Nations Unies

CCPR/C/131/D/2452/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 mai 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2452/2014 * , **

Communication présentée par:

Kanat Ibragimov (représenté par un conseil, Bakhytzhan Toregozhina)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie:

Kazakhstan

Date de la communication:

21 novembre 2012 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 août 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

24 mars 2021

Objet:

Responsabilité administrative de l’auteur retenue et condamnation de celui-ci à une peine de détention administrative pour participation à une réunion pacifique non autorisée

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Liberté d’expression ; liberté de réunion

Article(s) du Pacte:

19 (par. 2) et 21

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Kanat Ibragimov, de nationalité kazakhe, né en 1964. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 septembre 2009. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est peintre et défenseur des droits civiques. Le 24 mars 2012, il a participé à un rassemblement pacifique, organisé pour commémorer, cent jours après les événements, la fusillade de Janaozen qui avait eu lieu dans le parc de l’hôtel « Kazakhstan ». Peu après, l’auteur a été arrêté par la police, ainsi que d’autres personnes qui avaient pris part à la cérémonie de commémoration, et, le même jour, le tribunal administratif interdistrict spécialisé d’Almaty l’a déclaré coupable d’une infraction administrative sur le fondement de l’article 373 (par. 3) du Code des infractions administratives. Le tribunal a établi que l’auteur avait participé à plusieurs reprises à des réunions non autorisées en l’espace d’une année et l’a condamné à une peine de quinze jours de détention administrative. Pour protester contre ce qu’il considérait comme une atteinte à sa liberté d’expression, l’auteur, alors qu’il était en détention, a entamé une grève de la faim ; celle-ci a eu d’importantes conséquences sur sa santé et lui a valu par la suite une longue période de convalescence.

2.2Il était prévu qu’un autre rassemblement pacifique de contestation se tienne le 28 avril 2012 à proximité de la statue d’Abaï Kounanbaïouly, à Almaty. Un groupe de personnes avait soumis une demande à l’akimat d’Almaty afin d’obtenir l’autorisation de tenir ce rassemblement, mais l’auteur n’avait pas pu se joindre à cette demande parce qu’il purgeait sa peine de détention administrative au moment des préparatifs de ce nouveau rassemblement, et aussi en raison de sa santé fragile. Néanmoins, le 22 avril 2012, l’auteur a reçu un appel téléphonique d’un employé de l’akimat d’Almaty, K. D., qui a « proposé » à l’auteur de venir en personne à l’akimat le jour même afin de discuter du futur rassemblement de contestation avec le chef adjoint du Département de la police interne de l’akimat d’Almaty, R. D. L’auteur a poliment décliné la proposition et suggéré de plutôt parler à R. D. au téléphone. L’auteur a alors reçu un appel téléphonique de R. D., qui a affirmé avec force que l’auteur était un organisateur du futur rassemblement de contestation et lui a suggéré de changer le lieu prévu du rassemblement afin de le tenir en intérieur. L’auteur a expliqué à R. D. qu’il n’était pas partie prenante à l’organisation du rassemblement en question et lui a suggéré de vérifier ce fait dans la demande d’autorisation concernant la réunion pacifique prévue le 28 avril 2012. R. D. lui a répondu qu’il avait lui-même annoncé publiquement la date du rassemblement suivant et que, par conséquent, il serait de nouveau arrêté en tout état de cause, qu’il prenne part ou non au rassemblement.

2.3Le 25 avril 2012, l’un des journaux nationaux en ligne, Vremya, a publié un article intitulé « Participer à une réunion, ce n’est pas la même chose que peindre », dans lequel il était fait référence aux « pressions et mesures d’intimidation » exercées contre l’auteur. L’article en question contient la retranscription d’un entretien avec R. D. dans lequel celui‑ci confirmait les informations fournies par l’auteur dans sa communication au Comité (voir par. 2.2 ci-dessus). Dans l’entretien, R. D. donnait aussi le nom de trois personnes qui avaient demandé l’autorisation de tenir le rassemblement de contestation du 28 avril 2012, et reliait l’un d’eux au parti d’opposition non enregistré Alga ! (Allons-y !) et au prétendu complot que celui-ci aurait mené dans le but d’organiser une attaque terroriste à Almaty. Répondant à la question d’un journaliste, R. D. a affirmé que même si les organisateurs avaient demandé l’autorisation de tenir le rassemblement de contestation au seul endroit où les manifestations ou réunions publiques non gouvernementales de « nature sociale et politique » sont officiellement autorisées, à savoir la place située derrière le cinéma « Sary Arka », leur demande aurait de toute façon été rejetée, parce qu’elle avait été soumise avec des irrégularités.

2.4Entre mai et juillet 2012, l’auteur a intenté plusieurs actions au civil devant le tribunal du district Bostandyk d’Almaty, demandant que les actions des fonctionnaires de l’akimat d’Almaty le concernant soient reconnues illégales et qu’une indemnisation lui soit accordée pour le préjudice non pécuniaire qui en avait résulté. Dans des décisions datées des 1er juin 2012, 25 juin 2012 et 12 juillet 2012, un juge du tribunal du district Bostandyk d’Almaty a refusé d’examiner les plaintes de l’auteur. L’action intentée par l’auteur le 17 juillet 2012, que le tribunal du district Bostandyk d’Almaty avait initialement acceptée, a été rejetée par ce même tribunal peu de temps après. Dans sa décision du 14 août 2012, le tribunal a conclu que les fonctionnaires de l’akimat d’Almaty n’avaient commis aucun acte illégal à l’encontre de l’auteur. Il a aussi établi que l’auteur n’avait fourni aucun élément probant, tel qu’un enregistrement audio de sa conversation téléphonique avec R. D. (voir par. 2.2) ou des certificats médicaux, pour étayer ses allégations selon lesquelles il aurait fait l’objet de menaces de la part d’un fonctionnaire et les actions des fonctionnaires auraient eu des conséquences négatives sur son état de santé.

2.5Le 28 avril 2012, l’auteur a participé au rassemblement de contestation, au mépris des menaces que lui avaient personnellement adressées les fonctionnaires de l’akimat d’Almaty et malgré sa mauvaise santé, afin d’exercer sa liberté d’expression garantie par la Constitution du Kazakhstan et par le Pacte. Aussitôt le rassemblement dispersé, l’auteur a été arrêté par des policiers, qui ont fait usage de la force pour l’amener, contre son gré, au tribunal administratif interdistrict spécialisé d’Almaty. Il a été battu et les policiers lui ont tordu les bras. Le même jour, l’auteur a demandé par écrit à un juge du tribunal administratif interdistrict spécialisé d’Almaty d’ordonner qu’un examen médical de l’auteur soit réalisé, et a aussi porté plainte devant le Bureau du Procureur du district Almaly d’Almaty au sujet des actions illicites des fonctionnaires. À une date non précisée, la plainte de l’auteur a été transmise par le Bureau du Procureur à la Division de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures d’Almaty. Le 1er juin 2012, la Division de la sécurité intérieure a rejeté la plainte de l’auteur, estimant qu’il n’y avait pas lieu d’engager une action disciplinaire ou pénale contre les policiers qui l’avaient arrêté le 28 avril 2012.

2.6Le 28 avril 2012, l’auteur a été déclaré coupable d’infraction administrative sur le fondement de l’article 373 (par. 3) du Code des infractions administratives. Le tribunal administratif interdistrict spécialisé d’Almaty a jugé que l’auteur avait enfreint la procédure d’organisation d’une réunion pacifique et avait pris part à une réunion non autorisée à plusieurs reprises en l’espace d’une année. L’auteur a de nouveau été condamné à une peine de quinze jours de détention administrative. Il n’a cependant pas reçu copie de la décision du tribunal administratif interdistrict spécialisé d’Almaty et l’administration du centre de détention dans lequel il a purgé sa peine de détention administrative a empêché tout contact avec son défenseur et conseil. Le 3 mai 2012, l’auteur, qui était toujours détenu et n’avait aucun contact avec ses représentants, a fait appel de la décision du tribunal administratif interdistrict spécialisé d’Almaty auprès du tribunal municipal d’Almaty, qui a rejeté l’appel le 4 mai 2012. Le 18 mai 2012, l’auteur a soumis au Bureau du Procureur général une demande de réexamen de la décision du tribunal administratif interdistrict spécialisé d’Almaty du 28 avril 2012. Le 15 août 2012, l’auteur a été informé par le Bureau du Procureur général que sa demande exigeait des vérifications complémentaires et, le 27 août 2012, la demande de l’auteur a été transmise au Bureau du Procureur d’Almaty à cette fin. Le 25 septembre 2012, l’auteur a été informé par le Bureau de Procureur d’Almaty qu’il n’y avait pas lieu de réexaminer les décisions de justice prises à son égard qui étaient déjà devenues exécutoires. L’auteur soutient par conséquent qu’il a épuisé tous les recours internes utiles dont il disposait.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’en l’arrêtant et en engageant des poursuites administratives contre lui à plusieurs reprises au seul motif qu’il avait participé à des réunions pacifiques dans le but d’exprimer son point de vue de citoyen, les autorités et les tribunaux de l’État partie ont violé son droit à la liberté d’expression et son droit de réunion pacifique, garantis par les articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Il ajoute que les restrictions que la législation nationale permet d’imposer à ces droits sont si larges et formulées de manière si imprécise qu’elles permettent au pouvoir exécutif et aux autorités chargées de faire appliquer la loi d’en abuser, et que le pouvoir judiciaire n’agit pas de manière indépendante et impartiale lorsqu’il examine les plaintes dénonçant un recours abusif aux restrictions desdits droits.

3.2Au vu de ce qui précède, l’auteur prie expressément le Comité de demander à l’État partie d’abroger les restrictions à l’exercice du droit de réunion pacifique permises par la législation interne, qui sont contraires aux obligations incombant à l’État partie au titre de l’article 21 du Pacte et des règles internationales.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 20 octobre 2014, l’État partie rappelle les faits sur lesquels la présente communication est basée et affirme que, le 24 mars 2012 et le 28 avril 2012, l’auteur a participé à des rassemblements non autorisés, ce qui lui a valu de voir sa responsabilité administrative engagée. L’État partie ajoute que l’auteur a plaidé non coupable les deux fois.

4.2L’État partie soutient que la présente communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Il fait valoir que l’article 32 de la Constitution garantit aux citoyens le droit de se réunir pacifiquement et d’organiser des réunions, des rassemblements, des manifestations, des défilés et des piquets. La loi peut toutefois restreindre l’exercice de ce droit afin de garantir la sûreté de l’État ou l’ordre public ou de protéger la santé ou les droits et libertés d’autrui. La manière dont peuvent être exprimés les intérêts de la société, d’un groupe ou de personnes dans les lieux publics, ainsi que la forme que peut revêtir cette expression et les restrictions qui peuvent être imposées sont définies par la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques. L’article 7 de cette loi habilite les organes exécutifs locaux à interdire la tenue de manifestations publiques si, notamment, celles-ci menacent « l’ordre public et la sécurité des citoyens ». En vertu de l’article 10 de cette même loi, les organes exécutifs locaux peuvent aussi imposer des conditions supplémentaires à la tenue de manifestations publiques, selon le contexte local et dans le respect du droit.

4.3L’État partie fait valoir que la tenue de rassemblements, de réunions, de défilés et de manifestations pacifiques n’est pas interdite sur le territoire. Toutefois, conformément à la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques, les organisateurs doivent obtenir une autorisation des organes exécutifs locaux avant la tenue d’une manifestation publique et tenir compte du fait qu’une telle autorisation peut être refusée dans certaines circonstances.

4.4L’État partie fait valoir que les Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique adoptées par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) reconnaissent aussi qu’il peut être nécessaire d’imposer certaines restrictions ou limites à l’exercice du droit à la liberté de réunion. Il ajoute que l’examen de la pratique de plusieurs autres États l’a amené à constater que, dans certains pays, les restrictions à l’organisation de manifestations publiques étaient plus sévères qu’au Kazakhstan. Par exemple, dans la ville de New York (États-Unis d’Amérique), il est nécessaire de demander une autorisation quarante-cinq jours avant la tenue de la manifestation, et de préciser l’itinéraire qui sera emprunté. Les autorités municipales ont le droit de modifier le lieu de la manifestation si celui qui est proposé n’est pas acceptable. Différents pays, comme la Suède, tiennent une liste noire des organisateurs de manifestations qui ont été interdites ou dispersées par le passé. En France, les autorités locales peuvent interdire n’importe quelle manifestation et, au Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, les autorités peuvent prononcer des interdictions temporaires, et les manifestations sur la voie publique ne peuvent avoir lieu qu’avec l’accord de la police. En Allemagne, toute manifestation ou réunion de grande ampleur, en intérieur ou en extérieur, ne peut avoir lieu qu’avec l’aval des autorités.

4.5Afin de protéger les droits et libertés d’autrui, l’ordre public et le système de transport ainsi que les autres infrastructures, les autorités de l’État partie ont désigné des lieux où peuvent se tenir les manifestations publiques non gouvernementales. À l’heure actuelle, presque toutes les capitales régionales ainsi que certains districts comportent de telles zones, qui ont été désignées sur la base des décisions prises par les organes exécutifs locaux.

4.6L’État partie considère donc que ses lois et règlements internes sont conformes aux prescriptions du droit international applicable et aux pratiques des autres pays, et que les autorités et tribunaux internes ont respecté les dispositions des articles 19 et 21 du Pacte.

4.7L’État partie soutient en outre que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Il rappelle que la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle des poursuites administratives à l’issue desquelles sa responsabilité administrative a été retenue pour avoir participé à un rassemblement non autorisé le 28 avril 2012 a été rejetée par le Procureur général adjoint. L’État ajoute que l’article 40 du Code des infractions administratives prévoit une procédure exceptionnelle au titre de laquelle l’auteur aurait pu demander au Procureur général de saisir la Cour suprême d’une procédure de contrôle juridictionnel des décisions administratives rendues dans son dossier. L’auteur n’ayant pas effectué cette démarche, sa communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 11 novembre 2014, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il rappelle l’argument de l’État partie selon lequel, à deux reprises, sa responsabilité administrative a été retenue, conformément à la loi, parce qu’il avait participé à deux rassemblements non autorisés. Il soutient à cet égard que, en réalité, l’État partie a violé son droit de réunion pacifique en engageant des poursuites administratives contre lui au seul motif de sa participation à deux rassemblements pacifiques. Il ajoute que le tribunal administratif interdistrict spécialisé d’Almaty n’a pas expliqué en quoi la restriction de son droit de réunion pacifique était « nécessaire » pour protéger l’un des buts légitimes que sont la protection de la sécurité nationale, celle de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ou des droits et libertés d’autrui. Par conséquent, le seul motif pour lequel le tribunal administratif interdistrict spécialisé d’Almaty avait condamné l’auteur à une peine de quinze jours de détention administrative était sa participation à une manifestation publique non autorisée.

5.2L’auteur fait valoir également que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie dans ses observations, les dispositions de l’article 32 de la Constitution et des articles 19 et 21 du Pacte ne sont pas respectées au Kazakhstan dans la pratique. Il ajoute que, alors qu’au Kazakhstan l’organisation d’une manifestation publique pacifique est soumise à l’autorisation préalable des autorités, dans d’autres pays, y compris les États‑Unis, la plupart des réunions pacifiques sont soumises à une procédure de notification.

5.3L’auteur dit également avoir épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes, et notamment avoir déposé auprès du Bureau du Procureur général une demande en vue de saisir la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle. Le Bureau du Procureur général aurait pu engager une procédure de contrôle des décisions administratives rendues dans son dossier, mais ne l’a pas fait. Par conséquent, le dépôt par l’auteur d’une nouvelle demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, devant le Procureur général n’aurait pas eu une issue différente.

5.4L’auteur demande aux autorités de l’État partie de présenter des excuses publiques pour la violation de ses droits et de lui verser une indemnisation pour les frais juridiques et médicaux qui ont résulté de leurs actions illégales, ainsi qu’en compensation du préjudice moral. Il ajoute que sa santé s’est gravement détériorée en conséquence des trente jours passés en détention administrative dans des conditions déplorables, des deux grèves de la faim qu’il a entamées pour protester contre une détention illégale et des trois années de stress et de dépression qui ont suivi. L’auteur demande aussi à l’État partie d’abroger la loi « draconienne » de 1995 sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques et d’adopter à la place une loi progressiste.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note verbale datée du 26 février 2015, l’État partie répète que la communication devrait être déclarée irrecevable car manifestement infondée.

6.2L’État partie fait valoir que les articles 19 et 21 du Pacte prévoient certaines restrictions à l’exercice des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique et que ces dispositions du droit international ont été prises en compte dans la législation nationale du Kazakhstan. Il fait référence en particulier aux articles 20 et 32 de la Constitution. Il rappelle que l’exercice des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. C’est la raison pour laquelle la législation nationale du Kazakhstan prévoit un certain nombre de conditions de fond en ce qui concerne la procédure relative à la tenue des événements publics « de nature sociale et politique ». Cela ne signifie pas, cependant, que la tenue de rassemblements, de réunions, de défilés et de manifestations pacifiques soit interdite sur le territoire du Kazakhstan. Dès lors que les conditions établies par la législation nationale sont remplies, rien ne fait obstacle à la tenue d’événements publics. L’État partie soutient que le droit de réunion pacifique est limité par la loi dans presque tous les pays démocratiques développés, qui imposent des conditions particulières à son exercice. Il rappelle également que les Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE reconnaissent elles aussi qu’il peut être nécessaire d’imposer des restrictions ou des limites à l’exercice du droit à la liberté de réunion (voir par. 4.4 ci-dessus).

6.3L’État partie affirme que l’auteur a ignoré à plusieurs reprises les prescriptions établies dans la législation nationale du Kazakhstan en participant de façon active à des rassemblements non autorisés, le 24 mars 2012 et le 28 avril 2012. Par conséquent, contrairement à ce qu’affirme l’auteur dans la communication soumise au Comité, sa responsabilité administrative a été engagée non pas pour avoir exercé ses droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique mais plutôt pour avoir enfreint les prescriptions de la législation nationale relatives à l’exercice de ces droits.

6.4L’État partie répète aussi que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif car l’auteur n’a pas déposé directement devant le Procureur général une requête demandant l’ouverture d’une procédure de contrôle juridictionnel des décisions administrative rendues dans son dossier, en joignant une copie de la réponse qu’il avait reçue du Procureur général adjoint.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 21 avril 2015, l’auteur a transmis ses commentaires concernant les observations complémentaires de l’État partie. Il attire l’attention du Comité sur le fait que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi l’auteur et les autres participants aux rassemblements pacifiques des 24 mars et 28 avril 2012 n’avaient pas obtenu la possibilité d’exprimer leur solidarité à l’égard des travailleurs de l’industrie pétrolière de Janaozen et leur désaccord vis-à-vis de la manière dont les autorités de l’État partie avaient réagi aux événements tragiques de Janaozen si, ce faisant, les participants aux rassemblements pacifiques ne représentaient aucune menace pour la sécurité nationale, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques.

7.2L’auteur soutient également, dans une argumentation très détaillée, qu’en l’espèce les autorités de l’État partie ont enfreint les six principes directeurs suivants qui figurent dans les Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE, que le Kazakhstan, comme l’ensemble des autres pays membres de l’OSCE, a adoptées : a) la présomption en faveur de la tenue de réunions ; b) l’obligation positive de l’État de faciliter et de protéger les réunions pacifiques ; c) la légalité ; d) la proportionnalité ; e) la bonne administration ; et f) la non-discrimination. L’auteur soutient, en particulier, que les autorités de l’État partie ont pris des « mesures préventives » pour le dissuader de participer au rassemblement de contestation du 28 avril 2012 en le menaçant de sanctions (voir par. 2.2 ci-dessus), et qu’il était disproportionné et n’était pas « nécessaire » au sens des articles 19 (par. 3) et 21 du Pacte d’engager à plusieurs reprises des poursuites administratives contre lui au seul motif de sa participation à des rassemblements pacifiques.

7.3L’auteur fait également référence à la décision no 167 prise par le conseil municipal (maslikhat) d’Almaty en date du 29 juillet 2005, autorisant la tenue des manifestations publiques non officielles « de nature sociale ou politique », uniquement sur la place située derrière le cinéma Sary Arka. Conformément à cette même décision du maslikhat d’Almaty, les manifestations officielles organisées aux niveaux national et local par les organes de l’État compétents, ainsi que les autres manifestations auxquelles participent de hauts fonctionnaires de l’État et des responsables municipaux, doivent se tenir sur la place de la République. Les autres places et jardins doivent servir à l’accueil des activités officielles, culturelles et de divertissement suivant leur destination architecturale et fonctionnelle. L’auteur soutient que la décision du maslikhat d’Almaty a eu pour effet de classer l’ensemble des manifestations publiques organisées à Almaty en deux catégories, à savoir celles organisées par l’État et celles organisées par des acteurs non gouvernementaux et, en fonction de leur objet, de créer une distinction supplémentaire entre les manifestations « de nature sociale et politique » et celles d’une autre nature. En conséquence, conformément à la décision du maslikhat d’Almaty, toutes les manifestations organisées et gérées par l’État, ainsi que les manifestations n’ayant pas un caractère politique (par exemple, les manifestations sportives, les compétitions, les concerts, les manifestations commerciales et les foires), peuvent se tenir sur toute place ou dans tout jardin, parc ou rue qui s’y prête. En revanche, toutes les manifestations « de nature sociale et politique » ne peuvent se tenir que sur la place située derrière le cinéma Sary Arka. Par conséquent, le fait pour les autorités de l’État partie d’autoriser des manifestations « de nature sociale ou politique » en un seul endroit désigné à cet effet, tout en permettant la tenue de manifestations publiques organisées par l’État ou n’ayant pas un caractère politique en d’autres lieux, répond à des motivations politiques et constitue une discrimination.

7.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas épuisé les voies de recours internes (voir par. 4.7 et 6.4 ci-dessus), l’auteur affirme que déposer un recours auprès du Bureau du Procureur n’est pas un recours utile qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Néanmoins, il a déposé des recours auprès du Bureau du Procureur d’Almaty et du Bureau du Procureur général afin que soit engagée une procédure de contrôle des décisions administratives rendues dans son dossier, mais ces demandes ont été rejetées. Par conséquent, tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts ont été épuisés.

Observations complémentaires de l’État partie et de l’auteur

8.Dans une note verbale datée du 2 juillet 2015, l’État partie répète que la présente communication devrait être déclarée irrecevable et qu’il n’y a eu aucune violation des droits que le Pacte garantit à l’auteur.

9.Le 14 septembre 2015, l’auteur a soumis des commentaires sur les nouvelles observations communiquées par l’État partie le 2 juillet 2015. Il répète ses griefs selon lesquels l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Il attire également l’attention du Comité sur le rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, Maina Kiai, sur sa visite au Kazakhstan (19-27 janvier 2015). Il présente également un certain nombres d’autres dispositions qui devraient figurer dans la nouvelle loi sur les réunions pacifiques. En outre, il soutient que l’État partie n’a pas, jusqu’à présent, donné suite aux constatations rendues par le Comité dans la communication no 2137/2012, Toregozhina c. Kazakhstan , qui est semblable à la présente communication quant au fond. Il ajoute que dans la communication susmentionnée, le Comité a affirmé en particulier que l’État partie était tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cette fin, l’État partie devrait procéder à une réforme de sa législation, en particulier de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques au Kazakhstan, telle qu’elle a été appliquée en l’espèce, afin que les droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte puissent être exercés sans réserve sur son territoire.

10.Dans une note verbale datée du 5 novembre 2015, l’État partie a répété ses observations initiales du 20 octobre 2014 et ses observations complémentaires du 26 février 2015, affirmant que la communication devrait être déclarée irrecevable car manifestement infondée.

11.Le 18 novembre 2015, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les nouvelles observations de l’État partie datées du 5 novembre 2015. Il a rappelé qu’au Kazakhstan, la tenue d’une manifestation pacifique publique était soumise à l’obtention d’une autorisation préalable et qu’à Almaty ces autorisations ne sont délivrées que pour un seul lieu, à savoir la place située derrière le cinéma Sary Arka (voir par. 7.3 ci-dessus). Il affirme également que rien n’empêche le Bureau du Procureur général d’engager devant la Cour suprême une procédure de contrôle juridictionnel des décisions administratives rendues dans son dossier, en vertu de l’article 40 du Code des infractions administratives. L’auteur rappelle en outre qu’il a déjà déposé une requête devant le Procureur général afin que soit engagée une procédure de contrôle des décisions administratives rendues dans son dossier, requête qui a été rejetée par le Procureur général adjoint. Par conséquent, le dépôt d’une nouvelle requête devant le Procureur général dans le même but n’aboutirait pas à un résultat différent.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

12.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

12.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

12.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles puisqu’il n’a pas demandé au Procureur général d’engager une procédure de contrôle des décisions administratives rendues dans son dossier devant la Cour suprême. Le Comité rappelle sa jurisprudence et souligne que le dépôt d’une demande au titre de la procédure de contrôle en vue d’obtenir le réexamen de décisions judiciaires devenues exécutoires, auprès d’un procureur dont le pouvoir est discrétionnaire, ne constitue pas un recours devant être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Le Comité note également que l’auteur a déposé une demande au titre de la procédure de contrôle auprès du Bureau du Procureur général afin que les décisions rendues dans son dossier administratif soient réexaminées par la Cour suprême et que cette demande a été rejetée pour défaut de fondement par le Procureur général adjoint. En conséquence, le Comité considère qu’en l’espèce, les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

12.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. En conséquence, il déclare la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

13.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

13.2Le Comité note que, d’après l’auteur, en retenant sa responsabilité administrative au seul motif qu’il avait participé à des rassemblements pacifiques, l’État partie a violé son droit de réunion pacifique. L’auteur rappelle à cet égard qu’à deux reprises, il a été arrêté par la police juste après la dispersion d’un rassemblement pacifique. L’État partie soutient qu’en réalité l’auteur a été arrêté et condamné à une sanction administrative pour avoir participé à des manifestations publiques non autorisées. Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Étant donné que les réunions visent en général à exprimer une opinion, les participants doivent, dans la mesure du possible, pouvoir tenir des réunions « à portée de vue et d’ouïe » du public cible, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées conformément à la loi ; et b) qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Le droit de réunion pacifique peut, dans certains cas, être restreint mais il incombe aux autorités de démontrer que toute restriction est justifiée. Les autorités doivent être en mesure de démontrer que toute restriction satisfait au critère de légalité, et qu’elle est à la fois nécessaire et proportionnée à l’un au moins des motifs de restriction autorisés, énumérés à l’article 21. Lorsque cette preuve n’est pas faite, il y a violation de l’article 21. Lorsque des restrictions sont imposées, il convient de chercher à faciliter l’exercice du droit visé et non de s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. Les restrictions ne doivent pas être discriminatoires, porter atteinte à l’essence du droit ni viser à décourager ou dissuader la population de participer à des réunions.

13.3Le Comité souligne que les régimes d’autorisation, dans le cadre desquels ceux qui souhaitent se réunir doivent demander aux autorités la permission de le faire (ou la délivrance d’un permis) mettent à mal le principe selon lequel le droit de réunion pacifique est un droit fondamental. Lorsqu’un tel régime est appliqué, il doit, dans la pratique, fonctionner comme un système de notification et l’autorisation doit être accordée automatiquement dès lors qu’aucune raison impérieuse ne s’y oppose. Qui plus est, les formalités administratives ne devraient pas être excessivement lourdes. À l’inverse, un système de notification ne doit pas se transformer dans la pratique en régime d’autorisation.

13.4Le Comité observe que, d’après l’auteur, ni les autorités administratives ni les tribunaux de l’État partie n’ont expliqué en quoi il était nécessaire d’engager des poursuites administratives contre lui au seul motif de sa participation à des rassemblements pacifiques, quoique non autorisés. Il observe également que, selon l’État partie, la restriction en cause a été imposée à l’auteur conformément au Code des infractions administratives et aux dispositions de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques. Le Comité prend note aussi de l’argument de l’État partie selon lequel l’obligation de solliciter l’autorisation d’une autorité exécutive locale pour organiser une réunion pacifique vise à protéger l’ordre public ainsi que les droits et libertés des autres citoyens. Toutefois, il relève à ce sujet que l’auteur soutient que, bien que la restriction ait pu être légale au regard du droit interne, sa détention et les poursuites administratives dont il a été l’objet n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique aux fins de la poursuite des objectifs légitimes invoqués par l’État partie. L’auteur soutient en outre que les rassemblements pacifiques, qui concernaient des questions importantes − la commémoration de la fusillade contre les manifestants à Janaozen et la contestation de la réponse apportée par les autorités aux événements tragiques de Janaozen − étaient pacifiques et n’ont porté préjudice à personne et à aucun bien, ni représenté un danger pour personne ni pour aucun bien.

13.5Le Comité note que l’État partie s’est appuyé sur les dispositions de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques, qui exige qu’une demande soit présentée au moins dix jours avant l’événement prévu et que l’autorisation des autorités exécutives locales soit reçue, ce qui constitue des restrictions du droit de réunion pacifique. Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique est un droit, et non un privilège. Pour être conformes au Pacte, les restrictions à ce droit, même si elles sont autorisées par la loi, doivent également satisfaire aux conditions énoncées dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Il fait observer que les restrictions imposées pour protéger « les droits et libertés d’autrui » peuvent avoir trait à la protection des droits garantis par le Pacte ou d’autres droits de l’homme dont jouissent les personnes qui ne participent pas au rassemblement. Dans le même temps, les rassemblements constituent une utilisation légitime de l’espace public et d’autres types de lieux, et s’ils peuvent, de par leur nature, perturber dans une certaine mesure la vie ordinaire, les perturbations causées doivent être tolérées, à moins qu’elles ne représentent une charge disproportionnée, auquel cas les autorités doivent être en mesure de justifier toute restriction de façon détaillée. Le Comité souligne en outre que l’« ordre public » désigne la somme des règles qui assurent le bon fonctionnement de la société ou l’ensemble des principes fondamentaux sur lesquels repose la société, dont fait également partie le respect des droits de la personne, et notamment le droit de réunion pacifique. Les États parties ne devraient pas se fonder sur une définition vague de la notion d’« ordre public » pour justifier des restrictions trop larges du droit de réunion pacifique. Il peut arriver qu’en raison de l’effet perturbateur recherché ou inhérent à la nature même de certains rassemblements pacifiques, un degré de tolérance important soit nécessaire. L’« ordre public » et le « maintien de l’ordre » ne sont pas synonymes, et l’interdiction des « troubles à l’ordre public » en droit interne ne devrait pas être utilisée indûment dans le but de restreindre le droit de réunion pacifique. Le Comité note toutefois que l’État partie n’a fourni aucune précision quant à la nature de la gêne occasionnée par les rassemblements en cause, ni aucune information sur la manière dont ces rassemblements avaient, de ce point de vue, franchi les limites de l’acceptable.

13.6Le Comité rappelle que, selon l’article 21 du Pacte, toute restriction doit être « nécessaire dans une société démocratique ». Les restrictions doivent donc être nécessaires et proportionnées dans une société fondée sur la démocratie, l’état de droit, le pluralisme politique et les droits de l’homme, et ne sauraient être seulement raisonnables ou opportunes. Elles doivent apporter une réponse appropriée à un besoin social impérieux et se rapporter à l’un des motifs légitimes énoncés à l’article 21. Elles doivent aussi être le moyen le moins intrusif d’atteindre l’objectif de protection recherché. Elles doivent en outre être proportionnées, ce qui suppose de porter un jugement de valeur et de mettre en balance, d’une part la nature de l’ingérence et son effet préjudiciable sur l’exercice du droit, et d’autre part le résultat bénéfique de cette ingérence au regard du motif invoqué. Si le préjudice causé l’emporte sur le bénéfice obtenu, la restriction est disproportionnée et, partant, inadmissible. Le Comité observe en outre que l’État partie n’a pas démontré que la condamnation répétée de l’auteur à quinze jours de détention administrative pour sa participation à des rassemblements pacifiques était, dans une société démocratique, nécessaire à la poursuite d’un but légitime ou proportionnée à ce but, au sens des conditions strictes énoncées dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Le Comité rappelle aussi que toute restriction à la participation à une réunion pacifique devrait être basée sur une évaluation individuelle ou différenciée du comportement des participants et de la réunion concernés. Les restrictions systématiques imposées aux réunions pacifiques sont présumées disproportionnées. Pour ces raisons, le Comité conclut que l’État partie n’a pas justifié la restriction du droit de réunion pacifique de l’auteur, et a donc violé l’article 21 du Pacte.

13.7Le Comité prend également note du grief de l’auteur selon lequel le droit à la liberté d’expression qu’il tient de l’article 19 du Pacte a été violé. Le Comité doit donc déterminer si les restrictions imposées à l’auteur étaient autorisées en qu’elles correspondaient à l’une des restrictions prévues à l’article 19 (par. 3) du Pacte.

13.8Le Comité note que la sanction infligée à l’auteur pour avoir exprimé son point de vue en participant à des manifestations publiques a porté atteinte au droit de répandre des informations et des idées de toute espèce, qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Il rappelle que l’article 19 (par. 3) du Pacte autorise certaines restrictions, qui doivent toutefois être prévues par la loi et nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui et à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou de la moralité publiques. Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il affirme que ces libertés sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu et sont essentielles pour toute société. Elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Les restrictions imposées à l’exercice de ces libertés doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Elles doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire. Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de démontrer que les restrictions imposées aux droits que l’auteur tient de l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées.

13.9En ce qui concerne la restriction de la liberté d’expression de l’auteur, le Comité rappelle qu’il importe de préserver un espace pour le discours politique, qui bénéficie d’une protection particulière en tant que forme d’expression. Il note que, selon l’auteur, les rassemblements pacifiques ont été organisés pour commémorer la fusillade contre les manifestants à Janaozen et pour contester la manière dont les autorités avaient réagi aux événements tragiques de Janaozen. En l’absence de toute information pertinente fournie par l’État partie expliquant en quoi la restriction imposée était conforme aux dispositions de l’article 19 (par. 3) du Pacte, le Comité conclut que les droits garantis à l’auteur par l’article 19 (par. 2) ont été violés.

14.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte.

15.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures voulues pour accorder à l’auteur une indemnisation appropriée et le remboursement de tous les frais de procédure qu’il a pu engager. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations analogues se reproduisent. À ce propos, le Comité rappelle que, conformément aux obligations qui lui incombent au regard de l’article 2 (par. 2) du Pacte, l’État partie devrait réviser sa législation de façon à garantir sur son territoire la pleine jouissance des droits consacrés par les articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte, notamment du droit d’organiser et de tenir des rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques.

16.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.