Nations Unies

CCPR/C/130/D/2587/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

7 mai 2021

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2587/2015*,**

Communication présentée par:

Étienne Abessolo

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie:

Cameroun

Date de la communication:

16 octobre 2014 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 septembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

30 octobre 2020

Objet:

Absence de voie de recours en indemnisation

Question(s) de procédure:

Irrecevabilité ratione materiae ;non-épuisement des voies de recours internes

Question(s) de fond:

Recours utile

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3) et 14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est Étienne Abessolo, de nationalité camerounaise, né en 1956. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 3) et 14 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 27 septembre 1984. L’auteur, avocat de profession, n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 18 novembre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de rejeter la demande de l’État partie, qui l’avait prié d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 9 août 2000, l’auteur et le Port autonome de Douala ont signé une convention d’abonnement, de représentation et d’assistance juridique pour une durée indéterminée. En décembre 2006, dans le cadre de l’exécution du contrat, l’auteur a été inculpé pour détournement de deniers publics commis en groupe. Il a été renvoyé avec 12 autres coaccusés devant le tribunal de grande instance du Wouri à Douala, dans le cadre d’une vaste opération judiciaire de lutte anticorruption, l’Opération Épervier.

2.2Les 12 et 13 décembre 2007, l’auteur ainsi que huit autres coaccusés ont été acquittés par jugement du tribunal de grande instance du Wouri à Douala. Le parquet près ce tribunal a interjeté appel du jugement d’acquittement. Le 11 juin 2009, la cour d’appel du Littoral de Douala a déclaré tous les coaccusés coupables et a condamné l’auteur à quinze ans d’emprisonnement ferme ainsi qu’au paiement, solidairement avec le Directeur général du Port autonome de Douala, lui-même condamné à une incarcération à vie, de la somme de 188 794 955 francs CFA (environ 280 000 euros) au Port autonome de Douala à titre de dommages-intérêts, alors que ce dernier n’avait pas fait appel contre l’auteur.

2.3En exécution du jugement de la cour d’appel du Littoral de Douala, l’auteur a été placé en détention le 12 juin 2009. Il s’est pourvu en cassation et a déposé une requête en mainlevée du mandat d’incarcération, enregistrée le 24 juin 2009 au secrétariat de la Cour suprême. Par un arrêt du 21 janvier 2010, la section pénale de la Cour suprême a déclaré la requête irrecevable au motif que le pourvoi lui-même était irrecevable.

2.4L’auteur a introduit une deuxième requête, enregistrée le 16 mars 2010 au secrétariat de la Cour suprême, aux mêmes fins et a réintroduit le pourvoi. D’après la loi camerounaise, vu que cette procédure visait une mesure de privation de liberté, elle a été classée parmi les procédures d’urgence. Le 20 septembre 2010, l’auteur a saisi le Premier Président de la Cour suprême, sollicitant que sa requête bénéficie de l’urgence qu’impliquait son objet. Sans nouvelles de son recours, l’auteur a saisi de nouveau le Premier Président de la Cour suprême pour attirer son attention sur sa situation. Le dossier a été enrôlé une nouvelle fois le 16 juin 2011 et a été de nouveau renvoyé au rôle général. Les débats ont été ouverts, l’affaire a été mise en délibéré et un arrêt devait être rendu le 21 juin 2012. À cette audience, le délibéré a été rabattu et l’affaire a été renvoyée au 19 juillet 2012, date à laquelle l’affaire a été retirée du rôle une nouvelle fois et l’auteur n’en a plus entendu parler.

2.5Le 2 mai 2013, l’auteur a présenté une troisième requête en vue de sa mise en liberté. Cette nouvelle requête a été également déclarée irrecevable au motif que le pourvoi lui-même était irrecevable. Entre-temps, le pourvoi a progressé quant au fond et l’affaire a été examinée lors de l’audience du 29 avril 2014, au cours de laquelle l’auteur a été acquitté par la Cour suprême.

2.6L’auteur explique qu’il a subi de nombreux préjudices, tant moraux que matériels, du fait des cinq années passées en détention. Il affirme que, selon le Code de procédure pénale, une indemnisation est possible en cas de longue détention qui se solde par un acquittement définitif. Le Code de procédure pénale prévoit qu’une commission d’indemnisation, présidée par un conseiller de la Cour suprême et composée, entre autres, de deux magistrats de la cour d’appel, de représentants de la fonction publique et d’un représentant de l’ordre des avocats, devrait être mise en place. Cette commission est la seule instance compétente pour traiter des demandes d’indemnisation et de réparation. Toutefois, cette commission n’a pas été formellement établie et l’auteur n’a pas pu présenter sa demande.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le fait que la commission d’indemnisation prévue par le Code de procédure pénale n’a jamais été établie par l’État partie l’empêche de soumettre sa demande de réparation et qu’en conséquence, il est victime d’une violation de ses droits au titre des articles 2 (par. 3) et 14 (par. 1) du Pacte.

3.2L’auteur estime que les voies de recours internes ont été épuisées, car l’objet même de la requête est l’absence de voie de recours en indemnisation par suite de sa longue détention provisoire, qui s’est soldée par un acquittement définitif.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 13 août 2015, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication. Il estime que, suivant une jurisprudence constante du Comité, l’article 14 (par. 6) du Pacte, reflété dans le droit interne par l’article 544 du Code de procédure pénale, évoqué par l’auteur, n’est recevable que si trois conditions sont réunies : une condamnation pénale définitive, une peine subie en raison de cette condamnation, et une annulation ou grâce ultérieure en raison d’un fait nouveau ou nouvellement révélé. L’État partie souligne également que le recours en révision n’est recevable, aux termes de l’article 535 du Code de procédure pénale, qu’à l’encontre d’une décision de condamnation passée en force de chose jugée.

4.2L’État partie souligne qu’en l’espèce, les trois conditions susmentionnées ne sont pas réunies. L’arrêt no 038/CRIM du 11 juin 2009 de la cour d’appel du Littoral à Douala, en vertu duquel l’auteur a été incarcéré, n’est pas définitif. Évoquant l’affaire Anderson c . Australie, l’État partie souligne que le Comité a déjà établi que la condamnation n’est pas définitive s’il est encore possible de faire appel. L’État partie indique que l’auteur a déclaré qu’il avait exercé un pourvoi devant la Cour suprême contre cette décision et que son recours avait été reçu et examiné. Étant donné que la première condition énumérée à l’article 14 (par. 6) du Pacte (condamnation pénale définitive) n’est pas réalisée, il s’ensuit que la deuxième condition ne l’est pas non plus.

4.3L’État partie fait valoir que la troisième condition n’est pas non plus réalisée, vu que la Cour suprême n’a pas été saisie d’un fait nouveau ou nouvellement révélé. Il souligne que l’arrêt de la haute juridiction révèle que ce sont les mêmes faits portés à l’appréciation des premiers juges qui lui ont été soumis, et que la Cour a simplement eu une appréciation différente de celle des juges d’appel qui avaient déclaré la culpabilité de l’auteur. L’État partie ajoute qu’en l’espèce, on ne peut pas non plus parler d’erreur judiciaire dans la mesure où les recours ordinaires prévus par le Code de procédure pénale ont permis de statuer définitivement sur la situation de l’auteur.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans sa soumission du 14 septembre 2015, l’auteur fait valoir que, bien que l’article 544 du Code de procédure pénale soit le reflet en droit interne de l’article 14 (par. 6) du Pacte, cette disposition nationale va au-delà du champ des bénéficiaires du droit à l’indemnisation. Il fait valoir également que l’article 544 du Code de procédure pénale prévoit une indemnisation dans tous les cas de relaxe ou d’acquittement, même en l’absence d’un recours en révision.

5.2L’auteur affirme que l’État partie a adopté une lecture réductrice du Pacte et que le droit à l’indemnisation est reconnu par la législation nationale. Il souligne que sa communication ne puise pas son fondement dans l’article 14 (par. 6) du Pacte, mais bien dans l’article 14 (par. 1). À cet égard, l’auteur précise qu’il n’est pas en mesure d’exercer son droit à l’indemnisation du fait que l’État partie n’a pas mis en place la commission prévue à cet effet. En conséquence, il demande au Comité de déclarer la communication recevable.

5.3Le 30 novembre 2016, l’auteur a soumis au Comité des informations additionnelles selon lesquelles la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés l’avait informé que le Président de la Cour suprême avait pris l’ordonnance no 115, rendue le 16 février 2016, portant constatation de la composition et de la mise en place effective de la commission d’indemnisation. L’auteur rappelle que ladite commission est par essence une structure purement administrative et ne peut être considérée comme une émanation de la Cour suprême. L’auteur affirme que, malgré cette ordonnance, la commission d’indemnisation n’est pas opérationnelle. Il ajoute qu’elle reste inconnue du grand public et que son siège n’a pas été fixé. Il indique en outre ne pas être concerné par cette commission d’indemnisation créée en février 2016 seulement, alors que l’article 237 (par. 6) du Code de procédure pénale lui donnait un délai de six mois pour la saisir. L’auteur affirme dès lors que la saisine du Comité est devenue irrévocable.

5.4L’auteur soutient par ailleurs que l’État partie raisonne comme si c’était le droit à l’indemnisation qui posait problème, alors que ce droit est clairement reconnu dans la législation nationale. L’auteur considère que c’est en réalité le problème de l’exercice de ce droit qui se pose, dans la mesure où l’État partie n’a pas mis en place la commission devant examiner sa demande de réparation. L’auteur réitère que la base de la saisine du Comité n’est pas l’article 14 (par. 6) du Pacte, mais bien l’article 14 (par. 1). L’auteur demande au Comité de déclarer la communication recevable et de l’examiner au fond.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et le fond

6.1Dans ses observations du 3 avril 2017, l’État partie souligne que l’auteur a justifié les raisons pour lesquelles il n’avait pas saisi la commission d’indemnisation, notamment son caractère purement administratif et non opérationnel, l’absence de publication de la décision de création de cette commission et l’absence de siège reconnu.

6.2L’État partie rappelle que par suite de l’acquittement de l’auteur, ce dernier a saisi le Président de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés concernant l’impossibilité d’être indemnisé en conséquence de sa détention, en raison de l’absence de la commission d’indemnisation susmentionnée. En réponse à cette correspondance, le 8 novembre 2016, la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés a indiqué à l’auteur que la commission d’indemnisation était désormais effective, selon les informations fournies par le Ministère de la justice.

6.3Sur le fond, l’État partie conteste l’argument de l’auteur selon lequel en raison de sa nature purement administrative, la commission d’indemnisation ne saurait être une émanation de la Cour suprême. Il conteste également qu’un décret d’application de la disposition légale créant la commission était nécessaire pour en désigner les membres. À cet égard, l’État partie estime que, dès lors que le Président de la Cour suprême a constaté la composition de ladite commission le 16 février 2016, par l’ordonnance no 115, le vœu de l’article 237 du Code de procédure pénale était comblé. Il souligne que cette commission d’indemnisation logée au sein de la Cour suprême est présidée par un conseiller de la Cour suprême et composée, entre autres, de deux magistrats issus de la cour d’appel et de représentants de certaines administrations publiques. L’État partie souligne que la présence de représentants de l’administration publique au sein de la commission n’enlève rien de sa nature judiciaire, que ladite commission n’a rien de spécial et qu’elle peut être comparée aux commissions d’assistance judiciaire créées au sein de chaque juridiction par la loi no 2009/004 du 14 avril 2009, y compris auprès de la Cour suprême, intégrant des membres de l’administration publique.

6.4Quant à l’argument de l’auteur sur le non-fonctionnement de la commission d’indemnisation, l’État partie réitère que l’auteur, n’ayant pas saisi cette instance, ne saurait préjuger de son effectivité. L’État partie affirme en outre que l’argument de l’auteur concernant l’absence de siège de ladite commission est inopérant dans la mesure où, la présidence de la commission étant confiée à un conseiller de la Cour suprême et la procédure applicable à la commission étant la même que devant la chambre judiciaire de la Cour suprême, il devient évident que le siège de la commission est à la Cour suprême. L’État partie rappelle que les articles 236 et 237 du Code de procédure pénale ont ainsi établi que la commission d’indemnisation avait son siège à la Cour suprême. En conséquence, l’État partie réitère sa demande au Comité de déclarer la communication irrecevable et, subsidiairement, mal fondée.

6.5Dans sa soumission du 22 janvier 2019, l’État partie réitère que la communication est irrecevable et subsidiairement non fondée. Il affirme que l’auteur n’a pas donné la preuve qu’il avait saisi la commission d’indemnisation et qu’au contraire, il se contente de préjuger de l’indisponibilité du recours en tirant argument de son caractère non opérationnel. L’État partie estime que seule une absence d’examen de la requête de l’auteur par ladite commission aurait pu permettre à ce dernier d’avancer l’argument de l’indisponibilité des recours en indemnisation. L’État partie réitère que la commission d’indemnisation est fonctionnelle et précise qu’elle a déjà été saisie de 16 requêtes qui sont en cours d’examen.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Dans ses commentaires du 7 juillet 2019, l’auteur rappelle qu’il a soumis sa communication au Comité en octobre 2014, alors que la commission d’indemnisation a été mise en place en février 2016 seulement. À cet égard, il fait valoir que l’État partie ne saurait lui demander de saisir un organe qui n’existait pas. L’auteur souligne également que, du fait qu’il n’a pu saisir la commission dans un délai de six mois, il a été frappé de forclusion et qu’en conséquence, il a épuisé toutes les voies de recours internes. L’auteur réitère qu’il a droit à l’indemnisation même si la décision de son acquittement n’est pas consécutive à la découverte d’un fait nouveau, et que l’absence de commission d’indemnisation est une violation de son droit à réparation.

7.2L’auteur conteste la déclaration de l’État partie selon laquelle il a choisi délibérément de ne pas saisir la commission d’indemnisation. Il rappelle qu’en dépit de l’absence de ladite commission, dans le souci de respecter la règle de l’épuisement des voies de recours internes, il a quand même attendu l’expiration des six mois prévus par le Code de procédure pénale avant de saisir le Comité.

7.3L’auteur rappelle que ce n’est qu’après avoir écrit à la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés pour lui faire part de sa forclusion, de l’indisponibilité de la commission d’indemnisation et de la soumission de la présente communication au Comité que le Ministère de la justice a révélé que l’État partie était en train de mettre sur pied ladite commission, qui n’est devenue effective que le 6 juin 2016. L’auteur ajoute que ce n’est pas parce que la commission avait été créée qu’il était relevé de sa forclusion au regard de la loi.

7.4L’auteur conteste le caractère judiciaire allégué de la commission d’indemnisation. S’il est vrai que celle-ci est présidée par un conseiller de la Cour suprême, qui est sa juridiction d’appel, l’auteur souligne qu’elle ne fait pas corps avec la haute juridiction. Il réitère que la commission d’indemnisation n’est pas fonctionnelle et n’a pas été portée à la connaissance des citoyens, et que, par conséquent, elle ne saurait leur être opposable.

7.5Le 29 mai 2019, pour démontrer le caractère dysfonctionnel de la commission d’indemnisation, l’auteur a soumis au Comité une lettre du Bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau du Cameroun indiquant que, jusqu’au mois de mars 2018 à tout le moins, la commission d’indemnisation ne fonctionnait pas. De plus, l’auteur soumet une copie des extraits des réquisitions introductives du Procureur près la Cour suprême, au cours de la cérémonie d’installation des membres de ladite commission le 8 août 2018, et dans lesquelles ce magistrat affirme que la cérémonie consacre « l’entrée effective » de la commission d’indemnisation. L’auteur demande au Comité, en conséquence, de déclarer la communication recevable et fondée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Concernant la recevabilité ratione materiae de la communication, le Comité note l’argument de l’État partie qui fait valoir l’inadéquation du grief soulevé par rapport aux dispositions de l’article14(par. 1) du Pacte. Le Comité note que selon l’État partie, l’auteur soulève des questions qui relèvent de l’application de l’article 14 (par. 6) du Pacte, reflété dans le droit interne par l’article 544 du Code de procédure pénale. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’article14 (par. 6) du Pacte prévoit qu’une personne sera indemnisée, conformément à la loi, lorsqu’une condamnation pénale définitive a été prononcée et qu’elle a subi une peine en raison de cette condamnation, si celle-ci a été annulée ou qu’une grâce a été accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire. Le Comité considère que si l’auteur avait présenté sa communication au titre de l’article 14 (par. 6), celle-ci serait inadmissible dans la mesure où les conditions énumérées par cet article ne sont pas réunies.

8.4Le Comité note toutefois que l’auteur précise que sa communication relève de l’article14(par. 1) et non de l’article 14 (par. 6) du Pacte, comme le prétend l’État partie. Le Comité note également que l’auteur fait valoir une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte en raison de l’absence de recours disponible et de l’absence d’accès à un tribunal pouvant déterminer les droits et obligations conférés par la loi. Le Comité note en outre que l’auteur affirme que l’État partie ne lui a pas garanti un recours utile, en violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte. Ayant constaté que l’État partie n’a pas produit d’éléments suffisants pour contester la recevabilité de la communication sur la base des articles2 (par. 3) et 14(par. 1) du Pacte, lus seuls et conjointement, le Comité estime que le grief soulevé par l’auteur est recevable au titre desdits articles.

8.5Concernant l’argument d’irrecevabilité de la communication pour non-épuisement des voies de recours internes, le Comité observe qu’en l’espèce, l’État partie ne pouvait pas s’attendre à ce que l’auteur sollicite une indemnisation de la part de la commission d’indemnisation alors que cet organe n’était pas encore opérationnel au moment où, légalement, l’auteur pouvait le saisir. Le Comité observe également que, dans ses conclusions, l’État partie ne renseigne pas sur la manière dont l’interdiction faite à l’auteur de déposer une plainte auprès de la commission d’indemnisation par suite de l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 237 (par. 6) du Code de procédure pénale pourrait être levée, et n’indique pas s’il était possible de recourir contre cette mesure dans l’ordre juridique interne, en l’absence de l’effectivité en temps utile de la voie de recours prévue par la loi.

8.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les griefs formulés par l’auteur sont suffisamment fondés, et déclare que la communication est recevable en ce qu’elle concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 1) lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité note que l’auteur fait valoir qu’il a subi de nombreux préjudices, y compris moraux et matériels, en raison des cinq années passées en détention et qu’au regard du Code de procédure pénale, il a droit à une indemnisation si certaines conditions sont satisfaites. Le Comité souligne néanmoins que la présente communication soulève non pas la question de savoir si l’auteur a droit à la compensation, mais celle de l’accès au recours qui lui permettrait de faire valoir et établir son droit à l’indemnisation. Le Comité note l’argument de l’auteur selon lequel le défaut de mise à disposition de la voie de recours prévue à cet effet − en l’occurrence, la commission d’indemnisation − constitue une violation des articles 2 (par. 3) et 14 (par. 1) du Pacte.

9.3En ce qui concerne la nature de la commission d’indemnisation, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel celle-ci est une émanation de la Cour suprême et non une structure purement administrative. Le Comité observe que selon la législation de l’État partie, les décisions des commissions d’indemnisation auxquelles est assimilée la commission évoquée par l’auteur sont assimilées à des jugements civils.

9.4Le Comité considère que le défaut par l’État partie de rendre effective une voie de recours prévue par la loi en vue de la réparation d’un dommage constitue une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Le Comité rappelle qu’il est du devoir de l’État partie, au regard de l’article 2 (par. 3 b)) du Pacte, de s’assurer que l’autorité compétente, selon la législation de l’État, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours, et qu’en l’espèce, non seulement le recours prévu n’était pas disponible en temps utile, mais aucune issue n’était offerte dans la législation interne quant à la manière de recourir contre cette indisponibilité du recours.

9.5En conséquence, le Comité estime qu’en l’espèce, le fait que l’État partie n’a pas mis en temps utile à la disposition de l’auteur le recours en indemnisation prévu par la loi constitue une violation de l’article 14 (par. 1) lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 1) lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

11.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, notamment, de prendre des mesures appropriées pour : a) accorder à l’auteur une réparation adéquate pour la violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte ; et b) donner à l’auteur l’accès à un mécanisme d’indemnisation pour détention injustifiée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.