Nations Unies

CCPR/C/133/3/Add.3

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 décembre 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Rapport sur le suivi des observations finales du Comité des droits de l’homme *

Additif

Évaluation des renseignements sur la suite donnée aux observations finales concernant la Jordanie

Observations finales (121 e session):

CCPR/C/JOR/CO/5, 6 et 7 novembre 2017

Paragraphes faisant l ’ objet d ’ un suivi:

11, 19 et 25

Renseignements reçus de l ’ État partie:

CCPR/C/JOR/FCO/5, 23 décembre 2020

Informations émanant d’organisations non gouvernementales :

Al Hayat Centre for Civil Society Development,août 2021

Évaluation du Comité:

Des informations complémentaires sont nécessaires au sujet des paragraphes 11 [B][A], 19 [C][B] et 25 [C]

Paragraphe 11 : Violence à l’égard des femmes, y compris violence familiale

L ’ État partie devrait :

a) Renforcer le cadre juridique relatif à la protection des femmes contre la violence familiale, notamment en modifiant l’article 292 du Code pénal afin d’incriminer le viol conjugal et en retirant les crimes d’honneur des motifs justifiant l’application des circonstances atténuantes  ;

b) Revoir sa politique de détention à des fins de protection et prendre toutes les mesures appropriées pour que les femmes qui fuient la violence familiale aient accès à un abri et un soutien, sans compromettre leur liberté ;

c) Élaborer et mettre en œuvre des programmes de formation plus efficaces à l’intention des membres des forces de l ’ ordre, des juges, des procureurs et des avocats, ainsi que des fonctionnaires du département du Gouverneur administratif chargé de la protection de la famille et de l ’ assistance aux victimes de violence familiale ;

d) Mener des campagnes de sensibilisation pour combattre la violence à l ’ égard des femmes, y compris la violence familiale, entreprendre des recherches sur les causes profondes de la violence à l ’ égard des femmes et s ’ appuyer sur ces recherches pour intensifier ses efforts de sensibilisation afin de prévenir et d ’ éliminer la violence à l ’ égard des femmes.

Résumé de la réponse de l’État partie

a)L’État partie a modifié le Code pénal en 2017 afin de garantir que toutes les formes de harcèlement sexuel visées par l’article 306 soient sanctionnées, de supprimer la disposition de l’article 98 selon laquelle un « accès de colère » pouvait être considéré comme une circonstance atténuante en cas de « crime d’honneur » et de durcir les peines prévues par l’article 99 en cas de violence à l’égard des femmes ;

b)L’État partie a ouvert le centre Amna en 2018 pour offrir une solution autre que la détention à des fins de protection. Ce centre fournit un hébergement, de la nourriture, des vêtements et des services de soutien. Il propose également des programmes de formation et de réadaptation, un soutien psychologique, des services de santé, un soutien psychosocial et une assistance juridique. Le Département de la protection de la famille prend toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que les victimes de la violence familiale aient accès à cet abri. Le Directeur de la sécurité publique a ordonné que le Département de la protection de la famille fasse l’objet d’une restructuration et que les lois, règlements et instructions concernant la protection des femmes et des enfants soient soumis à un examen ;

c)Le Conseil de la magistrature a dispensé aux magistrats une formation abordant plusieurs questions, notamment la violence familiale et la traite des êtres humains. Les magistrats ont également suivi une formation sur les mesures de protection dans les affaires de violence familiale. En 2018, 2019 et 2020, le Centre de protection de la famille a proposé des formations et des ateliers sur plusieurs thèmes en rapport avec la violence à l’égard des femmes à un grand nombre de ses employés. L’État partie a collaboré avec des organisations internationales, notamment le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le Fonds des Nations Unies pour la population, afin de mettre au point des orientations sur différentes questions en lien avec la violence à l’égard des femmes. Un dispositif visant à protéger les personnes qui signalent des affaires de violence familiale ou en sont témoins est en cours d’élaboration ;

d)L’État partie a organisé une série d’activités de sensibilisation pour lutter contre laviolence à l’égard des femmes, notamment en utilisant les médias sociaux et en organisant 754 conférences à l’intention de 37 750 personnes dans toutes les provinces. Au rang des mesures prises pendant la période considérée figurent les 16 journées de mobilisation contre la violence fondée sur le genre, organisées chaque année, et une campagne menée en 2018 sur le thème « Speak up ... harassment is a crime » (« Le harcèlement est un crime ; dénonce-le »). Il ressort des évaluations effectuées par l’État partie que ces campagnes ont permis de faire bien mieux connaître le phénomène du harcèlement sexuel et les voies de recours disponibles. Le Département de la protection de la famille a contribué à de nombreuses études menées par des partenaires et des chercheurs sur la violence à l’égard des femmes.

Résumé des informations des parties prenantes

Al Hayat Centre for Civil Society Development

Le Code pénal a été modifié en 2017 de manière à punir toutes les formes de harcèlement sexuel visées par l’article306. L’article98 a été modifié afin de garantir que les auteurs de crimes d’honneur ne bénéficient pas de circonstances atténuantes si l’acte est commis contre une femme dans un accès de colère. En outre, l’article99 a été modifié afin que des peines plus sévères sanctionnent de tels crimes. En dépit de ces changements, la prévalence de la violence à l’égard des femmes n’a pas diminué. Plusieurs organisations de la société civile ont signalé une augmentation des cas de violence domestique à l’égard des femmes pendant la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19) et, le 12mai 2020, le Département de la protection de la famille a annoncé que les cas de violence domestique en Jordanie avaient augmenté de 33 % pendant le premier mois du couvre-feu, par rapport à la même période en 2019. Les tribunaux n’appliquent pas effectivement les modifications apportées à la loi.

Les abris du Département de la protection de la famille et centreAmna ont été construits pour les femmes en danger et les femmes en détention administrative afin de les protéger dans un hébergement temporaire. Cependant, les politiques régissant la majorité de ces centres sont peu précises, ce qui peut entraîner des lacunes en matière de protection. Dansla pratique, ces refuges ne sont pas différents des prisons.

Des organisations de la société civile ont mené une série d’activités de sensibilisation et de projets d’autonomisation dans l’État partie.

Évaluation du Comité

[B] : a), b) et c)

Le Comité salue les modifications apportées au Code pénal afin de renforcer le cadre juridique applicable à la violence à l’égard des femmes, y compris les mesures prises afin de supprimer toutes circonstances atténuantes en cas de crimes d’honneur. Il demande à l’État partie de lui expliquer quels moyens il a mis en œuvre pour garantir l’application effective de ces mesures. Le Comité constate qu’il n’a reçu aucune information concernant les mesures prises pour incriminer le viol conjugal et demande des précisions au sujet du statut juridique de cette pratique.

Le Comité se félicite des mesures prises par l’État partie afin d’améliorer l’accès à des abris pour les femmes et les enfants victimes d’actes de violence ou susceptibles de l’être. Il salue également l’information selon laquelle il est prévu que les lois, règlements et instructions concernant la protection des femmes et des enfants soient soumis à un examen. Le Comité déplore toutefois l’absence d’information sur les modifications apportées concrètement par l’État partie à sa politique de détention à des fins de protection. Il renouvelle sa recommandation à cet égard et demande des renseignements sur le point de savoir si l’État partie continue de recourir à la détention à des fins de protection pour protéger les femmes contre la violence, y compris les crimes d’honneur, et s’il est prévu de procéder à un examen de cette politique dans le cadre des mesures ordonnées par le Directeur de la sécurité publique. Il demande également des renseignements sur les conditions dans les abris existant actuellement.

Le Comité accueille avec satisfaction les renseignements donnés par l’État partie au sujet de la formation qui a été dispensée aux agents de la fonction publique, notamment aux magistrats et au personnel du Département de la protection de la famille. Il demande des informations complémentaires sur l’efficacité de ces activités et souhaite savoir si d’autres agents de l’État, y compris des membres des forces de l’ordre, ont pu avoir accès à de telles formations. Le Comité prend note des renseignements fournis par l’État partie selon lesquels il compte améliorer la protection des victimes et des témoins de violence familiale et demande des informations complémentaires sur ce que l’État partie compte faire à cet égard et où il en est.

[A] : d)

Le Comité accueille avec satisfaction les renseignements donnés au sujet des campagnes de sensibilisation pour combattre la violence à l’égard des femmes et félicite l’État partie d’avoir mené de telles activités. Il salue également les informations présentant de manière détaillée les efforts consentis par l’État partie pour évaluer l’efficacité de ses activités et les résultats positifs des études réalisées. Il demande des informations sur toute initiative supplémentaire qui aurait été prise pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, y compris toute activité axée en particulier sur la violence familiale. Il souhaite également obtenir des renseignements plus détaillés sur les études auxquelles le Département de la protection de la famille a contribué, et notamment savoir si elles abordent les causes profondes de la violence à l’égard des femmes qui sévit dans l’État partie et si les conclusions de ces études ont servi de base aux activités de sensibilisation.

Paragraphe 19 : Droit à la vie, liberté et sécurité de la personne et traitement humain des personnes privées de liberté

Le Comité recommande à nouveau à l ’ État partie de modifier la loi relative à la prévention de la délinquance afin de mettre un terme à la pratique de la détention administrative. Dans l ’ intervalle, l ’ État partie devrait prendre des mesures concrètes pour réduire sensiblement le nombre de personnes placées en détention administrative. Il devrait veiller en outre à ce que les personnes placées en détention administrative aient accès à un tribunal indépendant et impartial ayant compétence pour statuer sur la légalité de leur détention. L ’ État partie devrait autoriser davantage de visites indépendantes dans tous les lieux de détention, y compris les locaux de la Direction des renseignements généraux.

Résumé de la réponse de l’État partie

L’État partie a mis en place plusieurs garanties légales et institutionnelles pour veiller à ce que la détention administrative soit appliquée conformément à la loi. La loi relative à la prévention de la délinquance contient des dispositions qui empêchent les abus d’autorité. Des instructions publiques ont été adressées aux gouverneurs administratifs et aux unités de terrain pour rappeler l’importance de limiter la durée de la détention administrative et les circonstances dans lesquelles elle peut être appliquée. Les tribunaux administratifs sont chargés de contrôler la légalité des décisions de détention administrative. Il est arrivé qu’une mesure de détention administrative soit annulée sur décision de justice. En outre, plusieurs mécanismes de contrôle ont été instaurés pour surveiller l’application de la détention administrative, notamment par l’intermédiaire du coordonnateur gouvernemental pour les questions relatives aux droits de l’homme du Cabinet du Premier Ministre. Le Comité international de la Croix‑Rouge et la Direction de la sécurité publique contrôlent également les conditions de détention.

Résumé des informations des parties prenantes

Al Hayat Centre for Civil Society Development

Des organisations de la société civile ont demandé une révision de la loi relative à la prévention de la délinquance, qui régit la détention administrative. Elles soulignent que cette loi a été largement utilisée pour restreindre la liberté des filles et des femmes pendant de longues périodes, sous prétexte de les protéger contre les maltraitances et les meurtres. Elles ont préconisé qu’il soit immédiatement mis fin à la pratique de la détention administrative et que toutes les personnes détenues sous ce régime soient libérées. Elles ont également demandé que des directives et instructions précisent que l’article 3 de la loi sur la prévention de la délinquance ne prévoit pas l’arrestation des femmes pour des raisons liées à leur protection. Les données recueillies par le Centre national des droits de l’homme indiquent que 37 683 femmes ont été placées en détention administrative en 2018, contre 34 952 en 2017 et 30 138 en 2016.

Le nouveau Gouvernement a sérieusement envisagé de mettre fin à la pratique de la détention administrative. Il a demandé aux gouverneurs de revoir les raisons pouvant entraîner une arrestation administrative et de libérer de prison toute personne qui ne représente un danger ni pour elle-même ni pour la société. Le Ministre de l’intérieur a déclaré publiquement que 661 personnes qui se trouvaient en détention administrative et répondaient à ces critères avaient été libérées et que personne ne ferait l’objet d’une arrestation administrative pour usage de drogues. Le Gouvernement a introduit des règles et des règlements pour que l’intégrité et la fiabilité de la procédure de détention administrative soient contrôlées. Néanmoins, les avis divergent quant à l’efficacité de leur application.

Évaluation du Comité

[C] : Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie au sujet des cadres juridiques et institutionnels instaurés pour empêcher les dérives de la détention administrative et contrôler les conditions de détention. Il regrette toutefois qu’aucune information ne lui ait été communiquée sur les mesures prises pendant la période considérée pour modifier la loi afin de mettre un terme à la pratique de la détention administrative. Il renouvelle sa recommandation et souhaite savoir si l’État partie entend, à cette fin, introduire une réforme juridique pendant la période considérée.

[B] : Le Comité se félicite des mesures prises pour que la détention administrative soit soumise à un contrôle judiciaire. Il demande de plus amples renseignements sur les mesures prises pour mettre fin à la pratique de la détention administrative, notamment le nombre de personnes libérées au cours de la période considérée, ainsi que le nombre de celles qui restent en détention administrative. Il se félicite également des mesures prises pour permettre des visites indépendantes des lieux de détention et souhaite savoir combien de visites ont été effectuées au cours de la période considérée.

Paragraphe 25 : Réfugiés et non‑refoulement

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect du principe de non ‑refoulement, y compris pour les réfugiés palestiniens, et ce, quel que soit leur statut en Jordanie, et mettre en place des garanties de procédure contre le refoulement, notamment le réexamen des décisions par un organe judiciaire indépendant et l ’ accès à des recours utiles. L ’ État partie devrait veiller à ce que personne ne soit déchu de sa nationalité, si ce n ’ est en application des dispositions de la législation nationale qui sont en conformité avec le Pacte et les normes internationales et sous réserve d ’ un examen judiciaire indépendant. Il devrait également adopter des mesures visant à améliorer la situation et les conditions de vie des réfugiés dans les camps.

Résumé de la réponse de l’État partie

Les mesures prises par l’État partie concernant les réfugiés sont conformes à sa législation nationale et à ses obligations internationales. Le paragraphe 1 de l’article 21 de la Constitution définit plusieurs catégories de réfugiés et garantit le principe de non‑refoulement. Dans le mémorandum d’accord que l’État partie a conclu en 1998 avec le HCR, il s’engage également à respecter le principe de non‑refoulement. Les demandeurs d’asile peuvent rester en Jordanie pendant le processus de détermination de leur statut, et les réfugiés, une fois reconnus comme tels, sont autorisés à rester jusqu’à six mois sur le territoire, période pendant laquelle une solution permanente doit être trouvée. L’État partie a mis en place un certain nombre de politiques et de programmes pour répondre aux besoins humanitaires à court et à long terme des réfugiés syriens et des communautés d’accueil, par exemple le Plan de réponse jordanien à la crise syrienne pour 2017‑2019 et le Programme de réaction rapide pour 2020‑2022.

Évaluation du Comité

[C] : Le Comité accueille avec satisfaction les renseignements donnés par l’État partie au sujet du Plan de réponse jordanien à la crise syrienne pour 2017‑2019 et du Programme de réaction rapide pour 2020‑2022. Il demande des informations complémentaires sur ces initiatives et leur efficacité. Il prend note des renseignements concernant le cadre juridique national et le mémorandum d’accord conclu avec le HCR en matière de non‑refoulement. Il regrette toutefois qu’aucune information ne lui ait été communiquée sur les mesures prises au cours de la période considérée pour renforcer les garanties de procédure contre le refoulement, notamment le réexamen des décisions par un organe indépendant et l’accès à des recours. Il regrette également le manque d’informations sur les mesures prises pour veiller à ce que personne ne soit déchu de sa nationalité en violation du Pacte, et sur les mesures visant à améliorer les conditions dans les camps de réfugiés. Il renouvelle sa recommandation et demande des informations sur toute mesure que l’État partie aurait prise au cours de la période considérée, spécialement pour renforcer les protections existantes pour que personne ne soit déchu de sa nationalité dans des conditions violant les dispositions du Pacte.

Mesures recommandées : Une lettre devrait être adressée à l’État partie pour l’informer de l’arrêt de la procédure de suivi. Les renseignements demandés devraient être communiqués par l’État partie dans son prochain rapport périodique.

Prochain rapport périodique attendu en : 2025 (examen du rapport en 2026, conformément au cycle d’examen prévisible. Voir www.ohchr.org/EN/HRBodies/CCPR/Pages/PredictableReviewCycle.aspx).