Nations Unies

CCPR/C/130/D/2330/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

9 mars 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2330/2014 * , **

Communication présentée par:

Svetlana Goldade (non représentée par un conseil)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur, Anatoly Poplavny et Leonid Sudalenko

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

11 avril 2013 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 10 janvier 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

6 novembre 2020

Objet:

Sanction pour participation à une réunion pacifique

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Liberté d’expression ; liberté de réunion

Article(s) du Pacte:

19 et 21, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3)

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteure de la communication est Svetlana Goldade, de nationalité bélarussienne, née en 1946. Elle soumet la communication en son nom propre et au nom d’Anatoly Poplavny et de Leonid Sudalenko, de nationalité bélarussienne, nés respectivement en 1958 et 1966. L’auteure affirme que le Bélarus a violé les droits qu’ils tiennent des articles 19 et 21 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteure n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 10 juillet 2012, l’auteure et les deux autres victimes présumées ont déposé auprès du Comité exécutif de la ville de Homiel (ci-après, le Comité exécutif), autorité municipale d’une ville d’environ 500 000 habitants, une demande d’autorisation de tenir un piquet le 4 août 2012 sur une place proche du grand magasin de Homiel, afin de protester contre les poursuites pénales engagées contre Aleksander Belyatsky, un défenseur des droits de la personne, et plusieurs autres militants politiques.

2.2Le 19 juillet 2012, le Comité exécutif a refusé d’autoriser le piquet au motif que l’auteure et les autres victimes alléguées n’avaient pas respecté les conditions définies dans sa décision no 299 du 2 avril 2008, sur les manifestations de masse dans la ville de Homiel. Cette décision impose que les organisateurs de manifestations publiques organisent celles-ci dans un seul lieu éloigné et qu’ils concluent, au préalable, des contrats de service avec la police locale pour qu’elle puisse assurer le maintien de l’ordre public et de la sécurité pendant l’événement, avec l’hôpital local pour que des professionnels de la santé soient présents pour faire face aux urgences médicales, et avec l’entité locale d’entretien des routes pour qu’elle nettoie après l’événement. L’auteure affirme que sa demande a été rejetée parce que la manifestation était prévue ailleurs que dans le lieu fixe désigné par le Comité exécutif et parce qu’elle et les autres victimes présumées n’avaient passé de contrat ni avec la police ni avec les services de santé et de nettoyage avant la manifestation prévue.

2.3Le 31 juillet 2012, l’auteure et les autres victimes présumées ont saisi le tribunal du district central de Homiel d’un recours contre la décision du Comité exécutif. Le 23 août 2012, le tribunal du district central de Homiel a rejeté leur recours et a confirmé la légalité de la décision du Comité exécutif.

2.4À une date non précisée, l’auteure et les autres victimes présumées ont déposé un recours en cassation devant le tribunal régional de Homiel, qui l’a rejeté le 4 octobre 2012. Toujours à des dates non précisées, ils ont adressé une requête au Président du tribunal régional de Homiel et au Président de la Cour suprême du Bélarus aux fins d’un réexamen au titre de la procédure de contrôle de la décision du tribunal du district central de Homiel. Le 21 janvier 2013 et le 18 mars 2013 respectivement, les deux juridictions ont rejeté les requêtes.

2.5L’auteure dit qu’elle a épuisé tous les recours internes utiles disponibles. Elle renvoie à la jurisprudence du Comité et affirme qu’elle n’a pas saisi le Bureau du Procureur général d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle car ce mécanisme ne constituait pas un recours interne utile.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure soutient que la décision no 299 du Comité exécutif de la ville de Homiel sur les manifestations de masse dans la ville de Homiel, en date du 2 avril 2008, restreint indûment sa liberté d’expression et son droit de réunion pacifique, ainsi que ceux des autres victimes présumées, en ce qu’elle impose aux organisateurs de manifestations publiques l’obligation de conclure des contrats de service avec la police locale, les professionnels de la santé locaux et l’entité locale d’entretien des routes, et qu’elle désigne un lieu unique éloigné pour la tenue de toutes les manifestations publiques organisées à Homiel, une ville de 500 000 habitants. Elle affirme également que les autorités et les juridictions n’ont pas précisé quel était le but légitime de la restriction imposée à ses droits et à ceux des autres victimes présumées ; elle considère que l’interdiction de réunion pacifique imposée par les autorités locales n’était pas nécessaire à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou la moralité publiques, ou pour assurer le respect des droits et des libertés d’autrui, et qu’elle constitue dès lors une violation des droits qu’elle-même et les autres victimes présumées tiennent des articles 19 et 21, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3) du Pacte.

3.2L’auteure s’appuie sur les constatations du Comité dans l’affaire S c humilin c . Bélarus, dans lesquelles celui-ci a demandé à l’État partie de revoir sa législation, en particulier la loi sur les manifestations et son application, de façon à les rendre conformes aux dispositions de l’article 19 du Pacte, et affirme que cette recommandation n’a toujours pas été mise en œuvre par le Bélarus.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 26 mars 2015, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication. Il explique que, s’il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui se disent victimes de violations des droits qu’elles tiennent du Pacte, il ne reconnaît pas la compétence du Comité pour examiner des communications de tiers représentant des victimes présumées. L’État partie argue que l’article premier du Protocole facultatif ne donne pas à l’auteur d’une communication le droit de représenter les intérêts d’autres victimes mentionnées dans la communication.

4.2L’État partie conteste l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle aurait épuisé tous les recours internes disponibles, comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif. Il soutient que le Protocole facultatif n’énonce aucun critère d’« utilité » des recours internes, de sorte que tous les recours internes disponibles doivent être pleinement épuisés avant qu’une communication puisse être adressée au Comité.

4.3L’État partie déclare que, parce que la communication a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, il ne coopérera pas avec le Comité en ce qui la concerne.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une lettre datée du 14 mai 2015, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Elle remarque que, conformément à la jurisprudence du Comité, une personne qui soumet une communication au Comité peut désigner un nombre indéfini de victimes. Elle renvoie à l’affaire Kalyakin  et consorts c . Bélarus, dans laquelle le Comité a conclu à une violation, au regard du Pacte, des droits de l’auteur et de 20 autres victimes.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteure argue que les recours doivent non seulement être disponibles, mais aussi utiles. Elle explique qu’elle n’a pas porté plainte auprès du Bureau du Procureur général parce qu’elle ne considère pas la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle comme un recours utile.

5.3S’agissant des arguments relatifs à la compétence du Comité pour examiner la communication, l’auteure souligne qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité était compétent non seulement pour rendre des décisions concernant des violations du Pacte, mais aussi, en vertu de l’article 40 (par. 4), pour adresser aux États parties ses propres rapports, ainsi que toutes observations générales qu’il jugerait appropriées. Le rôle du Comité consiste fondamentalement à interpréter les dispositions du Pacte et à élaborer une jurisprudence. En refusant de reconnaître la pratique établie, les méthodes de travail et la jurisprudence du Comité, l’État partie refuse en fait de reconnaître la compétence du Comité pour interpréter le Pacte, ce qui va à l’encontre de l’objectif visé par cet instrument. L’État partie est tenu non seulement d’appliquer les décisions du Comité, mais aussi de reconnaître ses pratiques établies, ses méthodes de travail et sa jurisprudence. Cet argument est fondé sur le principe le plus important du droit international, pacta sunt servanda, selon lequel tout traité en vigueur lie les parties, qui doivent le respecter de bonne foi.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

6.1Le Comité constate que l’État partie soutient que la communication a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif et qu’il ne coopérera pas avec le Comité en ce qui la concerne.

6.2Le Comité rappelle que l’article 39 (par. 2) du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Il fait observer qu’en adhérant au Protocole facultatif, tout État partie au Pacte reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes de violations de l’un des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1 du Protocole facultatif). En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie s’engage implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux intéressés (par. 1 et 4 de l’article 5). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations, est incompatible avec ces obligations. C’est au Comité qu’il appartient de décider si une communication doit être enregistrée. Le Comité souligne qu’en ne reconnaissant pas sa compétence pour ce qui est de décider de l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas sa décision concernant la recevabilité ou le fond de la communication, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité constate que l’auteure n’a pas formé de demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle auprès du Bureau du Procureur général du Bélarus. Sur ce point, il prend note de ce que selon l’État partie, l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles et le Protocole facultatif n’énonce aucun critère d’« utilité » des recours internes, de sorte que tous les recours internes disponibles doivent être pleinement épuisés avant qu’une communication puisse être adressée au Comité. Il prend note également de l’argument de l’auteure selon lequel elle a saisi le tribunal du district central de Homiel d’un recours contre la décision du Comité exécutif de la ville de Homiel, recours qui a été rejeté le 23 août 2012. Elle a déposé un recours en cassation devant le tribunal régional de Homiel, qui a été rejeté le 4 octobre 2012, et a saisi le tribunal régional de Homiel et la Cour suprême du Bélarus de demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle, demandes respectivement rejetées le 21 janvier 2013 et le 18 mars 2013. Le Comité prend note en outre l’argument de l’auteure selon lequel si elle n’a pas saisi le Bureau du Procureur général d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, c’est parce qu’elle ne le considérait pas comme un recours utile.

7.4Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’introduction auprès du ministère public d’une demande de réexamen visant des décisions judiciaires passées en force de chose jugée ne fait pas partie des recours devant être épuisés aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

7.5Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle l’État partie a manqué aux obligations que lui impose l’article 2 (par. 2), lu conjointement avec les articles 19 et 21 du Pacte. Le Comité rappelle que les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être invoquées dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif en conjonction avec d’autres articles du Pacte, sauf lorsque le non-respect par l’État partie de ses obligations au titre de l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime. Le Comité remarque toutefois que l’auteure a déjà allégué une violation des droits qu’elle tient des articles 19 et 21, qui résulterait de l’interprétation et de l’application des lois en vigueur dans l’État partie, et il considère que l’examen d’un manquement aux obligations générales découlant pour l’État partie de l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21, n’est pas distinct de l’examen d’une violation des droits que l’auteure tient des articles 19 et 21 du Pacte. En conséquence, il considère que les griefs soulevés par l’auteure à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et dès lors irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6L’État partie n’ayant donné aucune information sur les faits de l’espèce, le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’elle tire des articles 19 et 21 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3), et les déclare recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel les droits qu’elle-même et les autres victimes présumées tiennent de l’article 21 du Pacte ont été violés par le refus des autorités municipales de les autoriser à tenir un piquet. Dans son observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique, le Comité a indiqué que les réunions pacifiques pouvaient en principe être organisées en tout lieu accessible au public ou auquel le public devrait avoir accès, comme les places publiques et la voie publique. Les réunions pacifiques ne devraient pas être reléguées dans des endroits isolés où elles ne peuvent pas attirer l’attention de ceux à qui elles s’adressent ou du grand public. En règle générale, il ne peut être imposé d’interdictions générales d’organiser des rassemblements en tous lieux de la capitale, en tous lieux publics à l’exception d’un lieu unique en ville ou en dehors du centre-ville, ou sur l’ensemble de la voie publique d’une ville. Exiger des participants ou des organisateurs qu’ils assurent l’encadrement et le maintien de l’ordre et la fourniture de soins médicaux pendant les rassemblements pacifiques ou le nettoyage du site après la réunion ou tous autres services publics connexes et qu’ils en assument les coûts n’est généralement pas compatible avec l’article 21.

8.3Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, consacré par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose la possibilité d’organiser une réunion pacifique, notamment un rassemblement immobile (comme un piquet) dans un lieu public, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont en règle générale le droit de choisir un lieu qui soit à portée de vue et de voix du public ciblé, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions a) imposées conformément à la loi, et b) nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. Lorsqu’ils imposent des restrictions au droit de réunion des particuliers afin de concilier ce droit avec les intérêts généraux susmentionnés, les États parties doivent chercher à faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti par l’article 21 du Pacte.

8.4En l’espèce, le Comité doit déterminer si les restrictions imposées au droit de réunion pacifique de l’auteure sont justifiées au regard de l’un quelconque des critères énoncés dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Le Comité constate qu’il ressort des informations versées au dossier que ni les autorités municipales, ni les juridictions nationales n’ont justifié leur décision ni expliqué en quoi, dans la pratique, la manifestation prévue par l’auteure et les autres victimes présumées aurait porté atteinte à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à l’ordre public, à la santé ou la moralité publiques ou aux droits et aux libertés d’autrui, cas prévus par l’article 21 du Pacte. L’État partie n’a pas non plus montré que d’autres mesures avaient été prises pour faciliter l’exercice des droits que les auteurs tiennent de l’article 21.

8.5En l’absence de toute explication de l’État partie sur la question, le Comité conclut que celui-ci a violé les droits que l’auteure et les autres victimes présumées tiennent de l’article 21, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

8.6Le Comité prend également note du grief de l’auteure selon lequel elle-même et les autres victimes présumées ont vu leur droit à la liberté d’expression restreint illégalement, en ce qu’on leur a refusé l’autorisation de tenir un piquet pour protester contre les poursuites pénales engagées contre plusieurs militants politiques. Le Comité considère que la question de droit dont il est saisi est celle de savoir si l’interdiction de tenir un piquet public faite à l’auteur et aux autres victimes présumées par des autorités municipales exécutives de l’État partie constitue une violation de l’article 19 du Pacte.

8.7Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il souligne notamment que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique. Il fait observer que l’article 19 (par. 3) du Pacte autorise l’application de certaines restrictions à la liberté d’expression, y compris la liberté de répandre des informations et des idées, dans la seule mesure où ces restrictions sont fixées par la loi et sont nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou de la moralité publiques. Enfin, les restrictions de la liberté d’expression ne doivent pas avoir une portée trop large : elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et elles doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions apportées aux droits que l’auteure et les autres victimes présumées tiennent de l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées.

8.8Le Comité constate que le refus d’autoriser la tenue du piquet était fondé sur la décision no 299 du Comité exécutif de la ville de Homiel sur les manifestations de masse dans la ville de Homiel, en date du 2 avril 2008. Il relève toutefois que ni l’État partie, ni les juridictions nationales n’ont expliqué en quoi les restrictions imposées, à savoir le confinement des réunions pacifiques à un lieu unique prédéterminé et l’obligation faite aux organisateurs de conclure au préalable des contrats de services avec différents organismes publics, étaient justifiées au regard des critères de nécessité et de proportionnalité énoncés à l’article 19 (par. 3) du Pacte. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le Comité conclut que les droits que l’auteure et les autres victimes présumées tiennent de l’article 19 (par. 2) du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), ont été violés.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteure et les autres victimes présumées tiennent de l’article 19 (par. 2) et de l’article 21, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. Il réaffirme sa conclusion selon laquelle l’État partie a également manqué aux obligations mises à sa charge par l’article premier du Protocole facultatif.

10.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure et aux autres victimes un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’octroyer à l’auteure et aux autres victimes une indemnisation adéquate. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas, notamment en revoyant sa législation et l’application de celle-ci, afin d’assurer leur compatibilité avec l’obligation qui lui incombe d’adopter des mesures propres à donner effet aux droits reconnus par les articles 19 et 21 du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.