Nations Unies

CCPR/C/130/D/2820/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

8 juin 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2820/2016 * , **

Communication présentée par :

Mitko Vanchev (représenté par un conseil, Mihail Ekimdjiev)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Bulgarie

Date de la communication :

27 octobre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 22 décembre 2020(non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

6 novembre 2020

Objet :

Absence d’enquête effective sur des allégations de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant

Question(s) de procédure :

Examen de la même question devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; droit à un procès équitable ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3 a)), 7 et 14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif  :

2, 3 et 5 (par. 2 a) et b))

1.L’auteur de la communication est Mitko Vanchev, de nationalité bulgare, né le 1er juin 1985. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7 et 14 (par. 1) du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Bulgarie le 26 juin 1992. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 15 septembre 2005, l’auteur, étudiant en deuxième année à l’Université technique de Sofia, a pris un autocar de Sofia à Kardzhali. L’autocar est arrivé à destination vers 19 h 45. Alors qu’il marchait dans les rues de Kardzhali, l’auteur a entendu des pas derrière lui et, un instant plus tard, un homme de grande taille l’a soudainement attaqué. Pensant qu’il s’agissait d’une tentative de vol, l’auteur, pour se défendre, a frappé l’agresseur au visage. Un deuxième homme l’a alors également attaqué et s’est mis à le frapper. L’auteur a été frappé à la tête avec un objet contondant et est tombé par terre. Alors qu’il était au sol, les deux hommes ont continué à le frapper et à lui donner des coups de pied. L’auteur a essayé en vain de se défendre, croyant toujours être victime d’un vol. L’un des deux agresseurs a dit : « Où est l’herbe ? Donne-moi l’herbe ! ». À ce moment-là, l’auteur a pensé que ses agresseurs étaient des trafiquants de drogue qui l’avaient pris à tort pour un dealer. Il a répondu qu’il n’avait pas d’herbe et qu’il ne se livrait pas à ce genre de trafic.

2.2L’auteur a été menotté et placé dans une voiture. Selon lui, ce n’est qu’à ce moment que les hommes ont dit qu’ils étaient policiers. Arrivés au poste de police, ils se sont aperçus qu’il y avait erreur et que l’auteur n’était pas la personne qu’ils recherchaient. L’auteur a été conduit à l’hôpital et y est resté quatre jours pour le traitement des blessures causées par les coups. Le certificat médico-légal qui lui a été délivré indique qu’il avait deux contusions avec lacérations à la tête et que des hématomes dues à des contusions étaient visibles sur le côté droit de l’abdomen.

2.3Le 26 septembre 2005, l’auteur a déposé, auprès du Directeur du Département du Ministère de l’intérieur dans le district de Kardzhali, une plainte contre les deux policiers pour les violences qu’il avait subies. Le 13 octobre 2005, le Directeur a reconnu que les policiers avaient fait un usage disproportionné de la force, qu’ils avaient agi avec négligence en n’informant pas l’auteur qu’ils étaient policiers et qu’ils avaient donc fait l’objet de sanctions disciplinaires.

2.4À une date non précisée, l’auteur a déposé la même plainte auprès du parquet militaire du district de Plovdiv. Le 17 octobre 2005, le parquet militaire a refusé d’engager des poursuites pénales contre les policiers concernés. Le 9 février 2006, l’instance d’appel du parquet militaire a infirmé la décision du parquet militaire du district de Plovdiv et ordonné l’engagement de poursuites pénales contre les deux policiers.

2.5Le 28 juillet 2006, le parquet militaire du district de Plovdiv a accusé les deux policiers d’avoir causé un préjudice corporel mineur à l’auteur (art. 131 (par. 1) du Code pénal, lu conjointement avec les articles 130 (par. 1) et 20 (par. 3)). Le tribunal militaire de première instance de Plovdiv a ouvert l’affaire pénale (no 160/2006). L’auteur s’est constitué partie civile contre les accusés et a demandé 8 000 levas (environ 4 800 dollars), de dommages‑intérêts au titre du préjudice moral.

2.6Le 16 septembre 2006, le tribunal militaire de Plovdiv a relaxé les accusés. Il a conclu que les policiers avaient décliné leur identité lorsqu’ils avaient dit à l’auteur : « Police, ne bougez pas », et qu’ils avaient attaqué l’auteur parce qu’il avait résisté et les avait attaqués. Il a jugé que la force dont les policiers avaient fait usage s’inscrivait dans le cadre légal et était demeurée dans les limites de ce qui était nécessaire pour neutraliser l’auteur. L’auteur et le parquet militaire régional de Plovdiv ont fait appel de cette décision devant la Cour militaire d’appel.

2.7Le 10 janvier 2007, la Cour militaire d’appel a annulé cette décision, déclaré les accusés coupables d’avoir causé un préjudice corporel mineur à l’auteur et condamné chacun d’eux à une amende administrative de 1 000 levas (environ 604 dollars). Elle a également ordonné le versement à l’auteur d’une indemnité d’un montant de 1 500 levas (environ 907 dollars) au titre du préjudice moral.

2.8Le Procureur général, se fondant sur l’article 422.1 du Code de procédure pénale, a demandé l’annulation de cette décision devant la Cour suprême de cassation, au motif que les droits de la défense des accusés avaient été violés. Cette demande du Procureur général n’a pas été communiquée à l’auteur et celui-ci n’a pas été convoqué devant la Cour suprême de cassation lorsque celle-ci a examiné l’affaire. Le 18 décembre 2007, la Cour suprême de cassation a annulé dans son intégralité la décision rendue le 10 janvier 2007 par la Cour militaire d’appel et a renvoyé l’affaire devant la même juridiction pour qu’une autre Chambre la réexamine.

2.9Le 17 janvier 2008, par son arrêt no 3, la Cour militaire d’appel a confirmé la décision rendue en première instance par le tribunal militaire de Plovdiv, relaxé les accusés et rejeté la demande d’indemnisation introduite par l’auteur. Elle a précisé que l’arrêt était définitif et non susceptible d’appel.

2.10Le 2 juin 2008, l’auteur a introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant une violation des articles 3, 6 (par. 1) et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le 10 juillet 2014, la Cour l’a informé que sa requête était irrecevable du fait qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions de recevabilité énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention. L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme attestant que le Comité accepte d’examiner une affaire après une décision d’irrecevabilité de la Cour européenne des droits de l’homme si celle-ci ne l’a pas examinée quant au fond.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme avoir été victime d’une violation des droits qu’il tient des articles 7 et 14 (par. 1)du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)).

3.2L’auteur affirme qu’il a été victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)). Les contusions de l’auteur ont manifestement été causées par les policiers. La gravité et le nombre des lésions, ainsi que l’intensité de la douleur et de la souffrance de l’auteur, entrent dans le champ d’application ratione materiae de l’article 7 du Pacte. Les policiers, sans raison légitime évidente, ont fait usage d’une force physique disproportionnée contre lui. L’auteur affirme également que l’enquête menée sur ses allégations de violences policières n’a pas été efficace, en violation des normes internationales.

3.3L’auteur invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Assenov et autres c . Bulgarie pour faire valoir que, lorsqu’une personne allègue avoir subi des mauvais traitements aux mains de la police, les prescriptions procédurales qui découlent de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales impliquent l’obligation de mener une enquête officielle effective. La Cour a indiqué que cette enquête, à l’instar de celle résultant de l’article 2, doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables. L’auteur renvoie également au paragraphe 117 du même arrêt, dans lequel la Cour rappelle que l’article 13 garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention, tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour effet d’exiger un recours interne habilitant l’instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. La portée de l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant fonde sur la Convention. Lorsqu’un individu formule une allégation défendable de sévices contraires à l’article 3, la notion de recours effectif implique, outre une enquête approfondie et effective du type de celle qu’exige l’article 3, un accès effectif du plaignant à la procédure d’enquête et le versement d’une indemnité là où il échet.

3.4L’auteur renvoie également au paragraphe 140 de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Anguelova c . Bulgarie, dans lequel la Cour a déclaré que le public devait avoir un droit de regard suffisant sur l’enquête ou sur ses conclusions de sorte qu’il puisse y avoir mise en cause de la responsabilité tant en pratique qu’en théorie, préservation de la confiance du public dans le respect par les autorités de la prééminence du droit, et prévention de toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux. Le degré requis de contrôle du public pouvait varier d’une situation à l’autre.

3.5L’auteur affirme, par analogie, que l’enquête sur ses allégations de violences aux mains des policiers n’a pas été effective et ne visait pas à identifier ceux-ci afin d’engager leur responsabilité pénale. D’une part, l’auteur n’a pas eu un accès effectif à l’enquête pendant l’instruction. Il n’a pas pu participer aux interrogatoires des deux policiers accusés ni des témoins cités par ceux-ci. Le Code de procédure pénale ne prévoit même pas, au bénéfice de la victime, d’initiatives ou d’actes de procédure formels sous forme de « demandes, notes et contestations ». L’auteur renvoie au paragraphe 86 de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Assenov et autres c . Bulgarie, dans lequel la Cour rappelle qu’en droit bulgare il n’est pas possible à un plaignant d’engager lui‑même des poursuites pénales pour des infractions qu’il juge avoir été commises par des agents de l’État dans l’exercice de leurs fonctions. Selon l’auteur, cela signifie que tous les actes d’enquête sont accomplis à l’initiative et sous le contrôle des organes officiels compétents et que les victimes n’exercent aucune influence sur le déroulement de l’enquête.

3.6L’auteur affirme également que son accès à la Cour suprême de cassation a été restreint de manière injustifiable. Il n’a pas reçu copie de la demande que le Procureur général a déposée devant la Cour suprême de cassation pour faire annuler la décision de la Cour militaire d’appel, ni de convocation pour participer à la procédure. Il soutient que c’est la Cour suprême de cassation, devant laquelle il n’a pu intervenir, qui a annulé l’arrêt rendu en sa faveur par la Cour militaire d’appel et qui, en pratique, l’a privé de l’indemnisation pour préjudice moral que la Cour militaire d’appel lui avait accordée dans son arrêt.

3.7L’auteur allègue également une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Il fait valoir que les autorités de l’État partie n’ont pas pleinement respecté son droit d’accès à la justice ni le principe de l’égalité des armes, puisqu’il n’a pas été informé de la demande d’annulation de la décision de la Cour militaire d’appel introduite devant la Cour suprême de cassation par le Procureur général et n’a pas été convoqué pour participer à cette procédure.

3.8L’auteur renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kehaya et autres c. Bulgari e, dans lequel la Cour a déclaré que l’approche suivie par la Cour suprême de cassation dans son arrêt du 10 octobre 2000 avait eu en outre pour effet d’offrir une « seconde chance » à l’État pour obtenir le réexamen d’un litige déjà tranché par des jugements définitifs rendus dans une procédure contentieuse, à laquelle une autre émanation de l’État, une autorité administrative expressément chargée des restitutions − la commission foncière − avait été partie et avait bénéficié de tous les moyens procéduraux pour défendre les intérêts de l’État. Ce réexamen avait apparemment été possible sans limitation de temps et seule l’expiration du délai de prescription acquisitive requis y faisait obstacle. Pour la Cour, cette approche était déséquilibrée et créait une incertitude juridique.

3.9En l’espèce, l’auteur considère que l’atteinte au principe de la stabilité juridique découle de la possibilité prévue, dans des hypothèses formulées de manière peu claire à l’article 422 (par. 1 5)) du Code de procédure pénale, de rouvrir des affaires pénales terminées et d’annuler des décisions exécutoires. Cette disposition renvoie expressément aux trois motifs de cassation énoncés à l’article 348 (par. 1) du Code, à savoir : a) une violation de la loi ; b) une violation grave des règles de procédure ; et c) une peine manifestement injuste. Selon l’auteur, le flou dans la distinction entre les motifs de cassation énoncés à l’article 348 du Code de procédure pénale et les motifs d’annulation énoncés à l’article 422 du même code permet une interprétation contradictoire et une application arbitraire des motifs d’annulation. Cette situation indéterminée et imprévisible porte atteinte au principe de la sécurité juridique. Le terme « procès équitable » suppose implicitement que le droit applicable soit clair et les conséquences juridiques d’une loi donnée prévisibles.

3.10L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte en ce qu’il n’a pas mené une enquête équitable, efficace et complète sur ses allégations de violences policières. Il ne l’a pas non plus indemnisé pour le préjudice que lui a causé la violation des droits qu’il tenait des articles 7 et 14 du Pacte.

3.11L’auteur demande au Comité d’ordonner à l’État partie de rouvrir la procédure pénale contre les policiers qui l’ont maltraité physiquement et de lui accorder une indemnisation appropriée.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 12 avril 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication.

4.2L’État partie affirme qu’à la suite de l’intervention policière visant à arrêter un trafiquant de drogues durant laquelle l’auteur a subi un préjudice corporel mineur, une commission de discipline a été mise en place le 16 septembre 2005 sur ordre du Directeur du Département du Ministère de l’intérieur dans le district de Kardzhali. Au cours de l’enquête, l’auteur et les témoins ont fait des dépositions et des rapports ont été demandés aux policiers concernés. L’État partie a joint à sa réponse le certificat médico-légal no 264/05, daté du 17 septembre 2005. La commission de discipline a établi que, même si l’auteur ressemblait à la personne recherchée pour achat de stupéfiants, les deux agents avaient agi de manière impétueuse, présomptueuse et tactiquement inadéquate et n’étaient pas préparés à réagir à une éventuelle résistance. Ils ne s’étaient pas assurés que l’auteur avait compris qu’ils étaient des policiers et avaient employé une force qui n’était ni proportionnée ni adaptée à la situation, même si l’auteur les avait attaqués parce qu’il pensait être agressé pour être volé. L’emploi de la force n’avait pas cessé même après que l’auteur eut été neutralisé, en violation des dispositions de l’article 84 du Code de déontologie des agents du Ministère de l’intérieur. La commission de discipline a considéré que leurs actions avaient terni la réputation des agents du Ministère de l’intérieur. Elle a ordonné les sanctions suivantes : l’un des policiers a reçu un blâme qui resterait inscrit un an dans son dossier et a été muté, l’autre a reçu un blâme qui resterait inscrit six mois dans son dossier.

4.3L’État partie déclare que, le 10 octobre 2005, l’auteur a engagé une action en justice (no 1674/05) devant le parquet militaire du district de Plovdiv, lequel a refusé d’ouvrir une information et a classé l’affaire. Le 9 décembre 2005, l’auteur ayant interjeté appel, l’instance d’appel du parquet militaire a annulé cette décision. Le 17 janvier 2006, après une nouvelle enquête, le parquet militaire a rendu une nouvelle ordonnance par laquelle il refusait d’ouvrir une information. Le 6 février 2006, l’auteur ayant interjeté appel, l’instance d’appel du parquet militaire a une nouvelle fois annulé l’ordonnance et ordonné l’ouverture d’une enquête pénale.

4.4L’État partie indique que, le 16 février 2006, une information a été ouverte du chef d’une infraction visée à l’article 131 (par. 1) du Code pénal, lu conjointement avec les articles 130 (par. 1) et 20 (par. 2). Un délai de soixante jours a été fixé pour l’achèvement de l’enquête, délai qui a ensuite été prolongé à deux reprises. Entre le 27 et le 29 mars 2006, des inspections ont été menées sur les lieux de l’incident et au domicile d’un témoin, et d’autres actes d’enquête ont été effectués. Le 26 avril 2006, un rapport médico-légal sur les lésions subies par l’auteur a été établi. Au cours de l’enquête, des témoins oculaires de l’incident ont été entendus.

4.5L’État partie explique que, le 30 mai et le 20 juin 2006, des poursuites pénales ont été engagées contre les deux accusés du chef d’une infraction visée aux articles susmentionnés du Code pénal. La procédure pénale s’est terminée le 17 janvier 2008, lorsque la Cour militaire d’appel, dans l’arrêt no 3, a confirmé la relaxe prononcée par le tribunal militaire de Plovdiv.

4.6L’État partie considère que la communication doit être déclarée irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il affirme qu’en vertu de l’article 349 du Code de procédure pénale, l’auteur aurait pu saisir la Cour suprême de cassation d’un pourvoi en cassation.

4.7En ce qui concerne l’efficacité de l’enquête, l’État partie déclare que le laps de temps qui s’est écoulé entre l’incident (15 septembre 2005) et la relaxe des accusés (17 janvier 2008), soit deux ans et quatre mois, constitue un délai raisonnable. Il ajoute que l’auteur n’a pas déposé de plainte au cours de l’instruction et que les erreurs constatées dans le processus de réunion des preuves au cours de l’enquête n’ont pas eu d’effet significatif sur les décisions du parquet ni sur les jugements établissant la qualification juridique de l’infraction. L’État partie conclut que l’enquête pénale menée a été conforme aux normes européennes en matière d’enquête effective et a satisfait aux exigences de célérité et d’opportunité, d’exhaustivité et d’intégralité, d’impartialité et d’indépendance, et de possibilité de contrôle du public.

4.8L’État partie fait valoir que l’auteur a été autorisé à exercer ses droits en tant que victime d’une infraction. Toutes les conditions préalables ont été remplies, y compris la possibilité d’intenter une action civile en dommages et intérêts. L’auteur a participé au procès en première instance et en appel, personnellement et par l’intermédiaire d’un avocat mandaté par lui, y compris à l’audience suivant la reprise de l’affaire. Par conséquent, selon l’État partie, l’auteur a disposé de tous les recours utiles requis au titre de l’article 2 (par. 3) du Pacte, et rien dans cet article n’oblige l’État partie à accorder une indemnisation.

4.9L’État partie affirme que l’allégation de violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), est également infondée, car l’auteur a été autorisé à exercer ses droits dans le cadre de la procédure pénale. Il indique que l’affaire concernant l’auteur a été examinée selon la procédure générale, alors même que les conditions étaient réunies pour qu’elle soit examinée selon la procédure prévue au chapitre 28 du Code de procédure pénale intitulé « Exonération de la responsabilité pénale par l’imposition d’une sanction administrative », dans laquelle il n’y a ni partie civile ni demandeur civil. Il affirme qu’incontestablement, dans le cadre de l’action civile exercée par l’auteur, la cause de celui‑ci a été entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi, comme l’exige l’article 14 (par. 1) du Pacte. Selon l’État partie, il est inadmissible de subordonner la satisfaction de l’exigence d’un recours utile à l’obtention d’un résultat spécifique, car une telle interprétation irait à l’encontre des principes fondamentaux d’égalité des citoyens, d’égalité des droits des parties et de « découverte de la vérité objective par la procédure pénale ».

4.10L’État partie conclut que les allégations de l’auteur relatives à la violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 14 (par. 1), sont sans fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans des commentaires datés du 5 juin 2017, l’auteur soutient que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, la communication devrait être déclarée recevable car il a épuisé tous les recours internes disponibles. Il explique que la décision de l’instance d’appel était définitive, comme cela est indiqué dans la décision elle-même. Il ajoute que l’article 346 du Code de procédure pénale limite le champ d’application du pourvoi en cassation. Cet article dispose que les jugements de seconde instance confirmant des décisions de première instance ne sont pas susceptibles de recours devant la Cour suprême de cassation.

5.2L’auteur fait observer que l’État partie ne conteste pas que, par leur intensité et leur nature, les violences exercées contre lui relevaient de l’article 7 du Pacte ni qu’elles ont été le fait de représentants de l’État partie, des policiers, qui en employant la force physique et du matériel, lui ont causé des lésions en violation de l’article 7 du Pacte.

5.3En ce qui concerne la conduite de l’enquête et l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’a présenté aucune demande au cours de l’enquête pénale, l’auteur affirme que celle-ci a été ouverte à la suite des demandes qu’il a adressées au Directeur du Département du Ministère de l’intérieur dans le district de Kardzhali et au parquet militaire régional à Plovdiv. Il rappelle que, selon le Code de procédure pénale, l’ouverture d’une information est à l’initiative exclusive des organes d’enquête et que, dans cette phase de la procédure pénale, la victime a seulement qualité de témoin. Selon l’article 75 (par. 1) du Code de procédure pénale, la victime a le droit d’être informée du déroulement de l’enquête et de bénéficier d’une protection pour sa sécurité. Elle ne peut relever appel que des actes suspendant l’action pénale ou y mettant fin. L’auteur note que le parquet a jugé véridiques ses allégations selon lesquelles il avait fait l’objet de violences, puisqu’à l’issue de l’enquête il a adressé au tribunal un acte d’accusation visant les deux policiers et a maintenu les accusations dans toutes les procédures judiciaires. L’on ne saurait dès lors affirmer que l’auteur n’a pas agi dans l’exercice des droits que lui reconnaît la loi et donc contribué à l’inefficacité de l’enquête.

5.4Selon l’auteur, il est inexact d’affirmer, comme le fait l’État partie, que puisque la procédure disciplinaire engagée contre les deux policiers a abouti à des sanctions disciplinaires, son argument selon lequel l’enquête a été inefficace serait sans fondement. L’auteur réaffirme que l’enquête sur ses allégations de violences subies aux mains des policiers a été inefficace, car il n’a pas eu un accès effectif à la procédure d’instruction et n’a pu intervenir devant la Cour suprême de cassation qui a annulé la décision de la Cour militaire d’appel. Il note que l’État partie n’a pas contesté ce point et que, en pratique, cela l’a privé de l’indemnisation pour préjudice moral que la Cour militaire d’appel lui avait accordée dans sa décision finale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité doit s’assurer, conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité constate que le 10 juillet 2014, la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en formation de juge unique, a déclaré irrecevable la requête que l’auteur avait introduite contre l’État partie et qui portait sur les mêmes faits que la présente communication. Étant donné que cette requête n’est plus en cours d’examen devant la Cour européenne, le Comité considère que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication au titre du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles, puisqu’il aurait pu demander la cassation de l’arrêt no 3 rendu le 17 janvier 2008 par la Cour militaire d’appel devant la Cour suprême de cassation. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle cet arrêt de la Cour militaire d’appel n’était pas susceptible de recours, comme indiqué dans l’arrêt lui-même. Le Comité prend également note de l’argument de l’auteur selon lequel l’article 346 du Code bulgare de procédure pénale limite le champ d’application du pourvoi en cassation, et les jugements de seconde instance confirmant des décisions de première instance ne sont pas susceptibles d’un nouveau recours devant la Cour suprême de cassation. Le Comité note que l’État partie n’a pas expliqué en quoi un pourvoi en cassation aurait constitué un recours utile pour ce qui est des allégations soulevées devant le Comité. En conséquence, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte, à savoir que l’État partie n’a pas pleinement respecté son droit d’accès à la justice ni le principe de l’égalité des armes, puisqu’il n’a pas été convoqué par la Cour suprême pour participer à la procédure à l’issue de laquelle celle-ci a annulé la décision d’indemnisation rendue par la Cour militaire d’appel. Il prend toutefois également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a pu exercer les droits reconnus aux victimes d’une infraction et a participé aux procès en première instance et en appel, tant personnellement que par l’intermédiaire d’un conseil mandaté par lui, y compris après la reprise de la procédure. De surcroît, dans le cadre de l’action civile qu’il a intentée, l’auteur a bénéficié du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial. En l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, et compte tenu des explications fournies par l’État partie, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité, et déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs de violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), lorsqu’il allègue qu’il a subi des violences aux mains des policiers et que l’État partie n’a pas mené d’enquête effective sur ses allégations et ne l’a pas indemnisé pour le préjudice subi. Il les déclare recevables et va les examiner au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des arguments ci-après de l’auteur : le 15 septembre 2005, il a été agressé par deux policiers qui l’avaient pris, à tort, pour un dealer ; les policiers n’ont révélé leur identité que plus tard, une fois qu’il avait été menotté et placé dans leur voiture ; un certificat médico-légal a indiqué qu’il présentait deux contusions avec lacérations à la tête ainsi que des ecchymoses et des lésions cutanées sur le côté droit de l’abdomen ; et il a passé quatre jours à l’hôpital pour le traitement des blessures causées par les coups qu’il avait reçus.

7.3Le Comité prend note de l’explication de l’État partie selon laquelle l’auteur a subi un préjudice corporel mineur dans le cadre d’une intervention policière visant à arrêter un trafiquant de drogue. Il prend également note des informations communiquées par l’État partie indiquant qu’une commission de discipline a été constituée le 16 septembre 2005 sur ordre du Directeur du Département du Ministère de l’intérieur dans le district de Kardzhali. Cette commission a conclu que les policiers avaient employé contre l’auteur une force physique disproportionnée et inutile. Il prend de plus note des informations communiquées selon lesquelles, au cours de l’enquête, l’auteur et des témoins ont été entendus, des rapports ont été demandés aux policiers concernés et le certificat médico-légal a été examiné. La commission de discipline a établi que les deux policiers ne s’étaient pas assuré que l’auteur avait compris qu’ils étaient des policiers et avaient employé une force qui n’était pas proportionnée par rapport à la situation ; des sanctions disciplinaires ont en conséquence été prises à leur encontre.

7.4Le Comité note qu’une procédure pénale a ensuite été engagée contre les deux policiers concernés, à l’issue de laquelle la Cour militaire d’appel a confirmé le jugement par lequel le tribunal militaire de Plovdiv les avait relaxés. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel on ne saurait subordonner la satisfaction à l’exigence d’un recours utile au regard du Pacte à l’obtention d’un résultat spécifique. Le Comité estime toutefois que la relaxe des policiers en cause n’implique pas nécessairement que les mauvais traitements effectivement subis par l’auteur aux mains de la police − que l’État partie ne conteste pas et dont la réalité a été dûment confirmée par la commission de discipline constituée sur ordre du Directeur du Département du Ministère de l’intérieur dans le district de Kardzhali − ne sont pas contraires à l’article 7 du Pacte.

7.5Le Comité rappelle que l’emploi de la force par la police, qui peut se justifier dans certaines circonstances, peut être considéré comme contraire à l’article 7 dans des circonstances où la force dont il est fait usage est jugée excessive. Il renvoie au paragraphe 4 des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, qui dispose que les responsables de l’application des lois, dans l’accomplissement de leurs fonctions, auront recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force.

7.6Le Comité rappelle également que l’article 7 du Pacte a pour but de protéger la dignité et l’intégrité physique et mentale de l’individu contre les atteintes tant intentionnelles que non intentionnelles. À cet égard, le Comité note que les allégations de l’auteur concernant les violences subies aux mains de la police sont très détaillées et étayées par un rapport médical ; que les faits ont été reconnus par l’État partie ; qu’en raison de la gravité des blessures qui lui ont été causées, en particulier à la tête, l’auteur a dû être hospitalisé pendant quatre jours ; qu’une commission de discipline a jugé que les policiers ne s’étaient pas présentés comme tels à l’auteur et avaient fait usage à son encontre d’une force disproportionnée et inutile. Constatant que la commission de discipline constituée par le Ministère de l’intérieur de l’État partie n’a pas contesté que les violences dont l’auteur avait fait l’objet aux mains de la police constituaient un traitement contraire à l’article 7 du Pacte, le Comité estime qu’il convient d’ajouter foi aux allégations de l’auteur. Il conclut en conséquence que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation des droits que l’auteur tenait de l’article 7 du Pacte.

7.7Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles il n’a pas disposé d’un recours utile contre les mauvais traitements subis aux mains de la police, en violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), car il n’a pas été indemnisé pour le préjudice subi. Le Comité note également que l’auteur a été débouté de l’action civile en dommages-intérêts pour préjudice moral qu’il avait intentée contre les policiers dans le cadre du procès pénal lorsque la Cour militaire d’appel a relaxé les accusés. En outre, le Comité constate que l’État partie n’a pas démontré que l’auteur disposait d’autres recours juridiques pouvant lui permettre d’obtenir une réparation effective après que les déclarations de culpabilité eurent été infirmées et qu’il eut été privé de l’indemnisation pour préjudice moral que la Cour militaire d’appel lui avait accordée. Le Comité considère en conséquence que les droits que l’auteur tenait de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), ont été violés.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3).

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu, notamment, d’offrir une indemnisation adéquate et des mesures de satisfaction appropriées, y compris le remboursement de tous frais de justice et frais médicaux engagés par l’auteur ainsi qu’une indemnisation pour les pertes non pécuniaires subies par celui-ci. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle et les autres langues d’usage courant sur son territoire.