Nations Unies

CCPR/C/TJK/CO/3

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

22 août 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le troisième rapport périodique du Tadjikistan *

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le troisième rapport périodique du Tadjikistan (CCPR/C/TJK/3) à ses 3611e et 3612e séances (voir CCPR/C/SR.3611 et 3612), les 2 et 3 juillet 2019. À sa 3635e séance, le 18 juillet 2019, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la soumission, dans les délais fixés, du troisième rapport périodique du Tadjikistan et les renseignements qu’il contient. Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte de renouer son dialogue constructif avec la délégation de l’État partie au sujet des mesures prises pendant la période couverte par le rapport pour mettre en œuvre les dispositions du Pacte. Le Comité remercie l’État partie des réponses écrites (CCPR/C/TJK/Q/3/Add.1) qu’il a apportées à la liste de points à traiter (CCPR/C/TJK/Q/3) et qui ont été complétées oralement par la délégation.

B.Aspects positifs

3.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption par l’État partie des mesures législatives et gouvernementales ci-après :

a)Les modifications apportées le 27 novembre 2014 à l’article 479 du Code de procédure pénale, par lesquelles l’extradition d’une personne sera refusée si des renseignements disponibles indiquent qu’elle risque d’être soumise à la torture dans l’État requérant ;

b)Le Plan-cadre pour l’aide juridictionnelle, approuvé le 2 juillet 2015, et la mise en œuvre, actuellement, de projets pilotes et de différents mécanismes permettant d’offrir une aide juridictionnelle gratuite de première ligne et de deuxième ligne aux catégories modestes et vulnérables de la population ;

c)La loi constitutionnelle sur la nationalité, adoptée le 8 août 2015 ;

d)Les modifications apportées le 30 mars 2016 au Code de procédure pénale et à la loi sur les procédures et conditions de garde à vue des suspects, des accusés et des prévenus.

4.Le Comité relève en outre avec satisfaction que l’État partie a ratifié le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le 22 juillet 2014.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Place du Pacte dans l’ordre juridique interne

5.Le Comité prend note de l’applicabilité directe du Pacte dans l’ordre juridique interne et des directives de la Cour suprême, en date du 18 novembre 2013, concernant l’application par les tribunaux des instruments internationaux ratifiés par le Tadjikistan, mais regrette que l’État partie n’ait pu fournir d’exemples précis de l’application du Pacte par les juridictions internes comme le Comité le lui avait demandé dans ses observations finales précédentes (CCPR/C/TJK/CO/2, par. 4) (art. 2).

6. L ’ État partie devrait prendre les mesures voulues pour sensibiliser les juges, les procureurs et les avocats au Pacte et à son applicabilité en droit interne, notamment en leur dispensant une formation appropriée consacrée spécialement au Pacte, et en faisant une place au Pacte et aux travaux du Comité dans l’enseignement du droit .

Mise en œuvre du Pacte et du Protocole facultatif s’y rapportant

7.Le Comité demeure préoccupé (voir CCPR/C/TJK/CO/2, par. 4) par le fait que l’État partie n’a toujours pas donné suite aux constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif, et par l’absence de mécanismes et de procédures efficaces permettant aux auteurs de communications de demander, en droit et en pratique, la pleine mise en œuvre de ces constatations (art. 2).

8. Le Comité rappelle son observation générale n o  33 (2008) sur les obligations incombant aux États parties en vertu du Protocole facultatif. L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures voulues , y compris des mesures législatives, afin que d es mécanismes et les procédures appropriées so ie nt mises en place pour donner pleinement effet aux constatations adoptées par le Comité, de sorte que le droit des victimes à un recours utile en cas de violation du Pacte soit garanti conformément au paragraphe 3 de l ’ article 2 du Pacte. L ’ État partie devrait donner pleinement suite, dans les meilleurs délais, à toutes les constatations que le Comité a adoptées à ce sujet et qui n’ont pas encore été appliquées .

Institution nationale des droits de l’homme

9.Le Comité prend note de l’élargissement du mandat et des fonctions de surveillance du Commissaire aux droits de l’homme (Médiateur) en 2014 et 2016, mais demeure préoccupé (voir CCPR/C/TJK/CO/2, par. 5) par le fait que le Bureau du Médiateur n’est pas pleinement conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme (Principes de Paris) (art. 2).

10. L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour rendre l ’ institution du Commissaire aux droits de l ’ homme pleinement conforme aux Principes de Paris, notamment en renforçant son indépendance et en la dotant de ressources financi è r e s et humain e s lui permett ant de s ’ acquitter efficacement et en toute indépendance de son mandat élargi.

Corruption

11.Le Comité prend note des mesures prises pour lutter contre la corruption, notamment de l’adoption de la procédure d’analyse des risques de corruption dans les organisations (décision gouvernementale no 465 du 28 octobre 2016), du durcissement des sanctions pour corruption en 2018, et du Plan d’action pour la mise en œuvre des recommandations formulées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans le cadre du Plan d’action anticorruption d’Istanbul 2018-2019, mais il est préoccupé par les informations selon lesquelles la corruption, notamment l’extorsion de pots-de-vin de la part de fonctionnaires, est répandue. Le Comité juge préoccupant que toute la portée de la définition de la corruption selon les normes internationales n’ait pas encore été prise en compte dans la législation pénale nationale, s’agissant notamment de l’inclusion en tant qu’infractions distinctes de la proposition, de l’exigence et de l’acceptation de la promesse ou de l’offre d’avantages illicites, de pots-de-vin ou d’avantages non matériels, et de la criminalisation de l’enrichissement illicite et du trafic d’influence ; il constate à cet égard que le groupe de travail mis sur pied en 2016 pour réviser le Code pénal devrait aussi se pencher sur les infractions liées à la corruption. Le Comité est également préoccupé par le fait que le principal organe spécialisé chargé de déceler les infractions de corruption et d’enquêter à leur sujet, à savoir l’Agence de l’État pour le contrôle financier et la lutte contre la corruption, n’est pas suffisamment indépendant du pouvoir exécutif (art. 2 et 25).

12. L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter eff icac ement contre la corruption, et notamment réviser le Code pénal de façon à donner effet aux recommandations de l ’ OCDE concernant la définition et la criminalisation de toutes les éléments constitutifs de la corruption, dispenser au personnel des organes chargés de l ’ application des lois, aux procureurs et aux juges la formation voulue sur la détection des pratiques de corruption, l ’ enquête sur ces pratiques et les poursuites à engager contre le ur s auteurs, et renforcer l ’ indépendance fonctionnelle et structurelle et la spécialisation des organes chargés de l ’ application des lois et des procureurs charg és d es affaires de corruption , de sorte que des enquêtes puissent être menées sur les cas de corruption complexe et de haut niveau.

Cadre de lutte contre la discrimination

13.Le Comité prend note de ce que l’article 17 de la Constitution et d’autres textes législatifs garantissent l’égalité devant la loi et les droits de chacun sans discrimination fondée sur différents motifs, mais il est préoccupé par le fait que le cadre juridique en vigueur ne prévoit pas de protection globale contre la discrimination couvrant tous les motifs interdits par le Pacte, et regrette l’absence d’informations sur, entre autres, l’interdiction de la discrimination dans le domaine privé et sur les recours utiles permettant de porter plainte contre toute forme de discrimination. Le Comité prend note de la constitution, en 2018, d’un groupe de travail chargé d’élaborer un projet de loi sur l’interdiction de la discrimination, et regrette de n’avoir pas reçu de plus amples renseignements sur le texte du projet de loi et le calendrier de son adoption (art. 2 et 26).

14. L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires, y compris adopter une loi globale interdisant la discrimination, pour garantir que le cadre juridique en place offre une protection suffisante et effective, tant en droit positif qu’en matière procédurale, contre toutes les formes de discrimination directe, indirecte et multiple, y compris dans la sphère privée, pour tous les motifs interdits par le Pacte, à savoir notamment la couleur, les opinions , la naissance, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et toute autre situation, et garantir aux victimes de discrimination l’accès à des voies de recours utiles et appropriées .

Discrimination et violence fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre

15.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état d’une discrimination profondément enracinée à l’égard des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, notamment de discours intolérants tenus par des fonctionnaires à l’égard des homosexuels et des transgenres, de violence et de harcèlement, y compris d’arrestations arbitraires, de placements en détention et d’extorsions par des responsables de l’application des lois. Bien qu’elles aient été démenties par l’État partie, le Comité s’inquiète des informations selon lesquelles des personnes soupçonnées d’être lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres ont été identifiées à la suite d’opérations intitulées « Moralité » et « Purge », et inscrites dans un registre, ce qui a contribué à aggraver la stigmatisation sociale de ces personnes. Le Comité est également préoccupé par la déclaration faite en janvier 2019 par le Commissaire aux droits de l’homme, selon laquelle les recommandations internationales concernant la protection des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres ne devraient pas être suivies parce qu’elles sont contraires aux normes morales et éthiques applicables aux relations entre personnes dans le pays (art. 2, 7, 9, 17 et 26).

16. L’État partie devrait : a)  assurer une protection effective contre toutes les formes de discrimination et de violence fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, tant en droit que dans la pratique, et veiller à ce qu’aucune discrimination ou violence de ce type ne soit tolérée et à ce que de tels comportements soient dûment combattus et éliminés ; b) lutter contre les discours homophobes et transphobes, notamment en assurant la formation appropriée des agents de la force publique et autres fonctionnaires sur la lutte contre les comportements discriminatoires à l’égard des personnes lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres , et en menant des actions de sensibilisation de même ordre à l’intention du grand public ; c) enquêter sur les pratiques répressives de façon à garantir que les personnes lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres ne soient pas enregistrées et mettre fin à toute pratique analogue portant indûment atteinte à leurs droits, notamment les droits à la vie privée, à la liberté et à la sécurité.

Égalité entre hommes et femmes

17.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises pour promouvoir l’égalité des sexes, notamment la Stratégie nationale de promotion du rôle des femmes 2011-2020 et le Plan d’action 2015-2020, mais il est préoccupé par : a) le fait que les femmes demeurent sous-représentées dans la vie politique et la vie publique, y compris au Parlement, dans les organes exécutifs, y compris les organes exécutifs locaux et les organes des collectivités locales, et au sein de l’appareil judiciaire ; b) le fait que, malgré l’interdiction qui en est faite dans la loi, la polygamie semble persister dans la pratique, en raison notamment du grand nombre de mariages religieux (dits « nikoh  ») (art. 2, 3, 25 et 26).

18. L ’ État partie devrait renforcer les mesures visant à assurer l ’ égalité des sexes, et notamment : a) redoubler d ’ efforts en vue de parvenir dans des délais donnés à une représentation équitable des femmes dans la vie politique et la vie publique, y compris au Parlement, dans les organes exécutifs aux échelons national et local et au sein de l ’ appareil judiciaire, en particulier aux postes de prise de décisions, en recourant au besoin à des mesures temporaires spéciales, pour donner effet aux dispositions du Pacte ; b) faire appliquer véritablement les dispositions législatives proscrivant la polygamie et mener au plan local des campagnes de sensibilisation ciblées.

Violence à l’égard des femmes, notamment la violence intrafamiliale

19.Le Comité accueille avec satisfaction les diverses mesures prises pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, y compris la violence dans la famille, telles que le Programme national de prévention de la violence intrafamiliale pour la période 2014-2023, mais demeure préoccupé (voir CCPR/C/TJK/CO/2, par. 7) par le fait que la violence dans la famille est encore répandue et que, d’après les résultats de l’enquête médico‑démographique réalisée en 2017 par l’État partie, le nombre de signalements de cette forme de violence est très faible, 80 % de femmes étant confrontées à la violence intrafamiliale et seulement 6 % des victimes s’adressant aux organes chargés de l’application des lois ou demandant l’assistance d’un avocat. Le Comité est également préoccupé par le nombre restreint de poursuites pénales engagées par rapport au nombre de cas de violence intrafamiliale signalés (art. 2, 3, 7 et 26).

20. L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour prévenir et réprimer efficacement toute forme de violence à l ’ égard des femmes , et notamment :

a) Renforcer les mesures de prévention, y compris en mettant sur pied et en conduisant des campagnes de sensibilisation et d ’ éducation au caractère inacceptable de la violence dirigée contre les femmes et aux effets néfastes de cette violence, et en informant systématiquement les femmes de leurs droits et des voies de recours dont elles disposent pour obtenir protection, assistance et réparation ;

b) Mettre en place un mécanisme efficace afin d ’ encourager le signalement des cas de violence à l ’ égard des femmes ;

c) Faire en sorte que les membres des forces de l ’ ordre, le personnel judiciaire, les procureurs et les autres parties prenantes reçoivent la formation voulue sur les moyens de détecter les actes de violence à l ’ égard des femmes et sur la façon de prendre en charge ces affaires et d ’ enquêter sur ces actes en tenant compte des questions de genre ;

d) Faire en sorte que tous les cas de violence à l ’ égard des femmes donnent lieu sans délai à des enquêtes approfondies, que les auteurs soient traduits en justice et que les victimes aient accès à des voies de recours et à des moyens de protection, notamment des foyers ou centres d ’ aide d ’ urgence sûrs, dotés de ressources financières suffisantes et en nombre adéquat, et à des services d ’ a ssistance adaptés, sur l ’ ensemble du territoire.

État d’urgence

21.Le Comité est préoccupé par le fait que la législation en vigueur relative à l’état d’urgence, dont la loi sur l’état d’urgence, ne semble pas satisfaire aux prescriptions de procédure et de fond de l’article 4 du Pacte, et par le fait que l’État partie aurait utilisé des pouvoirs d’exception, notamment en prenant des mesures antiterroristes sur la base de la loi sur les communications électroniques et de la loi sur la lutte contre le terrorisme, par exemple en bloquant l’accès à Internet et aux services de communication mobile, cela sans décision de justice ni proclamation par un acte officiel d’un état d’exception (art. 4).

22. L ’ État partie devrait mettre ses règlements et pratiques régissant l ’ état d ’ urgence en pleine conformité avec les dispositions de l ’ article 4 du Pacte, suivant l ’ interprétation qui en est donnée par le Comité dans son observation générale n o  29 (2001) concernant les dérogations aux dispositions du Pacte pendant un état d ’ urgence, en veillant en particulier à ce que toute dérogation aux droits consacrés par le Pacte ne soit prise que dans la stricte mesure où la situation l ’ exige, et à ce qu ’ il ne soit pas permis de déroger aux dispositions du Pacte qui ne sont pas susceptibles de dérogation.

Lutte contre le terrorisme et l’extrémisme

23.Le Comité est préoccupé par : a) l’étendue et l’imprécision des définitions qui sont données du terrorisme (loi sur la lutte contre le terrorisme, 1999) et de l’extrémisme (loi sur la lutte contre l’extrémisme, 2003) et la justification publique des activités terroristes et extrémistes (modifications apportées au Code pénal le 14 novembre 2016) qui, dans la pratique, risquent de déboucher sur l’arbitraire et l’injustice ; b) le détournement qui serait fait de ces dispositions législatives à des fins de limitation de la liberté d’expression des dissidents politiques et des groupes religieux et de répression de l’exercice par eux de cette liberté ; c) les pouvoirs étendus conférés aux services de sécurité pour bloquer l’accès à Internet et aux modes de communication mobiles en situation d’état d’urgence, y compris dans le cadre d’opérations antiterroristes, en l’absence de décision judiciaire (en application de la loi sur la lutte contre le terrorisme telle que modifiée en 2015 et de l’article 33 de la loi sur les télécommunications). Le Comité prend note du fait que des modifications du Code pénal et des versions révisées de la loi sur la lutte contre le terrorisme et de la loi sur la lutte contre l’extrémisme ont été établies (art. 2, 4, 14, 18 et 19).

24.L ’ État partie devrait mettre s a législation et sa pratique en vigueur en matière de lutte contre le terrorisme et de lutte contre l ’ extrémisme en pleine conformité avec le Pacte, notamment avec les prescriptions de l ’ article 4. L ’ État partie devrait, entre autres, donner une définition plus précise et moins large du terrorisme, de la justification publique du terrorisme et des activités extrémistes, ainsi que de l ’ extrémisme (y compris en ajoutant les critères de violence ou d ’ incitation à la haine) et veiller à ce que ces notions so ie nt conformes aux principes de sécurité et de prévisibilité juridiques et aux normes internationales pertinentes, et à ce que toutes les restrictions imposées à l ’ exercice des droits de l ’ homme dans l ’ intérêt de la sécurité nationale visent des objectifs légitimes, so ie nt nécessaires et proportionnées à ces objectifs légitimes et so ie nt soumises à des garanties suffisantes. L ’ État partie devrait aussi faire en sorte que toute nouvelle réglementation en matière de lutte contre le terrorisme et de lutte contre l ’ extrémisme respecte pleinement les principes susmentionnés.

Établissement des responsabilités pour les violations des droits de l’homme en lien avec l’opération de sécurité menée dans la ville de Khorog

25.Le Comité regrette que l’État partie n’ait communiqué aucune information sur l’issue des enquêtes (voir CCPR/C/TJK/CO/2, par. 10) concernant les civils tués ou blessés au cours de l’opération de sécurité menée en juillet 2012 dans la ville de Khorog, ni sur les indemnisations accordées aux victimes ou à leur famille (art. 2, 6 et 7).

26. Le Comité réitère sa recommandation précédente (CCPR/C/TJK/CO/2, par. 10). L ’ État partie devrait prendre promptement des dispositions afin que les responsables de s décès ou d ’ atteinte s à l ’ intégrité physique de civils survenus au cours de l ’ opération de sécurité menée à Khorog so ie nt identifiés, poursui vi s et condamnés, et que pleine réparation, notamment sous la forme d’ une indemnisation appropriée , soit accordée aux victimes et aux membres de leur famille.

Peine de mort

27.Le Comité se félicite du maintien du moratoire sur les exécutions en place depuis 2004 et prend note du fait que les composantes sociales et juridiques de l’abolition de la peine de mort sont étudiées depuis 2010 par un groupe de travail spécialisé, mais regrette qu’aucun progrès n’ait été marqué sur la voie de l’abolition de jure de la peine de mort et de l’adhésion au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, ou de la ratification de cet instrument (art. 6).

28. L ’ État partie devrait maintenir le moratoire sur les exécutions et veiller à son respect, et il devrait prendre des mesures concrètes, assorties de délais précis, en vue d ’ aboli r la peine de mort et d ’ adhé rer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, ou de le ratifi er .

Décès en détention

29.Le Comité demeure préoccupé (voir CCPR/C/TJK/CO/2, par. 9) par les allégations de décès en détention consécutifs à des actes de torture et des mauvais traitements, et par la forte incidence de la tuberculose et du VIH/sida au sein de la population carcérale, et regrette l’absence d’informations précises quant au nombre de décès en détention survenus non seulement dans les établissements pénitentiaires, mais aussi dans tous les autres lieux de privation de liberté, et quant aux causes exactes de ces décès. Le Comité est préoccupé par l’absence d’enquêtes et de poursuites effectives ouvertes sur ces décès, en particulier ceux de Kurbon Mannonov, de Nozimdshon Tashirpov et d’Ismonboy Boboev. Le Comité est préoccupé également par l’absence d’informations sur la question de savoir si des enquêtes efficaces et impartiales ont été immédiatement ouvertes par un organe indépendant sur les 21 décès de détenus et au moins 29 autres décès survenus au cours des émeutes qui ont éclaté respectivement en novembre 2018 et en mai 2019 dans les prisons de Khodjend et de Vakhdat (art. 2, 6, 7 et 10).

30. L ’ État partie devrait s ’ acquitter de l’ obligation qui lui incombe de respecter et protéger le droit à la vie des personnes en détention, notamment en prenant des mesures efficaces pour remédier aux causes profondes des décès en détention, en apportant d es soins médicaux appropriés aux détenus qui en ont besoin et en faisant en sorte que d es enquêtes impartiales et efficaces soient menées sans délai par un organe indépendan t sur les circonstances qui ont entouré les décès en détention, en tenant les proches des victimes dûment informés à toutes les étapes de l ’ enquête, en traduisant les responsables présumés en justice, le cas échéant, et en assurant une réparation aux proches des victimes. En ce qui concerne en particulier les pertes en vies humaines survenues lors des émeutes dans les prisons de Khodjend et de Vakhdat, l ’ État partie devrait mener une enquête conforme aux normes sus mentionnées sur tous les cas de décès, poursuivre les agents soupçonnés d’avoir fait un usage excessif ou disproportionné de la force au cours de ce s émeutes, accorder réparation aux proches des victimes et remettre la dépouille des victimes à leurs proches, pour qu ’ ils puissent procéder aux obsèques.

Torture et mauvais traitements

31.Le Comité prend note des mesures adoptées pour combattre la torture, notamment des réformes législatives telles que les modifications du Code de procédure pénale adoptées en 2016 et l’alourdissement de la peine réprimant la torture, mais il demeure préoccupé par : a) les informations qui continuent d’être reçues selon lesquelles des actes de torture ou des mauvais traitements seraient infligés, en particulier pour obtenir des aveux, à des personnes privées de liberté, y compris à des défenseurs des droits de l’homme et des opposants politiques, comme cela a été le cas pour Mahmadali Hayit et Rahmatullo Rajab, deux membres d’un parti interdit, le Mouvement de la Renaissance islamique, et de Zayd Saidov ; b) le fait que des déclarations obtenues par la torture ne sont pas écartées par les tribunaux nationaux alors que ces éléments de preuve sont irrecevables au regard de la loi ; et c) l’absence de mécanisme indépendant habilité à enquêter sur toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements et le faible nombre d’enquêtes et de poursuites (art. 2 et 7).

32. L ’ État partie devrait prendre des mesures énergiques pour éliminer la torture et les ma uvais traitements, et notamment  :

a) Dispenser à tous les membres des forces de l ’ ordre et des forces de sécurité une formation appropriée à la prévention de la torture et au traitement humain à réserver aux détenus ;

b) Faire en sorte que, dans la pratique, le principe de l ’ irrecevabilité des aveux obtenus par la torture soit effectiv ement respecté par les membres des forces de l ’ ordre, les procureurs et les juges ;

c) Veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent immédiatement l ’ objet d ’ une enquête approfondie menée par un organe indépendant et impartial, à ce que les auteurs de ces actes soient poursuivis et, s ’ ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité de l ’ infraction commise, et à ce que les victimes et, le cas échéant , les membres de leur famille, obtiennent pleinement réparation, y compris les moyens nécessaires à leur réadaptation ainsi qu’ une indemnisation appropriée.

Traitement des détenus

33.Le Comité prend note des mesures prises pour améliorer les conditions de détention, mais il est préoccupé par : a) la surpopulation carcérale, les mauvaises conditions matérielles de détention, le nombre élevé de cas de tuberculose et d’infection par le VIH/sida parmi les détenus et l’absence de soins médicaux adéquats ; b) les informations indiquant que, dans des centres de détention situés à Douchanbé et à Khodjend, trois cellules disciplinaires secrètes seraient utilisées pour infliger des violences physiques et des traitements dégradants ou humiliants aux détenus qui ont commis des infractions au règlement de la prison ; c) les conditions pénibles de détention des personnes condamnées à la réclusion à perpétuité, qui sont soumises à un régime pénitentiaire spécial (voir CAT/C/TJK/CO/3) ; et d) les obstacles et les restrictions qui empêcheraient le Groupe de surveillance du Médiateur d’accéder à tous les lieux de privation de liberté, et l’insuffisance des efforts déployés pour faciliter l’accès du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à ces lieux (art. 7 et 10).

34. L’État partie devrait :

a) Prendre des mesures efficaces pour remédier à la surpopulation carcérale, notamment en recourant davantage aux mesures de substitution à la détention ;

b) Redoubler d’efforts pour améliorer les conditions matérielles de détention et l’accès en temps utile à des soins médicaux adéquats compte tenu du Pacte et de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), et mettre en conformité le régime spécial applicable aux détenus exécutant une peine de réclusion à perpétuité avec les normes énoncées dans ces instruments ;

c) Abolir l ’ utilisation de locaux secrets de punition, en particulier les trois cellules disciplinaires secrètes situées dans des centres de détention à Douchanbé et à Khodjend, et veiller à ce que tous les détenus soient traités avec humanité en toutes circonstances ;

d) Veiller à ce que le Groupe de surveillance ait librement accès à tous les lieux de privation de liberté et soit autorisé à s’ entret enir en tête-à-tête avec tous les détenus, et à ce que le CICR soit également autorisé à le faire.

Liberté de circulation

35.Le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles des interdictions arbitraires de voyager seraient imposées à titre de représailles à des membres de la famille d’opposants établis à l’étranger, y compris à de jeunes enfants, pour punir les intéressés d’avoir critiqué des hauts responsables et des politiques du Gouvernement (art. 12 et 19).

36. L’État partie devrait veiller à ce que toute restriction limitant les déplacements à l’étranger soit justifiée au regard du paragraphe 3 de l’article 12 du Pacte , mettre fin aux interdictions arbitraires de voyager imposées aux membres de la famille d’opposants établis à l’étranger et garantir que la liberté de quitter le pays dont jouissent ces personnes soit pleinement respectée.

Indépendance du système judiciaire et droit à un procès équitable

37.Le Comité prend note des mesures prises pour réformer le système judiciaire, notamment des modifications constitutionnelles adoptées le 22 mai 2016, mais il demeure préoccupé (voir CCPR/C/TJK/CO/2, par. 18) par le fait que le pouvoir judiciaire continue de ne pas être pleinement indépendant en raison notamment du rôle et de l’influence des pouvoirs exécutif et législatif ; par les critères de sélection, de nomination, de mutation et de révocation des magistrats ; et par le fait que l’inamovibilité des juges n’est pas garantie. Le Comité est également préoccupé par l’indépendance insuffisante des procureurs, qui est principalement due à la procédure de nomination et de révocation de ces magistrats, et par les pouvoirs étendus qui leur sont dévolus. Le Comité est préoccupé par les allégations de procès inéquitable, notamment de violation du principe de l’égalité des moyens de la défense et de l’accusation ; le poids accordé à l’accusation, le non-respect de la présomption d’innocence et le taux d’acquittement extrêmement faible (environ 0,1 % en 2018) ; les procès inéquitables, à huis clos, des dirigeants du Mouvement de la Renaissance islamique ; et les procès à huis clos de personnes inculpées de faits qui n’ont aucun lien avec la sécurité nationale (art. 2 et 14).

38. L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir, en droit et dans la pratique, la pleine indépendance des juges et des procureurs, et notamment :

a) Veiller à ce que les procédures de sélection, de nomination, de mutation, de suspension et de révocation des juges et des procureurs et les mesures disciplinaires prononcées contre eux soient conformes au Pacte et aux normes internationales pertinentes ;

b) Garantir l’inamovibilité des juges, notamment en étudiant la possibilité de renouveler automatiquement le contrat d’un juge pour les dix années à venir lorsque l’intéressé s’est acquitté consciencieusement de ses tâches ;

c) Réduire les pouvoirs du Bureau du procureur, qui sont excessifs ;

d) Veiller à ce que les accusés bénéficient concrètement de toutes les garanties d’un procès équitable indépendamment de leurs tendances ou opinions politiques, y compris de l’égalité des moyens et de la présomption d’innocence ;

e) Veiller à ce que toute restriction du droit de voir sa cause entendue publiquement soit interprétée étroitement et à ce qu’elle soit nécessaire, proportionnée et justifiée au regard du Pacte.

Accès au barreau et harcèlement d’avocats

39.Le Comité est préoccupé par l’insuffisance du nombre d’avocats (la proportion étant de 1 pour 13 000 habitants), qui serait due à une réduction drastique du nombre d’avocats, elle-même provoquée par l’application de modifications apportées en novembre 2015 à la loi sur le barreau et la profession d’avocat, qui ont instauré des conditions supplémentaires d’admission au barreau et imposé à tous les avocats l’obligation de passer les nouveaux examens du barreau. Le Comité est également préoccupé par les informations indiquant que les avocats qui s’occupent d’affaires politiquement sensibles sont victimes de harcèlement et de tentatives d’intimidation, que même des membres de leur famille sont harcelés, et qu’ils font l’objet de poursuites judiciaires à la suite desquelles ils sont souvent condamnés à de longues peines d’emprisonnement, ce qui a été le cas pour les juristes spécialisés dans les droits de l’homme Buzurgmekhr Yorov, Nuriddin Makhkamov, Shukhrat Kudratov, Jamshed Yorov et Muazzamakhon Kadirova (art. 2, 9 et 14).

40. Compte tenu du Pacte et des Principes de base relatifs au rôle du barreau de 1990, l’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour :

a) Accroître le nombre d’avocats en exercice afin de garantir l’accès effectif à la justice et aux services d’un défenseur indépendant ;

b) Veiller à ce que des garanties suffisantes soient en place, en droit et dans la pratique, afin que les avocats puissent travailler en toute indépendance et en toute sécurité et exercer leurs activités légitimes sans subir de harcèlement ou d’ingérences indues et sans avoir à craindre d’être poursuivis au pénal et de faire l’objet de condamnations arbitraires ou d’autres mesures de représailles.

Surveillance et interception de communications privées

41.Le Comité constate avec préoccupation que les modifications de la loi sur les activités opérationnelles et les activités de recherche adoptées en juillet 2017 et le décret présidentiel no 765 de novembre 2016 portant création d’un centre unique de commutation des communications ne prévoient pas de garanties suffisantes contre les immixtions arbitraires dans la vie privée des personnes, notamment en raison des larges pouvoirs dévolus aux services de sécurité et de police, qui sont habilités à surveiller l’ensemble du trafic Internet et l’accès aux informations de tous les utilisateurs, ainsi qu’à intercepter les communications et à extraire des données sans mandat judiciaire. Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que des individus sont placés sous surveillance, condamnés à des amendes, sanctionnés, voire détenus ou emprisonnés pour avoir consulté des « sites Web indésirables » ou publié des « commentaires inappropriés » en ligne − lesquels ne sont pas définis dans les textes susmentionnés (art. 17 et 19).

42.L’État partie devrait faire en sorte que : a) toutes les activités de surveillance et toutes les formes d’immixtion dans la vie privée, dont la surveillance en ligne, l’interception de communications et de données sur les communications (métadonnées) et l ’ extraction de données, soient encadrées par une législation appropriée pleinement conforme au Pacte, en particulier aux dispositions des articles 17 et 19, ainsi qu’aux principes de légalité, de proportionnalité et de nécessité, en veillant à ce que, dans la pratique, les organes publics respectent cette législation ; b) les activités de surveillance et d’interception ne puissent être menées que sur autorisation judiciaire et sous réserve de l’existence de mécanismes de contrôle efficaces et indépendants ; et c) les particuliers concernés aient un accès effectif à des recours utiles en cas d’atteinte à leurs droits.

Liberté de conscience et de religion

43.Le Comité demeure préoccupé (voir CCPR/C/TJK/CO/2, par. 20) par le fait que l’ingérence de l’État dans les affaires religieuses et en matière d’exercice de la liberté de culte et de religion et les restrictions qui en découlent, dont celles énoncées ci-après, sont contraires au Pacte : a) l’ingérence dans la procédure de nomination des imams et la teneur de leurs sermons ; b) le contrôle des livres et d’autres ouvrages religieux ; c) l’obligation imposée aux personnes qui souhaitent suivre des études religieuses à l’étranger d’obtenir une autorisation des organes de l’État ; d) l’interdiction faite aux personnes de moins de 18 ans d’entrer dans une mosquée ; e) la réglementation relative à l’enregistrement des organisations religieuses ; f) la réglementation relative au port de vêtements pendant les fêtes traditionnelles ou religieuses (modifications apportées en 2017 à la loi relative aux traditions, aux célébrations et aux rites et directives publiées en septembre 2017 par la Commission aux affaires religieuses) et l’interdiction du port de certains vêtements dans la vie quotidienne, dont le hijab ; et g) les restrictions imposées aux minorités religieuses chrétiennes, dont les Témoins de Jéhovah (art. 18).

44. L’État partie devrait garantir, en droit et dans la pratique, l’exercice effectif de la liberté de religion et de conviction et la liberté de pratiquer une religion ou une conviction. Il devrait revoir toutes les lois et pratiques pertinentes en vue d’éliminer toutes les restrictions qui vont au-delà de celles autorisées par l’article 18 du Pacte, qui sont à interpréter de manière restrictive.

Objection de conscience au service militaire

45.Le Comité relève qu’un groupe de travail chargé d’élaborer un nouveau projet de loi sur le service de remplacement a été créé, mais il demeure préoccupé (voir CCPR/C/TJK/CO/2, par. 21) par le fait que la législation actuelle ne reconnaît toujours pas le droit à l’objection de conscience au service militaire obligatoire (art. 18).

46. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour se doter de la législation nécessaire afin que le droit à l’objection de conscience au service militaire soit reconnu sans discrimination fondée sur la nature des convictions (religieuses ou non religieuses, motivées par des questions de conscience) et que, par sa nature ou sa durée, le service de remplacement n’ait pas un caractère punitif ou discriminatoire par comparaison avec le service militaire.

Liberté d’expression

47.Le Comité demeure préoccupé (voir CCPR/C/TJK/CO/2, par. 22) par les restrictions limitant la liberté d’expression en droit et dans la pratique, qui ne semblent pas conformes au Pacte, en particulier :

a)L’incrimination de l’outrage et des propos diffamatoires visant le Président ou le dirigeant de la nation (art. 137 du Code pénal) et de l’outrage à d’autres représentants de l’État (art. 330 du Code pénal) ;

b)Le contrôle exercé par l’État sur les médias, qui amène les organes de presse et les journalistes à s’autocensurer ;

c)L’enregistrement obligatoire de tous les nouveaux périodiques et de toutes les nouvelles imprimeries auprès du Comité d’État à la sécurité nationale, prévu par la réglementation adoptée en février 2017 ;

d)Le blocage régulier de chaînes d’information telles que la BBC et CNN ainsi que de plateformes de médias sociaux et de portails de recherche, dont Facebook et YouTube ;

e)L’obligation d’obtenir l’autorisation écrite des autorités pour faire entrer un livre dans le pays ou l’en faire sortir ;

f)Les obstacles entravant l’exercice effectif, dans la pratique, du droit d’accéder à l’information détenue par les organismes publics ;

g)Le manque d’indépendance de la Commission nationale de l’audiovisuel et de la radiodiffusion, qui délivre les autorisations de diffusion ;

h)Le harcèlement dont sont victimes les journalistes et les professionnels des médias indépendants qui ont une attitude critique à l’égard des politiques publiques et d’autres questions d’intérêt public, notamment les manœuvres d’intimidation, les plaintes pour diffamation et les sanctions disproportionnées dont ces personnes font l’objet, et les poursuites engagées contre elles sur la base de fausses accusations, notamment pour fraude, extorsion et activités extrémistes (art. 9, 14 et 19).

48. L’État partie devrait revoir ses lois et ses pratiques afin de garantir le plein exercice par tout individu de la liberté d’expression et de réunion pacifique, compte tenu de l’observation générale n o  34 (2011) du Comité sur la liberté d’opinion et d’expression. En particulier, il devrait :

a) Étudier la possibilité de dépénaliser l’outrage et les propos diffamatoires visant le Président ou le dirigeant de la nation et l’outrage à d’autres représentants de l’État ;

b) Promouvoir le pluralisme dans les médias et faire en sorte que les médias et les journalistes puissent mener leurs activités sans que celles-ci fassent l’objet d’ingérences indues de l’État ;

c) Abroger ou modifier les lois et la réglementation prévoyant les restrictions susmentionnées de façon à rendre la législation concernée pleinement conforme aux obligations incombant à l’État partie au titre du Pacte ;

d) Abroger toutes les autres restrictions limitant indûment l’exercice de la liberté d’expression et veiller à ce que toute restriction réponde aux critères stricts définis au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte ;

e) Faire en sorte que le droit d’accéder à l’information détenue par des organismes publics puisse être véritablement exercé dans la pratique, notamment en supprimant tout obstacle d’ordre pratique ou administratif au traitement des demandes d’information et en veillant à ce qu’il y soit répondu dans les meilleurs délais ;

f) Prendre toutes les mesures voulues pour garantir l’indépendance de l’autorité de radiodiffusion et de délivrance des licences ;

g) Offrir aux journalistes et aux professionnels des médias indépendants une protection efficace contre toute forme d’intimidation et éviter d’invoquer les dispositions de la législation civile et de la législation pénale, dont les dispositions relatives à l’extrémisme, ainsi que d’autres dispositions, pour étouffer les critiques portant sur des questions d’intérêt public.

Liberté de réunion pacifique

49.Le Comité est préoccupé par les restrictions injustifiées limitant l’exercice de la liberté de réunion pacifique, notamment celles prévues par la loi de 2014 sur les réunions, les rassemblements, les manifestations et les processions, telles que l’obligation d’obtenir une autorisation quinze jours avant la tenue d’une réunion, l’interdiction d’organiser des réunions en dehors de certains lieux et de certaines heures de la journée, l’interdiction de manifester pendant la nuit, l’interdiction faite aux personnes condamnées pour certaines infractions administratives d’organiser des réunions et les restrictions limitant la participation des étrangers aux réunions (art. 21).

50. L’État partie devrait revoir sa législation , sa réglementation et sa pratique, en particulier la loi de 2014 sur les réunions, les rassemblements, les manifestations et les processions, afin de garantir le plein exercice du droit à la liberté de réunion, en droit et dans la pratique, et de faire en sorte que toute restriction à la liberté de réunion réponde aux conditions strictes énoncées à l’article 21 du Pacte.

Liberté d’association

51.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les organisations non gouvernementales (ONG) sont fréquemment soumises à des inspections, à la suite de quoi elles sont condamnées à des amendes, voire, pour certaines, contraintes de mettre la clé sous la porte. Le Comité est également préoccupé par le fait que l’obligation de communiquer des renseignements financiers instaurée par les modifications de la loi sur les associations adoptées le 2 janvier 2019, qui visent à prévenir le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme par les ONG, a eu un effet dissuasif sur les activités de ces organisations. Le Comité relève par ailleurs qu’en mai 2019, un groupe de travail a été chargé d’élaborer un projet de loi sur les organisations à but non lucratif, et regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur ce projet (art. 19 et 22).

52. L’État partie devrait veiller à ce que la législation, la réglementation et la pratique en vigueur relatives aux activités des associations et des ONG, y compris toute nouvelle législation, soient pleinement conformes aux dispositions des articles 19 et 22 du Pacte, et s’assurer en particulier que, dans la pratique, elles ne donnent pas lieu à des ingérences indues dans les activités des ONG ou à une surveillance injustifiée de celles-ci.

Participation aux affaires publiques

53.Le Comité relève avec préoccupation que l’interdiction des partis politiques fondés sur l’appartenance religieuse ou ethnique, qui a été instaurée par les modifications de la Constitution adoptées en 2016, pose des problèmes de compatibilité avec le Pacte. Il demeure préoccupé (voir CCPR/C/TJK/CO/2, par. 24) par le fait que des membres de l’opposition sont harcelés pour des motifs politiques, ce qui nuit à l’établissement d’un véritable pluralisme politique et, en particulier, par : a) le harcèlement dont ont été victimes des dirigeants du Parti de la Renaissance islamique et les longues peines d’emprisonnement auxquelles ceux-ci ont été condamnés à l’issue de procès inéquitables tenus à huis clos (voir par. 37 ci-dessus) et le fait que des membres de ce parti, déclaré « terroriste » en 2015, ont été emprisonnés au motif qu’ils auraient participé à une tentative violente de prise du pouvoir ; b) les persécutions ciblant des membres du « Groupe 24 », mouvement d’opposition déclaré « extrémiste », qui se sont manifestées notamment par des poursuites, des condamnations et la disparition forcée alléguée d’Ehson Odinaev, en 2015 ; et c) le fait que des membres de la famille d’activistes appartenant à un groupe d’opposition ou d’individus associés à ces groupes sont victimes de formes graves de harcèlement et sont souvent emprisonnés (art. 7, 9, 14, 19, 22 et 25).

54.Le Comité relève avec préoccupation que le cadre électoral en vigueur restreint indûment le droit de se présenter aux élections en raison des critères stricts d’éligibilité qu’il prévoit, qui portent notamment sur la langue, l’éducation et la résidence, et qu’il limite également indûment le droit de vote en privant de ce droit toute personne déclarée incapable par un tribunal et toute personne qui exécute une peine d’emprisonnement, quelle que soit la gravité de l’infraction commise. Le Comité est également préoccupé par le manque d’indépendance de la Commission centrale des élections et des référendums et par les irrégularités qui se seraient produites pendant les élections législatives de 2015, en particulier les possibilités limitées voire nulles qu’ont eues les dirigeants de l’opposition de passer à la télévision publique, le temps d’antenne très bref qui leur a été accordé pour exposer leurs idées politiques et le blocage des sites Web des partis d’opposition (art. 10 (par. 3), 19, 25 et 26).

55. L ’ État partie devrait mettre sa réglementation et ses pratiques électorales en pleine conformité avec les dispositions du Pacte, en particulier l ’ article 25, et notamment :

a) Donner pleinement effet au droit de tout citoyen de prendre réellement part à la conduite des affaires publiques et promouvoir un véritable pluralisme politique ;

b) Ne pas se servir de la législation pénale pour harceler les membres de l’opposition et les empêcher de participer activement à la vie publique et aux processus électoraux, et mener une enquête approfondie, crédible et impartiale sur les allégations de disparition forcée concernant Ehson Odinaev ;

c) Revoir les dispositions restreignant le droit de se présenter aux élections afin de les mettre en conformité avec le Pacte ;

d) Revoir la législation permettant de priver du droit de vote tous les détenus qui exécutent une peine d’emprisonnement, ce qui est contraire aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 10, lu conjointement avec l’article 25 du Pacte, et de priver également de ce droit toute personne déclarée incapable par un tribunal ;

e) Garantir la pleine indépendance de la Commission centrale des élections et des référendums ;

f) Faire bénéficier tous les partis de conditions égales dans le cadre d’une campagne électorale, en particulier de l’égalité d’accès à la télévision publique.

D.Diffusion et suivi

56. L’État partie devrait diffuse r largement le texte du Pacte, du premier Protocole facultatif s’y rapportant , de son trois ième rapport périodique , des réponses écrites à la liste de s points établie par le Comité et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays, ainsi qu’auprès du grand public afin de les sensibiliser aux droits consacrés par le Pacte. L’État partie devrait faire en sorte que le rapport , les réponses écrites et les présentes observations finales soient traduits dans ses langues officielles .

57. Conformément au paragraphe 1 de l’article 75 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à faire parvenir, avant le 2 6 juillet 2021, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes  42 (surveillance et interception de communications privées) , 48 (liberté d’ expression ) et 55 ( participation aux affair e s publiques) .

58. Le Comité demande à l’État partie de lui soumettre son prochain rapport périodique le 26 juillet 2025 au plus tard et d’y faire figurer des renseignements précis et à jour sur la suite qu’il aura donnée aux autres recommandations formulées dans les présentes observations finales et sur l’application du Pacte dans son ensemble. Il demande également à l’État partie, lorsqu’il élaborera ce rapport, de tenir de vastes consultations avec la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, ce document ne devra pas compter plus de 21 200 mots . Le Comité encourage tous les États à adopter la procédure simplifiée lorsqu’ils ont un rapport à lui soumettre. Si l’État partie compte soumettre son prochain rapport selon cette procédure, il est invité à le faire savoir au Comité dans un délai d’un an à compter de la date de réception des présentes observations finales. Les réponses de l’État partie à la liste de points établie par le Comité selon la procédure simplifiée constitueront son rapport périodique suivant à soumettre en application de l’article  40 du Pacte .