Nations Unies

CCPR/C/130/D/2777/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 février 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2777/2016 * , **

Communication présentée par :

Hom Bahadur Bagale (représenté par un conseil, TRIAL International)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Népal

Date de la communication :

17 décembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 16 juin 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

2 novembre 2020

Objet :

Arrestation et détention arbitraires ; torture ; absence d’enquête impartiale ouverte dans les meilleurs délais ; immixtion arbitraire et illégale dans la vie privée, le domicile et la vie familiale ; absence d’accès à un recours utile

Question(s) de procédure :

Recevabilité − épuisement des recours internes 

Question(s) de fond :

Interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels et inhumains ; droit àla liberté et à la sûreté de sa personne ; respect de la dignité inhérente à la personne humaine ; droit de toute personne de ne pas faire l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée et sa famille ;droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2 et 3), 7, 9 (par. 1, 2, 3 et 5), 10 (par. 1) et 17

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Hom Bahadur Bagale, de nationalité népalaise, né le 28 avril 1970. Il affirme que le Népal a violé les droits qu’il tient des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3), de l’article 2 (par. 2), lu conjointement avec l’article 7, de l’article 9 (par. 1, 2, 3 et 5), lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), et de l’article 17, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 août 1991. L’auteur est représenté par l’organisation TRIAL International.

Rappel des faits présentés par l’auteur

Première privation arbitraire de liberté accompagnée de tortures (novembre-décembre 2002)

2.1L’auteur travaillait dans la police népalaise, dans laquelle il avait été engagé le 13 février 1984. Au moment des événements qui font l’objet de la communication, il était en poste au commissariat de Maharajgunj (Katmandou). Le 23 novembre 2002, un adjoint au commissaire lui a ordonné d’aller chercher à l’aéroport de l’or que des proches vivant à l’étranger lui avaient envoyé. L’auteur a refusé, estimant que cette mission ne faisait pas partie de ses attributions.

2.2Le 28 novembre 2002, l’auteur a été convoqué au poste de police de Hanuman Dhoka (Katmandou), où un inspecteur l’a interrogé sur l’or qu’il devait ramener de l’aéroport. L’inspecteur et d’autres policiers l’ont insulté, giflé, roué de coups de poings et soumis à la falanga(coups sur la plante des pieds), pour lui faire avouer son implication dans le vol de l’or appartenant à son supérieur. Comme il refusait d’avouer, l’auteur a été menotté et placé en état d’arrestation, sans toutefois être informé des raisons de cette mesure.

2.3Après son arrestation, le 28 novembre 2002, l’auteur a été gardé à vue à l’isolement au poste de police de Hanuman Dhoka (Katmandou). Enfermé dans une pièce sombre et sale, infestée d’insectes, dans laquelle il n’y avait pas de toilettes ni de matelas ou de couverture, il a été privé d’eau et de nourriture pendant plusieurs jours. Il a été soumis à de multiples interrogatoires par des policiers, y compris des gradés, qui lui ont infligé de graves tortures : coups de pied, coups de poing, coups de bâton sur les cuisses, chocs électriques et insertion d’aiguilles dans les doigts et les orteils. On l’a forcé à uriner sur un chauffage électrique pour électrocuter ses parties génitales. On l’a entièrement déshabillé, on lui a rasé la tête, et on l’a menacé de mort à plusieurs reprises. Malgré ses traumatismes physiques et psychologiques, il n’a reçu aucun traitement médical. À aucun moment pendant sa détention il n’a été autorisé à communiquer avec qui que ce soit, y compris sa famille, ou à contacter un avocat.

2.4Dans la nuit du 29 novembre 2002, six ou sept policiers ont fait monter l’auteur dans un véhicule privé et l’ont conduit à son domicile. L’intéressé, un sac sur la tête, a été obligé de rester dans la voiture, garée devant chez lui, tandis que ses collègues fouillaient la maison sans être munis d’un mandat de perquisition et sans avoir informé la famille des raisons de leur présence. Les policiers ont brutalisé et harcelé sexuellement la fille de l’auteur, âgée de 14 ans, et ont menacé de tuer la famille si l’or volé n’était pas rendu. À travers le sac, l’auteur pouvait observer la scène, mais il était impuissant car, étant sous la menace d’un pistolet, il était réduit au silence. Après la perquisition, l’épouse de l’auteur a été informée de l’arrestation de son mari par les amis de celui-ci et par son propre frère, qui était membre de la Force de police armée népalaise. Après avoir tenté à plusieurs reprises de rendre visite à l’intéressé au poste de police de Hanuman Dhoka, elle a demandé à un avocat de l’aider à le retrouver et à le faire libérer.

2.5Le 3 décembre 2002, l’épouse de l’auteur a saisi la cour d’appel de Patan d’une requête en habeas corpus présentée au nom de son mari. Le 5 décembre 2002, après que la cour a ordonné la comparution de l’auteur, un des inspecteurs lui a déclaré que celui-ci n’avait pas été arrêté car il n’avait pas commis d’infraction et ne faisait l’objet d’aucune plainte, et qu’il se trouvait à son bureau. Le même jour, l’auteur a été conduit dans les locaux de la direction générale de la police, à Naxal (Katmandou), et ses supérieurs ont fait pression sur lui pour qu’il garde le silence au sujet des mauvais traitements subis. Il a ensuite été amené à la cour d’appel de Patan, où il a rencontré son avocat pour la première fois. Le 11 décembre 2002, la cour a rejeté la requête en habeas corpus dont elle était saisie au motif que l’auteur n’avait pas quitté son poste au commissariat depuis le 28 novembre 2002. Après que cette décision a été rendue, l’auteur a été contraint de rester au commissariat sans qu’aucune tâche lui soit confiée.

2.6Le 20 décembre 2002, l’auteur a réussi à s’échapper du commissariat et s’est rendu dans les locaux du département de médecine légale de l’université Tribhuvan, situé sur le campus de Maharajagunj (Katmandou), où un médecin a constaté que ses blessures étaient dues à des chocs violents et étaient compatibles avec la description des actes de torture qu’avait faite l’auteur.

2.7Le 24 décembre 2002, l’auteur a déposé plainte auprès de la direction générale de la police, alléguant qu’il avait été soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements et que les autorités s’étaient immiscées dans sa vie privée et avaient perquisitionné son domicile en toute illégalité. Toutefois, sa plainte n’a pas été officiellement enregistrée et n’a pas eu de suite.

2.8Le 10 janvier 2003, l’auteur a déposé plainte auprès du tribunal de district de Katmandou sur le fondement de la loi sur l’indemnisation des victimes de torture de 1996, demandant une indemnisation pour le préjudice subi et des sanctions administratives contre les responsables. Par la suite, plusieurs policiers l’ont menacé et ont fait pression sur lui pour qu’il retire sa plainte.

2.9Le 5 février 2003, l’auteur a été emmené par ses collègues du commissariat dans les locaux de la direction générale de la police, où il a été interrogé par ses supérieurs, qui ont essayé de l’intimider afin qu’il retire sa plainte. L’auteur ayant refusé de céder, il a été conduit aux quartiers du bataillon de police armée no 1, à Katmandou, où il été détenu jusqu’au 21 février 2003, enchaîné et la tête recouverte d’un sac.

2.10Le 21 février 2003, l’auteur a été conduit au service juridique de la direction générale de la police, où il s’est vu remettre une lettre par laquelle il était sommé de fournir des explications sur sa participation au vol de l’or dans un délai de vingt-quatre heures. C’est aussi par cette lettre qu’il a appris qu’une procédure disciplinaire avait été engagée contre lui. Le même jour, il a réussi à s’échapper du siège de la police et est rentré chez lui.

2.11Le 24 février 2003, deux avocats spécialisés dans les droits de l’homme ont aidé l’auteur à présenter une demande en référé auprès de la cour d’appel. Dans une ordonnance rendue le 25 février 2003, la cour a enjoint la direction générale de la police de ne pas prendre de mesures contre l’auteur, jugeant qu’il serait illégal de le sanctionner car rien ne permettait de le mettre en cause dans le vol présumé de l’or, qui n’avait jamais été retrouvé.

2.12Toutefois, le 25 février 2003 également, la cour d’appel de Patan a ordonné que l’auteur soit reconduit aux quartiers du bataillon de police armée no 1. L’intéressé y a été détenu, enchaîné et la tête couverte d’un sac, jusqu’au 3 avril 2003. Pendant sa détention, on l’a menacé à plusieurs reprises pour le convaincre de retirer sa plainte et sa demande d’indemnisation, ce qu’il a toujours refusé de faire.

2.13Le 4 avril 2003, l’auteur a déposé plainte auprès de la Commission nationale des droits de l’homme et a demandé au préfet du district de Katmandou d’ordonner des mesures de protection en sa faveur compte tenu des menaces dont il était la cible de la part de la police, mais ses requêtes sont restées lettre morte.

2.14Le 25 avril 2003, après plusieurs tentatives infructueuses, l’auteur a réussi à reprendre le travail. Il a été affecté à la cantine, où il a travaillé jusqu’en mars 2006. Pendant toute cette période, ses supérieurs n’ont cessé de le menacer pour le pousser à retirer la plainte qu’il avait déposée en justice.

2.15Le 13 juillet 2004, le tribunal de district de Katmandou a rejeté la plainte de l’auteur au motif que la véracité de ses allégations n’avait pas pu être vérifiée. Étant donné qu’aucun document ne confirmait la détention de l’intéressé, le tribunal a conclu que celui‑ci n’avait pas été soumis à la torture, estimant que le rapport émanant du département de médecine légale du campus de Maharajagunj ne pouvait pas être retenu comme preuve que des actes de torture avaient été commis car il avait été établi longtemps après les faits allégués. L’auteur a interjeté appel de cette décision. Le 3 avril 2007, la cour d’appel l’a débouté. L’auteur a alors formé un recours devant la Cour suprême, qui a confirmé la décision des tribunaux inférieurs le 1er septembre 2014.

Deuxième privation arbitraire de liberté accompagnée de tortures (mars 2006)

2.16Le 13 mars 2006, l’auteur a demandé à prendre sa retraite. Le 20 mars 2006, il s’est rendu au siège de la police pour en discuter avec ses supérieurs. Sur place, un inspecteur lui a dit que sa demande ne serait agréée qu’à la condition qu’il retire la plainte qu’il avait déposée pour dénoncer les tortures qu’il aurait subies en 2002. Après que l’auteur a refusé ce marché, il a été conduit dans les quartiers du bataillon de police armée no 1, où il a été détenu jusqu’au 21 mars 2006. Pendant sa détention, il a été privé d’eau et de nourriture et est resté enchaîné, la tête couverte d’un sac, à l’isolement, sans aucune possibilité de contacter sa famille. Il a été soumis à des actes de torture, roué de coups de poing et de pied, et menacé de mort. On lui a rasé la tête au moyen d’un couteau, on l’a jeté dans une fosse remplie d’eau boueuse et de terre, et des policiers, dont un inspecteur, l’ont frappé avec des bâtons de bambou.

2.17Le 21 mars 2006, un groupe d’avocats spécialisés dans les droits de l’homme a appris où l’auteur se trouvait et a réussi à le faire libérer. Toutefois, le même jour, l’intéressé a de nouveau été arrêté sans qu’un mandat ait été délivré contre lui et a été conduit dans l’après‑midi au poste de police de Tinkune (Baneshwor), où il est resté jusqu’au lendemain. Pendant toute la durée de sa détention, il a gardé les menottes et n’a reçu ni à boire ni à manger. Le 22 mars 2006, il a été amené à Hanuman Dhoka, où il a été détenu jusqu’au 28 mars 2006 et a été de nouveau soumis à des sévices et des mauvais traitements.

2.18Le 24 mars 2006, un avocat spécialisé dans les droits de l’homme a déposé une requête en habeas corpus devant la Cour suprême. La police a soumis des écritures dans lesquelles elle alléguait que, le 21 mars 2006, l’auteur s’était rendu volontairement au siège de l’organisation, où il s’était mal comporté et avait tenu des propos diffamatoires. Néanmoins, le 28 mars 2006, la Cour suprême a ordonné la libération de l’auteur, estimant que sa détention était illégale. L’auteur a été remis en liberté le jour même.

2.19Le 26 avril 2006, l’auteur a porté plainte contre 12 policiers devant le tribunal de district de Katmandou. À titre de réparation pour le préjudice subi, il a demandé qu’une indemnité de 100 000 roupies népalaises lui soit versée et que la police sanctionne les responsables, comme la loi sur la l’indemnisation des victimes de torture lui permettait de le faire.

2.20Après le dépôt de la plainte, l’auteur et sa famille ont de nouveau été menacés et harcelés. Le 12 avril 2007, l’auteur a signalé les menaces à la préfecture du district et a demandé que des mesures soient prises pour protéger sa vie et celle de sa famille, en vain.

2.21Le 18 septembre 2008, le tribunal de district de Katmandou a conclu que l’auteur avait été torturé en mars 2006 et a ordonné aux autorités de lui verser 21 000 roupies népalaises à titre d’indemnisation, rejetant toutefois la demande tendant à ce que les policiers responsables soient sanctionnés. En août 2009, l’auteur a attaqué cette décision devant la cour d’appel de Patan. Dans son recours, il a fait valoir que le montant de l’indemnisation était trop faible pour couvrir ses frais de réadaptation et que le préjudice physique, moral et socioéconomique ainsi que les séquelles des actes de torture qui lui avaient été infligés auraient dû être pris en considération. Il a souligné en outre que les responsables de ces actes devraient faire l’objet de poursuites disciplinaires.

2.22Le 10 juin 2012, la cour d’appel de Patan a confirmé la décision du tribunal de district de Katmandou, estimant que l’auteur n’avait pas démontré que les tortures subies lui avaient causé un préjudice moral. L’auteur a déposé une demande en réexamen devant la Cour suprême. Le 1er septembre 2014, la Cour a rejeté sa demande et confirmé les décisions des juridictions inférieures.

2.23L’auteur n’a pas déposé de demande de versement de l’indemnité accordée par le tribunal car il estimait que la somme de 21 000 roupies népalaises ne constituait pas une indemnisation juste et équitable.

2.24L’auteur continue de présenter des séquelles psychologiques des mauvais traitements infligés. Il souffre notamment de dépression, d’anxiété, de paranoïa et de troubles de la personnalité.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7 et 10 (par. l) du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3), de l’article 2 (par. 2), lu conjointement avec l’article 7, de l’article 9 (par. 1, 2 et 3 et 5), lu séparément et conjointement avec l’article 2 (par. 3), et de l’article 17, lu séparément et conjointement avec l’article 2 (par. 3).

3.2L’auteur soutient également que l’État partie a porté atteinte aux articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte, lus seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, au motif que, en novembre et décembre 2002 et en mars 2006, il a été soumis à des actes de torture et d’autres mauvais traitements et à des conditions inhumaines de détention et que les autorités népalaises n’ont pas mené une enquête efficace sur ses allégations, n’ont pas poursuivi ni puni les responsables et ne lui ont pas assuré une réparation intégrale pour le préjudice subi.

3.3L’auteur avance que le fait qu’aucune disposition législative ne protège véritablement les personnes contre la torture et les mauvais traitements constitue une violation de l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec l’article 7. En particulier, il fait remarquer que la torture ne constitue pas une infraction pénale à part entière et que la loi sur l’indemnisation des victimes de torture permet uniquement de prendre des mesures disciplinaires contre les auteurs, et non d’ouvrir une action pénale, et réduit la notion de réparation à  l’indemnisation.

3.4L’auteur allègue en outre qu’il a été victime d’une violation de l’article 9 (par. 1, 2, 3 et 5) du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) car, en novembre et décembre 2002 et de nouveau en mars 2006, il a été arbitrairement arrêté et détenu. Dans les deux cas, il a été arrêté sans faire l’objet d’un mandat, il n’a pas été immédiatement informé des accusations portées contre lui, son arrestation et sa détention n’ont pas été consignées dans les registres officiels, il a fait l’objet d’une détention et d’un placement au secret qui n’ont pas été reconnus officiellement et n’a pas été autorisé à contacter un avocat dès son arrestation, il n’a pas été présenté devant un juge dans les meilleurs délais et il n’a pas eu la possibilité de contester en justice la légalité de son arrestation et de sa détention. L’auteur soutient de surcroît que l’État partie n’a pas enquêté sur ses allégations et ne l’a pas indemnisé pour les privations arbitraires de liberté dont il a fait l’objet à différentes occasions.

3.5L’auteur soutient également qu’il a été victime d’une violation de l’article 17 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, car il a fait l’objet d’une immixtion arbitraire et illégale dans sa vie privée, son domicile et sa vie de famille. En particulier, il avance que, lors de la perquisition de son domicile, le 29 novembre 2002, les membres de sa famille, y compris sa fille alors âgée de 14 ans, ont été harcelés, brutalisés, menacés et humiliés par la police, qui a porté atteinte à leur honneur et à leur réputation. Dans les années qui ont suivi, l’auteur et sa famille n’ont cessé d’être à nouveau menacés et harcelés, mais malgré des signalements répétés concernant ces violations, l’État partie n’a pris aucune mesure de protection et aucun des policiers concernés n’a été ni poursuivi ni puni.

3.6L’auteur demande à l’État partie d’enquêter sur les faits allégués, d’identifier et de punir les responsables et de lui accorder une réparation intégrale, y compris sous la forme d’une indemnisation rapide, juste et proportionnée pour le préjudice physique et psychologique subi, les possibilités d’emploi perdues et les allocations pour frais d’études et autres prestations sociales dont il n’a pas bénéficié, des dommages-intérêts pour préjudice moral et le remboursement des frais d’assistance spécialisée, des frais médicaux et des dépenses de médicaments. Il demande également que, à titre de réparation pour les dommages moraux et matériels qui lui ont été infligés, l’État partie lui accorde des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction, y compris des mesures visant à restaurer sa dignité et sa réputation, et lui donne des garanties de non-répétition.

3.7L’auteur soutient que sa communication est recevable ratione temporis et ratione loci et que la question n’a jamais été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il avance par ailleurs qu’il a épuisé toutes les voies de recours internes, jusqu’à la saisine de la Cour suprême, et qu’on ne pouvait raisonnablement attendre de lui qu’il entreprenne d’autres démarches au niveau national. De surcroît, les recours prévus par la législation népalaise ne se sont pas avérés efficaces étant donné qu’il n’a jamais reçu d’indemnités ni bénéficié d’aucune autre forme de réparation. Partant, la présente communication ne saurait être considérée comme un abus du droit de présenter des communications.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations du 13 octobre 2016, l’État partie soutient que la communication de l’auteur est irrecevable, voire dénuée de fondement, en ce qu’elle ne reflète pas la réalité et que l’affaire a déjà été réglée au niveau national.

4.2L’État partie avance que, en décembre 2002, un membre de la direction générale de la police a déposé une plainte contre l’auteur, qu’il accusait d’avoir volé de l’or à l’aéroport. Le 21 février 2003, la direction a demandé à l’auteur de répondre aux accusations portées contre lui, et l’intéressé a saisi la cour d’appel de Patan pour obtenir une ordonnance de mandamus et éviter ainsi d’éventuelles sanctions. La cour a fait droit à la demande de l’auteur, mais dans sa décision finale, rendue le 25 février 2003, elle a refusé d’examiner l’affaire au fond et levé les mesures imposées dans l’ordonnance qu’elle avait rendue.

4.3L’État partie soutient que, après que la cour d’appel a rendu son verdict, des policiers ont tenté de remettre à l’auteur une lettre dans laquelle il lui était demandé de donner des explications sur ce qui s’était passé. Toutefois, l’auteur a refusé la lettre, a quitté son poste et est devenu injoignable. Cinq policiers ont rédigé un compte rendu de la situation et, s’appuyant sur le règlement intérieur de la police, ont demandé que des sanctions supplémentaires soient prises contre l’intéressé. Il s’est ensuivi que, le 19 mars 2006, conformément à son règlement intérieur, la direction de la police a engagé une procédure de révocation de l’auteur. Celui-ci a fait appel de cette décision auprès du Ministère de l’intérieur, mais le Ministre a refusé d’examiner son recours. L’auteur a ensuite demandé l’autorisation de saisir la Cour suprême d’une demande en annulation de la décision de le soumettre à une procédure disciplinaire. Toutefois, la Cour a décidé le 1er septembre 2014 qu’il n’y avait pas lieu d’annuler cette décision au motif que l’auteur avait eu maintes fois l’occasion de s’y opposer et ne l’avait pas fait, refusant même la lettre que la police lui avait adressée.

4.4L’État partie ajoute que la requête en habeas corpus déposée par l’épouse de l’auteur le 3 décembre 2002 a été rejetée, la Cour l’ayant jugée superflue au motif que l’auteur se trouvait sur son lieu de travail, comme prévu.

4.5L’État partie souligne que, le 13 juillet 2004, le tribunal de district a rejeté les allégations selon lesquelles l’auteur avait été soumis à la torture entre le 28 novembre et le 5 décembre 2002. Le tribunal a estimé que les griefs de l’auteur n’étaient pas étayés car les tortionnaires présumés n’avaient pas été identifiés, aucun registre ne confirmait que l’intéressé avait été privé de liberté et le rapport du département de médecine légale du campus de Maharajgunj n’était pas pertinent étant donné qu’il découlait d’un examen effectué trop tardivement pour que les blessures constatées puissent être attribuées de manière conclusive à des actes de torture. La décision du tribunal a été confirmée par les juridictions supérieures.

4.6En ce qui concerne l’absence de mandat d’arrêt, l’État partie soutient que l’arrestation de l’auteur a été effectuée dans les formes légales. La loi de 1970 sur certaines infractions autorise en effet la police à arrêter sans mandat les personnes soupçonnées d’avoir commis certains types d’entorses à la loi. Si l’auteur a été arrêté le 20 mars 2006 sans qu’un mandat ait été décerné contre lui, c’est parce qu’il avait eu un comportement portant atteinte à la paix et à l’ordre public. La loi de 1970, qui couvre ce type de comportement, dispose que la personne arrêtée sera immédiatement présentée devant le magistrat compétent, qui doit nécessairement autoriser sa détention, et fixe à sept jours la durée maximum de la garde à vue. L’auteur a donc été maintenu en détention avec l’autorisation de l’autorité compétente, puis a été remis en liberté le 28 mars 2006 sur ordre de la Cour suprême.

4.7L’État partie avance que la Constitution garantit les droits fondamentaux, notamment le droit de ne pas être soumis à la torture et à la privation arbitraire de liberté. L’article 126 de la Constitution dispose que le pouvoir judiciaire est exercé par des tribunaux indépendants et d’autres organes indépendants conformément à la Constitution, à la loi de l’État partie et aux principes juridiques reconnus. L’article 9 de la loi de 1990 sur les traités affirme l’inviolabilité des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et dispose qu’aucune loi ou mesure ne peut être interprétée de manière contraire au principe d’une justice équitable et compétente. L’auteur a obtenu justice, dans le respect de la Constitution, des lois en vigueur et du principe d’une justice équitable et compétente. Le tribunal de district de Katmandou a tranché la plainte du 26 avril 2006, dans laquelle l’auteur accusait 12 policiers de l’avoir soumis à des actes de torture et d’autres mauvais traitements, en accordant à l’intéressé une indemnité de 21 000 roupies népalaises, sans ordonner de sanctions disciplinaires contre les personnes mises en cause. Cette décision a été confirmée par les juridictions supérieures.

4.8Bien que l’auteur affirme que la somme de 21 000 roupies népalaises ne constitue pas une indemnisation adéquate ni juste compte tenu du préjudice qu’il a subi, l’État partie signale que cette somme a été fixée par un tribunal national conformément à la législation en vigueur et en fonction de la gravité des faits, du préjudice subi et d’autres considérations pertinentes. La décision du tribunal, organe judiciaire indépendant, doit être respectée par tous.

4.9L’État partie conclut que la communication n’est pas recevable, ou, à défaut, qu’elle est dénuée de fondement, car la question a été examinée par trois niveaux de juridictions indépendantes, impartiales et compétentes, conformément à la Constitution et aux lois en vigueur et dans le respect des garanties d’un procès équitable internationalement reconnues.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 21 octobre 2016, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2L’auteur fait observer qu’on ne sait pas au juste sur quelles dispositions l’État partie s’appuie pour soutenir que la communication est irrecevable. Considérant que cet argument repose sur l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, qui exige l’épuisement des recours internes, il rappelle qu’il a exercé toutes les voies de recours disponibles au niveau national et que celles-ci se sont avérées inutiles puisque l’État partie n’a pas mené d’enquête efficace, n’a pas poursuivi les auteurs des infractions et ne lui a pas accordé de mesures de réparation appropriées. En outre, l’auteur soutient que l’État partie reconnaît que tous les recours internes disponibles ont été épuisés puisqu’il argue que la question faisant l’objet de la communication a déjà été examinée et tranchée aux trois niveaux de l’ordre juridique interne. Selon lui, la communication remplit les conditions de recevabilité énoncées à l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif et devrait donc être déclarée recevable.

5.3Concernant le fond de la communication, si l’État partie insiste sur le fait que la question a été tranchée par les juridictions internes, l’auteur réaffirme néanmoins qu’il n’y a pas eu d’enquête efficace, et que les responsables n’ont été ni poursuivis ni punis. S’agissant de la décision du 13 juillet 2004 par laquelle le tribunal l’a débouté de sa demande au motif que l’identité de ses tortionnaires présumés n’était pas connue, l’auteur soutient qu’il a toujours su qui s’en était pris à lui et qu’il a publiquement dénoncé les policiers en question à plusieurs reprises. Il signale que certains d’entre eux ont été promus ou, à tout le moins, se sont vu offrir une promotion, ce qui, selon lui, confirme qu’il n’y a pas eu d’enquête sur ses allégations et que l’impunité règne toujours.

5.4L’auteur conteste l’allégation de l’État partie selon laquelle, aux moments où il dit avoir été torturé, en novembre et décembre 2002, il était en réalité en train de travailler au commissariat. Il soutient que le fait que son nom ne figure sur aucun registre de détention ne suffit pas à réfuter les allégations de torture, et rappelle que le fait que son arrestation et sa détention n’ont jamais été officielles participe d’une pratique systématique dénoncée par plusieurs organes internationaux chargés des droits de l’homme, dont le Comité, et constitue en soi une violation de l’article 9 du Pacte.

5.5L’auteur avance que le fait que l’État partie écarte le certificat médical attestant ses blessures en considérant que celui-ci ne démontre pas de manière concluante qu’il a été torturé prouve que ses allégations n’ont pas donné lieu à une enquête approfondie et efficace. Il avance également que l’indemnisation qui lui a été accordée par les tribunaux nationaux constitue une reconnaissance du fait qu’il a effectivement été soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements.

5.6L’auteur répète que la décision d’indemnisation ne peut en aucun cas être considérée comme l’aboutissement d’un recours utile. Bien que l’État partie soutienne que l’indemnité qui lui a été accordée par le tribunal de district de Katmandou a été fixée en fonction de la gravité des actes commis et du préjudice subi, l’auteur estime qu’elle n’était pas proportionnée à la gravité de son arrestation et sa détention arbitraires et suffisante pour le dédommager des conditions inhumaines de détention auxquelles il a été soumis et des violations du droit à la vie privée dont lui et sa famille ont souffert. Selon lui, si la somme de 21 000 roupies népalaises correspond à l’indemnité standard accordée aux victimes de torture au Népal, elle n’est néanmoins pas proportionnée à l’extrême gravité des crimes dont il a été victime et n’est donc pas conforme aux normes internationales. L’auteur fait valoir que, dans les affaires de torture, l’indemnisation ne peut jamais être considérée à elle seule comme une réparation suffisante, et rappelle que, en application des dispositions pertinentes du droit international, les victimes doivent aussi bénéficier de mesures de restitution, de réhabilitation et de satisfaction et de garanties de non-répétition.

5.7En résumé, l’auteur allègue que l’État partie n’a pas fourni d’arguments juridiques suffisamment convaincants pour établir que la communication était irrecevable et dénuée de fondement. Il soutient que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, car il a été soumis à des actes de torture, des mauvais traitements et des conditions de détention inhumaines et les autorités n’ont pas fait procéder d’office et sans délai à une enquête efficace, indépendante, impartiale et approfondie pour faire la lumière sur ses allégations, poursuivre et punir les responsables et lui accorder une réparation effective.

5.8L’auteur argue en outre d’une violation des droits reconnus à l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 2), motif pris de ce que l’État partie n’a pas adopté de mesures législatives permettant de donner effet aux droits consacrés par le Pacte et d’éliminer du cadre législatif relatif à la torture les éléments qui sont en contradiction avec les obligations internationales mises à sa charge. Bien que l’État partie fasse valoir que la Constitution de 2015 reconnaît le droit fondamental qu’a chacun de ne pas être soumis à la torture, l’auteur affirme que cette reconnaissance est vaine si elle ne s’accompagne pas d’une législation pénale prévoyant que les auteurs doivent être poursuivis et dûment punis, ce qui n’est toujours pas le cas dans l’État partie.

5.9L’auteur réaffirme que l’État partie a porté atteinte à l’article 9 (par. 1, 2, 3 et 5) du Pacte, lu séparément et conjointement avec l’article 2 (par. 3), car il a été victime d’arrestation et de détention arbitraires et n’a pas été immédiatement informé des raisons de son arrestation. Il soutient que l’État partie a également porté atteinte à l’article 17 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), car lui et sa famille ont fait l’objet d’une immixtion arbitraire et illégale dans leur vie privée, leur domicile et leur vie de famille.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité rappelle que, conformément à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, il ne peut examiner une communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que tous les recours internes ont été épuisés. Étant donné que l’auteur dit avoir épuisé tous les recours internes et que l’État partie ne conteste pas cet argument, le Comité estime que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication. À cet égard, le Comité note que, bien que l’auteur avance que l’État partie considère la communication irrecevable parce qu’elle ne remplit pas la condition de l’épuisement des recours internes énoncée à l’article 5 (par. 2 b)), l’État partie a reconnu dans ses observations que l’affaire avait été examinée aux trois niveaux de son ordre juridique.

6.4Le Comité note que l’auteur affirme que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec l’article 7, car il n’a pas adopté de lois permettant de donner effet aux droits reconnus à l’article 7 du Pacte ni comblé les lacunes existantes dans la législation relative à la torture. Le Comité rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que les dispositions de l’article 2 du Pacte énoncent une obligation générale faite aux États parties et ne peuvent pas être invoquées indépendamment dans une communication présentée au titre du Protocole facultatif. Selon lui, ces dispositions ne peuvent pas non plus être invoquées en conjonction avec d’autres articles du Pacte, sauf lorsque le non-respect par l’État partie des obligations mises à sa charge par l’article 2 (par. 2) est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime. Le Comité constate toutefois que l’auteur se dit aussi victime d’une violation des droits garantis à l’article 7 du Pacte résultant de l’interprétation et de l’application des lois en vigueur dans l’État partie ; or, il estime qu’examiner la question de savoir si l’État partie a manqué aux obligations générales qui lui sont faites par l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec l’article 7, revient à examiner la question de savoir s’il y a eu violation des droits que l’auteur tient de l’article 7 du Pacte. En conséquence, il considère que les griefs soulevés par l’auteur à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 (par. 2) du Pacte et donc irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs soulevés dans la communication ont déjà été dûment examinés et tranchés par la justice népalaise, qui a accordé à l’intéressé une indemnité conforme à la loi sur l’indemnisation des victimes de torture. Il prend note également des arguments de l’auteur, qui soutient que le montant octroyé n’est pas proportionné à la gravité des actes de torture qui lui ont été infligés en mars 2006. Le Comité prend note également de l’argument de l’auteur selon lequel l’indemnisation ne peut jamais être considérée à elle seule comme une réparation suffisante, et qu’aucune des personnes soupçonnées d’avoir infligé les actes de torture n’a jamais été identifiée, jugée ni punie alors pourtant que plusieurs plaintes avaient été déposées par l’auteur au sujet des actes de torture qu’il avait subis en mars 2006. À ce propos, le Comité rappelle que la réparation doit être proportionnée à la gravité des violations commises et du préjudice subi. Il estime que la réparation prévue par la loi sur l’indemnisation des victimes de torture est insuffisante au regard des dispositions de ce texte concernant l’utilité des recours, compte tenu en particulier du fait que, d’après les éléments dont le Comité est saisi, l’État partie n’a pas mené d’enquête appropriée sur les actes de torture subis par l’auteur en mars 2006. En outre, l’indemnisation susmentionnée ne concernait que les actes de torture infligés à l’auteur en mars 2006 et ne couvrait pas les actes de torture, l’arrestation et la détention arbitraires, la détention dans des conditions inhumaines, ni les restrictions à l’exercice, par sa famille et lui-même, du droit à la vie privée, dont l’auteur dit avoir fait l’objet en novembre et décembre 2002, allégations au sujet desquelles l’État partie n’a fourni aucune information montrant qu’une enquête suffisamment approfondie avait été diligentée. Partant, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire des articles 7, 9 (par. 1, 2, 3 et 5), 10 (par. 1) et 17, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

6.6Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité déclare celle-ci recevable en ce qui concerne les griefs tirés des articles 7, 9 (par. 1, 2, 3 et 5), 10 (par. 1) et 17 du Pacte, tous lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3), et procède donc à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2En ce qui concerne les allégations formulées au titre de l’article 7 du Pacte, le Comité prend note des constatations des organes internationaux chargés des droits de l’homme et des rapports d’organisations non gouvernementales dont il ressort que, au Népal, la torture et les autres mauvais traitements sont des pratiques généralisées. Le Comité rappelle que l’article 7 du Pacte ne peut pas faire l’objet de dérogation, même en cas de danger public, et que dès lors qu’une plainte dénonçant des actes de torture ou un mauvais traitement contraire à l’article 7 a été déposée, l’État partie doit rapidement mener une enquête impartiale. Il réaffirme que la charge de la preuve ne peut pas incomber uniquement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, dans bien des cas, seul l’État partie à accès aux informations pertinentes. Lorsque les allégations formulées sont corroborées par des éléments crédibles apportés par l’auteur et ne peuvent être vérifiées plus avant qu’au moyen de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut considérer qu’elles sont étayées à moins que l’État partie ne les réfute par des preuves ou des explications satisfaisantes. Le Comité rappelle en outre qu’en l’absence d’explications convaincantes de la part de l’État partie, crédit doit être accordé aux allégations de l’auteur, si celles-ci sont suffisamment étayées.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui soutient que les allégations selon lesquelles l’auteur a été victime de torture et d’autres mauvais traitements du 28 novembre au 5 décembre 2002 ne peuvent pas être étayées car les auteurs présumés n’ont pas été identifiés, aucun document n’indique que l’auteur ait été détenu et l’intéressé n’a pas fourni de certificat valable attestant l’existence de séquelles. Le Comité prend note également des arguments de l’auteur, qui avance qu’il a identifié les auteurs présumés et que l’absence de trace de sa détention dans les registres officiels ne saurait être la preuve qu’il n’a pas été détenu, et qui fournit des déclarations attestant qu’il n’était pas en train de travailler dans son bureau au moment des faits présumés. Le Comité note en outre que l’auteur fait valoir un certificat médical confirmant qu’il a été blessé le 20 décembre 2002 et explique que, s’il n’a pas pu être examiné par un médecin plus tôt, c’est parce qu’il a été contraint de rester au commissariat. L’auteur rappelle en outre que son épouse a engagé une procédure d’habeas corpus pendant la même période, argument qui contribue également à étayer ses allégations. Le Comité note enfin que l’État partie n’a pas contesté les preuves testimoniales fournies par l’auteur et n’a pas dit avoir enquêté plus avant sur les faits. Il estime que, en l’absence d’explications convaincantes de l’État partie concernant les allégations selon lesquelles l’auteur a été victime de torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants du 28 novembre au 5 décembre 2002, il doit accorder du crédit aux allégations de l’intéressé.

7.4Le Comité prend note des allégations selon lesquelles les conditions générales dans lesquelles l’auteur a été gardé à vue au poste de police de Hanuman Dhoka (Katmandou) du 28 novembre au 5 décembre 2002 (absence de contact avec le monde extérieur, mise à l’isolement, interrogatoires sous la contrainte avec recours aux chocs électriques et à d’autres procédés extrêmes, privation d’eau et de nourriture pendant plusieurs jours) sont assimilables à la torture et à un traitement cruel, inhumain et dégradant. Il rappelle son observation générale no 20 (1992), dans laquelle il a fait observer que l’isolement prolongé de la personne privée de liberté pouvait être constitutif de torture. De surcroît, il est conscient de la souffrance qu’entraîne pour un détenu le fait d’être privé de contact avec le monde extérieur. Le Comité rappelle que, lorsque l’État partie prive une personne de liberté et refuse de le reconnaître, il soustrait la personne concernée à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque grave et constant dont il doit rendre compte. En l’absence d’informations de l’État partie concernant la manière dont l’auteur a été traité pendant sa détention, le Comité accorde du crédit aux allégations selon lesquelles l’intéressé a été détenu dans des conditions constitutives de torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants et conclut donc à une violation de l’article 7 du Pacte. Compte tenu de ce qui précède, il estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les griefs soulevés au titre de l’article 10 (par. 1) au regard des mêmes faits.

7.5Le Comité constate que, après que l’auteur a déposé plainte pour la torture et les mauvais traitements subis du 28 novembre au 5 décembre 2002, les autorités de l’État partie n’ont pas mené d’enquête efficace. Il estime que l’État partie n’a pas démontré que, dans les circonstances de l’espèce, les allégations de torture formulées par l’auteur avaient été traitées avec toute la diligence voulue. L’auteur a établi qu’il avait à plusieurs reprises appelé l’attention des autorités sur ce qui lui était arrivé, saisissant tour à tour la Commission nationale des droits de l’homme, le préfet du district et la Cour suprême. Le Comité estime en particulier que, en l’absence de toute explication convaincante de la part de l’État partie concernant les actes dénoncés par l’auteur, il convient d’accorder du crédit aux allégations formulées par celui-ci, d’autant qu’elles sont étayées par des déclarations de témoins. Par conséquent, il conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), violation qui résulte des mauvais traitements infligés à l’intéressé en novembre et décembre 2002.

7.6Concernant les tortures qui lui auraient été infligées en mars 2006, l’auteur dénonce également une violation de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3). Pour rendre un recours utile au sens de l’article 2 (par. 3) du Pacte, l’État partie a le devoir d’enquêter sans délai, en toute impartialité et de manière approfondie sur les violations présumées des droits de l’homme, de poursuivre les auteurs présumés, de punir les personnes tenues pour responsables de ces violations, et d’accorder en outre aux victimes une réparation sous d’autres formes, notamment de les indemniser. Ces obligations s’appliquent notamment en cas d’actes constitutifs de violation du droit pénal international, tels que ceux visés à l’article 7 du Pacte. Le Comité rappelle en outre que les dispositions de l’article 7 du Pacte couvrent non seulement les actes qui provoquent une douleur physique mais aussi les actes qui infligent une souffrance mentale.

7.7Le Comité note que l’État partie soutient que les tribunaux nationaux ont déjà examiné le grief de torture soulevé par l’auteur concernant les actes subis en mars 2006 et ont accordé une indemnisation à l’intéressé. Il note également que l’auteur avance que le montant de l’indemnité n’est pas suffisant au regard de la gravité des tortures qui lui ont été infligées à l’époque et des séquelles physiques et psychologiques dont il souffre en raison de ces actes et du fait que l’État partie ne lui a pas assuré une protection contre la torture ou n’a pas dûment donné suite à ses allégations de torture. Le Comité relève que l’État partie affirme que le tribunal a fixé ce montant compte tenu de la gravité des faits et du préjudice causé, mais que, selon l’auteur, le tribunal n’a pas tenu compte des séquelles psychologiques dont il souffre, ni de sa situation socioéconomique et de ses besoins en matière de réadaptation, et les tortures qui lui ont été infligées n’ont pas donné lieu à une enquête ni à des poursuites. Le Comité constate que l’État partie n’explique pas de façon convaincante pourquoi il n’a pas dûment enquêté sur la gravité des actes de torture, en particulier les séquelles psychologiques dont l’auteur souffre depuis qu’il a été torturé, lesquelles auraient dû être prises en considération aux fins de la détermination d’une indemnisation équitable par les tribunaux, ni pourquoi les responsables que l’auteur a identifiés n’ont été ni poursuivis ni sanctionnés. Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il convient d’accorder le poids voulu aux allégations de l’auteur et qu’il ressort des éléments versés au dossier que les organes de l’État partie n’ont pas mené une enquête efficace sur les allégations de torture et de souffrances physiques et psychologiques de l’auteur, en dépit des éléments de preuve fournis par celui-ci..

7.8L’État partie ne peut se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte en invoquant le fait que les juridictions internes ont déjà examiné l’affaire, lorsqu’il apparaît clairement que les recours offerts sont inutiles. Le Comité conclut donc qu’au vu de l’absence de mesures prises pour qu’une enquête impartiale et approfondie soit immédiatement ouverte, que les auteurs présumés soient poursuivis et, le cas échéant, punis, et que l’auteur bénéficie d’une réparation adéquate, les informations dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par.3) du Pacte, s’agissant des actes de torture subis par l’auteur en mars 2006.

7.9En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9 (par. 1, 2, 3 et 5) du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), le Comité note que l’auteur affirme qu’il a été détenu, du 28 novembre au 5 décembre 2002 puis de nouveau du 20 mars au 28 mars 2006, après avoir été arrêté sans qu’un mandat ait été décerné contre lui, sans qu’on l’ait informé des raisons de son arrestation ou des accusations portées contre lui, et sans que sa détention soit officiellement consignée dans les registres. Le Comité note que, selon l’État partie, les autorités ont agi dans le respect de la loi lorsqu’elles ont arrêté l’auteur sans mandat le 20 mars 2006 et l’ont placé en détention car l’intéressé s’était livré à des activités portant atteinte à l’ordre public (voir par. 4.6). L’État partie n’a toutefois fourni aucun détail concernant cette allégation.

7.10Le Comité rappelle que l’adjectif « arbitraire » employé à l’article 9 du Pacte n’est pas synonyme de « contraire à la loi » ; il doit être interprété de manière plus large comme désignant une situation tout à la fois inappropriée, injuste, imprévisible et dans laquelle les garanties judiciaires ne sont pas respectées. Le Comité rappelle également son observation générale no 35 (2014), dans laquelleil interdit l’arrestation et la détention arbitraires et la privation de liberté illégale, c’est-à-dire la privation de liberté qui n’est pas imposée pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. Les deux interdictions se chevauchent en ce que l’arrestation et la détention peuvent être contraires à la loi applicable mais ne pas être arbitraires, ou être autorisées par la loi mais être arbitraires, ou encore être à la fois arbitraires et illégales. L’arrestation et la détention qui sont dénuées de fondement juridique sont aussi arbitraires. De surcroît, l’article 9 exige le respect des dispositions de droit interne qui déterminent quand l’autorisation d’un juge ou d’une autre autorité doit être obtenue pour maintenir une personne en détention, où les suspects peuvent être détenus, dans quels délais ils doivent être déférés devant un tribunal et combien de temps ils peuvent être gardés à vue. Il faut veiller à ce que les personnes privées de liberté puissent accéder à un recours utile leur permettant de faire valoir leurs droits, et notamment à ce qu’elles puissent faire examiner, puis réexaminer régulièrement, la légalité de leur placement en détention par un juge, l’objectif étant d’éviter des conditions de détention incompatibles avec le Pacte.

7.11Le Comité constate, sur la base des informations fournies, que l’arrestation de l’auteur le 28 novembre 2002 et sa détention du 28 novembre au 5 décembre 2002 étaient à la fois arbitraires et illégales car l’intéressé n’a pas été informé des raisons de son arrestation, n’a pas été présenté rapidement devant un juge et n’a pas obtenu réparation pour la violation de ses droits. En outre, ni l’arrestation ni la détention n’ont été officiellement reconnues, ce qui constitue une violation des normes internationales relatives aux garanties dont doivent bénéficier les personnes détenues. En ce qui concerne l’arrestation de l’auteur le 20 mars 2006 et la privation de liberté qui a suivi entre cette date et le 28 mars 2006, le Comité fait observer que, même si ces mesures étaient conformes à la loi de 1970, qui réprime et punit certains comportements, les droits de l’auteur de connaître les raisons de son arrestation et les accusations portées contre lui dès le début de sa détention et de consulter rapidement un avocat de son choix auraient dû être garantis. Il note que, comme les décisions par lesquelles l’auteur s’est vu accorder une indemnité pour les tortures subies en détention entre le 20 et le 28 mars 2006 ne font pas référence aux allégations de détention et d’arrestation arbitraire, on ne sait pas au juste si les tribunaux ont examiné ces allégations et les ont prises en considération aux fins de la détermination du montant de l’indemnité. En l’absence d’explication de l’État partie à ce sujet, le Comité estime que l’arrestation et la détention de l’auteur ainsi que le fait que ni l’une ni l’autre n’aient été consignées dans les registres officiels constituent une violation des droits que l’intéressé tient de l’article 9 (par. 1, 2, 3 et 5) du Pacte.

7.12En ce qui concerne l’article 17 du Pacte, le Comité rappelle son observation générale no 16 (1988), dont il ressort que les droits garantis à l’article 17 doivent être protégés contre toutes restrictions et atteintes, qu’elles émanent des autorités de l’État ou de personnes physiques ou morales, et que les perquisitions effectuées au domicile d’une personne doivent se limiter à la recherche des éléments de preuve nécessaires et ne doivent pas donner lieu à un harcèlement. Or, il constate que la perquisition effectuée au domicile de l’auteur le 29 novembre 2002 n’était pas autorisée par un mandat et que les policiers qui l’ont menée ont verbalement et sexuellement harcelé l’épouse et la fille âgée de 14 ans de l’intéressé et les ont menacées de mort, portant atteinte à leur honneur et à leur réputation. En l’absence d’explications de l’État partie, le Comité estime qu’il y a lieu d’accorder du crédit aux allégations de l’auteur. Il conclut que, compte tenu de ces circonstances, l’irruption de la police au domicile de l’auteur et de sa famille a constitué une immixtion illégale dans la vie privée, la vie de famille et le domicile des intéressés, en violation de l’article 17 du Pacte.

7.13En l’espèce, le Comité note que les éléments dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que les autorités ont immédiatement mené une enquête efficace sur les allégations d’arrestation et de détention arbitraires et d’immixtion arbitraire et illégale dans la vie privée, le domicile et la vie de famille de l’auteur, ni que l’un quelconque des suspects a été identifié, jugé et puni, alors pourtant que plusieurs plaintes avaient été déposées par l’auteur, qui avait de surcroît identifié certains des auteurs présumés. L’État partie n’a pas expliqué pourquoi les autorités n’avaient pas encore ouvert d’enquête ou pourquoi elles avaient tardé à en ouvrir une. En conséquence, le Comité estime que l’État partie n’a pas fait procéder sans délai à une enquête approfondie et efficace sur les circonstances dans lesquelles l’auteur a été arrêté et détenu, ni sur l’immixtion arbitraire et illégale dont l’intéressé a été victime dans sa vie privée, son domicile et sa vie de famille. Partant, il conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec les articles 9 et 17.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 7, 9 et 17 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3).

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est notamment tenu : a) de mener sans délai une enquête efficace, approfondie, impartiale, indépendante et transparente sur les faits entourant l’arrestation et la détention de l’auteur et les actes de torture et autres mauvais traitements dont celui-ci a été victime pendant sa privation de liberté, en 2002 et en 2006, ainsi que sur les allégations d’immixtion dans sa vie privée, son domicile et sa vie familiale, et de lui fournir des informations détaillées sur l’issue de l’enquête ; b) de poursuivre et punir les responsables des violations commises ; c) de veiller à ce que l’auteur bénéficie des mesures de réadaptation psychologique et des soins médicaux dont il a besoin ; d) de fournir à celui-ci une réparation adéquate en plus de l’indemnisation partielle déjà accordée, notamment des mesures de satisfaction. L’État partie est également tenu de veiller à ce que ce type de violations ne se reproduise pas. En particulier, il devrait faire en sorte que sa législation incrimine expressément la torture et prévoie des sanctions et des réparations proportionnées à la gravité des actes commis.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.