Nations Unies

CCPR/C/130/D/2405/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 mars 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2405/2014 * , **

Communication présentée par :

Sharobodin Yuldashev (représenté par un conseil, Valeryan Vakhitov)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Kirghizistan

Date de la communication :

20 avril 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 12 juin 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

29 octobre 2020

Objet :

Torture ; détention arbitraire

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Torture ; absence d’enquête effective ; détention arbitraire

Article(s) du Pacte :

7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)), et 9 (par. 1, 3 et 4)

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.L’auteur de la communication est Sharobodin Yuldashev, de nationalité kirghize et d’origine ouzbèke, né en 1986. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)), et de l’article 9 (par. 1, 3 et 4) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 1995. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 5 juillet 2011, à 21 heures, plusieurs policiers sont entrés par effraction au domicile de l’auteur. Ils ont menotté l’auteur et l’ont conduit au poste de police de Sulaiman-Too. Ils n’ont pas présenté de mandat d’arrêt, ni décliné leur identité. Dans la voiture, ils ont recouvert la tête de l’auteur d’un sac en plastique, avant de lui assener des coups sur le crâne. Les mains menottées et la tête dans le sac en plastique, l’auteur a été amené au poste de police, où deux agents lui ont donné des coups de matraque sur le ventre, les reins et les pieds et ont tenté de lui faire avouer une infraction commise une année plus tôt, pendant les émeutes dans le sud du Kirghizistan. Il a été battu pendant deux heures, jusqu’à ce qu’il signe des aveux.

2.2L’auteur affirme qu’il a été détenu au secret pendant vingt-sept heures après son arrestation, d’abord aux postes de police de Sulaiman-Too et de Zapadnoiye, puis au centre de détention temporaire de la ville d’Och. Il n’a pas été autorisé à contacter sa famille ni un avocat. Les proches de l’auteur ignorant où il était, le père de celui-ci et un avocat engagé par la famille se sont rendus dans plusieurs postes de police pour tenter de le retrouver. Les 5 et 6 juillet 2011, ils ont déposé des plaintes devant le parquet municipal et le parquet provincial d’Och pour détention arbitraire et disparition de l’auteur. Celui-ci a été localisé grâce à l’appel téléphonique que son avocat a reçu le 6 juillet 2011 à 23 h 30, par lequel un enquêteur l’informait que l’auteur lui avait été amené par la police.

2.3Le 7 juillet 2011, l’auteur a été autorisé à s’entretenir avec son avocat. En présence de l’enquêteur, il lui a fait le récit des violences qu’il avait subies de la part des policiers et a signé une plainte, dans laquelle lesdites violences étaient exposées en détail, qui a été soumise sans délai au parquet municipal d’Och. Une fois l’avocat parti, deux policiers sont entrés dans la cellule de l’auteur et lui ont infligé de nouveaux coups, en représailles de la plainte qu’il venait de déposer. L’auteur a ensuite reçu la visite de l’enquêteur chargé du dossier, qui lui a conseillé de ne plus causer de problèmes car, dans le cas contraire, ce ne serait pas seulement lui, mais aussi son père qui en paieraient les conséquences.

2.4Le 8 juillet 2011, le tribunal municipal d’Och a ordonné que l’auteur soit placé en détention provisoire, dans l’attente de son jugement. L’auteur a comparu devant le tribunal soixante‑sept heures après son arrestation, bien que la loi dispose que ce délai doit être de quarante-huit heures. L’auteur affirme que l’audience n’a duré qu’une vingtaine de minutes, que le juge n’a pas examiné la légalité de l’arrestation et que l’enquêteur n’a produit aucun document à l’appui de sa demande de placement en détention provisoire. Il n’en demeure pas moins que le tribunal a ordonné que l’auteur soit placé en détention, au motif qu’il risquait de prendre la fuite, et a pris cette décision sans exiger de la police la présentation d’éléments de preuve et sans envisager des mesures de substitution à la détention provisoire.

2.5Le 9 juillet 2011, c’est-à-dire quatre jours après son arrestation, comme suite à la plainte déposée qu’il avait déposée auprès du parquet municipal d’Och, l’auteur s’est vu ordonner de se soumettre à un examen médico-légal. Cet examen a révélé la présence sur l’avant-bras de quatre coupures ayant pu être causées par le contact d’un objet dur et rond dans les sept jours qui précédaient.

2.6Le 12 juillet 2011, le conseil de l’auteur a fait appel de la décision du tribunal municipal d’Och devant le tribunal provincial d’Och. Le 19 juillet 2011, l’appel a été rejeté.

2.7Le 25 novembre 2011, le tribunal municipal d’Och a déclaré l’auteur coupable de participation à des émeutes, de destruction de biens, de vols avec violence, de prise d’otages et d’enlèvements, et l’a condamné à une peine de dix-neuf ans de prison.

2.8Le 28 décembre 2011, le tribunal provincial d’Och a infirmé la décision rendue en première instance. Il a acquitté l’auteur de toutes les accusations portées contre lui, à l’exception de celle de participation à des émeutes, et a réduit sa peine à trois ans de prison avec sursis. Le tribunal a conclu qu’il n’existait pas de preuve directe que l’auteur avait commis l’un quelconque des faits qui lui étaient reprochés, à l’exception de la participation à des émeutes.

2.9Le 25 avril 2012, la Cour suprême du Kirghizistan a annulé la décision du tribunal provincial d’Och. Elle a déclaré l’auteur coupable de tous les chefs d’accusation initialement retenus contre lui et l’a condamné à seize ans de prison. Elle a considéré qu’il existait des preuves suffisantes pour conclure à la culpabilité de l’auteur et que la juridiction d’appel n’avait pas procédé à un examen objectif de tous les éléments de preuve disponibles.

2.10Le 16 juillet 2011, l’enquêteur du parquet municipal d’Och a enquêté sur les plaintes déposées par l’auteur pour détention arbitraire et torture, mais a refusé d’ouvrir une instruction pénale. Dans sa décision, il a estimé que le père de l’auteur avait pu causer les lésions constatées sur l’avant-bras en essayant d’empêcher la police d’arrêter son fils. En ce qui concernait le lieu où l’auteur se trouvait les 5 et 6 juillet 2011, l’enquêteur a établi que, pendant cette période, l’intéressé était toujours sous la garde des policiers précédemment mentionnés, ceux-ci ne voulant pas le libérer et risquer que soient divulgués les efforts engagés en vue d’arrêter son complice présumé. L’enquêteur a recueilli les témoignages des agents de police concernés, de l’auteur, de son père et d’autres témoins de l’arrestation de l’auteur dans la soirée du 5 juillet 2011.

2.11Le 19 juillet 2011, le procureur de la ville d’Och a annulé la décision de refus d’ouvrir une instruction et a ordonné un complément d’enquête. Le 21 juillet 2011, le même enquêteur a refusé une nouvelle fois d’ouvrir une instruction pénale, pour absence de corps du délit. Cependant, dans cette deuxième décision de refus, il a mentionné que l’auteur avait été libéré peu après son arrestation, le 5 juillet 2011, à la condition que, le matin suivant, il désigne le domicile de son complice à la police. Selon l’enquêteur, le jour suivant, après avoir indiqué à la police où son complice habitait, l’auteur était libre de partir et n’était plus en détention. Aucun des témoins de l’arrestation de l’auteur mentionnés dans la première décision de refus, datée du 16 juillet 2011, n’a été interrogé de nouveau.

2.12Le 22 août2011, le Bureau du Procureur général a annulé la deuxième décision de refus d’ouvrir une instruction pénale et a lui‑même ouvert une enquête sur les allégations de l’auteur. Le 12 décembre 2011, quatre agents de la police de Sulaiman-Too ont été accusés d’abus de pouvoir et d’entrée par effraction au domicile de l’auteur. Les 15 et 21 décembre 2011, l’auteur a saisi le parquet municipal d’Och pour demander que le chef de torture soit ajouté aux charges retenues contre les policiers. Ses demandes ayant été rejetées, l’auteur a fait appel devant le tribunal municipal d’Och et le tribunal provincial d’Och, qui l’ont débouté.

2.13Le 20 avril 2012, le tribunal municipal d’Och a acquitté les quatre policiers de tous les chefs d’accusation. Pendant le procès, l’auteur et son coaccusé ont déclaré avoir été torturés par les policiers. Cependant, le tribunal a considéré qu’à l’exception de leurs témoignages, il n’y avait aucune preuve directe permettant d’établir que les policiers étaient coupables d’une quelconque infraction. En ce qui concernait les blessures de l’auteur, le tribunal s’est montré critique à l’égard de l’examen pratiqué le 9 juillet 2011 et selon lequel l’auteur présentait des coupures sur l’avant-bras, car cet examen contredisait la déclaration faite par le médecin du centre de détention temporaire de la ville d’Och, qui affirmait que l’auteur ne présentait aucune blessure à son admission au centre, le 7 juillet 2011. En ce qui concernait l’entrée par effraction au domicile de l’auteur et le placement de celui-ci en détention sans mandat, le tribunal a considéré que la police avait été habilitée à prendre ces mesures dans le cadre d’une opération de recherche plus vaste, qui visait les auteurs des infractions commises pendant les émeutes dont le sud du Kirghizistan avait été le théâtre en 2010.

2.14Le 26 juin 2012, le tribunal provincial d’Och a confirmé la décision du tribunal de première instance. Le 4 octobre 2012, la Cour suprême a rejeté la demande de réexamen aux fins de contrôle présentée par l’auteur.

2.15L’auteur dit avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que des membres des forces de l’ordre l’ont soumis à la torture et à des mauvais traitements et que l’État partie n’a pas ouvert d’enquête effective sur les plaintes qu’il avait déposées, en violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte. Ses allégations de torture n’ont commencé à être examinées qu’après l’annulation par le Bureau du Procureur général de la décision du parquet municipal d’Och refusant toute enquête, c’est‑à‑dire plus de cinquante jours après son arrestation. L’auteur avance qu’il était alors trop tard pour que les autorités puissent interroger des témoins et recueillir des preuves scientifiques importantes, éléments qui auraient pu jouer un rôle déterminant dans les poursuites engagées contre les policiers. Par exemple, le père de l’auteur a été le témoin direct de l’arrestation de celui-ci et a été l’un des premiers à porter plainte contre les policiers. Cependant, il est mort peu après l’arrestation et n’a donc pas pu témoigner au tribunal. De plus, l’auteur allègue que le parquet municipal d’Och faisait face à un conflit d’intérêts, en ce qu’il enquêtait en même temps sur l’affaire le concernant et sur celle visant les policiers, et a préféré s’abstenir de mener une enquête efficace sur les faits reprochés aux policiers.

3.2L’auteur affirme qu’il y a également eu violation de l’article 9 (par. 1, 3 et 4) en raison de son arrestation et sa détention arbitraires, et en particulier du fait qu’il a été maintenu au secret pendant les premières vingt-sept heures, qu’il n’a pas été présenté rapidement à un juge et que les tribunaux n’ont pas examiné la légalité de son arrestation ni envisagé le recours à des mesures de substitution à la détention provisoire. L’auteur soutient qu’il a été arrêté le 5 juillet 2011, et non le 6 juillet, à 23 h 35, comme cela a été consigné dans les registres officiels. Pendant les vingt-sept premières heures de détention, il a été roué de coups par les policiers, n’a pas été autorisé à contacter sa famille pour lui dire où il se trouvait et l’informer qu’il était interrogé en l’absence d’un avocat.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Par une note verbale datée du 27 décembre 2014, l’État partie a fait parvenir ses observations sur le fond de la communication. Il affirme que, le 7 juillet 2011, l’avocat de l’auteur a porté plainte devant le parquet municipal d’Och pour détention arbitraire et actes de torture par des policiers. L’enquête du parquet a conclu que l’auteur avait été conduit au poste de police parce qu’il était soupçonné d’avoir commis diverses infractions contre la famille de Z., le 12 juin 2010, avec un groupe d’hommes armés d’origine ouzbèke. Le 21 juillet 2011, le parquet a refusé d’engager une action pénale contre les policiers, en l’absence de corps du délit. Le 22 août 2011, cette décision a été annulée par le Bureau du Procureur général et une enquête pénale a été ouverte sur les allégations de torture, d’abus de pouvoir et d’entrée par effraction au domicile de l’auteur.

4.2Selon l’État partie, l’auteur et son coaccusé ont été arrêtés le 6 juillet 2011, et non le 5 juillet. Ils n’ont pas mentionné avoir été torturés ou maltraités dans les déclarations sous serment qu’ils ont faites pendant l’enquête préliminaire du parquet municipal d’Och, et ont modifié leurs témoignages par la suite. L’État partie confirme que des lésions ont été constatées sur l’avant-bras de l’auteur au cours d’un examen médico‑légal pratiqué le 9 juillet 2011, alors que, selon la déclaration faite par le médecin du centre de détention temporaire de la ville d’Och, l’auteur ne présentait aucune blessure à son admission audit centre, le 7 juillet 2011. Les agents qui étaient de service ce jour-là et les compagnons de cellule de l’auteur n’avaient pas entendu celui-ci se plaindre d’avoir été battu par les policiers. En outre, les quatre policiers qui avaient arrêté l’auteur ont nié avoir exercé une quelconque pression physique ou psychologique sur sa personne.

4.3L’État partie indique que, le 1er décembre 2011, les quatre policiers de Sulaiman‑Too qui avaient arrêté l’auteur ont été inculpés d’abus de pouvoir et d’entrée par effraction au domicile de l’auteur ; ils ont été suspendus de leurs fonctions à titre temporaire. Le 9 décembre 2011, le parquet municipal d’Och a décidé de ne pas retenir contre eux le chef de torture, faute de preuves. Le 20 avril 2012, les quatre policiers ont été acquittés par le tribunal municipal d’Och. Le 26 avril 2012, le parquet municipal d’Och a fait appel de cette décision ; le 26 juin 2012, il a été débouté par le tribunal provincial d’Och. Le 9 juillet 2012, sa demande de réexamen aux fins de contrôle a été rejetée par la Cour suprême.

4.4L’État partie soutient qu’étant donné qu’elle a été portée devant la Cour suprême, l’affaire de l’auteur pourra être réexaminée par un tribunal uniquement s’il existe des circonstances nouvelles ou par un procureur uniquement si de nouveaux éléments de preuve sont mis au jour.

4.5Selon les informations communiquées par l’État partie, le 12 juin 2010, l’auteur, son coaccusé et plusieurs autres individus d’origine ouzbèke que la police n’a pas pu identifier ont pris en otage la famille de Z., composée de sept personnes, dont des enfants. Les agresseurs ont frappé et volé leurs otages, et ont incendié leur maison. Après leur avoir entravé les mains, ils les ont chargés dans un camion et les ont gardés captifs jusqu’à ce qu’ils puissent les échanger contre des personnes d’origine ouzbèke, le jour suivant.

4.6L’État partie affirme que la culpabilité de l’auteur a été pleinement établie grâce au témoignage des victimes, qui ont pu identifier l’auteur et son coaccusé.

4.7L’État partie fait observer qu’il est difficile de prouver que des actes de torture ont été commis. Par exemple, les compagnons de cellule des victimes refusent souvent de témoigner contre la police. Nonobstant, le Bureau du Procureur général considère que la torture est inacceptable et fait tout pour l’éliminer dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi. Des visites, planifiées ou inopinées, des lieux de détention sont réalisées ; des lignes directrices imposent que toutes les victimes de torture fassent l’objet d’examens psychologiques, et les procureurs sont tenus de demander aux tribunaux que des examens médico‑légaux soient pratiqués chaque fois qu’il y a présomption de torture.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 16 mars 2015, l’auteur a transmis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il réfute les arguments avancés par l’État partie, qui ne rendent pas compte des circonstances réelles de l’espèce.

5.2L’auteur prend note que, dans ses observations, l’État partie ne nie pas qu’il a été arrêté par des agents de la police de Sulaiman-Too, le 5 juillet 2011 à 21 heures. Il prend également note que l’État partie ne dit rien sur le fait qu’il a été maintenu au secret pendant les vingt-sept heures qui ont suivi son arrestation, que, pendant ce laps de temps, il a été torturé et empêché de contacter ses proches, et qu’il n’a été présenté devant un juge que soixante-sept heures après son arrestation. L’auteur indique qu’il n’a comparu devant un tribunal qu’après que son avocat a déposé plainte auprès du parquet municipal d’Och, le 8 juillet 2011, et demandé sa libération immédiate.

5.3L’auteur réfute l’argument de l’État partie selon lequel il n’aurait pas fait état de torture ou de mauvais traitements dans sa déclaration sous serment pendant l’enquête préliminaire du parquet. Il réaffirme avoir subi des actes de torture les 5 et 6 juillet 2011 et soutient que, le 7 juillet 2011, lorsqu’il a finalement été autorisé à s’entretenir avec son avocat en présence de l’enquêteur, il a montré les lésions que les coups qu’il avait reçus avaient causées sur son corps et a signé une plainte exposant en détail les actes de torture qu’il avait subis, à l’intention du parquet municipal d’Och. De plus, il signale qu’après cet entretien avec son avocat, deux policiers l’ont menacé et l’enquêteur chargé du dossier lui a conseillé de ne pas causer de problèmes. Le même jour, l’auteur a informé son avocat de ces menaces ; celui‑ci a présenté une requête au parquet municipal d’Och pour demander que l’auteur soit transféré sans délai du centre de détention temporaire d’Och au centre de détention provisoire de la même ville, pour des raisons de sécurité. L’auteur indique que la loi exige que de telles requêtes soient accueillies immédiatement. Or, il a dû attendre dix jours pour être transféré au centre de détention provisoire et, pendant cette période, il a subi de la part des policiers d’autres violences et menaces destinées à lui faire retirer sa plainte.

5.4L’auteur affirme que les autorités nationales se sont délibérément abstenues de conduire une enquête effective sur ses allégations de torture. À l’appui de ses dires, il fait observer qu’il a fallu quatre mois à l’État partie pour enquêter sur ses allégations de torture et inculper les policiers en cause, alors que le Code de procédure pénale dispose que de telles enquêtes doivent être menées à bien dans un délai de deux mois et que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants invite à procéder immédiatement à une enquête sur toute allégation de torture. Il fait également observer que les policiers concernés n’ont jamais été accusés du crime de torture à proprement dit, comme le prévoit l’article 305-1 du Code pénal du Kirghizistan. L’avocat de l’auteur a demandé à plusieurs reprises que le chef de torture soit ajouté, mais s’est heurté au refus du parquet et des juridictions nationales. Enfin, l’auteur fait observer que, comme il ressort de la décision rendue en première instance, il a coopéré avec la police en l’aidant à localiser son coaccusé, qui a ensuite été désigné comme le chef du groupe responsable des vols avec violence et enlèvements. Pourtant, et malgré plusieurs autres circonstances atténuantes, l’auteur a été condamné à une peine de prison plus longue que celle de son coaccusé. L’auteur affirme qu’il s’agit d’un acte de représailles après son refus de retirer sa plainte contre la police pour torture.

5.5L’auteur indique que, si l’État partie a admis l’existence de la torture sur son territoire, aucun policier n’a été déclaré coupable de torture malgré les nombreuses allégations formulées par des participants aux événements dont le sud du Kirghizistan a été le théâtre en 2010.

Nouveaux commentaires de l’auteur

6.1Le 29 mars 2015, l’auteur a informé le Comité que, le 27 mars 2015, les services du Comité de la sécurité nationale pour la région d’Och avaient perquisitionné les bureaux du mouvement de défense des droits de l’homme Bir Duyno Kyrgyzstan, pour lequel travaillait son conseil, ainsi que le domicile de celui-ci et le domicile de son collègue. Au cours de la perquisition, les autorités ont saisi plusieurs biens, dont des ordinateurs, des cartes mémoires, des dictaphones et des disques, qui contenaient des informations sur les affaires criminelles dont les conseils étaient chargés. Les ordinateurs contenaient en outre des informations sur les communications émanant de particuliers qu’ils avaient soumis au Comité, dont celle de l’auteur. L’auteur affirme que ces perquisitions constituent des violations graves du droit interne et du droit international.

6.2Le 30 mars 2015, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a demandé à l’État partie de faire en sorte que les auteurs, les membres de leur famille, les témoins et leurs représentants ne fassent pas l’objet de représailles en raison de la soumission de leurs communications au Comité.

Observations complémentaires de l’État partie sur le fond

7.1Dans une note verbale datée du 8 juillet 2015, l’État partie a fait part d’observations complémentaires sur le fond. Selon cette note, le Bureau du Procureur général a établi que l’auteur avait été conduit au poste de police de Sulaiman‑Too le 5 juillet 2011, à 21 heures, qu’il avait été torturé pour obtenir des aveux et qu’il avait été officiellement placé en détention le 6 juillet 2011, à 23 heures, date et heure auxquelles l’enquêteur l’avait fait écrouer au centre de détention temporaire de la ville d’Och.

7.2L’État partie affirme que l’enquête sur les allégations de torture de l’auteur a été confiée à un autre enquêteur du parquet municipal d’Och, le 21 octobre 2011, et que sa durée totale a été officiellement portée à quatre mois, le 22 novembre 2011. Dans les déclarations sous serment qu’ils ont faites pendant l’enquête préliminaire du parquet, l’auteur et son coaccusé ont tous deux nié avoir été torturés. Le coaccusé a refusé de se soumettre à un examen médico‑légal, tandis que l’examen pratiqué sur l’auteur a révélé quatre petites coupures sur l’avant-bras. Cependant, les deux hommes sont ensuite revenus sur leurs témoignages et ont affirmé avoir été torturés par la police. Par la suite, le coaccusé s’est rétracté de nouveau. En conséquence, le 9 décembre 2011, le parquet a décidé d’abandonner les accusations de torture visant les quatre policiers, par manque de preuves.

7.3L’État partie rappelle les faits qui sont reprochés à l’auteur ainsi que les procédures judiciaires qui ont été engagées à la suite de l’enquête sur les allégations de torture formulées par celui-ci contre les policiers, dont il a fait état dans sa note verbale du 27 décembre 2014. Il fait observer que toutes les allégations de l’auteur ont été examinées, par plusieurs tribunaux, et ont été dûment prises en considération conformément au droit interne existant.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Par une note verbale datée du 24 juillet 2015, l’État partie a fourni des informations sur les perquisitions effectuées dans les locaux du mouvement de défense des droits de l’homme Bir Duyno Kyrgyzstan. Il affirme que, le 25 mars 2015, deux agents du Service des migrations du Kirghizistan ont demandé à la police municipale d’Och de prendre des mesures contre un ressortissant des États‑Unis nommé Umar Farouk, qui était présumé recueillir des informations sur les mouvements migratoires dans la région. Le même jour, la police a arrêté M. Farouk et, à l’issue d’une fouille, a saisi le matériel électronique qui lui appartenait, deux documents de procédure émanant des services provinciaux du Comité de sécurité nationale qui accusaient deux nationaux d’incitation à la haine interethnique et religieuse, plusieurs textes sur l’islam et les cartes de visite du conseil de l’auteur et de son collègue. Il a été établi que M. Farouk s’était fait passer pour un journaliste travaillant pour divers grands organes de presse étrangers dans le but de recueillir des informations sur la situation religieuse, interethnique et transfrontalière dans le sud du pays. Or, M. Farouk n’avait pas reçu d’accréditation du Ministère des affaires étrangères, comme la loi l’exige des journalistes étrangers.

8.2Une expertise judiciaire a permis d’établir que les fichiers vidéo découverts dans l’ordinateur de M. Farouk contenaient des appels au jihad et à la discorde interreligieuse. Le 26 mars 2015, une enquête pénale a été ouverte par le Comité de sécurité nationale pour « appels publics au renversement violent de l’ordre constitutionnel » et « incitation à la haine religieuse ».

8.3Le 27 mars 2015, par décision du tribunal, des perquisitions ont été menées aux bureaux et aux domiciles du conseil de l’auteur et de son collègue. Elles ont donné lieu à la saisie d’un certain nombre de disques, d’ordinateurs, de cartes mémoires et de documents. L’État partie signale que les agents qui ont effectué les perquisitions n’ont pas saisi de documents concernant les affaires pénales dont les avocats étaient chargés. Le 30 avril 2015, le tribunal provincial d’Och a estimé que la décision du tribunal municipal d’Och autorisant les perquisitions des bureaux et des domiciles des avocats n’était pas fondée. Les avocats ont demandé que le matériel électronique et les documents qui avaient été saisis au cours des perquisitions du 27 mars 2015 leur soient restitués, mais cette restitution a été partielle. Le 18 mai 2015, ils ont saisi le tribunal municipal d’Och pour demander la restitution de tout le matériel et tous les documents leur appartenant qui avaient été saisis. Le 19 mai 2015, le parquet provincial d’Och a contesté la décision rendue par le tribunal régional d’Och en date du 30 avril 2015 devant la Cour suprême ; ce recours est pendant. L’État partie propose de fournir de plus amples renseignements une fois que la Cour suprême se sera prononcée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité prend note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles. En l’absence d’objection de l’État partie à cet égard, le Comité considère queles dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication.

9.4Selon le Comité, l’auteur n’a pas suffisamment étayé l’allégation selon laquelle la saisie du matériel de ses conseils par les autorités de l’État partie constituait une violation effective du Pacte, et notamment du droit de présenter une communication au Comité, garanti par l’article 2 du Protocole facultatif. En revanche, l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire de l’article 7, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3 a)) et 9 (par. 1, 3 et 4) du Pacte, aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité déclare que ces griefs sont recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

10.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

10.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle plusieurs policiers sont entrés par effraction à son domicile, sans présenter de mandat ni décliner leur identité, l’ont menotté et l’ont conduit au poste de police de Sulaiman‑Too. Pendant le trajet en voiture, les policiers ont recouvert la tête de l’auteur d’un sac en plastique et l’ont frappé. Les mains menottées et la tête dans le sac en plastique, l’auteur a été amené au poste de police, où deux agents lui ont assené des coups de matraque sur le ventre, les reins et les pieds pour lui faire avouer un crime commis une année plus tôt. L’auteur a été battu pendant deux heures, jusqu’à ce qu’il signe des aveux. Le Comité prend note que l’auteur a fait un compte rendu détaillé des actes de torture qu’il aurait subis et que l’État partie a reconnu qu’il avait été torturé. Le Comité prend également note que, pour l’État partie, même si l’examen médico‑légal pratiqué le 9 juillet 2011 a révélé des lésions sur l’avant‑bras de l’auteur, il n’en demeurait pas moins que le médecin du centre de détention temporaire de la ville d’Och avait déclaré que l’auteur ne présentait aucune blessure à son admission au centre, le 7 juillet 2011. De plus, les agents qui étaient de service ce jour-là et les compagnons de cellule de l’auteur ont dit ne pas avoir entendu celui-ci se plaindre d’avoir été battu par les policiers. Le Comité prend aussi note que, dans le même temps, les quatre policiers qui avaient arrêté l’auteur ont nié avoir exercé une quelconque pression physique ou psychologique sur sa personne.

10.3Le Comité rappelle que les États parties sont responsables de la sécurité de toute personne placée en détention et qu’il leur incombe, lorsqu’une personne placée en détention présente des lésions, de produire des éléments de preuve les exonérant de toute responsabilité. Le Comité a affirmé à plusieurs reprises qu’en pareil cas la charge de la preuve ne saurait incomber entièrement à l’auteur de la communication, d’autant que l’État partie est souvent le seul à disposer des renseignements voulus. L’État partie n’ayant communiqué aucun autre élément de preuve, le Comité considère qu’il faut accorder aux allégations de l’auteur le crédit qu’elles méritent.

10.4En ce qui concerne l’obligation qu’a l’État partie de faire procéder à une enquête en bonne et due forme sur les allégations de torture formulées par l’auteur, le Comité renvoie à sa jurisprudence, dont il ressort qu’une enquête pénale suivie de poursuites est indispensable pour remédier aux violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont protégés par l’article 7 du Pacte. De plus, le Comité rappelle que les plaintes faisant état de mauvais traitements infligés en violation de l’article 7 doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales de l’État partie afin de rendre les recours efficaces.

10.5Le Comité prend note qu’en l’espèce, l’auteur a d’abord porté plainte pour torture devant le parquet municipal d’Och le 7 juillet 2011. Le 9 juillet 2011, l’auteur s’est soumis à un examen médico‑légal, qui a révélé la présence, sur son avant-bras, de quatre coupures pouvant avoir été causées par le contact d’un objet rond et dur dans les sept jours qui précédaient. L’auteur a affirmé qu’il avait ensuite été de nouveau frappé et menacé par des policiers pour avoir déposé une plainte pour torture. Le 11 juillet 2011, le parquet municipal d’Och a été saisi d’une requête en vue du transfèrement immédiat de l’auteur du centre de détention temporaire d’Och vers le centre de détention provisoire de la même ville, pour des raisons de sécurité, compte tenu des violences et des menaces que l’auteur continuait de subir de la part de la police.

10.6Le Comité relève que, si une enquête préliminaire sur les allégations de torture a été menée le 16juillet 2011 et l’enquête officielle a commencé le 22 août 2011, les policiers mis en cause n’ont pas été mis en examen avant le 12 décembre 2011. À cet égard, il prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle, en raison du retard pris dans l’ouverture de l’enquête et dans l’inculpation, les autorités n’ont pas interrogé des témoins clefs, notamment son père, qui avait assisté à son arrestation mais était décédé peu de temps après, ni recueilli des preuves scientifiques importantes. Il prend également note des arguments de l’État partie selon lesquels l’auteur n’a pas déclaré avoir été torturé ou maltraité dans la déclaration sous serment qu’il a faite pendant l’enquête préliminaire du parquet. Il constate que ces arguments semblent contredire les documents communiqués par l’auteur, dont il ressort que celui-ci n’a cessé de dénoncer les violences physiques qui lui étaient infligées par les policiers et s’est soumis à un examen médico‑légal, et que cet examen a révélé la présence de lésions sur son avant-bras. À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que l’État partie n’a pas procédé à une enquête en bonne et due forme sur les allégations de torture formulées par l’auteur. Enconséquence, il considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par.3).

10.7Le Comité prend note du grief que l’auteur tire de l’article 9 (par. 1) du Pacte, en raison de son arrestation et sa détention arbitraires, et notamment de son maintien au secret pendant les vingt-sept heures qui ont suivi son arrestation effective. LeComité rappelle qu’aux termes de l’article 9 (par. 1), nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire et nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour les motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. L’auteur affirme qu’après son arrestation, le 5 juillet 2011, il n’a pas été autorisé à contacter sa famille ni un avocat, qu’il a été conduit d’un poste de police à un autre, puis à un centre de détention, et qu’il n’a été présenté à l’enquêteur pour interrogatoire que le 6 juillet 2011 à 23 heures. LeComité prend note que le père de l’auteur et un avocat engagé par la famille se sont rendus dans plusieurs postes de police pour tenter de retrouver l’auteur, dont les proches étaient sans nouvelles, et que, n’y étant pas parvenus, ils ont déposé plusieurs plaintes devant le parquet municipal et le parquet provincial d’Och pour détention et disparition. Le Comité prend également note qu’aux dires de l’État partie, l’auteur a été libéré peu après son arrestation, le 5 juillet 2011. Le Comité constate que les autorités de l’État partie divergent dans leurs exposés des faits survenus les 5et 6 juillet 2011, surtout lorsqu’il est question de la phase initiale de l’enquête sur l’arrestation et la détention de l’auteur.

10.8Le Comité renvoie à son observation générale no 35 (2014), selon laquelle il peut y avoir arrestation au sens de l’article 9 sans que l’intéressé soit officiellement arrêté au sens de la législation nationale. Alors que le Pacte dispose que nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour les motifs et conformément à la procédure prévus par la loi, l’État partie nie avoir détenu l’auteur pendant la nuit en question, bien que des témoignages indiquent le contraire et que l’auteur n’ait pas pu être localisé par les membres de sa famille et son avocat. L’État partie n’ayant pas donné d’explication claire et plausible quant au lieu où l’auteur se trouvait, aux conditions de sa détention et à la consignation de son arrestation, le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tire du de l’article 9 (par. 1) du Pacte. En conséquence, le Comité n’examinera pas séparément les griefs que l’auteur soulève au titre de l’article 9 (par. 3 et 4) du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), et de l’article 9 (par. 1).

12.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures qui s’imposent pour mener rapidement une enquête impartiale sur les allégations de torture formulées par l’auteur et, si les faits sont avérés, poursuivre les responsables et les punir comme il se doit, ainsi que pour accorder une indemnisation adéquate à l’auteur. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte, et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.