Nations Unies

CCPR/C/130/D/2839/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 mars 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2839/2016 * , **

Communication présentée par:

Karel Malinovsky, Vladimir Malinovsky, Alexander Malinovsky et Katerina Malin (non représentés par un conseil)

Victime(s) présumée(s):

Les auteurs

État partie:

Tchéquie

Date de la communication:

3 septembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 25 octobre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

6 novembre 2020

Objet:

Discrimination fondée sur la nationalité en matière de restitution de biens

Question(s) de procédure:

Fondement des griefs ; statut de victime ; abus du droit de présenter une communication ; incompatibilité ratione materiae, ratione temporis et ratione personae ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Égalité devant la loi ; indemnisation en cas d’erreur judiciaire

Article(s) du Pacte:

14 6) et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication sont Karel Malinovsky (III), Vladimir Malinovsky, Alexander Malinovsky et Katerina Malin, ressortissants des États-Unis d’Amérique, nés respectivement en 1960, 1962, 1964 et 1961. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 14 (par. 6) et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 22 février 1993. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les quatre auteurs sont cousins ; ils sont les héritiers légitimes de leur grand-père, Karel Malinovsky (I), qui avait acquis une ferme dans le village de Janovice, en Tchécoslovaquie, dans les années 1930. La ferme se composait d’une maison et d’une grange situées sur un même terrain, et de plusieurs terrains agricoles et parcelles de vergers et de forêts. Avant de s’installer à Janovice, Karel Malinovsky (I) avait été diplomate en Extrême‑Orient. Lorsqu’ils étaient en poste en Chine, les grands-parents des auteurs ont accumulé des meubles et objets d’art chinois anciens, qu’ils ont ramenés avec eux et utilisés pour meubler leur maison nouvellement acquise.

2.2Après la Seconde Guerre mondiale, le fils aîné, Karel Malinovsky (II), est allé faire des études aux États-Unis, en Californie. En 1949, le Gouvernement lui a ordonné de revenir en Tchécoslovaquie, ce qu’il a refusé de faire par crainte d’être persécuté. En 1953, il a été jugé par contumace pour haute trahison. Plus tard, les grands‑parents des auteurs sont tous les deux décédés, et leur fils cadet, Rudolf Malinovsky, s’est retrouvé chargé de la gestion de la ferme. Il a transformé la grange en appartements, qu’il a mis en location pour compléter ses revenus. En 1966, lui et sa famille ont fui à l’Ouest, en raison des persécutions en cours ; tous les biens appartenant à la famille ont alors été confisqués par le gouvernement communiste. Les frères sont finalement devenus citoyens des États-Unis.

2.3Après la chute du communisme, les deux frères ont décidé de chercher à obtenir la restitution de leurs biens confisqués. À la mort de Rudolf Malinovsky en 1992, Karel Malinovsky (II) a poursuivi la procédure en son nom propre et au nom de son frère en Tchécoslovaquie. Il a demandé la restitution des biens confisqués suivants : la ferme, qui avait été transférée à diverses personnes par le régime communiste ; les meubles et objets d’art chinois anciens, qui avaient été transférés au Musée national de Prague ; et les pièces d’or, qui faisaient partie du patrimoine personnel du ménage lorsque Rudolf Malinovsky avait fui le pays.

2.4Afin de se conformer aux exigences légales des nouvelles lois de restitution adoptées par la Tchécoslovaquie, Karel Malinovsky (II) est retourné dans son pays d’origine, y a établi sa résidence permanente et a obtenu la nationalité tchèque. Pendant la période comprise entre 1992 et 1995, le Gouvernement a approuvé et organisé la restitution de 65 des 68 parcelles de la ferme d’origine. Les biens les plus précieux n’ont cependant pas été restitués, à savoir : la maison principale, le terrain sur lequel elle se trouve et deux parcelles agricoles, les meubles et objets d’art chinois anciens et les pièces d’or. Karel Malinovsky (II) a tenté d’obtenir la restitution de ces biens dans le cadre du système judiciaire national. En juillet 2000, le Gouvernement a restitué la majorité des meubles et objets d’art chinois anciens.

2.5Le 23 août 2004, le tribunal de district de Frýdek-Místek a statué en faveur de Karel Malinovsky (II) et a ordonné que les bénéficiaires de la confiscation restituent la maison et les biens retenus. Karel Malinovsky (II) est ensuite décédé, de sorte que les auteurs de la présente communication, qui sont les enfants des copropriétaires décédés, sont devenus les héritiers légitimes des biens revendiqués.

2.6Le 12 décembre 2008, le tribunal régional a annulé la décision du tribunal de district, au motif que Karel Malinovsky (II) n’était pas citoyen de la République tchèque et n’avait donc pas droit à la restitution des biens confisqués.

2.7Les auteurs ont interjeté appel devant la Cour suprême de Brno qui, dans sa décision du 16 septembre 2010, a réaffirmé que la nationalité était requise pour la restitution des biens et rejeté le recours. La Cour suprême a en outre noté qu’à l’époque où Karel Malinovsky avait fait la demande de restitution des biens confisqués, il aurait fallu tenir compte du fait qu’un traité conclu en 1929 entre la Tchécoslovaquie et les États-Unis au sujet des naturalisations (communément appelé traité Bancroft) interdisait la double nationalité et l’empêchait donc d’obtenir la nationalité tchèque.

2.8Le 11 septembre 2012, la Cour constitutionnelle a rejeté la requête des auteurs.

2.9Les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 26 du Pacte, mais également l’article 17 (par. 2) de la Déclaration universelle des droits de l’homme, par son application de la loi no 87/1991, qui exige la nationalité tchèque pour la restitution des biens. Ils rappellent que le tribunal de district de Frýdek-Místek a statué en faveur de Karel Malinovsky (II) et ordonné que les bénéficiaires de la confiscation restituent la maison et les biens retenus. Néanmoins, cette décision a été annulée au seul motif que les juridictions d’appel ne pouvaient plus établir que l’ancêtre des auteurs remplissait la condition de nationalité.

3.2Les auteurs dénoncent également une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 14 (par. 6) du Pacte. En particulier, ils rappellent que leur ancêtre a été déclaré coupable de haute trahison et que l’État partie a invoqué cette déclaration de culpabilité pour confisquer les biens de la famille. La loi no 119/1990 sur la réhabilitation judiciaire a déclaré ces condamnations nulles et non avenues, et des lois ultérieures (comme la loi no 87/1991) ont été promulguées pour permettre la restitution des biens. Les auteurs affirment que ces lois sont interdépendantes et prévoient clairement des mesures correctives. Toutefois, la famille n’a jamais été indemnisée pour la confiscation de la maison et des biens retenus, laquelle était étroitement liée à la déclaration de culpabilité injuste de leur grand-père.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 25 avril 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il a confirmé les faits tels qu’ils ont été présentés par les auteurs.

4.2L’État partie soutient que, dans la mesure où la communication dénonce une violation de la Déclaration universelle des droits de l’homme, elle devrait être déclarée irrecevable pour incompatibilité ratione materiae avec le Pacte. Il affirme que le Comité n’est pas compétent pour examiner des violations alléguées de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

4.3L’État partie affirme également que la communication devrait être jugée irrecevable au motif qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications, au titre de l’article 3 du Protocole facultatif. Sur ce point, l’État partie rappelle que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai et qu’un simple retard dans la présentation d’une communication ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter une communication. Il est à noter, cependant, que les auteurs ont présenté leur communication près de trois ans après avoir été informés, le 27 septembre 2012, de la décision de la Cour constitutionnelle. L’État partie soutient que ce délai n’est pas raisonnable, compte tenu du fait que les auteurs n’ont présenté aucun motif raisonnable pour le justifier, et demande au Comité de définir les délais dans lesquels les communications devraient être présentées.

4.4S’agissant de la violation alléguée de l’article 26, l’État partie réaffirme que, sur les 236 689 m2 de terres confisquées, l’ancêtre des auteurs a réclamé et obtenu la restitution de 235 188 m2, ce qui correspond à 99,4 % de la superficie totale des terres réclamées. En 2000, les meubles et objets d’art chinois anciens ont également été rendus à la famille. Les trois dernières parcelles, totalisant 1 501 m2,appartenaient à des particuliers et devaient donc faire l’objet d’une procédure judiciaire. L’État partie fait valoir que, compte tenu du fait que seuls 0,6 % de la ferme d’origine n’ont pas été restitués aux auteurs, la différence de traitement à l’égard des auteurs ne peut être considérée comme déraisonnable. Sur ce point, l’État partie note que, selon la jurisprudence du Comité, les différences de traitement ne doivent pas toutes être réputées discriminatoires. Il renvoie également à la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Haškovcová et Věříšová c. République tchèque, dans laquelle les requérantes n’ont récupéré que la moitié des biens qu’elles réclamaient dans le cadre de la procédure interne de restitution. Dans cette affaire-là, étant donné que la législation en matière de restitution ne visait qu’à réparer certaines des injustices commises par le régime précédent, la Cour européenne a conclu qu’un juste équilibre avait été trouvé entre le droit de propriété des requérantes et le but légitime poursuivi par l’ingérence. Compte tenu du fait qu’une restitution a également eu lieu dans une certaine mesure en l’espèce, l’État partie affirme que les auteurs ont perdu leur qualité de victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Il affirme donc qu’il n’y a pas eu discrimination à l’encontre des auteurs et que les droits qu’ils tiennent de l’article 26 du Pacte n’ont pas été violés.

4.5L’État partie soutient également que les auteurs n’ont pas coopéré avec le tribunal régional d’Ostrava dans le cadre de la procédure d’appel, car ils n’ont pas présenté les documents prouvant la nationalité tchèque de leur ancêtre. Il précise que, puisque Karel Malinovsky (II) avait demandé et obtenu la nationalité tchèque dans le cadre d’une procédure interne antérieure, c’est seulement le manque de coopération des auteurs pour produire les preuves qui a empêché le tribunal régional de statuer en leur faveur. Il considère que ce manque de coopération devrait jouer en défaveur des auteurs, lorsque le Comité appréciera la violation alléguée de l’article 26 du Pacte.

4.6L’État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, une distinction fondée sur des critères raisonnables et objectifs ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26 du Pacte. Par conséquent, il est d’avis que l’article 26 du Pacte ne l’oblige pas à réparer pleinement les injustices d’un régime antérieur, commises à une époque où le Pacte n’existait même pas. Il soutient dès lors que son législateur devrait jouir d’une large marge d’appréciation pour déterminer l’étendue des injustices passées qu’il cherche à réparer et les conditions de ces réparations.

4.7En ce qui concerne le grief que les auteurs tirent de l’article 14 du Pacte, l’État partie soutient qu’il devrait être déclaré irrecevable au regard des articles 2, 3 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, pour incompatibilité ratione personae, ratione temporis et ratione materiae avec le Pacte, et pour non-épuisement des recours internes.

4.8L’État partie affirme qu’il découle de la nature même de l’article 14 (par. 6) du Pacte, que celui-ci ne peut être invoqué que par la personne qui a été injustement punie et non par ses héritiers légaux. Cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable pour incompatibilité ratione personae avec le Pacte.

4.9L’État partie rappelle que la Tchécoslovaquie a adhéré le 12 mars 1991 au Protocole facultatif, lequel est entré en vigueur pour la République tchèque le 22 février 1993. Il fait aussi remarquer que la condamnation de Karel Malinovsky (II) a été annulée ex lege, en vertu de la loi no 119/1990 sur la réhabilitation judiciaire, entrée en vigueur le 1er juillet 1990. Comme cette date précède l’entrée en vigueur du Pacte pour la République tchèque, l’État partie considère que le grief des auteurs devrait être déclaré irrecevable pour incompatibilité ratione temporis avec le Pacte.

4.10L’État partie soutient en outre que les conditions énoncées à l’article 14 (par. 6) doivent être interprétées de manière stricte. En conséquence, si une condamnation pénale est annulée pour un motif non lié à un fait nouveau ou nouvellement révélé prouvant de manière concluante qu’il y a eu erreur judiciaire, l’article 14 (par. 6) ne s’applique pas. Selon l’État partie, cette interprétation correspond à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, établie dans l’affaire Bachowski c. Pologne. Dans cette affaire, la Cour, constatant que l’acquittement du requérant était fondé sur la réévaluation d’éléments de preuve déjà disponibles au moment de la condamnation, a jugé la requête irrecevable, car incompatible ratione materiae avec la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). L’État partie ajoute que la condamnation de Karel Malinovsky (II) a été annulée ex lege et non par un organe judiciaire. Pour ces raisons, il réaffirme que cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable pour incompatibilité ratione materiae avec le Pacte.

4.11L’État partie soutient encore que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes, car ils n’ont pas porté leur grief de violation de l’article 14 (par. 6) devant la Cour constitutionnelle, qui aurait eu compétence pour l’examiner sur la base de l’article 87 (par. 1 d)) de la Constitution. Selon la jurisprudence bien établie de la Cour européenne des droits de l’homme, un recours devant la Cour constitutionnelle constitue un recours effectif dans l’État partie aux fins de l’obligation d’épuisement des recours internes.

4.12Sur le fond, l’État partie soutient que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs allégations et que les informations dont dispose le Comité ne suffisent pas pour qu’il conclue à une violation de l’article 14 (par. 6) du Pacte. Les États parties doivent être libres de déterminer l’ampleur de la restitution des biens et le droit à l’indemnisation ne peut être interprété et garanti que dans le cadre établi par la législation nationale applicable. Parce que leur demande au sujet des biens ne relevait pas du champ d’application des lois nationales pertinentes et ne remplissait pas les conditions préalables y énoncées, les auteurs n’avaient pas droit à une indemnisation, et il n’y a donc pas eu violation de l’article 14 (par. 6) du Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 30 août 2017, les auteurs ont communiqué leurs commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2En ce qui concerne le grief tiré de l’article 26 du Pacte, les auteurs réaffirment que les lois de l’État partie relatives à la restitution établissaient à leur égard, une discrimination fondée sur leur nationalité. Ils font référence aux observations finales concernant le troisième rapport périodique de la République tchèque, dans lesquelles le Comité a exprimé ses préoccupations devant la persistance de l’État partie à ne pas mettre en œuvre ses constatations au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, en particulier dans les nombreuses affaires concernant la restitution de biens en vertu de la loi no 87/1991.

5.3Les auteurs affirment également que l’État partie interprète de façon erronée les termes de la législation applicable. Le préambule de la loi no 87/1991 indique que l’objectif des lois de restitution était d’atténuer les conséquences de certaines injustices matérielles et autres qui s’étaient produites en 1948 et 1989. Le mot některých employé dans le texte tchèque correspond à « some » en anglais et non à « certain », que l’État partie utilise à tort à plusieurs reprises dans ses observations. Il tente, ce faisant, de préparer le terrain pour justifier la conditionnalité dans le processus de restitution.

5.4Les auteurs affirment, entre outre, qu’additionner le nombre de mètres carrés n’est qu’une façon de quantifier les biens qui leur ont été rendus. Se fondant sur une estimation réalisée par un évaluateur agréé, ils affirment que des biens d’une valeur de 4 562 000 couronnes tchèques leur ont été restitués, alors que d’autres biens valant ensemble 2 015 000 couronnes tchèques, soit 30,6 % de la valeur totale des biens réclamés, ne l’ont pas été. Cet exercice montre que l’on peut présenter les chiffres, même fondés sur les faits, de façon biaisée pour les faire correspondre à un argument donné.

5.5S’agissant de l’argument de l’État partie, selon lequel les auteurs ont abusé du droit de présenter une communication en attendant près de trois ans pour saisir le Comité, les auteurs se réfèrent à l’article 99 c) du Règlement intérieur du Comité et font valoir qu’ils ont respecté le principe des cinq ans qui y est énoncé.

5.6Les auteurs indiquent également que Karel Malinovsky (II) est décédé en 2005, et qu’ils n’ont pu trouver aucun document prouvant sa nationalité tchèque. Ils ne comprennent d’ailleurs pas bien pourquoi il leur a été demandé de fournir des documents à cette fin, puisque, comme le reconnaît l’État partie, la nationalité tchèque de leur ancêtre a dû être établie dans le cadre d’une procédure antérieure, lorsque certains biens lui ont été restitués. En tout état de cause, la condition de nationalité n’aurait jamais dû être appliquée en premier lieu, en raison de son caractère discriminatoire. Nonobstant les constatations du Comité sur ce point, l’État partie n’adopte pas les mesures voulues pour les appliquer.

5.7Pour ce qui est de la violation alléguée de l’article 14 (par. 6), les auteurs affirment qu’elle découle du fait que leur ancêtre a été injustement déclaré coupable par l’État partie, pour que les biens de la famille puissent être confisqués. Le fait que les auteurs n’aient pas obtenu la restitution intégrale des biens revendiqués ni été indemnisés pour la perte injuste subie par la famille, au motif qu’ils n’auraient pas prouvé la nationalité tchèque de leur grand‑père, constitue une violation de l’article 14 (par. 6) du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne le grief que les auteurs tirent de l’article 26 du Pacte, le Comité note qu’ils disent avoir épuisé tous les recours internes qui leur étaient ouverts. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point au sujet de cet article, il considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité prend note du grief que les auteurs tirent de l’article 17 (par. 2) de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui n’entre pas dans le champ d’application du Pacte. Il considère donc que la violation alléguée à ce titre est irrecevable pour incompatibilité ratione materiae avec le Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5S’agissant du grief que les auteurs tirent de l’article 14 (par. 6) du Pacte, le Comité observe que, selon l’État partie, ce grief devrait être déclaré irrecevable au regard des articles 2, 3 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, pour incompatibilité ratione personae, ratione temporis et ratione materiae avec le Pacte, et pour non‑épuisement des recours internes. Sur ce point, le Comité fait observer qu’en vertu de l’article 14 (par. 6) du Pacte, une personne qui a fait l’objet d’une condamnation pénale définitive et qui a subi une peine à raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, si la condamnation est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire. Compte tenu des conditions énoncées dans cette disposition, le Comité considère que les auteurs, dans leur communication, ne montrent pas en quoi les droits que leur confère l’article 14 (par. 6) ont été violés par l’État partie, en particulier dans la mesure où la personne condamnée, Karel Malinovsky (II), n’apparaît pas en qualité de victime dans la présente communication. En tout état de cause, rien dans les éléments du dossier ne prouve que ce grief a été soulevé par les auteurs au niveau national. Par conséquent, le Comité déclare que cette partie de la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif, au motif qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications. Il fait observer que, conformément à l’article 99 (par. c)) de son règlement intérieur, il s’assure que la communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication. En principe, un abus du droit de présenter une communication ne peut pas être invoqué pour fonder une décision d’irrecevabilité ratione temporis au motif de la présentation tardive de la plainte. Toutefois, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que, parce que les auteurs ont soumis la communication moins de trois ans après avoir été informés, le 27 septembre 2012, de la décision de la Cour constitutionnelle, le délai ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs ont perdu leur statut de victime, au sens de l’article premier du Protocole facultatif, parce qu’une partie importante des biens qu’ils avaient réclamés leur avaient été restitués et qu’ils ne pouvaient donc être victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte. Dans ce contexte, le Comité renvoie d’abord à la décision rendue par la Cour européenne dans l’affaire Haškovcová et Věříšová c. République tchèque, invoquée par l’État partie, et considère que cette affaire diffère sensiblement de l’affaire à l’examen. Il observe que la première affaire concerne la violation alléguée du droit à la propriété visé par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention européenne des droits de l’homme, lequel impose à la Cour d’examiner la question de la proportionnalité une fois qu’il a été établi que l’ingérence du Gouvernement avait servi l’intérêt général, avait satisfait à l’exigence de légalité et n’était pas arbitraire. En revanche, la présente affaire concerne l’interdiction de discrimination prévue à l’article 26 du Pacte, selon lequel une différence de traitement n’est acceptable que si elle repose sur des critères raisonnables et objectifs et sert un objectif légitime au regard du Pacte. En conséquence, et compte tenu de la portée de l’examen du Comité, qui se limite au grief que les auteurs tirent de l’article 26 du Pacte, des critères tels que la superficie en mètres carrés ou la valeur financière globale des biens non restitués aux auteurs sont pertinents dans la seule mesure où ils indiquent si les auteurs sont toujours en mesure de montrer qu’ils ont été désavantagés par l’ingérence du Gouvernement. Le Comité observe que, selon les auteurs, qui se fondent sur une estimation réalisée par un évaluateur agréé, des biens valant ensemble 2 015 000 couronnes tchèques, soit 30,6 % de la valeur totale des biens réclamés, ne leur ont pas été restitués, en raison de la législation nationale relative à la nationalité. Au vu de ce qui précède, le Comité considère que les auteurs ont suffisamment démontré leur grief, à savoir qu’ils continuent de subir les conséquences néfastes de la législation nationale applicable et que l’on ne saurait considérer qu’ils ont perdu leur qualité de victime, aux fins de l’article premier du Protocole facultatif et de l’article 26 du Pacte.

6.8En l’absence d’autres objections concernant la recevabilité de la communication, le Comité déclare celle-ci recevable en ce qu’elle soulève des questions au titre de l’article 26 du Pacte, et il passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2La question dont le Comité est saisi, telle qu’elle a été présentée par les parties, est de savoir si l’application aux auteurs de la loi no 87/1991, qui exigeait d’eux qu’ils prouvent la nationalité tchèque de leur ancêtre aux fins de la restitution de biens, a constitué une discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Une différence de traitement qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondée sur des critères raisonnables et objectifs ne constitue pas une discrimination interdite au sens de cet article.

7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a formulées dans l’affaire Des Fours Walderode et Kammerlander c. République tchèque, à savoir que l’introduction, dans la loi, d’un critère de nationalité en tant que condition nécessaire pour obtenir la restitution d’un bien confisqué par les autorités établit une distinction arbitraire et par conséquent discriminatoire entre des individus qui sont tous également victimes des confiscations antérieures, et constitue une violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité considère que le principe établi dans l’affaire susmentionnée, et dans bien d’autres, s’applique également aux auteurs de la présente communication, dans la mesure où ils ont été empêchés d’obtenir la restitution de leur propriété familiale, sur la seule base de la nationalité de leur ancêtre. Dès lors, le Comité conclut que l’application, aux auteurs, du critère de nationalité prévu par la loi no 87/1991 viole les droits que leur confère l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, de l’article 26 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie a l’obligation, entre autres, de faire le nécessaire pour offrir une indemnisation appropriée, si les biens ne peuvent être restitués. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. En particulier, le Comité rappelle que l’État partie devrait veiller à ce que sa législation et ses politiques concernant la restitution des biens soient appliquées sans discrimination d’aucune sorte, en particulier sans discrimination fondée sur la nationalité.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.