Nations Unies

CAT/C/67/D/791/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

6 novembre 2019

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 791/2016 * , ** , ***

Communication p résentée par :

X (représenté par un conseil, Sergei Voronov)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Canada

Date de la requête :

8décembre 2016 (date de la lettre initiale)

Référenc e s:

Décision prise en vertu de l’article115 du règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 12décembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

5août 2019

Objet :

Expulsion vers l’Inde

Question(s) de procédure :

Griefs non étayés ; non-épuisement des voies de recours internes

Question(s) de fond :

Risque pour la vie et risque de torture ou de mauvais traitements en cas d’expulsion vers le pays d’origine

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est X, de nationalité indienne, né le 2 mars 1987 en Inde. Suite au rejet de sa demande d’asile au Canada, il fait l’objet d’une décision de renvoi vers l’Inde. Il considère qu’un tel renvoi constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention. Le requérant est représenté par un conseil, Sergei Voronov.

1.2Le 12 décembre 2016, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Inde tant que la requête serait à l’examen. Le 9 juin 2017, l’État partie a demandé au Comité de lever les mesures provisoires. Le 6 mars 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a rejeté la demande de l’État partie.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est né à Jagraon, en Inde. Le 13 janvier 2013, huit agents de police se sont présentés à la ferme familiale du requérant, à la recherche d’un employé de la ferme. Lorsque ce dernier s’est enfui, les agents de police se sont mis en colère et ont interrogé le requérant. De retour le soir même, ils l’ont arrêté, faisant un usage excessif de la force. Sans produire de mandat d’arrêt ni préciser les motifs de l’arrestation, les agents ont emmené le requérant au poste de police.

2.2Détenu pendant plus de soixante-douze heures dans des conditions déplorables, le requérant occupait une cellule sordide et minuscule, sans fenêtre ni matelas. Il devait dormir sur le sol et faire ses besoins dans un contenant en plastique. La nourriture, distribuée une fois par jour, était pourrie.

2.3Au cours de sa détention, le requérant a été interrogé plusieurs fois par des agents de police qui l’ont torturé de différentes manières : ils l’ont brûlé avec une cigarette, lui ont mis un sac en tissu sur la tête, lui ont donné des coups de poing et l’ont battu avec une matraque de caoutchouc. La nuit, deux agents de police le réveillaient en lui jetant de l’eau froide.

2.4Le 16 janvier 2013, le requérant a été libéré suite à l’intervention de certains individus influents de son village, lesquels ont versé un pot-de-vin d’environ 25 000 roupies (près de 320 euros). Le jour même, le requérant a été admis à l’hôpital, où il est resté jusqu’au lendemain.

2.5Le 27 janvier 2013, cinq agents de police se sont présentés chez le requérant et l’ont arrêté de nouveau. Ils l’ont torturé, notamment en lui attachant les mains à un morceau de bois et en lui donnant des coups dans le dos. Ils lui ont posé des questions sur l’employé de la ferme. Au bout d’une semaine, et après le paiement d’un nouveau pot-de-vin d’environ 35 000 roupies (près de 450 euros) par des membres de sa famille, le requérant a été libéré.

2.6Craignant pour sa vie, le requérant a décidé de quitter l’Inde. Le 16 mai 2013, muni d’un faux passeport, il a pris l’avion pour le Canada, faisant escale au Qatar. Le jour de son arrivée au Canada, le 17 mai 2013, il a déposé une demande d’asile. Le 18 juillet 2013, il a été entendu par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, laquelle a rejeté sa demande le 12 septembre 2013. Le 17 décembre 2013, la Section d’appel des réfugiés a annulé la décision de la Section de la protection des réfugiés et ordonné que l’affaire soit réexaminée par un tribunal différemment constitué. Le 23 avril 2014, la Section de la protection des réfugiés a de nouveau rejeté sa demande d’asile.

2.7Le 2 décembre 2014, la Section d’appel des réfugiés a rejeté le recours formé par le requérant. Le 14 avril 2015, la Cour fédérale a rejeté sa demande de contrôle judiciaire de cette dernière décision.

2.8Dans sa lettre initiale, le requérant déclare avoir déposé une demande d’examen des risques avant renvoi, laquelle a été rejetée le 2 novembre 2016. Le requérant affirme qu’il a épuisé tous les voies de recours disponibles. En outre, il fait valoir qu’en Inde, son père a été battu afin de fournir des renseignements sur la localisation du requérant ; il en ressort que les autorités indiennes sont toujours à sa recherche.

Teneur de la plainte

3.Le requérant soutient que le Canada manquerait aux obligations que lui impose l’article 3 de la Convention en l’expulsant vers l’Inde, où il serait de nouveau soumis à des actes de torture par la police. Il affirme qu’en 2013, la police lui a infligé des sévices et d’autres mauvais traitements, et l’a détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes dans un poste de police pendant plus de soixante-douze heures, sans présenter de mandat d’arrêt ni lui permettre de comparaître devant un juge. Le requérant fournit de nombreux rapports et articles à l’appui de son argument selon lequel la situation des droits de l’homme en Inde est préoccupante, surtout en ce qui concerne le traitement des détenus et des prisonniers par les forces de l’ordre.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations du 9 juin 2017, l’État partie fournit des informations détaillées sur les procédures d’asile au Canada, et considère que la requête est irrecevable pour non-épuisement de deux voies de recours internes. Le 8 décembre 2016, le requérant a déposé une demande de résidence permanente au Canada pour considérations d’ordre humanitaire ; cette demande est toujours en cours de traitement. L’État partie est en désaccord avec la position du Comité, qui estime que cette demande constitue un recours inefficace aux fins de la recevabilité. Au contraire, celle-ci est une procédure administrative juste et équitable, sujette au contrôle judiciaire. Advenant une décision positive, elle permettrait au requérant de demeurer au Canada. Un demandeur débouté peut également présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada. Par conséquent, la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire constitue un recours interne efficace.

4.2Par ailleurs, contrairement à ce qu’il déclare dans sa plainte, le requérant n’a pas déposé de demande d’examen des risques avant renvoi. En réalité, l’Agence des services frontaliers du Canada a lancé le processus le 5 février 2016 pour que le requérant puisse déposer sa demande, mais, ne l’ayant pas reçue dans les délais prévus, elle a clos le dossier sans décision le 7 mars 2016. En outre, la période d’interdiction de soumission d’une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi (douze mois) est aussi terminée ; or, à ce jour, le requérant n’a pas soumis de demande.

4.3Une personne faisant l’objet d’une mesure de renvoi en vigueur peut, sous réserve de certaines exceptions, présenter une demande d’examen des risques avant renvoi. L’évaluation de la demande a pour but de déterminer si la personne risque d’être persécutée, torturée ou tuée, ou encore si elle risque de subir des peines ou traitements cruels, advenant son renvoi dans son pays d’origine. Il ne s’agit ni d’uncontrôle judiciaire ni d’un appel des décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Le demandeur est informé de la possibilité de présenter ladite demande ainsi que de son droit de soumettre des observations écrites et des éléments de preuve en soutien de celle-ci. Le dépôt d’une demande d’examen des risques avant renvoi dans les quinze jours suivant la délivrance de l’avis suspend l’exécution de la mesure de renvoi. Le demandeur dispose également de quinze jours additionnels pour soumettre des documents à l’appui de sa demande. Les personnes qui, comme le requérant, ont déjà vu leur demande d’asile déboutée par une décision de la Commission ne peuvent présenter que des faits nouveaux et des éléments de preuve survenus depuis la décision de la Commission.

4.4La demande d’examen des risques avant renvoi constitue un recours disponible et efficace. Son examen est effectué par des agents qui relèvent de l’autorité du Ministère de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté, et qui exercent les pouvoirs délégués par le Ministre. Ce sont des agents d’immigration spécialement formés dans le domaine des droits de la personne et du droit administratif, qui agissent de façon tout à fait indépendante et impartiale. Ils reçoivent d’ailleurs une formation sur l’importance de maintenir une indépendance et une impartialité apparentes et réelles dans leurs prises de décision. Leur degré suffisant d’indépendance a également été reconnu par la Cour fédérale du Canada. Par ailleurs, les agents ont une formation et une expérience considérables dans le domaine des droits de la personne. Ils disposent de renseignements à jour sur la situation des droits de la personne dans différents pays, y compris l’Inde. Ils possèdent une expertise considérable dans le domaine de l’évaluation des risques associés au renvoi et reçoivent la formation nécessaire sur les conventions internationales pertinentes. Si le requérant avait présenté sa demande d’examen des risques avant renvoi dans les délais prescrits, cela aurait sursis à la mesure de renvoi émise contre lui jusqu’à ce qu’une décision sur la demande soit rendue. Le fait que le requérant prétend faussement dans sa requête avoir déposé cette demande met en question sa crédibilité.

4.5De plus, la requête est irrecevable parce qu’elle est incompatible avec les dispositions de la Convention. Elle ne soulève en effet aucune allégation crédible susceptible de constituer de la torture aux fins de l’application de l’article 3 de la Convention. Au contraire, la Section de la protection des réfugiés, après avoir procédé à une évaluation indépendante, impartiale et détaillée de la preuve qui lui avait été soumise et des prétentions du requérant, a déterminé que la preuve ne permettait pas de démontrer que le requérant risquait de subir de la torture. Ce dernier n’a fourni dans sa requête aucun nouvel élément de preuve qui permettrait de contredire les conclusions de la Section de la protection des réfugiés. En outre, dans la mesure où il allègue qu’il risque d’être soumis à des peines ou traitements cruels, l’obligation de non-refoulement ne saurait trouver application dans ces circonstances.

4.6Par ailleurs, la requête est irrecevable parce qu’elle est dénuée de fondement. Les allégations du requérant ont été jugées non crédibles par les autorités canadiennes, et le requérant n’a pas établi que leurs décisions étaient entachées d’un vice justifiant l’intervention du Comité dans les conclusions de fait et de crédibilité qu’elles avaient tirées. Toutefois, si le Comité décide d’examiner la crédibilité des allégations du requérant, plusieurs éléments de ses affirmations mènent à la conclusion qu’il n’est pas crédible et que ses allégations sont insuffisamment étayées. En effet, lorsqu’il a rempli une première version des formulaires de demande d’asile le 20 mai 2013, le requérant n’a pas déclaré les arrestations dont il aurait été victime. Or, dans une version des mêmes formulaires amendée le 31 mai 2013, lorsqu’il était représenté par un conseil, il a soulevé ces allégations. Confronté à ces incohérences lors de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés en avril 2014, le requérant a déclaré qu’il avait dans un premier temps eu très peur et ne voulait pas soulever ces griefs, croyant que les autorités canadiennes lui poseraient les mêmes questions que les policiers de son village. La Section de la protection des réfugiés a conclu que ses explications quant à cette omission initiale n’étaient pas raisonnables, notamment en raison du fait que ces allégations étaient au cœur de sa demande d’asile. De même, dans sa demande de visa de travail déposée en 2008, le requérant, qui a achevé douze années de scolarité, avait indiqué être charpentier, tandis que dans sa demande d’asile déposée en 2013, il déclarait travailler à la ferme familiale depuis 2005. Dans une version amendée de cette même demande, il indiquait être fermier depuis 2009 et charpentier auparavant. En outre, lors de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés en avril 2014, le requérant était incapable de répondre à des questions simples relatives à son itinéraire d’arrivée au Canada et à son départ d’Inde. Par exemple, il était incertain de la ville où il se serait caché entre sa dernière libération et son départ, ainsi que de la ville depuis laquelle il avait quitté l’Inde. De plus, le tribunal était d’avis que la preuve documentaire apportée entachait davantage la crédibilité du requérant, car, alors que les autorités indiennes auraient eu le pouvoir de le garder en détention pendant une très longue période sans porter d’accusations, il aurait été libéré après le paiement de pots-de-vin. Le reste de ses explications concernant ses arrestations, interrogatoires et associations avec de potentiels militants étant vagues et évasives, le tribunal en a tiré des conclusions négatives.

4.7À supposer même que le récit du requérant soit crédible, ce que l’État partie nie, sa situation personnelle ne permet pas de conclure qu’il ferait face à un risque prévisible et réel de torture, advenant son retour en Inde. De plus, il n’a pas démontré qu’il ne pourrait pas se reloger ailleurs en Inde. À titre subsidiaire, et pour les raisons exposées ci-dessus, la requête doit être rejetée sur le fond.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires datés du 2 octobre 2017, le requérant cite de nombreux rapports d’organisations non gouvernementales selon lesquels l’Inde connaît des violations systématiques et flagrantes des droits de l’homme, ce qui constitue un motif sérieux de ne pas l’expulser vers ce pays. Selon ces rapports, les conditions de détention dans les prisons indiennes constituent une forme de torture et peuvent même entraîner la mort, et les policiers jouissent souvent de l’impunité pour les abus commis.

5.2Contrairement à ce qu’indique l’État partie dans ses observations, les abus infligés par les agents de police constituent des actes de torture au sens de la Convention. Ces agents ont infligé au requérant des souffrances physiques et mentales aiguës en 2013, comme il l’a exposé dans la plainte. Le requérant a été battu avec une telle force par les agents de police qu’au mois de mars 2014, il ressentait encore des douleurs, comme l’indique le rapport médical joint au dossier. De plus, selon le même rapport, le requérant présente des symptômes de troubles anxio-dépressifs qui seraient en lien avec les actes de torture qu’il a subis en Inde.

5.3Après le départ d’Inde du requérant, la police s’est présentée à plusieurs reprises à sa ferme familiale pour le rechercher. En mars 2017, le père du requérant a été arrêté par la police, qui a essayé de lui soutirer des informations sur la localisation du requérant. Afin de venir en aide à son père, le requérant a envoyé à la police des preuves établissant qu’il avait déposé une demande d’asile au Canada, et qu’il y résidait. Puisque les autorités indiennes savent à présent que le requérant a demandé l’asile à l’étranger, le risque qu’il court en cas de retour en Inde est encore plus élevé. Il n’existe aucune possibilité pour le requérant de se reloger ailleurs en Inde, car il aurait l’obligation de signaler sa présence aux autorités locales ; il risquerait ainsi d’être persécuté et torturé partout dans le pays. Un ami du requérant a été arrêté par la police indienne après son renvoi en Inde par le Canada, au motif qu’il aurait utilisé un faux passeport pour quitter l’Inde.

5.4En réponse aux observations de l’État partie sur sa crédibilité, le requérant affirme que ses allégations relatives aux actes de torture subis en Inde sont véridiques et étayées par des preuves, et que les imprécisions dans son récit devant les autorités canadiennes sont attribuables au fait qu’il était effrayé et bouleversé après son arrivée au Canada, et qu’il souffrait de problèmes psychologiques ainsi que des conséquences du stress lié à sa fuite d’Inde et à son arrivée dans un pays inconnu.

5.5En ce qui concerne le non-épuisement des voies de recours internes, le requérant confirme que sa demande de résidence permanente au Canada pour considérations d’ordre humanitaire est toujours en cours d’examen. Cependant, ces demandes sont rarement accordées dans la pratique, n’ont pas d’effet suspensif sur le renvoi du demandeur et ne peuvent faire l’objet d’un appel en cas de rejet.

5.6Le requérant affirme qu’il n’avait aucune intention d’induire le Comité en erreur au sujet de la demande d’examen des risques avant renvoi, et que suite à un malentendu, son ancien conseil a erronément déclaré que le requérant avait déposé une telle demande. Le requérant a reçu le formulaire de demande le 5 février 2016, et n’avait que quinze jours pour le soumettre.De plus, il était détenu dans un centre d’immigration, ne pouvait bénéficier de l’aide d’un conseil, et ne se rendait pas compte de l’urgence et de l’importance d’envoyer ladite demande dans les délais prévus. En outre, suite aux actes de torture qu’il avait subis, il souffrait de troubles de la concentration et de la mémoire, et n’était pas en mesure de prendre des décisions réfléchies en lien avec son dossier de demande d’asile. Le requérant a fourni un rapport médical non daté, affirmant qu’il s’était présenté dans une clinique le 15 mars 2016 et souffrait de problèmes de mémoire et de concentration. Pour ces raisons, le requérant n’a pas soumis de demande d’examen des risques avant renvoi en 2016. De plus, il n’est pas en mesure de présenter ladite demande aujourd’hui, car il n’a pas reçu l’autorisation préalable des autorités canadiennes. En tout état de cause, cette autorisation ne serait pas octroyée, car le requérant fait l’objet d’une mesure de renvoi.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas s’il a été établi que les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables ou qu’il est peu probable que le requérant obtienne réparation par ce moyen.

6.3Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle le requérant n’a pas épuisé les recours internes disponibles, puisque sa demande de résidence permanente au Canada pour considérations d’ordre humanitaire est toujours en cours de traitement. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle une demande de résidence permanente au Canada pour considérations d’ordre humanitaire ne saurait être considérée comme un recours effectif aux fins de la recevabilité, au vu de son caractère discrétionnaire et non judiciaire, et compte tenu du fait qu’elle n’a pas d’effet suspensif sur l’expulsion du demandeur. Par conséquent, le Comité estime que le requérant n’est pas tenu, aux fins du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, d’épuiser ce recours.

6.4Le Comité note également que selon l’État partie, le requérant n’a pas épuisé les recours internes utiles parce qu’il n’a pas déposé de demande d’examen des risques avant renvoi, ni en 2016, ni après la période d’interdiction de soumission d’une nouvelle demande (douze mois). Le Comité observe que selon l’État partie, le requérant dispose à présent d’une nouvelle possibilité de soumettre une demande d’examen des risques avant renvoi. Cependant, le Comité note que selon la procédure décrite par l’État partie, le demandeur est informé de la possibilité de présenter ladite demande. Or, le Comité observe que d’après le requérant, ce dernier est actuellement dans l’impossibilité de remettre une telle demande puisqu’il n’a pas été invité à le faire. Par ailleurs, selon les informations disponibles, le dépôt d’une demande d’examen des risques avant renvoi après la période d’interdiction ne permet pas de surseoir à la mesure de renvoi en vertu de la loi. Par conséquent, le Comité conclut que les informations disponibles ne lui permettent pas de conclure que ce recours est actuellement accessible au requérant et qu’il serait efficace.

6.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel, en 2016, le requérant avait été informé de la possibilité de déposer une demande d’examen des risques avant renvoi, le Comité prend note de la réponse du requérant indiquant qu’il n’était pas en mesure de le faire pour les raisons suivantes : a) le délai de quinze jours était déraisonnable ; b) il n’avait pas accès à un conseil ; c) il ne se rendait pas compte de l’urgence et de l’importance d’effectuer la demande ; et d) il souffrait de troubles de la concentration et de la mémoire, suite aux traumatismes qu’il avait subis.

6.6Le Comité note que, conformément aux textes d’application de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, les personnes qui ont présenté dans les délais établis une première demande d’examen des risques avant renvoi ne sont pas menacées d’expulsion tant que la procédure est en cours, puisqu’elles bénéficient d’un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion dont elles font l’objet. Le Comité note que sur le plan procédural, il n’est pas exigé du demandeur qu’il ait recours aux services d’un conseil afin de présenter une telle demande. Cependant, le Comité prend note du rapport médical non daté sur l’état psychologique du requérant, présenté pour attester que ce dernier souffrait de troubles de la mémoire et de la concentration en mars 2016. À ce propos, le Comité observe que le requérant a engagé à titre privé des avocats dans le cadre de sa demande d’asile et de la présente requête, mais ne précise pas s’il avait entrepris en 2016 de trouver un conseil qui aurait accepté de l’aider à remplir la demande, ou s’il avait informé l’État partie de ses problèmes de santé en vue de demander une prolongation de délai. Le Comité note également que le requérant n’affirme pas avoir été dans une situation financière précaire qui l’aurait privé de la possibilité de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi ou de retenir les services d’un conseil à cette fin. Quant au fait que le requérant ne se rendait pas compte de l’importance de la demande, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle de simples doutes quant à l’utilité d’un recours interne ne dispensent pas le requérant de s’en prévaloir, en particulier si le recours en question lui est raisonnablement accessible et a un effet suspensif. À ce propos, le Comité considère que le délai de quinze jours accordé pour la soumission de la demande n’était pas déraisonnable. Au vu des renseignements dont il dispose, le Comité estime qu’en l’espèce, le requérant disposait en 2016 d’un recours utile et efficace qu’il n’a pas épuisé.

6.7Ensuite, le Comité prend note de la position de l’État partie, lequel affirme que la requête est irrecevable parce qu’elle est dénuée de fondement. Le Comité rappelle les arguments du requérant, qui prétend courir actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Inde. Le Comité note que le requérant, qui aurait voyagé au Canada pour demander la protection, n’a pas déclaré dans la première version de sa demande d’asile les arrestations et la torture qu’il aurait subies en Inde ; il note en outre que l’allégation selon laquelle la police indienne estimerait que le requérant est complice d’un délinquant présumé n’est étayée par aucune preuve probante. Le Comité note également que le certificat médical du 29 mars 2014 produit par le requérant n’est fondé que sur son propre récit d’événements passés et a été établi à sa demande, aux fins de son audience devant la Section de la protection des réfugiés, laquelle a eu lieu trois jours plus tard. De plus, le Comité prend note du caractère vague des certificats médicaux datés de 2013, lesquels n’établissent pas de diagnostic et ne précisent pas le type de blessures ou de traumatismes que le requérant aurait subis. Par conséquent, ces certificats ne semblent pas corroborer les allégations formulées par le requérant concernant les tortures qui lui auraient été infligées. En outre, le Comité rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas suffisante en soi pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’être torturé. Sur la base des informations dont il dispose, le Comité conclut que le requérant n’a pas suffisamment étayé ses allégations selon lesquelles il risque d’être persécuté par les policiers en Inde ou de faire l’objet d’actes de torture en cas de renvoi.

6.8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.

Annexe I

Opinion individuelle (dissidente) d’Abdelwahab Hani

1.Le Comité aurait dû se limiter à conclure à l’irrecevabilité de la requête, du fait que le requérant n’a pas suffisamment étayé ses allégations selon lesquelles il risquerait de faire l’objet d’actes de torture ou de mauvais traitements en cas de renvoi en Inde.

2.De plus, le Comité aurait dû conclure que le requérant avait épuisé toutes les voies de recours internes relatives à la procédure d’asile, ce qui inclut l’évaluation du risque de torture et de mauvais traitements.

3.Quant à la procédure de demande d’examen des risques avant renvoi, le Comité aurait dû conclure que cette voie de recours n’était ni efficace ni disponible.

4.L’État partie affirme que le requérant remplit les conditions requises pour pouvoir déposer une demande d’examen des risques avant renvoi depuis l’envoi du formulaire de demande le 5 février 2016 (voir par. 4.2), supposant la notification d’une décision d’expulsion exécutoire, mais qu’il n’a pas usé de ce recours.

5.Toutefois, l’État partie ne répond pas aux arguments du requérant selon lesquels il n’avait que quinze jours pour soumettre sa demande, était détenu dans un centre d’immigration et ne pouvait pas bénéficier de l’aide d’un conseil (voir par. 5.6). Un tel délai est extrêmement court dans les circonstances liées à sa détention et à l’absence d’un conseil.

6.S’agissant de la possibilité de déposer une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi, le requérant affirme qu’il n’a pas reçu l’autorisation préalable requise (voir par. 5.6). Dans ces conditions particulières, l’État partie n’a pas démontré que l’examen des risques avant renvoi était effectivement disponible.

7.L’État reconnaît que le requérant ne peut demander un nouvel examen des risques avant renvoi qu’à l’expiration d’un délai de douze mois après la première demande, délai au cours duquel le demandeur d’asile débouté ne peut former aucun recours. Ces délais sont excessivement longs, eu égard à la vulnérabilité du requérant, lequel a entamé son parcours de demande d’asile trois années auparavant.

8.L’examen des risques avant renvoi est un mécanisme non indépendant d’examen discrétionnaire sur dossier, réalisé par des agents du Ministère qui rend les décisions de renvoi. En outre, un demandeur d’asile débouté ne peut fonder sa demande d’examen des risques avant renvoi que sur des éléments de preuve nouveaux.

9.Le Comité aurait dû faire observer le faible taux d’aboutissement de l’examen des risques avant renvoi, lequel a été confirmé par l’État partie lui-même, qui indiquait lors de l’examen de son septième rapport périodique que le taux d’acceptation des demandes d’examen des risques avant renvoi soumises pendant les cinq années écoulées s’établissait à 5,2 %. Les statistiques officielles démontrent que le taux d’acceptation de l’examen des risques avant renvoi est resté assez faible, soit entre 1,4 % en 2010 et 3,1 % en 2014, pour une moyenne annuelle de seulement 2 %.

10.Ces taux d’acceptation assez faibles de l’examen des risques avant renvoi relèvent plus de la probabilité des événements rares et de leurs variables aléatoires, au sens de la loi de Poisson, que de la probabilité d’un recours utile assorti d’une probabilité raisonnable de réparation.

11.En outre, entre 2007 et 2014, une proportion élevée de 26 % des personnes qui auraient pu demander un examen des risques avant renvoi avaient été renvoyées avant l’échéance de l’interdiction d’un an, et la tendance, durant cette période, était de faciliter les renvois afin de réduire le nombre de recours, annihilant ainsi tout effet suspensif potentiel.

12.Afin d’éviter tout défaut de protection, l’effet suspensif ainsi que les délais raisonnables doivent être considérés pour la totalité de la procédure interne, soit la période d’interdiction relative à l’examen des risques avant renvoi à laquelle s’ajoutent les délais supplémentaires de notification.

13.En dépit des questionnements et critiques du Comité au sujet de l’examen des risques avant renvoi, l’État partie a maintenu sa position de ne pas revoir la procédure pour la mettre en conformité avec les dispositions de la Convention et la jurisprudence du Comité.

14.Dans ces conditions, l’examen des risques avant renvoi ne constitue pas un recours utile aux fins de la recevabilité, au sens du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, pour les raisons suivantes : a) il n’a pas été rendu disponible dans la pratique pour le requérant ; b) compte tenu de son caractère discrétionnaire et non judiciaire ; c)il n’a pas d’effet suspensif sur l’expulsion ; d)ses procédures, y compris la période d’attente avant pourvoi, excèdent les délais raisonnables ; et e) il est peu probable que le requérant obtienne une réparation effective par ce moyen. En somme, il n’est pas conforme aux critères du recours utile définis par le Comité au paragraphe 34 de son observation générale no°4 (2017) sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22.

15.Subsidiairement, le Comité aurait dû rejeter l’argument d’incompatibilité de la requête avec les dispositions de la Convention, avancé par l’État partie (voir par. 4.5). Le Comité a fait évoluer sa jurisprudence relative à l’article 3 de la Convention, en étendant le principe absolu de non-refoulement aux mauvais traitements tels qu’ils sont définis à l’article 16.

16.Par conséquent, dans ces circonstances précises, le requérant a épuisé les voies de recours internes utiles aux fins de la recevabilité, au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, mais n’a pas étayé ses allégations.

Annexe II

[Original : anglais]

Opinion individuelle (dissidente) de Felice Gaer

J’estime que la communication no 791/2016 est irrecevable car insuffisamment étayée. Le Comité ne pouvait conclure que le requérant n’avait pas épuisé les recours internes, en raison des très sérieux doutes exprimés par ses membres et par d’autres au sujet de l’efficacité de la procédure d’examen des risques avant renvoi appliquée au Canada. Cette question est étudiée par M. Hani dans son opinion dissidente (voir annexe I). Je note que le Canada revoit actuellement la procédure d’examen des risques avant renvoi en réaction à certaines des préoccupations exprimées au sujet de son efficacité, notamment à des griefs relatifs à sa portée, à son caractère arbitraire, au manque d’indépendance supposé des fonctionnaires qui l’appliquent, au fait que ces fonctionnaires ne sont pas suffisamment formés, et à diverses questions touchant l’observation des formes.