Nations Unies

CCPR/C/RWA/CO/4

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 mai 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le quatrième rapport périodique du Rwanda *

Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique du Rwanda (CCPR/C/RWA/4) à ses 3250e et 3251e séances (CCPR/C/SR.3250 et 3251), les 17 et 18 mars 2016. À sa 3260e séance, le 24 mars 2016, il a adopté les présentes observations finales.

A.Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique du Rwanda, même s’il a été soumis assez tardivement, ainsi que les informations qui y figurent. Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte de renouer un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie au sujet des mesures prises pendant la période considérée pour mettre en œuvre les dispositions du Pacte. Il remercie l’État partie pour les réponses écrites (CCPR/C/RWA/Q/4/Add.1) qu’il a apportées à la liste de points (CCPR/C/RWA/Q/4) et qui ont été complétées oralement par la délégation, ainsi que pour le complément d’information qu’il lui a fourni par écrit.

B.Aspects positifs

Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption par l’État partie des mesures législatives et institutionnelles ci-après :

a)L’adoption de la loi no 54/2011 relative aux droits et à la protection de l’enfant, le 14 décembre 2011 ;

b)L’adoption de la loi no 4/2013 relative à l’accès à l’information, le 8 février 2013 ;

c)La mise en place, depuis juillet 2009, de centres polyvalents Isange à l’intention des victimes de violence sexiste et l’adoption d’une politique nationale de lutte contre la violence sexiste en juillet 2011 ;

d)L’adoption d’une politique relative à l’aide juridictionnelle et d’une politique relative à la justice pour mineurs, en octobre 2014, et la mise en place d’agents chargés de l’accès à la justice dans tous les districts de l’État partie.

Le Comité se félicite de l’adhésion de l’État partie au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 30 juin 2015.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Rang et applicabilité du Pacte dans l’ordre juridique interne

Le Comité note avec regret que le rang du Pacte dans l’ordre juridique interne a changé comme suite aux modifications apportées en 2015 à la Constitution de l’État partie, qui consacre la supériorité de la Constitution et des lois organiques sur les instruments internationaux. Toutefois, il prend acte des exemples d’invocation du Pacte devant les juridictions nationales cités par l’État partie et note que l’État partie envisage de ratifier le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte (art. 2).

Rappelant son observation générale n o  31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, le Comité rappelle à l’État partie qu’il est tenu de veiller à ce que la législation nationale − et en particulier les lois organiques − soit compatible avec les dispositions du Pacte. L’État partie devrait aussi prendre des mesures énergiques pour sensibiliser les juges, les avocats et les magistrats du parquet aux dispositions du Pacte et à son applicabilité en droit interne. Le Comité recommande également à l’État partie de ratifier le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte, qui établit un mécanisme d’examen des plaintes émanant de particuliers.

Retrait de la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pour recevoir des plaintes

Le Comité note avec préoccupation que l’État partie a retiré, pour examen, sa déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pour recevoir des plaintes de particuliers et d’organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur.

Le Comité invite l’État partie à renouveler sa déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pour recevoir des plaintes émanant de particuliers et d’ONG, de manière à garantir aux droits consacrés dans le Pacte une protection supplémentaire au niveau régional.

Institution nationale des droits de l’homme

Le Comité note que la nouvelle loi no 19/2013 relative à la Commission nationale des droits de la personne réaffirme l’indépendance et l’autonomie financière de la Commission, mais il demeure néanmoins préoccupé par le fait que les membres de la Commission sont sélectionnés par un comité nommé par le Président, ce qui pourrait compromettre leur indépendance. Il est aussi préoccupé par les informations indiquant que la Commission n’est pas perçue comme un organe indépendant (art. 2).

L’État partie devrait veiller à ce que le processus de sélection et de nomination des membres de la Commission nationale des droits de la personne soit pleinement transparent et indépendant, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris). Il faudrait aussi que la Commission s’acquitte pleinement de son mandat et s’investisse davantage dans la protection des droits de l’homme.

Non-discrimination et égalité des hommes et des femmes

Le Comité constate avec satisfaction que le nouveau code de la famille, qui abrogera les dispositions législatives discriminatoires à l’égard des femmes, sera bientôt soumis par le Parlement pour promulgation. Il est toutefois préoccupé par les informations indiquant que la persistance de pratiques traditionnelles discriminatoires dans les zones rurales porte atteinte aux droits fonciers et successoraux des femmes, et par les informations faisant état d’une proportion élevée de mariages non enregistrés (art. 3).

L’État partie devrait  :

a) Accélérer la révision de sa législation interne et abroger ou modifier les dispositions qui sont incompatibles avec le Pacte  ;

b) Redoubler d’efforts pour combattre les stéréotypes concernant le rôle des femmes dans la famille et dans la société, notamment en renforçant les mesures de sensibilisation dans les zones rurales  ;

c) Prendre les mesures voulues pour que les mariages soient enregistrés.

Le Comité se félicite de l’importante représentation des femmes aux postes de décision dans le secteur public, mais est préoccupé par l’absence d’informations sur la représentation des femmes dans le secteur privé (art. 3).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour encourager l’accès des femmes aux postes de décision dans le secteur privé. Il devrait aussi redoubler d’efforts pour supprimer les écarts de salaire entre hommes et femmes et lutter contre la ségrégation verticale et horizontale dans l’emploi.

Violence à l’égard des femmes et des enfants

Le Comité salue les diverses actions menées pour lutter contre la violence sexiste, mais il observe avec préoccupation que la loi no 59/2008 relative à la prévention et à la répression de la violence basée sur le genre réprime le fait pour une victime de refuser de témoigner au sujet de la violence qu’elle a subie et que la législation nationale prévoit des peines plus légères pour le viol conjugal que pour les autres formes de viol. Il est également préoccupé par l’absence de données statistiques qui permettraient d’apprécier l’ampleur du phénomène des violences sexuelles et physiques à l’égard des femmes et des enfants (art. 3, 6 et 7).

L’État partie devrait  :

a) Procéder aux modifications législatives nécessaires pour punir des mêmes peines tous les types de viol et abroger la disposition qui incrimine le refus d’une victime de témoigner  ;

b) Veiller à ce que les affaires de violence familiale et sexuelle fassent l’objet d’enquêtes approfondies, que les auteurs soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, qu’ils soient punis de peines appropriées, et que les victimes soient indemnisées comme il convient  ;

c) Veiller à la délivrance d’ordonnances de protection afin de garantir la sécurité des victimes  ;

d) Intensifier ses efforts pour que toutes les régions du pays soient dotées d’un nombre suffisant de centres polyvalents Isange et de services d’accompagnement des victimes.

Avortement

Le Comité note que la modification apportée au Code pénal en 2012 a élargi le champ des exceptions à l’interdiction de l’avortement. Il demeure toutefois préoccupé par le fait que l’autorisation d’avorter est subordonnée à des conditions contraignantes, à savoir l’obtention d’une décision de justice reconnaissant le viol, le mariage forcé ou l’inceste et, en cas de risque pour la santé de la femme enceinte ou du fœtus, l’accord de deux médecins. Le Comité note avec préoccupation que les femmes enceintes sont, de ce fait, conduites à recourir à des avortements clandestins qui mettent en danger leur vie et leur santé. Il regrette à cet égard de ne pas disposer de données sur le nombre d’avortements légaux effectivement autorisés. Il regrette aussi le manque d’informations sur le contenu du projet de loi relatif à la santé de la procréation qui, selon les informations disponibles, restreindrait encore plus l’accès à l’avortement en ne l’autorisant que dans les cas, attestés par trois médecins, où la grossesse pourrait mettre gravement en péril la vie de la mère (art. 3, 6, 7 et 17).

L’État partie devrait  :

a) Faire en sorte que les femmes ne se voient pas refuser l’accès à des services médicaux nécessaires pour protéger leur vie et leur santé  ;

b) Revoir sa législation pour que les femmes ne soient pas incitées, en raison d’obstacles juridiques, à recourir à des avortements clandestins mettant en danger leur vie et leur santé, et veiller à ce que les dispositions relatives à l’interruption volontaire de grossesse prévues par le projet de loi sur la santé de la procréation soient pleinement conformes aux prescriptions du Pacte  ;

c) Veiller à ce que les femmes et les adolescentes aient accès à des services de santé de la procréation sur l’ensemble du territoire national, et en particulier dans les zones rurales, et développer les programmes d’éducation et de sensibilisation mettant l’accent sur l’importance de la contraception, et sur les droits et les choix relatifs à la sexualité et à la procréation.

Détention illégale et allégations de torture et de mauvais traitements

Le Comité note que l’État partie nie l’existence de pratiques de détention illégale, mais reste préoccupé par les informations faisant état de personnes détenues illégalement par l’armée ou la police dans des centres de détention non officiels, parfois au secret et, pour certaines, avant leur transfert dans des lieux de détention officiels. Il est aussi préoccupé par les allégations selon lesquelles la torture et les mauvais traitements sont utilisés dans ces centres pour d’obtenir des aveux. Il regrette le manque d’informations sur les mesures prises pour enquêter sur ces allégations et l’absence de données statistiques concernant les enquêtes, les poursuites et les condamnations liées à des affaires de torture ou de mauvais traitements. Il est préoccupé en outre par la durée maximale de la garde à vue d’une personne avant sa présentation à un juge, qui pourrait ne pas être conforme aux dispositions du Pacte (art. 7, 9 et 14).

L’État partie devrait  :

a) Procéder aux modifications législatives nécessaires pour que la durée maximale normale de la garde à vue d’un suspect avant sa présentation à un juge soit de quarante-huit heures  ;

b) Faire en sorte que les personnes privées de liberté ne soient détenues que dans des lieux de détention officiels et bénéficient dans la pratique de toutes les garanties juridiques  ;

c) Veiller à ce que des enquêtes soient menées rapidement sur les cas présumés de détention illégale, d’actes de torture ou de mauvais traitements et à ce que les responsables soient traduits en justice  ;

d) Faire en sorte que les personnes qui ont été victimes d’une détention illégale, d’actes de torture ou de mauvais traitements aient droit à un recours utile et à réparation.

Droit à la vie

Le Comité note que l’État partie affirme que tous les cas présumés de disparition ou de meurtre signalés à la police font dûment l’objet d’enquêtes, mais reste préoccupé par le fait que les affaires relatives à la disparition de personnalités politiques, mentionnées dans ses précédentes observations finales (voir CCPR/C/RWA/CO/3, par. 12), ne sont toujours pas résolues et que, depuis, d’autres dissidents politiques ont disparu ou ont été tués au Rwanda ou à l’étranger (art. 6 et 9).

L’État partie devrait procéder systématiquement et rapidement à des enquêtes impartiales et efficaces sur les cas signalés d’exécution extrajudiciaire, de disparition forcée et de meurtre, y compris sur la possible complicité de membres des forces de police et de sécurité, et identifier les auteurs en vue de les traduire en justice. Il devrait aussi prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les disparitions et les exécutions, établir les faits et faire la lumière sur le sort des victimes, et accorder une réparation complète aux victimes et à leur famille.

Violations des droits de l’homme commises dans le passé

Rappelant ses précédentes observations finales (voir CCPR/C/RWA/CO/3, par. 13), le Comité regrette de ne pas avoir reçu d’informations concernant l’établissement des responsabilités pour les violations des droits de l’homme qui auraient été commises par le Front patriotique rwandais en 1994. Il note que l’État partie réfute les conclusions du rapport des Nations Unies de 2010 sur le projet « Mapping » concernant les violations les plus graves et des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la République démocratique du Congo, selon lesquelles, en 1996, l’armée rwandaise a mené des attaques systématiques et généralisées contre des Hutus installés en République démocratique du Congo, mais il est préoccupé par l’absence d’informations sur les mesures prises pour enquêter sur ces allégations (art. 2, 6 et 7).

L’État partie devrait enquêter sur toutes les allégations de violations des droits de l’homme commises sur son territoire ou à l’étranger par ses agents et faire en sorte qu’aucune violation grave des droits de l’homme perpétrée dans le passé ne reste impunie et que toutes les victimes ou les membres de leur famille obtiennent une réparation complète.

Coopération avec des groupes armés

Le Comité prend acte de la position de l’État partie (voir S/2014/42, annexe 109), qui conteste les conclusions du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, lequel a établi que le groupe armé aujourd’hui démantelé dit « Mouvement du 23 mars (M23) », responsable de diverses violations des droits de l’homme commises en 2013 en République démocratique du Congo, a reçu l’appui de l’armée rwandaise et d’individus qui ont recruté des hommes et des enfants sur le territoire de l’État partie pour le compte du M23. Il est néanmoins préoccupé par l’absence d’informations sur les mesures prises pour ouvrir une enquête officielle au sujet des conclusions du Groupe d’experts et par la réponse que ce groupe a apportée à la position exprimée par l’État partie (voir S/2014/42, annexe 110) (art. 2, 6 et 7).

L’État partie devrait procéder sans délai à des enquêtes impartiales et efficaces sur la coopération présumée de membres de l’armée rwandaise et d’autres personnes placées sous sa juridiction avec le M23, en vue de traduire les responsables en justice ou de les extrader vers la République démocratique du Congo. Il devrait aussi veiller à ce que les enfants qui ont été enrôlés sur le territoire de l’État partie pour être utilisés dans les hostilités par le M23 bénéficient d’une assistance et de services de réinsertion appropriés.

Incrimination et détention de personnes pour vagabondage

Rappelant ses précédentes observations finales (voir CCPR/C/RWA/CO/3, par. 16), le Comité reste préoccupé par le fait que le Code pénal continue de prévoir des sanctions pour vagabondage et mendicité, même si elles ne sont pas appliquées dans la pratique. Il constate aussi avec préoccupation que des sans-abri et des mendiants continuent d’être placés en détention, sans inculpation ni contrôle judiciaire, au centre de réinsertion et de transit de Gikondo, dans des conditions qui seraient extrêmement dures, et que des enfants des rues sont envoyés dans d’autres centres de réinsertion (art. 2, 7, 9, 10, 14 et 24).

L’État partie devrait prendre les mesures législatives ou autres mesures qui s’imposent pour supprimer les infractions de vagabondage et de mendicité et mettre fin à l’enfermement contre leur gré de sans-abri, de mendiants et d’autres membres de groupes vulnérables dans des centres de transit ou de réinsertion. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour mettre en place à l’intention des enfants des rues des solutions autres que le placement en institution, notamment l’accueil en milieu familial.

Demandeurs d’asile et détention liée à l’immigration

Le Comité note que l’État partie a récemment accordé prima facie le statut de réfugié à plus de 70 000 personnes en provenance du Burundi et qu’il est résolu à satisfaire à ses obligations internationales relatives à la protection des réfugiés. Il s’inquiète toutefois du statut définitif qu’auront ces personnes. Il relève aussi avec préoccupation que, conformément à la loi de 2014 relative aux réfugiés, en cas de rejet d’une demande d’asile, les recours ne sont pas introduits auprès d’une autorité indépendante, et que les demandeurs d’asile ne bénéficient pas de l’aide juridictionnelle. Il note aussi avec préoccupation que les étrangers en attente d’expulsion sont détenus dans des prisons (art. 7, 9, 10 et 13).

L’État partie devrait honorer ses engagements et respecter le principe de non-refoulement en veillant à ce que les réfugiés et les demandeurs d’asile, notamment ceux originaires du Burundi, ne soient pas expulsés vers un pays où il y a des motifs sérieux de croire qu’ils courent un risque réel de préjudice irréparable, tel que ceux énoncés aux articles 6 et 7 du Pacte. Il devrait aussi envisager de modifier la loi relative aux réfugiés afin de mettre en place un mécanisme de recours indépendant et de fournir une aide juridictionnelle aux demandeurs d’asile si l’intérêt de la justice le commande. L’État partie devrait veiller à ce les personnes en attente d’expulsion ne soient placées en détention que si cela est raisonnablement nécessaire et proportionné, après que des moyens moins contraignants ont été dûment envisagés, et pour la durée la plus courte possible, et à ce que les personnes détenues pour des motifs liés à l’immigration soient retenues dans des locaux spécialement conçus à cet effet.

Conditions carcérales

Le Comité prend note des efforts que l’État partie a faits pour réduire la surpopulation carcérale, mais redit sa préoccupation au sujet des mauvaises conditions qui continuent à régner dans les centres de détention. Il est aussi préoccupé par l’utilisation excessive de la détention avant jugement pour des périodes prolongées (art. 10).

L’État partie devrait poursuivre ses efforts pour réduire la surpopulation dans les prisons et les lieux de détention de l’armée et de la police, notamment en recourant davantage à des mesures de substitution à la détention. Il devrait aussi améliorer les conditions de détention dans tous les locaux et poursuivre ses efforts pour garantir la séparation entre les prévenus et les condamnés.

Indépendance du système judiciaire, procès équitable et tribunaux militaires

Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de l’immixtion illégale d’agents de l’État dans le système judiciaire et constate que la procédure de nomination des juges de la Cour suprême et des présidents des principaux tribunaux peut exposer ceux-ci à des pressions politiques. Il prend note de la fermeture des tribunaux gacaca en 2012, mais reste préoccupé par les informations faisant état de l’impossibilité de revenir sur les décisions rendues par les juridictions gacaca qui pourraient avoir donné lieu à des erreurs judiciaires. Il constate également avec préoccupation que les tribunaux militaires sont compétents pour juger des civils dans certains cas (art. 14).

L’État partie devrait prendre les mesures législatives et autres mesures nécessaires pour  :

a) Que les juges ne fassent l’objet d’aucune forme d’influence politique lorsqu’ils prennent des décisions et que la procédure judiciaire respecte à tout moment les principes de présomption d’innocence et d’égalité des armes  ;

b) Que les magistrats soient nommés conformément à des critères objectifs de compétence et d’indépendance et que le Conseil supérieur de la magistrature participe de manière effective à la prise des décisions relatives aux nominations  ;

c) Que les erreurs judiciaires résultant de décisions rendues par des tribunaux gacaca puissent faire l’objet d’un recours dans le cadre d’une procédure répondant aux exigences de l’article 14 du Pacte  ;

d) Que les tribunaux militaires ne puissent pas juger des civils.

Interception des communications

Le Comité constate avec préoccupation que la loi no 60/2013 autorise l’interception des communications sans autorisation préalable d’un juge (art. 17).

L’État partie devrait prendre les mesures législatives et autres mesures nécessaires pour veiller à ce que toute immixtion dans la vie privée soit conforme aux principes de légalité, de proportionnalité et de nécessité. Il devrait aussi veiller à ce que l’interception de communications et l’utilisation de données visent des objectifs légitimes précis et que soient énoncées, en détail, les circonstances exactes dans lesquelles de telles immixtions peuvent être autorisées et les catégories de personnes dont les communication s sont susceptibles d’être interceptées. Il devrait également veiller à garantir l’efficacité et l’indépendance du système de contrôle des interceptions, notamment en prévoyant que le système judiciaire prenne part à l’autorisation et au contrôle des interceptions.

Liberté de pensée, de conscience et de religion

Le Comité est préoccupé par les restrictions imposées à l’exercice de la liberté de conscience et de culte des Témoins de Jéhovah qui refusent de chanter l’hymne national, d’assister à des cérémonies religieuses d’une autre confession à l’école ou de prêter serment sur le drapeau national (art. 2, 18, 23, 24, 26 et 27).

L’État partie devrait garantir dans la pratique l’exercice de la liberté de pensée, de conscience et de religion, et s’abstenir de toute action susceptible de limiter l’exercice de ce droit au-delà des seules restrictions permises par l’article 18 du Pacte.

Liberté d’expression

Le Comité constate que la version modifiée de 2013 de la loi sur l’idéologie du génocide a introduit une définition plus précise de l’infraction, mais il reste préoccupé par le caractère vague de la définition de certaines infractions connexes, comme l’infraction de séparatisme, qui peut conduire à des abus, et par l’effet paralysant que ces infractions peuvent avoir sur la liberté d’expression. Le Comité note avec préoccupation que des personnalités politiques d’opposition, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme ont été poursuivis sous ces chefs d’accusation et ont subi d’autres actes d’intimidation. Il prend acte du processus de dépénalisation de la diffamation qui est en cours, mais se dit préoccupé également par l’infraction d’injure. (art. 9, 14 et 19).

L’État partie devrait prendre les mesures législatives nécessaires pour que toute restriction à l’exercice de la liberté d’expression soit conforme aux conditions strictes énoncées dans le Pacte. Il devrait aussi s’abstenir de poursuivre des personnalités politiques, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme dans le but de les dissuader d’exprimer librement leurs opinions et prendre immédiatement des mesures pour enquêter sur les attaques dont ceux-ci font l’objet et leur assurer une protection efficace. L’État partie devrait également envisager de dépénaliser la diffamation et l’injure et veiller à ce que les crimes de haine et les crimes contre la sûreté de l’État soient définis de manière précise et étroite.

Droit de réunion pacifique et liberté d’association

Le Comité relève avec préoccupation que les rassemblements dans les lieux publics et les manifestations de partis politiques sont soumis par le droit interne à l’obtention d’une autorisation préalable. Il est également préoccupé par les informations indiquant que des congrès de partis politiques et des manifestations pacifiques spontanées n’auraient pas été autorisés ou permis pour des motifs qui semblent sans lien avec les justifications énumérées à l’article 21 du Pacte. Il note aussi avec préoccupation que les lois no 04/2012 et no 05/2012 imposent de lourdes obligations en matière d’enregistrement des ONG nationales et des ONG internationales, respectivement, et que les ONG internationales sont tenues de fournir une preuve de financement pour l’ensemble de la période pour laquelle elles demandent à être enregistrées, ce qui conduit nombre d’entre elles à ne solliciter leur enregistrement que pour de brèves périodes. Le Comité prend aussi note avec préoccupation du rôle excessif joué par le Conseil de gouvernance du Rwanda dans le choix des dirigeants de certaines ONG (art. 19, 21 et 22).

L’État partie devrait modifier sa législation et prendre d’autres mesures nécessaires pour que tous les particuliers et tous les partis politiques puissent jouir pleinement, en pratique, du droit à la liberté d’expression, du droit de réunion pacifique et de la liberté d’association, et notamment garantir que toute restriction imposée à l’exercice de ces droits est conforme aux conditions strictes énoncées dans le Pacte. L’État partie devrait également s’abstenir de s’immiscer dans le fonctionnement interne des ONG et des partis politiques.

Enregistrement des enfants

Le Comité est préoccupé par la proportion d’enfants qui ne sont pas enregistrés, en particulier parmi les immigrés, les réfugiés et les demandeurs d’asile. Il est aussi préoccupé par les informations indiquant que les pénalités et les frais pour enregistrement tardif pourraient avoir un effet dissuasif sur l’enregistrement (art. 16 et 24).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour recenser les enfants dont la naissance n’a pas été enregistrée, en particulier parmi les immigrés, les demandeurs d’asile et les réfugiés vivant dans des camps, leur permettre de s’enregistrer de façon rétroactive et les dispenser des frais de justice pour enregistrement tardif. Il devrait continuer de mener des campagnes de sensibilisation sur l’enregistrement des naissances.

Référendum de 2015

Le Comité est préoccupé par les vices de procédure signalés durant le référendum de décembre 2015, qui ont conduit à modifier la Constitution pour empêcher toutes poursuites contre le Président pour trahison ou violation sérieuse et délibérée de la Constitution si la procédure n’a pas été engagée alors qu’il était en fonctions (art. 2, 14 et 25).

L’État partie devrait prendre les mesures législatives et autres mesures nécessaires pour veiller à ce que les référendums et les élections aient lieu à la suite d’un processus transparent, inclusif, éclairé et responsable, conformément à l’article 25 du Pacte. Il devrait aussi veiller à ce que le Chef de l’État soit pleinement soumis à l’obligation de rendre des comptes en cas d’infractions constitutives de violations du Pacte. Le Comité rappelle son observation générale n o  31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte dans laquelle il est indiqué que « le fait de ne pas traduire en justice les auteurs de telles violations pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte » (par. 18).

Droits des peuples autochtones

Le Comité note que l’État partie a pour politique de reconnaître certains groupes vulnérables, tels que les Batwas, comme « historiquement marginalisés », mais il constate avec préoccupation que cette classification n’est pas suffisante pour que ces groupes soient reconnus comme autochtones et que leur droit de jouir de leur culture dans leur communauté soit protégé. Rappelant ses précédentes observations finales (voir CCPR/C/RWA/CO/3, par. 22), le Comité reste préoccupé par la persistance de la discrimination envers les Batwas dans tous les domaines et par la participation limitée de ceux-ci à la vie publique (art. 26 et 27).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour garantir la reconnaissance des minorités et des peuples autochtones et assurer la protection juridique effective du droit des peuples autochtones à leurs ressources naturelles et terres ancestrales. Il devrait aussi garantir l’accès des membres de groupes autochtones à des recours utiles en cas de violation de leurs droits. Il devrait renforcer ses programmes pour promouvoir l’égalité des chances et l’accès a ux services pour la communauté b atwa et accroître la participation de ses membres aux processus décisionnels et aux décisions qui les concernent.

D.Diffusion d’informations relatives au Pacte

L’État partie devrait assurer une large diffusion du Pacte, de son quatrième rapport périodique et des présentes observations finales afin de sensibiliser les autorités judiciaires, législatives et administratives, la société civile et les ONG œuvrant dans le pays, et le grand public aux droits consacrés dans le Pacte. Il devrait veiller à ce que le rapport et les présentes observations finales soient traduits dans ses langues officielles.

Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait faire parvenir dans un délai d’un an à compter de l’adoption des présentes observations finales des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations faites par le Comité aux paragraphes 16 (violence à l’égard des femmes et des enfants), 20 (détention illégale et allégations de torture et de mauvais traitements), 32 (conditions carcérales) et 40 (liberté d’expression) ci-dessus.

Le Comité prie l’État partie de lui soumettre son rapport périodique suivant le 31 mars 2019 au plus tard et d’y faire figurer des renseignements précis à jour sur la mise en œuvre des recommandations faites dans les présentes observations finales et sur l’application du Pacte dans son ensemble. Il le prie également de consulter largement la société civile et les ONG présentes dans le pays aux fins de l’élaboration de son rapport. Conformément à la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, ce rapport ne devra pas dépasser 21 200 mots.