Nations Unies

CED/C/SR.221

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

14 septembre 2017

Original : français

Comité des disparitions forcées

Treizième session

Compte rendu analytique (partiel)* de la 221 e séance

Tenue au Palais des Nations, à Genève, le mardi 5 septembre 2017, à 15 heures

Président(e)  :Mme Janina (Vice-Présidente)

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application du paragraphe 1 de l’article 29 de la Convention (suite)

Rapport initial du Gabon

Dans l’attente de l’ élection du nouveau bureau, M me Janina (Vice-Présidente) prend la présidence .

La séance est ouverte à 15 h 20.

Examen des rapports soumis par les États parties en application du paragraphe 1 de l’article 29 de la Convention (suite)

Rapport initial du Gabon (CED/C/GAB/1  ; CED/C/GAB/Q/1  ; CED/C/GAB/Q/1/Add.1 ; HRI/CORE/1/Add.65/Rev.1 )

1.Sur l’invitation de la Présidente, la délégation gabo naise prend place à la table du  Comité.

2.M me Bibalou Bounda (Gabon) rappelle que son pays a signé la Convention en 2007 et qu’après sa ratification, en 2011, il a mis sa législation interne en conformité avec les dispositions de cet instrument. Le rapport initial du Gabon a été élaboré en coopération avec des ONG, la Commission nationale des droits de l’homme, l’ensemble de la société civile gabonaise, par l’intermédiaire de différentes organisations, et des partenaires du développement, en particulier le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).

3.La disparition forcée constitue un acte illégal qualifié de crime contre l’humanité en droit international. En l’état actuel des choses, toutefois, le droit gabonais n’incrimine pas la disparition forcée en tant qu’infraction autonome. Il ne définit pas la disparition forcée selon les termes de la Convention, mais se fonde plutôt sur des actes sanctionnés par le Code pénal gabonais, tels que la torture, les traitements cruels ou inhumains ou les séquestrations arbitraires. La disparition forcée est néanmoins considérée comme un crime de caractère grave et est réprimée par les articles 48, 49 (al. 2), 134 à 136, 138, 278 et 270 du Code de procédure pénale. Il en découle que ce code punit sévèrement toute personne qui aurait commis une disparition forcée ou donné des instructions en ce sens. L’ordre de commettre une disparition forcée ou inciter à commettre une disparition forcée est réprimé au même titre que l’infraction elle-même. Le crime de disparition forcée est érigé en crime contre l’humanité par le Livre VI du Code de procédure pénale gabonais, qui a trait à la coopération avec la Cour pénale internationale. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale a été incorporé au nouveau Code de procédure pénale en 2010. Le Code pénal gabonais prévoit également des procédures relatives à l’arrestation, à la détention, à l’enlèvement et à toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État, des personnes ou des groupes de personnes agissant avec l’autorisation de l’État qui aurait pour effet de soustraire une personne à la protection de la loi.

4.Le projet de réforme du Code pénal, qui est en cours d’adoption, contient une définition de la disparition forcée et prévoit que la disparition forcée en tant que crime contre l’humanité est imprescriptible, tandis que l’action publique relative à la disparition forcée en tant qu’infraction autonome se prescrit par vingt ans. Ces dispositions législatives ont été prises à titre préventif car le Gabon n’est pas touché par le phénomène de la disparition forcée. Le Gouvernement n’a en effet pas connaissance de procédure pénale engagée du chef de disparition forcée au sens de l’article 2 de la Convention. Le Gouvernement n’a pas non plus connaissance de plaintes déposées en rapport avec la traite des êtres humains dans le pays. Aucune disparition ou plainte pour disparition n’a été portée à la connaissance des autorités judiciaires ou de police gabonaises dans la foulée des troubles postélectoraux du 31 août 2016. Seules trois des personnes inculpées pour pillage lors de ces incidents sont toujours en détention ; l’instruction suit son cours.

5.M. Decaux (Rapporteur pour le Gabon) demande quels moyens l’État partie prévoit de donner à la commission nationale des droits de l’homme pour lui permettre de se faire attribuer le statut d’accréditation « A » par le Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme. Il souhaiterait également connaître la position du Gabon à la suite de l’étude technique réalisée sur la question de l’opportunité de faire la déclaration prévue à l’article 31 de la Convention, par laquelle il reconnaîtrait la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers.

6.Le rapport du Gabon a été communiqué le 10 juin 2015, soit avant les événements consécutifs aux élections, notamment les troubles du 31 août 2016. Relevant à cet égard qu’il est surtout fait mention, dans le rapport et les réponses à la liste de points, des arrestations effectuées et des poursuites engagées, M. Decaux signale que certaines allégations crédibles d’ONG et d’organisations internationales font état de morts, de blessés et de disparus. Or le Gabon a indiqué à plusieurs reprises qu’aucune allégation de disparition forcée n’avait été portée à la connaissance de ses instances judiciaires. Selon les ONG, 300 personnes auraient trouvé la mort lors de l’attaque du quartier général de campagne de M. Ping, survenue le 31 août 2016, et au moins quatre charniers auraient été découverts plus récemment à Libreville, notamment à Mindoubé (130 corps), dans la Cité de la démocratie (50 corps) et dans les morgues de la Compagnie africaine de sépulture du Gabon (une centaine de corps). M. Decaux demande s’il s’agit d’exécutions extrajudiciaires ou de disparitions forcées, et si la justice a été saisie de ces cas. Le 20 septembre 2016, le Gabon a lui-même saisi la Cour pénale internationale, ce qui atteste de la gravité de la situation et du fait que des questions de droit pénal international se posent.

7.Dans son rapport, le Gabon a indiqué qu’une réforme du Code pénal visant à définir et à incriminer la disparition forcée était en cours d’adoption. M. Decaux demande des précisions à cet égard et rappelle que la Convention prévoit au moins deux définitions et donc deux voies d’incrimination pour cette infraction, qui doivent être mises en regard : d’une part au titre de l’article 2 de la Convention, en tant qu’infraction autonome constituant une négation de l’état de droit et du droit qu’a toute personne à la protection de la loi, et d’autre part en tant que crime contre l’humanité, s’agissant d’une pratique généralisée ou systématique au sens de l’article 5 de la Convention. M. Decaux demande des précisions à ce sujet et rappelle qu’au besoin, le Comité peut prêter assistance à l’État partie pour transposer dans le droit national la définition de la disparition forcée énoncée dans la Convention. Par ailleurs, dans sa réponse aux questions posées au paragraphe 9 de la liste de points, le Gabon a rappelé le principe de la responsabilité individuelle, selon lequel « chaque mis en cause, auteur d’un délit ou d’un crime, est personnellement et pénalement responsable de l’acte qualifié de crime ou délit ». M. Decaux fait valoir à cet égard qu’il est cependant nécessaire de disposer d’un cadre juridique, tout au moins pour que la définition du crime soit assortie de peines proportionnées à la gravité de l’acte, et demande des précisions à ce sujet. Il rappelle que la responsabilité individuelle peut revêtir plusieurs formes. Ainsi, l’article 6 de la Convention prévoit la responsabilité de l’auteur de la disparition forcée, mais aussi de toute personne qui en est complice ou y participe, ainsi que celle du supérieur hiérarchique et du supérieur militaire. Il rappelle en outre que des circonstances atténuantes ou aggravantes peuvent être retenues et qu’il convient d’en dresser une liste.

8.Le Gabon a indiqué que la disparition forcée était imprescriptible en tant que crime contre l’humanité mais qu’elle se prescrivait par vingt ans en tant qu’infraction autonome. M. Decaux souligne à cet égard que l’État partie n’a pas précisé si le caractère continu de cette infraction était pris en compte et demande quel est le moment précis à partir duquel ce délai commence à courir. Par ailleurs, s’agissant de la justice militaire, il est précisé dans le rapport que le Procureur de la République et les officiers de police judiciaire sont chargés d’enquêter sur les disparitions forcées commises par le personnel des forces armées, y compris celles commises à l’encontre d’autres membres du personnel militaire. M. Decaux demande s’il faut comprendre que le Gabon ne dispose pas d’une justice militaire et que ce sont donc les tribunaux ordinaires qui sont compétents pour connaître de ces infractions, ce qui serait conforme aux normes du droit international ainsi qu’à la déclaration sur les disparitions forcées et la juridiction militaire adoptée par le Comité le 13 février 2015. Enfin, le Gabon a reçu en 2013 une visite de la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants ; il serait intéressant de savoir comment l’incrimination de la traite peut être renforcée comme suite aux recommandations de la Rapporteuse.

9.M. Figallo Rivadeneyra (Rapporteur pour le Gabon) demande des renseignements sur les dispositions de la Constitution gabonaise relatives à la proclamation de l’état d’urgence ou de l’état de siège, et tout particulièrement sur celles qui permettent de restreindre les libertés individuelles et les droits de l’homme en pareil cas. Il demande en outre quelles dispositions du droit national permettent de garantir qu’aucune circonstance exceptionnelle ne puisse être invoquée pour justifier une quelconque dérogation à l’interdiction de la disparition forcée, qu’il s’agisse d’un état d’urgence ou d’un état de siège, d’un danger imminent pour la sécurité intérieure ou extérieure, d’une insurrection armée ou d’une guerre civile.

10.M. Figallo Rivadeneyra demande des précisions sur la façon dont les éléments constitutifs du crime de disparition forcée sont définis en tant que crime contre l’humanité aux articles 612 à 635 du Code pénal de l’État partie. Se référant au paragraphe 30 du rapport, il souhaiterait savoir si la notion de « mise en gage » d’une personne visée à l’article 252 du Code pénal couvre la traite et l’esclavage domestique et si l’État partie prévoit de prendre des mesures afin que ces infractions emportent des peines à la mesure de leur extrême gravité. Il souhaiterait connaître la durée minimale et la durée maximale des peines prévues aux paragraphes 1 et 3 de l’article 253 du Code pénal ainsi que la nature et la durée des peines applicables lorsque les faits constitutifs de disparition forcée ont été commis par un agent de l’État en uniforme. Il serait en outre intéressant de savoir si l’ensemble des circonstances atténuantes et aggravantes visées respectivement aux alinéas a) et b) du paragraphe 2 de l’article 7 de la Convention sont prises en considération dans les affaires de disparition forcée.

11.M. Figallo Rivadeneyra invite la délégation à fournir, en complément aux informations figurant au paragraphe 40 du rapport, des précisions sur la procédure et les mesures mises en place aux fins de l’examen des allégations de disparition forcée, de la réalisation d’enquêtes approfondies et impartiales et de l’élucidation du sort réservé aux personnes disparues. Il souhaiterait savoir si les fonctionnaires de police judiciaire sont habilités à ouvrir des enquêtes d’office. Si tel est le cas, des précisions sur la procédure suivie et les personnes chargées de l’enquête seraient bienvenues. Il serait en outre utile de savoir quelle autorité judiciaire a compétence pour exercer un contrôle sur les mesures de privation de liberté appliquées par les autorités militaires, dont les services de contre-ingérence de l’armée, et quels organes sont chargés des enquêtes portant sur les affaires de disparition forcée dans lesquelles des membres des forces armées sont mis en cause, y compris celles dans lesquelles les disparus eux-mêmes sont des militaires.

12.En ce qui concerne l’article 31 du Code de procédure pénale, la délégation voudra bien préciser si le droit interne prévoit des mécanismes permettant de garantir que les plaignants, les témoins, les proches de la personne disparue et leurs défenseurs ainsi que les personnes qui participent à l’enquête soient efficacement protégés contre les mauvais traitements ou les tentatives d’intimidation liés à la soumission d’une plainte ou à une déposition. La délégation pourrait aussi indiquer s’il existe des mécanismes procéduraux permettant d’écarter des enquêtes portant sur des disparitions forcées les forces civiles ou militaires chargées de la sécurité ou du maintien de l’ordre, dans les cas où un ou plusieurs de leurs membres sont mis en cause.

13.Enfin, M. Figallo Rivadeneyra souhaiterait savoir si l’État partie compte adopter une législation faisant de la disparition forcée telle qu’elle est définie à l’article 2 de la Convention un motif d’extradition devant figurer dans tout traité d’extradition conclu avec d’autres États. Constatant que, d’après les renseignements fournis au paragraphe 57 du rapport, l’État partie s’assure que la demande d’extradition ne poursuit pas des objectifs de nature politique, le Rapporteur aimerait savoir quelles dispositions les autorités gabonaises prévoient de prendre pour que la disparition forcée ne soit jamais considérée, aux fins de l’extradition, comme une infraction politique ou inspirée par des mobiles politiques. La délégation voudra bien donner des détails sur les traités d’extradition conclus par l’État partie avec d’autres États et indiquer si la disparition forcée y figure au nombre des infractions donnant lieu à extradition.

14.M me  Bib alou Bounda (Gabon) dit que, comme le Comité, elle regrette que la délégation ne compte que deux membres et que les représentants de son pays qui devaient participer au dialogue n’aient pas pu se rendre à Genève. Elle assure les membres du Comité que la délégation fera de son mieux pour répondre à ses questions et qu’elle transmettra celles auxquelles elle n’aura pas pu apporter de réponse aux autorités compétentes à Libreville afin qu’ils lui envoient ultérieurement des renseignements écrits.

15.La Commission nationale des droits de l’homme du Gabon a pour mission de promouvoir et protéger les droits de l’homme et est composée de 12 membres d’horizons très divers, dont des représentants d’ONG et de syndicats, des juristes, des médecins, des dignitaires religieux et des journalistes. Les autorités s’emploient actuellement à mettre la Commission en conformité avec les Principes de Paris.

16.La délégation regrette une fois de plus d’avoir à revenir sur l’épisode douloureux et inédit au Gabon que représentent les troubles survenus pendant la période postélectorale. Le Président de la République a engagé un dialogue national auquel toutes les composantes de la société ont participé et à l’issue duquel un gouvernement comprenant des représentants issus aussi bien de la majorité que de l’opposition a été constitué. Les autorités gabonaises ont donc manifestement à cœur de renforcer l’unité, la paix et la cohésion. Le Président a pris la mesure de la gravité de la situation et a invité la Cour pénale internationale à se rendre dans le pays, ce qu’elle a fait récemment. Il n’y a donc pas lieu de débattre de cette question tant que les résultats de l’enquête de la Cour pénale internationale n’auront pas été rendus publics. Un dialogue a été engagé avec la Cour et le Gabon tient à poursuivre cette collaboration dans un climat apaisé.

17.Concernant la notion de disparition forcée, la délégation sensibilisera le Gouvernement à l’importance d’énoncer deux définitions précises de cette infraction, portant respectivement sur les faits visés aux articles 2 et 5 de la Convention. Répondant à la question de M. Decaux concernant la traite, Mme Bibalou Bounda indique que les autorités ont accueilli favorablement les recommandations de la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants, et qu’un projet de loi incriminant la traite est en cours d’examen par le Parlement. Pour ce qui est de la justice militaire, le Gabon est doté d’un tribunal militaire, présidé par le Vice-Président de la République, et conformément à l’article 100 de la loi no 18/2010 du 27 juillet 2010, les militaires sont soumis aux dispositions du Code de justice militaire et du droit de la guerre.

18.En ce qui concerne les questions d’ordre juridique posées par M. Decaux et M. Figallo Rivadeneyra, la délégation craint de ne pas être à même d’y répondre et prie le Comité de se montrer compréhensif et de l’autoriser à les transmettre aux autorités à Libreville et aux spécialistes des questions sur lesquelles elles portent, afin qu’il y soit répondu précisément et dans les meilleurs délais possibles.

19.M.  Decaux (Rapporteur pour le Gabon) dit que l’État partie pourra apporter d’autres éléments relatifs à la première partie du dialogue à la séance suivante et faire parvenir un complément d’information par écrit dans les 48 heures suivant la conclusion de l’examen de son rapport, et qu’il aura peut-être dans l’avenir à fournir des renseignements complémentaires à la demande du Comité agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 29 de la Convention.

20.Le Comité apprécierait beaucoup que l’État partie fasse la déclaration prévue à l’article 32 de la Convention. Concernant la Commission nationale des droits de l’homme, l’important dans l’immédiat est qu’elle soit effectivement opérationnelle, qu’elle œuvre en collaboration avec les pouvoirs publics et la société civile et qu’elle établisse des rapports. Enfin, pour ce qui est des faits survenus à la suite des élections d’août 2016, le Comité ne peut pas tourner la page comme l’État partie souhaite le faire, car la Convention reconnaît aux victimes des droits tels que le droit de connaître la vérité et d’obtenir justice et réparation, dont la réalisation impose de mener des enquêtes pour retrouver et identifier les restes des personnes disparues et les restituer aux familles.

21.M.  Figallo Rivadeneyra (Rapporteur pour le Gabon) demande à la délégation de donner à la séance suivante de plus amples renseignements concernant les considérations et questions liées aux articles 1 à 15 de la Convention, même si ladite séance sera essentiellement consacrée aux articles 16 et suivants.

22.La Présidente remercie la délégation de ses réponses et l’invite à poursuivre le dialogue avec le Comité à sa séance suivante.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 17 h 30.