Nations Unies

CCPR/C/131/D/2805/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

19 juillet 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2805/2016 * , ** , ***

Communication présentée par :

Aziz Aliyev, Jeyhun Aliyev, Vagif Aliyev, Gamar Aliyeva, Havva Aliyeva et Yevdokiya Sobko (représentés par des conseils, Daniel Pole et Petr Muzny)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Azerbaïdjan

Date de la communication :

1er avril 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 13 septembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

25 mars 2021

Objet :

Arrestation, placement en détention et condamnation à une amende pour avoir mené des activités religieuses propres aux Témoins de Jéhovah

Question(s) de procédure :

Recevabilité − épuisement des recours internes ; recevabilité − défaut manifeste de fondement

Question(s) de fond :

Arrestation et détention arbitraires ; discrimination ; liberté de réunion ; liberté d’association ; liberté d’expression ; liberté de religion ; minorités − droit d’avoir sa propre vie culturelle

Article(s) du Pacte :

9 (par. 1), 18 (par. 1 et 3), 19 (par. 2 et 3), 21, 22 (par. 1), 26 et 27

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication sont Aziz Aliyev, Jeyhun Aliyev, Vagif Aliyev, Gamar Aliyeva, Havva Aliyeva et Yevdokiya Sobko, ressortissants azerbaïdjanais nés respectivement en 1960, 1989, 1959, 1959, 1969 et 1958. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 9 (par. 1), 18 (par. 1 et 3), 19 (par. 2 et 3), 21, 22 (par. 1), 26 et 27 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 27 février 2002. Les auteurs sont représentés par des conseils.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont Témoins de Jéhovah, un mouvement chrétien dont les membres se réunissent en association dans le cadre de leur culte religieux, dans des lieux de culte ou des domiciles privés. Les Témoins de Jéhovah s’appuient sur la Bible et sur des écrits religieux dans le cadre du culte individuel et collectif. Les auteurs ne sont pas membres d’une organisation religieuse officiellement enregistrée auprès du Gouvernement.

2.2Les Témoins de Jéhovah sont une minorité religieuse en Azerbaïdjan, où la population est majoritairement musulmane. Leurs écrits religieux y ont été soumis à la censure de l’État. Le Comité d’État pour la coopération avec les associations religieuses est l’autorité chargée de superviser les activités religieuses en Azerbaïdjan, notamment l’importation d’écrits religieux. Il critique les Témoins de Jéhovah et leurs publications dans ses rapports. Ceux‑ci contiennent souvent des allégations erronées et non étayées sur les convictions religieuses profondes des Témoins de Jéhovah. Le Ministère de la sécurité nationale a transmis un rapport de ce type au département de police du district de Zagatala. Ce rapport, daté du 5 octobre 2013 et intitulé « Avis sur des échantillons d’écrits religieux présentés pour examen », indiquait que la diffusion des publications énumérées ci-après était jugée non souhaitable car elles avaient été importées sans l’autorisation nécessaire du Comité pour la coopération avec les associations religieuses : a) Qu’enseigne réellement la Bible ? ; b) La Bible − Parole de Dieu ou parole de l’homme ? ; c) Examinons les Écritures chaque jour − 2013 (en russe) ; d) Examinons les Écritures chaque jour − 2013 ; e) Briller comme des illuminateurs dans le monde ; f) l’Annuaire 2013 des Témoins de Jéhovah.

2.3Les 17 et 18 septembre 2013, la police du district de Zagatala a ouvert une enquête après que deux résidents avaient signalé que des Témoins de Jéhovah prêchaient dans la région. Le 21 septembre 2013 au matin, tous les auteurs sauf Aziz Aliyev se sont réunis dans la maison que ce dernier partageait avec son épouse, Havva Aliyeva, pour une cérémonie religieuse hebdomadaire qui devait commencer à 11 heures. Jeyhun Aliyev, le fils du couple alors âgé de 24 ans, était à la maison. Les amis du couple, Vagif Aliyev et Gamar Aliyeva, ainsi que Yevdokiya Sobko, étaient également présents.

2.4Vers 11 heures, avant le début de la cérémonie, des policiers en civil et d’autres en uniforme sont arrivés au domicile et ont exigé de pouvoir entrer. Jeyhun Aliyev leur a demandé de montrer une autorisation en ce sens, mais ils lui ont répondu qu’ils n’étaient pas tenus de montrer une autorisation. Plusieurs policiers ont forcé l’entrée, accompagnés de voisins et d’un représentant du conseil du village. Havva Aliyeva a demandé aux policiers de quitter la maison et a fermé la porte. Cependant, d’autres policiers sont arrivés. Ils ont agité un document sans permettre aux auteurs de le lire, puis sont entrés de force par une fenêtre. Un policier a commencé à forcer la porte d’entrée avec un tournevis. Les policiers ont crié sur les auteurs et les ont menacés d’emprisonnement. Ils ont insulté Vagif Aliyev et Gamar Aliyeva, et ont menacé cette dernière, qui est institutrice, de la faire licencier. Ils ont dit au couple qu’ils devaient avoir perdu l’esprit pour être devenus Témoins de Jéhovah.

2.5Alors que Jeyhun Aliyev les avait prévenus que sa mère était épileptique, les policiers s’en sont pris physiquement à Havva Aliyeva. Ils l’ont obligée à leur remettre la clef de la maison. Celle-ci s’est remplie de policiers, parmi lesquels le chef adjoint qui a pris les choses en main. Les policiers ont fouillé la maison et divers biens dont des lits, des sacs et d’autres effets personnels appartenant aux auteurs. Ils ont saisi des livres, y compris des écrits religieux, de l’argent et des documents juridiques et médicaux privés. Ils ont occupé la maison pendant des heures.

2.6Les policiers ont ensuite emmené les auteurs au poste de police du district de Zagatala. En route, Havva Aliyeva a eu une crise d’épilepsie, a perdu connaissance et a été emmenée à l’hôpital. Dès qu’elle a repris conscience, les policiers l’ont harcelée et forcée à les accompagner au poste de police. Là, les agents ont menacé les auteurs, disant qu’ils allaient perdre leur emploi et être emprisonnés. Jeyhun Aliyev a également été menacé d’agression sexuelle.

2.7Aziz Aliyev n’était pas chez lui ce jour-là. Havva Aliyeva l’a appelé pour lui dire que la police fouillait leur maison. Jeyhun Aliyev l’a appelé plus tard lorsque les brutalités des policiers ont provoqué la crise d’épilepsie de Havva Aliyeva. Aziz Aliyev s’est précipité à l’hôpital, mais des policiers l’ont empêché de voir son épouse, l’ont arrêté et emmené au poste.

2.8Pendant plusieurs heures, les policiers ont interrogé les auteurs et tenté de les forcer à écrire des déclarations sous leur dictée. Comme les auteurs ont refusé, les policiers ont formulé de nouvelles menaces et les ont accusés d’être des terroristes, des traîtres, des malades mentaux et des membres d’une secte dangereuse. Ils ont dit aux auteurs qu’ils « devraient pourrir en prison » et qu’ils devraient étudier le Coran au lieu de la Bible. Ils ont dit à Yevdokiya Sobko qu’elle était une criminelle et que les Témoins de Jéhovah étaient une religion extrémiste.

2.9La police a accusé chacun des auteurs au titre de l’article 299.0.2 du Code des infractions administratives, pour avoir enfreint les règles applicables à l’organisation et la tenue de rassemblements, processions de rue et autres cérémonies à caractère religieux. Chaque auteur a déposé une requête de rejet des accusations et a invoqué les droits garantis par le Pacte.

2.10Le 26 novembre 2013, le procès des auteurs s’est ouvert devant le tribunal de district de Zagatala. Comme preuves à charge, l’accusation a produit les déclarations de deux résidents locaux et un document établi par le Ministère de la sécurité nationale et contenant de fausses informations sur les Témoins de Jéhovah. Les auteurs ont chacun déposé des déclarations contredisant les allégations présentées par l’accusation et dénonçant des violations de leurs droits humains, notamment des droits garantis par le Pacte.

2.11À la même date, le tribunal de district de Zagatala a rendu des décisions presque identiques dans lesquelles il a déclaré les auteurs coupables d’infraction à l’article 299.0.2 du Code des infractions administratives. À l’exception de Havva Aliyeva, qui a reçu un avertissement officiel, chaque auteur a été condamné à une amende de 1 500 manats (soit environ 1 413 euros à l’époque). Dans sa décision concernant Aziz Aliyev, le tribunal de district a déclaré que les auteurs, qui se considéraient comme membres de la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah, s’étaient rassemblés au domicile d’Aziz Aliyev « dans le but de faire de la propagande pour cette secte religieuse ». Selon le tribunal, ils avaient « enfreint la procédure prévue par la loi pour l’organisation et la conduite de cérémonies religieuses en utilisant les six ouvrages précités, importés sans l’autorisation du Comité d’Étatpour la coopération avec les associations religieuses et dont la diffusion sur le territoire du pays avait été jugée non souhaitable, à des fins de propagande religieuse en faveur de cette secte ».

2.12Chacun des auteurs a interjeté appel de la décision du tribunal de district devant la chambre criminelle de la cour d’appel de Chaki. Une audience a eu lieu le 23 décembre 2013. Le même jour, la cour d’appel a rendu des décisions presque identiques pour chaque auteur, déclarant qu’ils s’étaient réunis avec d’autres personnes au sein d’une communauté religieuse qui n’avait pas été légalement enregistrée, qu’ils avaient enfreint la procédure prévue par la loi pour l’organisation et la conduite de cérémonies religieuses et qu’ils avaient introduit dans le pays, sans autorisation, des écrits religieux qu’ils utilisaient pendant ces réunions hebdomadaires. La cour d’appel a considéré que ces faits étaient constitutifs de l’infraction visée à l’article 299.0.2 du Code des infractions administratives, et que la décision du tribunal de district était donc légale, fondée et juste.

2.13Les auteurs soutiennent qu’ils ne disposent d’aucun autre recours interne, car une décision rendue par la chambre criminelle de la cour d’appel n’est pas susceptible d’appel. Cependant, le 21 octobre 2013, trois des auteurs (Aziz et Jeyhun Aliyev et Havva Aliyeva) ont déposé devant le tribunal administratif et économique de Chaki, une plainte dans laquelle ils ont demandé que le département de police du district de Zagatala leur paie des dommages et intérêts pour la descente de police illégale. Le 3 décembre 2014, ce tribunal a rejeté la demande, aux motifs qu’une nécessité publique urgente avait rendu ce raid nécessaire ; que les Témoins de Jéhovah n’étaient pas officiellement enregistrés à Zagatala, et que l’importation des écrits religieux utilisés par les auteurs n’avait pas été approuvée par le Comité d’État pour la coopération avec les associations religieuses.

2.14Aziz et Jeyhun Aliyev et Havva Aliyeva ont interjeté appel de la décision du tribunal administratif et économique de Chaki devant la Cour d’appel de Chaki. Celle-ci a rejeté ce recours le 17 juin 2015, pour les raisons déjà invoquées par le tribunal administratif et économique. Ces auteurs ont ensuite interjeté appel devant la Cour suprême. Celle-ci a rejeté leur appel le 27 octobre 2015, pour les mêmes raisons que celles invoquées par le tribunal de district de Zagatala. Elle n’a pas contesté que le rassemblement religieux au domicile des Aliyev avait été entièrement pacifique, ni que les écrits religieux saisis par la police n’incitaient pas à la violence et ne prônaient pas la haine religieuse.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que, en les arrêtant, en les maintenant en garde à vue, en les déclarant coupables et en leur infligeant une amende pour possession d’ouvrages non approuvés par le Comité d’État pour la coopération avec les associations religieuses et pour exercice d’une activité religieuse en dehors d’une adresse enregistrée, l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 9 (par. 1), 18 (par. 1 et 3), 19 (par. 2 et 3), 21, 22 (par. 1), 26 et 27 du Pacte.

Article 9 (par. 1)

3.2En violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte, la police a arrêté les auteurs pour avoir pacifiquement manifesté leurs convictions religieuses et avoir exercé leur droit d’association religieuse ; les a emmenés à un poste de police contre leur gré ; les y a détenus en les interrogeant et les menaçant pendant plusieurs heures. Rien ne justifiait l’arrestation et la détention des auteurs. En organisant un service religieux pacifique pour lire et étudier la Bible et d’autres écrits religieux, les auteurs exerçaient légitimement leurs droits à la liberté de religion, d’association et d’expression. Ces droits sont garantis par les articles 18, 19, 21 et 22 du Pacte.

Article 18 (par. 1 et 3)

3.3L’État partie a violé les droits que les auteurs tiennent de l’article 18 (par. 1 et 3) du Pacte en effectuant une descente de police pour les empêcher d’exercer pacifiquement leur liberté de religion, individuellement et en commun, pendant une cérémonie religieuse tenue dans un domicile privé, en les arrêtant et en les emmenant au poste de police, et en les soumettant à des menaces et à la contrainte pour les inciter à abandonner leurs convictions chrétiennes en tant que Témoins de Jéhovah et à adopter la foi islamique. La restriction imposée à la liberté des auteurs de manifester pacifiquement leurs convictions religieuses et l’atteinte à l’inviolabilité du domicile privé des Aliyev n’étaient pas conformes aux dispositions de l’article 18 (par. 3) du Pacte, car elles étaient illégales, ne poursuivaient pas un objectif légitime et n’étaient pas nécessaires.

3.4La déclaration de culpabilité des auteurs au titre de l’article 299.0.2 du Code des infractions administratives n’était pas prévue par la loi. La Constitution de l’État partie garantit le droit de professer une religion, seul ou avec d’autres, et le droit de se réunir librement. En outre, la loi sur la liberté de conviction religieuse garantit le droit de pratiquer toute religion, individuellement ou en commun. L’article 18 du Pacte n’autorise aucune restriction à la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix. Les autorités de l’État partie ont agi sur la base d’un postulat erroné, à savoir que la cérémonie religieuse du 21 septembre 2013 était illégale parce que le Comité d’État pour la coopération avec les associations religieuses n’avait pas approuvé les publications religieuses des auteurs qui y étaient utilisées. En fait, l’interdiction des publications était injuste. Cependant, les juridictions nationales n’ont rien dit de l’illégalité de la censure. En conséquence, les auteurs ont subi une atteinte à leurs droits de se réunir à des fins religieuses et de discuter de textes religieux. Dans un arrêt portant sur une autre question, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré qu’il était indéniable que l’étude et la discussion collectives de textes religieux par les membres du groupe religieux que forment les Témoins de Jéhovah étaient l’une des manifestations reconnues de leur religion par le culte et l’enseignement.

3.5La restriction ne poursuivait pas un but légitime car l’activité religieuse des auteurs ne menaçait aucunement la sécurité, l’ordre et la santé publique, ou la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. Les autorités nationales n’ont à aucun moment dit que la réunion religieuse des auteurs n’était pas pacifique. L’État partie a illégalement interprété la loi sur la liberté de conviction religieuse et le Code des infractions administratives de manière à élargir les pouvoirs de la police pour déterminer ce qui constitue une conviction ou pratique religieuse autorisée. L’atteinte portée par la police à l’inviolabilité du domicile privé des Aliyev, sous prétexte d’inspection pour déterminer s’il était utilisé pour une cérémonie religieuse illégale, ne saurait être justifiée au regard de l’article 18 (par. 3) du Pacte.

3.6En outre, l’État partie n’a avancé aucun argument crédible pour expliquer pourquoi il était urgent d’interrompre la cérémonie religieuse pacifique des auteurs, même si ceux-ci n’étaient pas officiellement enregistrés au sein d’une association religieuse, ni pourquoi il était urgent de confisquer leurs publications religieuses qui n’avaient pas été approuvées par l’organisme public compétent en la matière. Le Comité a considéré dans des affaires antérieures que l’obligation d’enregistrement pour pouvoir pratiquer une religion constituait une restriction disproportionnée du droit de manifester sa religion, en violation de l’article 18 du Pacte. En outre, la saisie des écrits religieux appartenant aux auteurs a constitué une censure inadmissible et fait qu’ils soient déclarés coupables d’avoir des convictions religieuses que les fonctionnaires de l’État partie désapprouvaient.

3.7Dans un rapport sur sa mission en Azerbaïdjan, une précédente Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction a critiqué la censure exercée par le Comité d’État pour la coopération avec les associations religieuses à l’égard de la littérature religieuse. Elle a observé que la censure des livres religieux par l’État partie était sans rapport avec la protection du public et constituait une limitation indue du droit de manifester sa religion ou ses convictions. Elle a demandé que les décisions du Comité d’État pour la coopération avec les associations religieuses soient portées devant les tribunaux pour un contrôle judiciaire, conformément aux normes applicables en matière de droits de l’homme et de procès équitable. Toutefois, comme le montre la présente communication, le pouvoir judiciaire de l’État partie maintient les décisions dans lesquelles le Comité d’État pour la coopération avec les associations religieuses censure les publications religieuses. La restriction imposée à la liberté religieuse des auteurs est contraire à l’obligation de l’État partie de favoriser une société démocratique pluraliste. En fait, la police a fondé sa justification de la perquisition illégale du domicile des Aliyev sur une censure illégale.

3.8Dans un arrêt rendu sur une autre question concernant des Témoins de Jéhovah en Fédération de Russie, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que l’État n’avait pas le droit, au regard de la Convention, de décider quelles convictions pouvaient ou non être enseignées, car le droit à la liberté de religion, tel que garanti par la Convention, excluait toute possibilité pour l’État de déterminer si des convictions religieuses ou les moyens utilisés pour les exprimer étaient légitimes.

Article 19 (par. 2 et 3)

3.9Sur la base des arguments soulevés pour dénoncer une violation de l’article 18 du Pacte, les auteurs affirment que l’État partie a également violé les droits qu’ils tiennent de l’article 19 (par. 2 et 3). L’article 19 (par. 2) du Pacte protège le droit collectif à l’enseignement et au discours religieux. Les actes de l’État partie ont porté atteinte au droit des auteurs de rechercher, de recevoir et de répandre des informations. La police avait le devoir de protéger les auteurs contre des voisins intolérants. Les lois nationales devraient permettre un débat ouvert sur les questions de religion et de convictions, sans privilégier une religion particulière.

Articles 21 et 22 (par. 1)

3.10Du fait de la descente de police, de la perquisition et saisie illégales de biens, et des poursuites, déclarations de culpabilité et amendes visant les auteurs à raison de leur rassemblement aux fins d’un culte religieux, l’État partie a violé les droits que ces derniers tiennent des articles 21 et 22 du Pacte. La liberté d’association prévue par le Pacte est un droit dynamique. Il est permis aux personnes non seulement de s’associer en groupes, mais aussi d’agir ensemble pour poursuivre leurs objectifs collectifs en tant que communauté.

3.11Dans le cas des auteurs, les juridictions nationales ont établi une distinction entre le droit d’association de personnes selon qu’elles appartenaient à des communautés religieuses enregistrées ou non enregistrées. La Cour d’appel de Chaki a établi que les auteurs n’étaient pas membres d’une communauté religieuse enregistrée parce que les Témoins de Jéhovah à Zagatala ne constituaient pas une entité juridique. Elle a donc conclu que les auteurs avaient enfreint la procédure prévue par la loi pour l’organisation et la conduite de cérémonies religieuses. Toutefois, le droit des auteurs à la liberté d’association et de réunion pacifique ne devrait pas être subordonné à l’acceptation par l’État partie d’enregistrer leur organisation religieuse. Les auteurs se sont réunis pour une cérémonie religieuse faisant partie intégrante de leur culte en tant que Témoins de Jéhovah. Les juridictions nationales ont constaté qu’ils avaient pratiqué le culte avec d’autres personnes et qu’ensemble ils avaient lu des livres religieux et célébré des cérémonies religieuses. Ce faisant, les auteurs pratiquaient une activité religieuse commune aux Témoins de Jéhovah partout dans le monde.

Articles 26 et 27

3.12L’État partie a violé les droits que les auteurs tiennent des articles 26 et 27du Pacte en ce qu’il a soumis ces derniers à une discrimination fondée sur leurs convictions religieuses minoritaires. En tant que Témoins de Jéhovah, les auteurs sont membres d’une minorité religieuse chrétienne dans un pays majoritairement musulman. La police a pris des mesures contre les auteurs à la suite de signalements discriminatoires faits par des adeptes de la religion majoritaire. Plutôt que de rejeter ces signalements discriminatoires, non seulement la police les a utilisés comme prétexte pour effectuer une descente, mais a également brutalisé et insulté les auteurs. Elle a dénigré leurs convictions religieuses profondes et usé de menaces pour tenter de les contraindre à adopter la foi islamique.

Réparations demandées

3.13Les auteurs demandent un jugement déclaratoire ; la suppression de toutes les restrictions qui portent atteinte à leurs droits de s’associer librement à des fins religieuses ou autres et d’importer des publications religieuses, d’en discuter et de les diffuser ; l’octroi d’une indemnisation monétaire appropriée pour les préjudices moraux subis du fait des actions de la police ; l’annulation des amendes (en tenant compte des intérêts courus) ; et le remboursement des frais et honoraires de justice qu’ils ont supportés dans le cadre des procédures internes.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans ses observations datées du 30 mai 2017, l’État partie fait remarquer que le 21 septembre 2013, le département de police du district de Zagatala a procédé à une perquisition au domicile des Aliyev. La perquisition faisait suite à des informations concernant la tenue de réunions religieuses illégales et la possession d’écrits religieux interdits par la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah, avec un groupe de personnes.

4.2Divers échantillons d’écrits religieux ont été trouvés lors de la perquisition du domicile. À la même date, les policiers ont rédigé un procès-verbal de la perquisition, et y ont consigné l’existence d’une vidéo qui avait été réalisée.

4.3Le 26 décembre 2013, le tribunal de district de Zagatala a déclaré les auteurs coupables et infligé à chacun d’eux, à l’exception de Havva Aliyeva, une amende de 1 500 manats au titre de l’article 299.0.2 du Code des infractions administratives, qui était en vigueur jusqu’au 1er mars 2016. Havva Aliyeva a également été déclarée coupable par le tribunal du district, mais a reçu un avertissement.

4.4Le 23 décembre 2013, la Cour d’appel de Chaki a confirmé les décisions du tribunal de district et rejeté les recours introduits par les auteurs. Aziz Aliyev et d’autres ont ensuite interjeté appel devant le tribunal administratif et économique de Chaki au sujet des actes de la police, et le tribunal a rejeté le recours le 3 mars 2014. La Cour d’appel et la Cour de cassation ont confirmé cette décision, respectivement le 17 juin et le 27 octobre 2015.

4.5Les juridictions nationales ont fait référence dans leurs décisions à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), à la Constitution d’Azerbaïdjan et à d’autres législations nationales, et ont conclu que les allégations des auteurs étaient sans fondement.

4.6Aux termes de l’article 18 (par. 3) du Pacte, la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant le fond

5.1Dans des commentaires datés du 15 septembre 2017, les auteurs soutiennent que l’État partie a tenté de justifier ses restrictions aux droits que les auteurs tiennent du Pacte. L’État partie n’a cependant fourni aucun élément de preuve pour étayer sa position. Il se contente d’énoncer les conclusions des juridictions nationales et d’affirmer que les restrictions qu’elles ont confirmées sont admissibles au regard du droit national et international. Dans ses observations, l’État partie ne justifie aucunement la législation nationale ni la descente illégale dans un domicile privé, et n’explique aucunement en quoi la loi ou le comportement de la police étaient nécessaires.

5.2La seule excuse que la police a fournie aux tribunaux pour cette descente illégale était que deux résidents locaux avaient signalé que des Témoins de Jéhovah prêchaient dans la région et utilisaient des écrits religieux interdits. Aucun autre fondement juridique n’a été invoqué pour justifier l’entrée en force dans le domicile privé des Aliyev. Il apparaît donc clairement que l’enquête et la descente de police ont été motivées par la discrimination religieuse de la part des voisins et des policiers eux-mêmes.

5.3L’État partie n’a pas réfuté les affirmations des auteurs selon lesquelles ils avaient été menacés, physiquement brutalisés et harcelés par les agents de police. Il n’a pas justifié ses restrictions aux droits que les auteurs tiennent du Pacte, si ce n’est pour déclarer qu’elles étaient acceptables au regard du droit interne. Toutefois, un tel argument ne saurait justifier une violation des obligations imposées par le droit international. L’État partie n’a pas reconnu que la loi nationale en question, comme les actions de la police, étaient motivées par la discrimination religieuse.

5.4Cette intolérance religieuse est typique de l’attitude de l’État partie à l’égard des Témoins de Jéhovah. Bien que l’État partie l’ait informé qu’il permettait aux Témoins de Jéhovah d’exercer librement leur activité, le Comité a considéré que l’État partie entravait constamment l’activité religieuse des Témoins de Jéhovah et d’autres minorités, et lui a demandé de garantir l’exercice effectif de la liberté de religion et de conviction. Le fait que l’État partie considère que les auteurs ont violé le droit interne en pratiquant leur culte dans un domicile privé sans autorisation officielle montre qu’il continue d’ignorer la recommandation du Comité.

5.5Les tribunaux ont imposé une amende sévère de 1 500 manats (ce qui équivalait environ à 1 413 euros à l’époque) à tous les auteurs sauf une, sans tenir compte du fait qu’ils étaient au chômage. Les tribunaux ont dû se rendre compte qu’il leur serait impossible de payer ces sommes importantes. Des sanctions aussi excessives créent des inégalités en exerçant une discrimination à l’égard des pauvres pour qui le non-paiement de l’amende entraîne souvent l’emprisonnement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité constate que l’État partie ne nie pas que les auteurs ont satisfait à la condition posée à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif et épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que, dans les appels qu’ils ont sans succès interjetés devant la cour d’appel de Chaki contre les déclarations de culpabilité les concernant, les auteurs ont expressément invoqué les articles 9, 18, 19, 26 et 27 du Pacte, et ont également soulevé un grief au titre de l’article 21. En conséquence, il considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) ne l’empêchent pas d’examiner la communication. Toutefois, les informations mises à sa disposition ne lui permettent pas de conclure que les auteurs ont soulevé les griefs qu’ils tirent de l’article 22 (par. 1) du Pacte devant les juridictions nationales. Par conséquent, il conclut que les griefs soulevés au titre de l’article 22 (par. 1) du Pacte sont irrecevables au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.4Le Comité considère que les auteurs n’ont pas présenté d’arguments suffisamment détaillés à l’appui des griefs soulevés au titre des articles 26 et 27 du Pacte, en particulier des allégations concernant la différence de traitement dont ils auraient fait l’objet par rapport aux personnes appartenant à d’autres religions et menant les mêmes activités. Il considère donc que les griefs soulevés au titre des articles 26 et 27 sont insuffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication et considère que les auteurs ont suffisamment étayé les griefs qu’ils tirent des articles 9 (par. 1), 18 (par. 1 et 3), 19 (par. 2 et 3) et 21 du Pacte aux fins de la recevabilité. Par conséquent, il déclare ces griefs recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2En ce qui concerne le grief que les auteurs tirent de l’article 18 (par. 1 et 3) du Pacte, le Comité renvoie à son observation générale no 22 (1993) et rappelle ainsi que l’article 18 n’autorise aucune restriction quelle qu’elle soit à la liberté de pensée et de conscience ou à la liberté d’avoir ou d’adopter la religion ou la conviction de son choix. En revanche, la liberté de manifester sa religion ou ses convictions peut être soumise à certaines restrictions, mais uniquement à celles qui sont prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. Le Comité rappelle que la pratique et l’enseignement d’une religion impliquent la liberté de préparer et de distribuer des textes ou des publications de caractère religieux. En l’espèce, il prend note des arguments des auteurs selon lesquels l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 18 (par. 1) du Pacte, en les appréhendant au cours d’une discussion privée sur leurs convictions religieuses au domicile des Aliyev, en confisquant leurs écrits religieux, en les plaçant en détention, en les déclarant coupables d’une infraction administrative, en infligeant des amendes de 1 500 manats (environ 1 413 euros) chacun à Aziz, Jeyhun et Vagif Aliyev et à Gamar Aliyeva, et en donnant un avertissement à Havva Aliyeva. Le Comité prend note des affirmations des auteurs selon lesquelles la police est entrée de force dans la maison des Aliyev, notamment par les fenêtres, a passé plusieurs heures à fouiller minutieusement la maison et les biens qui s’y trouvaient, a confisqué les écrits religieux des auteurs, a obligé les auteurs à se rendre au poste de police, où ils ont été détenus jusque tard dans la nuit, a menacé de faire licencier les auteurs et de les emprisonner et a menacé Jeyhun Aliyev d’agression sexuelle. Le Comité considère que les griefs soulevés par les auteurs ont trait à leur droit de manifester leurs convictions religieuses et que leur arrestation, leur détention, la déclaration de culpabilité prononcée contre eux et les amendes qui leur ont été infligées constituent des restrictions à ce droit.

7.3Le Comité doit examiner la question de savoir si lesdites restrictions au droit des auteurs de manifester leurs convictions religieuses étaient « nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui » au sens de l’article 18 (par. 3) du Pacte. Il rappelle, comme il l’a dit dans son observation générale no 22 (1993), que le paragraphe 3 de l’article 18 doit être interprété au sens strict et que les restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci.

7.4En l’espèce, les restrictions au droit des auteurs de manifester leurs convictions religieuses découlent de ce que la législation nationale impose que l’importation d’écrits religieux soit approuvée par le Comité pour la coopération avec les associations religieuses et que celles-ci soient officiellement enregistrées auprès des autorités pour exercer légalement leurs activités. Le Comité note que, d’après les décisions du tribunal de district de Zagatala, la police a réagi à une plainte du voisin des Aliyev, qui avait signalé que des Témoins de Jéhovah prêchaient largement dans la région. Il note que rien dans les informations dont il dispose n’indique que les auteurs se seraient livrés à des actes préjudiciables à autrui, à eux-mêmes ou à la sécurité et à l’ordre publics. Aucun des auteurs présents au domicile des Aliyev pendant la cérémonie religieuse n’allègue avoir été contraint par les autres auteurs à se livrer à des actes nuisibles ou non pacifiques. Le Comité note que l’État partie n’a pas expliqué avec précision, autrement qu’en invoquant la législation nationale, pourquoi les auteurs avaient été punis pour avoir possédé des écrits religieux dont l’utilisation n’avait pas été officiellement approuvée, ou pour avoir pratiqué un culte religieux sans avoir rempli la condition préalable de l’enregistrement en tant qu’association religieuse. Le Comité observe que l’État partie n’a pas précisé pourquoi la diffusion des écrits confisqués avait été jugée non souhaitable, car il n’a exposé aucun élément préjudiciable de leur contenu. Le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré que la réunion au cours de laquelle les auteurs manifestaient pacifiquement leurs convictions religieuses à l’intérieur du domicile des Aliyev menaçait la sécurité, l’ordre et la santé publique, ou la morale, ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui, que ce soit au moyen des écrits que les auteurs utilisaient ou de la cérémonie religieuse qu’ils avaient organisée. Même si l’État partie était en mesure de prouver l’existence d’une menace concrète et importante à la sécurité et à l’ordre publics, il n’a pas démontré que l’application de l’article 299.0.2 du Code des infractions administratives et de dispositions légales connexes était proportionnelle à cet objectif, compte tenu des restrictions considérables qu’elle entraîne pour le droit des auteurs de célébrer un culte religieux. Il n’a pas non plus cherché à prouver que les obligations d’approbation préalable et d’enregistrement étaient les mesures les moins restrictives pour protéger la liberté de religion ou de conviction. Le Comité considère donc que l’État partie n’a pas suffisamment montré que les restrictions imposées étaient de celles que l’article 18 (par. 3) du Pacte permet.

7.5Le Comité rappelle que l’article 18 (par. 1) du Pacte protège le droit de tous les membres d’une congrégation religieuse de manifester leur religion en commun avec d’autres, par le culte, l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. Il note qu’au cours de la procédure devant les juridictions internes, il a été retenu que les mesures prises par les auteurs étaient contraires à la législation nationale. Il considère toutefois que, dans leurs justifications, ni le tribunal de district, ni la cour d’appel, ni le tribunal administratif et économique de Chaki ne montrent en quoi les obligations d’obtenir une approbation officielle des écrits religieux avant leur importation et un enregistrement légal en tant qu’association avant de pratiquer un culte religieux étaient des mesures proportionnées nécessaires pour servir un objectif légitime au sens de l’article 18 (par. 3) du Pacte. Le Comité conclut que la sanction imposée aux auteurs a constitué une restriction au droit de manifester leur religion qu’ils tiennent de l’article 18 (par. 1) du Pacte, et que ni les juridictions nationales ni l’État partie n’ont démontré que cette restriction était une mesure proportionnée nécessaire pour atteindre l’un des objectifs légitimes visés à l’article 18 (par. 3) du Pacte. Partant, il conclut que, en arrêtant les auteurs, en les plaçant en garde à vue, en les déclarant coupables et en leur imposant une amende pour possession d’écrits religieux et organisation d’une cérémonie religieuse pacifique dans un domicile privé, l’État partie a violé les droits que les intéressés tiennent de l’article 18 (par. 1) du Pacte.

7.6Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle le 21 septembre 2013, la police les a arbitrairement détenus pendant plusieurs heures. Il constate que Jeyhun et Vagif Aliyev, Havva et Gamar Aliyeva et Yevdokiya Sobko se trouvaient dans la maison lorsque la police est arrivée vers 11 heures puis a fouillé celle-ci pendant plusieurs heures. Ils ont tous été emmenés au poste de police du district de Zagatala, y compris Havva Aliyeva, qui a perdu connaissance en chemin et a été conduite à l’hôpital en premier. Le Comité note que, selon les déclarations que les auteurs ont faites dans le cadre des procédures internes, Yevdokiya Sobko a été libérée vers 19 heures, Aziz Aliyev a été emmené par des policiers de l’hôpital au poste de police vers 21 heures, et lui et les autres auteurs ont été relâchés par la police entre 23 heures et 23 h 30 ce soir-là. Le Comité doit d’abord déterminer si les auteurs ont été privés de liberté au sens de l’article 9 (par. 1) du Pacte. Il rappelle que, selon son observation générale no 35 (2014), « [p]our qu’il y ait privation de liberté, il faut qu’il y ait absence de consentement libre. Les individus qui se présentent spontanément au poste de police pour participer à une enquête et qui savent qu’ils sont libres de partir à tout moment ne sont pas privés de liberté. ». Or, en l’espèce, le Comité constate que les auteurs soutiennent qu’ils n’étaient pas libres de quitter le poste de police. Étant donné que l’État partie n’a pas réfuté cette allégation et démontré que les intéressés auraient pu ne pas suivre les policiers au poste ou, une fois sur place, s’en aller à tout moment sans que cela ait des conséquences négatives pour eux, le Comité conclut que les auteurs ont été contraints d’accompagner les policiers au poste et d’y rester jusqu’à ce qu’on les relâche, et donc qu’ils ont été privés de liberté.

7.7Concernant l’argument selon lequel les auteurs ont été arrêtés puis placés en garde à vue pendant six heures, le Comité renvoie à son observation générale no 35 (2014), où il est dit que « [l]e terme “arrestation” désigne l’interpellation d’une personne qui constitue le début de la privation de liberté et le terme “détention” désigne la privation de liberté qui commence avec l’arrestation et dure de l’interpellation à la remise en liberté ». Il s’ensuit que l’article 9 du Pacte n’exige pas que la détention dure au moins un certain temps pour pouvoir être considérée comme arbitraire ou illégale. De surcroît, le Comité rappelle qu’il peut y avoir arrestation au sens de l’article 9 sans qu’il y ait arrestation au sens de la législation nationale. Partant, il considère que les auteurs ont fait l’objet d’une arrestation et d’une détention au sens de l’article 9 du Pacte.

7.8Sachant que l’article 9 (par. 1) du Pacte prévoit que la privation de liberté ne doit pas être arbitraire et doit être conforme aux règles de droit, le Comité doit déterminer si l’arrestation et la détention des auteurs ont été arbitraires ou illégales. Il rappelle que les protections contre la détention arbitraire doivent être appliquées de manière générale et que l’adjectif « arbitraire » n’est pas synonyme de « contraire à la loi » et doit être interprété dans un sens plus large comme englobant les notions de caractère inapproprié, d’injustice, de manque de prévisibilité et de non-respect des garanties judiciaires. Il rappelle également qu’il y a arbitraire si l’arrestation ou la détention vise à sanctionner quelqu’un pour l’exercice légitime des droits protégés par le Pacte, comme le droit à la liberté d’opinion et d’expression. Le Comité note que, selon les auteurs, les Témoins de Jéhovah font l’objet d’un harcèlement systématique de la part des autorités de l’État partie et, dans leur cas précis, les policiers ont menacé de les emprisonner, insulté certains d’entre eux et critiqué leur religion, mais ne les ont pas informés d’un quelconque trouble ou préjudice que leur cérémonie religieuse ou les écrits religieux qu’ils utilisaient auraient pu causer. Le Comité considère donc que les actes de la police étaient inappropriés, manquaient de prévisibilité et ne respectaient pas les garanties d’une procédure régulière. Il considère également, compte tenu des conclusions qu’il a formulées aux paragraphes 7.4 et 7.5 ci-dessus, que l’arrestation et la détention des auteurs visaient à les punir pour avoir légitimement exercé leur droit de manifester leurs convictions religieuses. En conséquence, il conclut que les auteurs ont été arbitrairement arrêtés et détenus, en violation des droits garantis à l’article 9 (par. 1) du Pacte.

7.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner la question de savoir si les faits dénoncés constituent aussi une violation des articles 19 et 21 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que chacun des auteurs tient des articles 9 (par. 1) et 18 (par. 1) du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder aux auteurs une indemnisation adéquate, notamment de leur rembourser le montant des amendes imposées ainsi que les frais de justice liés à l’affaire considérée. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas, notamment de revoir ses lois, règlements et pratiques afin de garantir que les droits consacrés par le Pacte puissent être pleinement exercés sur son territoire.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de José Manuel Santos Pais

1.Je souscris à la conclusion formulée dans les présentes constatations, selon laquelle l’État partie a violé les droits que les auteurs tiennent de l’article 18 (par. 1) du Pacte. J’ai cependant des doutes quant à la conclusion selon laquelle il y a eu violation de l’article 9 (par. 1).

2.Le Comité a justifié cette conclusion en acceptant l’affirmation des auteurs selon laquelle ils avaient été arbitrairement arrêtés et détenus pendant plusieurs heures le 21 septembre 2013, et donc privés de leur liberté. Les actes de la police étaient inappropriés, manquaient de prévisibilité et ne respectaient pas les garanties d’une procédure régulière et l’arrestation et la détention des auteurs visaient à les punir pour avoir légitimement exercé leur droit de manifester leurs convictions religieuses (par. 7.8). Bien que je comprenne le raisonnement ainsi suivi par la majorité des membres du Comité, je tends vers une conclusion différente.

3.Ce qui explique la décision du Comité est le fait que la police a arrêté les auteurs alors qu’ils avaient une discussion privée sur leurs convictions religieuses au domicile des Aliyev, a confisqué leurs écrits religieux puis les a emmenés de force au poste de police et les a placés en détention. Dans la mesure où les auteurs n’étaient pas libres de quitter le poste de police, ils étaient en détention. Ce raisonnement de la majorité du Comité peut cependant comporter en soi un vice de pétition de principe, puisque la raison principale de conclure à une violation de l’article 9 est la conséquence directe de la constatation d’une violation de l’article 18.

4.Selon l’État partie (par. 4.1), les autorités nationales ont procédé à une perquisition au domicile des Aliyev. La perquisition faisait suite à des informations concernant la tenue de réunions religieuses illégales et la possession d’écrits religieux interdits par la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah, avec un groupe de personnes. Les auteurs s’étaient réunis en tant que communauté religieuse non enregistrée conformément à la loi, et avaient donc enfreint la procédure prévue par la loi pour l’organisation et la conduite de cérémonies religieuses. Pendant des réunions hebdomadaires, ils utilisaient des écrits religieux introduits dans le pays sans autorisation. Ce faisant, les auteurs ont enfreint l’article 299.0.2 du Code des infractions administratives (par. 2.11, 2.12 et 4.3). La police avait donc à première vue un motif légitime d’intervention, même si le Comité conclut à juste titre que les restrictions imposées aux droits que les auteurs tiennent de l’article 18 (par. 1) n’étaient pas proportionnées (par. 7.5).

5.C’est également pour un motif légitime que les auteurs ont été conduits au poste de police puisqu’ils étaient soupçonnés d’avoir enfreint la loi et avaient été pris en flagrant délit. Dans de nombreux pays, en pareille situation les suspects sont obligés d’accompagner les policiers à des fins d’identification et d’établissement de tous les documents légaux qui permettront par la suite aux tribunaux de juger l’affaire, si nécessaire.

6.En ce qui concerne le fait que les auteurs ont été retenus au poste de police pendant quelques heures lorsqu’ils ont été mis en garde à vue, des procès-verbaux des faits présumés devaient être dressés puis signés par chacun d’eux (par. 2.8). La rédaction de ces procès‑verbaux d’infraction administrative était importante pour la protection des droits des auteurs, car en prenant connaissance de ces procès-verbaux, les auteurs étaient ipso facto informés des raisons pour lesquelles la police était intervenue et de leur statut dans la procédure, et donc également en mesure de commencer à préparer leur défense. En outre, la durée de temps limitée pendant laquelle les auteurs ont été retenus au poste de police − six heures (par. 7.7) − ne semble pas déraisonnable dans les circonstances, compte tenu des divers matériels confisqués, du nombre de suspects interrogés et du fait que tous n’étaient pas présents en même temps. Le travail de la police peut prendre un certain temps.

7.La question est donc de savoir si les auteurs ont été contraints de se rendre au poste de police et si leur situation était différente de celle de tout autre citoyen coopérant avec la police, par exemple en tant que témoin, victime ou défendeur. On devrait attendre de tout citoyen respectueux de la loi qu’il apporte son concours aux enquêtes menées par les forces de l’ordre, en particulier dans une situation que l’on peut qualifier de flagrant délit. Dans le cadre de ses enquêtes, la police est parfois ou même souvent amenée à procéder à des interrogatoires de routine dans les postes de police pour établir les faits et donner suite à des allégations de violation ou d’infraction, sans que cela constitue nécessairement une privation arbitraire ou illégale de liberté. Si une personne est convoquée devant un tribunal ou à un poste de police, elle n’est pas en état d’arrestation ou en détention mais reste à la disposition des autorités jusqu’à ce que le but dans lequel elle a été convoquée ait été atteint. C’est ce qui s’est passé en l’espèce, où les auteurs ont été libres de quitter le poste de police une fois les documents légaux nécessaires établis et signés.

8.À mon avis, il n’a pas été démontré que ces actions de la police dans le cadre de l’enquête avaient outrepassé les limites de ce qu’il était raisonnable de faire pour vérifier s’il y avait eu ou non violation du droit interne. Par conséquent, ces actions peuvent encore être considérées comme non arbitraires. J’aurais donc conclu que l’État partie n’a pas violé les droits que les auteurs tiennent de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

9.La façon dont les forces de l’ordre ont agi lors de l’arrestation et de l’interrogatoire des auteurs est totalement différente. Si les déclarations des auteurs sont exactes, ces fonctionnaires se sont comportés d’une manière clairement inappropriée, manquant à leurs devoirs d’agents chargés de l’application des lois, tenus d’agir de manière professionnelle et impartiale en respectant le principe d’égalité de tous devant la loi, en particulier lorsqu’ils ont affaire à des personnes soupçonnées d’avoir enfreint la loi. Leur comportement peut donc relever de la responsabilité disciplinaire, mais n’influe pas nécessairement sur la légalité et l’opportunité d’un placement de suspects en garde à vue pour un interrogatoire adéquat et approprié.