Nations Unies

CAT/C/USA/CO/3-5

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

19 décembre 2014

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant les troisième à cinquième rapports périodiques des États-Unis d’Amérique,soumis en un seul document *

Le Comité contre la torture a examiné les troisième à cinquième rapports périodiques des États-Unis d’Amérique soumis en un seul document (CAT/C/USA/3-5) à ses 1264e et 1267e séances (CAT/C/SR.1264 et 1267), les 12 et 13 novembre 2014, et a adopté à ses 1276e et 1277e séances (CAT/C/SR.1276 et 1277), le 20 novembre 2014, les observations finales ci-après.

A.Introduction

Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure facultative pour l’établissement des rapports, qui aide l’État partie à établir un rapport plus ciblé et améliore le dialogue entre l’État partie et le Comité. Il note toutefois que le rapport a été présenté avec un retard de deux ans et demi.

Le Comité se félicite du dialogue avec la délégation de haut niveau de l’État partie et des réponses apportées oralement aux questions et aux préoccupations soulevées pendant l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

Le Comité accueille avec satisfaction les modifications apportées par l’État partie à sa législation et sa jurisprudence dans les domaines concernant la Convention; il salue notamment:

a)La reconnaissance par la Cour suprême, dans l’affaire Boumediene v.  Bush (553 U.S. 723 (2008)), de l’applicabilité extraterritoriale des droits constitutionnels d’habeas corpus aux étrangers détenus par l’armée en tant que combattants ennemis à Guantánamo;

b)Les décrets présidentiels nos 13491 (Garantie de la légalité des interrogatoires), 13492 (Examen et règlement du cas de chaque personne détenue à la base navale de Guantánamo Bay et fermeture du centre de détention) et 13493 (Réexamen des dispositions autorisant la détention), publiés le 22 janvier 2009;

c)Le décret présidentiel no 13567, publié le 7 mars 2011, qui institue un examen périodique de la situation des personnes détenues dans le centre de détention de Guantánamo Bay qui n’ont pas été inculpées, condamnées ou fait l’objet d’une décision de transfèrement;

d)Les arrêts de la Cour suprême dans l’affaire Graham v. Florida (2010), interdisant la condamnation à l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle des enfants reconnus coupables d’une infraction autre que l’homicide et dans l’affaire Miller v. Alabama (2012), interdisant les condamnations à une peine obligatoire d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle des enfants reconnus coupables d’homicide.

Le Comité salue en outre les efforts de l’État partie pour modifier ses politiques, programmes et mesures administratives en vue de donner effet aux dispositions de la Convention, notamment:

a)L’adoption de la Directive sur l’usage correct de la séparation des personnes dans les centres de rétention des services de l’immigration et des douanes, en 2013, et des nouvelles normes nationales relatives à la rétention axées sur les résultats du Bureau de l’immigration et des douanes, en 2011;

b)L’adoption en 2012 des normes nationales pour prévenir, déceler et combattre les abus sexuels dans les quartiers d’isolement, conformément à la loi de 2003 sur l’élimination du viol en prison, et les efforts entrepris par l’État partie pour assurer le respect de cette loi dans les établissements pénitentiaires relevant des autorités fédérales, des États et des autorités locales et pour recueillir des données sur l’ampleur des violences sexuelles en prison.

Le Comité se félicite de la position ferme et de principe adoptée par l’État partie en ce qui concerne l’applicabilité de la Convention en période de conflit armé, selon laquelle la Convention n’est pas suspendue en temps de guerre et continue de s’appliquer même si l’État est engagé dans un conflit armé.

Le Comité se félicite en outre de l’engagement de longue date de l’État partie en faveur du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture et de sa mission.

Enfin, le Comité note avec satisfaction la déclaration publique faite le 1er août 2014 par le Président Obama, qualifiant les techniques d’interrogatoire dites «renforcées» d’actes de torture.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et criminalisation de la torture

Le Comité regrette qu’en dépit de son affirmation selon laquelle, dans l’ordre juridique des États-Unis, les actes de torture sont interdits par différentes lois et peuvent faire l’objet de poursuites de diverses manières, l’État partie n’ait pas encore fait de la torture une infraction spécifique au niveau fédéral. Il est d’avis que l’adoption d’une telle mesure, en totale conformité avec l’article premier de la Convention, renforcerait le cadre de la protection des droits de l’homme dans l’État partie. Le Comité regrette que l’État partie maintienne une interprétation restrictive des dispositions de la Convention et qu’il n’envisage de retirer aucune des déclarations interprétatives faites au moment de la ratification de cet instrument. En particulier, le concept d’«atteinte prolongée à l’intégrité mentale» introduit un élément subjectif non mesurable qui nuit à l’application de l’instrument. Tout en notant les explications données par la délégation à ce sujet, en particulier en ce qui concerne les articles 1er et 16 de la Convention, le Comité rappelle qu’en droit international, les réserves qui sont contraires à l’objet et au but d’un traité ne sont pas autorisées (art. 1er et 2, par. 1 et 4).

Le Comité réitère la recommandation qu’ il avait faite précédemment (A/55/44, par. 180 a) et CAT/C/USA/CO/2, par. 13) tendant à ce que l’État partie érige la torture en infraction pénale fédérale, en des termes pleinement conformes à l’article premier de la Convention, et fasse en sorte que les peines qu’emportent les actes de torture soient à la mesure de la gravité de ce crime. Il recommande de rétablir la loi sur la prévention de la torture dans le cadre de l’application de la loi, qui contient une définition de la torture et érige en infraction spécifique les actes de torture commis par des membres de la force publique et d’autres parties sous couvert de la loi.

L’État partie devrait également revoir ses déclarations interprétatives et ses réserves à la Convention en vue de les retirer. Il devrait en particulier faire en sorte que les actes de torture mentale ne soient pas réduits au concept d’«atteinte prolongée à l’ intégrité mentale». À cet égard, le Comité appelle l’attention sur son Observation générale n o  2 (2007) sur l’application de l’article 2 de la Convention par les États parties, selon laquelle si la définition de la torture en droit interne est trop éloignée de celle énoncée dans la Convention le vide juridique réel ou potentiel qui en découle peut ouvrir la voie à l’impunité (par. 9).

Extraterritorialité

Le Comité note avec satisfaction que l’État partie s’est clairement engagé à se conformer en tous lieux à l’interdiction universelle de la torture et des mauvais traitements, y compris dans les centres de détention de Bagram et de Guantánamo Bay, et qu’il a donné des assurances quant à l’interdiction, en tout temps et en tout lieu, en vertu du droit international et du droit interne, de la pratique de la torture et autres peines ou traitements cruels ou dégradants par son personnel. Le Comité note que l’État partie a revu sa position concernant l’application extraterritoriale de la Convention, déclarant qu’elle s’appliquait à «certaines zones» ne faisant pas partie de son territoire souverain et, plus particulièrement, dans «tous les lieux que l’État partie contrôle en tant qu’autorité gouvernementale», notant qu’il exerçait actuellement un tel contrôle sur «la base navale des États‑Unis de Guantánamo à Cuba et sur toutes les procédures effectuées dans cette base, ainsi que sur les navires et les aéronefs immatriculés aux États‑Unis». Le Comité apprécie en outre la déclaration faite par la délégation de l’État partie selon laquelle la réserve à l’article 16 de la Convention, dont le but est de garantir que les normes constitutionnelles existantes soient conformes aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu de l’article 16, «n’impose aucune limitation à l’applicabilité géographique de l’article 16» et que «les obligations énoncées à l’article 16 s’appliquent par‑delà le territoire souverain des États‑Unis à tout territoire relevant de sa juridiction» selon les termes mentionnés plus haut.

Toutefois, le Comité s’étonne du fait que la réserve de l’État partie à l’article 16 de la Convention soit mentionnée dans différents mémorandums déclassifiés contenant des interprétations juridiques au sujet de l’applicabilité extraterritoriale des obligations incombant aux États‑Unis en vertu de la Convention, émis par le bureau du Conseiller juridique du Département de la justice entre 2001 et 2009 à l’appui d’une argumentation juridique spécieuse utilisée pour suggérer que des méthodes d’interrogatoire brutales, assimilables à la torture, peuvent être autorisées et utilisées en toute légalité. Le Comité note que ces mémorandums ont été abrogés par le décret présidentiel no 13491, eu égard à leur incompatibilité avec ce décret, mais il demeure préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas encore retiré sa réserve à l’article 16, qui pourrait donner lieu à des interprétations incompatibles avec l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements.

Le Comité réitère sa recommandation (CAT/C/USA/CO/2, par. 15) tendant à ce que l’État partie prenne des mesures concrètes pour prévenir les actes de torture non seulement sur son territoire souverain mais aussi «sur tout territoire relevant de sa juridiction». À cet égard, le Comité appelle l’attention sur son Observation générale n o  2 (2007), dans laquelle il reconnaît que l’expression «tout territoire» englobe «toutes les régions sur lesquelles l’État partie exerce de fait ou de droit, directement ou indirectement, en tout ou en partie, un contrôle effectif conformément au droit international. La référence à “tout territoire” à l’article 2 comme aux articles 5, 11, 12, 13 et 16 [de la Convention] concerne les infractions commises non seulement à bord d’un navire ou d’un aéronef immatriculé sur le registre de l’État partie mais aussi pendant une occupation militaire ou des opérations de maintien de la paix et dans des lieux tels qu’une ambassade, une base militaire, des locaux de détention ou tout autre espace sur lequel un État partie exe rce un contrôle effectif» (par.  16).

L’État partie devrait modifier en conséquence les lois et les règlements concernés et retirer sa réserve à l’article 16 afin d’éviter des interprétations erronées.

Mesures de lutte contre le terrorisme

Le Comité est gravement préoccupé par le programme de transfèrement extrajudiciaire, de détention au secret et d’interrogatoire exécuté par la CIA entre 2001 et 2008, qui a donné lieu à de nombreuses violations des droits l’homme, notamment à des actes de torture, des mauvais traitements et des disparitions forcées dont ont été victimes des personnes soupçonnées d’être impliquées dans des infractions liées au terrorisme. Le Comité note la teneur et la portée du décret présidentiel no 13491mais il regrette que l’État partie ne fournisse que peu d’informations sur le réseau de centres de détention désormais fermé mis en place dans le cadre du programme relatif aux détenus «importants», que le Président Bush avait évoqué publiquement le 6 septembre 2006. Il regrette également que l’État partie n’ait pas fourni d’informations sur la pratique des transfèrements extrajudiciaires et des disparitions forcées et sur l’étendue des méthodes d’interrogatoire abusives, comme le simulacre de noyade, utilisées par la CIA vis‑à‑vis de terroristes présumés. À cet égard, le Comité suit de près le processus de déclassification du rapport de la Commission spéciale du Sénat sur le programme de détention et d’interrogatoire de la CIA (art. 2, 11 et 16).

Le Comité rappelle l’interdiction absolue de la torture énoncée au paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention, aux termes duquel «[a]ucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture». À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son Observation générale n o  2 (2007), dans laquelle il déclare que ces «circonstances exceptionnelles» incluent «toute menace d’acte terroriste ou de crime violent ainsi que le conflit armé, international ou non international».

Le Comité exhorte l’État partie à:

a) Faire en sorte que nul ne soit détenu au secret, où que ce soit, sous son contrôle effectif de facto. Le Comité réaffirme que détenir des personnes dans de pareilles conditions constitue en soi une violation de la Convention (CAT/C/USA/CO/2, par. 17);

b) Prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que ses mesures législatives, administratives et autres de lutte contre le terrorisme soient compatibles avec les dispositions de la Convention, en particulier l’article 2;

c) Adopter des mesures efficaces pour garantir, en droit et dans la pratique, que tous les détenus jouissent dès le début de la privation de liberté de toutes les garanties juridiques, notamment celles mentionnées aux paragraphes 13 et 14 de l’Observation générale n o  2 (2007) du Comité.

Le Comité demande que le rapport de la Commission spéciale du Sénat sur le programme de détention au secret et d’interrogatoire de la CIA soit déclassifié et rendu public sans délai et avec le minimum de caviardage.

Le Comité encourage en outre l’État partie à ratifier la Convention international e pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Enquêtes sur les allégations de torture à l’étranger

Le Comité note avec préoccupation que l’État partie continue de ne pas enquêter de manière approfondie sur les allégations de torture et de mauvais traitements infligés à des suspects détenus par les États-Unis à l’étranger, ce dont témoigne le nombre restreint de poursuites pénales et de condamnations. À cet égard, il note que pendant la période considérée, le Département de la justice des États-Unis a pu mener à terme des poursuites dans deux affaires d’exécution extrajudiciaire de détenus par des agents sous contrat du Département de la défense et de la CIA en Afghanistan. Il note également les renseignements fournis par la délégation de l’État partie concernant l’enquête pénale menée par le Procureur général adjoint des États-Unis John Durham sur des allégations de mauvais traitements infligés à des personnes détenues par les États-Unis à l’étranger. Le Comité regrette toutefois que la délégation n’ait pas été en mesure de décrire les méthodes d’enquête utilisées par M. Durham ou de révéler l’identité d’éventuels témoins interrogés par son équipe. En conséquence, le Comité demeure préoccupé par les informations portées à sa connaissance indiquant que certains anciens prisonniers de la CIA, qui avaient été détenus sous l’autorité des États-Unis à l’étranger, n’ont jamais été interrogés au cours de l’enquête, ce qui suscite des doutes sur la manière dont cette enquête très médiatisée a été menée. Le Comité note également que le Département de la justice a annoncé le 30 juin 2011 l’ouverture d’une enquête approfondie sur le décès de deux personnes pendant leur détention par les États‑Unis à l’étranger. À l’issue de l’examen auquel il a procédé, M. Durham a conclu que les éléments de preuve recevables n’étaient pas suffisants pour obtenir et maintenir une condamnation au-delà de tout doute raisonnable. Le Comité partage les préoccupations exprimées à l’époque par le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au sujet de la décision de ne pas poursuivre et punir les responsables présumés de ces décès. Il est en outre préoccupé par l’absence de poursuites pénales dans des affaires de destruction présumée de preuves de torture par des agents de la CIA, notamment de 92 enregistrements vidéo d’interrogatoires d’Abu Zubaydah et d’Abd al-Rahim al‑Nashiri qui étaient à l’origine du mandat initial de M. Durham. Le Comité note qu’en novembre 2011 le Département de la justice a décidé, sur la base de l’examen effectué par M. Durham, de ne pas engager de poursuites dans ces affaires (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité exhorte l’État partie à:

a) Procéder rapidement à une enquête impartiale et sérieuse chaque fois qu’il y a de sérieux motifs de croire qu’un acte de torture et des mauvais traitements ont été commis sur tout territoire relevant de sa juridiction, en particulier lorsque des décès en détention en ont résulté;

b) Faire en sorte que les auteurs et les complices d’actes de torture, y compris ceux qui occupent des postes de commandement et ceux qui apportent une justification juridique à ces actes, soient d û ment poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité des actes commis. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur les paragraphes 9 et 26 de son Observation générale n o  2 (2007);

c) Assurer des recours utiles et une réparation aux victimes, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate et d’une réadaptation aussi complète que possible, conformément à l’Observation générale n o  3 (2012) du Comité sur l’application de l’article 14 de la Convention par les États parties;

d) Entreprendre un examen complet de la manière dont la CIA s’est acquittée de ses responsabilités en ce qui concerne les allégations faisant état de torture et de mauvais traitements infligés à des suspects pendant leur détention par les États-Unis à l’étranger. En cas de réouverture de l’enquête, l’État partie devrait faire en sorte qu’il soit remédié aux carences des précédentes procédures d’examen et d’enquête.

Obligation pour l’armée de rendre compte des violations commises

Les renseignements fournis par la délégation de l’État partie indiquent que le Département de la défense des États-Unis a effectué des milliers d’enquêtes depuis 2001 et que des centaines de militaires ont fait l’objet de poursuites ou de mesures disciplinaires pour avoir infligé des mauvais traitements à des détenus et commis d’autres actes répréhensibles. Le Comité regrette toutefois qu’au cours du dialogue la délégation n’ait fourni que des données statistiques minimales sur les enquêtes, les poursuites et les procédures disciplinaires et sur les réparations accordées dans ce contexte. Le Comité n’a en outre reçu aucune information sur les condamnations prononcées et les sanctions pénales ou disciplinaires imposées ni sur la question de savoir si les auteurs présumés de ces actes ont été suspendus ou renvoyés de l’armée en attendant l’issue des enquêtes sur les violations commises. Faute de telles informations, le Comité n’est pas en mesure de déterminer si les mesures prises par l’État partie sont conformes aux dispositions de l’article 12 de la Convention (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

Le Comité demande instamment à l’État partie:

a) De faire en sorte que tous les cas de torture et de mauvais traitements imputés à des membres de l’armée fassent rapidement l’objet d’une enquête impartiale, que les auteurs présumés de tels actes soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées et qu’une réparation effective, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate, soit accordée à chaque victime;

b) De faire en sorte que les auteurs présumés d’actes de torture ou de mauvais traitements soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pour la durée de l’enquête, en particulier lorsqu’il y a un risque qu’ils récidivent ou entravent l’enquête.

Centre de détention de Guantánamo Bay

Le Comité est vivement préoccupé par le fait que l’État partie continue de détenir des personnes sans chef d’accusation ou jugement au centre de détention de Guantánamo Bay. Nonobstant la position de l’État partie selon laquelle ces personnes ont été faites prisonnières et détenues en tant que «combattants ennemis» et qu’en vertu du droit de la guerre il est permis «de les détenir jusqu’à la fin des hostilités», le Comité tient à réaffirmer que la détention sans inculpation pour une durée indéterminée constitue en elle‑même une violation de la Convention (CAT/C/USA/CO/2, par. 22). Selon les chiffres fournis par la délégation, à ce jour, sur les 148 hommes détenus à Guantánamo Bay, 33 seulement sont sur la liste de ceux qui sont susceptibles d’être traduits devant un tribunal fédéral ou devant des commissions militaires, qui ne répondent pas aux normes internationales garantissant l’équité des procès. Le Comité constate avec préoccupation qu’il a été décidé de «maintenir» 36 autres «en détention en vertu du droit de la guerre». Le Comité note que les personnes détenues à Guantánamo Bay bénéficient des droits constitutionnels d’habeas corpus mais il est préoccupé par des informations selon lesquelles les tribunaux fédéraux ont rejeté un grand nombre de requêtes en habeas corpus.

Le Comité prend note des explications fournies par l’État partie au sujet des conditions de détention à Guantánamo Bay mais il demeure préoccupé par le secret qui entoure les conditions d’incarcération, en particulier dans le camp 7, où sont placés les détenus «importants». Il prend également note des études reçues sur l’effet cumulé des conditions de détention et des traitements infligés à Guantánamo Bay sur la santé psychique des détenus. Il y a eu neuf décès à Guantánamo pendant la période considérée, dont sept suicides. Un autre sujet de préoccupation tient d’ailleurs aux tentatives répétées de suicide et aux grèves de la faim massives récurrentes effectuées par des détenus pour protester contre leur détention pour une période indéterminée et leurs conditions carcérales. À ce sujet, le Comité considère que l’alimentation forcée des détenus en grève de la faim constitue un mauvais traitement contraire à la Convention. En outre, il note que les avocats des détenus ont fait valoir devant les tribunaux que l’alimentation forcée de leurs clients se ferait d’une manière brutale et douloureuse tout à fait gratuite (art. 2, 11, 12, 13, 14, 15 et 16).

Le Comité demande à l’État partie de prendre immédiatement des mesures concrètes pour:

a) Cesser de recourir à la détention des personnes soupçonnées d’activités liées au terrorisme pour une période indéterminée sans inculpation ni jugement;

b) Faire en sorte que les personnes détenues à Guantánamo Bay qui sont susceptibles d’être poursuivies soient inculpées et jugées devant des tribunaux civils fédéraux ordinaires. Tout autre détenu qui ne serait pas inculpé ou jugé devrait être immédiatement relaxé. Les détenus et leur conseil doivent avoir accès à tous les éléments de preuve utilisés pour justifier leur détention;

c) Enquêter sur les violations dont seraient victimes les détenus, notamment les actes de torture et les mauvais traitements, poursuivre comme il convient les responsables et assurer un recours utile aux victimes;

d) Améliorer la situation des détenus de façon à les convaincre d’arrêter leur grève de la faim;

e) Cesser d’alimenter par la force les détenus grévistes de la faim tant qu’ils sont en mesure de prendre des décisions en connaissance de cause;

f) Inviter le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à se rendre dans le centre de détention de Guantánamo Bay et lui donner pleinement accès aux détenus, notamment pour des entretiens privés avec eux, conformément au mandat des missions d’établissement des faits des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme.

Le Comité réaffirme sa précédente recommandation (CAT/C/USA/CO/2, par. 22) tendant à ce que l’État partie ferme le centre de détention de Guantánamo Bay, comme le prévoit l’article 3 du décret présidentiel n o  13492 du 22  janvier 2009.

Utilisation abusive des dispositions relatives au secret d’État et de l’entraide judiciaire

Le Comité est vivement préoccupé par l’utilisation des dispositions relatives au secret d’État et aux immunités aux fins de se soustraire à toute responsabilité. Tout en notant la déclaration de la délégation indiquant que l’État partie se conforme aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 15 de la Convention dans les procédures administratives établies en vue d’examiner le statut des personnes détenues à Guantánamo Bay en application du droit de la guerre, le Comité est particulièrement troublé par les informations qui décrivent un système draconien de maintien au secret des détenus dits importants qui empêche ces derniers de rendre publiques leurs allégations de torture. En outre, le régime appliqué à ces détenus fait obstacle à l’accès à un recours utile et à des réparations et entrave les enquêtes sur les violations des droits de l’homme d’autres États (art. 9, 12, 13, 14 et 16).

Le Comité demande la déclassification des éléments de p reuve relatifs à la torture, en particulier des récits des personnes détenues à Guantánamo Bay. L’État partie devrait faire en sorte que toutes les victimes de la torture puissent avoir accès à des recours et obtenir réparation, quel que soit le pays où les actes de torture ont été commis et indépendamment de la nationalité de l’auteur ou de la victime.

L’État partie devrait prendre des mesures concrètes pour assurer qu’une entraide judiciaire soit accordée pour toutes les questions de procédure pénale concernant l’infraction de torture et les crimes connexes de tentative de commettre des actes de torture et de complicité et de participation dans de tels actes. Le Comité rappelle que l’article 9 de la Convention fait obligation aux États parties de s’accorder «l’entraide judiciaire la plus large possible» dans les procédures pénales relatives à des violations de la Convention.

Transfèrement de détenus de Guantánamo Bayet recours aux assurances diplomatiques

Le Comité prend note des explications fournies par la délégation de l’État partie concernant les procédures de transfèrement des détenus se trouvant encore dans le centre de détention de Guantánamo Bay et la levée du moratoire sur le transfèrement de détenus vers le Yémen. Il note toutefois avec préoccupation que le transfèrement de la plupart des 79 détenus actuellement inscrits sur la liste des transfèrements avait déjà été autorisé il y a cinq ans par l’équipe spéciale chargée d’examiner le statut des personnes détenues à Guantánamo Bay. Tout en notant les informations fournies par l’État partie sur la pratique consistant à obtenir des assurances diplomatiques contre la torture, le Comité juge encore troublantes les informations émanant de sources non gouvernementales indiquant que certains anciens détenus de Guantánamo Bay ont été victimes de sévices après leur libération (art. 3).

Le Comité demande à l’État partie de faire en sorte qu’aucune des personnes qui sont expulsées, renvoyées, extradées, y compris celles soupçonnées de terrorisme, ne soit exposée à un risque de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il prie instamment l’État partie de s’abstenir de demander des assurances diplomatiques et de s’appuyer sur de telles assurances lorsqu’«il y a des raisons sérieuses de croire que [la personne] risque d’ê tre soumise à la torture» (art.  3). Le principe de non ‑refoulement devrait toujours l’emporter sur toute autre mesure de protection.

Méthodes d’interrogatoire

Le Comité salue les initiatives prises par l’État partie pour en finir avec les méthodes d’interrogatoire constitutives d’actes de torture ou de mauvais traitements. Il est toutefois préoccupé par certains aspects de l’appendice M du Manuel des opérations sur le terrain de l’armée no 2-22.3 (6 septembre 2006), relatif à la collecte de renseignements auprès des personnes, en particulier par la description de certaines méthodes d’interrogatoire autorisées telles que celles de «l’isolement» et de «l’isolement sensoriel après la capture». Le Comité note les informations fournies par la délégation selon lesquelles de telles pratiques sont compatibles avec les obligations qui incombent à l’État partie en vertu de la Convention mais il demeure préoccupé par les possibilités d’abus inhérentes à l’emploi de telles méthodes (art. 1er, 2, 11 et 16).

L’État partie devrait faire en sorte que les méthodes d’interrogatoire qui sont contraires aux dispositions de la Convention ne soient utilisées en aucune circonstance. Il l’exhorte à revoir l’appendice M du Manuel des opérations sur le terrain de l’armée n o 2-22.3 sous l’angle de ses obligations découlant de la Convention.

L’État partie devrait en particulier abolir la disposition du Manuel concernant la «technique de l’isolement», qui dispose que «le recours à l’isolement ne doit pas empêcher le détenu d’avoir quatre heures de s ommeil continu toutes les vingt ‑ quatre heures». Cette disposition, qui est applicable pendant une période initiale de trente jours et renouvelable sous réserve d’approbation, revient à autoriser la privation de sommeil − qui est une forme de mauvais traitement − ce qui est sans rapport avec le but de «la technique de l’isolement» qui est d’empêcher toute communication entre les détenus. L’État partie devrait veiller à ce que le temps de sommeil des détenus et les locaux de détention destinés au logement des détenus pendant la nuit répondent aux besoins de ces de rniers, conformément à la règle  10 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.

De même, l’État partie devrait abolir le recours à la pri vation de l’usage des sens par la technique de l’isolement sensoriel après la capture, qui vise à prolonger le choc de la capture en faisant porter au détenu des lunettes ou un bandeau oculaire et des bouchons d’oreille afin de provoquer une sensation d’isolement. Selon certaines études récentes, la privation de l’usage des sens pendant de longues durées est fort susceptible d’engendrer chez le détenu un état de psychose pouvant justifier l’assimilation de cette pratique à des actes de tor ture et des mauvais traitements .

Demandes de protection au titre de l’asile à la frontière sud-ouest du pays

Le Comité est préoccupé par le développement des procédures accélérées de reconduite à la frontière, qui ne tiennent pas suffisamment compte de la situation particulière des demandeurs d’asile et autres personnes ayant besoin d’une protection internationale. Il est également préoccupé par le nombre croissant d’informations indiquant que le Service des douanes et de la surveillance des frontières et d’autres services de l’immigration des États-Unis s’abstiennent d’identifier comme demandeurs d’asile de nombreuses personnes faisant l’objet d’une procédure accélérée de reconduite à la frontière et de les soumettre à un entretien permettant de traiter leur demande. De plus, les personnes faisant l’objet d’une procédure accélérée de reconduite à la frontière peuvent être détenues jusqu’à leur renvoi des États-Unis. Le Comité note aussi avec préoccupation que la Division de l’asile des Services de la citoyenneté et de l’immigration a récemment revu son interprétation de la norme de «crainte justifiée» pour la rendre plus restrictive (art. 3).

L’État partie devrait garantir le plein respect de ses obligations de non-refoulement en vertu de l’article 3 de la Convention. Il devrait en particulier:

a) Prendre des mesures concrètes pour que la procédure de détermination du statut de réfugié et les procédures d’asile soient adéquates pour les migrants de toutes nationalités;

b) Garantir le respect du principe de confidentialité des procédures d’asile, en accordant une attention particulière aux mineurs, aux femmes, aux victimes de torture ou de traumatismes et aux autres personnes ayant des besoins spéciaux qui demandent l’asile;

c) Soumettre les situations visées à l’article 3 de la Convention à un examen approfondi des risques, eu égard notamment aux problèmes de sécurité existant actuellement au Mexique et dans le Triangle Nord de l’Amérique centrale;

d) Réexaminer le recours aux procédures accélérées de reconduite à la frontière et garantir l’accès à un conseil;

e) Revenir à l’application initiale, moins restrictive, de la norme de «crainte justifiée» pour l’examen des demandes d’asile pour toutes les personnes exprimant la crainte d’un renvoi et soumises à un entretien d’examen de leur demande d’asile.

Rétention des immigrants

Le Comité note avec préoccupation que dans certaines circonstances, l’État partie continue d’appliquer un système de rétention obligatoire consistant à placer les demandeurs d’asile et autres immigrants, dès leur arrivée, dans des lieux de rétention de type carcéral, des prisons de comté et des prisons privées. Il s’inquiète aussi du plan récent prévoyant d’étendre la pratique de la rétention familiale, avec la création de quelque 6 350 lits supplémentaires dans des lieux de rétention pour les familles d’immigrants clandestins avec enfants. Le Comité relève que, malgré le recours accru au placement familial pour les enfants non accompagnés et les enfants séparés, nombre de ces enfants continuent d’être placés dans des centres collectifs et des locaux sécurisés, qui ressemblent beaucoup à des établissements pénitentiaires pour mineurs. Tout en ayant conscience des mesures prises par l’État partie pour réformer le système de rétention des immigrants, le Comité reste préoccupé par les informations faisant état de conditions de rétention médiocres dans les centres pour immigrants et du recours au régime de l’isolement. Il est également préoccupé par les informations faisant état de violences sexuelles de la part du personnel et d’autres personnes en rétention (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait:

a) Reconsidérer le recours à la rétention obligatoire pour certaines catégories d’immigrants;

b) Développer et élargir les mesures de type communautaire en remplacement de la mise en rétention des immigrants, développer le recours au placement familial pour les enfants non accompagnés, et mettre fin au développement de la rétention familiale dans le but d’éliminer progressivement celle-ci;

c) Veiller au respect de la Directive du 4 septembre 2013 sur l’usage correct de la séparation des personnes dans les centres de rétention des services de l’immigration et des douanes et des Normes nationales relatives à la rétention axées sur les résultats, adoptées en 2011, dans tous les lieux de rétention d’immigrants;

d) Prévenir les agressions sexuelles dans les centres de rétention et veiller à ce que tous les établissements de rétention d’immigrants soient conformes aux normes énoncées dans la loi sur l’élimination du viol en prison;

e) Établir un mécanisme de contrôle efficace et indépendant afin que toutes les plaintes pour violences et mauvais traitements dans les centres de rétention d’immigrants fassent immédiatement l’objet d’une enquête impartiale et effective.

Isolement cellulaire

Le Comité note que, selon l’État partie, «il n’y a pas de recours systématique à l’isolement cellulaire aux États-Unis» mais il reste préoccupé par les informations faisant état d’un recours fréquent à l’isolement cellulaire et à d’autres formes d’isolement dans les prisons, maisons d’arrêt et autres centres de détention du pays à des fins de punition, de discipline ou de protection, ainsi que pour des raisons de santé. Il relève en outre l’absence de données statistiques pertinentes à ce sujet. Il est également préoccupé par l’utilisation de l’isolement cellulaire pour des périodes illimitées et dans le cas de mineurs et de personnes handicapées mentales. L’isolement total pendant vingt-deux à vingt-trois heures par jour dans des prisons de très haute sécurité est inacceptable (art. 16).

L’État partie devrait:

a) Appliquer le régime cellulaire en dernier recours seulement, pour une période aussi brève que possible, sous une stricte supervision et en ménageant la possibilité d’un réexamen judiciaire;

b) Interdire d’imposer l’isolement cellulaire aux mineurs, aux détenus présentant des déficiences intellectuelles ou psychosociales, aux femmes enceintes, aux mères de nourrissons et aux mères qui allaitent en prison;

c) Interdire les régimes d’isolement cellulaire tels que ceux existant dans les prisons de très haute sécurité;

d) Rassembler et pu blier régulièrement des données ventilées complètes sur le recours à l’isolement cellulaire, y compris sur les tentatives de suicide et actes autodestructeurs qui y sont liés.

Protection des détenus contre les violences, y compris les agressions sexuelles

Le Comité est gravement préoccupé par le fait que les violences sexuelles, y compris le viol, imputables au personnel et à d’autres détenus, sont très répandues dans les prisons, maisons d’arrêt et autres lieux de détention. Il relève aussi avec préoccupation les taux disproportionnellement élevés de violences sexuelles commises sur des enfants dans des établissements pour adultes, ainsi que les taux plus élevés encore de victimisation sexuelle signalés par des détenus ayant des problèmes de santé mentale et des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués (LGBTI). Tout en saluant la promulgation en 2012 des normes nationales visant à prévenir, détecter et combattre le viol en prison dans le cadre de la loi sur l’élimination du viol en prison, le Comité s’inquiète des informations indiquant que leur mise en œuvre au niveau des États reste très problématique. Le Comité relève d’ailleurs avec inquiétude que six États n’ont pas donné l’assurance qu’ils appliquaient pleinement ces normes, et que plusieurs organismes chargés de gérer des établissements fédéraux de détention n’ont pas encore achevé d’élaborer leurs propres règles aux fins de l’application de ladite loi.

Le Comité reste préoccupé par les effets négatifs de la loi portant réforme du droit de recours des détenus sur la capacité des détenus d’obtenir la protection de leurs droits. Tout en prenant note des modifications apportées en 2013 à cette loi (avec, entre autres, l’ajout de «la commission d’actes sexuels» comme motif autre que le préjudice corporel aux fins de l’indemnisation pour souffrance affective), le Comité estime que l’État partie continue de mettre davantage l’accent sur l’objectif d’une diminution des actions judiciaires engagées par des détenus, au détriment des droits de ceux-ci. Ainsi, le Comité regrette que l’article 1997 e) e) subordonne l’obtention de dommages-intérêts pour préjudice mental ou affectif à l’existence d’une «lésion corporelle» ou à «la commission d’un acte sexuel». Il est en outre préoccupé par l’article 1997 e) a), qui dispose que les détenus doivent épuiser toutes les procédures de recours interne avant d’engager une action devant un tribunal fédéral, ce qui oblige les intéressés à respecter les délais applicables pour déposer la plainte initiale et exercer ensuite les recours administratifs.

Enfin, le Comité relève que 19 États se sont dotés d’une loi limitant la pratique consistant à entraver les détenues enceintes et que dans plusieurs autres États, une telle législation est également à l’étude. Il est néanmoins préoccupé par les allégations selon lesquelles, dans certains cas, les détenues seraient encore entravées ou subiraient d’autres mesures de contrainte pendant toute la grossesse et durant le travail, l’accouchement et le rétablissement après accouchement (art. 2, 11, 12, 13, 14 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier ses efforts pour prévenir et combattre la violence dans les prisons et lieux de détention, y compris les violences sexuelles commises par des membres des forces de l’ordre ou de l’administration pénitentiaire et entre détenus. En particulier, l’État partie devrait:

a) Faire en sorte que les normes visées dans la loi sur l’élimination du viol en prison ou des normes similaires soient adoptées et appliquées par tous les États, et que tous les organismes et départements fédéraux gérant des lieux de détention proposent et publient des règlements appliquant ces normes à tous les lieux de détention relevant de leur juridiction;

b) Promouvoir des mécanismes efficaces et indépendants chargés de recevoir les plaintes pour des faits de violence commis en prison, y compris des violences sexuelles;

c) Veiller à ce que tous les signalements de violence, y compris de violence sexuelle, en prison, donnent lieu rapidement à l’ouverture d’une enquête impartiale et à ce que les auteurs présumés soient poursuivis;

d) Faire en sorte que ce soient des gardiens de même sexe que la personne détenue qui interviennent dans les situations où celle-ci est exposée à une agression, lorsque le contexte suppose des contacts personnels étroits ou met en cause la vie privée de cette personne;

e) Dispenser au personnel pénitentiaire une formation spécialisée sur les violences sexuelles;

f) Mettre en place des stratégies de réduction de la violence entre détenus. Surveiller et documenter les faits de violence dans les prisons, en vue d’en dégager les causes profondes et d’élaborer des stratégies de prévention appropriées;

g) Autoriser des activités de surveillance par des organisations non gouvernementales;

h) Modifier les alinéas  a et  e de l’article 1997 e) de la loi portant réforme du droit de recours des détenus;

i) Revoir la pratique consistant à entraver les femmes enceintes incarcérées, en tenant compte du fait que le régime pénitentiaire doit être suffisamment souple pour répondre aux besoins des femmes enceintes, des femmes qui allaitent et des femmes avec des enfants .

Décès en détention

22.Le Comité note avec préoccupation que 958 détenus sont morts dans les prisons locales en 2012 contre 889 en 2010, ce qui représente une hausse de 8 %. La même année, le nombre de décès dans les prisons d’État est resté stable, avec 3 351 décès signalés. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations faisant état de décès de détenus à cause de la chaleur insupportable à laquelle ils sont exposés dans des prisons mal ventilées où il fait extrêmement chaud, en Arizona, en Californie, en Floride, dans l’État de New York, dans le Michigan et au Texas (art. 2, 11 et 16).

Le Comité prie instamment l’État partie d’enquêter rapidement et de façon approfondie et impartiale sur tous les décès de détenus, en évaluant les soins de santé reçus par les prisonniers ainsi que les éventuelles responsabilités du personnel pénitentiaire, et de verser s’il y a lieu des dédommagements adéquats aux familles des victimes.

L’État partie devrait adopter d’urgence des mesures en vue de remédier aux dysfonctionnements concernant la température, la ventilation et les niveaux d’humidité des cellules de prison, y compris celles des condamnés à mort.

Justice pour mineurs

23.Le Comité reste préoccupé par les lacunes considérables qui caractérisent la protection des mineurs dans le système de justice pénale de l’État partie. En particulier, il se déclare une fois encore préoccupé par les conditions de détention des mineurs, y compris leur placement dans des maisons d’arrêt et prisons pour adultes, et à l’isolement cellulaire (art. 11 et 16).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour assurer le bon fonctionnement du système de justice pour mineurs conformément aux normes internationales. En particulier, il devrait:

a) Veiller à l’application intégrale de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing) et des Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad);

b) Faire en sorte que les mineurs en détention provisoire et les prisonniers âgés de moins de 18 ans soient séparés des adultes, conformément aux dispositions des Règles de Bei jing (règles  13.4 et 26.3) et aux Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté (règles 17, 28 et 29);

c) Interdire le placement de mineurs à l’isolement cellulaire (voir plus haut, par. 20);

d) Appliquer des mesures de substitution à l’incarcération, compte tenu des dispositions des Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et des Règles de Bangkok.

Condamnation de mineurs à des peines d’emprisonnement à viesans possibilité de libération conditionnelle

24.Le Comité salue les arrêts rendus par la Cour suprême dans les affaires Graham v. Florida (2010) et Miller v. Alabama (2012), dans lesquels la Cour a imposé des restrictions à la condamnation de mineurs à des peines d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle, mais il note avec préoccupation que certaines juridictions ont décidé que l’arrêt Miller v. Alabama ne s’appliquait pas rétroactivement, et que la majorité des 28 États qui autorisent la condamnation d’enfants à une peine obligatoire d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle ne se sont pas encore dotés d’une loi pour se conformer à cet arrêt. De plus, ces décisions de la Cour suprême laissent la possibilité aux juges de prononcer une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle en cas d’homicide, même lorsque l’enfant a joué un rôle mineur dans le crime, et les tribunaux continuent d’infliger cette peine (art. 11 et 16).

L’État partie devrait a bolir les peines d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle pour les infractions, quelles qu’elles soient, commises par des enfants de moins de 18 ans et permettre aux enfants délinquants purgeant actuellement une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle de faire réexaminer leur cas par un tribunal pour obtenir une révision de la condamnation, afin de rétablir la possibilité d’une libération conditionnelle et de réduire éventuellement la peine.

Peine de mort

25.Le Comité se félicite que six États aient aboli la peine capitale durant la période considérée mais il est préoccupé par le fait que l’État partie n’envisage pas actuellement d’abolir la peine de mort au niveau fédéral. Il est également préoccupé par les informations faisant état de cas dans lesquels une douleur atroce et des souffrances prolongées ont été causées à des détenus condamnés lors de leur exécution en raison d’irrégularités dans le protocole suivi. Il est particulièrement troublé par les cas récents d’exécution ratée en Arizona et dans l’Ohio et l’Oklahoma. Le Comité est en outre préoccupé par les retards constants dans les procédures de recours, ce qui maintient les détenus condamnés à mort dans un état d’anxiété et d’incertitude pendant de nombreuses années. Il note que dans certains cas, cette situation est constitutive de torture puisqu’elle correspond à l’une des formes de torture (la menace de mort imminente) définies dans la déclaration interprétative formulée par l’État partie lors de la ratification de la Convention (art. 1er, 2 et 16).

L’État partie devrait reconsidé rer les méthodes employées pour les exécutions afin d’éviter des douleurs ou souffrances prolongées. Le Comité rappelle que selon les Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort , lorsque la peine capitale est appliquée, elle est exécutée de manière à causer le minimum de souffrances possibles (par. 9).

L’État partie devrait réduire les délais de procédure qui font que les détenus condamnés à la peine capitale restent dans le couloir de la mort pendant des périodes prolongées.

L’État partie est encouragé à instituer un moratoire sur les exécutions en vue d’abolir la peine de mort. Il est également encouragé à commuer les peines des détenus actuellement dans le couloir de la mort et à adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

Usage excessif de la force et brutalités policières

26.Le Comité est préoccupé par les nombreux cas signalés de brutalités policières et d’usage excessif de la force par des membres des forces de l’ordre, en particulier contre des personnes appartenant à certains groupes raciaux ou ethniques, des immigrants et des personnes LGBTI. Il est également préoccupé par le profilage racial auquel procèdent les services de la police et de l’immigration et par la militarisation croissante des activités de police. Le Comité s’inquiète particulièrement des rapports faisant état de violences policières actuellement à Chicago, notamment contre de jeunes Afro-Américains et Hispaniques qui feraient régulièrement l’objet de profilage et de harcèlement et seraient la cible d’un usage excessif de la force par les agents du Département de la police de Chicago. Il exprime aussi sa vive inquiétude devant les cas fréquents et récurrents de tirs ou courses‑poursuites fatales de la police dont sont victimes des Noirs non armés. À cet égard, le Comité prend note des difficultés qu’il y aurait à mettre en cause la responsabilité des fonctionnaires de police et de leurs employeurs pour ces violences. Tout en notant les informations fournies par la délégation indiquant qu’au cours des cinq dernières années, 20 enquêtes ont été ouvertes à propos d’allégations de violations systématiques commises par les services de police, et 330 fonctionnaires de police ont été poursuivis pénalement, le Comité regrette l’absence de données statistiques sur les allégations de brutalités policières, ainsi que le manque d’informations concernant le résultat des enquêtes ouvertes sur ces allégations. En ce qui concerne les actes de torture commis par le commandant du Département de la police de Chicago Jon Burge et d’autres agents sous son commandement entre 1972 et 1991, le Comité note que, d’après les informations fournies par la délégation, l’enquête fédérale n’a pas permis de rassembler des éléments suffisants pour prouver au‑delà de tout doute raisonnable que des violations de la Constitution donnant lieu à des poursuites avaient été commises. Toutefois, il demeure préoccupé par le fait que, malgré la condamnation de Jon Burge pour parjure et entrave à la justice, aucun policier n’a été condamné pour les actes commis en raison de la prescription. Il relève en outre que plusieurs victimes ont été en définitive relaxées mais que, dans leur grande majorité, les personnes torturées − des Afro‑Américains pour la plupart − n’ont reçu aucune indemnisation pour les graves lésions qu’elles avaient subies (art. 11, 12, 13, 14 et 16).

L’État partie devrait:

a) Veiller à ce que tous les cas de brutalité policière et d’usage excessif de la force par les membres des forces de l’ordre fassent l’objet d’une enquête diligente, effective et impartiale par un mécanisme indépendant et à ce qu’il n’y ait aucun lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés des faits;

b) Poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir infligé des tortures ou des mauvais traitements et, lorsqu’elles sont reconnues coupables, veiller à ce qu’elles soient condamnées à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes;

c) Faire en sorte que les victimes bénéficient de recours effectifs et d’une aide à la réadaptation;

d) Assurer réparation aux survivants des tortures infligées par le Département de la police de Chicago en appuyant l’adoption de l’ordonnance intitulée «Reparations for the Chicago Police Torture Survivors».

Armes à impulsion électrique (tasers)

27.Le Comité est préoccupé par les nombreux rapports faisant état régulièrement de l’utilisation par la police d’armes à impulsion électrique contre des personnes non armées qui résistent à leur arrestation ou n’obtempèrent pas immédiatement aux ordres, des suspects qui fuient après la commission d’un délit mineur et même des mineurs. Le Comité est en outre consterné par le nombre de décès qui seraient dus à l’utilisation d’armes à impulsion électrique, notamment les cas récents d’Israël «Reefa» Hernández Llach à Miami Beach (Floride) et de Dominique Franklin Jr. à Sauk Village (Illinois). Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie sur les directives pertinentes et la formation offerte aux membres des forces de l’ordre, mais il constate qu’il est nécessaire d’introduire une réglementation plus stricte pour l’utilisation de ces armes (art. 11, 12, 13, 14 et 16).

L’État partie devrait veiller à ce que les armes à impulsion électrique soient utilisées exclusivement dans des situations extrêmes et restreintes −  dans lesquelles il existe un danger réel et immédiat de mort ou de blessure grave  − et par des membres des forces de l’ordre formés à cet effet, à la place d’armes létales.

L’État partie devrait réviser la réglementation régissant l’utilisation des armes à impulsion électrique en vue de fixer des conditions restrictives en la matière et d’interdire expressément l’utilisation de telles armes contre des enfants et des femmes enceintes. Le Comité estime que l’utilisation d’armes à impulsion électrique devrait être soumise aux principes de nécessité et de proportionnalité et interdite au personnel de surveillance dans les prisons ou dans tout autre lieu de privation de liberté. Le Comité exhorte l’État partie à fournir des instructions plus strictes aux membres des forces de l’ordre autorisés à utiliser les armes à impulsion électrique, et à surveiller et contrôler strictement l’utilisation de telles armes en prévoyant que chaque utilisation doit obligatoirement donner lieu à un rapport et à un examen.

Formation

28.Le Comité prend note des informations relatives aux activités de formation aux méthodes licites d’interrogatoire et aux mécanismes internes de signalement. Il s’inquiète cependant de l’absence de renseignements sur les résultats de la formation dispensée aux agents des forces de l’ordre, aux agents du renseignement et de la sécurité, au personnel militaire et au personnel pénitentiaire, et sur l’utilité des programmes de formation pour réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements (art. 10).

L’État partie devrait:

a) Développer plus avant les programmes de formation obligatoire afin que tous les fonctionnaires − agents des forces de l’ordre, militaires, agents du renseignement, personnel pénitentiaire et personnel médical employé dans les prisons et les hôpitaux psychiatrique s  − connaissent bien les dispositions de la Convention et sachent qu’aucun manquement ne sera toléré, que toute violation donnera lieu à une enquête et que les auteurs de violations seront poursuivis;

b) Faire en sorte que tous les personnels concernés, y compris les membres du corps médical, apprennent à détecter les signes de torture et de mauvais traitements grâce à des formations spécifiques s’appuyant sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul);

c) Concevoir et appliquer une méthodologie pour évaluer l’efficacité des programmes de formation s’agissant de réduire les cas de torture et de mauvais traitements.

Réparation, y compris indemnisation et réadaptation

29.Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle sa législation offre tout un éventail de voies de recours civiles pour obtenir réparation en cas de torture au niveau fédéral et à celui des États, mais il regrette que la délégation ait fourni peu d’informations sur les programmes de réadaptation en faveur des victimes de torture dans le pays ou des pays tiers et sur les ressources allouées à ces programmes. Le Comité s’inquiète en outre de la situation de certaines personnes et de certains groupes qui ont été rendus vulnérables par la discrimination ou la marginalisation et qui se heurtent à des obstacles spécifiques les empêchant d’exercer leur droit à réparation (art. 14).

L’État partie devrait veiller à ce que toutes les victimes de torture et de mauvais traitements puissent se prévaloir de programmes de réparation appropriée, y compris d’une assistance médicale et psychologique. Il devrait aussi accroître son soutien et le financement des programmes de réadaptation des victimes de torture sur son territoire.

Le Comité demande instamment à l’État partie de prendre immédiatement des mesures d’ordre juridique et autre pour garantir à toutes les victimes de torture et de mauvais traitements le droit d’obtenir réparation et de recevoir une indemnisation équitable et adéquate, y compris les moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible, s’agissant en particulier des victimes de brutalités policières, des personnes soupçonnées de terrorisme qui affirment être victimes d’abus, des victimes de violence sexiste, des demandeurs d’asile, des réfugiés et des autres personnes sous protection internationale.

Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son Observation générale n o  3 (2012) concernant l’application de l’article 14 par les États parties, en particulier les paragraphes 3 et 4, 11 à 15, 19, 32 et 39, qui explique le contenu et la portée de l’obligation qui incombe aux États parties de fournir une réparation complète aux victimes de la torture .

Violences sexuelles et viol dans l’armée américaine

30.Le Comité note avec satisfaction que le Département de la défense a renforcé ses efforts pour prévenir les agressions sexuelles au sein de l’armée mais il reste préoccupé par le fait que les violences sexuelles, y compris le viol, sont un phénomène très répandu et que le Département de la défense ne parvient pas à prévenir les agressions sexuelles d’hommes et de femmes servant dans les forces armées ni à traiter ce problème (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir et éradiquer les violences sexuelles au sein de l’armée en prenant des mesures efficaces pour:

a) Faire en sorte que des enquêtes rapides, impartiales et efficaces soient menées sur toutes les allégations de violence sexuelle;

b) Veiller, dans la pratique, à ce que les plaignants et les témoins soient protégés contre toutes mesures de rétorsion ou représailles, y compris d’intimidation, en raison de leur plainte ou de leur témoignage;

c) Assurer un accès égal à une indemnisation pour invalidité aux anciens combattants survivants d’agressions sexuelles au sein de l’armée.

Questions diverses

31.Le Comité réitère sa recommandation (CAT/C/USA/CO/2, par. 41) tendant à ce que l’État partie ratifie le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et fasse la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, reconnaissant la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers.

32.L’État partie est prié de diffuser largement le rapport qu’il a soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans toutes les langues voulues, par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

33.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 28 novembre 2015, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 12 a), 14 c) et 17 des présentes observations finales concernant: les mesures prises pour faire respecter ou renforcer les garanties juridiques auxquelles ont droit les détenus; la réalisation rapide d’enquêtes impartiales et efficaces; les mesures prises pour poursuivre et sanctionner les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements. En outre, le Comité demande un complément d’information sur la suite donnée aux recommandations concernant les recours et les réparations en faveur des victimes formulées au paragraphe 26 c) et d) des présentes observations finales.

34.L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le sixième, le 28 novembre 2018 au plus tard. À cet effet, sachant que l’État partie a accepté de faire rapport conformément à la procédure facultative pour l’établissement des rapports, le Comité lui soumettra en temps voulu une liste de points à traiter avant la présentation du rapport.