Nations Unies

CRPD/C/16/D/7/2012

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

10 octobre 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 7/2012 * , **

Communication p résentée par :

Marlon James Noble (représenté par un conseil, Philip French)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

12 avril 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 70 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 9 août 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

2 septembre 2016

Objet :

Droit d’exercer sa capacité juridique sur la base de l’égalité avec les autres

Questions de procédure :

Recevabilité − ratione temporis; épuisement des recours internes ; qualité de victime

Questions de fond:

Accès aux tribunaux ; handicap mental et intellectuel ; exercice de la capacité juridique ; privation de liberté ; discrimination fondée sur le handicap ; restriction des droits

Articles de la Convention :

5 (par. 1), 12, 13, 14 (par. 1 b)), 14 (par. 2) et 15

Articles du Protocole facultatif :

1 et 2

1.L’auteur de la communication est Marlon James Noble, aborigène de nationalité australienne, né le 11 février 1982. Il présente un handicap mental et intellectuel et affirme être victime de violations par l’Australie des droits qu’il tient des articles 5 (par. 1), 12, 13, 14 (par. 1 b)), 14 (par. 2) et de l’article 15 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Australie le 19 septembre 2009. L’auteur est représenté par un conseil, Phillip French.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En octobre 2001, alors qu’il était âgé de 19 ans, l’auteur a été inculpé sous deux chefs de « pénétration sexuelle d’un enfant âgé de moins de 13 ans » et trois chefs d’« attentat à la pudeur sur un enfant âgé de 13 à 16 ans » au titre des articles 320 et 321 du Code pénal de 1913 de l’Australie-Occidentale. Ces infractions emportaient une peine de prison de vingt et sept ans, respectivement. L’auteur a été arrêté et placé en détention provisoire à la prison d’Hakea (centre pénitentiaire géré par le Département de l’administration pénitentiaire de l’Australie-Occidentale). Il a présenté une demande de libération sous caution qui a été rejetée.

2.2Au début de 2002, l’auteur a comparu devant le tribunal correctionnel de Perth. Il a été décidé de le maintenir en détention provisoire aux fins de l’évaluation de sa déficience intellectuelle. Le 18 juillet 2002, l’auteur a comparu devant le tribunal du district de l’Australie-Occidentale pour répondre des deux infractions. L’accusation a soumis au tribunal un rapport d’expert émettant l’hypothèse que l’auteur était dans l’incapacité de répondre des accusations portées contre lui. Le procureur a considéré que ce rapport ne permettait pas de tirer des conclusions. L’accusation et la défense ont conjointement demandé au tribunal d’ordonner qu’il soit procédé à un nouvel examen psychiatrique de l’auteur conformément à l’article 12 de la loi de 1996 relative aux prévenus présentant une déficience mentale. Le procureur a indiqué au tribunal que l’examen psychiatrique devrait être fait au titre de cet article pour pouvoir être mené sans le consentement de l’auteur. Il a été fait droit à la demande d’examen et, à l’issue de l’audience, l’auteur a été maintenu en détention provisoire à la prison d’Hakea.

2.3Lors d’une nouvelle audience, le 2 septembre 2002, devant le tribunal du district de l’Australie-Occidentale, le procureur a fait savoir au tribunal que l’auteur avait été examiné par un psychiatre, mais que seul un rapport préliminaire avait été reçu. L’accusation a donc demandé un ajournement, qui a été accordé. L’auteur a été une nouvelle fois placé en détention provisoire à la prison d’Hakea. Le 25 octobre 2002, il a de nouveau comparu devant le tribunal de district qui a décidé de convoquer une nouvelle audience le 24 janvier 2003 pour déterminer la capacité de l’auteur à se défendre. À cette date, trois rapports de psychiatres ont été présentés : deux concluant que l’auteur était dans l’incapacité de se défendre et un recommandant de procéder à un nouvel examen. Dans le dernier rapport, il était noté que l’auteur semblait comprendre la nature des accusations portées contre lui et qu’il avait exprimé l’intention de plaider non coupable. L’accusation et la défense n’ont pas formellement reconnu que l’auteur n’était pas apte à se défendre, mais l’une et l’autre ont fait savoir à la cour qu’une telle conclusion était envisageable. Le tribunal a réservé sa décision. Dans l’intervalle, l’auteur a été maintenu en détention provisoire à la prison d’Hakea.

2.4L’auteur a comparu une nouvelle fois devant le tribunal du district de l’Australie-Occidentale, aux alentours du 7 mars 2003. Il affirme que tous les procès-verbaux d’audience ont été perdus ou détruits. Le tribunal a conclu que l’auteur était dans l’incapacité de se défendre et a rendu une ordonnance de placement conformément aux articles 16 et 19 de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale. L’auteur n’a donc pas eu la possibilité de plaider non coupable des charges retenues contre lui et le tribunal n’a pu conclure à sa culpabilité. La supervision de l’ordonnance de placement de l’auteur en détention incombait au Mentally Impaired Defendants Review Board (Conseil de révision pour les prévenus handicapés mentaux), lequel a établi que l’auteur devait être transféré à la prison régionale de Greenough. L’auteur a été détenu dans cet établissement de mars 2003 au 10 janvier 2012, date à laquelle il a été mis en liberté conditionnelle. En comptant ses dix-sept mois de détention provisoire, l’auteur a passé dix ans et trois mois en prison avec des détenus condamnés. Bien que la durée maximale d’emprisonnement prévue pour les infractions dont il avait initialement été inculpé soit de vingt et sept ans respectivement, l’auteur fait valoir que, s’il avait été jugé dans le cadre de la procédure générale, il aurait probablement été condamné à une peine d’emprisonnement n’excédant pas deux ou trois ans. De plus, le temps qu’il avait déjà passé en prison avant son jugement aurait été pris en compte.

2.5En 2009, le Conseil de révision a autorisé l’auteur à passer la nuit hors de la prison, sous réserve d’une surveillance constante. Le 3 septembre 2010, à son retour d’une absence autorisée, l’auteur a été soumis par les autorités pénitentiaires à un test de dépistage de drogue dans les urines. Le premier examen pratiqué s’est révélé positif aux amphétamines. Toutefois, il a été ensuite procédé à une analyse par chromatographie gazeuse couplée à un spectromètre de masse, qui n’a révélé la présence d’aucune drogue. Malgré ces résultats discordants, le 7 octobre 2010, l’auteur a été inculpé de consommation de stupéfiants et sa permission de sortie a été suspendue. Cet incident a fait l’objet d’une enquête indépendante, menée au nom du Premier Ministre d’Australie-Occidentale. À l’issue de cette enquête, l’auteur a vu sa permission de sortie rétablie, mais il n’a reçu ni excuses ni réparation.

2.6Le 20 juin 2010, un expert médico-légal en psychologie a entrepris une nouvelle évaluation du fonctionnement intellectuel de l’auteur. Il a conclu que l’auteur était apte à défendre ses droits devant un tribunal, à condition de bénéficier de l’assistance requise. Le représentant légal de l’auteur a donc demandé au tribunal du district de l’Australie-Occidentale de rendre une ordonnance déclarant l’auteur apte à se défendre et imposant au ministère public de présenter, dans un délai de quarante-deux jours, un acte d’accusation ou une décision de clôture de l’action pour les infractions dont l’auteur avait été initialement inculpé. L’audience a eu lieu le 20 septembre 2010. Le Procureur général d’Australie-Occidentale a fait part au tribunal de son intention d’abandonner les poursuites contre l’auteur compte tenu du fait que : a) le temps considérable que l’auteur avait déjà passé en détention était bien supérieur à la peine d’emprisonnement qu’un tribunal pourrait raisonnablement imposer au moment de prononcer la condamnation, quand bien même l’auteur serait reconnu coupable de tous les chefs d’inculpation ; b) les chances d’obtenir une condamnation pour les chefs d’inculpation en question étaient très limitées compte tenu de la piètre qualité des éléments de preuve disponibles. Le représentant légal de l’auteur a maintenu sa demande d’ordonnance déclarant l’auteur apte à se défendre. Le 5 novembre 2010, la Cour a rejeté la demande au motif qu’elle n’avait pas compétence pour l’examiner. Les raisons formelles de cette décision ont été publiées par le tribunal, mais elles auraient été égarées ou détruites.

2.7Le 22 novembre 2011, le Conseil de révision a recommandé au Procureur général d’Australie-Occidentale d’ordonner la libération conditionnelle de l’auteur et son placement dans un logement doté de services d’appui. Le Gouverneur d’Australie-Occidentale a adopté la recommandation du Conseil et, le 10 janvier 2012, l’auteur a été remis en liberté sous réserve de satisfaire à 10 conditions.

2.8L’auteur affirme que sa communication porte sur des faits qui ont continué après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Plus précisément, l’auteur continue de faire l’objet d’une mesure de détention civile. Il a été incarcéré à la prison régionale de Greenough du 19 septembre 2009 au 10 janvier 2012 et, depuis le 10 janvier 2012, il est maintenu en détention civile au sein de la communauté. De plus, il est toujours privé de la possibilité de plaider non coupable et de contester les éléments de preuve présentés contre lui, et donc toujours présumé coupable.

2.9L’auteur déclare qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. En mars 2003, le tribunal du district de l’Australie-Occidentale a déclaré l’auteur inapte à se défendre des accusations portées contre lui. En août 2010, l’auteur a demandé au tribunal l’autorisation de plaider non coupable, mais le tribunal a estimé qu’il n’avait pas compétence pour examiner la demande. En septembre 2010, le Procureur général d’Australie-Occidentale a fait part de son intention d’abandonner les poursuites contre l’auteur. Ce dernier ne peut donc saisir aucune autre juridiction. Le Conseil de révision a examiné périodiquement le cas de l’auteur et aurait pu recommander que le Gouverneur d’Australie-Occidentale ordonne sa libération sans condition. Il ne l’a pas fait, malgré les éléments prouvant que l’auteur est victime d’un déni de justice flagrant. L’auteur affirme que la Cour suprême a jugé que la législation australienne prévoyant la détention provisoire au titre de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale est conforme à la Constitution. Toute allégation affirmant que ladite loi n’est pas conforme à la Constitution n’a donc aucune chance d’aboutir devant les juridictions nationales.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 5 (par. 1), 12, 13, 14 (par. 1 b)), 14 (par. 2) et 15 de la Convention.

3.2L’auteur affirme que la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale a un caractère discriminatoire fondé sur la situation, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 5 de la Convention. Il fait valoir que lorsqu’une personne est déclarée dans l’incapacité de se défendre et que le représentant de l’autorité judiciaire est convaincu qu’elle ne deviendra pas apte à défendre ses droits devant un tribunal dans les six mois suivant cette conclusion, le juge est tenu d’annuler l’acte d’accusation ou d’abandonner les poursuites sans se prononcer sur la culpabilité du prévenu. Le juge peut alors ordonner la libération du prévenu ou, comme dans le cas de l’auteur, ordonner son placement. La décision de rendre une ordonnance de placement est prise en tenant compte des facteurs suivants : a) la force des éléments de preuve ; b) la nature de l’infraction présumée et les circonstances présumées de sa commission ; c) la personnalité du prévenu, ses antécédents judiciaires, son âge, son état de santé physique et mentale ; d) l’intérêt général. La loi ne prévoit aucune limite concernant la durée du placement et le prévenu déclaré inapte à se défendre n’a aucun moyen d’exercer sa capacité juridique devant les tribunaux. Il n’a donc pas la possibilité de plaider non coupable et de contester les éléments de preuve présentés contre lui. Les personnes qui ne présentent aucune déficience cognitive sont à l’abri d’un tel traitement.

3.3L’auteur affirme qu’il a continué d’être traité comme « inapte à se défendre », en violation de son droit de jouir de la capacité juridique sur la base de l’égalité avec les autres. Il affirme également qu’il demeure privé des mesures d’aménagement raisonnable dont il a besoin pour exercer sa capacité juridique et pour plaider non coupable et contester les éléments de preuve retenus contre lui, ce qui constitue une violation des articles 12 (par. 3) et 13 (par. 1) de la Convention.

3.4En outre, l’auteur affirme qu’il a été privé de liberté en application de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale bien qu’au vu des éléments de preuve retenus contre lui, il n’aurait probablement pas été jugé coupable des infractions dont il était accusé. S’il avait été condamné, il aurait probablement été remis en liberté dans les trois ans suivant sa condamnation. Au lieu de cela, il a été maintenu en détention pendant plus de dix ans avec des détenus condamnés, et il fait encore l’objet d’une détention civile très stricte au sein de la communauté. L’auteur estime en conclusion qu’il est privé de sa liberté en raison de son handicap, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 b) de l’article 14 de la Convention.

3.5L’auteur affirme qu’il demeure privé de liberté alors qu’il n’a été reconnu coupable d’aucune infraction, ce qui constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 14 de la Convention.

3.6Il soutient que, pendant son incarcération, il était exposé à un risque élevé d’atteinte à son intégrité physique par les autres détenus et qu’il reste soumis à des conditions qui imposent des restrictions injustifiables à sa liberté, en violation des droits qu’il tient des articles 14 (par. 2) et 15 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 4 avril 2014, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il considère qu’en vertu de l’alinéa f) de l’article 2 du Protocole facultatif, le mandat du Comité s’applique uniquement aux faits survenus après le 19 septembre 2009 ou à cette date, qui est la date à laquelle le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Australie. Il considère donc que les événements antérieurs au 19 septembre 2009 ne sont mentionnés qu’à titre d’information.

4.2L’État partie accepte les faits tels que décrits par l’auteur. Il fait toutefois savoir que les copies des comptes rendus des audiences de 2003 sont conservées par le Département de l’administration pénitentiaire de l’Australie-Occidentale.

4.3L’État partie fait savoir que l’auteur a été déclaré inapte à défendre ses droits devant un tribunal le 7 mars 2003 par le tribunal du district de l’Australie-Occidentale, en application de l’article 9 de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale. Le 11 mars 2003, le tribunal a décidé de rendre une ordonnance de placement au titre de l’article 19 de la loi, en application de laquelle l’auteur a été transféré en prison, sous la supervision du Conseil de révision. Les attendus de ces jugements n’ont pas été publiés, mais il ressort des minutes du procès qu’aucune des décisions en question n’a été prise à la légère. Le juge a déclaré que l’auteur répondait « pratiquement à tous les critères » établis à l’article 9 de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale, c’est-à-dire qu’il était dans l’incapacité de comprendre : a) la nature des accusations portées ; b) la nécessité de plaider coupable ou non coupable et les effets d’une telle décision ; c) l’objet du procès ; d) le droit de récuser des jurés. Il est également incapable de suivre le cours du procès et de comprendre l’effet matériel des éléments de preuve présentés par l’accusation au cours du procès ou de se défendre correctement.

4.4Étant parvenu à cette conclusion, le tribunal a dû annuler l’acte d’accusation et déterminer si une ordonnance de placement devait être rendue. Le tribunal de district a entendu les arguments détaillés de l’accusation et de la défense. Le juge a relevé certaines divergences dans les récits des plaignants et d’autres témoins. Il a toutefois conclu que de telles divergences n’étaient pas inhabituelles dans les affaires de violences sexuelles sur enfant, et qu’il y avait commencement de preuve. Le juge a fait observer que toutes les infractions présumées avaient pour victime des enfants et étaient graves. Il a jugé le cas de l’auteur préoccupant compte tenu des éléments des rapports d’expertise psychiatrique attestant du fait que l’auteur était incapable de maîtriser ses pulsions. Le juge a relevé que l’auteur avait été condamné à de nombreuses reprises pour des infractions pénales dont la gravité allait en s’accentuant. Il a qualifié de « chaotique » la situation de l’auteur dans sa ville natale et a souligné que les précédentes tentatives faites par les organismes publics pour lui fournir des services de soins et de prise en charge avaient échoué.

4.5Dans ce contexte, le juge a reconnu qu’il était difficile d’évaluer l’intérêt général, d’autant plus qu’en l’absence de « lieu déclaré » au sens de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale, les seules solutions qui s’offraient à lui étaient la mise en liberté de l’auteur ou son emprisonnement. Il a considéré que l’intérêt général devait être déterminé en fonction de la gravité des infractions présumées et du risque de voir se reproduire le type de comportement allégué. Le juge a conclu que la sécurité publique devait être la préoccupation première, mais a relevé avec une vive préoccupation que la prison n’était pas un environnement approprié pour l’auteur. Il a rendu une ordonnance de placement, comme suite à laquelle l’acte d’accusation a été annulé, ce qui signifiait que les poursuites engagées contre l’auteur étaient abandonnées.

4.6L’auteur a d’abord été placé en détention provisoire à la prison d’Hakea le 18 février 2003. Il a été transféré à la prison régionale de Greenough le 26 mai 2003, pour qu’il soit « plus près de ses réseaux de soutien et pour faciliter ses relations et ses liens culturels avec la communauté aborigène de la région ». Il y est resté jusqu’à sa mise en liberté le 10 janvier 2012, à l’exception de deux courts séjours à la prison de Casuarina qui visaient à faciliter sa participation aux programmes pénitentiaires.

4.7L’État partie rappelle qu’en 2010, l’auteur a demandé, en vain, au tribunal du district de rendre une ordonnance déclarant qu’il était apte à se défendre. Après la tenue d’une audience préliminaire, le 20 septembre 2010, la demande de l’auteur a été examinée le 4 novembre 2010.

4.8Les ordonnances demandées par l’auteur portaient sur la question de savoir comment les pouvoirs accordés au tribunal par la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale devaient être interprétés une fois que le prévenu faisait l’objet d’une ordonnance de placement. L’argumentation présentée supposait que le tribunal considère que l’auteur était toujours « déféré » devant lui malgré l’annulation de l’acte d’accusation. Dans une décision écrite datée du 5 novembre 2010, le juge a conclu que le tribunal n’était pas compétent pour rendre les ordonnances, au motif que l’auteur n’était pas déféré devant lui.

4.9L’État partie indique que le Conseil de révision a l’obligation légale de signaler au Procureur général de l’Australie-Occidentale toute décision de placement prise en application de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale, dans un délai de huit semaines à compter de la date de l’ordonnance de placement. Il doit également s’acquitter de cette obligation sur demande écrite émanant du Procureur général et, en tous les cas, une fois par an. Dans ces rapports au Procureur général, le Conseil de révision doit indiquer s’il recommande de libérer le prévenu.

4.10Conformément aux obligations susmentionnées, le Conseil de révision a examiné le cas de l’auteur à huit reprises. Des révisions intermédiaires ont été menées, sur la base de rapports d’expertises médicales qui ont tous mis en avant les raisons de ne pas remettre l’auteur en liberté, notamment sa vulnérabilité, le risque qu’il représente pour la communauté et l’absence de services d’accompagnement. Les experts ont recommandé de mettre en place un programme de libération progressive de l’auteur.

4.11Les rapports d’expertise médicale indiquent qu’au cours de son séjour à la prison régionale de Greenough, l’auteur n’a été impliqué dans quasiment aucun incident et qu’il a participé à divers programmes d’enseignement et de formation. Toutefois, plusieurs psychologues cliniciens ont indiqué, dans leurs rapports d’expertise, qu’ils demeuraient préoccupés par le « désir de plaire » de l’auteur, désir qui risquait de le rendre « vulnérable à la coercition en présence de pairs exerçant une mauvaise influence sur lui » et « vulnérable à la manipulation et à l’exploitation ». Ces conclusions ont fait craindre aux experts médicaux que « le handicap intellectuel de l’auteur ne soit tel qu’il ait besoin de soins et d’un accompagnement vingt-quatre heures sur vingt-quatre en cas de placement au sein de la communauté ». Les experts ont en outre fait part, dans leurs rapports, de leur inquiétude face au comportement « impulsif et opportuniste » de l’auteur et à ses « accès d’agressivité imprévisibles ».

4.12Plusieurs experts médicaux ont conclu qu’en cas de mise en liberté de l’auteur, le risque de récidive était élevé. Le Conseil de révision a indiqué que « la prolongation progressive de la permission de sortie de l’auteur était également considérée comme un aspect essentiel de sa réadaptation puisqu’elle évitait de lui imposer un stress trop important ». Le Conseil a toutefois considéré qu’il ne pouvait pas recommander la libération conditionnelle immédiate de l’auteur en raison du nombre restreint de superviseurs et prestataires de soins qualifiés aptes à s’occuper de lui.

4.13Le 10 janvier 2012, l’auteur a bénéficié d’une mesure de mise en liberté assortie de 10 conditions. Depuis que l’auteur a officiellement déposé plainte, en juillet 2012, son cas a été révisé trois fois. Le 11 janvier 2013, le Conseil de révision a procédé à une révision intermédiaire. Il a recommandé que les conditions de liberté auxquelles l’auteur était soumis soient allégées pour lui permettre de se rendre dans les cafés et les restaurants, recommandation qui a été acceptée par le Gouverneur en Conseil exécutif. L’auteur a également été autorisé à s’absenter une nuit de sa résidence principale. Le 23 avril 2013, a eu lieu la révision annuelle obligatoire du cas de l’auteur. Le Conseil de révision a recommandé que la condition imposant à l’auteur de participer à tous les programmes mis en place par son superviseur soit levée, et qu’il soit autorisé à passer parfois la nuit en dehors de sa résidence principale à condition d’être encadré par un prestataire de soins, sans avoir besoin d’obtenir au préalable l’autorisation du Conseil de révision. Le Gouverneur a fait siennes ses recommandations en juillet 2013. Le 14 janvier 2014, une nouvelle révision obligatoire a eu lieu. Aucune modification n’a été apportée.

4.14En ce qui concerne les griefs formulés par l’auteur au titre du paragraphe 2 de l’article 14 de la Convention, l’État partie considère que depuis son placement au sein de la communauté, il n’est plus en détention. Dans la mesure où la plainte de l’auteur a trait à la situation dans laquelle il se trouvait avant sa mise en liberté, en janvier 2012, l’État partie affirme que la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes. L’auteur a été placé en détention par décision du Gouverneur en Conseil exécutif, sur la base des recommandations formulées par le Conseil de révision, au titre de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale. Toute décision du Conseil de révision peut faire l’objet d’une demande de contrôle juridictionnel auprès de la Cour suprême de l’Australie-Occidentale. Les décisions prises par des organes statutaires similaires ont fait l’objet des recours prévus par la législation de l’Australie-Occidentale en vue de déterminer si elles avaient été prises conformément au droit. Étant donné que les garanties relatives au paragraphe 2 de l’article 14 visent exclusivement la légalité de la détention au regard du droit interne, le contrôle juridictionnel de la détention de l’auteur aurait constitué un recours utile. La possibilité de demander un contrôle juridictionnel des décisions du Conseil de révision concernant l’auteur a été spécifiquement examinée en 2010 durant les audiences du tribunal de district. Le représentant légal de l’auteur a répondu qu’une demande de contrôle juridictionnel était en cours d’élaboration, mais que l’auteur préférait que les questions ayant trait à sa capacité à défendre ses droits soient examinées par un tribunal. À la connaissance de l’État partie, aucune demande n’a été faite en ce sens, et l’auteur n’a donc pas épuisé les recours internes disponibles. L’État partie affirme qu’il n’y a pas violation du paragraphe 2 de l’article 14 puisque pendant toute la durée de sa détention, l’auteur avait le droit de présenter une demande de contrôle juridictionnel pour déterminer la légalité de sa détention sur la base des recommandations du Conseil de révision.

4.15L’État partie considère que les allégations de l’auteur concernant l’accès à la justice sont irrecevables puisqu’elles ne sont pas étayées et sont dénuées de fondement. Aucune procédure civile ou pénale n’est engagée contre l’auteur. Ce dernier n’est accusé d’aucune infraction puisque l’acte d’inculpation dont il faisait l’objet a été annulé « sans conclure à la culpabilité ou à l’innocence de l’inculpé ». L’auteur n’est donc pas présumé coupable, et il n’y a aucun témoin à interroger ou élément de preuve à vérifier puisqu’aucun chef d’infraction pénale n’est retenu contre lui.

4.16L’État partie considère que les allégations de l’auteur concernant la manière dont il a été traité en prison sont irrecevables ou sans fondement puisque l’auteur affirme, d’une manière générale, qu’il était exposé à un risque d’atteinte à son intégrité physique, sans présenter de griefs précis. Les registres du Département de l’administration pénitentiaire de l’Australie-Occidentale font état de deux altercations mineures entre l’auteur et d’autres détenus (les 7 octobre 2005 et 21 septembre 2007). Les deux incidents ont été réglés par la médiation et aucun d’entre eux n’a entraîné de blessure grave pour l’auteur. Les autorités pénitentiaires ont également noté que l’auteur avait besoin d’un soutien et d’une surveillance supplémentaires du fait de son statut d’aborigène présentant un handicap intellectuel. L’auteur a donc été placé sous la supervision du Système d’accompagnement et de supervision (Support and Monitoring System) et a participé au Groupe d’évaluation des risques encourus par les prisonniers (Prisoner Risk Assessment Group). En tant que bénéficiaire des services d’aide aux personnes handicapées, il a également été inscrit dans le Système de gestion globale des délinquants (Total Offender Management System) et a bénéficié de services de suivi individualisé. L’auteur a aussi bénéficié de services de conseil tenant compte de sa culture et a suivi une intervention axée sur les compétences cognitives et un programme adapté au handicap intellectuel, en 2003 et 2004.

4.17En ce qui concerne les griefs formulés par l’auteur au titre du paragraphe 2 de l’article 14 de la Convention, l’État partie affirme que l’auteur n’est pas « accusé » et que la question de l’obligation de séparation des détenus condamnés ne se pose pas. À titre subsidiaire, l’État partie affirme qu’il s’est acquitté de l’obligation de séparation dans la mesure requise, compte tenu de ses réserves au paragraphe 2 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans lesquelles il déclare que le principe de la séparation est accepté en tant qu’objectif à réaliser progressivement.

4.18L’État partie ne conteste pas la recevabilité des griefs de l’auteur concernant le fait qu’il a été déclaré à tort coupable d’une infraction au règlement pénitentiaire. Lorsque l’erreur a été découverte, la permission de sortie de l’auteur a immédiatement été rétablie et étendue, puisqu’il a été autorisé à s’absenter pendant quarante-huit heures deux fois par semaine, y compris la nuit. La condamnation a également été annulée sur le plan administratif. Comme suite à cet incident, le Conseiller spécial du Premier Ministre a conduit une enquête indépendante et a reconnu que l’auteur avait été accusé à tort. Le Département de l’administration pénitentiaire de l’Australie-Occidentale a également mené une enquête interne et a formulé sept recommandations tendant à modifier les procédures de contrôle relatives aux infractions au règlement pénitentiaire. Six de ces recommandations sont actuellement mises en œuvre et des programmes de formation consacrés aux procédures relatives aux infractions au règlement pénitentiaire ont été élaborés. L’État partie reconnaît que l’erreur en question a manifestement provoqué frustration et détresse chez l’auteur, mais il considère qu’elle ne constitue pas une peine et un traitement dégradants.

4.19L’État partie considère que les allégations de l’auteur selon lesquelles les conditions accompagnant sa mise en liberté constituent un cas de détention arbitraire ou un traitement dégradant sont irrecevables puisque l’auteur n’est plus détenu, et qu’il n’a pas épuisé les recours internes qui auraient pu aboutir à une modification des conditions visées. À titre subsidiaire, l’Australie affirme que les griefs sont sans fondement, puisque les conditions imposées à l’auteur sont raisonnables et de nature à permettre sa réintégration, tout en protégeant la sécurité de la communauté.

4.20En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale constitue une violation de l’article 5 de la Convention, l’État partie affirme que la loi n’autorise aucunement à traiter une personne différemment des autres en raison de son handicap, mais prévoit un traitement différent pour les personnes reconnues « inaptes à défendre leurs droits devant un tribunal ». L’État partie reconnaît que la loi en question est susceptible de toucher de manière disproportionnée les personnes qui, pour des raisons liées à leur handicap, répondent aux critères établis. Il considère toutefois qu’une telle différence de traitement est légitime, puisqu’elle est approuvée par de nombreux organes conventionnels des Nations Unies, et que l’article 5 de la Convention devrait être interprété sous cet angle.

4.21L’État partie affirme que la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale vise également à protéger la communauté. L’inscription dans la législation de procédures spécifiques, notamment des ordonnances de placement pour les personnes jugées dans l’incapacité de se défendre, est une mesure appliquée par d’autres juridictions, en Australie et à l’étranger. Lorsqu’une personne a fait l’objet d’une ordonnance de placement au titre de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale, des contrôles périodiques sont effectués par le Conseil de révision. Des rapports détaillés sont élaborés par un conseiller expérimenté, qui doit notamment formuler une recommandation concernant l’éventuelle mise en liberté de la personne en question.

4.22La loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale prévoit aussi des garanties pour que les décisions soient prises en bonne connaissance de cause par un organe judiciaire indépendant ; que la décision de remettre en liberté toute personne inculpée jugée inapte à se défendre soit laissée à la libre appréciation du tribunal ; que les décisions prises au titre de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale puissent faire l’objet d’un recours en appel. Le cadre en place constitue donc une méthode raisonnable et proportionnée aux fins de la réalisation des objectifs établis dans la loi susmentionnée en se fondant sur des critères raisonnables et objectifs qui ne soient pas liés au handicap.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 25 juin 2015, l’auteur a communiqué des renseignements complémentaires. Il fait valoir qu’il se trouve en détention civile depuis plus de treize ans et continue de faire l’objet de restrictions et de mesures de privation de liberté.

5.2L’auteur rejette l’interprétation que donne l’État partie du champ d’application temporel du mandat du Comité. Il renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, selon laquelle « le Comité a toujours estimé qu’il ne pouvait connaître de violations qui se seraient produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie à moins que lesdites violations ne persistent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Une violation persistante s’entend de la perpétuation, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie ». L’auteur considère que cette interprétation s’applique en l’espèce.

5.3L’auteur considère que sa détention est arbitraire puisqu’elle est fondée sur son handicap, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 b) de l’article 14. S’il n’avait pas présenté de handicap, il n’aurait pas pu être placé en détention pour une durée indéterminée. En cas d’acquittement, il aurait été libéré immédiatement et sans condition.

5.4L’auteur affirme que sa détention est arbitraire car : a) elle est laissée à la libre appréciation du pouvoir exécutif puisqu’en application des articles 24 et 35 de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale, lorsqu’une ordonnance de supervision avec placement est rendue, l’intéressé est détenu jusqu’à ce qu’une ordonnance de mise en liberté soit rendue par le Gouverneur d’Australie-Occidentale. Le Gouverneur exerce un pouvoir discrétionnaire en suivant les recommandations du Conseil exécutif qui, lui-même, agit sur conseil du Ministre de la santé ; b) cette procédure est injuste étant donné que l’auteur n’a pas été reconnu coupable des infractions dont il était accusé et n’a pas eu la possibilité de contester véritablement les éléments de preuve sur lesquels les griefs étaient fondés ; c) cette procédure est disproportionnée puisque si l’auteur avait été jugé coupable des infractions dont il était accusé, il aurait été condamné à deux ou trois années d’emprisonnement, période après laquelle il aurait été libéré sans condition ; d) cette procédure est répressive puisque l’auteur avait et continue d’avoir besoin d’un accompagnement et d’une assistance sociale pour éviter tout écart de conduite ou comportement antisocial. Toutefois, son incarcération et le maintien de sa détention civile ne représentent pas la manière la « moins contraignante » ou la « moins restrictive » possible de répondre à ses besoins.

5.5L’auteur affirme que les conditions dans lesquelles s’est déroulée sa détention à la prison régionale de Greenough étaient exactement les mêmes que celles des autres prisonniers, alors qu’il était censé être détenu uniquement à des fins de traitement, de prise en charge et de réhabilitation. Cette approche répressive ressortait également de l’intervention du Conseil de révision, qui a recommandé au Ministre de la santé de prolonger la détention de l’auteur de neuf ans à compter de la date à laquelle le tribunal avait rendu à son sujet une ordonnance de supervision avec placement, le 11 mars 2003, jusqu’à ce qu’il soit libéré sous condition le 10 janvier 2012, sans tenir compte du fait que les victimes présumées étaient publiquement revenues sur leurs dépositions initiales contre l’auteur.

5.6L’auteur considère que, selon l’État partie, sa détention était une mesure temporaire en attendant qu’une place se libère dans un établissement spécialisé. Aucune place ne s’est libérée et sa détention prolongée avec des condamnés avait un caractère humiliant et dégradant. L’auteur note que le Gouvernement d’Australie-Occidentale a suspendu sa décision de construire deux « centres de justice pour les personnes handicapées ». À leur place, il fait construire un établissement pouvant accueillir 10 détenus dans un environnement hautement sécurisé. L’auteur craint qu’une fois la construction achevée, le Conseil de révision révoque l’ordonnance de mise en liberté conditionnelle rendue à son égard et le fasse transférer dans cet établissement.

5.7En ce qui concerne les programmes d’accompagnement à l’intention des personnes présentant des déficiences cognitives prévus dans le système pénal, dont l’État partie fait mention, l’auteur affirme n’avoir eu accès à aucun de ces programmes et que leur existence est sans lien avec les violations des droits de l’homme qu’il dénonce.

5.8En ce qui concerne les arguments de l’État partie relatifs à la réforme législative, l’auteur note que la loi de 1996 relative aux prévenus présentant une déficience mentale n’a pas été révisée depuis qu’il a présenté sa communication. Il réaffirme que la loi en question permet de traiter les personnes handicapées différemment des autres prévenus en se fondant sur le handicap, et que la manière dont il a été traité n’a jamais constitué une différence de traitement légitime, mais plutôt un traitement illégitime aggravé qui lui a été préjudiciable.

5.9L’auteur avance que les affirmations de l’État partie reposent sur le postulat qu’il a commis les faits qui lui sont reprochés, alors que tel n’est pas le cas. Il n’a pas pu être établi qu’il représentait un danger persistant pour le public, mais il a été stigmatisé et traité comme s’il constituait réellement un tel danger.

5.10En ce qui concerne les arguments de l’État partie selon lesquels une loi similaire à la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale existe dans d’autres juridictions, l’auteur considère que cela ne signifie pas qu’une telle législation sert un objectif légitime. Au contraire, elle est une des formes les plus graves et les plus répandues de violation des droits des personnes handicapées et doit être réformée sans plus attendre.

5.11L’auteur fait valoir que, après l’annulation de l’acte d’accusation, il a demandé au tribunal du district de l’Australie-Occidentale de statuer sur son état de santé mentale. La demande a été examinée par le tribunal le 4 novembre 2010 et rejetée le 5 novembre 2010. Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur aurait pu faire appel de la décision du tribunal de district auprès de la Cour d’appel d’Australie-Occidentale, il considère qu’une telle démarche n’avait aucune chance d’aboutir : il aurait dû démontrer que la décision du tribunal de district était une erreur, alors que sur le plan juridique elle était fondée et conforme aux principes de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale. En ce qui concerne la possibilité de requérir un contrôle juridictionnel, un tel contrôle ce serait limité à contester l’exercice par le Conseil de révision de son pouvoir discrétionnaire de faire des recommandations au Ministre de la santé ou au Gouverneur de l’Australie-Occidentale au sujet de sa remise en liberté. Ces autorités n’étant pas tenues d’accepter les recommandations formulées par le Conseil de révision, un éventuel contrôle juridictionnel n’aurait pas pu constituer un recours utile pour l’auteur.

5.12L’auteur considère que la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale n’impose nullement au tribunal l’obligation d’examiner les aménagements raisonnables qui pourraient permettre au prévenu présentant une déficience intellectuelle ou une maladie mentale de se défendre devant un tribunal et de bénéficier d’un procès équitable. L’auteur considère que, du fait qu’il ait été privé des garanties équitables eu égard aux infractions dont il était inculpé en octobre 2002, il continue d’être traité comme s’il avait commis les infractions en question, sans avoir la possibilité de contester les faits qui lui sont reprochés.

5.13En ce qui concerne le risque d’atteinte à son intégrité physique encouru en prison, l’auteur affirme que les agressions qu’il a subies étaient graves. Il a fréquemment fait l’objet d’actes de violence et de maltraitance de la part d’autres prisonniers, qui n’ont semble-t-il pas été enregistrés par les autorités pénitentiaires. Du fait de leur fréquence, les attaques l’ont rendu plus vulnérable, son handicap l’empêchait de se protéger, et cette situation constituait un traitement inhumain et dégradant.

5.14L’auteur fait valoir que, parce qu’il a été accusé à tort de consommation de stupéfiants, il a été privé de permission de sortie pendant six mois. Il a par la suite été reconnu innocent, mais n’a reçu aucune excuse ou autre forme de réparation. Il a, au contraire, été renvoyé devant les services du Registre national des délinquants pédophiles, ce qu’il juge particulièrement dégradant et humiliant.

5.15L’auteur fait valoir qu’il a été détenu en permanence, et que les conditions de sa mise en liberté conditionnelle constituent une privation de liberté. De plus, au titre de l’article 37 de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale, une nouvelle ordonnance de supervision avec placement avec effet immédiat pourrait être rendue par le Conseil de révision s’il devait considérer que l’auteur n’a pas respecté les conditions de sa libération, en contournant les procédures juridiques habituellement applicables aux personnes non handicapées.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 23 février 2016, l’État partie a communiqué des observations complémentaires sur les commentaires de l’auteur, dans lesquelles il réaffirme que le champ d’application temporel du mandat du Comité couvre les événements survenus le 19 septembre 2009 ou ultérieurement. L’État partie ne considère pas que les faits allégués dans la présente communication constituent une violation persistante.

6.2L’État partie affirme que l’auteur n’a jamais été placé en détention civile depuis sa remise en liberté le 10 janvier 2012, et que depuis cette date, il réside au sein de la communauté. L’ordonnance de mise en liberté conditionnelle concernant l’auteur fait l’objet d’examens réguliers de la part du Conseil de révision, dont il ressort que l’auteur s’acquitte de ses obligations. L’État partie n’envisage aucunement d’annuler l’ordonnance de mise en liberté rendue au sujet de l’auteur ou de placer celui-ci en détention.

6.3L’État partie indique qu’en 2015, l’Australie-Occidentale a ouvert un centre de justice consacré au handicap afin de proposer des solutions de détention supplémentaires pour les personnes handicapées jugées inaptes à défendre leurs droits devant un tribunal. La loi relative à la santé mentale de 2014 est entrée en vigueur le 30 novembre 2015. Elle a introduit des protections contre le pouvoir d’imposer un traitement non consenti, et de nouveaux droits pour la famille et les auxiliaires. Le Gouvernement de l’Australie‑Occidentale a également achevé la révision de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale et a l’intention de publier son rapport final et ses recommandations en 2016.

B.Examen de la recevabilité et examen au fond

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif, que la même affaire n’avait pas déjà été examinée par le Comité et qu’elle n’avait pas été déjà examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité constate que l’État partie fait valoir quatre séries d’arguments concernant la recevabilité des griefs que l’auteur tire des articles 1er et 2 (al. e), d) et f)) du Protocole facultatif, qu’il examinera séparément.

7.4Premièrement, le Comité observe que, selon l’État partie, les griefs formulés par l’auteur au sujet des événements survenus avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif devraient être déclarés irrecevables ratione temporis. Le Comité prend note également de l’argument avancé par l’auteur selon lequel certains des événements survenus avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif relèvent de la compétence du Comité puisqu’ils constituent une violation persistante. Il rappelle qu’en vertu de l’alinéa f) de l’article 2 du Protocole facultatif, le Comité déclare irrecevable toute communication « qui porte sur des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur du Protocole à l’égard de l’État partie intéressé, à moins que ces faits ne persistent après cette date ». Il rappelle aussi qu’une violation persistante s’entend de la prolongation, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement.

7.5En l’espèce, le Protocole facultatif est entré en vigueur à l’égard de l’État partie le 19 septembre 2009. Le Comité constate que l’auteur a été initialement détenu, en octobre 2001, des chefs d’agressions sexuelles. À partir de 2002, l’auteur a été maintenu en détention pendant l’évaluation de sa déficience intellectuelle, qui s’est achevée en mars 2003 lorsque le tribunal du district de l’Australie-Occidentale a établi que l’auteur était dans l’incapacité de se défendre et a rendu une ordonnance de placement. Après cette date et jusqu’en janvier 2012, l’auteur a été maintenu en détention. Il est donc manifeste que la détention de l’auteur a continué après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie et que le grief formulé par l’auteur au titre du paragraphe 1 b) de l’article 14 relève de la compétence ratione temporis du Comité.

7.6En ce qui concerne la compétence ratione temporis du Comité pour examiner les griefs que l’auteur tire des articles 12 et 13 eu égard aux conséquences de la déclaration selon laquelle l’auteur était dans l’incapacité de se défendre, le Comité constate que le tribunal du district de l’Australie‑Occidentale a initialement rendu sa décision en mars 2003. Il observe aussi que cette décision a été réitérée de facto par les autorités de l’État partie, notamment le tribunal du district de l’Australie-Occidentale dans son jugement daté du 5 novembre 2010. En rejetant la demande d’ordonnance déclarant l’auteur apte à se défendre présentée par le représentant légal de l’auteur, non pas sur le fond mais au motif qu’il n’était pas compétent, le tribunal de district n’a laissé à l’auteur aucune possibilité d’exercer sa capacité juridique devant les tribunaux. L’auteur a donc continué d’être privé de la possibilité de plaider non coupable et de contester les éléments de preuve retenus contre lui après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Au vu de ce qui précède, le Comité conclut qu’il est compétent ratione temporispour examiner cette partie de la communication.

7.7Deuxièmement, le Comité prend note des arguments présentés par l’État partie en ce qui concerne le non-épuisement des recours internes. À cet égard, le Comité constate tout d’abord que l’État partie affirme que les allégations de l’auteur selon lesquelles il n’a pas eu la possibilité d’exercer sa capacité juridique (art. 12, par. 2 et 3) et n’a pas eu accès à la justice (art. 13, par. 1) doivent être considérées comme irrecevables puisque l’auteur aurait pu faire appel de la décision rendue par le tribunal de district le 5 novembre 2010 auprès de la Cour d’appel de l’Australie-Occidentale, mais ne l’a pas fait. Le Comité prend note également de l’argument de l’auteur selon lequel, pour que son recours en appel ait la moindre chance d’aboutir, il aurait dû démontrer que le tribunal de district avait rendu sa décision à tort, alors qu’en fait il avait agi en application de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale. Le Comité rappelle qu’il n’est pas nécessaire d’épuiser les voies de recours interne s’il n’y a objectivement aucune chance de les voir aboutir. Compte tenu de la formulation claire des articles pertinents de la loi en question, le Comité conclut que l’auteur n’avait accès à aucun autre recours utile et que les griefs qu’il tire des articles 12 (par. 2 et 3) et 13 (par. 1) sont recevables au titre de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.8Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le grief que l’auteur tire du paragraphe 2 de l’article 14 concernant ses conditions de détention doit être considéré comme irrecevable puisque l’auteur n’a pas épuisé les recours internes qui auraient pu aboutir à une modification des conditions visées. Il constate que l’auteur n’a pas contesté cet argument et que les renseignements communiqués ne permettent pas de conclure qu’il a porté plainte auprès des juridictions nationales compétentes à cet égard. Le Comité conclut par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’alinéa f) de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.9Troisièmement, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel une partie des allégations de l’auteur doit être considérée comme irrecevable au titre de l’article premier du Protocole facultatif. À cet égard, le Comité prend note également de l’argument selon lequel l’allégation de l’auteur estimant que la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale constitue une violation de l’article 5 de la Convention doit être considérée comme irrecevable puisqu’elle porte sur le cadre juridique général et devrait donc être traitée par le Comité sous la forme d’une observation générale ou lors de l’examen du rapport de l’État partie. Le Comité rappelle qu’un particulier ne peut contester une loi ou une pratique par voie d’actio popularis. Toutefois, en l’espèce, le Comité conclut que l’auteur a suffisamment étayé l’allégation selon laquelle la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale a eu une incidence directe sur l’exercice de ses droits et considère donc que le grief qu’il tire du paragraphe 1 de l’article 5 de la Convention est recevable.

7.10Quatrièmement, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel certaines des allégations de l’auteur doivent être considérées comme irrecevables parce qu’elles ne sont pas suffisamment étayées et manquent de fondement au titre de l’alinéa e) de l’article 2 du Protocole facultatif. À cet égard, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le grief de l’auteur concernant la violation alléguée des droits qu’il tient de l’article 15 de la Convention n’est pas étayé. Le Comité constate en outre que l’auteur affirme que, pendant sa détention, il était exposé à un risque élevé d’atteinte à son intégrité physique par les autres détenus qui lui faisaient subir de fréquents actes de violence et de maltraitance, que les agressions dont il a été victime étaient graves et que leur fréquence a rendu l’auteur plus vulnérable encore, et que son handicap l’empêchait de se protéger. Le Comité observe de surcroît que, selon l’auteur, ces violences s’apparentent à un traitement inhumain et dégradant et elles n’ont apparemment pas été consignées par les autorités carcérales. Compte tenu de ce qui précède et des circonstances spécifiques de l’affaire, le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations au titre de l’article 15 aux fins de la recevabilité et conclut qu’elles sont recevables au titre de l’alinéa e) de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.11Par conséquent, en l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable en ce qui concerne les griefs que l’auteur tire des articles 5 (par. 1 et 2), 12 (par. 2 et 3), 13 (par. 1), 14 (par. 1 b)) et 15. Le Comité procède donc à l’examen de ces allégations quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et au paragraphe 1 de l’article 73 de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

8.2En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 5 de la Convention, le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale est discriminatoire puisqu’elle s’applique uniquement aux personnes présentant une déficience cognitive et prévoit la détention de ces personnes pour une durée indéterminée même si elles n’ont pas été jugées coupables des faits qui leur sont reprochés, alors que les personnes ne présentant pas de déficience cognitive sont à l’abri d’un tel traitement par l’application des garanties d’une procédure régulière et les règles d’un procès équitable. Le Comité constate aussi que, selon l’État partie, la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale n’est pas discriminatoire, mais prévoit une différence légitime de traitement pour certaines personnes handicapées, assortie des garanties nécessaires pour que le traitement soit proportionné à l’objectif poursuivi.

8.3Le Comité rappelle que conformément à l’article 5 (par. 1 et 2) de la Convention, les États parties sont tenus de veiller à ce que toutes les personnes soient égales devant la loi et en vertu de celle-ci, et à ce qu’elles aient droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi, et doivent prendre toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination. Le Comité rappelle également que la discrimination peut résulter de l’effet discriminatoire d’une règle ou d’une mesure dénuée de toute intention discriminatoire, mais qui touche de manière disproportionnée les personnes handicapées. En l’espèce, le Comité constate que la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale vise la situation des « personnes présentant des déficiences psychosociales et intellectuelles » qui sont déclarées inaptes à défendre leurs droits devant un tribunal du fait de leur déficience mentale. Le Comité doit donc déterminer si la « différence de traitement » prévue par la loi est raisonnable ou si elle a pour effet un traitement discriminatoire à l’égard des personnes handicapées.

8.4Le Comité constate qu’en vertu de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale, lorsqu’une personne est jugée inapte à se défendre, elle fait l’objet d’une mesure de placement d’une durée indéterminée. Il est présumé qu’elle demeure inapte à défendre ses droits devant un tribunal jusqu’à preuve du contraire. Dans l’intervalle, l’intéressé n’a aucune possibilité d’exercer sa capacité juridique devant les tribunaux. En l’espèce, en 2001, l’auteur a été accusé d’infractions sexuelles et sa culpabilité n’a jamais été établie. En mars 2003, il a été déclaré inapte à se défendre. Il a fait l’objet d’une ordonnance de placement et a été mis en détention à la prison régionale de Greenough jusqu’au 10 janvier 2012, date à laquelle il a été transféré dans une résidence supervisée. Le Comité constate que tout au long du séjour de l’auteur en prison, la procédure judiciaire était entièrement axée sur sa capacité mentale à défendre ses droits devant un tribunal sans qu’il lui soit donné la possibilité de plaider non coupable et de contester les éléments de preuve retenus contre lui. Le Comité constate également que l’État partie n’a pas fourni à l’auteur l’accompagnement ou les aménagements dont il avait besoin pour exercer sa capacité juridique, et n’a pas étudié les mesures qui pouvaient être adoptées à cette fin. Du fait de l’application de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale, le droit de l’auteur à un procès équitable a été pleinement suspendu, ce qui l’a privé du droit à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi. Le Comité considère donc que la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale a eu pour effet un traitement discriminatoire du cas de l’auteur, ce qui constitue une violation de l’article 5 (par. 1 et 2) de la Convention.

8.5En ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre des articles 12 (par. 2 et 3) et 13 (par. 1) de la Convention, le Comité prend de note l’argument de l’auteur selon lequel la décision déclarant qu’il était dans l’incapacité de se défendre l’a privé de la possibilité d’exercer sa capacité juridique de se défendre et de contester les éléments de preuve présentés contre lui et constitue donc une violation de l’article 12 (par. 2 et 3) de la Convention. Il rappelle qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 12, les États parties sont tenus de reconnaître que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres. En vertu du paragraphe 3 de l’article 12, les États parties sont tenus de donner aux personnes handicapées accès à l’accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique. Le Comité rappelle aussi qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 13, les États parties sont tenus d’assurer l’accès effectif des personnes handicapées à la justice, sur la base de l’égalité avec les autres, y compris par le biais d’aménagements procéduraux et d’aménagements en fonction de l’âge.

8.6En l’espèce, la décision selon laquelle l’auteur était inapte à se défendre en raison de son handicap intellectuel et mental a conduit au refus de reconnaître le droit de celui-ci d’exercer sa capacité juridique pour plaider non coupable et contester les éléments de preuve retenus contre lui. En outre, aucune forme d’accompagnement appropriée n’a été fournie à l’auteur par les autorités de l’État partie pour lui permettre de défendre ses droits devant un tribunal et de plaider non coupable, alors que telle était son intention manifeste. L’auteur n’a donc jamais eu la possibilité de faire déterminer les chefs d’infraction pénale retenus contre lui et d’être innocenté des infractions sexuelles alléguées. Le Comité considère que si les États parties disposent d’une certaine marge d’appréciation lorsqu’il s’agit de déterminer les aménagements procéduraux à mettre en œuvre pour permettre aux personnes handicapées d’exercer leur capacité juridique, ils sont néanmoins tenus de respecter les droits pertinents de l’intéressé. Tel n’a pas été le cas dans l’affaire qui concerne l’auteur, celui-ci n’ayant nullement eu la possibilité d’exercer son droit d’avoir accès à la justice et son droit à un procès équitable et n’ayant bénéficié ni de l’accompagnement ni des aménagements nécessaires à cette fin. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que la situation en cause constitue une violation des droits que l’auteur tient des articles 12 (par. 2 et 3) et 13 (par. 1) de la Convention.

8.7En ce qui concerne les allégations de l’auteur relatives à sa détention, le Comité réaffirme que la liberté et la sécurité de la personne sont parmi les droits les plus précieux attachés à toute personne. En particulier, toutes les personnes handicapées, et plus spécialement celles qui présentent un handicap intellectuel ou psychosocial, ont droit à la liberté, conformément à l’article 14 de la Convention. En l’espèce, le Comité constate que, comme suite à la décision par laquelle le tribunal du district de l’Australie‑Occidentale a déclaré, en mars 2003, que l’auteur était dans l’incapacité de se défendre, l’auteur a été détenu en prison sans avoir été reconnu coupable d’une quelconque infraction, et alors que tous les chefs d’accusation retenus contre lui avaient été abandonnés en application de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale. Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les autorités compétentes ont adopté cette décision faute de pouvoir proposer des services de substitution et d’accompagnement, et bien qu’elles considèrent que la prison n’est « pas un environnement approprié pour l’auteur » (voir par. 4.5 ci-dessus). La détention de l’auteur a donc été décidée sur la base de l’évaluation par les autorités de l’État partie des conséquences potentielles de son handicap intellectuel, en l’absence de toute déclaration de culpabilité pénale, faisant ainsi du handicap de l’auteur le motif fondamental de sa détention. Le Comité considère donc que la détention de l’auteur a constitué une violation du paragraphe 1 b) de l’article 14 de la Convention selon lequel « en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté ».

8.8Le Comité constate que, le 10 janvier 2012, l’auteur a été libéré de prison pour être transféré dans une résidence supervisée sous 10 conditions. Sans entrer dans une analyse détaillée de ces conditions, le Comité considère qu’étant donné qu’elles sont une conséquence directe de la détention de l’auteur, qui a été déclarée contraire aux principes de la Convention, les conditions constituent également une violation du paragraphe 1 b) de l’article 14.

8.9S’agissant des allégations de l’auteur au titre de l’article 15 de la Convention, le Comité rappelle qu’au moment où se sont produits les événements à l’origine de la présente communication, l’auteur était placé en détention. Le Comité souligne que, dans une telle situation, les États parties sont particulièrement en mesure de garantir les droits des personnes privées de liberté, compte tenu du degré de contrôle qu’ils exercent sur celles‑ci, et ont, notamment, les moyens d’empêcher toute forme de traitement contraire à l’article 15 de la Convention et de garantir les droits énoncés dans la Convention. Dans ce contexte, les autorités des États parties doivent accorder une attention spéciale aux besoins particuliers et à l’éventuelle vulnérabilité des personnes concernées, notamment en raison de leur handicap. En l’espèce, le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles il a fréquemment fait l’objet d’actes de violence et de maltraitance, son handicap l’empêchait de se protéger contre de tels actes, et les autorités de l’État partie n’ont rien fait pour sanctionner ces actes, pour y mettre un terme, ou pour protéger l’auteur. En outre, il note que l’auteur a été détenu pendant plus de treize ans au cours desquels aucune indication concernant la durée de sa privation de liberté ne lui a été communiquée. Il s’agissait d’un placement en détention pour une durée indéterminée compte tenu des dispositions de l’article 10 de la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale selon lesquelles « lorsqu’une personne est jugée inapte à défendre ses droits devant un tribunal au titre des dispositions visées, il est présumé qu’elle demeure inapte à se défendre jusqu’à preuve du contraire ». Compte tenu des effets psychologiques irréparables que la détention pour une durée indéterminée peut avoir sur les détenus, le Comité considère que la détention de l’auteur pour une durée indéterminée constitue un traitement inhumain et dégradant. Il considère par conséquent que la durée indéterminée de la détention de l’auteur et les actes de violence répétés infligés à l’auteur durant sa détention sont constitutifs d’une violation de l’article 15 de la Convention par l’État partie.

8.10À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que l’État partie ne s’est pas pleinement acquitté des obligations qui lui incombent au titre des articles 5 (par. 1 et 2), 12 (par. 2 et 3), 13 (par. 1), 14 (par. 1 b)) et 15 de la Convention.

C.Conclusion et recommandations

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, considère que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 (par. 1 et 2), 12 (par. 2 et 3), 13 (par. 1), 14 (par. 1 b)) et 15 de la Convention. Il fait donc à l’État partie les recommandations suivantes :

a)Recommandations concernant l’auteur : l’État partie a pour obligation de :

i)Lui assurer l’accès à un recours utile, y compris le remboursement de tous les frais de justice qu’il aura engagés, ainsi qu’une indemnisation ;

ii)Réviser dans les meilleurs délais les 10 conditions liées à l’ordonnance de mise en liberté de l’auteur et de les remplacer par toutes les mesures d’accompagnement nécessaires à l’insertion de l’auteur dans la communauté ;

iii)Rendre publiques les présentes constatations et de les diffuser largement, sous des formes accessibles, auprès de tous les secteurs de la population ;

b)D’une manière générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir. À cet égard, le Comité renvoie aux recommandations qui figurent dans ses observations finales (CRPD/C/AUS/CO/1, par. 32) et demande à l’État partie :

i)D’apporter les modifications nécessaires à la loi relative aux prévenus présentant une déficience mentale (Australie-Occidentale) et à toutes les législations équivalentes ou connexes à l’échelle de l’État fédéral et des États fédérés, en étroite consultation avec les personnes handicapées et les organisations qui les représentent, en veillant à garantir leur conformité aux principes inscrits dans la Convention et aux directives du Comité sur l’article 14 de la Convention ;

ii)De veiller à ce que, chaque fois que nécessaire, des mesures d’accompagnement et d’aménagement appropriées soient prises pour permettre aux personnes présentant un handicap mental et intellectuel d’exercer leur capacité juridique devant les tribunaux ;

iii)De veiller à dispenser une formation appropriée et régulière concernant le champ d’application de la Convention et de son Protocole facultatif, y compris l’exercice de la capacité juridique par les personnes présentant des handicaps intellectuels et mentaux, à tous les membres du Conseil de révision, de la Commission de réforme législative, du Parlement, du corps judiciaire et du personnel qui facilite le fonctionnement de la justice.

10.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura pu prendre à la lumière des présentes constatations et recommandations du Comité.

Annexe

Opinion partiellement dissidente de Damjan Tatić

1.J’approuve l’avis du Comité selon lequel les allégations de l’auteur relatives aux articles 5 (par. 1 et 2), 14 (par. 1 b)) et 15 de la Convention sont recevables en vertu du Protocole facultatif. J’approuve également l’avis du Comité selon lequel l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 (par. 1 et 2) et 14 (par. 1 b)) et 15 de la Convention. En outre, j’approuve les conclusions et les recommandations formulées par le Comité à l’intention de l’État partie concernant les obligations dont celui-ci doit s’acquitter afin de mettre pleinement en œuvre les articles en question.

2.Toutefois, je trouve moins convaincante la manière dont le Comité a examiné la recevabilité ratione temporis des allégations relatives aux articles 12 et 13. J’estime que, le 5 novembre 2010, le tribunal du district de l’Australie-Occidentale n’a pas examiné les griefs de l’auteur quant au fond et que toutes les décisions concernant la capacité de l’auteur à plaider non coupable ont été prises avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Je considère que la décision du tribunal de district n’a nullement confirmé les précédents jugements, qui avaient été rendus avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. J’estime donc que les griefs formulés par l’auteur au titre des articles 12 et 13 de la Convention sont irrecevables ratione temporis.