Communication présentée par:

X., Y. et leur fille Z. (représentés par un conseil, Tatsiana Turgot)

Au nom de:

X., Y. et leur fille Z.

État partie:

Suède

Date de la requête:

9 novembre 2012 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

4 août 2015

Objet:

Expulsion vers le Bélarus

Question(s) de procédure:

Griefs non étayés

Question(s) de fond:

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article d e la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (cinquante-cinquième session)

concernant la

Communication no 530/2012 *

Présentée par:

X., Y. et leur fille Z. (représentés par un conseil, Tatsiana Turgot)

Au nom de:

X., Y. et leur fille Z.

État partie:

Suède

Date de la requête:

9 novembre 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 4 août 2015,

Ayant achevé l’examen de la requête no 530/2012, présentée par X., Y. et leur fille Z. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article22 de la Convention

1.1Les requérants sont X. (le premier requérant) et sa femme Y. (la deuxième requérante), tous deux de nationalité bélarussienne, nés en 1978 et en 1973, respectivement. Ils soumettent la requête en leur nom et en celui de leur fille Z., également de nationalité bélarussienne, née en 2011. Ils ont déposé une demande d’asile en Suède, qui a été rejetée, et ils risquent d’être expulsés vers le Bélarus. Ils affirment que leur renvoi dans ce pays constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture. Les requérants sont représentés par un conseil.

1.2Le 26 novembre 2012, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a rejeté la demande de mesures provisoires soumise par les requérants. Le 8 février 2013, les requérants ont renouvelé cette demande en invoquant de nouveaux arguments et en soumettant de nouvelles pièces. Le 14 février, après examen du dossier, le Comité, par l’entremise de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a maintenu sa décision de ne pas demander de mesures provisoires dans ce cas.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Les requérants étaient actifs politiquement au Bélarus. Ils fabriquaient et distribuaient des tracts, et diffusaient des informations et des opinions personnelles concernant la situation politique au Bélarus, notamment par l’intermédiaire d’Internet. Le 17 mars 2004, le premier requérant a demandé l’asile en Suède sous une fausse identité. Sa demande a été rejetée et il a été renvoyé au Bélarus.

2.2En 2006, les requérants ont participé à une manifestation de protestation contre le régime en place. Ils ont été arrêtés et la deuxième requérante a été torturée par la police. Les policiers ont utilisé un fer à repasser pour contraindre la requérante à avouer qu’elle avait été payée par le candidat à l’élection présidentielle Kouzulin pour participer à une manifestation. À la suite du traitement subi, elle a été emmenée dans un hôpital. Le premier requérant a été accusé de troubles à l’ordre public et condamné à une peine d’amende. Pendant la période 2006-2009, il a reçu des menaces téléphoniques de la part de la police de Minsk. Pour autant, la deuxième requérante a participé à plusieurs manifestations, même ultérieurement, sans être inquiétée par la police. Entre novembre 2009 et février 2010, les requérants ont mené des activités en vue de l’organisation d’une manifestation en novembre 2010, peu avant l’élection présidentielle du 19 décembre 2010.

2.3En mars 2010, les requérants ont quitté le Bélarus avec leur fille. Ils sont entrés en Suède avec des visas touristiques valables un an et ont demandé l’asile en 2011, près d’un an plus tard. En novembre 2010, alors que les parents du premier requérant rendaient visite à la famille en Suède, ce dernier leur a remis une demande écrite pour l’organisation d’une manifestation au Bélarus en décembre 2010. À leur retour au Bélarus, sa mère et son beau-père, tous deux membres du Parti civique uni, ont transmis cette demande aux autorités bélarussiennes. Ils ont ensuite participé à la manifestation du 19 décembre 2010 et ont été arrêtés par les autorités bélarussiennes. Au cours de leur interrogatoire, l’enquêteur, qui était au courant des activités passées du premier requérant, a exercé des pressions sur la mère et le beau-père du requérant pour qu’ils lui révèlent où les requérants se trouvaient, et ils lui ont donné le numéro de téléphone du premier requérant en Suède. L’enquêteur a indiqué que les requérants étaient sous le coup d’une procédure pénale pour organisation de troubles à l’ordre public et qu’ils seraient arrêtés à leur retour au Bélarus. À partir de ce moment, les requérants ont commencé à recevoir des appels téléphoniques de menace de la part de la police de Minsk.

2.4Les requérants ont déposé leur demande d’asile auprès de l’Office suédois des migrations le 16 juin 2011. Pendant l’entretien, la deuxième requérante a déclaré qu’elle avait été soumise à la torture en 2006 et a montré les marques qu’elle portait sur le corps. Il a été noté dans le compte rendu de l’entretien qu’elle avait subi des violences de la part de la police. La requérante a également fait état d’un certificat médical émanant d’un psychothérapeute de Suède qui indiquait, entre autres, que les blessures de la requérante pouvaient avoir été causées de la manière décrite par cette dernière. Le 9 septembre 2011, l’Office des migrations a rejeté la demande d’asile des requérants et ordonné leur expulsion. Il a expliqué que le fait que le premier requérant avait fourni de faux renseignements sur son identité lors de sa demande d’asile en 2004 avait nui à sa crédibilité et à celle de la deuxième requérante. En outre, les informations données par le premier requérant au sujet de ses activités politiques étaient vagues et difficiles à interpréter. Il semblait étrange qu’il n’ait rien dit de ses activités lors de la première procédure de demande d’asile. La famille pouvait se déplacer librement sans que les autorités paraissent de quelque manière vouloir l’empêcher de le faire. Les requérants n’étaient pas suffisamment actifs sur le plan politique pour que les autorités s’intéressent à eux. Le manque de pièces, le défaut de crédibilité des requérants et leur présence sur le territoire suédois pendant les importantes manifestations de 2010 (liées à l’élection présidentielle) étaient autant d’éléments faisant que les requérants n’avaient pas démontré qu’ils avaient probablement besoin de protection. S’agissant du traitement que la deuxième requérante aurait subi aux mains de la police de Minsk en 2006, l’Office des migrations l’a qualifié d’acte de violence policière, sans utiliser le terme « torture ».

2.5À une date non précisée, les requérants ont fait appel de la décision de l’Office des migrations devant le tribunal des migrations. Le 20 avril 2012, ce dernier a rejeté leur recours, observant entre autres qu’ils avaient reçu deux convocations de la police pour interrogatoire à Minsk qui précisaient qu’en cas de non-comparution, ils s’exposaient à une peine d’amende ou d’emprisonnement. Le tribunal a interprété l’absence de mention du motif de la convocation comme une preuve que les requérants n’avaient pas besoin de protection. Il a lui aussi qualifié le traitement subi par la deuxième requérante en 2006 d’acte de violence policière et non de torture. Les requérants ont sollicité l’autorisation d’introduire un recours devant la Cour d’appel des migrations. Le 8 juin 2012, la Cour a estimé toutefois que cette affaire ne présentait pas un intérêt qui justifierait le recours et a rejeté la demande d’autorisation de faire appel.

2.6À une date non précisée, les requérants ont présenté à l’Office des migrations une demande de réexamen de leur dossier sur la base de circonstances nouvelles. La deuxième requérante a fait valoir que, lors de l’examen de sa demande d’asile, l’Office était parti du principe qu’elle aurait subi des violences, non qu’elle aurait été torturée. Elle n’avait pas la possibilité de lire le compte rendu de l’entretien car il était rédigé en suédois. Elle avait fait confiance aux autorités suédoises et avait cru que ces dernières avaient pris en considération ses griefs de torture. Les requérants avançaient aussi qu’ils avaient encore reçu entre-temps plusieurs appels de la police de Minsk et ils évoquaient la situation générale au Bélarus s’agissant des violations des droits de l’homme commises par la police. Le 8 septembre 2012, l’Office des migrations a rejeté la demande au motif que seules des circonstances nouvelles pouvaient être prises en considération. L’Office estimait qu’il avait déjà été tenu compte des éléments invoqués dans le cadre de la procédure précédente. Il a également fait observer qu’aucune information n’avait été fournie lors de la première procédure au sujet des tortures que le premier requérant aurait subies. En l’absence de circonstances nouvelles, l’Office a conclu qu’il n’y avait aucune raison de réexaminer la demande d’asile.

2.7À une date non précisée, les requérants ont présenté à l’Office des migrations une nouvelle demande de réexamen de leur dossier en raison de circonstances nouvelles, sur la base d’un avis médico-légal établi le 8 octobre 2012. Selon cet avis, rendu par le professeur E. E., expert médico-légal au Centre de prise en charge des victimes de crises et de traumatismes, l’examen clinique de la deuxième requérante avait révélé des éléments qui attestaient qu’elle avait été torturée de la manière qu’elle avait décrite. La deuxième requérante affirmait qu’en 2006, un policier l’avait forcée à signer un document discréditant l’ancien candidat à la présidentielle Kouzulin et indiquant qu’elle avait été payée pour manifester contre le régime en place. Lorsqu’elle avait refusé de signer, elle avait été frappée par un agent, qui lui avait appliqué un fer très chaud sur le ventre. Lorsqu’elle avait finalement signé des aveux, elle avait été emmenée dans un hôpital car ses blessures mettaient ses jours en danger. L’Office des migrations a rejeté l’appel le 1er novembre 2012 au motif qu’aucune circonstance nouvelle n’avait été invoquée. Il a considéré, à propos du rapport médico-légal, que celui-ci ne présentait pas d’éléments nouveaux étant donné que les requérants avaient déjà soumis en 2011 un autre rapport médical invoquant les mêmes faits. En outre, le tribunal des migrations a évalué les déclarations des requérants et estimé qu’elles manquaient de crédibilité. Selon lui, les requérants n’avaient pas été suffisamment actifs politiquement pour que l’intérêt supposé des autorités à leur égard soit justifié. Ils n’avaient pas non démontré qu’il était probable que les autorités les recherchent et qu’ils risquaient par conséquent d’être poursuivis ou châtiés.

Teneur de la plainte

3.Les requérants affirment que leur expulsion vers le Bélarus constituerait une violation par la Suède des droits qu’ils tiennent de l’article 3 de la Convention contre la torture. Ils font valoir qu’ils ont diffusé des informations concernant la situation politique au Bélarus au moyen de tracts, de même qu’oralement et par l’intermédiaire d’Internet. Ils ont participé à plusieurs manifestations d’opposition et, pendant l’une d’elles, ils ont été arrêtés, et la deuxième requérante a été torturée. Les requérants ont appelé à une manifestation antigouvernementale avant l’élection présidentielle de 2010 et demandé des autorisations pour participer à des rassemblements de cette nature. Ils affirment en outre que la police bélarussienne les harcèle constamment par différents moyens : perquisition, appels téléphoniques de menace et convocations émanant de la police de Minsk. Compte tenu de l’existence au Bélarus d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, les requérants font valoir qu’ils courent un risque prévisible, réel et personnel d’être torturés s’ils sont expulsés vers le Bélarus.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 24 mai 2013, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond. Il rappelle les faits de l’espèce et relève que le premier requérant est venu en Suède pour la première fois en mars 2004 et a demandé l’asile après avoir été interpellé par la police. Il n’avait pas de pièces d’identité et a donné un faux nom, et il a fait une narration de son histoire et des raisons de sa demande d’asile qui était fausse, comme il a été confirmé pendant la procédure d’asile. Selon l’État partie, il a déclaré notamment qu’il était âgé de moins de 18 ans et qu’il n’avait jamais mené d’activités politiques au Bélarus. L’Office des migrations a rejeté sa demande d’asile et ordonné son expulsion vers le Bélarus, laquelle a eu lieu le 14 mai 2005. Le premier requérant et la deuxième requérante ont ensuite effectué une visite en Suède en 2009, munis d’un visa valable du 20 août 2009 au 20 février 2010. Ils ont quitté la Suède en novembre 2009 et y sont revenus en février 2010 avec un visa valable du 25 février 2010 au 25 février 2011.

4.2L’État partie observe également que, conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et il indique qu’il n’a connaissance d’aucune procédure engagée devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement concernant la présente affaire. L’État partie confirme que tous les recours internes disponibles ont été épuisés en l’espèce, conformément à ce que prescrit le paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

4.3L’État partie fait valoir en outre que l’affirmation des requérants selon laquelle ils risquent d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’ils sont renvoyés au Bélarus n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Selon l’État partie, la présente communication est manifestement dénuée de fondement et, partant, irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 107 b) du Règlement intérieur du Comité. Dans l’hypothèse où le Comité déclarerait la communication recevable, il devrait déterminer si l’expulsion des requérants vers le Bélarus constituerait un manquement à l’obligation qui est faite à la Suède en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

4.4L’État partie note que, pour déterminer s’il y a violation de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris de l’existence dans le pays considéré d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Cependant, comme le Comité l’a souligné à maintes reprises, il s’agit de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. L’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que l’individu risque d’être soumis à la torture dans ce pays. Pour qu’une violation de l’article 3 soit établie, il doit exister des motifs supplémentaires démontrant que l’intéressé courrait personnellement un risque.

4.5À cet égard, l’État partie observe que, pour déterminer si le renvoi forcé des requérants au Bélarus constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, le Comité doit prendre en considération : i) la situation générale des droits de l’homme au Bélarus, et, en particulier, ii) le risque que les requérants courent personnellement d’être soumis à la torture dans ce pays.

4.6L’État partie rappelle en outre la jurisprudence du Comité selon laquelle, dans les cas tels celui de l’espèce, la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant qu’il court un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture. De plus, le risque de torture doit être apprécié en fonction d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que ce risque est hautement probable, il s’agit de prouver qu’il est encouru personnellement et actuellement.

4.7En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme au Bélarus, l’État partie indique qu’il part du principe que, le Bélarus étant partie à la Convention ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité connaît bien la situation générale des droits de l’homme dans ce pays, y compris la situation des opposants politiques après l’élection présidentielle de décembre 2010. L’État partie estime dès lors qu’il suffit sur ce point de renvoyer aux informations relatives à la situation des droits de l’homme au Bélarus que l’on peut trouver dans des rapports récents tels celui du Ministère suédois des affaires étrangères, et le « Country Report on Human Rights Practices for 2012 on Belarus » du Département d’État des États-Unis.

4.8L’État partie fait valoir qu’il ne sous-estime pas les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation actuelle des droits de l’homme au Bélarus, en particulier s’agissant des opposants politiques, mais que ces préoccupations ne suffisent pas pour établir que l’expulsion des requérants constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il affirme par conséquent que le renvoi des requérants au Bélarus ne constituerait un manquement à la Convention que si les intéressés pouvaient prouver qu’ils risquent personnellement d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Or, dans la présente affaire, les requérants n’ont pas étayé leurs allégations en ce sens.

4.9L’État partie ajoute que plusieurs dispositions de la loi suédoise relative aux étrangers reprennent les principes énoncés à l’article 3 de la Convention, de sorte que les autorités suédoises de l’immigration appliquent les mêmes critères que le Comité lorsqu’il examine une requête au titre de la Convention. Les renvois des autorités suédoises, dans leurs décisions concernant la présente affaire, aux articles 1, 2 et 2 a) du chapitre 4 de la loi relative aux étrangers montrent que ces critères ont bien été appliqués en l’espèce. En outre, pour ce qui est des demandes de réexamen de leurs demandes de permis de séjour soumises par les requérants, conformément aux articles 1 à 3 du chapitre 12 de la même loi, dont il a été tenu compte, l’expulsion d’un étranger ne peut en aucun cas se faire vers un pays où il y a des motifs raisonnables de craindre qu’il soit soumis, entre autres, à des actes de torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou qu’il ne soit pas à l’abri d’un renvoi, depuis ce pays, vers un autre pays où il court un tel danger.

4.10L’État partie précise de surcroît que les autorités nationales sont particulièrement bien placées pour évaluer les informations fournies par les demandeurs d’asile et apprécier la crédibilité de leurs allégations. Dans la présente affaire, l’Office des migrations et le tribunal des migrations ont procédé à un examen approfondi du dossier des requérants. Lors de leur demande d’asile, l’Office des migrations a organisé un entretien individuel avec chacun d’eux. L’entretien avec le premier requérant a duré près de cinq heures et l’entrevue avec la deuxième requérante près de deux heures. Le but était de donner aux requérants l’occasion d’expliquer les raisons pour lesquelles ils avaient besoin de protection et de présenter tous les faits pertinents pour l’évaluation de leur dossier par l’Office. Les deux entretiens se sont déroulés en présence d’un interprète, que les requérants ont confirmé bien comprendre. Les requérants ont aussi exposé leur cas par écrit à l’Office et aux tribunaux des migrations. Tout au long de la procédure concernant leur demande d’asile initiale, les requérants ont été représentés par un conseil commis d’office. Depuis que la décision d’expulsion est devenue exécutoire, l’Office des migrations a examiné à quatre reprises des circonstances nouvelles invoquées par les requérants. À l’une de ces occasions, il a été fait appel de la décision de l’Office des migrations, mais le tribunal des migrations ne l’a pas modifiée. Compte tenu de ces éléments, l’État partie fait valoir qu’il convient de considérer que l’Office des migrations et les tribunaux des migrations disposaient de renseignements suffisants, considérés conjointement avec les faits et les pièces figurant dans le dossier, pour pouvoir procéder, sur une base solide, à une évaluation éclairée, transparente et raisonnable du besoin de protection des requérants en Suède.

4.11À ce sujet, l’État partie rappelle l’observation générale no 1 (1997) du Comité relative à l’article 3 de la Convention, ainsi que sa jurisprudence, précisant qu’il n’est pas un organe d’appel, ni un organe juridictionnel ou administratif, et qu’il accordera un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé. De plus, le Comité a estimé que c’était aux tribunaux des États parties à la Convention, et non au Comité, qu’il appartenait d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il pouvait être établi que la manière dont ces faits et ces éléments de preuve avaient été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice.

4.12Vu ce qui précède et compte tenu du fait que l’Office des migrations et les tribunaux des migrations sont des organes spécialisés possédant une expérience particulière dans le domaine du droit et de la pratique en matière d’asile, l’État partie affirme qu’il n’y a aucune raison de conclure que les décisions prises au niveau national n’étaient pas correctes et que l’issue des procédures internes était arbitraire ou constituait un déni de droit en l’espèce. Il ajoute qu’il convient d’accorder un poids important aux avis des autorités suédoises de l’immigration, tels qu’ils sont exprimés dans leurs décisions ordonnant l’expulsion des requérants vers le Bélarus.

4.13L’État partie observe également que les requérants ont affirmé au Comité que leur expulsion vers le Bélarus constituerait une violation de l’article 3 de la Convention au motif qu’ils risquent d’être soumis à la torture en raison de leurs activités politiques au Bélarus.

4.14À cet égard, l’État partie, comme les autorités de l’immigration, a conclu qu’un certain nombre d’éléments permettaient de mettre en doute la crédibilité des requérants de manière générale. Premièrement, l’État partie juge utile de relever que le premier requérant a donné un faux nom et des informations inexactes sur les motifs de sa demande d’asile en 2004 et qu’il n’a pu fournir d’explication plausible à ce sujet. À ses dires, il prévoyait de séjourner temporairement en Suède et il avait donné des renseignements faux, s’attendant ainsi à être expulsé ultérieurement, mais un tel scénario n’est guère crédible, eu égard en particulier à son refus de retourner au Bélarus après s’être vu refuser l’asile. Deuxièmement, les requérants ont attendu plus d’un an après leur arrivée en Suède avant de demander l’asile, et il doit être noté en outre qu’entre 2006 et 2009, ils se sont déplacés à l’intérieur et à l’extérieur du Bélarus avec leurs propres passeports, de même qu’ils ont pu obtenir de nouveaux passeports et des visas pour l’étranger sans attirer l’attention des autorités bélarussiennes. Troisièmement, les descriptions que les requérants font de leurs activités politiques entre 1996 et 2009 sont vagues et présentent des incohérences, et leurs récits manquent de détails concrets. Pour l’État partie, il existe des motifs sérieux de douter de la crédibilité des allégations des requérants concernant leurs activités politiques au Bélarus, et donc également de l’intérêt que les autorités pourraient porter aux requérants.

4.15L’État partie précise que, pas plus que les autorités de l’immigration, il ne met pas en doute les dires des requérants, qui affirment avoir été arrêtés par les autorités bélarussiennes lors de la manifestation de 2006 et soumis à des violences à cette occasion. Tout en comprenant les inquiétudes que les requérants peuvent légitimement exprimer au regard du traitement qu’ils ont subi dans le passé, l’État partie observe qu’ils n’ont pas formulé d’allégations laissant supposer qu’ils ont été soumis par la suite à un traitement défini à l’article premier de la Convention. C’est là un élément important pour ce qui est de déterminer si l’expulsion des requérants serait incompatible avec l’article 3 de la Convention, puisqu’il est indiqué au paragraphe 8 b) de l’observation générale no 1 du Comité que parmi les éléments à prendre en compte pour évaluer le risque de torture figurent le fait de savoir si le requérant a été torturé dans le passé et, dans l’affirmative, s’il s’agit d’un passé récent. En l’espèce, les requérants ont subi le traitement en question il y a sept ans, et non, par conséquent, dans un passé récent.

4.16En ce qui concerne l’allégation des requérants selon laquelle la deuxième requérante n’a pas eu la possibilité de lire et de vérifier le compte rendu de son entretien avec l’Office des migrations, en sorte que les autorités n’auraient pas été informées du fait qu’elle avait été torturée en 2006, l’État partie confirme l’avis de l’Office des migrations, qui considère que la deuxième requérante a eu la possibilité d’exposer les faits pertinents et que son grief manque dès lors de crédibilité. Le compte rendu de l’entretien montre que la requérante a confirmé à la fois qu’elle comprenait l’interprète et qu’elle avait pu dire tout ce qu’elle voulait. Un conseil commis d’office était présent pendant toute la durée de l’entretien. L’État partie note que les autorités de l’immigration n’ont pas mis en doute le fait que la requérante avait subi des violences à l’occasion de la manifestation de 2006 et qu’elles ont procédé à leurs évaluations en conséquence.

4.17Les requérants affirment également qu’ils ont poursuivi leurs activités politiques après les incidents de 2006 et qu’ils reçoivent fréquemment des appels téléphoniques de menace de la part de la police bélarussienne destinés à les empêcher de prendre contact avec les autorités au sujet de ces incidents. L’État partie estime que les descriptions faites par les requérants de leurs activités politiques sont vagues et générales, et ne font apparaître aucune raison de conclure que les autorités bélarussiennes se sont intéressées à eux pendant la période 2006-2009, lorsque le premier requérant et la deuxième requérante sont arrivés pour la première fois en Suède ensemble. Les requérants n’ont pas été en mesure de présenter des éléments à l’appui de cette allégation. L’État partie relève aussi que, dans leur lettre au Comité, les requérants déclarent que la deuxième requérante a participé à plusieurs manifestations après 2006 sans être arrêtée ou harcelée d’aucune autre manière par la police. De plus, ils ont pu faire des allers et retours dans leur pays à plusieurs occasions pendant la période considérée.

4.18Les requérants prétendent également que les activités politiques qu’ils ont menées en Suède à partir de 2009 ont attiré l’attention des autorités bélarussiennes sur eux et qu’ils risquent par conséquent d’être soumis à la torture en cas de retour au Bélarus. Ils ont fait valoir que, pendant leur séjour en Suède, ils avaient notamment soumis une demande d’autorisation au Bélarus pour l’organisation d’une manifestation le 19 décembre 2010, jour de l’élection présidentielle au Bélarus. Ils ont aussi affirmé qu’ils avaient déposé des plaintes auprès de diverses autorités bélarussiennes et diffusé de la propagande hostile au régime sur Internet. La demande concernant la manifestation aurait été signée par le premier requérant et remise ensuite aux autorités bélarussiennes par sa mère et son beau-père. Ces derniers auraient participé à la manifestation et auraient été arrêtés et détenus pendant deux mois au début de 2011. Une action pénale avait été engagée contre la mère et le beau-père du premier requérant pour avoir organisé la manifestation et y avoir participé. Après leur remise en liberté, ceux-ci auraient informé les requérants que les mêmes charges pesaient contre eux. Les requérants ont également prétendu que les autorités bélarussiennes avaient perquisitionné chez eux et les avaient menacés par téléphone en raison de leur implication dans la manifestation du 19 décembre 2010.

4.19L’État partie fait observer que les autorités de l’immigration ont examiné ces affirmations et conclu qu’elles manquaient de crédibilité. Elles ont jugé étonnant qu’une personne dépose une demande d’autorisation d’une manifestation au Bélarus à partir de la Suède sans avoir la moindre intention de participer elle-même au rassemblement. Il n’existe pas de documents ou d’autres éléments de preuve établissant que les requérants ont effectivement déposé des demandes ou des plaintes, ou diffusé sur Internet des informations critiques à l’égard du régime en place. Les autorités de l’immigration ont également trouvé étrange que les autorités bélarussiennes aient pu accuser les requérants d’avoir participé à la manifestation du 19 décembre 2010, étant donné qu’ils avaient quitté le Bélarus légalement et qu’elles devaient savoir qu’ils n’étaient pas sur le territoire bélarussien à cette date. L’État partie confirme la position des autorités de l’immigration et fait remarquer que, conformément au principe régissant la charge de la preuve dans les affaires de demande d’asile, il est en droit de demander que le requérant donne toutes les informations pertinentes, dise la vérité et prête son concours à l’enquêteur de manière à éclaircir tous les faits de la cause. Selon l’État partie, ce n’est qu’alors que le bénéfice du doute peut être appliqué aux demandeurs d’asile.

4.20À cet égard, l’État partie renvoie aux informations contenues dans les rapports relatifs aux manifestations du 19 décembre 2010 (voir par. 4.7 ci-dessus), notamment à celles qui concernent la réaction des autorités bélarussiennes à la manifestation tenue lors de l’élection qui figurent dans un rapport de Human Rights Watch intitulé « Belarus Survey Shows Massive Abuse of Protesters ». À la lumière de ces informations, il apparaît que l’allégation des requérants selon laquelle les autorités s’intéresseraient à eux au motif qu’ils avaient déposé une demande d’autorisation de la manifestation manque de crédibilité. L’État partie note que la manifestation a apparemment commencé pacifiquement et que les autorités ne sont intervenues que lorsque les résultats de l’élection ont été annoncés et que des émeutes ont éclaté.

4.21Pour ce qui est de l’observation des requérants concernant les activités politiques des parents du premier requérant, l’État partie relève que les requérants n’ont pas présenté d’éléments établissant que, comme ils l’affirment, les parents étaient actifs politiquement, qu’ils ont participé à la manifestation du 19 décembre 2010 ou que les autorités les ont arrêtés. L’État partie ne met pas en doute l’appartenance des parents du premier requérant au Parti civique uni, mais il fait valoir que cela ne prouve pas qu’ils ont été persécutés ou maltraités par les autorités, d’autant plus que le Parti civique uni est un parti légal. En outre, ni les parents ni les requérants eux-mêmes ne figurent sur la liste des personnes arrêtées, soupçonnées ou inculpées en lien avec les événements du 19 décembre 2010.

4.22De plus, l’État partie partage l’avis des autorités de l’immigration selon lequel les documents soumis par les requérants ont une faible valeur probante. Les cartes d’adhésion au parti de la mère et du beau-père du premier requérant sont de nature simple et leur affiliation au parti ne prouve nullement que les autorités s’intéressaient à eux ou qu’ils ont été soumis à un traitement contraire à la Convention. Enfin, les documents indiquant que les requérants sont convoqués par la police de Minsk pour interrogatoire ne prouvent pas qu’ils sont accusés d’infractions liées à la manifestation ou à leurs activités politiques.

4.23L’État partie affirme que les requérants n’ont fourni aucune preuve documentaire ou autre établissant qu’ils sont recherchés par les autorités bélarussiennes ou qu’ils font l’objet d’une procédure judiciaire ou administrative du fait de leurs activités politiques. Ils ne sont membres d’aucun parti et n’ont pas démontré que les autorités s’intéressaient aux activités politiques qu’ils disent mener. L’État partie considère donc que les requérants n’ont pas démontré qu’ils risquent d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en raison de leurs activités politiques.

4.24L’État partie constate que, dans une lettre ultérieure au Comité, les requérants signalent entre autres que le premier requérant a exercé dans le passé des activités d’entrepreneur au Bélarus, que sa société a été fermée par les autorités locales et qu’il a été poursuivi pour dette fiscale, mais qu’il n’avait pas de dette impayée à son départ du Bélarus. Selon les requérants, cela autorise à penser que le premier requérant court encore un certain risque d’être poursuivi, officiellement en raison de ses activités économiques passées, mais en réalité du fait de ses activités politiques. À ce sujet, les requérants ont présenté une attestation indiquant que le premier requérant avait fait enregistrer une entreprise privée le 11 décembre 2008, et une citation à comparaître le 18 juillet 2011 pour présenter un reçu ou une pièce similaire à titre de preuve de paiement (aucun autre détail n’est fourni). À la connaissance de l’État partie, les requérants n’ont pas soumis la deuxième pièce dans le cadre de la procédure engagée devant les autorités suédoises de l’immigration.

4.25L’État partie relève à cet égard que les requérants n’ont pas présenté de documents à l’appui de leur affirmation selon laquelle le premier requérant avait été poursuivi. L’État partie considère que les requérants n’ont pas démontré que le premier requérant courait le risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en raison de ses activités professionnelles. Il réaffirme aussi que les requérants n’ont pas non plus démontré qu’ils couraient le risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en raison de leurs activités politiques et que les observations figurant dans leur dernière lettre au Comité ne modifient en rien cette appréciation.

4.26En résumé, l’État partie fait valoir que la présente communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’elle est manifestement infondée en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité, ou qu’elle ne fait pas apparaître de violation de la Convention.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

5.1En réponse aux observations de l’État partie, le 25 juillet 2013, les requérants indiquent d’abord que la deuxième requérante est en mesure de fournir de nouvelles informations sur son dossier pénal au Bélarus et notamment qu’elle peut désormais présenter des documents montrant qu’elle fait l’objet d’une enquête pour infraction grave à la législation sur les armes. Les requérants ont soumis une copie d’une déclaration de l’avocat de la deuxième requérante au Bélarus. Ils précisent également qu’il n’a pas été possible d’obtenir ce document plus tôt car, en l’absence de la deuxième requérante du territoire bélarussien, la seule possibilité pour elle de conclure un contrat avec un avocat – condition absolue selon le droit procédural bélarussien pour que l’avocat puisse représenter officiellement le client – était de le faire par l’intermédiaire d’un tiers. Personne ne voulait se charger de cette mission et conclure un contrat avec un avocat. De plus, la deuxième requérante craignait que son fils, qui vit à Minsk, ne soit persécuté si un avocat était engagé pour enquêter sur son cas. Compte tenu de ces circonstances et de ces éléments, les requérants ont introduit une nouvelle demande auprès de l’Office des migrations. La deuxième requérante fait valoir que la communication est recevable car les affirmations des requérants sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. De plus, les nouveaux documents présentés confirment que les autorités bélarussiennes s’intéressent toujours à elle et qu’elle court personnellement le risque d’être soumise à la torture en cas de renvoi au Bélarus. La lettre de son avocat au Bélarus montre qu’elle s’expose à une longue peine d’emprisonnement au Bélarus. Il existe des motifs sérieux de croire qu’elle risque aussi d’être soumise à la torture, notamment parce qu’elle est accusée d’une infraction qu’elle n’a jamais commise; la procédure pénale qui la vise est motivée par des considérations politiques, et la requérante a été torturée dans le passé.

5.2Sur le fond, la deuxième requérante maintient qu’elle a été torturée par des policiers bélarussiens en 2006, ce que confirme un rapport médical soumis au Comité. Elle affirme que, lors de son entretien avec l’Office des migrations, elle a bien précisé ce fait, lequel a pourtant été omis dans le compte rendu établi par l’agent de l’Office des migrations. Ce document indique qu’elle a été victime de violences, non de torture. La deuxième requérante soutient par conséquent que l’Office des migrations n’a pas tenu compte du fait qu’elle avait été torturée. Elle observe que le Comité devrait prendre en considération le fait qu’elle n’a pas seulement subi des violences mais qu’elle a été torturée, et que son grief de torture ne manque pas de crédibilité, contrairement à ce qu’a estimé l’État partie. Elle affirme qu’en présentant un certificat médical attestant qu’elle a été torturée, ce dont l’Office des migrations n’a pas tenu compte, elle a fourni la preuve requise.

5.3Les requérants contestent aussi l’argument de l’État partie selon lequel ils ne courent pas un risque actuel et personnel d’être soumis à la torture au motif que les actes de torture subis par la deuxième requérante remontent à 2006, et font valoir que le risque de répétition de tels actes persiste en raison des activités récentes du couple. Ils affirment être soupçonnés par la police de Minsk d’organisation de troubles à l’ordre public depuis une manifestation qui a eu lieu en 2010. Ils font valoir aussi qu’ils ont soumis à l’Office des migrations copie de lettres de la police pour montrer que les autorités bélarussiennes s’intéressent à eux. L’Office des migrations n’a pas tenu compte de ces documents car ils ne contenaient pas d’informations sur le type d’infraction que la deuxième requérante est soupçonnée d’avoir commise. Les requérants observent que, dans de nombreux pays, surtout les pays totalitaires, il est courant que les convocations de la police ne mentionnent pas les chefs d’accusation dont les intéressés pourraient devoir répondre. Ils soutiennent en outre que l’Office des migrations a totalement ignoré toutes les preuves documentaires présentées par la deuxième requérante.

5.4Les requérants relèvent que les documents montrant que la deuxième requérante fait l’objet d’une enquête pour infraction à la législation sur les armes au Bélarus indiquent clairement qu’elle risque une peine d’emprisonnement de sept ans au maximum. De plus, une infraction de ce type pourrait bien être qualifiée d’infraction terroriste au Bélarus.

5.5En conclusion, les requérants font valoir que la présente communication ainsi que leurs griefs sont recevables et fondés, et qu’ils font apparaître que leur expulsion vers le Bélarus constituerait une violation de la Convention.

Renseignements complémentaires communiqués par l’État partie

6.1Le 15 avril 2014, l’État partie a communiqué des renseignements complémentaires. Il indique que les quelques précisions qu’il fournit concernant les commentaires des requérants ne doivent pas être interprétées comme signifiant qu’il reconnaît le bien-fondé des autres commentaires des requérants, non évoqués ci-après.

6.2S’agissant de l’allégation de la deuxième requérante qui affirme qu’elle fait l’objet d’une enquête pour infraction grave à la législation sur les armes au Bélarus et que les accusations portées contre elle sont motivées par des considérations politiques, le 17 mai 2013, les requérants ont soumis à l’Office des migrations une lettre invoquant des empêchements à l’exécution de la décision d’expulsion, accompagnée de deux documents en bélarussien. Après traduction de ces documents, le 26 septembre 2013, l’Office des migrations a décidé de ne pas accorder de permis de séjour aux requérants au titre de l’article 18 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers et de ne pas réexaminer leur dossier au titre de l’article 19 du chapitre 12 de cette même loi.

6.3Il a été fait appel de la décision devant le tribunal des migrations en ce qui concerne l’article 19 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers. Le 5 novembre 2013, le tribunal des migrations a décidé de renvoyer l’affaire à l’Office des migrations aux fins de vérification de l’authenticité des documents soumis. Après avoir examiné les deux documents, l’Office des migrations a conclu qu’il n’était pas possible de déterminer s’ils avaient été établis d’une manière appropriée. La question de savoir si les documents sont authentiques a par conséquent été laissée en suspens. Néanmoins, l’Office des migrations a estimé que le contenu des documents soumis ne démontrait pas de manière plausible que les requérants risquaient d’être torturés à leur retour au Bélarus.

6.4La décision a fait l’objet d’un recours devant le tribunal des migrations, lequel l’a rejeté le 7 janvier 2014. Le 3 février 2014, la Cour d’appel des migrations a refusé aux requérants l’autorisation de faire appel. L’État partie estime, comme les autorités de l’immigration, que les requérants n’ont pas démontré de manière plausible que les autorités bélarussiennes s’intéressent à eux en raison de leurs activités politiques. L’État partie fait valoir en outre que les requérants n’ont pas fourni d’explication quant à savoir pourquoi les autorités bélarussiennes auraient accusé à tort, maintenant, la deuxième requérante d’avoir commis une infraction ni de quelle manière les documents qu’ils avaient soumis leur étaient parvenus. L’État partie partage dès lors l’avis de l’Office des migrations et du tribunal des migrations selon lequel, si la deuxième requérante est effectivement soupçonnée d’infractions à la législation sur les armes, les requérants n’ont pas apporté la preuve que les accusations dont elle ferait l’objet relèvent d’autre chose que d’une enquête judiciaire ordinaire.

6.5Enfin, l’État partie maintient sa position concernant la recevabilité et le fond de la requête, telle qu’elle est exposée dans les observations qu’il a soumises le 24 mai 2013.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité note que, selon l’État partie, la présente communication est manifestement dénuée de fondement et, partant, irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 107 b) du Règlement intérieur du Comité. Le Comité considère néanmoins que la communication a été étayée aux fins de la recevabilité, les requérants ayant exposé les faits et les fondements de leur requête d’une manière suffisamment détaillée, pour qu’il puisse prendre une décision.

7.3Le Comité rappelle également que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie a reconnu que les requérants avaient épuisé toutes les voies de recours internes. Par conséquent, le Comité considère qu’il n’existe aucun autre obstacle à la recevabilité, déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Dans la présente affaire, le Comité doit déterminer si, en renvoyant les requérants au Bélarus, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il ya des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risquent personnellement d’être victimes de torture s’ils retournent dans leur pays d’origine. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays considéré ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 relative à l’application de l’article 3, selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est « hautement probable », le Comité fait observer que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court un risque « prévisible, réel et personnel ». Le Comité souligne à ce propos que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.5Les requérants affirment qu’au Bélarus, ils risquent d’être torturés car il y a des motifs sérieux de croire que les actes de harcèlement qu’ils ont subis et la torture dont la deuxième requérante aurait été victime dans le passé en raison de leurs activités politiques et des activités professionnelles du premier requérant se poursuivraient. Le Comité relève à ce sujet que les requérants ont présenté des documents médicaux attestant que la deuxième requérante avait subi des violences et des mauvais traitements à la suite de sa participation à une manifestation, en 2006.

8.6Le Comité observe également que, même s’il devait accorder foi à l’affirmation des requérants selon laquelle ils ont été soumis à des mauvais traitements ou à la torture dans le passé, la question qui se pose est celle de savoir si les requérants risquent encore aujourd’hui d’être torturés en cas de renvoi au Bélarus. Le Comité constate qu’actuellement, la situation des droits de l’homme dans ce pays reste source d’inquiétude à plusieurs égards, en particulier s’agissant de la situation des opposants politiques après l’élection présidentielle de décembre 2010. À propos des actes de torture et des éléments de preuve obtenus par la torture, il rappelle que, dans ses observations finales faisant suite à l’examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention, il a exprimé son inquiétude concernant, notamment, les « allégations nombreuses et concordantes faisant état d’un recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements dans les lieux de détention de l’État partie » et le fait que « de nombreuses personnes privées de liberté auraient été torturées, maltraitées et menacées par les forces de l’ordre, en particulier au moment de leur arrestation et pendant leur détention provisoire », ce qui confirmait « les préoccupations exprimées par plusieurs experts et organismes internationaux, dont le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Conseil des droits de l’homme (résolution 17/24), la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ». Le Comité rappelle également qu’il est « préoccupé par plusieurs cas d’aveux obtenus par la torture ou des mauvais traitements ainsi que par l’absence de renseignements sur les fonctionnaires soupçonnés d’actes de ce type qui ont été poursuivis et condamnés ». Le Comité rappelle néanmoins que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine d’un requérant n’est pas en soi suffisante pour conclure que celui-ci court personnellement un risque d’être soumis à la torture.

8.7Le Comité relève en outre que les autorités compétentes de l’État partie ont attiré l’attention sur des inexactitudes, des incohérences et des contradictions dans les récits et les déclarations des requérants, qui mettent en doute leur crédibilité, de manière générale, ainsi que la véracité de leurs allégations. Ainsi, il est à noter que le premier requérant a fourni de fausses informations dans le cadre de la procédure d’asile de 2004, et que, pendant la période allant de 2006 à 2009, les requérants se sont déplacés légalement en faisant des allers et retours au Bélarus, ont obtenu de nouveaux passeports et visas, et ont attendu plus d’un an après leur arrivée en Suède avant de demander l’asile. De plus, les descriptions qu’ils ont faites de leurs activités politiques entre 1996 et 2009 restent vagues et présentent des incohérences, et leurs récits manquent de détails concrets.

8.8Le Comité note aussi que l’État partie ne conteste pas l’affirmation des requérants selon laquelle ils ont été arrêtés par les autorités bélarussiennes lors de la manifestation de 2006 et été victimes de violences à cette occasion. Néanmoins, les requérants ont déclaré qu’ils avaient participé à plusieurs manifestations après 2006 (entre 2006 et 2009) sans être arrêtés ni harcelés d’aucune autre manière par la police. Ils n’ont donc pas allégué qu’ils avaient été harcelés ou arrêtés par la police bélarussienne ultérieurement, dans un passé récent. Par conséquent, il est permis de douter que les autorités bélarussiennes s’intéressent à eux, comme ils l’affirment, et qu’elles continuent de les harceler après tant d’années, sachant qu’ils n’ont pas participé aux manifestations de décembre 2010 et qu’ils ne sont ni des figures marquantes de l’opposition ni des sympathisants acharnés d’opposants au régime. De plus, les requérants ne se sont déclarés membres d’aucun parti.

8.9Le Comité relève également que, selon l’État partie, la deuxième requérante a eu la possibilité, lors de son entretien avec l’Office des migrations, d’exposer tous les faits pertinents, ainsi que de lire et de vérifier le compte rendu de l’entrevue, en présence d’un conseil commis d’office. Le Comité observe à ce propos que les autorités de l’immigration n’ont pas ignoré ni contesté le fait que l’intéressée avait subi des violences lors de la manifestation de 2006 et qu’elles ont procédé à leurs évaluations en conséquence.

8.10En outre, le Comité observe qu’aucun élément de preuve n’a été apporté à l’appui de l’allégation des requérants selon laquelle les activités politiques qu’ils ont menées au Bélarus entre 2006 et 2009, ainsi qu’en Suède à partir de 2009 (dépôt de plaintes auprès de diverses autorités bélarussiennes et diffusion de propagande hostile au régime sur Internet, par exemple) ont attiré sur eux l’attention des autorités bélarussiennes, qui les ont menacés directement ou indirectement, la police de Minsk leur ayant téléphoné en Suède et les autorités de police ayant, selon leurs dires, cherché à savoir où ils se trouvaient et à obtenir leurs coordonnées lorsqu’elles auraient interrogé la mère et le beau-père du premier requérant au moment où ils auraient été arrêtés en décembre 2010. Le Comité relève encore que, d’après l’État partie, ni la mère, ni le beau-père ni les requérants eux-mêmes ne figurent sur la liste des personnes qui ont été arrêtées, soupçonnées ou inculpées en lien avec les événements du 19 décembre 2010. À ce propos, comme les autorités suédoises de l’immigration l’ont noté dans le cadre de la procédure interne, les requérants ne sont membres d’aucun parti politique et ils n’ont pas démontré que les autorités bélarussiennes s’intéressaient aux activités politiques qu’ils disent mener.

8.11Le Comité prend note également des allégations des requérants, qui affirment qu’ils ont été convoqués pour interrogatoire par la police de Minsk, que le premier requérant a été accusé d’évasion fiscale dans le cadre de ses anciennes activités d’entrepreneur, que la deuxième requérante est actuellement accusée d’une infraction grave à la législation sur les armes au Bélarus et que les accusations portées contre elle sont motivées par des considérations politiques. Toutefois, le Comité observe que la convocation ne prouve pas que les requérants sont accusés d’infractions quelconques en lien avec la manifestation de décembre 2010. Le Comité estime qu’ils n’ont pas pu établir que ces convocations avaient une motivation politique.

8.12Enfin, le Comité note que, d’après l’État partie, le contenu de l’ensemble des documents présentés ne démontre pas de manière plausible que les requérants risquent d’être soumis à la torture à leur retour au Bélarus.

8.13Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations et indique que c’est au requérant qu’il incombe généralement de présenter des arguments défendables. Compte tenu de ce qui précède et sur la base de toutes les informations soumises par les requérants et par l’État partie, notamment au sujet de la situation générale des droits de l’homme au Bélarus, le Comité estime que les requérants n’ont pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de conclure que leur expulsion vers leur pays d’origine les exposerait à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

9.En conséquence, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi des requérants au Bélarus ne constituerait pas, de la part de l’État partie, une violation de l’article 3 de la Convention.