Nations Unies

CAT/C/67/D/775/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

4 septembre 2019

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 775/2016 * , **

Communication p résentée par :

X (représenté par un conseil, Roman Schuler)

Victime(s) présumée(s):

X

État partie :

Suisse

Date de la requête :

24 octobre 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 25 octobre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

5 août 2019

Objet :

Expulsion vers l’Éthiopie

Questions de procédure :

Néant

Questions de fond :

Non-refoulement ; torture

Article de la Convention :

3

1.1Le requérant est X, de nationalité éthiopienne, né en 1977. Il affirme que son expulsion vers l’Éthiopie constituerait une violation par l’État partie des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’État partie a fait la déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention le 2 décembre 1986. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 25 octobre 2016, le Comité contre la torture, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Éthiopie tant que la communication serait à l’examen. Le 27 octobre 2016, l’État partie a indiqué que le renvoi du requérant avait été suspendu conformément à la demande du Comité.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a grandi à Addis-Abeba. Ses parents travaillaient pour le régime Derg de Mengitsu Haile Mariam. Son père a été tué en 1979 au cours de heurts avec des combattants de la résistance de la région du Tigré. Par la suite, la mère du requérant a travaillé pour les services secrets de la dictature, ce qui lui a valu d’être emprisonnée après la chute du régime, en 1991. Elle a été torturée pendant de nombreuses années en prison et y est morte.

2.2Considérant le régime en place comme responsable de la mort de ses parents, le requérant est devenu un opposant actif au régime. En 2005, il a rejoint le parti Kinijit. Son rôle au sein de celui-ci était de mobiliser les jeunes électeurs, de recruter de nouveaux membres et de distribuer des tracts. Le parti Kinijit a remporté les élections de 2005, mais le Gouvernement a refusé d’en accepter les résultats. En signe de protestation, le requérant a jeté des pierres sur des policiers et incendié des voitures. Après cela, il a été persécuté et est entré dans la clandestinité.

2.3En octobre 2006, les services secrets éthiopiens ont retrouvé le requérant et l’ont incarcéré, d’abord à la prison de Maekelawi puis à la prison de Zone. Pendant sa détention, il a été battu et soumis à des mauvais traitements. Les coups lui ont laissé des cicatrices sur le dos. Il a été libéré en février 2007 faute de preuves.

2.4En 2009, le Gouvernement a interdit le parti Kinijit. Le requérant est alors devenu membre du parti clandestin Ginbot 7, qui avait été fondé en mai 2008 par Berhanu Nega et Andargachew Tsege, anciens membres du parti Kinijit. Ginbot 7 a établi un réseau clandestin de militants en Éthiopie et à l’étranger. Le requérant a repris les mêmes activités que celles qu’il avait menées pour le parti Kinijit. Son affiliation à Ginbot 7 lui a valu d’être placé en garde à vue plusieurs fois, mais il a été remis en liberté à chaque fois faute de preuves. Lorsque son supérieur a été emprisonné en 2013, le requérant a décidé de quitter l’Éthiopie, craignant que celui-ci soit torturé et révèle des informations le concernant. Avant de partir, le requérant a dit à sa femme de se cacher avec leurs deux enfants.

2.5Le 26 ou 27 mai 2013, le requérant a quitté l’Éthiopie en voiture en compagnie d’un passeur. Ils sont restés un mois au Soudan puis ont pris l’avion pour la Suisse. Le 28 juin 2013, le requérant est arrivé en Suisse et y a déposé une demande d’asile. Le 8 juillet et le 15 août 2013, il a été interrogé par l’Office fédéral des migrations, devenu le Secrétariat d’État aux migrations en 2015. Le 3 novembre 2015, le Secrétariat d’État a rejeté la demande d’asile du requérant. Le 14 janvier 2016, le Tribunal administratif fédéral a rendu une décision provisoire rejetant la demande d’assistance judiciaire du requérant, au motif que son recours semblait à première vue dénué de fondement. Le 30 août 2016, le Tribunal a rejeté le recours du requérant. Ce dernier ne dispose plus d’aucun recours interne.

2.6En Suisse, le requérant a continué de militer contre le Gouvernement éthiopien en participant à plusieurs événements. Le 20 novembre 2013, il a participé à une manifestation devant l’ambassade d’Arabie saoudite à Berne pour dénoncer les violences subies par les Éthiopiens en Arabie saoudite. Le 7 août 2014 et le 20 mars 2015, il a participé à des manifestations organisées à Genève contre le placement en détention du Secrétaire général de Ginbot 7. Pendant la dernière de ces manifestations, il a déchiré un drapeau du parti au pouvoir, le Front populaire de libération du Tigré, et marché en tête du cortège aux côtés d’Afework Agedew, un des dirigeants de Ginbot 7. Le 3 octobre 2015, il a assisté à la célébration du cinquième anniversaire de la chaîne de radiotélévision par satellite éthiopienne (ESAT), considérée à l’époque par le Gouvernement éthiopien comme un canal de propagande pour les groupes dissidents. À cette occasion, il a été photographié avec un prêtre dissident bien connu. Le 25 janvier 2016, il a participé à Genève à une manifestation de solidarité internationale avec les Oromos. Un enregistrement vidéo du rassemblement, diffusé sur Internet, montre le requérant au premier rang, agenouillé comme s’il était un prisonnier. Le 28 février 2016, le requérant a participé à un rassemblement pro-Ginbot 7 et a été photographié avec Ephrem Madebo, le dirigeant de Ginbot 7 aux États-Unis d’Amérique. Le 5 juin 2016, il a assisté à une collecte de fonds pour Ginbot 7 et a été photographié debout devant un pupitre à côté de M. Nega. Le 16 août 2016, il a participé à une manifestation publique organisée à Genève pour dénoncer la répression de l’opposition en Éthiopie. Le requérant verse également des contributions financières régulières à l’Organisation éthiopienne de secours et de développement en Suisse.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que l’État partie violerait ses droits en le renvoyant en Éthiopie, où il courrait un risque sérieux d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. Il affirme qu’en raison de ses activités dissidentes, il serait arrêté, très probablement à l’aéroport d’Addis-Abeba, et serait placé en détention, torturé et interrogé par des agents des services secrets éthiopiens. Ayant été torturé en Éthiopie par le passé, il courrait un risque prévisible d’y être à nouveau torturé.

3.2Dans des décisions rendues en 2007, 2010, 2012 et 2016, le Tribunal administratif fédéral a noté que les autorités éthiopiennes surveillaient les activités de la diaspora et que les militants politiques ainsi identifiés risquaient d’être arrêtés à leur arrivée en Éthiopie, à moins qu’ils n’aient clairement renié leurs activités politiques passées.

3.3Dans sa décision sur la demande d’asile du requérant, le Secrétariat d’État aux migrations a estimé que celui-ci n’avait pas fourni de réponses détaillées concernant ses activités politiques et qu’il y avait des incohérences factuelles dans son récit des événements pertinents. De plus, le Secrétariat n’a pas trouvé crédible le récit fait par le requérant de son emprisonnement. Le Tribunal administratif fédéral a estimé que le requérant n’était pas suffisamment connu pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes.

3.4Or le requérant avait informé le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral des tortures qu’il avait subies pendant sa détention. Il avait également produit des photographies des cicatrices sur son dos. La forme de ces cicatrices indique clairement qu’elles ont été causées par des coups de fouet. Malgré cela, au lieu d’ordonner un examen médical, le Tribunal a simplement déclaré que la cause des cicatrices était inconnue et que les photographies ne prouvaient pas que le requérant avait été persécuté. Le fait que son allégation selon laquelle il avait été torturé par le passé n’a pas été dûment examinée démontre que les autorités suisses n’ont pas correctement évalué le risque de torture auquel il serait exposé s’il était renvoyé en Éthiopie. Le requérant n’a pas les moyens de se soumettre à un examen médical à ses propres frais.

3.5Bien que le requérant ait déclaré lors de son entretien d’asile qu’il avait été torturé, son interlocuteur n’a pas cherché à en savoir plus et a changé de sujet. Le requérant a déclaré qu’il avait été emprisonné et torturé en 2006 et 2007. En réponse, la personne qui l’interrogeait lui a demandé s’il y avait eu d’autres événements importants et mémorables que son emprisonnement. Aucune question ne lui a été posée sur les autres fois où il avait été placé en garde à vue.

3.6Le Tribunal administratif fédéral n’a pas non plus tenu compte d’une lettre datée du 20 novembre 2015 émanant d’une antenne de Ginbot 7 aux États-Unis. Cette lettre indique entre autres que le requérant est membre du Mouvement pour la justice, la liberté et la démocratie Ginbot 7 ; qu’il prend activement part à l’action menée par le Mouvement pour défendre la démocratie en Éthiopie ; et que Ginbot 7 ne doute pas que si le requérant est forcé par la Suisse à retourner en Éthiopie, il souffrira gravement aux mains des agents d’un régime répressif qui a dépensé des millions de dollars pour espionner les sympathisants et les membres de Ginbot 7. Cette lettre indique également que les membres de Ginbot 7 sont vulnérables et ont besoin d’être protégés contre les persécutions systématiques du Gouvernement éthiopien, qui utilise l’espionnage pour surveiller les Éthiopiens dissidents vivant à l’étranger. Le requérant soutient que, bien que l’antenne de Ginbot 7 aux États‑Unis ne fournisse de telles lettres qu’aux adhérents de longue date et non aux simples sympathisants du mouvement, le Tribunal n’a pas tenu compte de cet élément de preuve crucial lorsqu’il a statué sur le recours du requérant.

3.7Il convient d’être prudent avant de tirer toute conclusion défavorable des incohérences entre les déclarations faites par le requérant pendant l’entretien préliminaire et celles faites pendant l’entretien sur le fond dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile, car les demandeurs d’asile ont pour consigne de s’en tenir à des explications succinctes lors de l’entretien préliminaire. En tout état de cause, le requérant a fait un compte rendu détaillé, cohérent et crédible de ses activités politiques en Éthiopie, de son arrestation, de sa détention et des persécutions qui ont suivi. Il a également produit des preuves démontrant que les activités politiques qu’il a menées en Suisse lui ont conféré suffisamment de visibilité pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes.

3.8Les autorités suisses ont tiré des conclusions défavorables du fait que le requérant était resté en Éthiopie après sa libération de prison et s’était rendu plusieurs fois en Thaïlande pour des raisons professionnelles, mais ces circonstances n’ôtent rien à la crédibilité du requérant en ce qui concerne son emprisonnement et sa persécution. Le requérant est resté en Éthiopie parce qu’il y était politiquement actif et souhaitait voir des changements se produire dans son pays. Il a déclaré à plusieurs reprises au cours de ses entretiens qu’il n’avait pas voulu quitter l’Éthiopie, bien qu’il ait eu des démêlés avec les autorités à plusieurs occasions. Il n’a quitté le pays qu’après l’arrestation de son supérieur parce qu’il craignait d’être persécuté.

3.9Contrairement à ce qu’a conclu le Secrétariat d’État aux migrations, le requérant n’a pas été vague quant à l’origine de ses problèmes en Éthiopie. Il a clairement expliqué qu’en 2005, il avait participé à des manifestations contre le Gouvernement au cours desquelles il avait lancé des pierres sur les policiers et incendié des voitures. Il a également déclaré qu’il pensait que le Gouvernement était responsable de la mort de ses parents. Bien qu’il ait sympathisé avec l’opposition depuis la mort de sa mère en 1991, il n’a commencé à lutter activement contre le régime qu’en 2005.

3.10Les autorités suisses ont estimé que le requérant n’avait pas suffisamment décrit l’organisation et la structure du parti Kinijit, mais il a expliqué devant le Tribunal administratif fédéral qu’il n’avait pas compris la question posée à ce sujet lors de son entretien de demande d’asile. Il avait toutefois fourni à la personne qui l’interrogeait des renseignements sur les origines et les objectifs du parti, ainsi que les noms des dirigeants de celui-ci.

3.11Bien que les autorités suisses n’aient pas jugé crédible que le requérant n’ait pas de contacts au sein de Ginbot 7, il a expliqué en deux occasions que le fait que son seul contact au sein du parti ait été son supérieur et qu’il n’ait jamais rencontré les autres membres de son groupe était tout à fait normal eu égard à la structure hiérarchique du parti.

3.12Enfin, le Secrétariat d’État aux migrations a estimé à tort que le requérant avait fait des déclarations contradictoires quant à la raison de son départ. Bien que le requérant ait alternativement déclaré lors de l’entretien préliminaire qu’il avait quitté l’Éthiopie parce que son supérieur hiérarchique et son ami avaient été emprisonnés, il parlait en fait de la même personne.

3.13Plusieurs organisations non gouvernementales ont indiqué que les autorités éthiopiennes avaient déclaré Ginbot 7 organisation terroriste et que les membres de groupes dissidents étaient surveillés et pris pour cible par ces autorités. Selon le Département d’État des États-Unis, de nombreux dirigeants du parti d’opposition ont été maltraités en détention. LandInfo indique dans un rapport qu’en 2009 de nombreux membres de Ginbot 7 ont été arrêtés en vertu d’une loi antiterroriste et que cinq d’entre eux ont été condamnés à mort. Le requérant affirme que le 30 juin 2014, le Secrétaire général de Ginbot 7, M. Tsege, a été arrêté au Yémen et extradé vers l’Éthiopie, où il a été drogué et torturé par des agents des services secrets éthiopiens. La situation en Éthiopie est devenue de plus en plus instable depuis le mois d’août 2016, pendant lequel au moins 100 personnes ont été tuées lors de manifestations politiques. Les rapports susvisés montrent que les opinions dissidentes sont durement réprimées en Éthiopie et que le requérant court un risque réel de préjudice irréparable s’il est renvoyé dans ce pays.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans ses observations datées du 25 avril 2017, l’État partie reconnaît que la situation des droits de l’homme en Éthiopie est préoccupante à bien des égards. Toutefois, cette situation ne suffit pas en soi à établir que le requérant risque d’être soumis à la torture à son retour en Éthiopie. Le requérant n’a pas fourni d’éléments de preuve établissant l’existence d’un tel risque.

4.2Toute torture subie par le requérant dans le passé doit être prise en compte dans l’évaluation du risque de torture auquel il serait exposé s’il était renvoyé en Éthiopie. Toutefois, les allégations du requérant concernant les mauvais traitements qu’il aurait subis ne sont pas plausibles. Premièrement, la description de ses activités politiques qu’il a faite pendant la procédure d’asile était très vague et incohérente et son allégation selon laquelle il aurait été détenu en raison de ces activités n’est donc pas crédible non plus. Les allégations du requérant concernant sa détention sont contredites par le fait que, selon les déclarations qu’il a faites pendant la procédure d’asile, il serait resté en Éthiopie pendant six ans après sa remise en liberté sans être à nouveau inquiété par les autorités. En outre, il a affirmé avoir quitté l’Éthiopie et y être rentré à plusieurs reprises en 2011 avec un passeport en cours de validité sans être inquiété par les autorités. Étant donné que ses allégations ne sont pas crédibles, les cicatrices qu’il présente sur le dos, dont on ignore l’origine, ne constituent pas une preuve du bien-fondé de ses griefs.

4.3Les autorités de l’État partie n’ont pas ordonné d’examen médical pour déceler des traces de torture parce que le récit du requérant était manifestement infondé et incohérent. Selon la jurisprudence des autorités nationales, les demandeurs d’asile doivent participer à l’établissement des faits ; or, en l’espèce, le requérant n’a pas présenté de rapport médical à l’appui de ses allégations. Étant représenté par un avocat et affilié à l’assurance maladie obligatoire, il lui était possible de présenter un rapport médical aux autorités suisses.

4.4L’affirmation du requérant selon laquelle il n’a pas eu la possibilité d’expliquer en détail les mauvais traitements qu’il aurait subis est inexacte. Après la partie de l’entretien d’asile évoquée par le requérant, la personne qui l’interrogeait est revenue sur la détention du requérant et lui a posé plusieurs questions à ce sujet. À la fin de l’audition, le requérant a été expressément invité à compléter son récit. De plus, s’il estimait qu’il n’avait pas été en mesure de fournir suffisamment de détails au cours de l’entretien, il avait la possibilité de le faire tant dans le cadre de son recours devant le Tribunal administratif fédéral que dans la communication à l’examen ; or il ne l’a pas fait. Son récit est succinct et ne contient aucune description des mauvais traitements qu’il affirme avoir subis, ni des circonstances qui les ont entourés.

4.5Alors que le requérant affirme avoir été arrêté plusieurs fois après sa remise en liberté en 2007, il a déclaré au cours de la procédure d’asile qu’après sa remise en liberté il ne craignait plus les autorités parce qu’elles ne savaient pas où il se cachait. Il s’agit là d’une contradiction manifeste concernant un aspect essentiel de ses griefs.

4.6La description faite par le requérant de ses activités politiques en Éthiopie est vague et évasive. Lorsqu’on lui a demandé de donner des précisions sur les activités qu’il avait menées pour le parti Kinijit, le requérant a expliqué qu’il avait participé à de nombreuses manifestations, mobilisé de jeunes partisans et dirigé différentes activités. Cette description est superficielle. Lorsqu’on lui a demandé de décrire la structure du parti Kinijit, il a d’abord répondu que lorsque le parti avait été créé par des Éthiopiens vivant aux États‑Unis, il en ignorait tout. Bien qu’on lui ait posé plusieurs questions à ce sujet, il n’a pas été en mesure de donner une réponse concrète. Il a simplement déclaré, lorsqu’on l’a interrogé sur la structure du parti, qu’une élection aurait lieu après l’arrivée des États-Unis des membres officiels de celui-ci. Le caractère imprécis et évasif de ses réponses donne fortement l’impression qu’il n’a pas vécu les activités politiques qu’il évoque. Bien qu’il ait donné le nom des dirigeants du parti, il n’a pas été en mesure de fournir une description substantielle de la structure de celui-ci ou de ses activités.

4.7En ce qui concerne son action au sein de Ginbot 7, le requérant a d’abord déclaré avoir rencontré des membres de son groupe et mené des activités avec eux. Par contre, lors de son deuxième entretien d’asile, il a affirmé n’avoir eu de contacts qu’avec un membre de Ginbot 7. Interrogé sur cette contradiction apparente, il a expliqué qu’il avait été mal compris lors du premier entretien. Or cette explication n’est pas convaincante, car il avait expressément déclaré lors de ce premier entretien qu’il avait agi avec son groupe au sein de Ginbot 7.

4.8En ce qui concerne les activités politiques du requérant en Suisse, si l’État partie reconnaît que les autorités éthiopiennes ont récemment renforcé la surveillance des opposants politiques vivant à l’étranger, il souligne que ces autorités s’intéressent essentiellement aux personnes qui, outre qu’elles participent aux manifestations politiques ordinaires organisées à l’étranger, occupent des fonctions ou mènent des activités qui les désignent comme des opposants sérieux et potentiellement dangereux pour le régime. Or le requérant n’entre pas dans cette catégorie. Sa participation à des manifestations en Suisse relève d’un militantisme marginal et n’indique pas qu’il serait considéré par le régime éthiopien comme un opposant sérieux et potentiellement dangereux. Les photographies qu’il a produites de sa participation à ces manifestations ne le montrent pas dans une situation qui l’exposerait particulièrement et ne prouvent pas qu’il est un militant de premier plan. Hormis sa participation à ces événements et l’affiliation à Ginbot 7 qu’il allègue, les documents qu’il a produits ne démontrent pas qu’il se soit livré à une activité politique particulière. La lettre indiquant qu’il est membre de Ginbot 7 est une copie ; il n’en a pas fourni l’original et n’a donc pas prouvé qu’il était membre de ce parti.

4.9Le requérant cite une décision rendue en 2016 par le Tribunal administratif fédéral constatant un renforcement de la répression et de la surveillance dont faisaient l’objet les militants éthiopiens appartenant à l’opposition et vivant à l’étranger. Or l’affaire en cause dans cette décision de 2016 n’est pas comparable à celle du requérant, car dans cette affaire le requérant avait démontré de manière plausible que les autorités éthiopiennes s’intéresseraient à lui en raison des activités politiques qu’il avait menées en Éthiopie avant son départ. Ça n’est pas le cas en l’espèce.

4.10Tout au long des deux entretiens d’asile, le requérant s’est exprimé de manière très superficielle et souvent évasive. Lorsqu’on lui a demandé de décrire les persécutions qu’il avait subies, il a d’abord déclaré que ses problèmes avaient commencé en 2004 ou 2005, sans toutefois pouvoir apporter de précisions. Invité à en dire plus sur l’origine de ces problèmes, il a simplement déclaré qu’il était impossible de fréquenter l’école ou l’université sans être membre du parti au pouvoir et que l’approbation du régime était nécessaire pour obtenir un permis de travail. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi il avait déclaré que ses problèmes avaient commencé en 2004 ou 2005, il a répondu qu’il était devenu dissident parce qu’il avait perdu ses parents à cause du régime en place. Cette réponse n’explique pas pourquoi ses problèmes ont commencé en 2004 ou 2005 étant donné que, comme il l’a indiqué lors du premier entretien d’asile, ses parents sont morts en 1979 et 1995, respectivement. Pour toute description des problèmes en question, le requérant a affirmé avoir jeté des pierres et mis le feu à des voitures et à des autobus. La personne qui l’interrogeait a répété la question sur l’origine de ses problèmes. Le requérant a répondu que les élections avaient commencé. Lorsque la même question lui a de nouveau été posée, il a répondu qu’il détestait la situation politique, qui avait causé la mort de ses parents, et qu’il voulait renverser le régime. Il est clair que le requérant n’était pas en mesure de répondre aux questions concernant les problèmes qu’il affirmait avoir rencontrés.

4.11Outre les contradictions susmentionnées, le récit qu’a fait le requérant de l’arrestation de son supérieur était également incohérent. Lors du premier entretien, le requérant a affirmé qu’un de ses amis avait été arrêté et avait disparu. Il a ajouté qu’en détention celui-ci avait été battu et avait divulgué des informations confidentielles sur leur organisation. Par la suite, lorsque son supérieur avait été arrêté, il avait décidé de fuir l’Éthiopie. Par contre, au cours du deuxième entretien, le requérant a déclaré qu’une seule personne avait été arrêtée. Interrogé sur cette contradiction, il a déclaré qu’il ne parlait pas de lui-même. Il semble qu’il ait ainsi tenté d’éluder la question. La personne qui l’interrogeait a ensuite répété la question, lui demandant qui exactement avait été arrêté. Le requérant a répondu qu’un collègue de travail avait également été détenu. Invité à donner des précisions à ce sujet, il a ajouté qu’il avait appris cette arrestation et avait quitté le pays. Ces déclarations ne sont manifestement pas crédibles.

4.12De même, les déclarations du requérant concernant sa famille ne sont pas convaincantes. Le requérant n’a pas été en mesure de fournir des renseignements sur sa femme et ses enfants. Il a déclaré qu’avant de quitter l’Éthiopie, il avait dit à sa femme de se cacher et qu’il n’avait pas su comment la contacter par la suite. Il n’a pas été en mesure de fournir davantage de détails. Invité à décrire les discussions qu’il avait eues avec son épouse avant son départ d’Éthiopie, il a éludé la question et déclaré qu’à ce moment-là, sa vie était en danger et qu’il voulait quitter l’Éthiopie au plus vite. Il aurait seulement dit à sa femme qu’elle devait se cacher. Ces déclarations sont évasives et peu convaincantes. Il est également peu plausible que le requérant n’ait eu aucune idée de la manière dont il pouvait entrer en contact avec sa femme.

4.13Le requérant n’a pas été en mesure de décrire son voyage en voiture d’Addis-Abeba à Khartoum, à l’exception d’une nuit passée à Gondar (Éthiopie) et de son passage de la frontière à pied. Il n’a pas non plus pu donner de détails sur le vol qu’il avait pris entre Khartoum et la Suisse. Il a remis aux autorités suisses une carte d’identité délivrée le 5 août 2013, après son départ d’Éthiopie. Il a affirmé qu’il avait laissé la carte dans un vidéoclub avant de quitter l’Éthiopie, et que des amis étaient allés la chercher là-bas. Invité à donner des précisions à ce sujet, il a répondu par des déclarations très confuses.

4.14Compte tenu de ce qui précède, rien ne permet de conclure que le renvoi du requérant en Éthiopie constituerait une violation des obligations incombant à l’État partie au titre de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant le fond

5.1Dans ses commentaires en date des 7 juin 2017, 25 janvier 2018, 8 juin 2018 et 20 mars 2019, le requérant indique que grâce à une aide financière, il a pu passer un examen médical visant à déceler des traces de torture. Il produit un rapport daté du 10 mai 2017 d’un médecin généraliste indiquant qu’il a été examiné le 2 mai 2017. Il est également indiqué dans ce rapport que le requérant a affirmé avoir été frappé « à coups de crosse à la tête » et fouetté plusieurs fois dans le dos avec des câbles électriques. Il y est aussi indiqué qu’« on constate la présence de 10 cicatrices longilignes, perpendiculaires à la colonne vertébrale et longues de 10 et 15 cm. Ces cicatrices sont situées entre la partie inférieure et la partie moyenne de la colonne thoracique et ne sont pas actuellement irritées. On observe également une petite cicatrice à l’extrémité de l’omoplate gauche ainsi qu’une longue cicatrice sur le côté avant gauche qui provient du coup de crosse. À la fin de la consultation, [le requérant] a déclaré de façon crédible que les tortures qu’il avait subies en 2006 l’affectaient encore beaucoup et qu’il aimerait s’occuper de sa femme et de ses enfants. Les cicatrices constatées correspondent à la description donnée par [le requérant]. Le mal de dos décrit ne peut être avéré. ». Ce rapport pose également un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique. Le requérant fait valoir qu’il étaye ses allégations de torture.

5.2Le requérant produit également un deuxième rapport médical, daté du 14 décembre 2017, et sa traduction. Il affirme que le médecin qui a rédigé ce rapport était un consultant de longue date de la Croix-Rouge suisse pour les victimes de torture et donc un spécialiste de l’examen des traces de torture. Selon la traduction du rapport, ce médecin a constaté la présence de huit cicatrices incurvées, palpables et rougeâtres entre les vertèbres thoraciques inférieures et le sacrum, centrées au-dessus de la colonne, d’environ 4 à 6 cm de long et d’une largeur maximale de 5 mm. Il a conclu qu’elles étaient « typiques des cicatrices laissées par des coups portés au moyen de câbles » et concordaient avec le témoignage du requérant qui affirmait avoir été « fouetté avec des câbles électriques » en 2007. Le requérant réaffirme que les autorités suisses ne se sont pas acquittées de leur obligation d’établir tous les faits pertinents, y compris en ordonnant un examen médical pour déceler des traces de torture.

5.3En réponse aux observations de l’État partie concernant sa décision de rester en Éthiopie pendant six ans après sa remise en liberté, le requérant affirme que les autorités ignoraient où il se trouvait pendant cette période parce qu’il vivait caché et avait changé plusieurs fois de lieu de résidence. Il a mené ses activités politiques clandestinement, de sorte que le régime n’a pas pu retrouver sa trace. Cela explique également pourquoi il a pu quitter l’Éthiopie et y revenir en toute sécurité plusieurs fois en 2011. Ce n’est que lorsque le chef de son groupe a été arrêté la même année que le requérant a commencé à craindre d’être persécuté. Auparavant, les autorités n’avaient aucune preuve contre lui.

5.4Le requérant conteste l’argument de l’État partie selon lequel les réponses qu’il a données lors des entretiens d’asile n’étaient pas suffisamment détaillées. Son récit des tortures qu’il a subies est détaillé et il était du devoir des autorités suisses de poser des questions supplémentaires si elles estimaient que ses réponses étaient trop brèves. Or ces autorités n’ont pas posé de questions précises mais ont souvent changé de sujet à des moments cruciaux. Le requérant a également décrit à plusieurs reprises ses activités politiques en Éthiopie mais il n’a pas été invité à fournir davantage de détails. On ne saurait donc lui reprocher d’avoir donné des réponses évasives ou vagues à ce sujet. Il a répondu de manière assez précise aux questions concernant l’organisation de Ginbot 7, et il n’a pu donner plus de détails parce que les informations sur l’organisation interne du parti n’étaient pas communiquées aux membres ordinaires comme lui. Le requérant fait valoir qu’il ne s’est pas contredit ; il a expliqué plusieurs fois qu’il était un militant et un membre de Ginbot 7 mais qu’il n’avait pas de contacts directs avec ses dirigeants. Ginbot 7 s’était doté d’une structure hiérarchique afin de protéger ses membres.

5.5En réponse à l’observation de l’État partie selon laquelle la lettre attestant de son affiliation à Ginbot 7 n’est qu’une copie, le requérant produit une lettre originale distincte, établie le 11 juin 2017 par un représentant de l’antenne de Ginbot 7 aux États-Unis. L’auteur de cette lettre rappelle que le requérant est un membre actif de Ginbot 7 et qu’à ce titre il participe à des réunions et des manifestations, collecte des fonds et verse des contributions financières.

5.6Le requérant affirme qu’il a intensifié ses activités politiques en Suisse et que ces activités, par leur fréquence et leur importance, ont sans aucun doute attiré l’attention des autorités éthiopiennes. Il explique que ses tâches au sein de Ginbot 7 consistent notamment à assurer la sécurité, à recruter de nouveaux membres, à inviter les membres à des événements politiques, à remplacer le chef du parti cantonal lors des réunions mensuelles, à participer à des débats et à distribuer des tracts. Le requérant a également signé une pétition en ligne concernant un projet de loi aux États-Unis en faveur de la démocratisation de l’Éthiopie.

5.7Le requérant produit une lettre datée du 26 janvier 2017 émanant du Secrétaire de l’Ethiopian Human Rights and Democracy Task Force en Suisse, dans laquelle celui-ci déclare que le requérant est un membre actif depuis 2015 et qu’il a participé à diverses manifestations publiques. En particulier, il a participé le 11 février 2017 à une réunion de collecte de fonds pour Ginbot 7 et l’Ethiopian Human Rights and Democracy Task Force à Fribourg (Suisse). Il a également aidé à organiser une téléconférence avec M. Nega via Skype le 11 février 2017 sur la situation actuelle en Éthiopie. Il a organisé le transport en autocar, contacté les participants et aidé à assurer la sécurité pendant le débat.

5.8Le 6 mai 2017, le requérant est apparu à une conférence annuelle organisée par l’Ambassadeur d’Éthiopie en Suisse, à sa résidence à Genève. Le but de cette réunion était de débattre des questions politiques actuelles en Éthiopie et l’Ambassadeur y avait invité des représentants régionaux du Front populaire de libération du Tigré. Officiellement, l’événement était ouvert à tous les Éthiopiens, mais il avait été clairement indiqué que seuls les sympathisants du Gouvernement étaient les bienvenus. Un groupe de dissidents, dont faisait partie le requérant, a été expulsé de la salle. Trois personnes ont été blessées pendant la confrontation et les coordonnateurs de la conférence ont appelé la police. La police a interrogé le requérant et huit autres dissidents et leur a demandé de décliner leur identité et de présenter leurs papiers. Le requérant ne sait pas si les membres du Front populaire de libération du Tigré ont porté plainte contre lui suite à cet incident. Le requérant a été interviewé au sujet de celui-ci à la radio de l’ESAT le 8 mai 2017. L’interview en langue amharique est disponible sur Internet et le requérant en fournit une transcription.

5.9En réponse à l’affirmation de l’État partie selon laquelle on ne le voit pas dans l’enregistrement vidéo de la conférence à la résidence de l’Ambassadeur, le requérant fait valoir qu’il a demandé un rapport à la police genevoise afin de prouver sa présence à cet événement. Il produit ce rapport, daté du 28 janvier 2019, qui indique que la police a été appelée par un représentant du consulat éthiopien. Le requérant a fait l’objet d’un contrôle d’identité, et a été nommément identifié puis escorté du consulat à la gare. Il produit également un autre enregistrement vidéo le montrant devant le consulat le 6 mai 2017.

5.10Le personnel du consulat ayant identifié le requérant comme un opposant au Gouvernement éthiopien, ce dernier ne le considérera certainement pas comme un dissident ordinaire, comme le prétend l’État partie. Aux termes de l’article 241 du Code pénal éthiopien, quiconque porte atteinte à l’intégrité territoriale politique de l’État est passible de dix à vingt-cinq ans d’emprisonnement. Le requérant ne peut espérer bénéficier d’une amnistie dans une situation aussi grave, même si la situation politique en Éthiopie a changé en 2018.

5.11Le 22 mai 2017, le requérant a aidé à organiser et coordonner une manifestation qui s’est tenue devant l’Office des Nations Unies à Genève. Les manifestants s’opposaient à la candidature de Tedros Adhanom au poste de Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé, affirmant qu’il était responsable de la mort de nombreux Éthiopiens innocents. Des vidéos de cette manifestation ont été publiées sur Facebook. Après l’événement, le requérant a été interviewé pendant une dizaine de minutes par la radio suisse Kanal K, une station locale du canton d’Argovie. Un enregistrement de l’interview en langue amharique peut être produit sur demande.

5.12Le 18 juin 2017, le requérant et M. Nega ont pris part à une réunion de Ginbot 7 à Berne. Le requérant était chargé de la sécurité et portait un gilet orange permettant de l’identifier. Il fournit une photographie censée le montrer en compagnie de M. Nega. Le 4 novembre 2017, le requérant a assisté à la fête annuelle de l’ESAT à Bâle (Suisse) et produit une photographie censée l’y représenter en compagnie d’un journaliste.

5.13En outre, par une décision rendue le 30 janvier 2019 dans une autre affaire, le Tribunal administratif fédéral a accordé l’asile à un demandeur éthiopien en concluant que, malgré l’évolution positive de la situation en Éthiopie, il était actuellement impossible de prévoir dans quelle mesure les réformes engagées par le nouveau Premier Ministre seraient durables et qu’il n’était nullement certain que la situation des droits de l’homme et donc la manière dont étaient traités les opposants politiques et les personnes en exil politiquement actives en Éthiopie se soient améliorées à long terme. Les faits de la présente affaire sont similaires. Dans un cas comme dans l’autre, le requérant est un membre de l’opposition qui a été emprisonné et torturé avant de quitter l’Éthiopie et qui est passé dans des émissions de l’ESAT alors qu’il était en Suisse. Le requérant risque donc toujours d’être persécuté en Éthiopie.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans des observations complémentaires en date des 27 novembre 2017, 15 février 2018 et 7 mars 2019, l’État partie fait valoir que le premier rapport médical produit par le requérant indique simplement que celui-ci a subi un traumatisme mais n’établit pas dans quelles circonstances. Tous les traumatismes ne sont pas causés par des actes de torture ou des mauvais traitements. Les cicatrices du requérant sont mentionnées dans le premier rapport, mais seul un médecin légiste est compétent pour constater des traces de torture. Or le médecin qui a rédigé le premier rapport est un médecin généraliste et non un spécialiste ou un psychiatre ; ce rapport n’a donc qu’une valeur probante limitée. L’État partie réaffirme qu’étant donné les incohérences dans le récit du requérant, un examen médical aurait été superflu aux fins de la procédure d’asile. En outre, même si les cicatrices en question résultent de blessures délibérément infligées au requérant, cela ne prouve nullement que les mauvais traitements sont le fait d’acteurs étatiques ou quasi étatiques. Le deuxième rapport médical établit seulement que le requérant a subi des mauvais traitements à un moment indéterminé. Il ne prouve pas que ces mauvais traitements lui ont été infligés par les autorités éthiopiennes. De même, le diagnostic de syndrome de stress post‑traumatique ne prouve pas non plus que le requérant a subi des mauvais traitements.

6.2L’État partie relève de nouveau que, selon ses dires, le requérant a pu rester en Éthiopie en toute sécurité pendant six ans après qu’il aurait été détenu et torturé en 2006 et 2007, et qu’il a quitté l’Éthiopie plusieurs fois en 2011 mais a choisi d’y retourner. Cela étant, il n’y a aucune raison de conclure que le requérant risquerait d’être torturé en Éthiopie.

6.3Bien que le requérant mentionne plusieurs activités politiques qu’il a menées récemment en Suisse, celles-ci ne suffisent pas pour établir que sa crainte d’être persécuté en Éthiopie est fondée. L’État partie réaffirme que le requérant n’a pas démontré que ses activités politiques l’exposaient particulièrement et qu’il n’est donc pas possible de conclure qu’il aurait attiré l’attention des autorités éthiopiennes et serait considéré comme représentant un danger concret pour le régime actuel. La lettre de l’Ethiopian Human Rights and Democracy Task Force est une lettre de complaisance et ne démontre pas, même avec les photographies, un engagement politique « visible ». La participation alléguée du requérant aux réunions de Ginbot 7 les 7 et 18 juin 2017 et à la fête annuelle de l’ESAT le 4 novembre 2017 ne constitue pas des activités politiques de premier plan. Les émissions radiophoniques de l’ESAT et de Kanal K étaient relativement brèves et comprenaient de nombreuses interviews. Le requérant ne s’est pas distingué des autres personnes passées à l’antenne et il est peu probable que sa participation aux émissions de l’ESAT ait suscité l’intérêt des autorités éthiopiennes. Il est également peu probable que les autorités éthiopiennes aient eu connaissance de l’émission de Kanal K, diffusée sur une station de radio suisse locale. Qui plus est, le requérant n’a pas rapporté la preuve qu’il a été interviewé pour cette émission.

6.4Le requérant n’est pas visible sur l’enregistrement vidéo de la conférence tenue à la résidence de l’Ambassadeur le 10 mai 2017. Il n’est donc pas certain qu’il y ait participé. Il n’a produit aucune preuve attestant qu’il avait été identifié par la police de Genève ou par le personnel de sécurité de l’ambassade.

6.5La nouvelle lettre émanant de Ginbot 7 semble être une lettre de complaisance et ne prouve pas que le requérant est membre de Ginbot 7. Il est fréquent que de faux documents de cette nature soient produits. Cette lettre n’indique pas à quelle date le requérant aurait adhéré à ce parti ni ne décrit en détail ses activités au sein de celui-ci. De plus, elle diffère considérablement de la lettre de Ginbot 7 datée du 20 novembre 2011 sur plusieurs points importants, à savoir le logo, la désignation et l’adresse e-mail du parti.

6.6Le rapport de police du 28 janvier 2019 indique seulement que la police genevoise connaît l’identité du requérant. Il ne démontre pas que les autorités éthiopiennes en ont également connaissance. De même, l’enregistrement vidéo produit par le requérant ne constitue pas une preuve de ses allégations.

6.7Même si les autorités éthiopiennes connaissent l’existence du requérant, l’évolution récente de la situation politique dans le pays donne à penser que s’il y retournait, le requérant ne serait pas soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Depuis son entrée en fonctions en avril 2018, le Premier Ministre, Abiy Ahmed, a mené ou annoncé des réformes dans de nombreux domaines, notamment en ce qui concerne le traitement des dissidents. Le Gouvernement éthiopien a appelé les dissidents exilés à revenir en Éthiopie et à participer au processus politique, et des dissidents, d’anciens rebelles et des journalistes sont rentrés en Éthiopie depuis avril 2018. Un exemple bien connu est celui de Feyisa Lilesa, qui avait demandé l’asile aux États-Unis après avoir fait un geste de protestation politique aux Jeux olympiques de 2016 au Brésil. Le 21 octobre 2018, il est rentré en Éthiopie, où il a été accueilli à l’aéroport, notamment par le Ministre des affaires étrangères. Depuis la fin de l’état d’urgence en juin 2018 et le rétablissement de l’accès aux sites Internet, aux stations de radio et aux chaînes de télévision qui critiquent le Gouvernement, l’espace politique s’est ouvert. En juin 2018, le Gouvernement a autorisé l’accès à 264 sites Web qui avaient été bloqués, parmi lesquels celui de l’ESAT, administré depuis les États-Unis.

6.8Depuis avril 2018, des milliers de prisonniers politiques ont été libérés et la prison de Maekelawi, connue comme un lieu où les détenus étaient torturés, a été fermée. M. Ahmed, ancien haut fonctionnaire de l’Agence de sécurité des réseaux d’information, a procédé à des réformes visant à modifier les pratiques et la structure de l’Agence. En juin 2018, la Direction du Service national du renseignement et de la sécurité a été dissoute. Le 12 novembre 2018, des mandats d’arrêt ont été délivrés contre 36 agents de la sécurité nationale, qui ont dû comparaître devant la Haute Cour fédérale d’Addis-Abeba pour répondre d’accusations de mauvais traitements infligés à des détenus. De plus, le Ministre de la justice, Berhanu Segaye, a annoncé que l’ancienne direction du Service national du renseignement et de la sécurité était responsable d’une attaque contre le Premier Ministre le 23 juin 2018. Le 15 novembre 2018, Yared Zerihun, ancien directeur par intérim du Service national du renseignement et de la sécurité, et Gudeta Olana, ancien chef de la sécurité de l’entreprise publique Ethio Telecom, ont été arrêtés.

6.9Le dirigeant de Ginbot 7, M. Tsege, détenu depuis 2014 et condamné à mort, a été gracié et libéré en mai 2018, en même temps que 575 autres détenus. M. Tsege est ensuite retourné au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, où vit sa famille. De même, la condamnation à mort de M. Nega, qui vit en exil, a été annulée.

6.10Le 22 juin 2018, Ginbot 7 a annoncé qu’il déposait les armes compte tenu des réformes annoncées par le nouveau gouvernement. Début juillet 2018, Ginbot 7 et deux autres organisations ont été retirés de la liste des organisations terroristes établie par le Gouvernement éthiopien et, en septembre 2018, M. Nega a déclaré que Ginbot 7 poursuivrait désormais ses objectifs politiques par des moyens pacifiques.

6.11Fin août 2018, le Gouvernement éthiopien a annoncé la conclusion d’un accord avec différents partis d’opposition, dont Ginbot 7, et la création d’une entité chargée de coordonner le désarmement, la démobilisation et la réintégration des anciens combattants. Début septembre 2018, plusieurs médias ont rapporté que des centaines d’anciens combattants de Ginbot 7 avaient quitté leur base en Érythrée et étaient rentrés en Éthiopie, où les communautés et les autorités locales les avaient bien accueillis.

6.12Le 9 septembre 2018, M. Nega est rentré en Éthiopie, où il a été accueilli par un ministre et d’autres représentants du Gouvernement. Des milliers de personnes, y compris des partisans de Ginbot 7, se sont rassemblées dans le centre d’Addis-Abeba et dans le stade national pour célébrer son retour. M. Nega a annoncé que des débats seraient organisés dans tout le pays pour définir des moyens d’action pacifiques pour l’avenir.

6.13Le retour des dirigeants de Ginbot 7 s’est fait sans violences. Dans l’État d’Oromia, des milliers de personnes leur ont souhaité la bienvenue en brandissant l’ancien drapeau éthiopien, qui avait été utilisé lors des manifestations contre le précédent régime. Aucune mesure n’a été prise contre les participants, alors qu’en mars 2018, 12 militants avaient été arrêtés pour avoir brandi ce drapeau. M. Nega lui-même a déclaré que la situation en Éthiopie avait fondamentalement changé depuis la nomination de M. Ahmed comme Premier Ministre. Il n’existe donc aucun risque de torture ou de mauvais traitements pour les membres ou les sympathisants de Ginbot 7 en Éthiopie, ou pour les personnes qui rentrent dans ce pays.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Par conséquent, le Comité ne voit aucun obstacle à la recevabilité et déclare la communication recevable.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Il s’agit pour le Comité de déterminer si le renvoi du requérant en Éthiopie constituerait une violation de l’obligation qui incombe à l’État partie au titre de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser, refouler ni extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

8.3En l’espèce, le Comité doit déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture à son retour en Éthiopie. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé serait personnellement exposé à un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, selon laquelle l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Il rappelle que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ; c) un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) les actes de torture subis antérieurement ; e) la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; f) la fuite clandestine du pays d’origine suite à des menaces de torture ; g) l’appartenance religieuse ; et h) les violations du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

8.5Le Comité rappelle également que la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments circonstanciés montrant que le danger d’être soumis à la torture est prévisible, actuel, personnel et réel. Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans une situation dans laquelle il n’est pas en mesure de donner des précisions, par exemple lorsqu’il a démontré qu’il n’avait pas la possibilité d’obtenir les documents concernant ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de liberté, la charge de la preuve est inversée et il incombe à l’État partie concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les renseignements sur lesquels est fondée la communication. Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas tenu par ces constatations et apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.

8.6Le Comité note que le requérant affirme qu’il craint d’être arrêté à son arrivée en Éthiopie et torturé en raison de ses liens avec Ginbot 7 et le devancier de celui-ci, le parti Kinijit. Il prend aussi note des allégations du requérant selon lesquelles il a été emprisonné en octobre 2006 et torturé en raison de ses activités pour le parti Kinijit avant d’être libéré en février 2007. Il prend également note des allégations du requérant selon lesquelles il a été placé plusieurs fois en garde à vue en raison de ses activités pour Ginbot 7 et a quitté l’Éthiopie en 2013 parce qu’il craignait d’être dénoncé à la police par son supérieur hiérarchique. Il note également que le requérant affirme avoir poursuivi en Suisse ses activités au sein de Ginbot 7. Il note en outre que le requérant fait valoir que l’évaluation de sa crédibilité par les autorités suisses compétentes en matière d’asile était erronée dans la mesure où sa description des événements pertinents était détaillée et cohérente ; que les autorités suisses auraient dû ordonner un examen médical visant à déceler des traces de torture étant donné qu’il avait produit des photographies des cicatrices sur son dos ; que les autorités éthiopiennes ont désigné Ginbot 7 comme une organisation terroriste et s’en prennent aux membres des groupes dissidents ; et qu’il est suffisamment en vue pour attirer l’attention de ces autorités. Le Comité prend également note des divers documents que le requérant a produits pour étayer ses allégations, notamment des rapports médicaux, des lettres de Ginbot 7 et des photographies de ses activités politiques.

8.7De plus, le Comité note que l’État partie fait valoir que le récit qu’a fait le requérant de sa détention et des tortures qu’il aurait subies était vague et évasif et n’est donc pas crédible. Il note également que l’État partie fait observer que le requérant a affirmé avoir quitté l’Éthiopie plusieurs fois en 2011 avec un passeport en cours de validité et a pu y revenir sans être inquiété par les autorités. Il prend aussi note de la position de l’État partie selon laquelle les activités du requérant en Suisse ne permettent pas de conclure qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il retournait en Éthiopie. Il note que, selon l’État partie, les conditions de vie des dissidents en Éthiopie se sont considérablement améliorées depuis que M. Ahmed est devenu Premier Ministre en avril 2018. À cet égard, il prend note des observations de l’État partie selon lesquelles, en 2018, le Gouvernement éthiopien a levé l’interdiction frappant Ginbot 7 et accueilli les dissidents exilés de retour dans le pays.

8.8Le Comité rappelle qu’il doit déterminer si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Éthiopie. Tout en prenant note de l’affirmation du requérant selon laquelle il a été détenu et torturé dans ce pays entre fin 2006 et début 2007 en raison de ses activités au sein du parti Kinijit, il note que le requérant a pu quitter l’Éthiopie et y retourner en toute sécurité à plusieurs reprises en 2011. Il rappelle que lorsqu’un requérant demande un examen médical pour prouver qu’il a été torturé, un tel examen devrait en principe être effectué quelle que soit l’opinion qu’ont les autorités de la crédibilité de l’allégation, ce afin que les autorités appelées à se prononcer sur un éventuel renvoi puissent, sur la base des résultats de l’examen médical, évaluer le risque de torture objectivement et en ne laissant subsister aucun doute raisonnable. Toutefois, le Comité rappelle aussi que, bien que les mauvais traitements subis dans le passé soient un des éléments à prendre en considération, son analyse a pour but principal de déterminer si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Éthiopie. Dans les circonstances particulières de l’espèce, le Comité note qu’il s’est écoulé environ six ans et demi entre le moment des tortures alléguées et la demande d’examen médical en 2013 et il considère, vu le temps écoulé, qu’il ne s’ensuit pas nécessairement que le requérant risquait encore d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Éthiopie.

8.9En ce qui concerne l’affirmation du requérant selon laquelle ses activités pour Ginbot 7 l’exposeraient au risque d’être arrêté par les services secrets à son retour et torturé, le Comité note qu’en juin 2018, Ginbot 7 a annoncé qu’il abandonnait sa lutte armée contre le Gouvernement éthiopien compte tenu des réformes prévues par celui-ci. Il note également qu’en juillet 2018, le Gouvernement éthiopien a radié Ginbot 7 de sa liste d’organisations terroristes. De plus, en mai 2018, le Président éthiopien a gracié M. Tsege, Secrétaire général de Ginbot 7, et a ordonné sa remise en liberté. Tout en prenant note des allégations du requérant selon lesquelles le Gouvernement éthiopien arrête les dissidents exilés à leur retour dans le pays, le Comité note qu’en 2018, le Gouvernement a amnistié les Éthiopiens exilés considérés jusqu’alors comme des terroristes et des opposants politiques, et le Premier Ministre les a invités à revenir dans le pays et à y prendre part à la vie politique de manière pacifique. Il prend note des informations selon lesquelles des milliers de prisonniers ont été graciés en vertu de la loi d’amnistie et des mesures concrètes ont été prises pour que les agents de l’État ayant commis des violations des droits de l’homme aient à répondre de leurs actes. En ce qui concerne la crainte du requérant d’être pris pour cible par les autorités éthiopiennes parce qu’il a été photographié aux côtés du dirigeant de Ginbot 7, M. Nega, le Comité constate que ce dernier est retourné en Éthiopie en septembre 2018 après que toutes les charges retenues contre lui eurent été abandonnées et qu’il a été accueilli dans le pays par de hauts responsables gouvernementaux. Le Comité prend également note de l’affirmation du requérant selon laquelle ses interviews à la radio de l’ESAT l’exposeraient à un risque de persécution en Éthiopie, mais il relève qu’en 2018, le Gouvernement a abandonné toutes les charges retenues contre les blogueurs, journalistes et organes de presse de la diaspora, notamment l’ESAT, qui a rouvert à Addis Abeba en juin 2018.

8.10Le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel, en janvier 2019, le Tribunal administratif fédéral a fait droit au recours en matière d’asile d’une personne qui affirmait avoir été emprisonnée et torturée en Éthiopie en raison d’activités dissidentes au sein de l’Organisation de tous les peuples de l’Amhara, et qui avait continué, en Suisse, à militer contre le Gouvernement éthiopien. Il note également que le Tribunal a conclu qu’en dépit des réformes prometteuses lancées par le Gouvernement éthiopien, la situation en Éthiopie pouvait se dégrader de nouveau et que la situation future des militants politiques dans le pays n’était donc pas claire. Le Comité rappelle toutefois qu’il doit déterminer si le requérant est actuellement exposé à un risque prévisible de préjudice personnel en Éthiopie. Il ne fonde pas son évaluation sur le risque hypothétique auquel les personnes se trouvant dans la situation du requérant pourraient être confrontées si le régime, qui est au pouvoir depuis plus d’un an, était déstabilisé. Le Comité note de plus que, dans une décision distincte rendue en janvier 2019, le Tribunal a rejeté la demande d’asile d’un ressortissant éthiopien qui affirmait courir un risque en Éthiopie en raison de son appartenance à Ginbot 7 et de ses activités politiques connexes en Suisse. Dans cette décision, après avoir examiné les rapports pertinents, le Tribunal a jugé que sous le nouveau gouvernement la situation en Éthiopie avait fondamentalement changé.

8.11Compte tenu des changements décrits plus haut intervenus dans la situation particulière des membres de Ginbot 7 en Éthiopie et du fait que le requérant a pu quitter l’Éthiopie et y revenir plusieurs fois en toute sécurité en 2011, le Comité considère que les informations fournies par le requérant ne suffisent pas pour établir qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement un risque prévisible, actuel et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Éthiopie.

9.Compte tenu de ce qui précède et à la lumière des éléments dont il dispose, le Comité considère que le requérant n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de conclure que son renvoi en Éthiopie l’exposerait personnellement à un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, décide que le renvoi du requérant en Éthiopie par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.