commis d’office, les requérants ont été invités à examiner les comptes rendus de ces entretiens et à réagir en présentant des observations écrites. Selon l’État partie, les requérants ont donc eu l’occasion d’expliquer les faits et circonstances importants sous-tendant leurs arguments et de plaider leur cause, tant oralement que par écrit, devant l’Office des migrations, et par écrit devant le Tribunal administratif de l’immigration. Les autorités de l’État partie ont minutieusement examiné le dossier des requérants et analysé le besoin de protection invoqué par ces derniers en s’appuyant sur leurs déclarations orales et sur les éléments de preuve qu’ils ont invoqués. Selon l’État partie, rien ne permet de conclure que les décisions prises étaient inadéquates ou que l’issue de la procédure nationale était arbitraire de quelque façon que ce soit ou représentait un déni de justice.

4.4L’État partie fait observer que, selon les requérants, parce que le requérant a entretenu des liens à caractère commercial avec les Frères musulmans quand il travaillait aux Émirats arabes unis, les autorités égyptiennes le considéreraient comme un opposant au régime, en conséquence de quoi tous les requérants risqueraient d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention s’ils étaient expulsés vers l’Égypte. L’État partie observe que d’après les informations sur le pays d’origine, de nombreux membres de haut rang des Frères musulmans ont été arrêtés et des partisans, emprisonnés. Il ne remet donc pas en question le fait que les partisans des Frères musulmans en Égypte risquent d’être soumis à des traitements justifiant une protection internationale. Il fait observer que l’Office des migrations et le Tribunal administratif de l’immigration ont admis que le requérant avait travaillé en tant qu’ingénieur pour une société située aux Émirats arabes unis. Il soutient que le fait que son permis de séjour dans ce pays ait pris fin en 2015 ne signifie pas, en soi, que lui et sa famille risqueraient d’être soumis, en Égypte, à des traitements justifiant une protection. Il ajoute que les requérants n’ont produit aucun élément de preuve indiquant que les permis de séjour et de travail avaient été annulés en raison des liens que le requérant entretenait avec une société liée aux Frères musulmans. Il fait observer par ailleurs que le Tribunal administratif de l’immigration n’a pas remis en question le fait que la société avec laquelle le requérant avait signé un contrat appartenait à des membres de haut rang des Frères musulmans. Ce tribunal a cependant conclu que cet accord contractuel à caractère commercial, en lui-même, ne pouvait être considérée comme l’expression d’un soutien aux Frères musulmans, et que les motifs invoqués par les requérants pour obtenir l’asile étaient insuffisants pour qu’ils soient considérés comme devant être protégés. Selon l’État partie, l’argument selon lequel les autorités égyptiennes, sur la base d’anciennes activités professionnelles du requérant, s’intéresseraient particulièrement à lui et à sa famille, ou le considéreraient comme l’un de leurs opposants, n’a donc pas été étayé.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 31 janvier 2018, les requérants ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils maintiennent que leur requête est recevable. Ils répètent que les autorités de l’État partie n’ont pas pris en considération certains documents qu’ils avaient fournis en arabe à l’appui de leurs arguments, et ne les ont pas traduits en suédois. Ils ajoutent que les autorités de l’État partie n’ont pas dûment apprécié la situation de la famille.

5.2Les requérants soutiennent que l’État partie a commis une erreur en concluant que les accords contractuels à caractère commercial que le requérant avait conclus avec la société appartenant aux Frères musulmans ne pouvaient être considérées comme l’expression de son soutien à ces derniers. Ils font observer que la relation du requérant avec les Frères musulmans n’avait pas seulement un caractère commercial. Il a appuyé les Frères musulmans et leur gouvernement, comme le prouve sa participation aux côtés de membres de haut rang des Frères musulmans à des projets politiques pour le développement de l’Égypte. Les requérants affirment que les autorités égyptiennes considèrent quiconque a des liens avec les Frères musulmans comme partisan de ces derniers. Ils font valoir que l’État partie non seulement n’a pas défini ce qu’était un partisan des Frères musulmans, mais a aussi ignoré la définition qu’en proposaient les requérants.

5.3Les requérants répètent que les autorités des Émirats arabes unis ont annulé leurs permis de séjour en raison des liens du requérant avec les Frères musulmans. Ils soutiennent qu’elles ne l’ont pas indiqué par écrit pour éviter le dépôt de plaintes.

5.4Les requérants renvoient aux conclusions du Comité et aux recommandations qu’il a adressées à l’Égypte dans le cadre de la récente procédure d’enquête visant le pays. Ils font observer que le Comité a conclu que la torture était systématiquement pratiquée par divers organes de l’État, qu’elle était particulièrement fréquente après des arrestations arbitraires, qu’elle visait souvent à obtenir des aveux ou à punir ou menacer des dissidents politiques et que les auteurs des faits jouissaient d’une impunité quasi totale. Les requérants affirment que l’État partie n’a pas tenu compte de ces considérations lorsqu’il a examiné la situation des droits de l’homme en Égypte.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note en date du 1er février 2019, l’État partie a soumis des observations complémentaires sur la recevabilité et le fonds de la requête. Il renvoie à ses observations du 5 septembre 2017 et maintient que la requête devrait être déclarée irrecevable au motif que les requérants n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs aux fins de la recevabilité, et qu’en tout état de cause, ils n’ont pas présenté d’arguments défendables qui établiraient qu’ils courraient un risque prévisible, actuel, personnel et réel d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Égypte.

6.2L’État partie note que, selon les requérants, les autorités suédoises n’ont pas dûment examiné leur dossier parce qu’elles n’ont pas traduit les pièces justificatives qu’ils avaient fournies dans le cadre de la procédure nationale. Il souligne que, lorsque les autorités nationales ont examiné le besoin de protection internationale invoqué par les requérants, elles ont fondé leur analyse sur les informations que ces derniers avaient données oralement et par écrit, ainsi que sur les éléments qu’ils avaient fournis. S’agissant des renseignements que le requérant a téléchargés de l’Internet et soumis dans le cadre de la procédure relative à la demande d’asile, les autorités domestiques ont fait observer qu’ils ne le concernaient pas personnellement mais décrivaient simplement la situation générale en Égypte. C’est pourquoi une traduction de ces documents n’a pas été jugée nécessaire. S’agissant des autres documents sur lesquels s’appuient les requérants pour étayer le fait que les partisans des Frères musulmans en Égypte sont susceptibles d’être soumis à des traitements qui justifient une protection, l’État partie fait observer que ce fait n’a pas été remis en question par les autorités nationales de l’immigration et que point n’était donc besoin de traduire les documents présentés à cette fin. Il fait également observer que les autorités nationales ont admis que le requérant avait eu les relations d’affaires qu’il prétend avoir eues et que la société avec laquelle il avait signé un contrat appartenait à des membres de haut rang des Frères musulmans. Dans la mesure où ces faits n’étaient pas remis en question, rien ne justifiait que les documents soumis pour les étayer soient traduits. Selon l’État partie, les autorités nationales ont conclu que les déclarations faites dans le cadre de la procédure relative à la demande d’asile ne pouvaient suffire à conclure que le requérant ou sa famille, en raison des activités antérieures du requérant, présenterait un intérêt particulier pour les autorités égyptiennes, ou que ces dernières, pour cette même raison, lui avaient attribué une affiliation politique qui faisait que la famille avait besoin d’une protection internationale.

6.3L’État partie note que les requérants affirment que leurs droits ont été violés en ce que le Tribunal administratif de l’immigration a rejeté leur demande d’audience. Il fait observer que, conformément à la loi sur les étrangers, la procédure juridique devant les tribunaux compétents en matière d’immigration et la Cour administrative d’appel de l’immigration se fait par écrit. Des audiences peuvent avoir lieu, lorsqu’elles sont perçues comme utiles à l’enquête ou à un règlement rapide. Toutefois, l’audience doit compléter la procédure écrite. Si l’issue de la procédure dépend de la véracité des informations fournies par un requérant, il n’y aura que très peu de raisons de ne pas tenir une audience. L’État partie fait observer que dans le cas des requérants, le Tribunal administratif de l’immigration a conclu que les motifs invoqués par les requérants pour obtenir l’asile ne pouvaient suffire à conclure qu’ils auraient besoin d’une protection internationale s’ils étaient renvoyés en Égypte. En conséquence, la tenue d’une audience n’a pas été jugée nécessaire.

6.4L’État partie renvoie également à un rapport sur l’Égypte, selon lequel il est peu probable que les autorités égyptiennes aient la capacité, le pouvoir et la volonté de rechercher et viser toutes les personnes associées aux Frères musulmans, compte tenu du nombre et des profils très divers des membres et partisans de ces derniers. S’appuyant toujours sur le rapport, l’État partie soutient que rien ne prouve que le seul fait d’être membre ou partisan des Frères musulmans, ou perçu comme tel, expose la personne concernée au risque de subir des persécutions ou un préjudice grave.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que les requérants avaient épuisé tous les recours internes. Il estime donc qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention d’examiner la requête.

7.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la requête au motif que les griefs soulevés par les requérants sont manifestement infondés. Compte tenu des informations figurant dans le dossier et des arguments présentés par les parties, le Comité considère qu’aux fins de la recevabilité, les requérants ont suffisamment étayé leurs griefs, lesquels soulèvent des questions de fond au regard de la Convention.

7.4Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare recevable la requête soumise en vertu de l’article 3 de la Convention, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties concernées.

8.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si, en renvoyant les requérants en Égypte, l’État partie manquerait à l’obligation que lui impose l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou renvoyer une personne vers un autre État lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risquent personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Égypte. Pour ce faire, en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle cependant que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques, graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations systématiques flagrantes des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.4Le Comité rappelle qu’aux termes de son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité rappelle que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel » (par. 11). Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment : l’origine ethnique du requérant ; l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant et/ou des membres de sa famille ; un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; l’appartenance religieuse (par. 45). Pour ce qui est de l’examen sur le fond d’une communication présentée en vertu de l’article 22 de la Convention, c’est à l’auteur de la communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture (par. 38). Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné ; cependant, il n’est pas tenu par ces constatations et il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par. 50).

8.5En l’espèce, le Comité prend note de l’allégation des requérants selon laquelle en tant que membres et partisans supposés des Frères musulmans, s’ils étaient renvoyés en Égypte, ils courraient le risque d’être soumis, par les autorités égyptiennes, à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en raison des arrangements à caractère commercial et des liens entre le requérant et une société appartenant à des membres de haut rang des Frères musulmans. Il note que les requérants affirment que les autorités égyptiennes considèrent quiconque a des liens avec les Frères musulmans comme partisan de cette organisation. Il note également que le Tribunal administratif de l’immigration n’a pas remis en question le fait que le requérant avait signé un arrangement à caractère commercial avec une société appartenant à des représentants de haut rang des Frères musulmans. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel cet arrangement, en lui-même, ne pouvait être considéré comme l’expression d’un soutien aux Frères musulmans, en particulier compte tenu du séjour prolongé des requérants à l’étranger. Il note aussi que l’État partie affirme que les requérants n’ont pas étayé l’argument selon lequel les autorités égyptiennes, sur la base d’anciennes activités professionnelles du requérant, s’intéresseraient particulièrement à lui et à sa famille, ou les considéreraient comme des opposants.

8.6Le Comité rappelle avoir conclu, dans le cadre de la procédure d’enquête concernant l’Égypte, que la torture était systématiquement pratiquée en Égypte et semblait particulièrement fréquente après des arrestations arbitraires, et qu’elle était utilisée pour obtenir des aveux ou pour punir ou menacer des dissidents politiques. Il note aussi que d’après divers rapports de pays, les Frères musulmans ont officiellement été qualifiés d’organisation terroriste en Égypte. Il note que de très nombreux membres et partisans des Frères musulmans ont été arrêtés après le coup d’État militaire. En effet, les forces de sécurité ont arrêté environ 22 000 personnes en 2013 et 2014, et 12 000 autres en 2015, parmi lesquelles des étudiants, des universitaires, des ingénieurs et des professionnels de la santé, principalement des membres des Frères musulmans et partisans de Mohamed Morsi ; en 2017, certains groupes de défense des droits de l’homme ont estimé à 60 000 le nombre de personnes détenues pour raisons politiques depuis juillet 2013. Le Comité notre en outre que selon des rapports sur le pays, en 2017 et en 2018, les forces de sécurité ont continué d’arrêter des centaines de personnes en raison de leur appartenance réelle ou supposée aux Frères musulmans. La torture et les mauvais traitements restaient courants dans les lieux officiels de détention et étaient systématiques dans les centres de détention administrés par l’Agence de sécurité nationale.

8.7Le Comité fait donc observer, en se fondant sur des rapports concernant le pays, qu’en Égypte des personnes considérées comme des partisans des Frères musulmans sont susceptibles d’être soumises à des traitements contraires à l’article 3. En l’espèce, cependant, il constate que les requérants n’ont pas prétendu être membres des Frères musulmans ni avoir mené des activités politiques de soutien au groupe. Il relève en outre que les requérants ne vivent plus en Égypte depuis vingt ans et que leur seul lien avec les Frères musulmans est un arrangement à caractère commercial que le requérant a eu dans le passé une société appartenant à des membres de haut rang des Frères musulmans. Le Comité note que les requérants n’ont pas affirmé qu’ils travaillaient pour cette société en Égypte, et que tout projet sur lequel le requérant aurait pu travailler avait été exécuté en dehors de l’Égypte. Il constate que les requérants n’ont pas expliqué comment les autorités égyptiennes auraient été informées des relations d’affaires en question. Le Comité constate également que les requérants n’ont fourni aucun autre renseignement précis ou élément de preuve donnant à penser que les autorités égyptiennes ont engagé des poursuites pénales contre eux ou les ont recherchés et que pour cette raison ils pourraient courir personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements s’ils étaient renvoyés en Égypte.

8.8Le Comité prend note de l’affirmation des requérants selon laquelle les autorités nationales ne leur ont pas assuré une procédure équitable s’agissant de l’examen de leurs demandes d’asile, car elles n’ont pas traduit deux documents qu’ils avaient soumis à l’appui de leur affirmation selon laquelle le requérant avait un arrangement à caractère commercial avec une société appartenant à des membres de haut rang des Frères musulmans, et une audience n’a pas été tenue devant le Tribunal administratif de l’immigration pour qu’ils puissent étayer leur affirmation. Il constate cependant que le Tribunal administratif de l’immigration n’a pas remis en question le fait que le requérant avait eu un tel arrangement, et que c’est la raison pour laquelle il a rejeté la demande de traduction des documents. Il constate également que les plaignants ont été entendus dans le cadre de la procédure en première instance et qu’ils ont été invités à examiner les comptes rendus de ces entretiens et à soumettre des observations écrites à leur sujet. Il constate aussi que les autorités nationales compétentes en matière d’asile ont examiné toutes les affirmations des requérants dans le cadre de l’examen de leurs demandes d’asile. Le Comité conclut donc que les requérants n’ont pas étayé leur affirmation selon laquelle ils n’ont pas bénéficié d’une procédure équitable dans l’État partie ou que les procédures internes étaient arbitraires ou constituaient un déni de justice. Le Comité est donc d’avis que les requérants n’ont pas étayé leur grief selon lequel leur expulsion vers l’Égypte les exposeraient au risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’expulsion des requérants vers l’Égypte ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.