Comité des droits de l ’ homme
Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2671/2015 * , **
Communication présentée par : |
F. A. (représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen) |
Victime(s) présumée(s) : |
L’auteur |
État partie : |
Danemark |
Date de la communication : |
5 novembre 2015 (date de la lettre initiale) |
Références : |
Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 6 novembre 2015 (non publiée sous forme de document) |
Date de la décision : |
6 novembre 2020 |
Objet : |
Expulsion vers l’Afghanistan |
Question(s) de procédure : |
Griefs non étayés |
Question(s) de fond : |
Risque de torture ou autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; non‑refoulement |
Article(s) du Pacte : |
6, 7 et 13 |
Article(s) du Protocole facultatif : |
2 |
1.1L’auteur de la communication est F. A., de nationalité afghane, né le 21 décembre 1986. Au moment de la soumission de la communication, il était sous le coup d’une mesure d’expulsion vers l’Afghanistan suite au rejet, par les autorités danoises, de sa demande de statut de réfugié. Il affirme qu’en le renvoyant de force en Afghanistan, le Danemark violerait les droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte. Il affirme également que les droits qui lui sont garantis par l’article 13 du Pacte ont été violés dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile par les autorités danoises. L’auteur a prié le Comité de demander l’application de mesures provisoires, afin qu’il ne soit pas renvoyé en Afghanistan tant que sa communication serait à l’examen. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.
1.2Le 6 novembre 2015, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires. Le 10 novembre 2015, l’État partie a suspendu l’exécution de l’ordre d’expulsion visant l’auteur.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur, d’origine tadjike et de confession musulmane, travaillait depuis 2012 en Afghanistan pour le Ministère du travail, des affaires sociales, des martyrs et du handicap. Il était le chef du bureau situé à Pole Alam, dans la province de Logar. Il était responsable de l’enregistrement et de l’estimation des dégâts dans les zones attaquées par les Taliban et de la distribution de l’aide humanitaire. Il se rendait dans les zones touchées environ deux fois par semaine, généralement accompagné de deux collègues, un chauffeur et 10 à 12 policiers. En avril 2014, il a reçu un appel téléphonique des Taliban, qui lui ordonnaient de cesser de travailler pour le Gouvernement et de se livrer à eux, faute de quoi il serait assassiné. Le lendemain matin, il a parlé de l’appel à son superviseur, qui a signalé l’incident au gouverneur. Ce dernier a contacté la police et les forces de sécurité, qui se sont présentées sur le lieu de travail de l’auteur trois jours plus tard. Elles ont interrogé l’auteur et lui ont proposé une protection sur son lieu de travail uniquement. Deux jours plus tard, l’auteur a reçu un autre appel menaçant et, par la suite, plusieurs autres semblables, au cours desquels on le menaçait de mort. Il a signalé tous ces appels à son superviseur, qui en a fait part à la police. La police a confirmé qu’elle pouvait protéger l’intéressé sur son lieu de travail uniquement. L’auteur a également reçu deux lettres de menaces, dont l’une avait été directement remise à son père le 15 mai 2014 à la mosquée par un homme âgé. Une vingtaine de jours plus tard, l’auteur a reçu une autre lettre. Le contenu de ces lettres était similaire à celui des appels téléphoniques. Une copie des lettres a été remise à la police, qui a cependant maintenu son refus de protéger l’auteur en dehors de son lieu de travail. Craignant pour sa vie, l’auteur a quitté son travail treize jours après avoir reçu la deuxième menace écrite et a décidé de fuir l’Afghanistan. Selon les informations recueillies par l’auteur, les lettres de menaces semblent avoir été écrites par le Hezb‑e‑Islami, qui collaborait avec les Taliban dans la province de Logar. Toujours selon l’auteur, environ 80 % de cette province étaient contrôlés par les Taliban au moment où il a soumis sa communication au Comité.
2.2L’auteur est entré au Danemark le 25 août 2014 sans documents de voyage valides et a demandé l’asile le même jour. Sa sœur est résidente au Danemark.
2.3Le 1er juillet 2015, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteur. Le 21 septembre 2015, la Commission de recours des réfugiés a confirmé cette décision. Bien qu’elle ait accepté comme un fait établi que l’auteur avait été fonctionnaire au Ministère du travail, des affaires sociales, des martyrs et du handicap dans la province de Logar, elle a exprimé des doutes, en raison de petites incohérences dans les déclarations de l’auteur, quant au fait qu’il se soit effectivement trouvé en conflit avec les Taliban parce qu’il travaillait pour le Gouvernement afghan.
2.4Par une lettre en date du 8 octobre 2015, l’auteur a saisi la Commission de recours des réfugiés d’une demande de réouverture de son dossier, soutenant que les services d’interprétation fournis au cours de la procédure d’asile avaient été insatisfaisants. Il disait avoir soulevé ce problème à plusieurs reprises devant les autorités, sans pour autant que ses préoccupations n’aient été consignées dans les procès-verbaux des auditions. Le 8 février 2016, la Commission a rejeté la demande de réouverture de la procédure d’asile formée par l’auteur.
2.5L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes.
Teneur de la plainte
3.1Selon l’auteur, il existe des motifs sérieux de croire que, s’il était renvoyé en Afghanistan, il risquerait d’être tué ou soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, parce qu’il a travaillé pour le Gouvernement afghan. Il avance que les autorités nationales n’ont pas correctement apprécié les risques, principalement parce que, lors de l’examen du recours, la Commission de recours des réfugiés n’a pas appliqué les principes directeurs du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) relatifs à l’appréciation de la crédibilité. À l’appui de ses griefs, l’auteur renvoie aussi à la situation générale des personnes expulsées vers l’Afghanistan.
3.2L’auteur dénonce également une violation des droits qu’il tient de l’article 13 du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans une note verbale en date du 6 mai 2016, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond. Il conteste la recevabilité et le fondement de la communication et souligne que c’est à l’auteur qu’il incombe de démontrer qu’à première vue, sa communication est recevable. Il soutient que les griefs que l’auteur tire des articles 6, 7 et 13 sont manifestement mal fondés et devraient dès lors être déclarés irrecevables, faute d’avoir été suffisamment étayés. Pour le cas où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie est d’avis que le renvoi de l’auteur en Afghanistan n’entraînerait pas une violation des articles 6 et 7 du Pacte. Il soutient aussi qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 du Pacte dans le cadre de l’examen de la demande d’asile par les autorités danoises.
4.2L’État partie décrit la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission de recours des réfugiés, ainsi que la législation applicable aux procédures d’asile.
4.3En ce qui concerne la violation alléguée des articles 6 et 7 du Pacte, l’État partie fait valoir que la Commission de recours des réfugiés n’a pas mis en doute les déclarations de l’auteur selon lesquelles il travaillait pour le Ministère du travail, des affaires sociales, des martyrs et du handicap et appartenait à un groupe de personnes qui, en raison de leur travail, risquent, de manière générale, d’être victimes de violences de la part des Taliban ou d’autres groupes qui combattent les autorités afghanes. Dans le même temps, la Commission a considéré que cette circonstance ne pouvait justifier à elle seule l’octroi d’un permis de séjour, sans que l’auteur n’étaye son affirmation selon laquelle il courrait personnellement un risque précis de persécution s’il était expulsé vers l’Afghanistan. Dans ce contexte, l’État partie fait observer que les autorités nationales n’ont pu admettre comme un fait établi que l’auteur avait été en conflit avec les Taliban car elles avaient jugé que son récit n’était pas crédible. L’appréciation faite par la Commission de recours des réfugiés l’a conduite à estimer que les déclarations de l’auteur au sujet de la question de savoir s’il avait été en contact avec la police et si celle-ci était disposée à le protéger semblaient présenter des contradictions et des incohérences. En outre, l’auteur avait fait des déclarations contradictoires sur la question de savoir s’il avait continué à travailler en dehors de son bureau après le premier appel menaçant. La Commission a jugé curieux qu’après avoir reçu la deuxième menace écrite, l’auteur soit resté chez lui pendant quatorze jours de plus avant de quitter l’Afghanistan. Il a en outre donné des réponses vagues et évasives à des questions essentielles, notamment celle de savoir si les appels téléphoniques avaient été faits par la même personne, alors même que ces appels avaient duré dix à quinze minutes, sans qu’il n’y ait de perturbation ou de problème de connexion. L’État partie fait remarquer à cet égard que l’auteur est un jeune homme titulaire d’un diplôme universitaire et que les menaces alléguées ont été proférées sur une période relativement courte (entre avril et juin 2015), de sorte qu’il est peu plausible qu’il ait eu de la difficulté à se rappeler correctement des faits. L’auteur n’a néanmoins fourni aucune explication raisonnable pour ces anomalies, se contentant d’affirmer qu’il y avait eu quelques problèmes d’interprétation, un élément qui n’a toutefois pas été accepté par les autorités, car soulevé seulement à un stade tardif de la procédure.
4.4En outre, l’État partie indique que les autorités nationales n’ont pu accepter comme preuve aucune des menaces écrites produites par l’auteur, car il a été jugé qu’elles avaient été fabriquées de toutes pièces pour l’occasion. Sur ce point, l’État partie fait observer que la Commission de recours des réfugiés prend en compte un certain nombre de facteurs pour déterminer s’il est nécessaire de vérifier l’authenticité d’un document. Parmi ces facteurs figurent la nature et la teneur des documents, la question de savoir si cette vérification pourrait conduire à une appréciation différente des preuves, les circonstances de la délivrance des documents, les informations générales sur le pays en question et la crédibilité globale du demandeur d’asile. Après avoir examiné tous ces facteurs, la Commission a finalement conclu que les circonstances de l’espèce n’appelaient pas une vérification plus poussée de l’authenticité des documents produits.
4.5L’État partie fait aussi observer que l’auteur n’a présenté aucun élément nouveau dans la communication soumise au Comité, et que toutes les informations générales pertinentes ont été communiquées à la Commission de recours des réfugiés et examinées par celle-ci dans le cadre de sa décision du 21 septembre 2015. Après un examen approfondi de ces informations et de la situation personnelle de l’auteur, la Commission a conclu que celui-ci ne risquait pas de subir des persécutions, en violation des articles 6 et 7 du Pacte. En tout état de cause, l’État partie précise que ce que l’auteur a fait valoir au sujet de la situation générale des personnes renvoyées de force en Afghanistan ne pouvait entraîner une appréciation différente de son cas.
4.6En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 13 du Pacte, l’État partie argue que cette disposition garantit en partie les mêmes droits procéduraux que l’article 14 (par. 1) du Pacte, mais qu’elle ne prévoit pas le droit de faire appel ni celui d’être entendu par un juge. Étant donné que l’auteur n’a pas donné plus de précisions sur le grief qu’il tire de l’article 13, l’État partie estime que celui-ci n’est pas suffisamment étayé. Pour ce qui est des problèmes d’interprétation que l’auteur met en avant, l’État partie constate que, dans sa décision du 8 février 2016, la Commission de recours des réfugiés a dûment examiné cette question. Elle a établi que les entretiens organisés par le Service danois de l’immigration les 12 février et 29 juin 2015 ont eu lieu en dari, en présence d’un interprète agréé. L’auteur n’a pas commenté les procès-verbaux de ces entretiens, sauf pour demander une petite correction du nom de sa mère. Il a ensuite déclaré qu’il avait tout compris et qu’il n’y avait eu aucun problème d’interprétation. La Commission a donc conclu que l’auteur était incapable de fournirune explication raisonnable quant à la raison pour laquelle il n’avait pas soulevé ses préoccupations au sujet de l’interprétation plus tôt dans la procédure, alors qu’il avait eu la possibilité de le faire. En ce qui concerne l’audition devant la Commission, l’État partie soutient qu’il ne semble pas y avoir eu de problèmes d’interprétation. Dans ces circonstances, il estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article13 du Pacte à raison d’erreurs d’interprétation.
4.7Enfin, l’État partie constate que l’auteur conteste l’appréciation de sa situation particulière et des informations générales sur le pays faite par la Commission de recours des réfugiés. Cependant, dans la communication qu’il a soumise au Comité, l’auteur n’a mis en évidence aucune irrégularité dans la prise de décisions ni aucun facteur de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte. L’État partie souligne que le Comité doit accorder un poids considérable aux constatations de fait de la Commission de recours des réfugiés, qui est mieux à même d’apprécier les éléments de fait d’un dossier. Selon l’État partie, rien ne justifie dès lors que soit mise en doute, et moins encore écartée, la conclusion de la Commission selon laquelle l’auteur n’a pas démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être tué ou soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé en Afghanistan.
4.8L’État partie informe le Comité qu’en réponse à sa demande de mesures provisoires, la Commission de recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le cours du délai fixé pour le départ de l’auteur du Danemark. Compte tenu de tout ce qui précède, l’État partie demande au Comité de reconsidérer sa demande de mesures provisoires.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond
5.1Dans une note en date du 10 août 2016, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie.
5.2En ce qui concerne les griefs de violation des articles 6 et 7 du Pacte, l’auteur rappelle ses arguments précédents et souligne que les autorités nationales n’ont pas expliqué pourquoi elles avaient considéré que, en tant qu’ancien employé du Gouvernement afghan, il ne courrait pas le risque d’être persécuté s’il était expulsé vers l’Afghanistan, compte tenu en particulier du fait qu’il vient d’une région qui est, dans une large mesure, encore contrôlée par les Taliban.
5.3En ce qui concerne son grief de violation de l’article 13 du Pacte, l’auteur affirme qu’au cours des deux premiers entretiens menés par le Service danois de l’immigration, l’interprète iranien parlait le farsi et non le dari. Il a soulevé ce problème lors du deuxième entretien, mais l’interprète n’a pas traduit ses propos exprimant sa préoccupation et l’entretien s’est poursuivi en farsi. S’agissant de l’entretien devant la Commission de recours des réfugiés, l’auteur fait remarquer que l’interprète était originaire d’Afghanistan mais qu’il parlait le pachto et non le dari. Ce n’est que quand il a reçu la décision de la Commission de recours des réfugiés qu’il a compris ce qu’était l’appréciation de la crédibilité. Comme il n’avait pas la possibilité de faire appel de cette décision devant les juridictions danoises, il a demandé la réouverture de la procédure. La décision de la Commission du 8 février 2016 démontre que les autorités nationales n’ont pas tenu compte de ses préoccupations concernant l’interprétation, ce qui a manifestement constitué une violation des droits qu’il tient de l’article 13 du Pacte. L’auteur soutient en outre que, lors de l’audition devant la Commission, le représentant du Service danois de l’immigration n’était pas le seul à l’interroger, mais que les membres de la Commission eux-mêmes n’ont cessé de lui poser des questions, ce qui donnait l’impression qu’ils n’étaient pas impartiaux.
5.4À la lumière de ces arguments, l’auteur a demandé au Comité de maintenir sa demande de mesures provisoires.
Observations complémentaires de l’État partie
6.1Dans une note en date du 9 août 2017, l’État partie a fait part d’observations complémentaires sur la recevabilité et sur le fond de la communication et a réaffirmé que, selon lui, l’auteur n’avait pas étayé ses griefs.
6.2L’État partie maintient les observations qu’il a formulées le 6 mai 2016 et rappelle la jurisprudence du Comité, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids considérable à l’appréciation faite par l’État partie de l’affaire, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un risque pour une personne de subir un préjudice irréparable si elle est expulsée de leur territoire. L’État partie ajoute que l’auteur n’a pas expliqué en quoi il estime que la décision de la Commission de recours des réfugiés était contraire à cette règle.
6.3L’État partie ajoute que, même si dans les documents du HCR invoqués par l’auteur, les personnes ayant collaboré avec des forces internationales sont effectivement présentées comme appartenant à un groupe exposé à un risque potentiel, cette référence ne saurait justifier à elle seule l’octroi d’un permis de séjour à l’auteur en application de l’article 7 de la loi relative aux étrangers ; il en va de même des autres informations générales sur la situation en Afghanistan en matière de sécurité. L’État partie maintient que l’élément déterminant est de savoir si l’appréciation des informations se rapportant à l’espèce et des informations générales actuellement disponibles sur l’Afghanistan permet de déterminer que l’auteur courrait personnellement un risque précis d’être victime de persécutions s’il était renvoyé en Afghanistan.
6.4En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle les membres de la Commission de recours des réfugiés lui ont posé des questions, l’État partie observe qu’il s’agit là de la procédure habituelle pendant l’audition, en particulier si les déclarations du demandeur d’asile nécessitent des éclaircissements sur des points qui n’ont pas été apportés par les représentants des parties.
6.5Par conséquent, l’État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable. Pour le cas où le Comité examinerait la communication sur le fond, l’État partie est d’avis qu’il n’y a pas eu violation des droits que l’auteur tient de l’article 13 du Pacte et qu’il n’a pas été établi qu’il existe des motifs sérieux de croire que le renvoi de l’auteur en Afghanistan constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe2a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.3Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel il a épuisé tous les recours internes à sa disposition. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2b)) du Protocole facultatif sont remplies.
7.4Le Comité prend note du grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 13 du Pacte, selon lequel il n’était pas en mesure de faire appel de la décision de la Commission de recours des réfugiés devant un organe judiciaire et a eu le sentiment que la Commission était partiale parce que ses membres eux-mêmes lui ont posé des questions lors de l’audition. À cet égard, le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’article 13 offre aux demandeurs d’asile une partie de la protection garantie par l’article 14 du Pacte, mais pas le droit de faire appel devant un organe judiciaire. Il constate en outre que l’auteur n’a pas expliqué pourquoi il considère que le simple fait que des membres de la Commission lui ont posé des questions en rapport avec son affaire lors de l’audition donnerait l’impression que ces membres n’étaient pas impartiaux. Le Comité prend note également des griefs de l’auteur concernant les erreurs d’interprétation qui auraient été commises lors des audiences de demandes d’asile, qui pourraient avoir porté atteinte aux garanties d’une procédure régulière lors de la procédure menée. Il prend toutefois note des affirmations de l’État partie à cet égard, selon lesquels les entretiens organisés par le Service danois de l’immigration les 12 février et 29 juin 2015 ont eu lieu en dari, en présence d’un interprète agréé, l’auteur n’a pas commenté les procès-verbaux de ces entretiens, sauf pour demander une petite correction du nom de sa mère, et il a déclaré qu’il avait tout compris et qu’il n’y avait pas eu de problèmes d’interprétation. L’auteur n’a donc pas pu fournir d’explication raisonnable quant à la raison pour laquelle il n’avait pas soulevé ses préoccupations au sujet de l’interprétation plus tôt dans la procédure, alors qu’il avait eu la possibilité de le faire. En ce qui concerne l’audition devant la Commission, l’État partie soutient qu’il semble qu’il n’y ait pas eu de problèmes d’interprétation. Le Comité conclut donc, en se fondant sur les informations dont il dispose, que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief au titre de l’article 13 du Pacte et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.5Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles il serait soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation des articles6 et 7 du Pacte, s’il était renvoyé dans son pays d’origine, en raison de ses anciennes fonctions au sein du Ministère du travail, des affaires sociales, des martyrs et du handicap. Le Comité observe que l’auteur affirme qu’avant son départ de l’Afghanistan, il a reçu plusieurs appels téléphoniques ainsi que deux lettres de menaces des Taliban, qui l’avertissaient qu’il serait assassiné s’il ne cessait pas de travailler pour le Gouvernement. Le Comité a présent à l’esprit les informations générales fournies par l’auteur, dont il ressort que les anciens fonctionnaires et agents de l’État sont potentiellement exposés à un risque. En outre, il prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il ne s’était pas vu fournir des services d’interprétation satisfaisants pendant les auditions relatives à l’asile, ce qui avait nui à l’appréciation de sa crédibilité.
7.6Par ailleurs, le Comité prend note du fait que l’État partie a contesté la recevabilité et le fondement de ces allégations et a souscrit à l’appréciation faite par la Commission de recours des réfugiés qui, tout en acceptant certains éléments des déclarations de l’auteur comme des faits établis, a conclu que l’intéressé n’avait pas démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement un risque précis de subir un préjudice irréparable − à savoir être assassiné ou soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants − s’il était renvoyé en Afghanistan.
7.7Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans lequel il mentionne l’obligation faite à ces États de ne pas extrader, déplacer, expulser ou transférer de toute autre manière une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle court un risque réel de subir un préjudice irréparable, tel que ceux envisagés aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a également indiqué que le risque devait être couru personnellement et que le critère appliqué pour déterminer si les motifs invoqués pour établir l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable sont sérieux était très strict. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.
7.8Le Comité rappelle que c’est généralement aux organes des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve d’une affaire donnée en vue de déterminer si un tel risque existe, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice.
7.9En l’espèce, le Comité note que la Commission de recours des réfugiés a relevé plusieurs contradictions dans le récit de l’auteur concernant les faits et que, même si la Commission n’a pas contesté le fait que l’auteur avait travaillé pour le Gouvernement afghan, elle a considéré que l’intéressé n’avait pas été en mesure d’établir que cela avait conduit à un conflit permanent avec les Taliban, qui se serait manifesté par plusieurs menaces verbales et écrites. Le Comité considère que, bien que l’auteur conteste les conclusions des autorités de l’État partie sur les faits, les informations dont lui-même dispose n’indiquent pas que ces conclusions étaient de toute évidence arbitraires ou entachées d’erreur ou représentaient manifestement un déni de justice. À cet égard, le Comité prend note de l’allégation selon laquelle des erreurs d’interprétation ont été faites lors des auditions relatives à la demande d’asile, mais constate que l’auteur n’a pas expliqué comment ni dans quelle mesure l’interprétation, selon lui défaillante, avait déformé ses déclarations, de sorte que celles-ci ont en fin de compte été jugées contradictoires par les autorités nationales et les ont amenées à conclure qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que son renvoi en Afghanistan constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte. Par ailleurs, le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels l’auteur n’a fourni aucune explication plausible quant à la raison pour laquelle il n’avait pas soulevé ces questions plus tôt dans la procédure, en particulier quand il lui a été demandé de confirmer qu’il avait bien compris l’interprète. Le Comité a également à l’esprit le raisonnement de la Commission, qui n’a pas accordé un poids décisif aux contradictions isolées mais a procédé à une appréciation globale des déclarations de l’auteur et des autres informations figurant au dossier.
7.10Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son argument selon lequel l’examen de sa demande d’asile par les autorités danoises a été manifestement arbitraire ou entaché d’erreur ou a constitué un déni de justice. Dès lors, sans préjudice de l’obligation qui continue d’incomber à l’État partie de tenir compte de la situation actuelle du pays vers lequel l’auteur serait expulsé et sans sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation générale des droits de l’homme en Afghanistan, le Comité considère que, à la lumière des informations disponibles sur la situation personnelle de l’auteur, les griefs formulés par celui-ci au titre des articles6 et 7 du Pacte sont insuffisamment étayés et donc irrecevables au regard de l’article2 du Protocole facultatif.
8.En conséquence, le Comité décide :
a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.