Comité des disparitions forcées
Quatrième session
Compte rendu analytique de la 43 e séance
Tenue au Palais des Nations, à Genève, le mercredi 10 avril 2013, à 10 heures
Président:M. Decaux
Sommaire
Examen des rapports des États parties à la Convention (suite)
Rapport initial de l ’ Uruguay (suite)
La séance est ouverte à 10 h 5.
Examen des rapports des États parties à la Convention (suite)
Rapport initial de l’Uruguay (CED/C/URY/1 ; CED/C/URY/Q/1; CED/C/URY/Q/1/Add.1 ) (suite)
Sur l ’ invitation du Président, la délégation uruguayenne reprend place à la table du Comité.
1.M. Per azza (Uruguay) dit que l’Uruguay a signé divers accords de coopération judiciaire, essentiellement avec l’Argentine, pays d’Amérique latine où l’on a eu à déplorer le plus grand nombre de disparitions forcées de citoyens uruguayens. Des accords portant sur les échanges d’informations ont été conclus avec ce pays dès les années 1980, mais la coopération s’est accentuée depuis le milieu des années 2000. Le Secrétariat du suivi de la Commission pour la paix, notamment, s’appuie sur différents mécanismes de coopération avec diverses institutions argentines, telles que la Commission nationale pour le droit à l’identité (CONADI). M. Perazza ajoute que la loi no 18026 prévoit expressément des circonstances aggravantes lorsque la victime de disparition forcée est un enfant, un adolescent, unepersonne handicapée, une femme enceinte ou une famille. Il confirme que les traités internationaux ratifiés par l’Uruguay sont d’applicabilité directe sur le territoire national.
2.M. Miranda (Uruguay) fait observer que l’interdiction d’exercer des fonctions publiques est une particularité de la législation nationale sur les personnes disparues et précise que c’est bien pendant la durée de la peine que l’interdiction s’applique.
3.M. López Ortega aimerait savoir si la garantie du non-refoulement est inscrite dans le droit interne et si c’est une autorité judiciaire ou administrative qui est chargée de faire respecter ce principe. Il demande des précisions sur le régime particulier de détention au secret, que la police peut apparemment mettre en place de son propre chef notamment pour empêcher un suspect de détruire des preuves, ainsi que sur le recours en habeas corpus. Le fait que l’habeas corpus soit appliqué alors que le projet de loi y relatif n’a pas encore été adopté pose en effet la question du caractère systématique et cohérent de son application. La délégation est également invitée à expliquer si les juges peuvent visiter les centres de détention et quelles sont les voies de contrôle sur les détentions ordonnées par une autorité judiciaire et non pas administrative. Si, comme M. López Ortega a cru le comprendre, le droit d’accès aux données est soumis à des restrictions s’agissant des victimes de disparitions forcées, il faudrait expliquer pourquoi et indiquer s’il est envisagé de revenir sur cette position. Il serait également bon que l’État partie fasse connaître ses ambitions en matière de formation et d’information sur la Convention. En ce qui concerne les échantillons biologiques, il y aurait notamment lieu de préciser s’ils sont prélevés uniquement avec le consentement de l’intéressé et quels sont les droits de ce dernier − tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’un mineur. À ce sujet, la délégation voudra bien donner son sentiment sur le fait que les actes, extrêmement graves, visés au paragraphe 1 de l’article 25 de la Convention ne constituent pas tous des infractions en droit uruguayen et qu’aucune procédure spécifique n’est prévue pour le réexamen des décisions d’adoption ou de garde ayant fait suite à une disparition forcée, et indiquer si elle estime qu’il faudrait revoir la législation afin de mieux prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant. La délégation est invitée à préciser les différences entre les deux régimes juridiques en place selon que la victime se plaint d’actes commis durant la dictature ou à une autre période, y compris en termes de protection du droit à la vie privée, ainsi que l’état d’avancement des demandes de réparation émanant d’autres organismes de protection des droits de l’homme, dont la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
4.M . Camara relève que si des efforts importants ont été faits pour mettre la législation en conformité avec la Convention, aucune disposition spécifique n’a été adoptée pour qualifier la soustraction d’enfants en droit interne (art. 25 de la Convention). La notion de victime n’étant pas définie dans la législation uruguayenne, il voudrait savoir si la jurisprudence donne des éléments de définition. Il souhaiterait que soit présenté plus en détail le recours en amparo, enparticulier les différences entre ce recours et les recours en habeas corpus et en habeas data.
5.M. Hazan demande ce qui est fait pour protéger les victimes et témoins et leur éviter un second traumatisme lors des procès.
6.M. Mulembe félicite l’État partie d’avoir détaillé les différents programmes de formation introduits dans la fonction publique et aimerait savoir, d’une part, comment la pérennité de ces formations est assurée et, d’autre part, si elles ont déjà donné des résultats tangibles, en termes notamment d’évolution des mentalités.
7.M. Huhle ajoute qu’il serait intéressant de comprendre comment se répartissent les compétences en matière de formation − initiale et continue − des juristes et des magistrats.
8.M me Janina demande s’il y a des circonstances exceptionnelles dans lesquelles il est possible de lever l’interdiction du refoulement, s’il est fait usage des assurances diplomatiques lors des renvois, dans quelle mesure les services de l’État partie prennent en compte les besoins et les sensibilités spécifiques des femmes et des enfants et comment sont respectivement définis les enfants et les adolescents puisque les deux termes apparaissent dans les textes de loi.
La séance est suspendue à 10 h 45; elle est reprise à 11 h 10.
9.M. Perazza (Uruguay) explique que le principe de non-refoulement est consacré à l’article 3 de la loi sur l’asile. L’application de ce principe fondamental relève donc au premier chef de la Commission des réfugiés, qui est constituée de représentants de diverses institutions publiques (dont toutes ne sont pas rattachées à l’exécutif) et de la société civile.
10.M me Fulco (Uruguay) confirme qu’aucun protocole n’a été établi pour le régime de détention au secret.
11.M. Miranda (Uruguay) précise que la garantie d’habeas corpus est prévue à l’article 17 de la Constitution uruguayenne, qui a toujours été appliqué directement. Cependant, l’Uruguay reconnaît la nécessité d’une réglementation dans ce domaine. C’est pourquoi l’habeas corpus fait désormais l’objet d’un projet de loi qui est en cours d’adoption et qui reprend la pratique judiciaire. Tout juge pénal peut statuer sur une demande d’habeas corpus. La demande est faite par écrit et le juge demande que la personne soit présentée et que les causes de la privation de liberté soient exposées. Il y a donc un contact avec la personne privée de liberté. En général, les magistrats rendent visite aux personnes privées de liberté et ont librement accès, tout comme les organisations de la société civile, aux centres de détention et aux centres accueillant des mineurs en conflit avec la loi. Aucun article de la Constitution n’est consacré au recours en amparo, qui entre dans le champ de l’article 72. Il est prévu que l’amparo fasse prochainement l’objet d’une loi. Par ailleurs, l’habeas corpus ne concerne que les situations de privation de liberté alors que l’amparo s’applique à toutes les autres situations de violation ou de menace de violation des droits fondamentaux.
12.M me Fulco (Uruguay)indique qu’une réforme du système pénitentiaire a été entreprise en 2005 et que la loi régissant le nouveau système prévoit la tenue de registres des personnes détenues en Uruguay. Les données concernant les détenus ont toujours été soigneusement enregistrées et conservées; l’Uruguay connaît exactement le nombre de personnes privées de liberté dans le pays, leur état de santé ainsi que les détails de leur dossier judiciaire. Un travail d’harmonisation est cependant nécessaire et il a été entrepris avec l’aide de l’Espagne, sur le modèle du système catalan. Dans ce cadre, l’Uruguay disposera bientôt d’un logiciel perfectionné qui lui permettra de tenir le registre de manière très précise.
13.M . Perazza (Uruguay) dit que les victimes de disparition forcée peuvent avoir accès aux informations les concernant soit en adressant une demande directe aux autorités compétentes, soit par l’intermédiaire de l’institution nationale des droits de l’homme. La loi sur l’habeas data dispose que le droit à la protection des données personnelles est un droit de l’homme garanti par l’article 71 de la Constitution. Toute personne a le droit d’obtenir toute information la concernant figurant dans des bases de données publiques ou privées. Lorsqu’il s’agit d’une donnée concernant une personne décédée, ses successeurs peuvent faire une demande d’accès aux informations publiques. La loi prévoit que le titulaire d’un droit auquel l’accès aux données le concernant est refusé peut entreprendre une procédure judiciaire.
14.M me Jorge (Uruguay) dit que c’est l’Institut national des dons et de la transplantation d’organes, de cellules et de tissus qui est chargé du prélèvement de la préservation et de la protection des échantillons biologiques liés à des personnes disparues et de la gestion de la base de données génétiques, avec le consentement des intéressés. Ces échantillons sont conservés dans une zone surveillée et ne peuvent être transférés que sur demande du Secrétariat des droits de l’homme ou d’un juge, là encore avec le consentement des intéressés.
15.M. Perazza (Uruguay) reconnaît que, bien que de nombreuses formations soient organisées sur les droits de l’homme en Uruguay, aucun cours n’est consacré spécifiquement aux disparitions forcées et aux dispositions de la Convention. La formation qui est dispensée aux fonctionnaires de police et au personnel des centres de détention n’aborde pas cette question. La police devrait saisir l’occasion de la révision de son programme de formation pour combler cette lacune. L’Uruguay pourrait solliciter l’aide internationale en la matière. M. Perazza rappelle que dans son jugement dans l’affaire Gelman c. Uruguay, la Cour interaméricaine des droits de l’homme avait demandé à l’Uruguay d’organiser une formation spécifique pour les agents du ministère public et les juges de l’ordre judiciaire. Pour s’acquitter de cette obligation, l’Uruguay travaille en collaboration avec la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
16.M. Miranda (Uruguay) évoque une crise récente au sujet de l’enseignement relatif aux droits de l’homme dispensé au Centre d’études judiciaires d’Uruguay qui dépend du pouvoir judiciaire. Cette crise prouve qu’il s’agit d’une question sensible. L’Uruguay devra redoubler d’efforts pour organiser la formation aux droits de l’homme à tous les niveaux, notamment dans le cadre du plan national récemment mis en place.
17.M. Gonz á lez (Uruguay) dit que l’Uruguay a beaucoup avancé dans le domaine de la formation aux droits de l’homme, notamment dans l’enseignement universitaire, mais qu’il faut encore l’étendre à l’ensemble du territoire et mettre l’accent sur la connaissance et la promotion de la Convention.
18.M. Miranda (Uruguay) indique que le Code civil uruguayen comprend des dispositions sur la question de l’absence, envisagée dans le cadre de situations de guerre ou de naufrage. Les familles des victimes de disparition forcée lors de la dictature ont réclamé à l’État des mesures concrètes afin de régler notamment des questions de succession et de filiation impliquant des personnes disparues. C’est pourquoi la Commission Vérité a élaboré une loi sur la question, qui ne porte pas modification des dispositions du Code civil, mais facilite la preuve de l’absence. Dans ce cadre, un juge peut déclarer une personne absente si son nom figure sur la liste de la Commission Vérité. En Uruguay, l’absence ne s’accompagne pas d’une présomption de décès. De ce fait, la déclaration d’absence ne peut entraîner la dissolution d’un mariage. La question s’est posée concrètement de savoir comment intégrer l’absence au livret de famille. Après de longs débats, une page a été ajoutée dans la section relative aux naissances et non aux décès. Cet exemple illustre la réflexion éthique profonde qui a été menée dans le souci d’apporter une réparation morale, qui est essentielle lorsque qu’il s’agit de disparitions forcées.
19.S’agissant de la définition de la victime, le paragraphe 2 de l’article 14de la loi 18026 dispose que la réparation doit être intégrale et comprendre des mesures d’indemnisation, de restitution et de réadaptation, et s’étendre aux membres de la famille de la victime et au groupe ou à la communauté à laquelle elle appartient. Il ne s’agit donc pas seulement d’une indemnisation économique, mais morale et à ce titre les mesures symboliques qui ont été prises en Uruguay sont peut-être encore insuffisantes. Le concept de victime qui figure à l’article14 de la loi susmentionnée respecte les dispositions de la Convention ainsi que la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir. Il est prévu d’inclure une définition du concept de victime dans le futur projet de Code de procédure pénale.
20.S’agissant de la protection des mineurs victimes de disparition forcée, les infractions de substitution et de suppression d’état civil ont été invoquées jusqu’à présent pour permettre aux enfants de récupérer leur identité. Il serait néanmoins nécessaire de prévoir en droit pénal une infraction concernant expressément les mineurs. M. Miranda rappelle que le droit des enfants adoptés à l’identité est garanti et que les dispositions qui les empêchaient d’avoir accès à leur dossier et aux informations concernant leur filiation ont été supprimées.
21.M me Jorge(Uruguay), pour répondre à la question de M. Hazan au sujet des victimes et témoins dans les procédures judiciaires, explique que les autorités recherchent une solution mais que le problème n’est pas tout à fait réglé.
22.M me Dupuy Lasserre(Uruguay), en réponse à la question de Mme Janina sur les enfants et les adolescents au regard de l’article 15 de la Convention, précise que la législation vise d’une part les enfants de 0 à 18 ans et, d’autre part, dans le Code de l’enfance et de l’adolescence, les enfants de 0 à 13 ans et les adolescents de 13 à 18 ans, distinction qui permet de traiter le mineur différemment selon son degré de maturité.
23.M. López Ortega demande, au sujet de l’habeas corpus, dont la procédure est sans faille, si l’État accepterait aisément une recommandation du Comité l’incitant à continuer cette réforme. S’agissant des adoptions, il demande s’il existe une voie judiciaire facilement accessible qui permette d’annuler une adoption et de retrouver sa filiation d’origine.
24.M. Camara demande, à propos de l’habeas data, s’il existe un recours permettant à une personne de prendre connaissance des informations personnelles la concernant qui figurent dans les registres.
25.M. Hazan demande s’il existe, en plus de la compétence pénale, un mécanisme administratif pour suspendre des membres des forces armées mis en cause dans des cas de disparition forcée. Il demande également si l’Uruguay envisage de créer, au sein du ministère public, une unité spécialisée chargée des disparitions forcées, ce qui rendrait la politique de lutte contre celles-ci plus efficace. Il demande enfin en outre s’il est possible d’annuler une adoption découlant d’une disparition forcée ou d’un autre crime grave comme la traite d’enfants.
26.M. Huhle précise que la notion de victime figurant dans la Convention inclut toute personne qui a souffert d’une disparition, comme un concubin ou des collègues. Si la législation uruguayenne ne prévoit pas une définition aussi large, il conviendrait d’y remédier.
27.M. González (Uruguay) indique que l’Uruguay projette en effet de réformer la procédure d’habeas corpus dans le sens suggéré par M. López Ortega. Au sujet de l’habeas data, il confirme qu’il existe dans la loi uruguayenne un recours du type de celui évoqué par M. Camara. En ce qui concerne l’éventuelle suspension de membres de l’armée mis en cause dans des disparitions forcées, ces cas relèvent du régime juridique ordinaire; il faut donc qu’il y ait une plainte, une procédure et une condamnation.
28.M. Miranda (Uruguay) fait valoir, concernant l’idée très intéressante de création d’une unité spécialisée dans les disparitions forcées au sein du ministère public, que la question a déjà été soulevée par la société civile et l’institution nationale des droits de l’homme. Il y a effectivement parfois des défaillances dans le système d’enquête uruguayen et l’idée d’une telle création est à l’étude.
29.M. González (Uruguay) explique que la loi sur l’enfance et l’adolescence prévoit expressément la possibilité d’annuler une adoption dans le cadre d’une procédure extraordinaire abrégée. Selon le Code de l’enfance, les données sur la filiation d’un enfant sont toujours conservées. Concernant la notion de victime, il estime que la définition figurant dans la loi uruguayenne est large.
30.M. Ló pez Ortega déclare que de nombreuses questions ont été éclaircies grâce au dialogue. La délégation a, entre autres points, bien clarifié la place de la Convention dans le système législatif uruguayen et bien évalué l’institution nationale des droits de l’homme, dont le rôle devrait être renforcé et qui devrait bénéficier d’une plus grande indépendance. Il encourage l’Uruguay à poursuivre ses réformes législatives et à veiller particulièrement à l’indépendance des juges, essentielle dans le domaine des disparitions forcées.
31.M. Camara demande s’il existe des dispositions spécifiques de protection des femmes et des enfants victimes de disparition forcée, si le principe du non-refoulement est applicable en cas de terrorisme, et comment l’Uruguay s’assure qu’une personne dont l’extradition est demandée ne risque pas la peine de mort ou des traitements cruels ou dégradants dans le pays de destination. Il suggère trois pistes de réflexion et engage l’Uruguay à s’interroger sur la durée minimale de la peine encourue pour le crime de disparition forcée, qui est de deux ans, à se pencher sur la situation des femmes enceintes, des enfants et des autres personnes vulnérables victimes de disparition forcée, et à examiner la durée de la peine accessoire qui interdit l’exercice de fonctions publiques.
32.M. González (Uruguay) est heureux de constater que les membres du Comité ont exprimé leur satisfaction sur les réponses apportées à un grand nombre de points car c’est dans un esprit d’ouverture que la délégation a voulu travailler, et ce, d’autant plus que l’Uruguay a longtemps souffert du crime de disparition forcée. Les contributions des membres du Comité seront précieuses à l’Uruguay dans sa lutte contre les disparitions forcées et l’amélioration de sa législation dans ce domaine. La délégation répondra par écrit aux questions supplémentaires posées.
33.Le Président remercie la délégation pour le dialogue substantiel, constructif et honnête qui a eu lieu et qui constitue un premier cas d’examen oral d’un rapport de pays digne d’être pris en exemple. Il souligne aussi l’importance de la contribution des ONG.
La séance est levée à 12 h 50.