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Nations Unies

CCPR/C/130/D/2843/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 mars 2021

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2843/2016*,**

Communication présentée par :

Fatima Rsiwi (représentée par un conseil de la Fondation Alkarama)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure et Sadek Rsiwi (époux de l’auteure)

État partie :

Algérie

Date de la communication :

7 septembre 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 8 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

19 octobre 2020

Objet :

Disparition forcée

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; liberté et sécurité de la personne ; dignité humaine ; reconnaissance de la personnalité juridique

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2 et 3), 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1), 16, 19 et 23 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2)

1.L’auteure de la communication est Fatima Rsiwi, de nationalité algérienne. Elle fait valoir que son époux, Sadek Rsiwi, né en 1942, de nationalité algérienne également, est victime d’une disparition forcée imputable à l’État partie, en violation des articles 2 (par. 3), 6, 7, 9, 10, 16 et 23 (par. 1) du Pacte. L’auteure soutient par ailleurs être victime d’une violation de ses droits au titre des articles 2 (par. 3), 7 et 23 (par. 1) du Pacte. Enfin, elle allègue que du fait de sa législation interne, l’État partie viole l’obligation générale qui lui incombe au titre de l’article 2 (par. 2) lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 19 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989. L’auteure est représentée par un conseil de la Fondation Alkarama.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Sadek Rsiwi, père de huit enfants, résidait à Ghardaïa et était « ancien officier militaire » de l’Armée de libération nationale, créée en 1954 afin de lutter pour l’indépendance de l’Algérie. En raison de ses compétences et de son excellente connaissance de la région, où il a opéré durant longtemps, les autorités algériennes lui ont demandé de s’engager à la tête d’une milice locale pour soutenir l’action des services de sécurité, proposition que Sadek Rsiwi a déclinée à plusieurs reprises.

2.2Un jour de début mars 1996, vers 11 h 30, Sadek Rsiwi se trouvait à son domicile lorsque des militaires du secteur de Ghardaïa sont arrivés à bord de plusieurs véhicules officiels. Ils ont procédé à l’encerclement et à la perquisition de son domicile, avant d’arrêter et d’emmener Sadek Rsiwi au secteur militaire de Ghardaïa.

2.3Les 17 et 18 mars 1996, l’auteure a pu rendre deux visites à son mari et lui apporter notamment des médicaments pour traiter le diabète dont il souffrait. Lors de sa visite suivante, l’auteure a été informée que son mari avait été transféré à Ouargla. Après s’y être rendue, elle a été informée que la présence de Sadek Rsiwi n’y avait jamais été enregistrée. Elle est retournée à plusieurs reprises au secteur militaire de Ghardaïa afin de s’enquérir du sort de son mari. Chaque fois, il lui a été confirmé qu’il ne s’y trouvait plus et elle a reçu l’ordre de ne plus venir. L’auteure est depuis sans nouvelles de son mari.

2.4L’auteure a entrepris de nombreuses démarches auprès des institutions judiciaires et administratives nationales afin d’obtenir des informations sur la situation de Sadek Rsiwi, dont l’envoi de lettres à différentes entités administratives et gouvernementales. Toutes ces démarches sont restées vaines. Ainsi, le 9 juin 1996, l’auteure a adressé une lettre au commandant du secteur militaire d’Ouargla lui demandant de l’éclairer sur le sort de son mari, laquelle est restée sans réponse. Elle a adressé la même requête au commandant du secteur militaire de Ghardaïa le 1er octobre 1996, également restée sans réponse.

2.5Les 13 octobre 1997, 21 juin 1998, 20 septembre 1998 et 24 juillet 2000, l’auteure a envoyé des lettres au Procureur de la République près le tribunal de Ghardaïa, en vain. Les 8 octobre 1996, 11 mai 1998 et 24 juillet 2000, l’auteure s’est adressée au Président de l’Observatoire national des droits de l’homme. Elle y sollicitait son assistance afin d’éclairer les conditions de la disparition de son mari.

2.6Les 12 avril et 20 juin 1998, l’auteure a envoyé des lettres au Médiateur de la République pour requérir son intervention auprès des institutions compétentes. Ensuite, le 23 octobre 1999, elle a adressé un courrier aux Ministres de la défense et de la justice, dans lequel elle expliquait qu’aucune des administrations auxquelles elle s’était adressée ne lui avait jamais répondu et demandait à ce qu’une enquête concernant la disparition de son mari soit ouverte. Le 5 novembre 2001, l’auteure a envoyé deux lettres, respectivement au Président de la République et au Ministre de l’intérieur et des collectivités locales, les priant de lui venir en aide. Le 16 mars 2002, la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme a expliqué à l’auteure qu’au vu des recherches effectuées par la gendarmerie de Ghardaïa, Sadek Rsiwi n’avait pas été arrêté par les services de sécurité. L’auteure s’est alors adressée au Président de la Commission le 30 avril 2002 pour lui demander de poursuivre les recherches.

2.7Malgré tous les efforts de l’auteure, aucune enquête n’a été ouverte. L’auteure souligne qu’il lui est aujourd’hui impossible légalement de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Les recours internes, qui ont été inutiles et inefficaces, sont donc en plus devenus totalement indisponibles. La Charte pour la paix et la réconciliation nationale dispose que « nul, en Algérie ou à l’étranger, n’est habilité à utiliser ou à instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de tous ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international » et rejette « toute allégation visant à faire endosser par l’État la responsabilité d’un phénomène délibéré de disparition ». La Charte indique en outre que « les actes répréhensibles d’agents de l’État, qui ont été sanctionnés par la justice chaque fois qu’ils ont été établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l’ensemble des forces de l’ordre qui ont accompli leur devoir, avec l’appui des citoyens et au service de la Patrie ».

2.8Selon l’auteure, l’ordonnance no 06-01 interdit sous peine de poursuites pénales le recours à la justice, ce qui dispense les victimes de la nécessité d’épuiser les voies de recours internes. Cette ordonnance interdit en effet toute plainte pour disparition ou autre crime, son article 45 disposant qu’« [a]ucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la Nation et de la préservation des institutions de la République algérienne démocratique et populaire ». En vertu de cette disposition, toute dénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l’autorité judiciaire compétente. De plus, l’article 46 de la même ordonnance prévoit ce qui suit : « Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 250 000 à 500 000 [dinars algériens], quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international. Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive, la peine prévue au présent article est portée au double. ».

2.9L’auteure ajoute que cette loi amnistie de fait les crimes commis durant la décennie passée, y compris les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Elle interdit aussi, sous peine d’emprisonnement, le recours à la justice pour faire la lumière sur le sort des victimes. Les autorités algériennes, y compris judiciaires, refusent manifestement d’établir la responsabilité des services de sécurité, dont les agents seraient coupables de la disparition forcée de Sadek Rsiwi. Ce refus fait obstacle à l’efficacité des recours exercés par sa famille.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure allègue que son mari est victime d’une disparition forcée due aux agissements d’agents des forces de sécurité algériennes, et donc imputable à l’État partie, conformément à la définition des disparitions forcées donnée à l’article 7 (par. 2 i)) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et à l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. L’auteure affirme qu’en dépit du fait qu’aucune disposition du Pacte ne fait expressément mention des disparitions forcées, la pratique implique des violations du droit à la vie, du droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et du droit à la liberté et à la sécurité de la personne. En l’espèce, l’auteure invoque des violations par l’État partie des articles 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 16 et 23 (par. 1), ainsi que de l’article 2 (par. 2), lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 19 du Pacte.

3.2L’auteure rappelle le caractère suprême du droit à la vie et l’obligation de l’État partie de non seulement s’abstenir de priver arbitrairement un individu de son droit à la vie, mais également de prévenir et de punir tout acte impliquant une violation de l’article 6 du Pacte, y compris lorsque l’auteur ou les auteurs de tels actes sont des agents de l’État. Elle rappelle également l’obligation de l’État partie de protéger la vie des personnes en détention et d’enquêter sur tout cas de disparition, l’absence d’enquête pouvant constituer en soi un manquement à l’article 6, y compris dans les cas où la disparition n’est pas le fait d’agents de l’État. L’auteure affirme que son mari a été arrêté en mars 1996 et emmené par des agents des forces de sécurité au centre militaire de Ghardaïa. Sa disparition a fait suite à son refus de rejoindre les milices algériennes qui menaient des opérations sous le contrôle de l’État. Plus de vingt ans se sont écoulés depuis que les proches de Sadek Rsiwi ont cessé d’avoir de ses nouvelles. Leurs chances de le retrouver vivant sont infimes. Son décès a pu survenir en détention, du fait d’actes de torture ou d’une exécution extrajudiciaire. La détention de Sadek Rsiwi aurait dû faire l’objet d’une inscription sur des registres, conformément au Code de procédure pénale. Ces éléments, couplés à l’absence d’enquête, attestent des défaillances de l’État partie quant à ses obligations et constituent une violation de l’article 6 (par. 1) du Pacte.

3.3L’auteure rappelle que le droit de ne pas être soumis à des actes de torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est un droit absolu auquel il ne peut être dérogé. La détention au secret crée systématiquement un environnement propice à la pratique de la torture, dans la mesure où l’individu est soustrait à la protection de la loi. Selon la jurisprudence du Comité, cette pratique en elle-même peut constituer une violation de l’article 7 du Pacte. L’auteure rappelle l’obligation de l’État partie d’ouvrir une enquête dès lors qu’une allégation de détention au secret est formulée ou portée à sa connaissance. Le Comité a déjà souligné par le passé que les lois d’amnistie étaient généralement incompatibles avec le devoir des États d’enquêter et de punir tout individu responsable d’une détention au secret. L’auteure affirme qu’en l’absence d’enregistrement ou de toute autre procédure qui aurait pu être portée à la connaissance de la famille, la détention de Sadek Rsiwi revêt un caractère secret depuis plus de vingt ans. Durant cette période, notamment depuis le 18 mars 1996, sa famille n’a pas pu communiquer avec lui. L’impossibilité, inhérente à la détention au secret, de communiquer avec le monde extérieur représente pour le détenu une souffrance psychologique immense, assez grave pour entrer dans le champ d’application de l’article 7 du Pacte. L’auteure affirme donc que Sadek Rsiwi est victime d’une violation dudit article 7. Concernant la famille de Sadek Rsiwi, l’angoisse, la détresse et l’incertitude dues à la disparition, au déni des autorités et à l’absence d’enquête, subies pendant plus de vingt ans, constituent un traitement inhumain et, par conséquent, une violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

3.4L’auteure rappelle ensuite que le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, reconnu par l’article 9 du Pacte, proscrit les arrestations et détentions arbitraires et impose à l’État partie un certain nombre de garanties procédurales. En ce qui concerne l’article 9 du Pacte, l’auteure allègue que son mari est victime de violations imputables à l’État partie : a) du paragraphe 1, du fait que Sadek Rsiwi a été victime d’une privation arbitraire de liberté par la police militaire ; b) du paragraphe 2, du fait que les agents ayant procédé à l’arrestation de Sadek Rsiwi n’ont ni exposé les motifs de son arrestation ni présenté de mandat à cet effet, et qu’il n’a jamais reçu de notification officielle depuis son arrestation ; c) du paragraphe 3, du fait que Sadek Rsiwi n’a été, à la suite de son arrestation, ni présenté à un magistrat compétent, ni jugé, ni libéré, et que les vingt ans écoulés depuis son arrestation excèdent largement le délai maximal de douze jours de garde à vue prévu par le Code de procédure pénale en matière d’infractions liées au terrorisme ; et d) du paragraphe 4, du fait que Sadek Rsiwi, soustrait au régime de la loi, n’a jamais pu contester la légalité de sa détention.

3.5L’auteure rappelle de plus le caractère fondamental et universel du principe selon lequel toute personne privée de sa liberté doit être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, défini par l’article 10 (par. 1) du Pacte. Sadek Rsiwi a été privé de tout contact avec le monde extérieur à partir de son transfert de Ghardaïa vers un lieu de détention inconnu. La détention au secret est de nature à causer au détenu des souffrances suffisamment graves pour être qualifiées d’actes de torture, mais favorise également la pratique d’actes inhumains. Dans la mesure où Sadek Rsiwi a fait l’objet de traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation de l’article 7 du Pacte, il a a fortiori été victime d’une violation de l’article 10 (par. 1), les traitements cruels, inhumains ou dégradants étant par nature incompatibles avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

3.6L’auteure rappelle également que tout individu a droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Elle renvoie à cet effet aux observations finales du Comité sur le deuxième rapport périodique de l’Algérie au titre de l’article 40 du Pacte, dans lesquelles le Comité a établi que les personnes disparues toujours en vie et détenues au secret voyaient leur droit à la reconnaissance de leur personnalité juridique, tel que consacré par l’article 16 du Pacte, violé. En conséquence, la détention au secret de Sadek Rsiwi constitue une violation imputable à l’État partie de l’article 16 du Pacte.

3.7Rappelant que l’article 23 (par. 1) du Pacte prévoit le droit à la protection de la famille, l’auteure soutient que la disparition de Sadek Rsiwi a privé sa famille d’un père et d’un époux, et constitue par là même une violation dudit article.

3.8L’auteure rappelle que l’article 2 (par. 3) du Pacte garantit l’accès à des voies de recours effectives pour toute personne alléguant une violation de l’un de ses droits protégés par le Pacte. Sadek Rsiwi, victime d’une disparition forcée, est de faitdans l’impossibilité d’exercer une quelconque voie de recours. En s’appuyant sur la jurisprudence du Comité, l’auteure rappelle l’obligation de l’État partie de mener des enquêtes sur les violations alléguées de droits de l’homme ainsi que de poursuivre les responsables présumés et de les punir, et estime que l’absence de réaction des autorités algériennes aux requêtes de l’épouse de la victime est constitutive d’un manquement de l’État partie aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 2 du Pacte. L’ordonnance no 06-01, et plus particulièrement son article 45, constitue un manquement à l’obligation de l’État partie d’assurer un recours effectif. En conséquence, l’auteure demande au Comité de reconnaître une violation de l’article 2 (par. 3), lu seul et conjointement avec les articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte.

3.9Enfin, l’ordonnance no 06-01 constitue un manquement à l’obligation générale consacrée à l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 19. En adoptant ladite ordonnance, en particulier son article 45, l’État partie a donc pris une mesure d’ordre législatif privant d’effets le droit d’avoir accès à un recours effectif contre des violations des droits de l’homme, en violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte, en criminalisant, en outre, par l’article 46 de l’ordonnance, toute expression pacifique de ses doléances ou toute publicité à propos des faits allégués, en violation du droit à la liberté d’expression de l’auteure consacré à l’article 19 du Pacte. L’auteure estime que c’est aussi du fait de l’existence de cette ordonnance − et plus précisément des articles susmentionnés dont l’incompatibilité avec le Pacte a déjà été soulignée à maintes reprises par le Comité − que les recommandations du Comité dans la totalité des décisions sur les cas de disparitions forcées tombant sous le coup de cette ordonnance, n’ont jamais été mises en œuvre par l’État partie.

3.10L’auteure demande en premier lieu au Comité de reconnaître la violation des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 16 et 23 (par. 1) du Pacte à l’égard de Sadek Rsiwi. En deuxième lieu, elle lui demande de reconnaître la violation des articles 2 (par. 3), 7 et 23 (par. 1) du Pacte à son égard. En troisième lieu, elle lui demande de constater que l’ordonnance no 06-01, en particulier ses articles 45 et 46, constitue une violation de l’obligation générale en vertu de l’article 2 (par. 2), lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 19 du Pacte. L’auteure demande en outre au Comité de prier l’État partie : a) de remettre en liberté Sadek Rsiwi si ce dernier est toujours en vie ; b) de lui assurer un recours utile en menant une enquête approfondie et diligente sur la disparition forcée de son mari et de l’informer des résultats de l’enquête ; c) d’engager des poursuites pénales contre les responsables présumés de la disparition de Sadek Rsiwi, de les traduire en justice et de les punir conformément aux engagements internationaux de l’État partie ; et d) d’indemniser de manière appropriée l’auteure et les ayants droit de Sadek Rsiwi pour les violations subies. Elle demande enfin au Comité d’enjoindre aux autorités algériennes d’abroger les articles susmentionnés de l’ordonnance no 06-01.

Observations de l’État partie

4.1Le 3 avril 2017, l’État partie a invité le Comité à se référer au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale en guise d’observations se rapportant au fond des allégations.

4.2L’État partie considère que les communications qui mettent en cause la responsabilité d’agents de l’État ou d’autres personnes agissant sous l’autorité des pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparitions forcées pendant la période de 1993 à 1998 doivent être examinées selon une approche globale. L’État partie considère que les communications de ce genre devraient être replacées dans le contexte plus général de la situation sociopolitique et des conditions de sécurité dans le pays à une période où le Gouvernement s’employait à lutter contre une forme de terrorisme dont l’objectif était de provoquer l’effondrement de l’État républicain. C’est dans ce contexte, et conformément aux articles 87 et 91 de la Constitution, que le Gouvernement a pris des mesures de sauvegarde et a notifié la proclamation de l’état d’urgence au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, conformément à l’article 4 (par. 3) du Pacte.

4.3L’État partie fournit des explications sur le contexte de la période de survenance des faits (1993-1998). Ces explications sont systématiquement répétées par l’État partie à l’occasion de toutes les communications concernant des cas de disparitions forcées.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 11 octobre 2018, l’auteure a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie. Elle souligne que ces observations sont inadaptées, car elles se réfèrent à un document type daté de juillet 2009 adressé au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, et non au Comité. Les observations de l’État partie ne font nullement mention des spécificités de l’affaire et n’apportent aucune réponse sur les circonstances particulières de la disparition de Sadek Rsiwi.

5.2Selon l’auteure, la réponse de l’État partie remet en question son obligation de coopérer de bonne foi avec le Comité, devoir qui découle − comme le Comité l’a rappelé au paragraphe 15 de son observation générale no 33 (2008) − de l’application du principe de la bonne foi à l’observation de toutes les obligations conventionnelles. L’auteure rappelle que dans ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’Algérie, le Comité avait recommandé à l’État partie de coopérer de bonne foiavec le Comité dans le cadre de la procédure de communications individuelles en cessant de se référer à l’« aide-mémoire » et en répondant de manière individuelle et spécifique aux allégations des auteurs de communications. Le Comité y avait également exprimé sa préoccupation quant au recours systématique à ce « mémorandum » n’offrant pas de réponse substantielle aux allégations soumises par les auteurs pour toutes les affaires couvrant la période de 1993 à 1998, et parfois même en dehors de cette période.

5.3Le Comité, dans sa jurisprudence constante, a affirmé que l’État partie ne saurait opposer les dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. L’auteure considère que l’adoption par l’État partie de la Charte ou celle d’un « mécanisme interne global de règlement » ne constituent pas des mesures suffisantes pour remplir ses obligations conventionnelles d’enquête, de poursuite et de réparation, et que ces mesures ne sauraient être valablement opposées au Comité, ni constituer une cause d’irrecevabilité d’une communication.

5.4Par ailleurs, dans ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’Algérie, le Comité réitérait ses profondes préoccupations, maintes fois exprimées, notamment dans le cadre de ses constatations, quant à l’article 45 de l’ordonnance no 06-01, qui éteignait tout recours efficace et disponible pour les victimes de violations des dispositions du Pacte commises par les agents responsables de l’application de la loi, y compris les forces armées et les services de sécurité, et qui favorisait l’impunité. Il y réitérait donc ses préoccupations quant aux nombreuses et graves violations qui auraient été commises et qui n’avaient fait l’objet d’aucune poursuite ni de condamnation.

5.5L’auteure estime que la contestation par l’État partie de la compétence du Comité au motif qu’il faudrait examiner les cas de disparitions forcées pour la période de 1993 à 1998 selon une approche globale et non individualisée est dénuée de toute pertinence, l’État partie ayant ratifié le Pacte et son Protocole facultatif, et reconnu de ce fait la compétence du Comité pour connaître de communications émises par des particuliers victimes de violations des droits énoncés dans le Pacte. Elle souligne également que la proclamation de l’état d’urgence telle qu’elle est prévue par l’article 4 du Pacte n’a aucun effet sur l’interdiction des disparitions forcées ou l’exercice des droits découlant du Protocole facultatif. Elle ajoute en outre qu’il ressort implicitement de l’article 4 (par. 2) du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre tout agent étatique et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient.

5.6Enfin, l’auteure considère que l’État partie enfreint son obligation générale découlant de l’article 2 (par. 2), lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 19 du Pacte. En effet, la principale raison de l’inefficacité de tout recours au sein de l’État partie réside dans l’impossibilité légale pour l’auteure d’introduire un recours auprès des juridictions de l’État partie, au titre de l’article 45 de l’ordonnance no 06-01. Cette ordonnance a pour effet d’inscrire dans le cadre législatif de l’État partie cette impossibilité légale d’introduire un recours effectif en violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte, mais aussi de criminaliser, par son article 46, toute expression pacifique de ses doléances ou toute publicité à propos des faits allégués, en violation de son droit à la liberté d’expression consacré à l’article 19 du Pacte. Tant que les dispositions précitées de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale demeureront applicables, les familles de victimes n’auront aucun moyen légal de faire valoir leurs droits découlant de l’article 2 (par. 3) du Pacte, ni même de s’exprimer publiquement sur les violations dont leurs proches ont été victimes, au risque d’être l’objet d’une condamnation allant jusqu’à cinq années d’emprisonnement, et ce, en violation de l’article 19 du Pacte.

Défaut de coopération de l’État partie

6.Les 12 octobre et 13 décembre 2018, l’État partie a été invité à présenter ses observations concernant le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a reçu aucune réponse et regrette le refus de l’État partie de communiquer toute information à cet égard. Conformément à l’article 4 (par. 2) du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’examiner de bonne foi toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note des allégations de l’auteure, qui estime avoir épuisé toutes les voies de recours disponibles. Il note que pour contester la recevabilité de la communication, l’État partie se contente de renvoyer au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. À cet égard, le Comité rappelle qu’en 2018, il avait exprimé ses préoccupations de ce qu’en dépit de ses demandes répétées, l’État partie continuait de faire systématiquement référence au document général type, dit « aide-mémoire », sans répondre spécifiquement aux allégations soumises par les auteurs des communications. En conséquence, le Comité invitait de manière urgente l’État partie à coopérer de bonne foi avec le Comité dans le cadre de la procédure de communications individuelles en cessant de se référer à l’« aide-mémoire » et en répondant de manière individuelle et spécifique aux allégations des auteurs de communications.

7.4Ensuite, le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit d’atteintes au droit à la vie, mais aussi celui de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à son jugement et de prononcer une peine à son égard. La famille de Sadek Rsiwi a, à de nombreuses reprises, alerté les autorités compétentes sur la disparition forcée de la victime, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur cette allégation grave. En outre, l’État partie n’a apporté aucun élément d’explication spécifique, dans ses observations en réponse au cas de Sadek Rsiwi, qui pourrait permettre de conclure qu’un recours efficace et disponible est à ce jour ouvert. S’ajoute à cela le fait que l’ordonnance no 06-01 continue d’être appliquée en dépit du fait que le Comité a recommandé qu’elle soit mise en conformité avec le Pacte. Dans ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’État partie, le Comité déplorait l’absence de recours efficace pour les personnes disparues et/ou leurs familles et l’absence de mesures prises en vue de faire la lumière sur les personnes disparues, de les localiser et, en cas de décès, de restituer leurs dépouilles aux familles. Dans ces circonstances, le Comité estime que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

7.5Le Comité note que l’auteure affirme que l’État partie ne s’est pas acquitté des obligations lui incombant au titre de l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 19, puisqu’en adoptant l’ordonnance no 06-01, l’État partie aurait pris une mesure d’ordre législatif privant d’effets le droit d’avoir accès à un recours effectif contre des violations des droits de l’homme, en violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte, en criminalisant, en outre, toute expression pacifique ou toute publicité à propos des faits allégués, en violation du droit à la liberté d’expression de l’auteure consacré à l’article 19 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les dispositions de l’article 2 ne sauraient être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte touchant directement la personne qui se dit lésée. Le Comité rappelle aussi qu’une personne ne peut se prétendre victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif que s’il est effectivement porté atteinte à ses droits, et que nul ne peut, dans l’abstrait et par voie d’actio popularis, contester une loi ou une pratique d’après lui contraire au Pacte. En l’espèce, le Comité estime que l’auteure n’a pas fourni de renseignements suffisants pour expliquer en quoi l’ordonnance no 06-01 lui avait été appliquée effectivement sous l’angle de l’article 19 du Pacte. Le Comité considère par conséquent que ces griefs n’ont pas été suffisamment étayés et sont donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Par ailleurs, le Comité note − compte tenu du changement de cadre légal survenu en 2006 − que l’auteure a été dans l’impossibilité de faire valoir son droit à un recours utile pour dénoncer la disparition de son époux en 1996, puisqu’aucun recours n’est disponible à cet effet. Le Comité note également que la présente communication lui a été soumise en 2016. Il rappelle que selon l’article 99 (al. c)) de son règlement intérieur, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur. Le libellé de cette disposition accorde une marge de discrétion au Comité, qui est en mesure de déterminer les cas pour lesquels elle ne saurait s’appliquer strictement. Par le passé, le Comité a déjà examiné des affaires de disparition forcée à l’encontre de l’État partie. Par exemple, le cas de Mahmoud Boudjema a été porté à la connaissance du Comité en 2013, alors que sa disparition avait eu lieu en 1996. Le Comité note que dans l’affaire Boudjema c. Algérie − comme dans le cas d’espèce −, l’État partie n’a pas soulevé le caractère abusif de la communication. De plus, le Comité a déjà eu l’occasion de constater en 2007 et en 2018 que l’ordonnance nº 06-01 interdisait toute poursuite contre des éléments des forces de défense et de sécurité, et semblait ainsi promouvoir l’impunité. Le Comité considère que ce climat d’impunité, corroboré par l’interdiction légale de recourir à une instance judiciaire, a un impact négatif indiscutable sur la possibilité pour les victimes de faire valoir leur droit à un recours utile non seulement au plan national, mais aussi au plan international. Déclarer la présente communication irrecevable pour abus de droit pourrait avoir pour effet d’encourager l’État partie à continuer d’entraver le droit à un recours effectif pour les victimes d’atteinte au droit à la vie. Le Comité rappelle également qu’une disparition forcée est une action de nature continue et que, de ce fait, la nature de l’obligation d’enquête est elle-même continue, ce qui dans le cas d’espèce, est annihilé par la loi et ses effets. Le Comité ne considère donc pas que dans les circonstances spéciales de l’espèce, la présente communication constituerait un abus de droit.

7.7Le Comité estime que l’auteure a suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité, et procède à l’examen quant au fond des griefs formulés au titre des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9, 10 (par. 1), 16 et 23 (par. 1) du Pacte.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

8.2Le Comité note que l’État partie s’est contenté de faire référence à ses observations collectives et générales qui avaient été transmises antérieurement au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et au Comité en lien avec d’autres communications, afin de confirmer sa position selon laquelle de telles affaires ont déjà été réglées dans le cadre de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et à ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’Algérie, et rappelle que l’État partie ne saurait opposer les dispositions de ladite Charte à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. Le Pacte exige de l’État partie qu’il se soucie du sort de chaque personne et qu’il traite chaque personne avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. En l’absence des modifications recommandées par le Comité, l’ordonnance no 06-01 contribue dans le cas présent à l’impunité et ne peut donc, en l’état, être jugée compatible avec les dispositions du Pacte.

8.3Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteure sur le fond et rappelle sa jurisprudence selon laquelle la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Conformément à l’article 4 (par. 2) du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteure, dès lors que ces dernières sont suffisamment étayées.

8.4Le Comité rappelle que, si l’expression « disparition forcée » n’apparaît expressément dans aucun article du Pacte, la disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes représentant une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument, tels que le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le droit à la liberté et à la sécurité de la personne.

8.5Le Comité note que Sadek Rsiwi a été vu par l’auteure pour la dernière fois le 18 mars 1996, alors qu’il était en détention au secteur militaire de Ghardaïa. Il prend note du fait que l’État partie n’a fourni aucun élément permettant de déterminer ce qu’il est advenu de Sadek Rsiwi et n’a même jamais confirmé sa détention. Le Comité rappelle que, dans le cas des disparitions forcées, le fait de priver une personne de liberté, puis de refuser de reconnaître cette privation de liberté ou de dissimuler le sort réservé à la personne disparue revient à soustraire cette personne à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque constant et grave, dont l’État est responsable. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément susceptible de démontrer qu’il s’était acquitté de son obligation de protéger la vie de Sadek Rsiwi. En conséquence, il conclut que l’État partie a failli à son obligation de protéger la vie de Sadek Rsiwi, en violation de l’article 6 (par. 1) du Pacte.

8.6Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992), dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note en l’espèce qu’après avoir vu son mari à deux reprises au secteur militaire de Ghardaïa, les 17 et 18 mars 1996, l’auteure n’a plus jamais eu la moindre information sur son sort ou son lieu de détention, malgré diverses tentatives de visite dans les lieux de détention où il était initialement, et d’où il aurait soi-disant été transféré, et malgré plusieurs requêtes successives présentées aux autorités étatiques. Le Comité estime donc que Sadek Rsiwi, disparu le 18 mars 1996, serait potentiellement toujours détenu au secret par les autorités algériennes. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le Comité considère que cette disparition constitue une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de Sadek Rsiwi.

8.7Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article 10 du Pacte.

8.8Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse que la disparition de Sadek Rsiwi, depuis plus de vingt-quatre ans, a causées à l’auteure et à sa famille. Il considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte à l’égard de l’auteure.

8.9En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9 du Pacte, le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles Sadek Rsiwi a été arrêté arbitrairement, sans mandat, et n’a été ni inculpé ni présenté devant une autorité judiciaire auprès de laquelle il aurait pu contester la légalité de sa détention. L’État partie n’ayant communiqué aucune information à ce sujet, le Comité considère qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteure. Le Comité conclut donc à une violation de l’article 9 du Pacte à l’égard de Sadek Rsiwi.

8.10Le Comité est d’avis que la soustraction délibérée d’une personne à la protection de la loi constitue un déni du droit de cette personne à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en particulier si les efforts déployés par les proches de la victime pour exercer leur droit à un recours effectif ont été systématiquement entravés. Dans le cas présent, le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune explication convaincante sur le sort de Sadek Rsiwi, ni sur le lieu où il se trouverait, en dépit des démarches de ses proches et du fait que Sadek Rsiwi était entre les mains des autorités de l’État partie lors de sa dernière apparition. Le Comité conclut que la disparition forcée de Sadek Rsiwi depuis plus de vingt-quatre ans a soustrait celui-ci à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

8.11Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article 23 (par. 1) du Pacte.

8.12L’auteure invoque également l’article 2 (par. 3) du Pacte, qui impose aux États parties l’obligation de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis par le Pacte. Le Comité rappelle qu’il attache de l’importance à la mise en place, par les États parties, de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits garantis par le Pacte. Il rappelle son observation générale no 31 (2004), dans laquelle il indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte.

8.13En l’espèce, l’auteure a alerté à plusieurs reprises les autorités compétentes de la disparition de son époux sans que l’État partie procède à une enquête approfondie et rigoureuse sur cette disparition, et l’auteure n’a reçu aucune information à ce sujet. En outre, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 continue de priver Sadek Rsiwi et l’auteure de tout accès à un recours utile, puisque cette ordonnance interdit le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte à l’égard de Sadek Rsiwi, et de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteure.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte, ainsi que de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte à l’égard de Sadek Rsiwi. Il constate en outre une violation par l’État partie de l’article 7 lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte à l’égard de l’auteure.

10.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu : a) de mener sans délai une enquête effective, approfondie, rigoureuse, indépendante, impartiale et transparente sur la disparition de Sadek Rsiwi et de fournir à l’auteure des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête ; b) de libérer immédiatement Sadek Rsiwi s’il est toujours détenu au secret ; c) dans l’éventualité où Sadek Rsiwi serait décédé, de restituer sa dépouille à sa famille dans le respect de la dignité, conformément aux normes et aux traditions culturelles des victimes ; d) de poursuivre, de juger et de punir les responsables des violations commises ; et e) de fournir à l’auteure ainsi qu’à Sadek Rsiwi s’il est en vieune indemnité adéquate et des mesures de satisfaction appropriées. Nonobstant l’ordonnance no 06-01, l’État partie devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours utile pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. Il est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir. À cet effet, le Comité est d’avis que l’État partie devrait revoir sa législation conformément à l’obligation issue de l’article 2 (par. 2) du Pacte, et en particulier abroger les dispositions de ladite ordonnance qui sont incompatibles avec le Pacte, afin que les droits consacrés par le Pacte puissent être pleinement exercés dans l’État partie.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.